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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme 27 (2013) 263–268 Revue générale Nutrition parentérale et médicaments : modalités d’une administration concomitante Parenteral nutrition and drugs: Modalities of concomitant administration Lucie Bouchoud a,, Marie-Laure Duchêne b , Odile Corriol c , Sébastien Neuville d a Service de pharmacie, hôpitaux universitaires de Genève, rue Gabrielle-Perret-Gentil, 1211 Genève, Suisse b Pharmacie de l’Archet, CHU de Nice, 151, route St-Antoine-de-Ginestière, 06200 Nice, France c Service de pharmacie, hôpital Necker–Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, France d Service de pharmacie, CHRU de Lille, rue Philippe-Marache, 59037 Lille cedex, France Rec ¸u le 24 mai 2013 ; rec ¸u sous la forme révisée le 13 aoˆ ut 2013 ; accepté le 15 aoˆ ut 2013 Disponible sur Internet le 27 septembre 2013 Résumé L’administration simultanée de médicaments et de mélanges de nutrition parentérale (NP) est une pratique courante mais qui n’est pas sans risque. Le but de ces recommandations est, dans un premier temps, de définir les incompatibilités et leurs risques associés chez le patient, puis d’émettre des recommandations sur l’administration concomitante de NP et médicaments. Une démarche systématique listant les éléments à évaluer pour la définition de la compatibilité entre médicament et NP est proposée. Elle comprend la recherche d’alternatives, les manipulations à effectuer sur la voie en cas d’interruption de la nutrition, la manière d’interpréter les données de la littérature ainsi que l’évaluation du risque lorsque aucune donnée n’est disponible. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Nutrition parentérale ; Médicaments ; Compatibilité ; Sécurité ; Administration Abstract Concomitant administration of drugs and parenteral nutrition (PN) is a common practice but is not without risk. The purpose of these recom- mendations is, at first, to define incompatibilities and risk for patients and to make recommendations regarding simultaneous administration of PN and drugs. A systematic approach to assess the compatibility between drug and NP is proposed. It includes the search for alternatives, the manipulations to make on catheter in case of interruption of the nutrition, how to deal with compatibility data from the literature and how to assess the risk when no data are available. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Parenteral nutrition; Drugs; Compatibility; Security; Administration 1. Introduction Les mélanges de nutrition parentérale (NP) sont générale- ment administrés en continu sur voie veineuse centrale, voire périphérique lorsque l’osmolarité le permet. Le nombre d’abords veineux disponibles étant limité, l’administration de médi- caments injectables sur des voies séparées de la NP peut Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (L. Bouchoud), [email protected] (M.-L. Duchêne), [email protected] (O. Corriol), [email protected] (S. Neuville). devenir problématique chez les patients polymédiqués ou lors d’administration de médicaments en continu sur 24 heures. L’administration concomitante de NP et de médicaments est donc une réalité quotidienne pour le soignant. Le but de ce guide est de donner des outils aux professionnels de la santé pour aider à décider, dans un contexte particulier, si un médicament peut être administré en même temps que la NP ou non. Ce guide se compose de deux parties : rappel théorique sur les incompatibilités (description et risques) ; 0985-0562/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2013.08.001

Nutrition parentérale et médicaments : modalités d’une administration concomitante

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Nutrition clinique et métabolisme 27 (2013) 263–268

Revue générale

Nutrition parentérale et médicaments : modalités d’une administrationconcomitante

Parenteral nutrition and drugs: Modalities of concomitant administration

Lucie Bouchoud a,∗, Marie-Laure Duchêne b, Odile Corriol c, Sébastien Neuville d

a Service de pharmacie, hôpitaux universitaires de Genève, rue Gabrielle-Perret-Gentil, 1211 Genève, Suisseb Pharmacie de l’Archet, CHU de Nice, 151, route St-Antoine-de-Ginestière, 06200 Nice, France

c Service de pharmacie, hôpital Necker–Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15, Franced Service de pharmacie, CHRU de Lille, rue Philippe-Marache, 59037 Lille cedex, France

Recu le 24 mai 2013 ; recu sous la forme révisée le 13 aout 2013 ; accepté le 15 aout 2013Disponible sur Internet le 27 septembre 2013

ésumé

L’administration simultanée de médicaments et de mélanges de nutrition parentérale (NP) est une pratique courante mais qui n’est pas sans risque.e but de ces recommandations est, dans un premier temps, de définir les incompatibilités et leurs risques associés chez le patient, puis d’émettrees recommandations sur l’administration concomitante de NP et médicaments. Une démarche systématique listant les éléments à évaluer pour laéfinition de la compatibilité entre médicament et NP est proposée. Elle comprend la recherche d’alternatives, les manipulations à effectuer sura voie en cas d’interruption de la nutrition, la manière d’interpréter les données de la littérature ainsi que l’évaluation du risque lorsque aucuneonnée n’est disponible.

2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ots clés : Nutrition parentérale ; Médicaments ; Compatibilité ; Sécurité ; Administration

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Concomitant administration of drugs and parenteral nutrition (PN) is a common practice but is not without risk. The purpose of these recom-endations is, at first, to define incompatibilities and risk for patients and to make recommendations regarding simultaneous administration of

N and drugs. A systematic approach to assess the compatibility between drug and NP is proposed. It includes the search for alternatives, theanipulations to make on catheter in case of interruption of the nutrition, how to deal with compatibility data from the literature and how to assess

he risk when no data are available. 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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eywords: Parenteral nutrition; Drugs; Compatibility; Security; Administration

. Introduction

Les mélanges de nutrition parentérale (NP) sont générale-ent administrés en continu sur voie veineuse centrale, voire

ériphérique lorsque l’osmolarité le permet. Le nombre d’abordseineux disponibles étant limité, l’administration de médi-aments injectables sur des voies séparées de la NP peut

∗ Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected] (L. Bouchoud),

[email protected] (M.-L. Duchêne), [email protected]. Corriol), [email protected] (S. Neuville).

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985-0562/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2013.08.001

evenir problématique chez les patients polymédiqués ou lors’administration de médicaments en continu sur 24 heures.’administration concomitante de NP et de médicaments estonc une réalité quotidienne pour le soignant. Le but de ce guidest de donner des outils aux professionnels de la santé pour aider

décider, dans un contexte particulier, si un médicament peuttre administré en même temps que la NP ou non.

Ce guide se compose de deux parties :

rappel théorique sur les incompatibilités (description etrisques) ;

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recommandations du club des pharmaciens de la SFNEPquant à l’administration concomitante de NP et médicaments ;

. Rappels théoriques sur les incompatibilitésdescriptions et risques)

Les incompatibilités entre molécules médicamenteuses etutriments peuvent être de deux ordres : physiques ou chi-iques. Les premières sont généralement les plus étudiées. Il

st courant de déterminer la compatibilité entre la NP et lesédicaments uniquement sur des paramètres physiques.Les incompatibilités chimiques ont pour conséquence une

ltération du principe actif, entraînant une diminution d’activitéu une apparition de toxicité, ainsi qu’une altération de certainsutriments (vitamines, éléments-traces. . .) et donc des proprié-és nutritionnelles du mélange de NP [1].

.1. Les incompatibilités physiques

Ces réactions sont généralement visibles et se manifestentar l’apparition d’un trouble ou d’un précipité, un changemente couleur ou la formation d’un gaz. Dans les NP ternaires,’incompatibilité peut également conduire à la dénaturation de’émulsion lipidique. La détection d’une incompatibilité estendue difficile dans une NP ternaire à cause de l’opacité de’émulsion.

.1.1. Déstabilisation de l’émulsionDans la NP ternaire, l’émulsion est le paramètre le plus sen-

ible à la déstabilisation.Un crémage ou une rupture de l’émulsion peut survenir en

as d’incompatibilité comme avec l’albumine [2,3]. Dans lesmulsions lipidiques pour la NP, la lécithine de jaune d’œufst l’émulsifiant utilisé. Cette dernière confère à la surface desouttelettes une charge globale négative qui permet une répul-ion électrostatique entre les gouttelettes voisines, ce qui apportea stabilité physique de l’émulsion [4] (Fig. 1).

Cette répulsion électrostatique est quantifiée par le potentieléta de l’émulsion, il est compris entre −50 et −30 mV pour lesmulsions natives.

Différents facteurs comme la présence d’électrolytes (prin-ipalement de cations di- et trivalents) ou le pH influencenta stabilité physique des émulsions [5]. En effet, les chargesositives des électrolytes vont neutraliser les charges négativesrésentes à la surface des globules lipidiques (ce qui se reflètear une augmentation du potentiel Zéta) et favoriser la fusiones gouttelettes. De même, le pH influence directement le degré’ionisation de la solution et donc les charges présentes.

L’ionisation des phosphates polaires de la lécithine est opti-isée à un pH entre 6 et 9, ce qui est représentatif des pH

es émulsions lipidiques injectables commercialisées. Il va deoi que les médicaments dont le pH est hors de ces limitesont compromettre la stabilité de l’émulsion. Un pH inférieur

5 réduit fortement la charge superficielle négative des goutte-ettes lipidiques qui vont plus facilement s’agréger. Lorsque leH s’approche de 3,2, la coalescence est presque inévitable etes globules de plus de 5 �m de diamètre apparaissent [6].

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Fig. 1. Répulsion des gouttelettes lipidiques chargées négativement.

L’United States Pharmacopeia (USP) est la seule pharma-opée à contenir des limites de taille des globules pour lesmulsions lipidiques. Elle précise que le diamètre moyen deslobules (mean droplet size [MDS]) devrait être inférieur à,5 �m et que les globules de diamètre de plus de 5 �m (percen-age of fat globule > 5 �m [PFAT5]) ne devraient pas dépasseres 0,05 % (volume-poids) des lipides [7]. Ces paramètres’appliquent aux émulsions natives, mais le dépassement dees normes n’implique pas d’office une instabilité. Une étude

été consacrée à l’évaluation de ces paramètres dans des émul-ions lipidiques commercialisées aux États-Unis et en Europe.es émulsions choisies respectaient toutes les normes pour leiamètre moyen mais certaines d’entre elles présentaient unFAT5 plus élevé que 0,05 % (jusqu’à 0,226 %) [8]. Toutefois,

’instabilité de l’émulsion n’est mise en évidence qu’à partir d’unFAT5 de 0,4 % et plus [9]. Le principal facteur déterminant de

’instabilité est l’évolution du PFAT5 au cours du temps, plus quea valeur absolue. En effet, une augmentation de ce paramètrest souvent le signe d’une déstabilisation de l’émulsion mêmei visuellement l’émulsion semble bien homogène. Le diamètreoyen reste quant à lui souvent dans les normes même en cas de

ébut de rupture de l’émulsion, la concentration en gouttelettesst trop élevée pour modifier précocement ce paramètre. Le dia-ètre moyen seul ne permet donc pas une bonne prédiction de

a stabilité de l’émulsion.

.1.2. PrécipitationDans de nombreux cas, plus les produits sont dilués, meilleure

st la stabilité du mélange. Toutefois, certains médicamentsontiennent des co-solvants, dont la trop forte dilution peutonduire à une précipitation du principe actif (ex. Phénytoïne).

Le pH joue également un rôle important dans la solubilitées principes actifs. Fréquemment, les médicaments sont moinsolubles sous leur forme non ionisée. Ainsi, les acides faibles

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ont plus solubles dans une solution dont le pH se situe au moinseux unités au-dessus de leur pKa et les bases faibles dans uneolution de pH au moins deux unités au-dessous de leur pKa. LeH des NP sans lipides étant acide (généralement entre 5 et 7),es médicaments acides nécessitant un milieu basique pour êtren solution ont plus de chance de présenter une incompatibilitévec la NP. C’est le cas par exemple du 5-Fluorouracil (pH 8,3)ui précipite au contact de la NP.

Une cause de précipitations bien connue dans la NP est la pré-ipitation du phosphate de calcium. La perfusion en Y de sels dealcium ou phosphates sont à risque de précipitations. La naturees sels (organiques ou non) sont un des facteurs prépondérant

prendre en considération. L’utilisation de sels organiques (telsue le glubionate de calcium, le glycérophosphate ou le glucose--phosphate de sodium) diminue grandement ce risque [10].

.1.3. Dégagement gazeuxIl s’agit de réactions chimiques libérant du CO2. Certains

édicaments contiennent des carbonates, comme par exempleans le Tienam® (imipénème/cilastine), où l’excipient est leicarbonate. Un dégagement de CO2 peut se produire si le bicar-onate est mis en milieu acide.

.2. Les incompatibilités chimiques

Les incompatibilités chimiques regroupant, les réactions’oxydoréduction, de complexation, de peroxydation, de pho-olyse, de racémisation et d’hydrolyse ne sont pas toujoursisibles à l’œil nu. La dégradation du principe actif se déter-ine par l’analyse quantitative de ce dernier dans le mélange.ette incompatibilité est souvent la moins bien documentée car

a plus complexe à mettre en évidence. Le dosage des principesctifs demande d’avoir à disposition un laboratoire d’analyseien équipé et le développement de méthode spécifique à laolécule et au milieu de la NP. En plus du risque de diminuer

a concentration du principe actif, ces réactions peuvent poten-iellement générer des produits de dégradation dont la toxicitést souvent incertaine.

.3. Risques liés à l’administration de NP et médicamentsncompatibles

Peu de données cliniques illustrent les effets indésirables pro-oqués par les incompatibilités physico-chimiques entre NP etédicaments.

.3.1. Administration d’une émulsion instableL’administration d’une émulsion instable peut être à risque

e toxicité comme démontré dans des études animales [11]. Enlinique, il est plus difficile de faire le lien entre les globulese grandes tailles et leur effet néfaste. Ces globules, s’ils sontntroduits dans la circulation sanguine, pourraient être toxiques

our le patient entre autre en augmentant le stress oxydatif et lesommages causés aux tissus hépatiques et pulmonaires [11–14].’impact clinique de ces globules est difficile à mettre en évi-ence, car aucune étude n’a pu être menée sur l’être humain.

t métabolisme 27 (2013) 263–268 265

e manière générale, du fait de leur déformabilité, ces glo-ules n’ont pas la même tendance que les particules solides

boucher les petits vaisseaux sanguins [15], mais ils peuvent’accumuler graduellement notamment au niveau du systèmeéticulo-endothélial.

.3.2. Administration d’un précipitéQuelques cas d’embolies pulmonaires parfois fatales suite à

a perfusion de précipités provenant des NP ont été rapportés15]. Hormis l’incompatibilité liée à la précipitation du phos-hate de calcium déjà documentée [1,16,17], il a été rapportée décès de nouveau-nés et d’enfants associés à des précipitése ceftriaxone et de calcium dans les parenchymes pulmonairest rénaux [18]. La précipitation peut avoir lieu également inivo lorsque les produits sont administrés sur des voies diffé-entes. Ainsi en 2009, la Food and Drug Administration (FDA)

publié une alerte mentionnant que la ceftriaxone ne devaitas être administrée chez les enfants de moins de 28 jours quiecevaient des perfusions contenant du calcium, type NP [19].

Le plus souvent, les incompatibilités visibles sont relevéesar les infirmières en observant les tubulures de perfusion, ceui permet de limiter les effets potentiels chez les patients [20].

Toutefois, l’émulsion lipidique rend la NP d’aspect laiteux etpaque. Dans ces conditions, les incompatibilités de type pré-ipitation sont d’autant plus difficiles à relever. De même, leshangements de couleur sont plus difficilement identifiables, àoins d’un virement net. Ces aspects rajoutent une part de diffi-

ulté et d’insécurité dans l’administration de médicament et NPn Y.

.3.3. Autres risquesLa dégradation du principe actif au contact de la NP est un

utre aspect qu’il est important de prendre en compte. En effet,ême sans précipité ou rupture de l’émulsion, le principe actif

eut se dégrader, par exemple au contact du pH acide de laP. Bien que les produits de dégradation ne soient pas toujours

oxiques pour le patient, celui-ci ne sera pas traité correctementlors même que le médicament est administré.

La formation de précipités ou d’agrégats a également pouronséquence un risque d’obstruction de la ligne de perfusionoire du cathéter veineux central, dont la désobstruction ou leemplacement est alors parfois nécessaire, alors que la possibilitée tels remplacements est souvent limitée chez les patients.

.4. Facteurs pouvant favoriser les incompatibilités

Différents facteurs peuvent influencer l’apparition’incompatibilités :

le temps de contact : plus le temps de contact est long, plus lerisque de réaction augmente ;

la concentration : les réactions sont généralement favorisées

avec des concentrations extrêmes ;

le pH : des changements de pH importants peuvent entraînerdes réactions chimiques ;

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la température : une élévation de la température peut favoriserles réactions ;

la lumière : une forte lumière peut favoriser les réactions dedégradation.

. Recommandations du club des pharmaciens de laFNEP quant à l’administration concomitante de NP etédicaments

Les NP sont des mélanges complexes et labiles comme nous’avons vu précédemment. La littérature sur la compatibiliténtre NP et médicament est succincte et il est rare de ren-ontrer en pratique la même situation que celle décrite dansne étude (type de NP, concentration du médicament, etc.).ans ce contexte, les recommandations proposées sont édi-

ées en appliquant le principe de précaution. Elles suivent leéroulement du processus du médicament en commencant para prescription (pertinence du médicament, voies alternatives)uis l’administration (séparément, concomitante : données dis-onibles et interprétation, démarche en l’absence de données).

Il est déconseillé de mélanger le médicament directementans la poche de nutrition, même en présence de données detabilité. L’identification de la poche contenant le médicamentst en effet à risque de confusion. De plus, si la NP est arrêtéeu le débit modifié, ceci entraîne également des modificationsour le médicament, avec risque de ne pas être pris en compte.

Lorsque l’administration sur la même voie de NP et médi-ament est incontournable, la démarche proposée ci-dessousparagraphe 3.1 à 3.6) devrait être effectuée.

.1. Recherche d’alternative

Si on ne peut arrêter la NP, il faudra rechercher une alternativeossible à la voie parentérale : est-il possible de donner le médi-ament par voie sous-cutanée, transdermique, rectale ou autre ?ors du passage de la voie intraveineuse (IV) à une autre voie,

l faut réévaluer la posologie du médicament, la biodisponibilité’étant pas toujours identique à celle de la voie IV.

.2. Interrompre la nutrition

Afin de limiter les contacts entre NP et médicament, il estecommandé d’arrêter la NP et de suivre le protocole suivant :incer la voie, administrer le médicament, rincer à nouveau laoie puis reprendre la nutrition. Lorsque ce procédé n’est pasossible (durée d’administration des médicaments trop longue),l faudra essayer une cyclisation de la NP, par exemple la nuitour pouvoir passer les médicaments la journée.

.3. Autre voie IV possible

Dans les cas où le médicament s’administre sur une longueurée, et que la NP ne peut être interrompue, la pose d’une

utre voie IV (par exemple en périphérie) peut représenter unelternative.

Il existe également sur le marché des cathéters pour voieeineuse centrale multilumières. Ces cathéters permettent de

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oser une seule voie centrale, mais d’offrir plusieurs voies’administration. NP et médicaments peuvent être administrésur deux voies du même cathéter en toute sécurité. En effet, cesathéters ont été développés pour disposer de plusieurs voies’abord veineux sur un même dispositif [21]. L’écart entre lesorties en position distale et le débit sanguin important d’uneoie centrale assurent la séparation des voies d’un même cathé-er.

.4. Recherche de données de compatibilité

Lorsque ces alternatives ne sont pas envisageables, uneecherche dans la littérature sur des données de comptabi-ité doit être menée. Différentes bases de données et livrese références sont disponibles. Un ouvrage de référence trèsouramment utilisé dans les pharmacies hospitalières est leandbook on injectable drugs de Trissel [22]. Des données de

tabilité et de compatibilité entre médicaments et entre médica-ents et nutrition parentérale peuvent être trouvées dans cet

uvrage qui est mis à jour tous les quatre à cinq ans. Il a’avantage de présenter les données en détail, avec les condi-ions (temps de contact, concentrations, etc.) dans lesquelles laompatibilité ou l’incompatibilité a été relevée. Des bases deonnées informatiques comme le King Guide [23] proposentes données de compatibilité, mais son accès est payant. Uneecherche d’articles publiés dans des journaux scientifiqueseut également apporter des réponses, bien que ceux-ci soienténéralement intégrés dans les bases de données précédem-ent citées. Il est rare que la composition de la nutrition et

e type de lipides utilisés dans la référence correspondent àa situation clinique. L’extrapolation des données doit se fairevec précaution. Il est par exemple déconseillé d’extrapoleres données obtenues en employant une émulsion lipidiqueécente avec un type d’émulsion d’une génération antérieure, lesmulsions de deuxième (émulsions avec triglycérides à chaînesoyennes ou contenant de l’huile d’olive) et troisième généra-

ion (émulsion contenant de l’huile de poisson) ayant en effetémontré une meilleure stabilité que celles de 1ère génération24,25]. Lorsque des données de compatibilité sont trouvées, ilst possible d’administrer NP et médicament en Y. De manièreénérale, le branchement en Y doit être fait au plus proche duatient afin de limiter le temps de contact entre NP et médica-ent.

.5. Insuline et héparine

Dans certaines institutions, ces deux médicaments sont misirectement dans la poche de nutrition. La compatibilité entrees NP et ces médicaments est parfois documentée par le fabri-uant et permet une adjonction. Toutefois, il faut se rappelerue cette pratique n’est pas sans risque. Une identification clairee l’adjonction doit être faite afin de savoir exactement ce queontient la poche. De plus, si d’autres médicaments doivent être

assés en Y de cette NP, la connaissance de la compatibilitéP/héparine ou NP/insuline avec un autre médicament devient

ompliquée.

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.6. Évaluation du risque

Si aucune donnée de compatibilité n’est disponible, unevaluation du risque en fonction des propriétés galéniques duédicament doit être entreprise.

.6.1. Le pHComme mentionné au chapitre précédent, le pH a un rôle

mportant. Ainsi, les médicaments fortement acides sont àisques de déstabiliser l’émulsion et les médicaments forte-ent basiques à risque de précipiter. Les médicaments aux

H inférieur à 4 ou pH supérieur à 7 ne devraient pas être admi-istrés en Y de la NP sans autres données qui attesteraientlairement de leur comptabilité.

.6.2. La teneur en électrolytesDe même qu’avec les médicaments au pH acide, les cations

ont neutraliser les charges négatives de la lécithine et sont doncotentiellement à risque de déstabiliser l’émulsion. Ce phéno-ène est principalement lié aux cations di- et trivalents qui

pportent une forte charge ionique. Les adjonctions de Ca2+

t Mg2+ sont donc à faire avec prudence selon les données deomptabilité établies.

.6.3. La présence d’adjuvantsCertains médicaments injectables comprennent des co-

olvants (comme le propylène glycol, l’alcool, les polysorbates)ui garantissent la solubilité du médicament dans une gammee concentration, c’est le cas par exemple de l’amiodarone, duiazépam, du clonazépam et de la phénytoïne. La dilution duédicament par la NP dans la tubulure entraîne également une

ilution des co-solvants et peut de ce fait conduire à la précipi-ation.

.6.4. Filtre en ligneLorsque les données disponibles ne sont pas suffisantes pour

onfirmer la compatibilité mais qu’une incompatibilité évidente été exclue, il est possible de proposer la pose d’un filtre enigne après le Y mettant en relation NP et médicament. Poura NP en pédiatrie, l’European Society for Clinical Nutritionnd Metabolism (ESPEN) et l’European Society of Paedia-ric Gastroenterology, Hepatology and Nutrition (ESPGHAN)ecommandent la mise en place d’un filtre en ligne sur toutes leserfusions de NP pour diminuer la contamination particulairee manière générale et prévenir les risques d’instabilité [26].

Il faut se rappeler que la taille d’un filtre doit être de 1,2 �mour laisser passer les émulsions lipidiques. Les globules ayantn diamètre moyen de 0,3 �m, un filtre 0,22 �m ne laisseraitas passer l’émulsion. Les risques seraient soit un colmatageu filtre soit une rupture de l’émulsion si le débit appliqué estmportant. L’emploi d’un filtre de porosité 0,22 �m est possiblevec les mélanges binaires.

Lorsque la pose d’un filtre est préconisée, il est important quee personnel soignant connaisse le matériel pour bien l’utiliser.e mouillage du filtre et le sens de pose sont des paramètres

mportants pour son bon fonctionnement. Une formation et un

t métabolisme 27 (2013) 263–268 267

outien auprès des soignants sont donc nécessaires. À noter queertains produits ne peuvent pas être filtrés comme les déri-és sanguins et facteurs de coagulation. Ces mêmes produits neoivent pas rentrer en contact avec la NP.

.6.5. La nutrition parentérale à la carteLa composition des formules de NP fabriquées à la carte

eut varier considérablement d’un patient à l’autre. Lors de’instruction de la compatibilité d’un médicament avec un tel

élange individualisé de NP, une attention particulière doit êtrepportée, ces mélanges n’étant par définition jamais assimilables

des standards. Rien dans la littérature ne permettra de statuer,t seule donc l’analyse de la spécialité médicamenteuse et dees propriétés galéniques (cf. Section 3.6) permettra éventuel-ement de prendre une décision ; le recours à un filtre devraitrobablement être systématique.

. Conclusion

L’administration concomitante de médicaments et de nutri-ion parentérale est une problématique courante chez les patientsous NP aussi bien en milieu hospitalier qu’à domicile. Laomplexité des mélanges de NP doit amener à la prudence et, deanière générale, NP et médicaments ne devraient pas entrer en

ontact. Lorsque des données de comptabilité sont disponibles,lles doivent être interprétées avec attention, en prenant enompte les divers types et concentrations des composants. Sansonnées disponibles, une réflexion du rapport bénéfice risqueoit être entreprise en se basant sur les paramètres physico-himiques connus de la NP et du médicament concerné. Dansous les cas, la décision d’administrer en Y médicament et NPoit émaner d’une réflexion mettant au centre la sécurité duatient.

éclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

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