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Aurait-on détecté la matière noire? 13 avril 2014 OBSERVATION D’UN SIGNAL DE MATIÈRE NOIRE LÉGÈRE? Les faits: l’observation En février 2014, les auteurs de [1] et [2] ont analysé les données du satellite européen XMM-Newton. ces études sont basées sur l’observation du spectre de rayons X émis par des amas de galaxies comme Perseus ou même des galaxies voisines telle Andromède. Ces amas comptent parmi les objets les plus massifs de l’Univers, contenant des milliers de galaxies comme la voie lactée. Perseus se trouve à une distance de 240 millions d’années lumière du système solaire et est immergée dans un nuage géant de gaz de plusieurs millions de degrés, émettant des radiations possédant une énergie de l’ordre du keV 1 (kilo-electronVolt) correspondant aux gammes d’énergie des rayons X. Cette fenêtre de fréquences est justement celle observée par des satellites comme Chandra (de la NASA) ou XMM-Newton (de l’ESA) tous les deux lancés en 1999. Les résultats de ces analyses ont surpris la communauté astrophysique et nucléaire. En eet, le spectre présente une anomalie notable, un excès ou « pic » significatif (à plus de 99.9% de niveau de confiance) pour des photons d’énergie de l’ordre de 3.5 keV (voir figure ci-contre). Ce signal correspond à un flux d’un photon par mètre carré et par seconde. Plusieurs articles sont alors apparus afin de trouver une explication cohérente à ce phénomène. Pour l’instant, aucune source astrophysique ne justifie un tel excès de photons à cette énergie. L’interprétation: un candidat matière noire? Les galaxies et amas de galaxies sont des objets très étudiés en astrophysique, et plus particulièrement dans le domaine de l’astroparticule. En eet, ces objets massifs sont 1 Le satellite XMM Newton (X-ray Multi-Mirror) a été lancé par l’agence spatial européenne en 1999. Il mesure une cartographie de l’espace entre 0.1 et 12 keV. Spectre en photons (nombre de photons en fonction de leur énergie en keV) émis par la galaxie Andromède (M31) dans les fréquences X, observé par le satellite XMM-Newton et analysé par les auteurs de [2]. Dans le graphique du bas, les points bleus correspondent aux valeurs prédites par un modèle sans matière noire, les points rouges sont les valeurs observées par XMM-Newton. On observe clairement un excès de points rouge autour de 3.5 keV 0.22 0.24 0.26 0.28 0.30 0.32 0.34 0.36 Normalized count rate [cts/sec/keV] M31 ON-center No line at 3.5 keV -410 -3 -210 -3 010 0 210 -3 410 -3 610 -3 810 -3 110 -2 3.0 3.2 3.4 3.6 3.8 4.0 Data - model [cts/sec/keV] Energy [keV] No line at 3.5 keV Line at 3.5 keV L’électronvolt est une unité de mesure typique en physique des particules. 1 électronvolt correspond à l’énergie 1 acquise par un électron accéléré sous un potentiel d’un volt. Un proton voyageant à 300 km/s (vitesse typique dans nos galaxies) possède une énergie cinétique d’un keV.

OBSERVATION D’UN SIGNAL DE MATIÈRE NOIRE LÉGÈRE?

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Page 1: OBSERVATION D’UN SIGNAL DE MATIÈRE NOIRE LÉGÈRE?

Aurait-on détecté la matière noire? 13 avril 2014

OBSERVATION D’UN SIGNAL DE MATIÈRE NOIRE LÉGÈRE?

Les faits: l’observation ! En février 2014, les auteurs de [1] et [2] ont analysé les données du satellite européen XMM-Newton. ces études sont basées sur l’observation du spectre de rayons X émis par des amas de galaxies comme Perseus ou même des galaxies voisines telle Andromède. Ces amas comptent parmi les objets les plus massifs de l’Univers, contenant des milliers de galaxies comme la voie lactée. Perseus se trouve à une distance de 240 millions d’années lumière du système solaire et est immergée dans un nuage géant de gaz de plusieurs millions de degrés, émettant des radiations possédant une énergie de l’ordre du keV 1

(kilo-electronVolt) correspondant aux gammes d’énergie des rayons X. Cette fenêtre de fréquences est justement celle observée par des satellites comme Chandra (de la NASA) ou XMM-Newton (de l’ESA) tous les deux lancés en 1999.

Les résultats de ces analyses ont surpris la communauté astrophysique et nucléaire. En effet, le spectre présente une anomalie notable, un excès ou « pic » significatif (à plus de 99.9% de niveau de confiance) pour des photons d’énergie de l’ordre de 3.5 keV (voir figure ci-contre). Ce signal correspond à un flux d’un photon par mètre carré et par seconde. Plusieurs articles sont alors apparus afin de trouver une explication cohérente à ce phénomène. Pour l’instant, aucune source astrophysique ne justifie un tel excès de photons à cette énergie.

!L’interprétation: un candidat matière

noire? ! Les galaxies et amas de galaxies sont des objets très étudiés en astrophysique, et plus particulièrement dans le domaine de l’astroparticule. En effet, ces objets massifs sont

1

Le satellite XMM Newton (X-ray Multi-Mirror) a été lancé par l’agence spatial européenne en 1999. Il mesure une cartographie de l’espace entre 0.1 et 12 keV.

Spectre en photons (nombre de photons en fonction de leur énergie en keV) émis par la galaxie A n d ro m è d e ( M 3 1 ) d a n s l e s fréquences X, observé par le satellite XMM-Newton et analysé par les auteurs de [2]. Dans le graphique du bas, les points bleus correspondent aux valeurs prédites par un modèle sans matière noire, les points rouges sont les valeurs observées par XMM-Newton. On observe clairement un excès de points rouge autour de 3.5 keV

3

Dataset Exposure χ2/d.o.f. Line position Flux ∆χ2

[ksec] [keV] 10−6 cts/sec/cm2

M31 ON-CENTER 978.9 97.8/74 3.53± 0.025 4.9+1.6−1.3 13.0

M31 OFF-CENTER 1472.8 107.8/75 3.53± 0.03 < 1.8 (2σ) . . .PERSEUS CLUSTER (MOS) 528.5 72.7/68 3.50+0.044

−0.036 7.0+2.6−2.6 9.1

PERSEUS CLUSTER (PN) 215.5 62.6/62 3.46± 0.04 9.2+3.1−3.1 8.0

PERSEUS (MOS) 1507.4 191.5/142 3.518+0.019−0.022 8.6+2.2

−2.3 (Perseus) 25.9+ M31 ON-CENTER 4.6+1.4

−1.4 (M31) (3 dof)BLANK-SKY 15700.2 33.1/33 3.53± 0.03 < 0.7 (2σ) . . .

TABLE I: Basic properties of combined observations used in this paper. Second column denotes the sum of exposures of individual observa-tions. The last column shows change in∆χ2 when 2 extra d.o.f. (position and flux of the line) are added. The energies for Perseus are quotedin the rest frame of the object.

0.01

0.10

1.00

10.00

Normalized count rate

[cts/sec/keV]

M31 ON-center

-6⋅10-3-4⋅10-3-2⋅10-3 0⋅100 2⋅10-3 4⋅10-3 6⋅10-3 8⋅10-3 1⋅10-2

1.0 2.0 3.0 4.0 5.0 6.0 7.0 8.0

Data - model

[cts/sec/keV]

Energy [keV]

No line at 3.5 keV

0.22

0.24

0.26

0.28

0.30

0.32

0.34

0.36Normalized count rate

[cts/sec/keV]

M31 ON-centerNo line at 3.5 keV

-4⋅10-3-2⋅10-3 0⋅100 2⋅10-3 4⋅10-3 6⋅10-3 8⋅10-3 1⋅10-2

3.0 3.2 3.4 3.6 3.8 4.0

Data - model

[cts/sec/keV]

Energy [keV]

No line at 3.5 keVLine at 3.5 keV

FIG. 1: Left: Folded count rate (top) and residuals (bottom) for the MOS spectrum of the central region of M31. Statistical Y-errorbars on thetop plot are smaller than the point size. The line around 3.5 keV is not added, hence the group of positive residuals. Right: zoom onto the lineregion.

with such a large exposure requires special analysis (as de-scribed in [16]). This analysis did not reveal any line-likeresiduals in the range 3.45−3.58 keVwith the 2σ upper boundon the flux being 7× 10−7 cts/cm2/sec. The closest detectedline-like feature (∆χ2 = 4.5) is at 3.67+0.10

−0.05 keV, consistentwith the instrumental Ca Kα line.3

Combined fit of M31 + Perseus. Finally, we have performeda simultaneous fit of the on-center M31 and Perseus datasets(MOS), keeping common position of the line (in the rest-frame) and allowing the line normalizations to be different.The line improves the fit by ∆χ2 = 25.9 (Table I), whichconstitutes a 4.4σ significant detection for 3 d.o.f.

Results and discussion. We identified a spectral feature atE = 3.518+0.019

−0.022 keV in the combined dataset of M31 andPerseus that has a statistical significance 4.4σ and does notcoincide with any known line. Next we compare its propertieswith the expected behavior of a DM decay line.

3 Previously this line has only been observed in the PN camera [9].

The observed brightness of a decaying DM line should be pro-portional to the dark matter column density SDM =

ρDMdℓ –integral along the line of sight of the DM density distribution:

FDM ≈ 2.0× 10−6 cts

cm2 · sec

(

Ωfov

500 arcmin2

)

× (1)(

SDM

500 M⊙/pc2

)

1029 s

τDM

(

keV

mDM

)

.

M31 and Perseus brightness profiles. Using the line fluxof the center of M31 and the upper limit from the off-centerobservations we constrain the spatial profile of the line. TheDM distribution in M31 has been extensively studied (see anoverview in [13]). We take NFW profiles for M31 with con-centrations c = 11.7 (solid line, [22]) and c = 19 (dash-dottedline). For each concentration we adjust the normalization sothat it passes through first data point (Fig. 2). The c = 19profile was chosen to intersect the upper limit, illustrating thatthe obtained line fluxes of M31 are fully consistent with thedensity profile of M31 (see e.g. [22, 24, 25] for a c = 19− 22model of M31).

L’électronvolt est une unité de mesure typique en physique des particules. 1 électronvolt correspond à l’énergie 1

acquise par un électron accéléré sous un potentiel d’un volt. Un proton voyageant à 300 km/s (vitesse typique dans nos galaxies) possède une énergie cinétique d’un keV.

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Aurait-on détecté la matière noire? 13 avril 2014

considérés comme étant le siège principal de la matière noire dans l’Univers. La lumière visible qui nous parvient, émise par les étoiles ou les gaz interstellaires, ne représente en fait qu’une infime partie constituante (autour de 10%) de telles structures. La matière noire (que nous appelleront χ de masse Mχ) n’interagissant que très faiblement avec les gaz ou des objets compacts comme des étoiles ou pulsars, sa détection se fait de manière indirecte via son auto-annihilation lorsque deux particules se collisionnent, ou sa désintégration si elle est instable. L’effet principal de telles interactions est justement l’émission de photons, ayant une énergie de l’ordre de grandeur de la masse de la matière noire (conservation de l’énergie). De plus, si l’annihilation se produit directement sans intermédiaire, l’énergie Eγ du photon est monochromatique et bien définie, Eγ= Mχ. Cela se traduit justement par un pic dans le spectre, de même nature que celui observé par XMM-Newton.

Récemment, une équipe de chercheurs du LPT de l’université d’Orsay et du CPhT de l’Ecole Polytechnique ont proposé dans [3] un scénario où une matière noire relativement légère pourrait être la source d’un tel signal. Lors de leurs multiples trajectoires dans l’amas de galaxie, il existe une probabilité non-nulle pour que deux particules de matière noire se collisionnent (voir encadré). Dans ce cas, le résultat du processus serait la production de deux photons de directions opposées, l’un des deux se dirigeant vers notre système solaire, et observé par le satellite en question, l'autre se dirigeant aux confins de l’Univers. Les chercheurs ont calculé la probabilité pour qu’un tel événement se produise et corresponde au signal observé (une « section efficace » σv). Ils ont obtenu σv = 10-37 cm2 s-1. Ils ont 2

ensuite montré que ce taux d’interaction était tout a fait naturel dans des constructions théoriques motivées où la matière noire interagit via l’échange d’un deuxième boson de Higgs (φ) bien plus léger que celui découvert au LHC le 4 juillet 2012 (h) : Mφ = 1 MeV (Mh=125 000 MeV). De plus, ce deuxième boson de Higgs est aussi prédit par de nombreux autres modèles afin d’expliquer la formation des structures, des anomalies solaires ou la forme du profil de matière noire proche des centres galactiques. La désintégration de ce boson intermédiaire en deux photons : χ χ -> φ -> γ γ est de surcroît le même processus qui a permis de découvrir le boson de Higgs standard via sa désintégration h -> γ γ qui a généré un pic similaire dans le spectre mesuré au LHC (voir figure ci-contre).

!Alternatives !

Il n’existe pas encore d’explication de nature purement astrophysique à un tel signal. D’autres candidats par contre, ont été proposés par des équipes Japonaises [4] ou Américaines [5]. Dans le premier cas, les auteurs proposent une matière noire instable couplée très faiblement au neutrino, particule du modèle standard très légère. Si le couplage est

2

Cela correspond à une collision toutes les 1028 secondes, largement compensé par le nombre immense de 2

particules de matière noire dans un amas.

Spectre en photon lors de la découverte du boson de Higgs en 2012 au LHC. Remarquez la s imi l i tude avec le spectre observé par XMM-Newton (figure page précédente) just ifiant l ’hypothèse d’un deuxième boson de Higgs plus léger.

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Aurait-on détecté la matière noire? 13 avril 2014

suffisamment faible, la matière noire peut avoir une durée de vie de l’ordre de 1028 secondes, bien plus longue que l’âge de l’Univers, mais se désintégrant lentement en photon et neutrino (voir encadré). L’autre possibilité développée dans [5] est la présence d’un état excité de la matière noire, tout comme il existe des états nucléaires excités, et lors de la désexcitation, il y aurait émission d’un photon mono-énergétique de 3.5 keV qui serait observé par XMM-Newton.

Il est aussi intéressant de noter que tous les candidats proposés font partie d’une catégorie dite « warm dark matter », par opposition à la « cold dark matter » ou « hot dark matter ». En effet, des particules de l’ordre du keV sont relativement légères et leur rapport 3

énergie cinétique / masse est relativement élevé. Elles sont donc « tièdes » d’où le nom « warm ». Cette caractéristique permet d’expliquer la faible présence de galaxies satellites autour de la voie lactée, puisque l’énergie cinétique de la matière noire empêcherait la formation de trop grandes structures; c’est le phénomène dit du « free streaming »: une matière noire trop chaude aurait empêché la formation de notre galaxie, alors qu’une matière noire trop froide nous aurait entourés de centaines de galaxies qui n’ont pas été observées . Dans tous les cas, ce 4

signal relance de façon significative la recherche de la matière noire légère qui se révèle très prometteuse dans les prochaines années.

[1] « Detection of An Unidentified Emission Line in the Stacked X-ray spectrum of Galaxy Clusters » by E. Bulbul, M. Markevitch, A. Foster, R. K. Smith, M. Loewenstein, S. W. Randall; http://arxiv.org/abs/1402.2301

[2] « An unidentified line in X-ray spectra of the Andromeda galaxy and Perseus galaxy cluster » by A. Boyarsky, O. Ruchayskiy, D. Iakubovskyi, J. Franse; http://arxiv.org/abs/1402.4119

[3] « Generating X-ray lines from annihilating dark matter » by E. Dudas, L. Heurtier and Y. Mambrini

[4] « 7 keV sterile neutrino dark matter from split flavor mechanism » by H. Ishida, K.S. Jeong, F. Takahashi; http://arxiv.org/abs/arXiv:1402.5837

[5] « An X-Ray Line from eXciting Dark Matter » by D. P. Finkbeiner and N. Weiner; http://arxiv.org/abs/1402.6671

3

Comparé au boson de Higgs, 100 000 plus lourd3

La voie lactée n’est entourée que d’une vingtaine de galaxies.4

Annihilation, désintégration ou désexcitation de la matière noire?

!Suite à la découverte du signal anormal émis par les amas de galaxies, plusieurs scénarios de matière noire ont été envisagés par les auteurs de [4,5,6]. La matière noire χ pourrait s’annihiler suite à ses nombreuses collisions au sein des amas de galaxies, produisant un boson de Higgs léger φ qui se désintégrerait à son tour en 2 photons γ (gauche). Une autre possibilité serait que la matière noire ne soit pas complètement stable mais ait une durée de vie bien plus longue que l’âge de l’Univers nous donnant une illusion de sa stabilité. Sa désintégration en photon γ et neutrino ν serait la source du signal observé par XMM-Newton (milieu). Une troisième possibilité serait que la matière noire existe sous deux formes dans l’Univers. L’une stable, χ et l’autre excitée χ*, à l’instar des éléments radioactifs terrestres (droite). Le photon émis lors de la désexcitation de la matière noire serait celui observé par le satellite.

Désintégration [4] Désexcitation [5]Annihilation [3]