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Xavier BONDIL Docteur en Chirurgie Dentaire Ancien attaché du service de parodon- tologie des HCL AEU implantologie DU de parodontologie et d'implantolo- gie orale À travers cet article sera expliqué l’intérêt d’obturer de manière étanche et cohésive le puits d’accès à la vis implantaire pour une couronne unitaire. Un protocole reproductible et fiable sera proposé. Prothèse T Discussion Quel matériau utiliser pour réali- ser les couronnes transvissées ? Il est d’usage d’utiliser des couronnes céramo-métalliques en implantologie. Transvisser ces couronnes aura comme conséquence la présence d’un puits pour accéder à la vis du pilier implan- taire. Ce puits est généralement situé sur la face occlusale de la prothèse en ce qui concerne les secteurs postérieurs et sur la face palatine ou linguale en ce qui concerne les secteurs antérieurs. Ce trou au sein des prothèses aura un im- pact visuel : un aspect grisé du maté- riau de comblement (fig. 1). Un nombre croissant d’auteurs propo- sent l’utilisation de couronnes en disi- licate de lithium (en particulier mono- lithiques), ce qui permet de s’affranchir de la présence de métal tout en assu- rant leur pérennité mécanique pour remplir leur fonction masticatoire. Quels matériaux utiliser pour obturer le puits d’accès ? L’obturation est nécessairement à deux étages : d’une part, il est nécessaire de préserver la tête de la vis implantaire notamment afin de pouvoir la dévisser si cela s’avère nécessaire et, d’autre part, la face occlusale doit être suffisamment résistante pour supporter les forces masticatoires et les agressions biochi- miques. Il faut utiliser : • à l’étage occlusal : Obturer le puits occlusal d’une couronne transvissée : considérations cliniques et proposition de protocole Transvisser une couronne implanto- portée est une solution fiable pour as- surer la rétention. Cette conception prothétique a de nombreux avantages établis (pas de ciment de scellement, maintenance facilitée, meilleure inté- gration biologique). Néanmoins, cette prothèse est plus exigeante et la pré- sence d’un puits occlusal a comme conséquence notoire une fragilité rela- tive de la structure en céramique [1, 3], et ce que le puits occlusal soit bordé par du métal ou de la céramique. L’in- térêt d’un pourtour en céramique réside dans la possibilité, d’une part, de réaliser un collage pour obturer le puits, ce qui est impossible avec un bandeau métal- lique, et, d’autre part, d’améliorer le rendu esthétique. Clinic 2017 ; 38 : 29-34 29 © Initiatives Santé, 2017

Obturer le puits occlusal d’une couronne transvissée

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Xavier BONDILDocteur en Chirurgie DentaireAncien attaché du service de parodon-tologie des HCLAEU implantologieDU de parodontologie et d'implantolo-gie orale

À travers cet article sera expliqué l’intérêt d’obturer de manièreétanche et cohésive le puits d’accès à la vis implantaire pour unecouronne unitaire. Un protocole reproductible et fiable seraproposé.

Prothèse

T DiscussionQuel matériau utiliser pour réali-ser les couronnes transvissées ?

Il est d’usage d’utiliser des couronnescéramo-métalliques en implantologie.Transvisser ces couronnes aura commeconséquence la présence d’un puitspour accéder à la vis du pilier implan-taire. Ce puits est généralement situésur la face occlusale de la prothèse ence qui concerne les secteurs postérieurset sur la face palatine ou linguale en cequi concerne les secteurs antérieurs. Cetrou au sein des prothèses aura un im-pact visuel : un aspect grisé du maté-riau de comblement (fig. 1).Un nombre croissant d’auteurs propo-

sent l’utilisation de couronnes en disi-licate de lithium (en particulier mono-lithiques), ce qui permet de s’affranchirde la présence de métal tout en assu-rant leur pérennité mécanique pourremplir leur fonction masticatoire.

Quels matériaux utiliser pourobturer le puits d’accès ?L’obturation est nécessairement à deuxétages : d’une part, il est nécessaire depréserver la tête de la vis implantairenotamment afin de pouvoir la dévissersi cela s’avère nécessaire et, d’autre part,la face occlusale doit être suffisammentrésistante pour supporter les forcesmasticatoires et les agressions biochi-miques. Il faut utiliser :• à l’étage occlusal :

Obturer le puitsocclusal d’unecouronne transvissée :considérationscliniques et propositionde protocole

Transvisser une couronne implanto-portée est une solution fiable pour as-surer la rétention. Cette conceptionprothétique a de nombreux avantagesétablis (pas de ciment de scellement,maintenance facilitée, meilleure inté-gration biologique). Néanmoins, cetteprothèse est plus exigeante et la pré-sence d’un puits occlusal a commeconséquence notoire une fragilité rela-tive de la structure en céramique [1, 3],et ce que le puits occlusal soit bordépar du métal ou de la céramique. L’in-térêt d’un pourtour en céramique résidedans la possibilité, d’une part, de réaliserun collage pour obturer le puits, ce quiest impossible avec un bandeau métal-lique, et, d’autre part, d’améliorer lerendu esthétique. C

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−un matériau transitoire (Cavit®, silicone, gutta-percha),− un matériau de longue durée (amalgame, cimentverre ionomère, résine composite, céramique) ;• à l’étage cervical ;− du coton. Son côté pratique est contrebalancépar la forte colonisation bactérienne et par lesodeurs désagréables que l’on constate en cas dedépose,− du polytétrafluoroéthylène (PTFE) (fig. 2). Sonutilisation tend à se développer et est conseillée parcertains auteurs [4, 5]. Il a comme atouts :- une inertie chimique,- une absence de toxicité (à cette température),- un coefficient de frottement extrêmement faible,- une résistance mécanique,- en outre, il est économique,- il est facilement manipulable (foulable, on peut lecouper avec une paire de ciseaux sans aucune dif-ficulté, il se retire avec une sonde et il n’accrochepas aux fraises rotatives…),- il ne sent pas mauvais lorsqu’on le retire, contrai-

rement au coton (une mise au point néanmoins,l’absence d’odeur n’est en rien un signe d’absencede percolation bactérienne),- il est stérilisable dans les autoclaves (il ne devienttoxique qu’au-delà de 250 °C).

Intégration esthétiqueL’intérêt d’un scellement esthétique du puits occlu-sal est d’autant plus important que la face occlusaleest visible. Il n’y a pas de standard en la matière :l’accès visuel des faces occlusales de molaires dé-pend d’un grand nombre de paramètres, ne serait-ce que du différentiel de taille entre le patient etl’observateur, d’une part, ou de l’importance de l’ou-verture buccale avec l’amplitude labiale, d’autrepart. De manière générale, les faces occlusales desmolaires supérieures sont réputées être peu visibles,mais encore faut-il s’en assurer au cas par cas. Pour-quoi faire le choix d’une reconstitution visiblelorsque celle-ci peut être discrète ?Lorsque le pourtour du puits est en métal, il est im-

Couronne céramo-métallique. Contrôle au bout de 4 ans.L’étanchéité semble perdurer. Le composite est très visible :le pourtour métallique est apparent.

Formule chimique et structure moléculaire du PTFE.

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Vieillissement à N + 5 ans de la pose de com-posites pour obturer des couronnes céramo-métalliques implantaires. On note la dégrada-tion du joint d’une part et le résultat esthétiquemédiocre d’autre part.

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possible de réellement le masquer : au mieux celadonne à la restauration un aspect grisâtre, au pirele bord métallique est clairement visible. Le résultatesthétique à moyen terme est médiocre (fig. 3).

Vieillissement des obturationsLes reconstitutions à base de produits temporairesne résistent pas aux contraintes de mastication etfinissent par se dissoudre ou se fragmenter. Cesproduits ne sont pas indiqués pour des couronnesimplanto-portées. Leur usage est plus intéressantpour les reconstructions complètes qui nécessitentplus de dépose que les autres dans le cadre de lamaintenance (bridge sur pilotis par exemple).Les reconstitutions à base de produits de longue du-rée sont a prioripérennes mais force est de constaterqu’il y a peu d’études scientifiques sur ce thème. Lesciments verre ionomère ainsi que les composites(sans collage) se maintiennent par rétention pure (leparallélisme des parois créant une cavité très favo-rable à la rétention). Si l’on souhaite coller les com-posites, il est nécessaire de silaniser les parois quandelles sont en céramique, après mordançage. Néan-moins, le facteur de configuration cavitaire (ou fac-teur C) étant très important, il est fréquent de consta-ter des décollements périphériques si les compositesne sont pas montés en respectant les hauteurs re-commandées. Même s’il n’y a pas de risque biolo-gique immédiat, il est ainsi nécessaire de réaliser desapports incrémentiels de la résine.Un collage de bonne qualité apportera une pérennitéesthétique du scellement du puits alors que la posed’un composite sans collage créera, à la suite despercolations, une coloration du joint (fig. 4 et 5).

Cas clinique et protocoleLe cas clinique présenté propose un protocole decomblement du puits occlusal d’une seconde pré-molaire supérieure restaurée par une couronne uni-taire implanto-portée (fig. 6). Le matériel nécessaireà cette restauration est détaillé à la figure 7.Après le contrôle de l’ostéo-intégration, et vu le bonpositionnement tridimensionnel de l’implant, il estproposé au prothésiste de réaliser une couronnetransvissée en disilicate de lithium qui sera colléeau laboratoire sur un pilier ou une embase en titane.Le prothésiste vérifie que les épaisseurs de la céra-mique sont suffisantes afin de répondre aux pré-conisations du fabricant (fig. 8).Le laboratoire de prothèses colle la coiffe en céra-mique, élimine les excès et peut réaliser un polissageaussi parfait que possible sur toute la jonction entrele pilier et la couronne, ce qui élimine le risque de péri-implantite lié à la présence d’excès de ciment (fig. 9).La restauration est mise en place avec un vissage ma-nuel. Une radiographie est prise afin d’évaluer si la cou-ronne est correctement positionnée (fig. 10). Les pointsde contact et l’occlusion sont vérifiés. Un dernier vis-sage est effectué à la clé dynamométrique selon lesrecommandations du fabricant de l’implant et du pilier.On peut remarquer que la compression de la genciveest visible par un léger blanchiment (fig. 11).Un collage optimal sur de la céramique nécessiteune isolation (optimisation du collage, utilisationd’acide fluorhydrique). La mise en place d’une diguedentaire est suffisante. Le crampon ne doit pas êtreplacé sur l’implant car cela risque de blesser les tissusgingivaux, par nature fragiles autour d’un implant.De plus, la forme anatomique des crampons est

Couronnes en disilicate de lithium transvissées : localisation des puits occlusaux.Vue occlusale en contrôle au bout de 4 ans. Noter la pérennité esthétique et fonctionnelle.5

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Vérification de la bonne cicatrisation gingivale.Liste du matériel nécessaire. a : acide fluorhydrique ;

b : moulages montés sur articulateur ; c : radiographies ;d : chlorhexidine à 0,12 % ; e : tournevis prothétique ; f : clé dynamométrique ; g : PTFE ; h : fouloir fin ; i : diguedentaire, crampons adaptés, etc. ; j : silane ; k : adhésifdual ; l : instrument pour sculpter le composite ; m : com-posite photopolymérisable ; n : lampe à polymériser ; o : papier d’occlusion ; p : fraises et fraises à polir.

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Le technicien de laboratoireet le praticien confirment que lesépaisseurs de céramique sontsuffisantes pour assurer une soli-dité mécanique de la prothèseen fonction des recommanda-tions du fabricant.

La coiffe est collée au labora-toire, ce qui permet une élimina-tion efficace des excès. Dans lecas présent, il sera nécessaire depolir parfaitement le joint.

La couronne est mise en posi-tion, avec un serrage manuel. Laforce des points de contact estainsi contrôlée et ajustée si né-cessaire. Une radiographie estprise afin de vérifier le bon posi-tionnement de la prothèse. La visest alors serrée avec une clé dy-namométrique selon les recom-mandations du fabricant.

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Isolation. Un léger saignement de la gencive autour de la coiffe céramo-métallique en 4 indique que l’étan-chéité n’est pas parfaite ; on complète l’isolation par l’application d’une digue liquide. Mise en place duPTFE. Le PTFE est foulé pour isoler la vis tout en ménageant l’espace nécessaire pour placer du composite.L’excès pourra être tendu et coupé simplement avec une paire de ciseaux. Mise en place d’un silane pen-dant 45 secondes. Mise en place d’un adhésif, qui sera polymérisé, puis de composite.

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adaptée au profil d’émergence de dents naturelleset non des prothèses implanto-portées (fig. 12).La céramique est alors mordancée avec de l’acidefluorhydrique à 9 % pendant 30 secondes selon lesrecommandations du fabricant. Si la digue n’est pasutilisée ou qu’elle n’est pas étanche, il est indispen-sable de réaliser cette étape hors du milieu buccal:l’acide fluorhydrique peut être responsable de brû-lures chimiques des muqueuses. Le rinçage à l’eaudoit durer 30 secondes. Un séchage soigneux esteffectué.Le puits d’accès peut être rempli par du PTFE [4]. Cematériau est foulable, stérilisable et peut facilementêtre déposé en cas de réintervention (fig. 13 et 14).La céramique est enduite de silane (fig. 15). Un adhé-sif est mis en place et les excès sont « soufflés ». Onprocède à la polymérisation à l’instar d’un compo-site classique (fig. 16).

De nombreux auteurs affirment que l’odeur dégagéepar les puits implantaires lors des réinterventionsest très différente et moins désagréable, qu’on soiten présence de coton ou de PTFE. Cela pourrait lais-ser supposer que la composition bactérienne estdifférente, bien qu’aucune étude ne le prouve et quecela reste très subjectif. Le composite est alors poli,le praticien vérifie que la gencive a retrouvé sa cou-leur naturelle et le patient est libéré (fig. 17 et 18).Cette approche peut être utilisée pour masquer lessorties des puits lorsque ces derniers sont situéssur la face vestibulaire des dents antérieures [5].

RemerciementsLaboratoire de prothèses : Julien Hanss, laboratoireDentitek, Écully (69).Système implantaire : Easy Implant System, Chava-nod (74).

Résultat final, vue latérale. Noter le bon alignement du collet et la présence des papilles autour de la 15.Résultat final, vue occlusale. Noter le biomimétisme de la couronne sur implant 15 en vue latérale par rapport à la couronne céramo-

métallique sur la 14. Le biomimétisme du composite, même s’il est légèrement visible, est suffisant pour une prémolaire supérieure.

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