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LA QUESTION DU PUBLIC Approche sémio-pragmatique Roger ODIN © Réseaux 99 - CNET/Hermès Science Publications - 2000

Odin Roger. La question du public. Approche sémio-pragmatique. In- Réseaux, 2000, volume 18 n°99. pp. 49-72. z

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temps mis entre parenthèse par la théorie du cinéma soit parconviction structuraliste1, soit par prudence méthodologique2, soiten raison d'une certaine conception de la communication filmique3,la question du public fait fortement retour depuis une quinzaine d'années. Sil'on met de côté les études sociologiques (souvent quantitatives) et/ouhistoriques consacrées au public en tant que tel (analyses en termes d'âge,de sexe, de profession, de classes sociales, de fréquentation, etc.) quipeuvent certes apporter des informations utiles mais qui ne concernent pasdirectement le sémiologue dans la mesure où elles ne posent pas la questiondu sens, deux grandes approches intéressent la sémiologie ; leur présentationme permettra de mieux faire comprendre comment se positionne l'approchesémio-pragmatique.

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LA QUESTION DU PUBLIC

Approche sémio-pragmatique

Roger ODIN

© Réseaux n° 99 - CNET/Hermès Science Publications - 2000

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Longtemps mis entre parenthèse par la théorie du cinéma soit par conviction structuraliste1, soit par prudence méthodologique2, soit en raison d'une certaine conception de la communication filmique3,

la question du public fait fortement retour depuis une quinzaine d'années. Si l'on met de côté les études sociologiques (souvent quantitatives) et/ou historiques consacrées au public en tant que tel (analyses en termes d'âge, de sexe, de profession, de classes sociales, de fréquentation, etc.) qui peuvent certes apporter des informations utiles mais qui ne concernent pas directement le sémiologue dans la mesure où elles ne posent pas la question du sens, deux grandes approches intéressent la sémiologie ; leur présentation me permettra de mieux faire comprendre comment se positionne l'approche sémio-pragmatique.

TEXT READER MODEL, APPROCHES CONTEXTUELLES ET SEMIO-PRAGMATIQUES

La première approche est l'analyse du public construit par le film. Il s'agit d'étudier comment un film « construit son spectateur, comment il en rend compte, comment il lui assigne une place, comment il lui fait parcourir un

1 . Cf. par exemple, cette proclamation (un peu caricaturale) de Jean-Daniel LAFOND : « l'analyste va [...] centrer son travail sur l'examen du stimulus, en l'occurrence sur le film en tant que système organisé d'informations. [...] L'étude de cette structure est justement le projet de l'analyse d'un film. La démarche tourne donc le dos au sentiment d'unique que le spectateur a habituellement de la perception du film et qui justifie le préjugé selon lequel il y a autant de films que de spectateurs. » (LAFOND, 1982, p. 70-71.) 2. Une des manifestations les plus exemplaires de cette position se trouve dans les publications de l'équipe RLS (Marie-Claire ROPARS, Michèle LAGNY, Pierre SORLIN) ; alors qu'elle se fixe comme programme l'étude des relations entre films et société, elle choisit de s'en tenir au «film en lui-même, sans rechercher au dehors sa raison ou son point d'ancrage » {Octobre, écriture et idéologie, 1976, p. 9) et de limiter sa «recherche au seul parcours autorisé par l'analyse interne des films » {Générique des années 1930, p. 9). 3. C'est le cas de Ch. METZ qui décrit la communication filmique comme un « tête à texte » {vs un tête à tête) : « le cinéma livre des textes préparés à l'avance, constitués un fois pour toute, immuables, achevés avant d'être présentés » et qui n'accordent au spectateur « aucune possibilité de modification » (1991, p. 17).

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certain trajet4 », plus rarement comment il le fait réagir5 voire comment il le programme6 au niveau affectif.

Bien que présentée par les théoriciens qui la pratiquent comme relevant du paradigme pragmatique, cette approche ne sort pas du paradigme immanentiste dans la mesure où c'est le texte qui reste mis au poste de commande (Sonia Livingston parle de Text reader ModeV). D'où la critique qui lui est fréquemment adressée : il n'est pas possible d'inférer de l'analyse du texte à l'interprétation qu'en fera le public réel8. Il me semble toutefois que cette critique ne rend pas bien compte de ce qui se passe : en effet, l'interprétation mise en évidence par l'analyse textuelle correspond bien à celle d'un public : celui constitué par l'analyste. L'erreur de l'analyse textuelle est de laisser entendre que ce public est le public du film et que c'est le texte qui le construit. Or, le texte est construit par la lecture qu'en fait le public : nous attribuons aux textes une intentionnalité dont nous sommes nous-mêmes la source9. Il y a donc autant de « publics » construits par le texte que de textes construits par les différents publics.

De fait, l'analyse textuelle n'est pas à rejeter mais il convient d'expliciter ses présupposés, c'est-à-dire de la mettre dans une perspective pragmatique en indiquant sur quelles bases le texte est construit. C'est pour cela que j'ai dénommé mon approche « sémio-pragmatique10 » : son ambition est d'articuler approche sémiologique (immanentiste) et pragmatique.

4. CASETTI, 1990, p. 31. 5. Cf. par exemple, WILLIAMS, 1994 et HILL, 1997. Ces travaux ne sont pas à confondre avec les innombrables articles ou ouvrages qui dénoncent l'influence de la représentation de la violence sur les jeunes à la télévision et qui ne reposent sur aucune méthodologie de recherche sérieuse (sur cette question de la violence, cf. BARKER, 1998, p. 136-138). 6. Cf. DAY AN, 1983 : « Apparemment ouvert aux variations individuelles, le domaine des affects du spectateur pourrait en fait relever d'une programmation assez stricte. » (P. 246.) 7. LIVINGSTON, 1985. 8. METZ : « La connaissance du film nous renseigne assez peu sur les réactions qu'il va susciter chez des spectateurs déterminés. » (1991, p. 203.) DAYAN lui-même, dans un article postérieur à Western graffiti, se range à cette position : « Le savoir sur un texte ne permet pas de prédire l'interprétation qu'il recevra. » (1992, p. 150.) 9. Sur cette approche de l'art en termes ď intentionnalité, cf. GELL, 1998. 10. Le premier article que j'ai explicitement consacré à cette approche (même si celle-ci était déjà présente implicitement dans la nombre de mes articles antérieurs) est : « Pour une sémio- pragmatique du cinéma », ODIN, 1983, p. 67-82. Pour suivre l'évolution du modèle, on pourra lire: «Sémio-pragmatique du cinéma et de l'audiovisuel: modes et institutions» (ODIN, 1994, p. 33-47) et mon ouvrage De la fiction, de Boeke, 2000.

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La seconde approche a pour objectif d'analyser la production de sens par le public lui-même. Cette approche connaît actuellement un grand développement, en particulier aux Etats-Unis, dans le cadre des Cultural Studies11 et des études cognitivistes12, mais aussi dans le cadre des recherches sur le cinéma des premiers temps13.

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, cette approche n'est pas nouvelle. Dès les années 1968-1969, c'est-à-dire au moment même où Christian Metz écrivait les textes fondateurs d'une sémiologie immanentiste du cinéma, l'ethnologue américain Sol Worth14, dans un article aujourd'hui trop souvent oublié : « The Development of a Semiotic of Film15 », proposait une approche pragmatique de la « communication » filmique16 posant comme point de départ l'affirmation qu'« un film n'a pas de sens en lui-même17 » et qu'il n'acquiert de sens que dans sa relation à un Sujet percevant. Sol Worth insiste sur la séparation existant entre l'espace du Destinateur (le réalisateur) et l'espace du Destinataire (le Sujet percevant). Il note que la signification naît de façon quasiment indépendante, dans chacun de ces espaces, de l'activité structurante (Feeling Concern) de l'actant concerné (réalisateur ou spectateur) : le seul point commun entre ces deux espaces est le film considéré comme ensemble de vibrations lumineuses et éventuellement acoustiques (Image Event). C'est cet ensemble qui, une fois organisé en signifiants, donnera naissance à ce que Sol Worth appelle le Story Organism et qui n'est autre que le texte filmique (Sol Worth explique qu'il a choisi la notion de Story Organism pour manifester qu'à l'intérieur des actants de la communication, il se joue quelque chose comme un développement, une croissance, une poussée significationnelle). On le voit, dans un tel modèle, il n'y a pas de

11. Pour une présentation synthétique de ces travaux, cf. MAYNE, 1993. Pour une présentation des Cultural Studies en général, cf. Les cultural studies, présenté par MATTELARD et NEVEU, 1996. 12. Pour une présentation de ces travaux, cf. ANDREW, 1989. Cf. également BRANIGAN, 1992. 13. Cf. par exemple, le n° 11 ďlris, « Early Cinema Audience », 1990. 14. Cette appartenance au contexte américain (qui a une longue tradition de pragmatique philosophique) et aux études ethnologiques (par nature sensibles aux effets du contexte) est sans doute pour beaucoup dans le choix de cette approche pragmatique : sur ce point cf. ODIN, 1998, p. 80-100 (traduction française, p. 168-182 du même numéro). 15. WORTH, 1969, p. 282-328. 16. Les guillemets sont là pour indiquer que Sol Worth ne donne pas à ce terme son sens habituel. 17. WORTH, id., p. 289.

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communication au sens de transmission d'un message d'un émetteur à un récepteur mais un double processus de production de sens. Ce qu'il convient donc d'expliquer, c'est pourquoi on a, parfois, le sentiment de « communiquer ». Sol Worth souligne que ce sentiment témoigne de la forte emprise de certaines contraintes (et en particulier de certains modèles de réalité collectifs) sur l'individu : ce sont ces contraintes qui conduisent les actants à produire du sens d'une façon analogue dans chacun des deux espaces (d'une façon « analogue » mais jamais identique ; pour Sol Worth, la « communication » totale n'existe pas).

On notera que Sol Worth ne tombe pas dans le piège dans lequel tomberont allègrement certains théoriciens qui viendront après lui, à savoir de procéder à la simple inversion des pôles du modèle textuel : donner au spectateur le pouvoir que l'on donnait au texte et considérer le spectateur comme un agent individuel, libre de produire le texte comme il veut. L'insistance sur le rôle des contraintes externes dans le processus communicationnel est essentielle. Le spectateur construit bien le texte, mais il le fait sous la pression de déterminations qui le traversent et le construisent sans qu'il en ait le plus souvent conscience. Le spectateur n'est ni libre ni individuel : il partage, avec d'autres, certaines contraintes.

Il existe donc non pas un mais des publics en fonction des contraintes partagées. Cette mise en évidence de la diversité des publics (en termes sexuels, ethniques, historiques, géographiques, culturels, sociaux, etc.) constitue à mes yeux l'apport le plus intéressant des travaux de ce courant par rapport à celui de l'analyse textuelle. Les questions auxquelles on tente désormais de répondre sont du type : qu'est-ce que lire un film en tant que spectatrice (« spectatrix18 ») ? en tant qu'homosexuel ou lesbienne19 ? en

18. La notion de « Spectatrix » a été proposée par Camera Obscura (n° 20, 1, 1989, numéro dirigé par Mary Ann DOANE) pour marquer dans la langue la différence par rapport à « spectator ». En français, on peut lire une présentation des théories féministes du cinéma (qui ne donne malheureusement que des extraits des principaux articles américains) dans le n° 67 de CinémAction, (Voir REYNAUD et VINCENDEAU, 1993) et plusieurs articles sur l'approche féministe du public dans le n° 26 d'Iris , cf. SELLIER, 1998. 19. MAYNE, « The Critical Audience », 1993, p. 157-172.

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tant que noir20 ? en tant que « Yuppie21 » ? en tant que critique22 ? comment lisait-on les films dans les premiers temps du cinéma23, etc. ?

Les ennuis commencent lorsque l'on se fixe comme programme de rendre compte des déterminations qui fondent ces publics. Comment maîtriser leur diversité, leur nombre, leur hétérogénéité ? Devant un tel champ, la tentation est grande de convoquer une approche elle-même hétérogène. Bien des théoriciens y succombent (une pincée de psychanalyse, un soupçon de sociologie et/ou d'histoire, un peu d'analyse de discours, une dose de marxisme, etc.) sans se préoccuper des risques d'incohérence épistémologique créés par cet éclectisme méthodologique. Face à ces difficultés, faut-il renoncer à l'approche pragmatique et revenir à l'immanence? C'est ce que propose Jean-Michel Adam: «je crois nécessaire [...] de considérer comme (malheureusement) prématuré de restituer le texte dans son interdépendance avec le contexte social et cognitif. Même si mon choix théorique gomme (provisoirement) le rapport au contexte d'une façon qui pourrait le rapprocher de l'idéologie du texte absolu, ce risque me paraît moins dangereux que celui de la dispersion et de la fuite en avant24. »

Je voudrais montrer ici qu'une voie différente à la fois de cet immanentisme épistémologique et de l'éclectisme méthodologique qu'il refuse avec raison est possible.

Ma première proposition est de reconnaître qu'on ne peut pas tout faire et d'accepter de s'en tenir à une approche partielle du public. Une approche doublement partielle : une approche qui ne vise pas tout public (je reviendrai sur ce point) et une approche qui ne vise pas à dire le tout du public. Il s'agit donc de se fixer un axe de pertinence. Ch. Metz avait défini l'axe de pertinence de la sémiologie comme « comprendre comment le film est compris25 ». Pour la sémio-pragmatique le programme se reformule en

20. DIAWARA, 1988, p. 66-76. 21.FEUER, 1995. 22. BORDWELL, 1989. 23. Les travaux sur ce thème sont très nombreux. On trouvera des articles sur ce sujet dans les actes des divers colloques de DOMITOR (Association internationale pour le développement de la recherche sur le cinéma des premiers temps) ainsi que dans Gaudeault, Laçasse & Sirois-Trahan éd., 1995 et dans MALTHETE, MARIE éd., 1996. Cf. aussi, parmi bien d'autres, HANSEM, 1991. 24. ADAM, 1990, p. 24. 25. METZ, 1971, p. 56.

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« comprendre comment les textes sont construits » (dans le mouvement de la lecture tout comme dans celui de la réalisation). La sémio-pragmatique s'intéresse en priorité aux grandes modalités de la production de sens et ď affects26 (vs au sens produit) ainsi qu'à leurs conditions de mise en œuvre. On peut penser que cette approche est une sorte de préalable à l'analyse du sens produit. Pourtant, les ennuis ne sont pas terminés car, là encore, force est bien de reconnaître qu'il existe une multitude de façons de produire du sens et des affects.

D'où ma seconde proposition : quitter l'analyse empirique pour mieux y revenir, construire un modèle abstrait. On a beaucoup reproché à la pragmatique cette abstraction27 et il est vrai qu'elle est critiquable quand elle se donne comme la description de situations existantes ou comme la caractérisation de je ne sais quel « public idéal », mais l'objection tombe si on considère ces propositions comme un cadre conceptuel permettant de questionner ce qui se passe dans le réel. Le modèle que je propose est un modèle heuristique. De plus, il ne faut pas confondre abstrait avec vague : le modèle sémio-pragmatique se caractérise par un souci d'extrême précision dans la définition des différents niveaux d'analyse : contexte, modes, processus, opérations.

MODES, PROCESSUS, OPERATIONS

Le point de départ de l'analyse est l'établissement d'une petite batterie de questions générales du type : - quel/s type/s d'espace/s ce texte me permet-il de construire ? - quelle/s sorte/s de mise/s en forme discursive accepte-t-il ?

- quelles relations affectives est-t-il possible d'instaurer avec le film ?

- quelle structure énonciative m'autorise-t-il à produire ?

26. Dans ce qui suit, je parlerai pour aller vite de « production de sens » mais il est clair que la sémio-pragmatique veut également rendre compte de la production d'affects. Sens et affects me paraissent d'ailleurs le plus souvent complètement liés. 27. « Faute de définir clairement de quel public on parle, la théorie du film risque de verser du côté d'un pragmatisme abstrait. » (SORLIN, 1987, p. 14-15.) VERON est encore plus net : « le pragmaticien avance par formulation ad hoc d'hypothèses contextuelles. [...] Je ne vois pas, sur quelle base autre qu'une base empirique, d'analyse concrète et d'observation, ces modèles théoriques pourraient être construits. » (1989, p. 96.)

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La réponse à ces questions conduit à repérer des processus analysables en opérations et dont la combinatoire permet ensuite de construire des modes de production de sens et ď affects.

La première question conduit ainsi à distinguer plusieurs processus de structuration de l'espace : construire l'espace comme un monde (diégétiser), comme un ensemble de signes (espace symbolique ou discursif), comme un espace abstrait, comme un espace plastique, etc. La seconde question conduit à distinguer différents processus de structuration discursive : la construction d'un récit (la narration), la construction d'un « discours » (au sens étroit du terme tel qu'il a été défini par Benveniste), la description, la structuration « poétique » (Jakobson), etc.

Ce sont les opérations mobilisées qui différencient ces processus : par exemple, si la construction d'un monde (la diégétisation) réclame la mise en œuvre de l'effacement du support ainsi que la construction d'un espace figuratif et habitable, la construction d'un espace plastique invite au contraire à prendre en compte le support et à mettre l'accent sur la construction de formes et de couleurs déconnectées de leur valeur figurative28.

En faisant fonctionner systématiquement le petit ensemble de questions proposé et en construisant des systèmes d'oppositions, on aboutit à la caractérisation d'un certain nombre de modes. On découvre, par exemple, que si le mode documentarisant réclame la construction d'un énonciateur réel29 mais laisse quasiment libre le choix des autres processus (on peut construire ou non un monde, construire ou non un récit, produire ou non un effet de mise en phases^, etc.), le mode fîctionnalisant répond au contraire à une organisation fixe très stricte mettant au poste de commande deux processus dont tout découle : la narration, qui présuppose la construction de

28. Je prends ici la notion de « plastique » dans le sens que lui a donné le Groupe mu : 1992. 29. L' énonciateur est celui qui produit l'énoncé. Dans la perspective linguistique, on s'est en général contenté d'étudier les traces laissées par l'énonciateur dans l'énoncé. Dans la perspective sémio-pragmatique, l'énonciateur est une construction opérée par le lecteur (ou le spectateur). Par énonciateur réel, j'entends un énonciateur que je construits comme une instance appartenant au même monde que moi et à laquelle je peux poser des questions (en termes d'identité, de vérité, de faire, etc.). L'énonciateur réel s'oppose à l'énonciateur fictif construit comme appartenant à un « ailleurs » et en tant que tel non questionnable. Sur ces notions, cf. les chapitres 4 et 5 de ODIN, 2000. 30. La mise en phase est le processus qui me fait vibrer au rythme des événements racontés. Sur cette notion, cf. ODIN, 1983, p. 213-238.

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l'espace comme un monde (diégétisation) et un processus énonciatif : la fictivisation (construire une fiction suppose, d'abord, d'instituer le narrateur en énonciateur fictif) ; quant à la relation affective, elle est directement liée à la narration qui conduit le spectateur à vibrer au rythme des événements racontés (processus de mise en phases) et à adhérer aux valeurs que le récit véhicule (dans la fictionnalisation, le processus de discursivisation naît de la narration) ; enfin, la fictivisation masque le processus de construction d'un énonciateur réel en tant que source des valeurs véhiculées par le récit.

On constatera que cette définition de la fictionnalisation est très restrictive. Nombre de films généralement considérés comme des fictions ne se conforment pas aux critères énumérés. D'autre part, cette définition est, dans son principe même, à l'opposé des approches anthropologique de la fiction qui insistent au contraire sur son caractère « inépuisable », sur sa « fluidité », sa « labilité » et sur la diversité de ses fonctions qui la constitue en fait social et historique remarquable (Karlheinz Stierle, Thomas Pavel31). Il ne faut pourtant voir là aucune manifestation de désaccord avec ces approches, simplement la conséquence d'un autre axe de pertinence : donner une caractérisation aussi restrictive que possible des modes est la condition indispensable pour faire apparaître des différences, ce qui est l'utilité majeure d'un modèle heuristique.

Il arrive cependant parfois que l'analyste se trouve dans l'impossibilité de formuler des différences dont il éprouve pourtant la nécessité. Je me suis heurté à cette difficulté lorsque j'ai voulu distinguer la fictionnalisation de la fabulisation, un mode qu'il me semblait important d'isoler car il correspond à la lecture d'un grand nombre de films (des innombrables petites bandes religieuses, morales, antialcooliques ou patriotiques du temps du muet jusqu'aux Voisins ou à Histoire d'une chaise de Norman Mac Laren, en passant par Le garçon aux cheveux verts de Joseph Losey et Le Dieu noir et le diable blond de Glauber Rocha) et plus généralement, à une grande tradition de lecture. Force m'a été de constater que la batterie de questions dont je disposais ne suffisait pas à différencier ces deux modes : ils mobilisent les mêmes processus de production de sens. Poursuivant l'analyse, j'en suis arrivé à la conclusion qu'ils se différenciaient uniquement par leur façon d'articuler les processus. Alors que le mode fictionnalisant est, on l'a vu, fortement compact et hiérarchisé, le mode fabulisant répartit les processus en deux microsystèmes : le premier articule

31. STIERLE, 1979 ; PAVEL, 1988.

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processus de discursivisation et construction d'un énonciateur réel (l'énonciateur réel est le responsable du discours qui conduit à l'énoncé de la morale) ; le second repose sur la construction d'un récit {narration) énoncé par l'énonciateur fictif (fictivisatiori) ; ce récit, comme tout récit, présuppose la diégétisation et autorise le recours à la mise en phase. La condition imperative pour que la fabulisation fonctionne correctement est que le microsystème 2 joue le rôle ďun adjuvant du microsystème 1 : le récit doit se contenter d'illustrer le discours, et la diégétisation et la mise en phase doivent servir à faciliter Г acceptation du message par le spectateur. Si le récit se met à fonctionner pour son propre compte, si la diégétisation est trop forte (si le monde est trop présent), si, à cause de la mise en phase, la relation affective du lecteur à l'histoire racontée devient trop prenante (si la croyance l'emporte sur le discours), l'effet fable sera détruit et la fable se transformera en fiction.

Me voilà donc conduit à ajouter une question au petit ensemble proposé : comment les différents processus peuvent-ils être articulés, hiérarchisés, combinés ? Il est intéressant de constater qu'un modèle heuristique signale ainsi lui-même ses limites, invitant le chercheur à trouver des solutions, à le compléter, à le modifier, voire à le changer. Dans l'état actuel de ma réflexion, je distingue neuf modes dont la combinatoire me semble permettre de rendre compte de la diversité des lectures au niveau que je me suis fixé :

1 . Mode spectaculaire : voir un film comme un spectacle.

2. Mode fictionnalisant : voir un film pour vibrer au rythme des événements fictifs racontés.

3. Mode fabulisant : voir un film pour tirer une leçon du récit qu'il propose.

4. Mode documentaire : voir un film pour s'informer sur la réalité des choses du monde. 5. Mode argumentatif /persuasif : voir un film pour en tirer un discours.

6. Mode artistique : voir un film comme la production d'un auteur,

7. Mode esthétique : voir un film en s 'intéressant au travail des images et des sons.

8. Mode énergétique : voir un film pour vibrer au rythme des images et des sons.

9. Mode privé : voir un film en faisant retour sur son vécu et/ou sur celui du groupe auquel on appartient.

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On pourrait bien évidemment proposer d'autres listes de modes32 : elles pourraient éclairer d'autres aspects de la production de sens. Pourtant, cette liste n'est pas arbitraire ; elle est phénoménologiquement fondée33. En effet, pour construire ces modes, je ne pars pas de rien ; ce que je cherche à ce niveau est en moi ; c'est quelque chose que je partage avec beaucoup d'autres : une compétence « catégorique » (au sens de partagée par une catégorie d'individus) produite par l'appartenance à un même espace historico-culturel (c'est-à-dire par le fait d'être soumis à un même faisceau de déterminations). C'est ce qui explique que je n'ai pas à faire pour cette étude d'enquêtes empiriques : ce que je repère en moi ce sont les traces de mon appartenance catégorielle34. La contrepartie de cet ancrage phénoménologique est que cette liste de modes ne saurait être utilisée pour des espaces culturels éloignés du nôtre (elle ne concerne pas tous les publics) : le travail de construction des modes ne peut être étudié de façon valide que par un « natif ». En revanche, je pense que le fait d'avoir déjà une liste de modes précisément décrits peut aider à questionner ce qui se passe même dans des espaces très différents du nôtre.

CONTEXTES ET PRODUCTION DE SENS

Pour la sémio-pragmatique, un public est avant tout une communauté de faire : j'appelle public, un ensemble d'individus réunis par la mise en œuvre d'un système de modes de production de sens (c'est-à-dire d'un programme de production textuelle).

32. J'ai moi-même déjà changé cette liste plusieurs fois. 33. Le lien entre phénoménologie et sémiologie a souvent été pointé par METZ. Par exemple dans son entretien avec André Gardies : « La phénoménologie est une condition nécessaire à la sémiologie. » (GARDIES, 1991, p. 86.) 34. Comme le remarque METZ, le type de validité propre aux études pragmatiques peut être comparé jusqu'à un certain point, à celui qui caractérise l'approche psychanalytique : le sémiologue « est à la fois le chercheur, et (avec le film) le terrain même de la recherche. Il peut déclarer que le plaisir spécifique du film de fiction tient à un processus fétichiste de clivage, à un mélange de croyance et d'incroyance; il n'a pas besoin pour cela, d'interroger les gens, qui seraient d'ailleurs bien en peine de répondre à une telle question. C'est une vérité générale, ou plus exactement générique ; elle concerne LE spectateur. Chacun peut la trouver en soi. Elle ne nous dit pas, par exemple, si chez tels ou tels, la croyance l'emporte nettement sur l'incroyance, et si chez d'autres, au contraire, l'incroyance domine. Il n'y a nulle contradiction. Le constat générique conserve son intérêt, supérieur, je le crois, à celui de ses variantes ou de ses modalités locales. » (METZ, 1991, p. 35.)

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Ce faire est complexe. Voir un film mobilise en général plusieurs modes (successivement ou simultanément), leur hiérarchisation étant variable suivant le film et suivant le contexte. Par exemple, voir un film dans un cours d'histoire invite à utiliser en premier lieu le mode documentarisant mais comme nous avons tous le désir de fictionnaliser, ces deux modes vont entrer en concurrence.

De son côté, à condition qu'il soit projeté devant un public initié aux codes régissant les genres en usage (la précision est essentielle), un film donne des indications sur le ou les mode/s qu'il souhaite voir utilisé/s pour sa lecture : dans son paratexte qui affiche le film comme documentaire, fiction, mélange des deux, ou autre ; dans certains éléments de contenu (un film intitulé Napoléon conduira d'emblée, de par son sujet historique, à une lecture documentarisante, mais également, comme le spectateur sait que Napoléon n'a pas joué dans le film, il invitera, à un certain niveau, à ficti viser) ; parfois, à travers un système de figures stylistiques figé : des plans bougés, un montage eut, du son direct, laissent entendre aujourd'hui35 qu'il s'agit d'un reportage (mais il est possible que ce ne soit pas le cas ; il s'agit seulement d'une présupposition qui peut se révéler fausse).

Notons que rien n'oblige le public à suivre les indications données par le film (même s'il les a repérées). En ce qui concerne le choix du ou des mode/s de production de sens, le film est de peu de poids devant les contraintes du contexte.

Soit l'extrait de film d'amateur suivant : - plan latéral sur un défilé de grévistes qui manifestent dans la rue ; la caméra bouge beaucoup car l'opérateur filme en marchant ; - vue d'ensemble tirée d'une fenêtre de l'ensemble de la manifestation : la caméra effectue un panoramique cahotant qui s'arrête brutalement ;

- série de gros plans très tremblés, souvent flous, de manifestants qui hurlent des slogans (on ne les entends pas car le film est muet) ;

-plan totalement bougé (on part d'un visage en amorce pour aller vers le ciel puis un pan de maison) : sans doute l'opérateur a-t-il été bousculé ; - plan très bref d'une banderole.

35. Ce n'était pas le cas jusque dans les années 1970 (avant la vogue du cinéma direct et le développement de la télévision).

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Vues par le public constitué par les amis de celui qui a filmé, ces images seront lues sur le mode privé : on revit ensemble ces moments intenses de participation collective, on évoque les questions politiques posées, on se raconte des anecdotes (« tu te souviens... »).

Imaginons maintenant que celui qui a tourné ces images appartienne à un club de cinéma amateur et décide de les montrer au cours d'une des séances rituelles où chacun apporte ses productions. Immédiatement, le débat s'oriente sur le côté technique de la réalisation ; il est reproché à l'opérateur de ne pas avoir tourné sur pied (en particulier pour le plan tiré de la fenêtre), de ne pas avoir coupé le plan totalement bougé, les plans flous, etc. De l'événement lui-même, du contenu, il ne sera quasiment pas question. Le public des clubs de cinéma amateur fonctionne sur le mode esthétique avec une conception techniciste de l'esthétique liée à sa relation (imaginaire) avec les professionnels (l'obsession du cinéaste amateur est de « faire pro »).

Autre changement de contexte : imaginons que, comme cela se produit de plus en plus souvent aujourd'hui, ce fragment de film soit acheté par un réalisateur de télévision pour l'inclure dans un film de montage diffusé dans le cadre de la série intitulée La guerre filmée (cette série existe réellement). Guidé par la case de programmation et par les indications paratextuelles, le public verra alors ces images sur le mode documenta risant ; la grande question sera dès lors celle de leur valeur de vérité et ce qui avait été dénoncé comme des fautes par les membres du club de cinéma amateur (le flou, le bougé, etc.) sera lu comme des indices d'authenticité.

Imaginons, enfin, que ce fragment soit utilisé par un cinéaste expérimental dans une bande vidéo intitulée Des corps en mouvement et donné à voir au public, par exemple à l'espace Cardin. Immédiatement, le film est resitué dans le cadre de l'ensemble de l'œuvre de son auteur : les cinéphiles présents soulignent la continuité d'inspiration du cinéaste depuis Des corps nus (1982) jusqu'à corp(us) (1994) en passant par Corps accords (1990). L'attention se focalise sur le travail stylistique opéré : les images floues et bougées sont lues cette fois-ci comme des figures esthétiques renvoyant aux mouvements du corps de l'opérateur, des figures totalement pertinentes pour le propos voulu par l'auteur du film (lecture sur le mode artistique).

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Ce petit apologue (ou pour parler comme les philosophes analytiques, cette série de thought-experiments316) montre deux choses. D'une part, qu'un même film-projection (Image Event, selon la formulation de Sol Worth) donne naissance à différents films-textes en fonction des différents publics auxquels il est donné à voir. D'autre part, que les modalités de production de sens dépendent du contexte dans lequel se déroule le visionnement : c'est le contexte qui construit le public. Ce qu'il convient donc désormais de faire, c'est de tenter de comprendre comment le contexte régit la production de sens.

Une précision préalable s'impose : le contexte n'est pas davantage pour moi un donné que ne le sont les modes ; c'est un construit et en tant qu'analyste, je peux conférer à cette construction le degré et le genre exact de généralité ou de particularité que je désire. Je peux, par exemple, décider de travailler sur les salles de cinéma (vs les autres lieux de visionnement de films : les ciné-clubs, l'école, l'université, la télévision, etc.), sur les contextes spectacularisants (je donne, un peu plus loin, un exemple de ce type d'analyse), sur la réception des films dans les années 1950 et ses divers publics, sur les salles de projection paroissiales en Bretagne dans les années 1930, etc.

Afin de montrer comment s'effectue la prise en compte du contexte dans la perspective sémio-pragmatique, je présenterai rapidement l'analyse du visionnement des films de famille dans le contexte de la famille. Ayant déjà pas mal publié sur cette question37, je reprendrai certains points de ces analyses dans la perspective qui est la mienne ici : l'étude du public familial en tant que producteur de sens. Pour faire ces analyses, je me suis fondé sur mon expérience personnelle de cinéaste amateur (non seulement j'ai fait du film de famille mais j'en ai beaucoup vu dans les clubs de cinéma amateur) et sur un certain nombre de séances d'observations participantes38. Je m'en

36. Que l'on songe par exemple aux exemples fictifs de peintures convoqués par DANTO dans La transfiguration du banal, 1989. 37. Sur le film de famille, cf. ODIN éd., 1995 et certains articles de « Le cinéma en amateur », n° 68 de la revue Communications, ODIN éd., 1999.

38. D'une façon générale, l'analyste est autorisé à faire feu de tout bois. Il peut s'aider des déclarations des participants, de l'observation participante, lire les travaux écrits par les historiens, les sociologues, étudier la presse, les divers textes produits dans le contexte considéré, en bref faire appel à toutes les sources et à toutes les compétences possible. Cette diversité n'est pas gênante car il dispose désonnais d'un axe de pertinence et de questions précises à poser : quels modes, quels processus, quelles opérations ce contexte invite-t-il mobiliser ?

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tiendrai ici au public familial en général sans tenir compte des différences d'âge ou de sexe dans la famille, ni de l'évolution historique de la famille, ni des différences sociales, professionnelles, géographiques entre les familles. Ces distinctions pourront être réintroduites ultérieurement mais elles ne concernent pas la question à laquelle je voudrais tenter de répondre dans ce qui suit : comprendre comment le public du film de famille produit du sens par comparaison avec le public des salles de cinéma. Insistons une fois de plus : ces contextes sont deux abstractions ; je ne retiens de la famille comme contexte que ce qui la différencie, en tant qu'instance visant à régler la production de sens, des salles de cinéma. Un membre d'une famille n'est bien évidemment nullement contraint de produire du sens comme je le décris dans ce qui suit (bien qu'il soit fortement incité à le faire) mais s'il ne suit pas ces consignes, cela signifie qu'il ne lira pas le film comme un film de famille. Ajoutons que même dans le cas où il lit le film comme un film de famille, rien de l'empêche de mettre en œuvre, en même temps, d'autres modes, mais, il faut s'y résoudre, il ne sera jamais possible de prendre en compte l'ensemble de ce palimpseste de modes qu'est toute lecture de film. Dans ces conditions, la seule chose à faire est de préciser clairement à quel niveau se situe l'analyse : je m'en tiens ici à la différence entre la lecture du film de famille comme film de famille et la lecture d'un film dans les salles de cinéma.

Deux grandes différences se laissent repérer. La première tient à la nature même du film de famille : à la différence des images d'un film de fiction (ou même d'un documentaire), les images d'un film de famille n'ont pas, dans le contexte familial, à raconter une histoire car celle-ci a déjà été vécue par le public qui assiste à la projection (c'est-à-dire les membres de la famille). Ce qui caractérise le film de famille est que le contexte qui donne sens aux images est déjà dans celui qui voit le film, « déjà dans le Sujet » (pour reprendre une formulation proposée par L.S. Vytgowskij39 pour le « langage intérieur » avec lequel le film de famille me semble avoir beaucoup de points communs40). Les images du film de famille fonctionnent non comme des représentations mais comme des indices permettant à chaque membre de la famille de faire retour sur son propre vécu et sur celui de la famille. C'est ce qui explique qu'un film de famille soit si ennuyeux pour ceux qui

39. VYTGOWSKIJ, 1962 (édition originale, 1934) ; on trouve également des textes de Vytgowskij dans VACHEK éd., 1964. 40. Sur le « langage intérieur », cf. également EIKHENBAUM, 1970, p. 70-78 ; cette question du langage intérieur a été reprise dans GARRONNI, 1972.

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ne sont pas membres de la famille : ils n'ont pas le contexte de référence et ne comprennent donc rien à la suite d'images décousue qui leur est donnée à voir. C'est également ce qui explique que les membres de la famille voient dans les images tout autre chose que ce qui y est représenté : une image anodine (un enfant sur la plage) peut conduire à se souvenir d'un drame personnel vécu à ce moment (c'est le jour où le docteur m'a annoncé que j'avais un cancer). Du coup, les images peuvent être mal faites, floues, bougées, totalement stéréotypées, cela importe peu. Ce qui compte, c'est qu'elles renvoient à des événements, des émotions, des sentiments qui, eux, sont loin d'être stéréotypées : ils concernent la vie de chacun et celle de la famille. J'ai proposé d'appeler mode privé cette façon de produire du sens. Le public du film de famille est un public privé.

La seconde différence est constituée par les contraintes spécifiques qui pèsent sur le public dans le cadre de l'institution familiale. Ces contraintes conduisent à une utilisation du mode privé à deux niveaux : - au niveau collectif : les membres de la famille produisent ensemble - on parle beaucoup lors de la projection d'un film de famille- le texte de l'histoire (très largement mythique) de la famille ; sous la pression de l'institution familiale cette production est en général consensuelle (elle vise à préserver l'unité et la continuité de la famille) ; - au niveau individuel : au cours de la projection, chacun des membres de la famille se souvient de choses extrêmement personnelles qu'il se garde bien de manifester publiquement ; cette dimension interne de la production de sens est beaucoup moins consensuelle que la précédente : c'est là que resurgissent les vieilles rancœurs, les rivalités, voire les conflits ou les haines entre les membres de la famille.

Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce public familial, je n'avais pas encore dans ma liste de modes, le mode privé. Là encore, la démarche heuristique a fait la preuve de sa capacité de découverte. Une fois ce mode repéré, je me suis aperçu qu'il concernait bien d'autres contextes et donc bien d'autres publics que le public familial : visionnement des rushs par une équipe de cinéma, visionnement d'un film de voyage scolaire, d'un film réalisé par un groupe d'élèves, de sportifs, etc. De fait, tout film tourné dans un groupe et montré à ce groupe fonctionne sur ce mode. Bien plus, tout film peut, dans un certain contexte, être lu sur ce mode : nous appartenons tous à plusieurs groupes dont le film nous parle pour peu que l'on soit invité à centrer notre lecture sur cette question (groupes sexuels, ethniques,

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sociaux, nationaux, etc.)- C'est une telle lecture que font souvent les féministes lorsqu'elles lisent un film avec un regard féminin. Il en va de même pour bien des lectures idéologiques. Ce qu'il conviendrait alors d'étudier, ce sont les différentes façons de mobiliser le mode privé suivant ces publics.

Je donnerai un exemple de ce type d'analyse à propos d'un autre mode : le mode spectacularisant. J'appelle ainsi la lecture dans laquelle le spectateur est le point à partir duquel ce qui est donné à voir est évalué. Dans la lecture spectacularisante, le spectateur est conduit à se situer par rapport à l'espace de la représentation (vs à l'espace de la diégèse) et à considérer les mouvements qui lui sont donnés à voir comme intéressants, indépendamment des actions qu'ils servent à effectuer dans le monde de l'histoire racontée.

J'appelle public spectacularisant le public qui utilise ce mode. Il est clair que les amateurs de comédies musicales constituent un tel public. Lors de la lecture d'une comédie musicale, l'espace représenté est construit non comme un monde mais comme un espace de spectacle où se déplacent chanteurs et danseurs ; les mouvements du ou des chanteur/s ainsi que des danseurs s'affichent comme faits directement pour moi spectateur (cf. les regards caméra et les gestes d'adresse) ; enfin, les décors apparaissent comme explicitement conçus pour le plaisir des yeux du spectateur (il en est de grandioses, il en est de délirants).

Changeons maintenant de contexte et tournons nous vers le cinéma des premiers temps. La lecture spectacularisante y est tellement dominante que certains théoriciens ont proposé, pour caractériser cette période, la notion de « cinéma d'attractions41 ». Toutefois il ne s'agit pas exactement de la même lecture spectacularisante que celle dont nous avons parlé pour la comédie musicale. La célèbre description de la première séance de cinéma chez Aumont par Maxime Gorki (qui se montre par ailleurs assez réservé par rapport à l'effet produit par ce nouveau spectacle) me servira d'exemple

41. Empruntée à Serge Eisenstein, la notion de « cinéma d'attraction » a été introduite dans la théorie du cinéma par André GAUDREAULT et Tom GUNNING en 1986 ; depuis, cette notion a suscité de multiples gloses ; cf. entre autres : MUSSER, « Pour une nouvelle approche du cinéma des premiers temps : le cinéma d'attractions et la narrativité » et GUNNING, « Attractions, trucages et photogénie : l'explosion du présent dans les films à truc français produits entre 1896 et 1907 », in Les vingt premières années du cinéma français, Presses de la Sorbonně Nouvelle, 1995, respectivement p. 147-175 et p. 177-194.

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pour faire comprendre la différence (je mets en italique les passages qui manifestent la lecture spectacularisante et j'indique entre crochets les processus auxquels ils renvoient) :

Les voitures qui étaient tout au fond de l'image [prise de conscience de l'espace de la représentation] viennent droit sur vous [évaluation par rapport au spectateur]. Quelque part dans le lointain des gens apparaissent et plus ils se rapprochent plus ils grandissent, [le mouvement est lu non pour son effet dans la diégèse mais pour son effet sur le spectateur par rapport au cadre de l'écran.] [...] Tout cela bouge, tout cela respire la vie [explicitation de ce qui fait spectacle] et tout à coup, ayant atteint le bord de l'écran [reconnaissance de l'espace de la représentation cinématographique] disparaît on ne sait où [prise de conscience de l'opposition champ vs hors champ42].

On le voit, alors que, face à la comédie musicale, c'est le travail cinématographique spécifique effectué dans le film qui suscite la lecture spectacularisante, ici c'est le dispositif cinématographique lui-même (en tant qu'il donne à voir des images en mouvements sur un écran et donc dans un cadre) qui est considéré comme un spectacle.

Aujourd'hui, avec les nouveaux dispositifs cinématographiques type Géode ou 3D, cette lecture en termes de spectacularisation du dispositif fait un retour en force : de la même façon que dans les premiers temps du cinéma on allait au cinéma pour « voir du cinéma » (vs voir un film spécifiquement choisi), de nos jours, on va à la Géode, non pas tant pour le film projeté que pour les impressions produites par le dispositif (en particulier les mouvements de vertige). Le « nouveau spectateur », remarque Richard Corliss, ne cherche pas tant à être « ému » (stirred) que « secoué » (shaken43). Il l'est d'ailleurs parfois au sens propre puisqu'il arrive, dans certaines salles, que son siège bouge comme au manège. Certains réalisateurs commencent même à concevoir explicitement leurs films pour fonctionner de cette façon : « Mes films, écrit Georges Lucas, sont plus proches d'un tour de manège [amusement park ride] que d'une pièce de théâtre ou d'un roman44 ». Le recours à la spectacularisation du dispositif ne se fait pas cependant tout à fait aujourd'hui sur le même registre que dans le cinéma des premiers temps. Dans les nouveaux dispositifs, le mouvement

42. Maxime Gorki (texte publié dans Nijegorodskilistok le 4 juillet 1896) cité par Jérôme PRIEUR, 1993, p. 30-31. 43. Richard Corliss, « Revenge of the Dyna-Movies », dans Time du 2 Juillet 1990, p. 46. 44. Time du 15 juin 1981, cité dans JULLIER, 1997, p. 37.

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n'est plus une « attraction » parce qu'on le voit sur l'écran « comme dans la vie », il est une « attraction » parce qu'il est effectivement « éprouvé » par le spectateur comme une intervention sur son corps propre (le spectateur peut, par exemple, réellement tomber).

Résumons. Trois variantes de la spectacularisation correspondant à trois publics différents ont été mises en évidence : la spectacularisation filmique, et deux modalités de la spectacularisation du dispositif cinématographique. Les différences entre ces variantes n'ont pu être repérées que parce que j'avais une description préalable précise du mode spectacularisant. Quant à l'origine de ces différences, elle résulte d'un changement dans les contraintes qui modèlent les publics : contraintes liées aux salles de cinéma (le mode spectacularisant est l'un des deux modes - l'autre étant la fictionnalisation - privilégiés par le dispositif salle de cinéma45), contraintes liées à la découverte d'un nouveau dispositif (le spectateur des premiers temps), contraintes liées à la transformation du dispositif cinéma traditionnel (le spectateur de la Géode).

Jusque-là, j'ai donné des exemples de publics liés à des espaces bien spécifiques (la famille, la salle de cinéma, etc.), mais il faut bien voir que la définition que j'ai donnée de la notion de public n'implique pas obligatoirement un espace localisable : il y a des publics qui débordent les espaces de visionnement. C'est que les déterminations qui régissent la production de sens sont aussi en nous.

C'est le cas, par exemple, des déterminations qui nous poussent à la lecture fictionnalisante (qu'il s'agisse de la structure œdipienne ou d'autres paramètres de nature anthropologique46) ; en conséquence, nous appartenons tous potentiellement au public fictionnalisant. Ce qu'il est alors intéressant d'étudier, ce sont les diverses modalités de mise en œuvre du mode fictionnalisant, en particulier suivant le support (comment fictionnalise-t-on au théâtre ? en lisant un roman ? face à une peinture ou une photographie ?) et les conséquences de cette appartenance quasiment

45. Dans d'autres contextes, il est tout à fait possible de lire les comédies musicales autrement que sur le mode spectacularisant : par exemple, dans le contexte des cultural ou gender studies (qui constituent à sa manière un public) les comédies musicales sont lues sur le mode discursif (comme des discours idéologiques, ou comme des discours sur les relations homme- femme) ; dans le contexte des ciné-clubs, elles sont lues sur le mode artisitique (comme des œuvres d'auteurs), etc. 46. Pour une analyse de ces paramètres anthropologiques, cf. SCHAEFFER, 1999.

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obligée, dans notre espace culturel, au public fictionnalisant : il est clair qu'elle rend plus difficile la constitution d'autres publics comme en témoignent tous les efforts qui doivent être déployés pour que se constitue un public documentarisant dans les salles de cinéma (organisation de séances spéciales, de festival, programmation en présence des réalisateurs, etc.) ; ce n'est que dans des cadres institutionnels relativement contraignant comme l'école (qui réclame de lire les films pour en tirer des informations) ou à la télévision (qui dès ses origines a été conçue comme un dispositif documentarisant) qu'un tel public existe réellement.

Outre le désir de fiction, bien d'autres déterminations sont également intériorisées : déterminations institutionnelles, sociales, sexuelles, etc. Du coup, dans un même espace réel, il y a, toujours différents publics et un même individu spectateur se trouve toujours au point de concours de différents publics et donc de différents modes de production de sens qu'il mobilisera simultanément ou successivement.

Dans ces conditions, je crois qu'il faut renoncer à penser que l'on peut étudier un public réel en tant que tel. Même les sociologues et les historiens qui se réclament pourtant d'études empiriques ne travaillent jamais que sur des constructions du public ; simplement, ce ne sont pas les mêmes constructions que celles du sémiologue. Au mieux, on peut espérer, en mettant en regard différentes constructions, avoir des éclairages différenciés sur le public en question.

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