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LA ME1TRIE <EUVRES PHILOSOPHIQUES I CORPUS DES <EUVRES DE PHILOSOPHIE EN LANGUE Fayard

Oeuvres Philosophiques I Julien Offray de La Mettrie

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Obras filosóficas I

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  • LA ME1TRIE

  • Facultad de Filosofia y letras

    OUVRAGE PUBLIE A VEC LE CONCOURS

    DU CENTRE NATIONAL DES LETTRES

    Texte revu par Francine Markovits

    LA METTRIE

    ffiUVRES PHILOSOPHIQUES Tome 1

    CORPUS DES CEUVRES DE PHILOSOPHIE EN LANGUE FRAN(:AISE

    FAYARD

  • Ce prtmitr rom e reprend la seult dition d'ux\lzh Pl -lli.O ...,\>,IL dont voJCJ l es premieres versions :

    li ! STO! HE '-j:\TU!ZELLE DE L ' ,~M F, !raduite de /' allJ!Jais de ll'1. Shmp, par(eu AJ. I-i*** de i'/Jcadmie des sciences etc., La Haye, chez Jean Neau lmt, librai re, 1745. Le livre eSl: co ndamn t re iacrt n brul (Arrt el u Parlement du 7 juillet 17 46) .

    La ;\1ettrie le rc:m blia en 17 47 a vec le mme titre et la mention : ;zmwe!le dilion revue fort exat7emmt, corri,ge de quazztit: de j(mtes qui .r' ftaiml /!.h1.rr:c.r da m la premiere e/ auJ;men!e de la lettre critique ti !vladame la liilarquise du Cbatelet, ti Ox(ord, aux depwds de l'auteur. Cctte lettre est republie dans la revu Corpus (n'' 5).

    Ces Jeux 'ditions se trouvent la Bibl. nat. (res pet i-vemtflt sous les cotes R 12345 et R 31 125 ) et !'Arsenal (so us la cote 8"S1194 pnur l'dition de 174 et pour celle de 1747, la lettre tant tantt au dbut et tantt la hn ele l'ouvrage, sous les cotes t~ 8"S1195 et 8"S1 196 ). (wilr pa,gf 6j .1: ;, ~;~;

    i~ tf'' .Ji

    A LONDRES. CHEZ JEAN NOURSE

    MDCCLI.

    Virgi l.

  • (mil e de la page 4 J Dans l'dition d e 1751 que nous reprenuns, la conclu-

    sion de J'HI STO II\E Nt\Tli i\ELLL DE L',!E eSt Jevenu e Jc !)I ~COl. H , PRLJ~HNt\IH.E. L'auteur ,. a rduit cons idrablement deux long u's notes sur le got et le gnie qui touchaient la crit ique littrain: . Il a rduit e t dplac les notes qui concernaient di!Tre nt s philosophes pour cornposer 1' .\ 131\l~c;{: DES SiSr L n :s. Ct rrava il d e division et de dplacement cf edu, on a le TH \Id IJE 1. ' \1 F.

    '

    Le troisime mmoire est a insi l' i\131t; Db ,..,. , r:\Ih POLI!\ FACILITE!\ L'INTELL!CENCE l)ll 1'1\AJTF DE 1' .\~IE. TI n'a jl:lS eu, sembk-t-il, cl'clition spart.

    Le quatrime mmoire est L'H0\1\11 PL.\NTE. 11 fu i publi Postclam e n 1748 d'aprs Pierre Lme (La Airttril', _,., 1Jie, son a:uvre, Mortain 19 54), en 1750 d'aprs ~rard i, La Fra11r1 littrairc, Paris, Firmin-Didot, 1827- 1839). 11 fut rt' dit awc l'.11n n!' JOUI\ dans : De la propagation rlu gmre humai11, anon\'lllC, Pars, an VII (cote Bibl. na t. 8"Tb6 ~ 8 1 ). Il exiSte une d itio n critique du texte de 1748 : L 'homme plante, OJ!ray de La lvicttriP , rrpu/;1. uitb introd. and no les by Fraii(M L. RouJ.;ier, New Yo rk , Ct >iumbia University, 1936.

    Le cinquime mmoire est constitu par LES c\ NI~I.\L' >; PLUS fl!E MACHINES qui furent cl'abord publis en 17)0, sans nom cl'aureur ni indication d e li eu .

    Le sixieme et dernier mmoire es-le sYsn::~IF o'I':PJCL'l{E qu1 vient d'un remaniement et d'un clveloppement d es 1\:Fl.E-XIONS PHILOSOPH! Ql!ES SCI\ L'!\ICI NE Db ANIMAL'X, Londres (Berlin") I]jo. Ce texre est republi dans la revue Corpus (n'' \ ). Il se trouve Berln, la Staatsbibliotek Preussischer h.ulrurbe-sitz, sous la cote N.n. 103 6.

    Seul le TH.i\IT DE L'.-\\!E a une rabie eles chapitres ; ell e n'tait pas pagine en 175 l. L'HM\!E I'L t\NTE, I'ABKC DES SYS-TH'.S, le SYSTIE /riCURE sont diviss mais n'om pas de sous-titres. L'HOM\1E :VIACHINE et LES ANIMAUX PLUS @E \'L\CHI NES nc sonr pas cliviss en parties.

    Nous avons tabli une tabl e gnrale eles mmoires la t1n du volume. No us n'avons chang ni la ponttuatinn, ni l'orthographe, ni l'accentuation qui peuvent surprendrt.

    Nous avons reproduit, paree qu'elle comporte une citation, la v ignette de l'ditio n de 17 51.

    Le grec ne comporte pas d'accents dans le texte ; le la tn en comporte.

    Nous remercions la Bibliothque Sainte Genevieve qu1 nous a permis, pour compose r ce vo lume, de travaill e r sur l'exemplaire clonr la cote est . 15 117 Rs.

    FRANCINE IVL\R KOVITS

    :~~ Librairie Anherne Fayard. 1987

    Discours prlirninaire

  • Discours prliminaire

    Jeme propase de prouver que la Philosopl1ie, toute contraire gu'elle est a la Morale et a la Religio n , non seulement ne peut dtruire ces deux liens de la Socit, comme on le croit communment, mais ne peut que les resserrer et les fortifier de plus en plus . Une dissertation de cette importance , si elle est bien faite , vaudra bien , a mon avis , une de ces Prfaces triviales, o l'Auteur humblement a genoux deva nt le Public, s'encense cependant avec sa modestie o rdi-naire : E t j'espere gu'on ne la trouvera pas dplace a la tte ci'O uvrages de la N ature de ceux ~ue j'ose r'imprimer, malgr tous les cris cl'une haine ( ) qui ne mrite que le plus parfait mpris.

    Ouvrez les yeux ; vous verrez affichs de toutes parts :

    Preuves de 1 'existence de Die u par les mer-veilles de la Nature.

    Preuves de 1 'immortalit de 1 'Ame par la G omtrie et l 'Algebre.

    La Rligion prouve par les faits . T holoaie Physique. Et tant d"'autres Ltvres semblables. Lisez-les,

    sans autre prparation, vous serez persuad que la Philosophi est par elle mme favorable a la Rligion et a la Morale, et gu'enfin l'tude de la Nature esr le

    (*) Odium Theo logicum .

  • CEuvres philosophiques

    plu court chemin pour arriver , tant a la connnissance de son adorable l1uteur, qu'a l 'intelligence des vrits morales et rvles . Livrez-vous ensuite a ce genre d'tude ; et sans embrasser toute cette vaste tende de Physique , de Botanique , de Chymie , d'Histoire naturelle , d'Anatomie, sans vous donner la peine de Jire les meilleurs Ouvr~;ges des Philooophes de rous les sicles, faites -vous Nldecin seulement, et a coup sr vous le serez comme les autres . V ous reconnoitrez la vanit de nos Dclamateurs, soit gu'ils fassent retentir nos Temples, soit qu'ils se rcrient lo-quemment dans leurs O uvrages sur les merveilles de la Nature ; et suivant l'H omme pasa pas, dans ce gu'il tient de ses Peres, dans ses divers ages, dans ses passions, dans ses maladies, dans sa Struture , compa-re a celle des Animaux, vous convienc;!rez que la foi seule nous conduit a la croiance d'un Etre suprme ; et que I'Homme, organis comme les autres Animaux, pour quelques dgrs d'intelligence de plus, soumis aux mmes loix, n'en doit pas moins subir le mme sort. Ainsi du faite de cette immortalit glorieuse, du haut de cette belle Machine Thologique , vous des-cendrez, comme d'une Gloire d'Opera, dans ce Par-terre physique, d'ou ne voyant par-tout autour de vous gue matiere ternelle, et formes qui se succdent et pnssent sans cesse, confus, vous avoerez qu 'une entiere destrulion attend tous les corps anims. Et enfin ce Tronc du Systme des moeurs parfaitement dracin par la Philosophie, tous les efforts qu'on a faits pour concilier la Philosophie avec la Morale, et la Thologie avec la Raison, vous paroitront frivoles et impuissans .

    Tel est le premier point de ve, et le Plan de ce Discours ; avanc;ons et dvelopons toutes ces ides vagues et gnrales.

    La Philosophie, aux recherches de laquelle tout eSt soumis , eSt soumise elle-mme a la Nature, comme une fille a sa Mere . E lle a cela de commun avec la vraie Mdecine, qu 'elle se fait honneur de cet esclavage, qu'elle n'en connoit point d'autre, et n 'en-tend point d'autre vo ix. Tout ce qui n'est pas puis

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    Discours prliminaire

    dans le sein mme de la Nature, tout ce qui n'est pas Phnomenes, Causes, Effets, Science des choses en un mot, ne r~gar.de en rien la Philosophie, et vient d'une source c1u1 1 Ul est tran o-ere.

    Telle eSt la Morale; fruit arbitraire de la P

  • CEuvres philosophiques

    olu court chemin oour arriver, tant a la connoissance de son adorable i\'uteur, qu'a l'imelligence des vrits morales et rvles . Livrez-vous ensuite a ce genre d 'tude ; et sans embrasser toute cette vaste tende de Physique , de Botanique , de Chymie, d'Histo ire naturelle , d'Anatomie, sans vous donner la peine de Jire les meilleurs Ouvra,ges des Philooophes de tous les sicles, faites -vous Mdecin seulement, et a coup sr vous le serez comme les autres. Vous reconnoitrez !a vanit de nos Dclamateurs, soit qu'ils fassent retentir nos Temples, soit qu'ils st rcrient lo-quemment dans leurs Ouvrages sur les merveilles de la Nature ; et suivant l'Homme pas a pas, dans ce gu'il tient de ses Peres, dans ses divers ages, dans ses passions, el ans ses maladies, elans sa Stru:ture , compa-re a celle eles Animaux, vous convien

  • CEuvres philosophiques

    consguent Je la Philosophie , ou ele la Raison , tous termes s \-nommes.

    De l encore il n'est pas surprenant que la Philosophie ne conduise point a la Morale, pour se joinJ re a el! ~, pour pr~n?re son part, et _l'appuier de ses propres torces. Nla1_s 11 ne faut p~s ~rotre pc~ur cela 1u'elle nous y condUlsc, comme a l Ennenn , pour l exterminer ; "s i ell e ma'rche a elle, le f!ambeau a la main, c'est pour la reconnoitre en quelque sorte, et juger de sang frod de la diffrence essentlelle de leurs imrts.

    Autant les choses sont diffrentes des moeurs, le sentiment, des Loix, et la vrit, de toute conven-tio n arbitraire, autant la Philosophie eSt diffrente ~e la Morale ; ou, si l'on veut, autant la Morale de la Nature (car elle ala sienne) differe de celle gu'un Art admirable a sagement invente. Si celle-ci paroit pntre de Respet pour la cleste source dont elle

    . est mane (la Religion); l'autre n'en a pas un moins profond pour la vri_t, o u pc;>ur ce gui en a me1:1e la simple apparence, m un momdre attachement a ses o-outs, ses plaisirs, et en gnral a la Volupt. La Relio-ion est la Boussole de ]'une : le plaisir celle de

    J' aut~e, en tant qu' elle sent ; la vrit, en tant qu'elle pense.

    Ecoutez la premiere : el le vous ordon-nera imprieusement de vous vaincre vous-me-mes ; decidant sans balancer que rien n'est plus facile, et que (( pour etre vertueux, il ne faut . qu_e vouloir. )) Pretez l'oreille a la seconde; elle vous tnVl-tera a suivre vos penchans, vos Amours, et tout ce qui vous plait ; ou plut6t des-lors vous les aves dja suivis. E h ! que le plaisir qu'elle nc;>us inspire, nous fait bien sentir, saos tant de ra1sonnemens superf!us, que ce n'eSt que par lui qu'on peut etre heureux i

    Ici, il n 'y a qu'a se laisser douc.ement aller _a~x ao-rables impulsions de la Nature ; la, tl faut se r01d1r, s~ rgimber contr'elle. Ici, il suffit de se conformer a soi-meme, d 'etre ce qu'on eSt, et en quelque sorte, de se ressembler ; la, il faut ressembler aux autres malgr

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    Discours pr liminaire

    sol, vrvre, et presque penser comme eux . Q.Qelle Comdie!

    Le Philosophe a pour ohe t ce qui lui parot vrai, ou faux, abstradion faite de toutes co nsquen-ces; le Lgislateur, peu inquiet de la \ 7rit, craignant meme peut-etre (faute de Philosophie, comme on le verra) gu'elle ne transpire, ne s'occupe que du juste et de l'1njuste, du Bien et Ju .:\1al \-!oral. D 'un cot, tout ce qui paroit etre clans la Nature, est appell vrai; et on donne le nom de faux ? tout ce qui n y est point , a tout ce qu est contrdit par l'observation et par l'exprience : de l'autre, tout ce qui favorise la Socit, eSt dcor du nom de juste, d'quitable, etc. tout ce qui blesse ses interets, est fltri du nom d'injuste ; en un mot, la Morale conduit a l'Equit, a la lustice etc. et la Philosophie, tant leurs objets sont divers, a la Vrit.

    La Morale de la Nature , ou de la Philosophie, eSt done aussi diffrente de celle de la Rligion et de la Politique, Mere de !'une et de l'autrc, que la Nature l'est de 1' Art . diamtralement opposes, jusqu'a se tourner le dos, qu'en faut-il conclure, sinon que la Phi-losophie est abso lument inconciliable avec la Morale, la Religion et la Politique, Rivales triomphantes clans la Socit, honteusement humilies dans la solitude du Cabinet et au Aambeau de la Raison : humilies sur-tout par les vains efforts memes que tant d'habiles gens ont faits pour les accorder ensemble.

    La Nature auroit-elle tort d'etre ainsi faite, et la Raison de parler son langage , d~appuyer ses pen-chans et de favoriser tous ses gouts? La Socit d'un autre cot auroit-elle tort a son tour de ne pas se mouler sur la Nature? Il est ridicule de demander ]'un, et tout a fait extravagant de proposer l'autre.

    Mauvais moule sans doute, pour former une Socit, que celui d'une Raison, si peu a la porte de la plupart des hommes, que ceux qui l'ont le plus cultive, peuvent seuls en sentir l'importance et le prix ! Mats aussi, plus mauvais moule encare pour former un Philosophe, celui des prjuo-s et des erreurs qui sont la baze fondamentale de fa Socit !

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  • CEuvres philosophiques

    Cette rflxion n'a point chap a la prudence des Lgislateurs clairs ; ifs ont trop bien connu les Animaux qu'il s avoient a gouverner.

    On fait aisment croire aux hommes ce qu'il s dsirent ; on leur persuade sans peine ce qui flatte leur amour propre ; et ils toient d'autant plus faciles a sduire, que leur supriri t sur les autres Animaux , les avoit dja aids a se laisser bloui:r. li s ont cru qu'un peu de boe organise pouvoit etre immortelle.

    La Nature dsavoe cependant cette Do"trine purile : c'est comme une cume qu'ell e rejette et laisse au loin sur le rivage de la mer Thologique ; et, si l'on me permet de continuer de parler mtaphori-quement, j'oserois dire que tous les ra yo ns qui partent du sein de la Nature, fortifis et comme rflechis par le prcieux miroir de la Philosophie, dtruisent et mettent en poudre un Dogme qui n'esr fond que sur la prtencle utilit mo rare dont il peut etre . ~elle

    .. preuve en demandez-vous? Mes Ouvrages memes, puisqu'ils ne tendent qu'a ce but, ainsi que tant d'autres beaucoup mieux faits ou plus savans ; s'il faut l'etre pour dmontrer ce qui saute aux yeux de routes parts : qu'il n 'y a qu'une vie, et que l'homme le plus a projets, l'homme le plus superbe, les tablit en vain sur une vanit mortelle comme lu. Oi, et nul Sage n'en disconvient, l'orgueilleux 1\1onarque meurt tout entier, comme le sujet modesre et le chien t-iclele : V rit terrible, si l'o n veut, mais pour ces Esprits dont l'enfance est l'age ternel, ces Esprits auxquels un fant6me fait peur ; car elle ne laisse pas plus de doute que de cratnte chez ceux qui sont tant soi t peu capables de rflchir, chez ceux qui ne dtournent pas la ve de ce qui la frappe a chaque insrant d'une fac;: o n si vive et si claire, chez ceux enfin qui ont acquis, pour le dire ainsi, plus ele maturit que d'adolescence.

    Mais si la Philosophie est contraire aux con-ventions Sociales, aux principaux Dogmes de la Religion, aux mceurs , elle rompt les liens ~ui tiennent les hommes entr'eux! Elle sappe l'dtfice de la Politique par ses fondemens !

    Esprits sans profondeur, et saos jusresse,

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    Discours prliminaire

    ~1ue ll e terr~u: . panique vous effarouche ! ~el ugement preoptte vous emporte au deJa du but et de la v~it~ ! ?i c~ux qui tiennent les re nes des Empires, ne reflechtss01ent pas plus solidernent, o ! le be!

    honne~r , et la_ brill~nte gloire qui leur en reviendroit! La . Phtlos?phte pns~ pour un poison dangereux, la Phtlosophte, ce so lide pivt de l'Eloouence, ce tte lymphe nourri~iere de la Raiso n, seroir" proscrite de ':os C_onversa_ttons, et, de n t?s Ecrits ; irnprieuse et ttranmque Retne, o n n oserott en pro no ncer meme le nom,, saos crair:dre la Sibrie : et les Philosophes chasses et banms, cornme Perturbateurs auroient le

    . ' meme sort qu'autrefois les prtendus Mdeciris de Rorne .

    No~, erreur sans doute, non, la Philosophie ne rof!lpt, 01 ne peut rompre les chaines de la Soctt. Le potson est . daos les Ecrits des Philosophes, comme le Bonheur dans les chansons, ou comme ]'Esprit dans !es ~ergers de Fontenelle . On chante un Bonheur tma&tnat_re ; ~-n d~nne aux Bergers daos une Eglogue un _ tspn~ qu tl s n ont pas : o n suppose dangereux ce qm est bten loign de l'etre ; car la sappe dont nous avons parl, bien diffrente de celle ele nos Tranches e~t id~le, r_ntap_hysique, et pa: consquent elle ne peu~ nen detrmre, 01 renverser, s1 ce n'est hypothtique-ment. Or qu'est-ce_ que renverser daos une hypothese les usa.;ses tntroelutts et accrelits daos la vie civile? C'esr n y point toucher rellement, et les laisser daos toute leur vigueur.

    . J e vais racher de prouver ma These par eles ratsonnemens sans replique.

    . . De la contradiHon ele Prncipes el 'une Nature aus~1. dtverse qu~ c_eux ele la Philosophie et de la Polmque ; ele Pnnctpes dont le but et l'objet sont essenttellement diffrens, il ne s'ensuit nullement que les uns rfutent ou dtruisent les autres. I1 n'en esr pas des spculations philosophiques, aux prncipes rec;:us dans le monde, et a la croiance ncessaire (je le suppose) a la suret elu commerce eles ho mmes, comme ele la thorie ele la Melecine a la Pratique de cet art. Ici, !'une a une influence si eli;e"te et si absole

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  • CEuvres phi!osophiques

    sur l'autre, que ma!heur aux malades, do nt guelque Chirac a enf-il le mauvais chemin ! La, des md ttations philosophigues, aussi innoce ntes que leurs Auteurs, ne peuve nt co rrompre ou ernpoiso nner_la P ratigue de la socit, gui n 'a point d'usages res pects par le peuple, si co migues et si ridicul es qu'ils soient, auxquels tout Philosophe n 'appl ~udiss.e aussi vo_J onti ~ rs , q';lan? il le faut , que ceux qlll le sont le mmns ; tort t ache sans doute de porter le moind rc chec a ce c_1ui fait, ou plutt passe pour faire la tranquillit pubilque.

    La Rai son pour laq uell e deux choses aussi co ntraires en apparence, ne se nuisent cependant en aucune maniere, c'est do ne yue leurs O bjets n'o nt rien de commun entr 'cux, leur but tant auss i divers , aussi loign ]'un de J'autre, aussi oppos, que J'O rient et l 'Occident. Nous ven-ons dans la suite que loin de se dtruire, la Philosophie et la Morale peuve nt tres bien agir et veiller de co nce rt a )a suret du Public ; nous verrons que si !'une infle sur l'autre, ce n 'est qu'indireEl:ement , mais tojours a son avantage ; de forte que , comme je l'ai dit d'abord , les nceuds de la Socit sont resse rrs par ce qui semble a la premiere ve devoir les rompre et les dissoudre : Paradoxe plus surprenant encore que le premier, et qui ne se ra p~s moins clairement dmo ntr, a ce que j'espere , a la hn de ce Discours .

    Qgelle lumiere affreuse seroit celle de la Philosophie, si ell e n'clairoit les uns, qui sont en si petit nombre, que pour la perte et la ruine des autres, qui composent presque tout l'Univers !

    Gardo ns-nous de le penser. Les Perturbateurs de la Socit n'o nt t ren moins que des Philo-sophes, comme on le verra plus loin ; et la Philoso-phie, amoureuse de la seule vrit, tranquille contem-platrice des beauts de la N ature, incapable de tm-rit et d'usurpatio n, n'a jamais empit sur les droits de la Politique. Qgel est le Philosophe en effet, si hardi qu'o n veill e le suppo ser, qui en attaquant le plus vivement a fo rce ouverte tous les prncipes de la Morale, comme j'ose le faire dans mo n A nti-semque, disconvienne que les intrets du Public ne soient

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    Discours prliminai re

    pas d 'un tout au tre prix que ceux el e la Philoso phie ~ La Politique, ento ure de ses M inistres, \'a

    criant dans les places jubLiques , elans les Chai res, et prescue sur les to its: e corps n'es1 rien, /'A111(' eH f lillf; lvlorte!J, sauvez-vous, quoiqz/i! vous en coute. Les Philo-so phes rient, mais il s ne troublent point le service ; il s parlent , comme il s crive nt , tranquill ement ; pour A ptres et pour Ministres, ils n 'ont cu 'u n petit nombre de seEl:ateurs auss i doux et auss i pais1bles qu'eux, gui peuve nt bien se rjou1r el 'au$ mentf r leur troupeau , et cl 'enrichir leur e_ omaine de l' heureuse acquisition el e guelques beaux gnies, mais cui se ro ient au dsespoir el e Sll spendre un moment l' g rand courant des choses civil es, lo in de vouloir, co mme o n ]'imagine communmem, tout bouleverser.

    Les Pretres dclament, chauffent les Es prits par el es pro mes ses mag nifiques, bien dignes d 'enfler un Sermon loc1uem ; il s prouvent tout ce e u 'ils avancent, sans se do nner la peine de raiso nner, il s veulent enfin qu 'on s'en rappo rte a Dieu sait quell es auto rits apocrifes : et leurs fouelres som p rts a craser et rduire en poudre quiconque est asss raisonnable pour ne pas vouloir croire aveu,&"l ment tout ce qu1 rvo lte le plus la Raiso n. ~e les Philosophes se co nduisent plus sagement ! Pour ne ren promettre, il s n'en sont pas quittes a si bo n march ; ils palent en choses senses et en rai so nne-mens solides, ce qui ne coute aux autres que elu poumon, et une loquence aussi vuide et auss1 vaine que leurs promesses . Or le raisonnement pourroit-il etre dangereux, lui qui n'a jamais fait, ni E nthousiaste, ni SeEl:e, ni meme T holo aien ?

    E ntrons dans un plus arand el tail, pour prou-ver plus clairement, que la Ithilosophie la plu s har-die n 'eSt point essentiell ement contraire aux bonnes mceurs, et ne traine en un mot aucune sorte el e el ange r a sa suite .

    Qge mal, je le demande aux plus g rands ennemis de la libert de penser et d'crire, quel mal y a-t-il d 'acquiescer a ce qui paroit vrai , quand o n reconnoit avec la meme candeur, et qu'on suit avec la

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  • O::uvres philosophiques

    meme fidlit ce qui parait sage et util e? A quoi serviroit done le Bambeau de la Physique? A quoi bon toutes ces curieuses observations d' Anatomie compare, et d 'Histoire naturell e ? Il faudroit, teindre ]'un, et ddai~ner les autres ; au lieu d'encourager, comme font les plus grands Princes, les Hommes qui se dvouent a ce,s laborieuses recherches . Ne peut-on deber de deviner et d'expliquer l'Enigme de I'Homme? En ce cas plus on seroit Philosophe, plus, ce qu'on n'a jamais pens, on seroit mauvais Citoyen. Enfin que! funeSte prsent seroit la vrit, si elle n 'toit pas tojours bonne a dire? QQel appanage superflu seroit la Raison, si elle toit faite pour etre captive et subordonne ! Soutenir ce Systeme, c'est vouloir ramper, et dgrader l'espece humaine : croire qu'il est des vrits qu 'il vaut mieux laisser ternel-lement ensevelies dans le sein de la Nature, que de les produire a u grand jour, c'e,st favoriser la superstition et la Barbarie.

    QQi vit en Citoyen, peut crire en Philosophe. Mais crire en Philosophe, c'esr enseigner le

    Matrialisme ! Eh-bien ! Qlel mal ! Si ce Matnalisme est fond, s'il eSt l'vident rsultat de toutes les o bservations et expriences des plus grands Philo-sophes et Mdecins ; si l'on n'embrasse ce systeme, qu'apres avoir attentivement suivi la Nature, fait les memes pas assidement avec elle dans toute l'tende du Rgne Animal, et, pour ainsi dire, apres avoir approfondi l'Homme dans tous ses ages et dans tous ses tats? Si l'Ortodoxie fuit le Philosophe plut6t qu'il ne l'vite ; s'il ne cherche ni ne forge expres sa DoB:rine, s'il la rencontre en quelque sorte, qu'elle se trouve a la suite de ses recherches et comme sur ses pas, est-ce done un crime de la publier? La vrit meme ne vaudroit-elle done pas la peine qu'on se baissat en quelque sorte pour la ramasser?

    Voulez-vous d'autres Argumens favorables a l 'innocence de la Philosophie? Dans la foule qui se prsente, je ne choisirai que les plus frappans.

    La Motte le V ayer a beau dire que la mort eSt prfrable a la mendicit. Non seulement cela ne

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    Discours prliminaire

    dgote point de la vie ces Objets dgotans de la piti publique, (eh! que] si grand malheur, s'il toit possible que ces malheureux, accessibles a cette fa

  • CEuvres philosophiques

    grace avec humanit a des malheureux qui leur ressemblent, se preter a des besons mutuels, et enfi.n ne point tomber en des contradictions si barbares avec leurs freres.

    Le moien de souscrire aux moinclres inconv-niens d'une Science qui a mrit le suffrage et la vn-ration des plus granel~ Hommes de tous les siecles l Les I\1atrialistes ont beau prouver que l' Homme n'est qu'un: Machi~e, le pe_uple (*) n'e~ cror~ jam~is ren. Le meme Inst1nct qut le rettent a la vte, ]UI donne asss de vanit pour croire son Ame immortelle, et il eSr trop fol et trop ignorant pour jamais ddaigner cette vanit la.

    J'ai beau inviter ce malheureux a n'avoir point de remords d'un crime dans Jeque] il a t entrain, comme on l'esr surtout par ce qu'on nomme premier mouvement ; il en aura cependant, il en sera poursuivi ; on ne se dpopi:lle point sur une simple Iecture, de prncipes si accoutums, qu'on les r.rend pour naturels. La conscience ne se racornit qu a force de sclratesse et d'infamie, pour lesquelles, loin d'y inviter, a Dieu ne plaise ! j'ai tach cl'inspirer toute l'horreur, dont je suis moi-meme pntr. Ainsi

    Chan~ons pour la multitude, que tous nos Ecrits ; raisonnemens frivoles, pour qui n'eSt: point prpar a en recevoir le germe ; et pour ceux qui le sont, nos hypotheses sont galement sans clanger. La justesse et la pntration de leur gnie a mis leur ca:ur en suret, devant ces hardiesses, et si j'ose le dire, ces nudits d'E:,prit.

    Mais quoi ! les hommes vulgaires ne pourroient-ils etre enfi.n sduits par quelques lueurs philosophiques, faciles a entrevoir dans ce torrent de lumieres, que la Philosophie semble aujourd'hui ver-ser a pleines mains? Et comme on prend beaucoup de ceux avec lesquels on vit, ne peut-on pas facilement adopter les O pinions hardies, dont les Livres philoso-phiques sont remplis, moins a la vrit, ( quoiqu'on

    (*) Que! si grand mal. quand il le croiroit 'J Grace il la svrit des Loix , il pourroit etre Spilwsiste. sans que la Socit et ri en il craindre de la destruction des Autels , ou semble conduire ce hardi Systeme.

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    Discours prliminaire

    pense ordinairement le contraire,) aujourd'hui qu'au-trefois.

    Les V rits philosophiques ne sont que des Systemes, dont l'Auteur qui a le plus d'art, d'esprit, et de lumieres, est le plus sduisant ; Systemes, ou chacun peut prendre son part, parceque le pour n'est pas plus dmontr que le contre pour la r.Iupart des Lel:eurs ; paree qu 'i l n'y a d'un cot et de I'autre, que quelques dgrs de probabilit de plus et de moins , qui dterminent et forcent n6tre assentiment, et meme que les seuls bons Es prits , (Es prits plus rares que ceux qu'on appelle beaux,) peuvent sentir, ou saisr. Com-bien de disputes , d 'erreurs, de haines, et de contraclic-tions, a enfant la fameuse queSt:ion de la libert, ou du fatalisme ! Ce ne sont que des hypotheses cepen-dant. L'Esprit born, ou illumin, croiant a la doc-trine de mauvais cayers qu'il nous dbte d'un air suffi-sant, s'ima_gine bonnement que tout eS!: perdu, Morale, Relig-ion, ;::,ocit, s'il est prouv que f'Homme n'est pas libre . L'Homme de gnie au contraire, l'Homme tmpartial, et sans prjugs, regarde la solution du Probleme, quelle qu'elle soit, comme fort indiffrente, et en foi, et meme e gard a la Socit. Pourc1uoi? C'esr qu'elle n'entraine pas dans la pratique elu monde les rlations dlicates et dangereuses, dont sa Thorie paroit menacer. J'ai cru prouver que les remords sont des prjugs de l'clucatlon, et que l'Homme eS!: une Machine gu'un fatalisme absolu gouverne imprieu-sement : j'ai pu me tromper, je veux le croire : mais suppos, comme je le pense sincerement, que cela soit phifosophiquement vrai, qu'importe? Toutes ces ques -tions peuvent etre mises dans la Classe du point Mathmatique, qui n'exiSt:e que dans la tete eles Gometres, et de tant de probJemes de Gomtrie et el' Algebre, dont la solution claire et idale montre toute la force de !'Esprit humain ; force qu n'est point ennemie eles loix, Thorie innocente, et de pure curiosit, qui est si peu rversible a la Pratique, qu'on n'en peut taire plus d'usage, que de toutes ces Vrits Mtaphysiques de la plus haute Gomtrie.

    Je passe a de nouvelles Rflxons naturel-

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  • 1

    CEuvres philosophiques

    lement lies aux prcdentes, qu'elles ne peuvent qu'appuyer de plus en plus.

    Depuis que le Polythisme eSt: abol par les loix, en sommes-nous plus honnetes ~ens? Julien, ApoSt:at, valoit-il moins , que Ch~etien. En ~toit-il moins un grand Homme, et le mellleur des Pnnc~s? Le ChriSt:ianisme eut-il rendu Caton le Censeur, motns dur, et moins froce? Caton d'Utique, moins ver-tueux? Ciceron, moins excellent Citoyen, etc. A vons-nous en un mot plus de vertus que les Payens? Non, et ils n'avoient pas moins de Religion que nous ; ils suivoient la leur, comme nous suivons la ntre, c'eSt: a dire, fort mal, ou point du tout. La Superstition toit abandonne au Peuple et aux Pretres, croyans (*) mercnaires ; tandis que les honnetes Gens sentant bien que pour l'tre, la Rligion leur toit inutile, s'en moquoient. Croire un Dteu, en croire plusieurs, regarder la Nature comme la cause aveugle et inexpli-cable de tous les Phnomenes ; ou sdutt par l'ordre merveilleux qu'ils nous offrent, reconnoitre une Intel-ligence supreme, plus incomprhensible encore que la Nature; croire que l'homme n' eSt: qu'un Animal comme un autre, seulement plus spirituel ; ou regar-der l' Ame, comme une subSt:ance diSt:inle du corps, et d'une essence immortelle : voila le champ, ou les Philosophes ont fait la guerre entr'eux, depuis qu'ils ont connu l'art de raisonner ; et cette guerre durera, tant que cette R eine des Hommes, l'Opinion, rgnera sur la Terre ; voila le champ, ou chacun peut encore aujourd'hui se battre, et suivre parmi tant d'Eten-darts, celui qui rira le plus a la fortune, ou a ses prjugs, sans qu 'on ait rien a craindre de si frivoles et si vaines Escarmouches. Mais c'eSt: ce que ne peuvent comprendre ces Esprits qui ne voient pas plus loin que leurs yeux : Ils se noient dans cette Mer de raisonnemens. En voici d'autres qui par leur simplicit seront peut-etre plus a la porte de tout le monde.

    Comme le silence de tous les anciens Auteurs

    (*) Pour la plupart.

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    Discours prliminaire

    prouve la nouveaut de ce rtain mal immonde, celui de tous les Ecrivains sur les maux qu'auroit causs la Philosophie, (dans la supposition qu'e ll e en cause, ou en peut causer,) dpose en faveur de sa bnignit et de son innocence.

    ~ant a la communication, ou si l'on veut , a la contagian que l'on craint, je ne la crois pas possible. Chaque homme est si fortement convaincu de la vrit des Prncipes dont on a imbu, et comme abreuv son enfance ; son amour propre se croit si intress a les soutenir, et a n'en p01nt dmordre, 9ue quand j'aurois la chose aussi fortement a ccrur, qu elle m'eSt: indiff-rence, avec toute I'Eloquence de Ciceron, je ne pourrois convaincre perso nne d'etre dans l'erreur. La raison en eSt: simple. Ce qui est clair et dmontr pour un Philosophe, eSt: obscur, incertain, ou plutt faux pour ceux qui ne le sont pas, principalement s'ils ne sont pas faits pour le devenir.

    Ne craignons done pas que )'Esprit du peuple se moule jamais sur celui des Philosophes, trop au dessus de sa porte. Il en est comme de ces InSt:ru-ments a sons graves et bas, qui ne peuvent monter aux tons aigus et per~ans de plusieurs autres, ou comme d'une Basse-taill e, qui ne peut s' lever aux sons ravissans de la Haute-Contre. il n'eSt: pas plus possible a un Esprit sans nulle teinture philosophique, quelque pntration naturell e qu'il ait, de prendre le tour d'Esprit d'un Physicien accoutum a rflchir, qu'a celut-ci de prendre le tour de l'autre , et de raisonner aussi mal. Ce sont deux Physionomies qui ne se ressembleront jamais, deux inSt:rumens dont l'un eSt: tourn, cizel, travaill; l'autre brut, et tel qu'il eSt: sorti des mains de la Nature. Enfin le plis eSt: fait ; il reStera; il n'eSt: pas plus ais a ]'un de s'lever, qu'a l'autre de descendre. L'ignorant, plein de prjugs, parle et raisonne a vuide ; il ne fait, comme on dit, que battre la Campagne ; ou, ce qui revient au meme, que rappeler et remacher, (s'il les fait) tous ces pitoiables Argumens de nos Ecoles et de nos Pdans ; tandis que l'habile homme su it pas a pas la Nature, l'observation, et l'exprience, n'accorde son suffrage

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  • CEuvres philosophiques

    qu'aux plus grands dgrs de probalit et de vraisem-blance, et ne tire enfin des consquences rigoureuses et in:mdi~tes, dont tout ~on E~prit est frapp, que de fam qm ne sont pas moms clatrs, que de prncipes fconds et Iumineux.

    Je conviens qu'on prend de la fa

  • CEuvres philosophiques

    rendre a votre tour a la vrit de nos observations, a la solidit de nos expriences, a la richesse enfln, et a l'utilit qui plus est, de nos dcouvertes? Par que] aveuglement ne voulez vous poim ouvrir les yeux a une si clatante lumiere? Par quelle bassesse ddai-gnez-vous d'en faire usage? Par quelle barbare tyran-nie, qui plus est, troublez-vous dans leurs Cabinets, ces hommes tranquiles qui honorant !'Esprit humain et leur Patrie, loin de vous troubler dans vos fonc-tons publi~ues, ne peuvent que vous encourager a les bien remphr, et a precher, si vous pouvez, meme d'exemple.

    ~e vous connoissez peu le Philosophe, si vous le croyez dangereux !

    I1 faut que je vous le peigne ici des couleurs les plus vraies. Le Philosophe eSt Homme, et par consquent il n'est pas exemt de toutes passions ; mais elles sont rgles, et pour ainsi dire, circonscrites par le Compas meme de la Sagesse ; c'esl pourquoi elles peuvent bien le porter a la Vol u pt, (eh ! pourquoi se refuseroit-il a ces tincelles de bonheur' a ces honnetes et charmans plaisirs, pour lesquels on diroit que ses sens ont t visiblement faits ?) mais elles ne l'engage-ront, ni dans le e rime, ni dans le dsordre. Il seroit bien fach qu'on put accuser son cceur, de se ressentr de la libert, ou, si l'on veut, de la licence de son Esprit. N'aiant pour l'ordinaire pas plus a rougir d'un cot, que de l'autre ; modele d'humanit, de candeur, de douceur, de probit, en crivant contre la loi naturelle, il la suit avec rigueur ; en disputant sur le juSte, il l'esr cependant vis a vis de la Socit. Parlez, Ames vulgaires, qu'exigez-vous de plus?

    N'accusons point les Philosophes d'un dsordre dom ils sont presque tous incapables. Ce n'eSt vritable~ent, su~vant la r~flx~on du plus ~e~Esprit de nos_ ours, m Bayle, m Sptnosa,_ J!l Vamm, ni Hobbes, m Locke, et autres Metaphystctens de la meme trempe ; ce ne s

  • CEuvres phlosophiques

    autant m'tonner, comme certains Catholiques, ele la bonne foi d'un ProteStant.

    Il n'est pas plus raisonnable , a mon avis, de demander si une Socit d'Athes pourroit se soute-nir. Car pour qu'une Socit ne soit point trouble , que faut-1! ? ~'on reconnoisse la V rit des __prncipes qui lui servent de Baze. Point du tout. ~'on en reconnoisse la sagesse : Soit. La ncessit? Soit encore, si l'on veut, quoiqu 'elle ne porte que sur !'ignorance et l'imbcilit vulgaire. ~'on les suive ? Oi ; oi sans doute , cela suffit. Or quel eSt le DiSte, ou 1' Athe, qui pensant autrement que les autres, ne se conforme pas cependant a leurs moeurs? Que] est le Matrialiste, qm plein, et comme gros de son Systme, (soit qu 'il garde ntrieurement sa fa

  • CEuvres philosophques

    Combien d'Ecrivains masqus par leurs Ouvrages, le coeur en proye a tous les vices, on~ le front d'crire sur la Vertu, semblables a ces PrdlCa-teurs, qui sortant des bras d'une jeune Pnitente qu'ils ont convertie (a leur maniere) viennent dans des Discours moins Aeuris que leur teint, nous prcher la continence et la chaSl:et ! Combien d'autres, croiant a peine en Dieu, pour faire fortune, se sont montrs dans de pieux Ecrits les Aptres de Livres Apo-criphes, dont ils se moquent eux-mmes le soir a la Taverne avec leurs amis : ils rient de ce pauvre Public qu'ils ont leur, comme faisoit peut-tre Seneque, qu'on ne soup

  • CEuvres philosophiques

    philosophiques que j'ai faits des vices et des vertus ; mais la preuve que je ne me crois pas coupable envers la Socit que e respete et que j'aime ; c'eSI: que, malgr tant de plaintes et de cris, je viens de faire r'imprimer le meme Ecrit, retouch et refondu ; uniquement a la vrit pour me donner l'honneur de mettre aux pieds de Sa MajeSt: un Exemplaire com-plet de mes Ouvrages. Devant un te! Gnie, on ne doit point craindre de paroitre a dcouvert, si ce n'eSI: a cause du peu qu'on en a.

    Ah ! si tous les Princes toient aussi pene-trans, aussi clairs, aussi sensibles au don prcieux de )'Esprit, avec quel plaisir et que! succs, chacun suivant hardiment le Talent qui I'entraine, favorise-roit le progrs des Lettres, des Sciences, des Beaux-Arts, et sur-tout de leur auguSI:e Souveraine, la Phi-Josophie. On n'entendroit plus p~rler de ces. facheux prjugs o l'on eS!:, que cette Sctence trop hbrement cultive, peut s'lever sur les dbris des Loix, des Moeurs, etc. on donneroit saos crainte une libre carriere a ces beaux et puissans Esprits, aussi capables de faire honoeur aux Arts par Jeurs lumieres, qu'ioca-pables de ;mire a la Soci~t par leur Conduite. Enfin? loin de gener, de chagnner les seuls Hommes, qm dissipant peu a peu les tnbres de ntre ignorance, peuvent clairer l'Univers, on les encourageroit au contraire par toutes sortes de rcompenses et de bienfaits.

    Il eS!: done vrai que la Nature et la Raison humaine, claires par la Philosophie, et la Religion soutene et comme taye par la Morale et la Poli-tique, sont faites par leur propre conSt:itution pour etre ternellement en guerre ; mais qu'il ne s'eosuit pas pour cela, que la Philosophie, quoique thori-quement con_rrai~e a la ~oraJe et a la Re~igion, puiss~ rellement detrutre ces hens sages et sacres. I1 eS!: auss1 prouv que tou~es ces guerres philosophi.ques n'~uroient au fond neo de dangereux saos 1 odteuse ha10e thologique qui les suit; puisqu'l suffi.t de dfinir, de diSt:inguer et de s'enteodre, (e hose rare a la vrit !) pour concevoir que la PhiJosophie et la Politique ne

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    Discours prliminaire

    se croizent point daos leurs marches, et n'ont en un mot ren d'essentiel a dmeler ensemble.

    Voila deux branches bien lagues, side ne me trompe : passons a la troisime, et mon Para oxe sera prouv daos toute son tende.

    ~oique le resserrernent des noeuds de la Socit par les heureuses mains de la Philosophie, paroisse un probleme plus diffi.cile a comprendre a la premiere ve, je ne crois cepeodant pas, apres tout tout ce q~i a t dit ci-devant, qu'iJ faille des rflxioos bten profondes pour le rsoudre.

    Sur quoi n'tend-elle pas ses ailes? A quoi ne communique-t-elle pas sa force et sa vigueur? Et de combien de fas:ons ne peut-eiJe pas se rendre utile et recommandable ?

    Comme c'eSI: elle qui traite le corps en Mde-cine, c'eSI: elle aussi qui traite, quoique daos un autre seos, les Loix, l'Espnt, le Coeur, l' A.me, etc. c'eSI: elle qui dirige l'art de penser, par l'ordre qu'elle met daos nos ides ; c'est elle qui sert de baze a l'art de parier, et se mele eofin utilement par-tout, daos la Jurispru-dence, daos la Morale, daos la Mtaphysique, daos la Rhtorique, daos la Religioo, etc. Oi utilement, je le rpte, soit qu'elle enseigne des vrits, ou des erreurs.

    Saos ses lumieres, les Mdecins seroient rduits aux premiers dtonnemens de l'aveugle Empi-risme, qu'on peut regarder comme le fondateur de l'Art Hippocratique.

    Comment eSt:-on parvenu a donner un air de Dotrine, et comme une espce de corps solide, au Squlette de la Mtaphysique? En cultivant la Philo-sophie, d?nt_ l'art magigue. po~voit. seul changer un vuzde TonceUzen, pour a1ns1 m expnmer, en un plein apparent, et f~ire c.roire _imn:ortel ce souffie fugiti(, cet atr de la vte, st facile a pomer de la Machine pneumatique du Thorax.

    . Si. la Religion eut pu parler le langage de la Rats:m: Ntcole, cette beile plume du sicle pass, qui l'a Sl blen contrefait, le lui eut fait tenir. O r par quel autre secours?

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  • CEuvres philosophiques

    Combien d'autres, soit excellens usages, soit heureux abus de ]'industrie des Philosophes ! ~i a rig la Morale a son tour en espce de Science? ~i l'a fait figurer, qui l'a fait entrer avec sa Compagne, la Mtaphysique, daos le domaine de la sagesse dont elle fait aujourd'hui partie? Elle meme, la Philoso-phie. Oi, c'est elle qui a taill et perfelionn cet utile mStrument ; qui en a fait une Boussole merveilleuse, saos elle Aiman brut de la Socit : c'est ainsi que les arbres les plus Striles en apparence, peuvent tt ou tard porter les plus beaux fruits. C'est ainsi que nos travaux Acadmiques auront peut-etre aussi quelque jour une utilit sensible.

    Pourquoi Moyse a-t-il t un si grand Lgisla-teur? Paree qu'il toit Philosophe. La Philosophie influe tellement sur l'art de gouverner, que les Princes qui ont t a l'cole de la Sagesse, sont faits pour etre, et sont effeB:ivement meilleurs que ceux qui n'ont point t imbus des prceptes de la Philosophie, tmoin encore l'Empereur julien, et le Ro Philo-sophe, aujourd 'hui s1 clbre. Il a sen ti la ncessit d'abroger les Loix, d'adoucir les peines, de les propor-tionner aux crimes ; il a port de ce cot cet oeil philosophique qui brille dans tous ses Ouvrages. Ainsi la Jusrice se fait d'autant mieux daos tous les Etats ou j'cris, qu'elle a t, pour ainsi dire, raisonne, et sagement rforme par le Prince qui les gouverne. S'il a proscrit du Barreau un art qu1 fait ses dlices, comme il fait ceux de ses LeB:eurs, c'esr qu'il en a connu tout le sduisant prsrige ; c'esr qu'il a v l'abus qu'on peut faire de I'Eloquence, et celui qu'en a fait Ciceron lui mme (*).

    Il eSt vrai que la plus mauvaise cause, manie par un habile Rhteur, peut triompher de la meilleure, dpoullle de ce souverain Empire que l'art de la Parole n'usurpe que trop souvent sur la Jusrice et la Raison.

    Mais tous ces abus, tout cet harmonieux Clinquant de Priodes arondies, d'expressions artis-

    (*) Voyez les excellens Mmoires que le Roi a donns a son Acadmie.

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    Discours prliminaire

    tement arranges, tout ce vuide de mots qui prissent pompeusemen,t daos l'air, ce_laiton pris pour de l'or, cette fraude d Eloquence enhn, comment pourroit-on la dcouvrir, et sparer tant d'alliage du vrai Mtal?

    ~'il .est po~sible de tirer quelquefois la V rit ~e ce p~11ts 1mp~netrab~e, au fonds. d~quel un Ancien 1 a placee, la Ph1losoph1e nous en md1que les moiens. C'.esr la pierr~ de to~che des penses solides, des ra1sonnen:ens u~tes ; e eSt le creuset ou s'vapore tout ce que meconnolt la Nature. Dans ses habiles mains le Peloton des choses les plus embrouiiles se dve~ loppe et se dvide en quelque sorte, aussi aisment qu'un. grand Mdecin . dbroui:lle et dmasque les malad1es les plus comphques.

    La Rhtorique donne-t-elle aux Loix ou aux AB:io~s les p_lus ~njuStes, un air d'quit et de' Raison, la Ph1losoJ?h1e n e~ eSt pas la dupe elle a un point fixe pour uger samement de ce qm eSt honnete ou deshonnete, quitable ou injuste, vicieux ou ver-tueux ; elle dcouvre l'erreur et l'injusrice des Loix, et met la. ~euve a.vec l'Orphelin a l'abri des piges de cette ?1ren~, qm Pt;:end, sans ~eine, et nC?n saos danger, la Ra1son a J'appat d un D1scours bnllant et fleuri. Souffle pur de la Nature, le poison le mieux appret ne peut vous corrompre !

    Mai~ l'Eloquence meme, cet art invent par la Coquettene de l'Esprit, qui esr a la Philosophie ce que la plus be_lle forme eSt a la plus prcieuse matiere, quand elle dolt trouver sa place, qm lui donne ce ton m~le, cet~e force vhmente avec laquelle tonnent les Demosthenes et les Bourdaloes? La Philosophie. Saos elle, saos l'ordre qu'elle met dans les ides l'Eloquence de. Ciceron et peut-etre t vaine ; tou; ce.s beaux pla1doyers qui faisoient palir le crime, tnompher la vertu, trembler Verrs, Catilina etc. tous ces. C?~fs-d'~uvr~s de l'Art de parler n'eussent point maltnse les Espnts de tout un Snat Romain et ne fussent point parvenus jusqu'a nous. '

    , . Je sai qu'un seul trait d'Eloquence chaude et patetlqu~, au seul nC?m de Patrie, ou de Franfois bien prononce, peut exc1ter les Hommes a 1'Hro1sme,

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  • CEuvres philosophques

    rappeller la vitoire, et fixer l'incertitude du sort. Mais ces cas sont rares, ou l'on n'a affaire qu'a l'imagina-tion des Hommes, ou tout eSt perdu, si on ne la reme fortement ; au lieu que la Phi1osophie qui n'agit que sur la Raison, est d'un usage ournalier, et rend service, meme lorsqu'on en abuse en l'appliquant a des erreurs re

  • CEuvres philosophiques

    rfut une ancienne erreur, approfondi un sujet super-ficiellement trait, j'aurai tendu les limites de mon savoir et de mon Esprit ; j'aurai, qui plus eSt, augment les lumieres publiques, et !'Esprit rpandu dans le monde, en communiquant mes recherches, et en osant afficher ce que tout Philosophe timide ou prudent se dit a l'oreille.

    Ce n'eSl: pas que je ne puisse etre le joet de l'erreur ; mais quand cela seroit, en faisant penser mon Lel:eur, en aiguisant sa pntration, j'tendrois toute-fois les bornes de son gnie : et par la meme je ne vois pas pourquoi je serois, si mal accueilli par les bons Esprits.

    Comme les plus fausses hypotheses de Des-cartes passent pour d'heureuses erreurs, en ce qu'elles ont falt entrevoir et dcouvrir bien des vrits qui seroient encore inconnes sans elles ; les SySl:emes de Morale ou de Mtaphysique les plus mal fonds, ne sont pas pour cela dpourvus d'utilit, pourvu qu'ils soient bien raisonns, et qu'une longue chaine de consquences merveilleusement dduites, quoique de prncipes faux ou chimriques, tels que ceux de Leibmz et de Wolff, donne a !'Esprit exerc la facilit d'embrasser dans la suite un plus grand nombre d'objets. En effet qu'en rsultera-t-il? Dne plus excel-lente longue-ve, un meilleur Tlescope, et pour ainsi dire, de nouveaux yeux, qui ne tarderont peut-etre pas a rendre de grands services.

    Laissons le peuple dire et croire, que c'eSl: abuser de son Esprit et ae ses talens, que de les faire servir au triomphe d'une Dol:rine oppose aux prn-cipes, ou plut6t aux prjugs gnralement re

  • CEuvres philosophiques

    Lgislateurs, Juges, Magisrrats, vous n'en vaudrez que mieux, quand la saine Philosophie clai-rera toutes vos dmarches ; vous ferez moins d'injus-tices, moins d'iniquits, moins d'infamies ; enhn vous contiendrez mieux les Hommes, Philosophes, qu'Ora-teurs, et Raisonnans, que Raisonneurs.

    Abuser de la Philosophie , comme de I'Eio-quence, pour sduire et augmenter les deux princi-pales facults de 1' Ame, !'une par l'autre, c'esr savoir habilement s'en servir. Croyez-vous que la Religion mette le plus foible a l'abri du plus fort? Pensez-vous que les prjugs des hommes soient autant de freins qui les retiennent? ~e leur bonne foi, leur probit, leur justice, ne tiendroient qu'a un !11, une fois dgages des chanes de la superstitiQn? Servez-vous de toute vtre force pour conserver un aveuglement prcieux, sur legue! puissent Ieurs yeux ne jamais s'ouvrir, si le malheur du monde en dpend ! Raffer-missez par la force d' Argumens captteux ieur foi chancelante ; ravalez leur foible gnie par la force du vtre a la Religion de leurs Peres ; donnez, comme nos sacrs ]osses, un air de vraisemblance aux plus

    rpugnan~es absurdits : que 1

  • CEuvres philosophiques

    graces au bon got elu sicle, eSt plus a la moele aujourel'hui que jamais. .

    Oi, Philosophes, voila v6tre devou : 1~ v6tre Princes c'eSl: d'carter tous les obstacles qm

    ' ' effraient les gnies tim~eles, c'eSl: el'~arter t

  • CEuvres philosophiques

    n'excitent point en vous cette levation, cette gran-deur d' Ame, qui ne connoit point le danger? A la ve de tant de beaux Ouvrages, etes-vous saos courage, saos amour propre? A la ve de tant d' Ame, ne vous en sen tez-vous point?

    J e ne dis pas que la libert de 1 'Esprit soit pr-frable a celle du corps ; mais que! homme, vraiment Homme, tant soit peu sensible a la belle gloire, ne vou-droit pas a pareil prix etre quelque tems priv de la derniere?

    Rougissez, Tyrans d'une Raison sublime ; semblables a des Polypes coups en une infinit de morceaux, les Ecrits que vous Condamnez au feu, sortent, pour ainsi dire, de leurs cendres, multiplis a l'infini. Ces Hommes que vous exilez, que vous forcez de quitter leur Patrie, (j'ose le dire, saos craindre qu'on me soup

  • CEuvres philosophiques

    Mon Naufrage, et tous les malheurs qui l'ont suivi, sont au reSte faciles a oublier dans un P.Ort aussi glorieux et aussi digne d'un Philosophe : J'Y bois a longs traits ]'oubli de tous les dangers que j'ai courus. Eh T le moien de se repentir d'une aussi neureuse faute que la mienne !

    - Mais quelle plus belle invitation aux Ama-teurs de la V rit ! On peut ici, Ap6tre de la seule Nature, braver les prjugs et tous les ennemis de la saine Philosophie, comme on se rit du courroux des flots dans une rade tranquille. Je n'entends plus gronder les miens que de lo1n, et comme une tempte qui bat le vaisseau dont je me suis sauv. ~el plaisir de n'avoir a faire sa Cour qu'a cette Reine immor-telle ! ~elle honte qu'on ne puisse ailleurs librement faire voile sur une Mer qui conduit a l'acquisition de tant de richesses, et comme au Perou des Sciences ! Beaux Esprits, Savans, Philosophes, Gnies de tous les genres, qui vous retient dans les fers de vos Contres? Celui que vous voiez, celui qui vous ouvre si libralement la Barriere, eS!: un Hros, qui jeune encore eS!: arriv au Temple de Mmoire par pres3ue tous les chemins qui y conduisent. Venez... ~e tardez-vous? 11 sera v6tre guide, v6tre modele et v6tre appui, il vous forcera par son illuStre exemple a marcher sur ses traces dans la pnible sentier de la gloire ; Dux et exemplum et necessitas, comme dit Pline le Jeune en un autre sujet. S'il ne vous eS!: pas donn de le suivre, vous partagerez du moins avec nous le plaisir de l'admirer de pfus pres. Certes, je le jure, ce n'eSl: pas sa Couronne c'eSl: son Esprit queJ"'envie.

    Vous que ces sacrs Perturbateurs 'un repos respehble n'ont point troubls, sous de si glorieux Auspices, paroissez hardiment, Ouvrages protgs ; vous ne le seriez point, si vous tiez dangereux, un Philosophe ne vous eut point faits, et le plus Sage des Rois ne vous eut point permis de paroitre. Un Esprit vaSl:e, profond, accoutum a rflchir, sait trop bien que ce qui n'est que philosophiquement vrai, ne peut tre nuisible.

    11 y a quelques annes, qu'envelopps d'un

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    Discours prliminaire

    triSte manteau, vous etlez, hlas ! rduits a vous montrer seuls, timides en quelque sorte, et comme autrefois les vers d'Ovide exil, sans v6tre Auteur, que vous craigniez mme de dmasquer ; semblables a ces tendres enfans qui voudroient drober leur Pere a la poursuite de trop cruels Cranciers. Aujourd'hui, (pour parodier cet aimable et malheureux Poete,) libres et plus heureux, vous n'irez plus en Ville sans lu, et vous marcherez l'un et l'autre, tete leve, entendant gronder le vulgaire, comme un Navigateur (pour parfer en Poete) sur de la Protetion de Neptune, entend gronder les flots.

    FIN

  • PREMIER MEMOIRE

    POUR SERVIR A L'HISTOIRE

    NATURELLE

    DE L'HOMME

  • L'HOMME MACHINE

  • A VERTISSEMENT DE L 'IMPRIMEUR

    On sera peut-etre surpris que j'aie os mettre mon nom a un livre aussi hardi que celui-ci. Je ne l'aurois certainement pas fait, si je n'avois cru la Religion a l'abri de toutes les tentatives qu'on fait pour la renverser; et si j'eusse pu me persuader, qu'un autre Imprimeur n'eut pas fait tres volontiers ce que 'aurois refus par prncipe de conscience. J e sai que a Prudence veut qu'on ne donne pas occasion aux Esprits foibles d'etre sduits. Mais en les suppo-sant tels, j'ai vu a la premiere led:ure qu'il n'y avoit rien a craindre pour eux. Pourquoi etre si attentif, et si alerte a supprimer les Argumens contraires aux Ides de la Div1nit et de la Religion? Cela ne peut-il pas faire croire au Peuple qu'on le !eurre? Et des qu'il commence a douter, adieu la convid:ion, et par consquent la Religion ! ~el moien, quelle esp-rance, de confondre jamais les Irrligionaires, si on semble les redouter? Comment les ramener, si en leur dfendant de se servir de leur raison, on se contente de dclamer contre leurs m~urs, a tout hazard, sans s'informer si elles mritent la meme censure que leur fac;on de penser.

    Une telle conduite donne gain de cause aux Incrdules ; Ils se moquent d'une Religion, que notre ignorance voudroit ne pouvoir etre concilie avec la Philosophie : ils chantent vid:oire dans leurs retran-chemens, que notre maniere de combattre leur fait

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  • CEuvres philosophiques

    croire invincibles. Si la Religion n'est pas vitorieuse; c'est la faute des mauvais Auteurs qui la dfendent.

    ~e les bons prennent la plume ; qu'ils se montrent bien arms ; et la Thologie l'emportera de haute lutte sur une aussi foible Rivale. Je compare les Athes a ces Gans qui voulurent escalader les Cieux : ils auront toujours le meme sort.

    Voila ce que j 'ai cru devoir mettre a la tete de cette petite Brochure, pour prvenir toute inqui-tude. Il ne me convient pas de rfuter ce que j'imprime ; ni meme de dire mon sentiment sur les raisonnemens qu'on trouvera dans cet crit. Les connoisseurs verront aisment que ce ne sont que des difficults qui se prsentent toutes les fois qu'on veut expliquer l'union de 1' Ame avec le Corps. Si les consquences, que l' Auteur en tire, sont dange-reuses, qu'on se souvienne qu'elles n'ont qu'une Hypothese pour fondement. En faut-il davantage pour les dtruire? Mais, s'il m'est permis de supposer ce que je ne crois pas ; quand meme ces consquences seroient difficiles a renverser, on n'en auroit qu'une plus belle occasion de briller. A vaincre sans pril, on triomphe sans g!oire.

    A MONSIEUR HALLER, PROFESSEUR EN MEDEClNE

    A GOTTlNGUE

    Ce n' eft point ici une Ddicace; vom tes fort au-dessm de Iom les Eloges que je pourrois vom donner; el je ne connois ren de si inutile, ni de si fa de, si ce n' efl un Discours Acadmique. Ce n' efl point une Exposi tion de la nouveUe Mthode que j' ai suivie pour relever un su jet m el rebattu. Vom fui trouverez du moins ce mrite; et vom jugerez au refle si votre Disciple el votre ami a bien rempli sa carriere. e efl le plaisir que j' ai eu a composer ce! ouvrage, don! je veux parfer; e' efl moi-mme, et non mon livre que je vom adres se, pour m' clairer sur la nature de cette sublime Volupt de /' Etude. Te/ efl le su jet de ce Discours. ]e ne serois pas le premier Ecrivain, qui, n' aiant rien a dire, pour rparer la Strilit de son Imagination, auroit pris un texte, ou i/ n'y en eut jamais. Dites-moi done, Doub/e Enfant d' ApoUon, Suisse Ifiuflre, Fracaflor Moderne, VOU8 qui savez !out a la fois connotre, mesurer fa Nature, qui p!m efl la sentir, qui p!m efl encare /'expri-mer : savant Mdecin, encare p!m grand Poete, dites-moi par que!s charmes f' Etude peut changer fes Heures en momens; queUe efl la Nature de ces plaisirs de /'Efjrit, si diffrens des p!aisirs vulgaires. .. Mais la /eflure de vos charmantes Poesies m' en a trap pntr moi-mme, pour que je n' essaie pas de dire ce qu' elles m' ont inspir. L'Homme, consider dans ce point de ve, n'a rien d'tranger a mon sujet.

    La Volupt des sens, que/que aimable et chrie qu' eUe soit, que!ques loges que fui ait donn la plume apparemment reconnoissante d'un jeune Medecin franrois, n' a

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  • CEuvres philosophiques

    qu'une seu/e jou!ssance qui eft son tombeau. Si le plair parjait ne la tue poinl sans retour, il fui faut un certain tems pour ressusciter. f2!!e les ressources des plaisirs de !'esprit soni diffrentes! plus on s'approche de la Vrit, plus on la trouve charmante. Non seulemenl sa joissance augmente les desirs; mais on joit ici, des qu' on cherche a joir. On joit long-tems, et cependant plus vi te que 1' clair ne parcourt. Faul-il s'tonner si la Volupt de I'Efjrit efl aussi suprieure a ce U e des sens, que 1' Efjrit es7 au dessus du Corps? L'Efjril n'es7-il pas le premier des Sens, et comme le rendez-vous de toutes les sensations? N') abou-tissent-eUes pas toutes, comme autant de raions, a un Centre qui les proJuit? N e cherchons done plus par quels invincibles charmes, un caur que ' Amour e la Verit enflame, se trouve tout-a-coup transport, pour ainsi dire, dans un monde plus beau, ou il goute des plaisirs dignes des Dieux. De toutes les Attralions de la Nature, la plus jorfe, du moins pour moi, comme pour vous, chez HaUer, eff ceUe de la Philoso-phie. f2!!eUe gloire plus beUe, que d' tre conduit a son Temple par la raison el la Sagesse! queUe conqute p!tM jlateuse que de se soumettre tous les Efjrits !

    Passons en reve tous les objels de ces plaisirs inconnus aux Ames Vulgaires. De queUe beaut, de queUe tende ne sont-ils pas? Le tems, !' efjace, l'injini, la !erre, la mer, le jinnament, tous les Elemens, toutes les sciences, tous les arts, tout entre dans ce genre de Volupt. Trop resserre dans les bornes du monde, eUe en imagine un miUion. La nature entiere efl son aliment, et l'imagination son triomphe. Entrons dans que/que dtai!.

    Tanto! e' efi fa Poesie ou la Peinture; tantt e' efl la Musique ou !' Architelure, le Chant, la Danse etc. qui jont gouter aux connoisseurs des plaisirs ravissans. Voiez la De/bar (jemme de Piron) dans une loge d'Opera; p!e et rouge tour-a-tour, eUe bat la mesure avec Rebel; s' attendrit avec lphignie, entre en fureur avec Ro!and etc. Toutes fes impressions de !'Orcheflre passent sur son visage, comme sur une toile. Ses yeux s' adoucissent, se pment, rient, ou s' armen! d'un courage guerrier. On la prend pour une joUe. EUe ne l'efl point, a moins qu'i! n'y ait de la folie a sentir le p!aisir. EUe n' eft que pnetre de miUe beauts qui m' chapent.

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    Ddicace

    Voltaire ne peut re{user des pleurs a sa Merope; c'efl qu'il sent le prix, el de l'ouvrage, et de/' Alrice. Vous ave7 fu ses crits; et malheureusement pour fui, i! n'efl point en 'ltat de lire les vtres. Dans fes mains, dans la mmoire de qui ne sont-ils p,u? Et que! caur assez dur pour ne point en tre attendri ! Comment toU8 ses gots ne se communique-roient-ils pds? 11 en parle avec lransport.

    f2!!'un grand Peinlre, je /' ai vu avec plaisir en lisant ces jours p&uss la Prface de Richardson, parle de la Peinture, quels loges ne fui donne-t-il pas? 11 aore son Art, il le me! au-dessU8 de tout, i/ doute presque qu' on puisse tre heureux sans tre Peintre. Tan! i! efl enchant de sa profession !

    f2!!i n' a p11s sen ti les mmes transports que Scaliger, ou le Pere MaUebranche, en lisant, ou que!ques beUes Tirades des Poetes Tragiques, Crees, Anglois, Franrois; ou certains Ouvrages Phi/osophiques? Jamais M"" Dacier n' eut compt sur ce que son Mari lu promettoit; et eUe trouva cent jois piU8. Si l'on prouve une sorte d'EnthoU8Ume a traduire et dve!opper les penses d' autrui, qu' efl-ce done si 1' on pense soi-mme? f2!!' es7-ce que ce !te gnration, ce! enf antement d'ldes, que produit le gotJt de la Nature et la rechercbe du Vrai? Comment peindre cet Afie de la Vo!ont, ou de fa Mmoire, par lequel l' Ame se reproduit en que/que sorte, en joignant une ide a une autre trace semblable, pour que de leur ressemb!ance et comme de !eur union, i! en naisse une troisieme : car admirez les produlions de la nature. TeUe efl son uniformit, qu' e U es se font presque toutes de la mme maniere.

    Les plaisirs des sens mal rg!s, perdent toute !eur vivacit et ne son! plU8 des p!aisirs. Ceux de !' Efjrit !eur ressemblent )U8qu' a un certain point. 1! Jau! fes sufjendre pour fes a~4uiser. En fin l' Etude a ses Exues, comme I'Amour. 5 il m'efl permis de le dire, c'efl une Catalepsie, ou immobilit de I'Efjrit, si dlicieU8ement enivr de l'objet qui le jixe et l'enchante, qu'i! semb!e dtach par abflralion de son propre corps et de !out ce qui l' environne, pour tre tout entier a ce qu'il poursuit. 11 ne sent rien, a force de sentir. Te! eff le plaisir qu' on goute, et en cherchant, et en trouvant la Vrit. Jugez de la puissance de ses charmes par 1' Extau d' Archimedes; VOU8 savez qu' eUe lu couta la vi e.

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  • CEuvres philosophiques

    Qjje les autres hommes se jettent dans la joule, pour ne pos se connotre, ou plutt se hair; le sage fuit le grand monde et cherche la solitude. Pourquoi ne se p!ait-il qu' avec lui-mme, ou avec ses semb!ables? C'eff que son Ame eff un miroir fidele, dans fequel son juffe amour propre trouve son compte a se regarder. Qjji es1 vertueux, n' a rien a craindre de sa propre connoiJsance, si ce n' es1 1' agrable danger de ' . s mmer.

    Comme aux ) 'CUX d'un Homme qui regarderoit la terre du haut des Cieux, toute la grandeur des mdres Hommes s' vanoiroit, les plue superbes Palais se change-roient en C:abanes, et les plus 110m~reuses Armes res.rem-blerozent a une troupe Je jourml5, combattant pour un grain avec la plm ridicule jurie; ainsi P.aroimnt le:' cbo.res a un sage, te/ que VOUS. 11 rzt de.r ValJ1eJ agzta!ZOJIS des Homme.r, quand leur multitude embarrasse la Terre et .re pous.re pour un ren, dont il eff ju.rle qu' aucun d' eux ne .roi t con ten!.

    !l.!:! e Pope dbute d' une maniere subl'!e dans son Essai sur I'Homme ! !l.!:!e le.r Grands el les Ro~& sont petzts devant fui! O vous, moins mon Matre, que mon Ami, qui aviez refu de la Nature la !J!me f?rc~ de gnie, que fui, dont vous avez abm; Ingrat, quz ne merztzez pas d exceller dans les sciences; vo_!'-8 ,m' ~vez appriJ .. a rire, comme ce granel Poete, ou plutot a gemzr ;ouets et des bagatelles, qu.z occupent srieusement les Monarques. C' e.rl a VOU8 que ;e doJJ tout mon bonheur. Non, la conqute du Monde entier ne vaut pas le p!aisir qu'un Philosophe goute dans son cabinet,. entou_r d' Amis mets, qui fui disent cependant tout ce qu't! dszre d' entendre. !l.!:! e Dieu ne m' te point le ncessaire et la san t, e' eff tout ce que je fui demande. Avec la ~ant, mon ca?u_r sans dgout aimera la vie. Avec le ncessazre, mon Efjmt content cultivera toujours la sagesse.

    Oui, f'Etude eff un plaiJir de tom fes ges, de tous_ les lieux, de toutes les sai.sons et de tom les momens. A quz Ciceron n' a-t-i/ pas donn envie d' en f aire !' heureme exp-rience? Amusement dans la jeunesse, dont il tempere les passions Jougueuses ,: pour le bien f,oter, j' ai que{quej~is t forc de me livrer. a I'Amour. ~ Amour ne .Jazt po.mt,Je peur a un sage : zl sazt tout allzer et tout jazre valozr 1 un par !' autre. Les nuages qui offusquent son entendement, ne

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    Ddicace

    le rendent point paresseux; ils ne fui indiquen! que le remede qui doit les diJsiper. 11 eff vrai que le Soleiln' ecarte pas plus vite ceux de I'Atmosphere.

    Dans la vieillesse, ge glac, o on n' eff plus propre, ni a donner, ni a recevoir d' autres plaiJirs, que/le plm grande ressource que la leE!ure et la mditation! Qjjel plaiJir de voir tom les jours, som ses yeux et par ses mains, croitre et se Jormer un Ouvrage qui charmera les siecles a venir, et mme ses contemporains! ]e voudroiJ, me diJoit un jour un Homme dont la vanit commenfoit a sentir le plaiJir d' tre Auteur, paJSer ma vi e a aller de chez moi chez !'Imprimeur. Avoit-il tort? Et lors qu'on eff applaudi, quel1e Mere tendre Jut jamaiJ plus charme d' avoir fait un enjant aimable?

    Pourquoi tant van ter les plaiJirs de /' Etude? J2!!i ignore que e' es1 un bien qui n' apporte point le dgout ou les inquitudes des autres biens? un trsor injwiJable, le plus sr contrepoiJon du cruel ennui; qui se promene et voyage avec nom, et en un mot nom suit par tout? Heureux qui a bris la chaine de tom ses prejugs! Celui-la seul gotera ce plaiJir dans toute sa puret? Celui-la seul joira de cette douce tranquillit d'Esprit, de ce parfait contentement d'une ame Jorfe et sans ambition, qui eff le Pere du bonheur, s'il n'eff le bonheur mme.

    Arrtons-nom un moment a jetter des fleurs sur les pas de ces grands Hommes que Minerve a, comme vous, couronns d'un Lierre immortel. Ici c'eff Flore qui vous invite avec Lincem, a monter par de nouveaux sentiers sur le sommet glac des Alpes, pour y admirer sous une autre Montagne de Neige un Jardn plant par les mains de la Nature : Jardn qui fut jadiJ tout l'hritage du celbre Professeur Suedois. De-la vom descendez dans ces prairies, dont les fleurs 1' attendent pour se ranger dans un ordre. qu' elles sembloient avoir jmqu' alors ddaign.

    La je voiJ MaupertuiJ, /'honneur de la Nation FranfoiJe, dont une autre a merit de jou!r. Il sor! de la tab/e d'un Prince, qui jait, dirai-je /' admiration, ou /' ton-nement de /'Euro pe? O va-t-i!? da m le Consei/ de la Nature, o /'attend Newton.

    !l.!:!e dirois-je du Chymiffe, du Geometre, du Physi-cien, du Mcanicien, de 1' Anatomiffe etc. ? Celui-ci a

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  • CEuvres philosophiques

    presqu'autant de plair a examiner I'Homme mort, qu'on en a eu a /ui donner la vie.

    MaiJ tout cede au grand Art de gurir. Le Medecin efl le seul Philosophe qui mrite de sa Patrie; il paroit comme les feres d'Helene dans les temptes de la vie. !l!!eDe Magie, que! Enchantement! Sa seule ve calme le sang, rend la paix a une ame agite et fait renaitre la douce efjerance au ca:ur des malheureux mortels. 1/ annonce la vie et la mort, comme un Aflronome prdit une Eclipse. Chacun a son f!ambeau qui 1' claire. MaiJ si l' Efbrit a eu du plaiJir a trouver fes regles qui le guident, que( triomphe, VOUS en jaites tous les jours l'heureuse exprience; que/ triomphe, quand 1' venement en a jufliji la hardiesse !

    La premiere utilit des Sciences efl done de les cultiver; e' efl-dja un bien rel et solide. Heureux qui a du got pour 1' tude! plus heureux qui rmsit a dlivrer par eUe son efjrit de ses iUusions, et son ca:ur de sa vanit; but dsirable, ou vous avez t conduit dans un ge encare tendre par les mains de la sagesse; tandiJ que tant de Pdans, apres un demi-siecle de veiUes et de travaux, plus courbs sous le faix des prjugs, que sous celui du tems, semblent avoir tout appriJ, except a penser. Science rare a la vrit, sur-tout c!ans les savans; et qui cependant devroit tre du moins fe fuit de toutes les autres, C efl a cette seu/e Science que )e me suJ appliqu des l'enfance. Jugez Mr. si j'ai rmsi : et que cet Hmmage de mon Amiti soit terneUement chri de fa vtre.

    r

    L'HOMME MACHINE

    Il ne suffit pas a un Sage d'tudier la Nature et la V rit ; il doit oser la dire en faveur du petit nombre de ceux qui veulent et peuvent penser car pour les autres, qui sont volontalrement Esclave~ des Prjugs, il ne leur est pas plus oossible d'atteindre la V rit, qu'aux Grenomlles de v~ler.

    Je rduis a deux, les SySl:emes des Philo-sophes sur ]'ame de i'Homme. Le premier, et le olus anden, eS!: le SySl:eme du Matrialisme ; le second eS!: celui du Spiritualisme.

    Les Mtaphisiciens, qui ont insinu oar la Matiere pourroit bien avoir la facult de penser; n'ont pas deshonor leur Raison. Pourquoi? C'eSl: qu'ils ont un avantage, (car ici c'en eS!: un,) de s'etre mal exprims. En effet, demander si la Matiere peut penser, sans la considrer autrement qu'en elle-meme, c'eSl: d~mander si la Matiere peut marquer les heures. On volt d'avance que nous viterons cet cueil, ou Mr. Locke a eu le malheur d'chouer.

    Les Leibnitiens, avec leurs Monades, ont lev une hypothese inintelligible. Ils ont plut6t spiritualis la Mattere, que matrialis !'Ame. Comment peut-on dfinir un Etre, dont la nature nous eS!: absolument inconnue?

    Descartes, et tous les Cartsiens parmi Jes-qu_els il y a lo!!g-tems qu'on a compt le; Mallebran-ch!Sl:es, ont fa1t la meme faute. Ils ont admis deux

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  • CEuvres philosophiques

    subStances distinB:es dans l'Homme comme s'ils les avoient vues et bien comptes. '

    Les plus sages ont dit que 1' Ame ne pouvoit se connoitre, que par les seules lumieres de la Foi : cependant en qualit d'Etres raisonnables, ils ont cru pouvoir se rserver le droit d'examiner ce que l'Ecri-ture a voulu dire par le mot Efj_Jrit, dont elle se sert, en parlant de 1' Ame humaine ; et dans leurs recherches, s'ils ne sont pas d'accord sur ce point avec les Thologiens, ceux-ci le sont-ils davantage entr'eux sur tous les autres?

    Voici en peu de mots le rsultat de toutes leurs rflxions.

    S'il y a un Dieu, il eSt Auteur de la Nature, comme de la Rvlation ; il nous a donn ]'une, pour expliquer l'autre ; et la Raison, pour les accorder ensemble.

    Se dfier des connoissances qu'on peut puiser dans les Corps anims, c'eSt regarder la Nature et la Rvlation, comme deux contratres qui se dtruisent ; et par consquent, c'eSt oser soutenir cette absurdit : que Dieu se contredit dans ses divers ouvrages, et nous tromfe.

    S'i y a une Rvlation, elle ne peut done dmentir la Nature. Par la Nature seule on peut dcouvrir le sens des paroles de l'Evangile, dont l'exprience seule eSt la vritable Interprete. En effet, les autres Commentateurs jusqu'ici n'ont fait qu'em-brouiller la V rit. Nous allons en juger par 1' Auteur du SpeElac!e de la Nature. Il eSt tonnant, dit-il, (au sujet de Mr. Locke,) qu'un Homme, qui dgrade notre Ame jusqu'a la croire une Ame de boe, ose tablir la Raison pour juge et souveraine Arbitre des MySteres de la Foi; car, ajoute-t-il, quelle ide ton-nante auroit-on du ChriStianisme, si l'on vouloit suivre la Raison?

    Outre que ces rflxions n'claircissent rien par rapport a la Foi, elles forment de si frivoles objeB:ions contre la Mthode de ceux ~ui croient pouvoir interpreter les Livres Saints, que j ai presque honte de perdre le tems a les rfuter.

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    L "Homme-machine

    I". L'excellence de la Raison ne dpend pas d'un arand mot vuide de sens ( l'immateria/it); mais de sa

    0force, de son tende, ou de sa Clair-vovance.

    Ainsi une Ame de boe, qui dcouvriroit, comme d'un coup d'ce_il, ~es ~app~rts et _le~ ~uites d'une _infinit d'ides, dtffioles a satstr, serott evtdemment preferable a une Ame sote et stupide, qui seroit faite des Elmens les plus prcieux. Ce n'eSt pas etre Philo-sophe, que de r?ugir ~vec _Pline, ?e. la misere de notre ongine. Ce qm parott vtl, eSt tct la chose la_ pl~s prcieuse, et pour laquelle la Nature semble avotr mts le plus d'art et le plus d'appareil. Mais comme l'Homme, quand meme il viendroit d'une Source encore plus vile en aparence, n'en seroit pa_s n;oi_ns_ le plus parfait de tous les Etres ; quelle que sott l ongtne de son Ame ; si elle eSt pure, noble, sublime, c'eSt une belle Ame, qui rend respeB:able quiconque en est dou.

    La seconde maniere de raisonner de Mr. Pluche, me paroit vicieuse, meme dans son svSteme, qui tient un peu du Fanatisme ; car si nous avons une ide de la Foi, qui soit contraire aux Prncipes les plus clairs, aux Verits les plus incontes-tables, il faut croire, pour l'honneur de la Rvlation et de son Auteur, que cette ide eSt fausse; et que nous ne connoissons point encore le sens des paroles de l'Evangile.

    De deux choses 1 'une ; o u tout est illusion, tant la Nature meme, que la Rvlation ; ou l'exp-rience seule peut rendre raison de la Foi. Mais que! plus grand ridicule que celui de notre Auteur? ]e m'imagine entendre un Pripatticien, qui diroit : Il ne faut pas croire 1 'exprience de Toricelli : car si n~:ms la croyions, si nous allions bannir l'horreur du vmcle, quelle tonnante Philosophie aurions-nous?

    J'ai fait voir combien le raisonnement de Mr. Pluche est vicieux *, afin de prouver premie-rement, que s'il y a u~e Rvlation, elle n'eSt_ point suffisamment dmontree par la seule autonte de

    * 11 pche evidemment par une ptition de Principe.

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  • CEuvres philosophques

    l'Eglise, et sans aucun examen de la Raison, comme le prtendent tous ceux qui la craignent. Secon-dement, pour mettre a l'abri de toute attaque la Mthode de ceux qui voudroient suivre la vote que je leur ouvre: d'interpr~ter les choses surnaturelles, tncomprehenstbles en sot, par les lumieres que chacun a re

  • CEuvres philosophiques

    approches de la Mort, que celui-la badine. ~e falloit-il a Canus Julius, a Sneque, a Ptrone, pour change: leur intrpidit, en pusillanimit, ou er: poltronnene :' Une obSt:ru8:ion dans la rate, dans le f01e, un embarras dans la veine porte. Pourquoi? Paree que .l'imagina-tion se bouche avec les visceres ; et de la natssent tous ces singuliers Phnomenes de l'affe8:ion hySt:rique et hvpocondriaque.

    ~ ~e dirois-je de nouveau sur ceux qui s'ima-ginent etre transforms en Loups-garoux, en Coqs, en Vampires, 9ui croi~nt. que les I\1-orts. les sucent? Pourquoi m arreterots-e a ceux qm cr01ent leur nez, ou autres membres de verre, et a qui il faut conseiller de coucher sur la paille, de peur qu'il ne. se cassen~ ; afin qu'ils en retrouvent l'us~ge et la vnt~ble ~ha1r, lorsque mettant le feu a la p_atlle, on leur f~tt cra.u~dre d'etre bruls : frayeur qm a quelquefots guen la Paralysie? ]e dois legerement passer sur des choses connes de tout le Monde.

    ] e ne serai pas plus long sur le dtail des effets du Sommeil. Voiez ce Soldat fatigu! Il ronfle dans la tranche, au bruit de cent pieces de cano~ ! Son Ame n'entend rien, son Sommeil eS!: une parfatte Apoplexie. Une Bombe va l'craser ;. il sentira peut-etre moins ce coup qu'un Inse8:e qm se trouve sous le pi.

    D'un autre cot, cet Homme que la Jalousie, la Haine l'Avarice ou l'Ambition dvore, ne peut trouver ~ucune rep~s. Le lieu le plus tranquille, les boissons les plus fraiches et les plus calmantes, tout eS!: inutile a qui n'a pas dlivr son ca:ur du tourment des Passions.

    L' Ame et le Corps s'endorment ensemble. A mesure que le mo~vement du sang .s~ calm~, un eloux sentiment de pa1x et ele tranqmlhte se repand dans toute la Machine ; 1' Ame se sent mollement s'appsantir avec les paupieres et s'affaisser avec les fibres elu cerveau : elle elevient ainsi peu a peu comme paralitique, avec tous les mu~cles du co;ps. Ceux-ci ne peuvent plus po~ter le potels ele la tete ; celle la ne peut plus soutemr le fareleau ele la pen-

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    L'Homme-machine

    se; elle est clans le Sommeil, comme n'etant point. La circulation se fait-elle avec trop de vitesse?

    l'Ame ne peut dormir. L'Ame eSt:-elle trop agite? le Sang ne peut se calmer; il galope dans les veines avec un bruit qu'on entend : telles sont les deux causes rciproques de l'insomni'. Cne seule fraieur dans les Songes fait battre le ca:ur a coups redoubls, et nous arrache a la ncessit, ou a la douceur du repos, comme feroient une vive douleur, ou des besoins urgens. Enfin, comme la seule cessation des fon8:ions de !'Ame procure le Sommeil, il est, meme pendant la veille, (qui n'est alors qu'une demie veille) eles sor-tes de petits Sommeils d'Ame tres frquens, des Rves a la Suisse, qui prouvent c1ue l'Ame n'attend pas tou-jou~s le corp~ pour do;mir ; car. si elle. ne ?.ort pas t~uta-fatt, combten peu S en faut 11 ! pmsqu 11 lm eS!: lm-possible d'assigner un seul objet auquel elle ait pret quelque attention, parmi cette foule inombrable d'ides confuses, qui comme autant de nuages, remplissent, pour ainsi dire, 1' Atmosphere de notre cerveau.

    L'Opium a trop ele rapport avec le Sommeil qu'il procure, pour ne pas le placer ici. Ce remede enivre, ainsi que le vin, le caff etc. chacun a sa maniere, et suivant sa dose. Il rend l'Homme heureux dans un tat qui sembleroit devoir etre le tombeau du sentiment, comme il eS!: l'image de la Mort. ~elle douce Lthargie ! L' Ame n'en voudroit jamais sortir. Elle toit en proie aux plus grandes douleurs ; elle ne sent plus que le seul plaisir de ne plus souff rir, et de joir de la plus charmante tranquillit. L'Opium change jusqu'a la volont ; il force 1' Ame. qui vouloit veiller et se divertir, d'aller se mettre a u Lit malgr elle. Je passe sous silence l'HiSt:oire des Poisons.

    C'eSt: en fouettant l'imagination, que le Caff, cet Antidote du Vin, dissipe nos maux de tete et nos chagrins, sans nous en menager, comme cette Liqueur, pour le lendemain.

    Contemplons 1' Ame dans ses autres besoins. Le corps humain eS!: une Machine qui monte

    elle meme ses ressorts ; vivante image du mouvement perpetuel. Les alimens entretiennent ce que la fievre

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  • CEuvres philosophiques

    excite. Sans eux 1 'Ame languit, entre en fureur, et meurt abattue. C'est une bougie dont la lumiere se ranime, au moment de s'teindre. Mais nourrissez le c_orps, versez dans ses tuiaux des Sucs vigoureux, des hqueurs fortes ; alors l' Ame, gnreuse comme elles, s'arme d'un fier courage, et le Soldat que l'eau eut fait

    -fu, devenu froce, court gaiement a la mort au bruit des tambours. C'eSt ainsi que l'eau chaude agite un sang, que l'eau froide eut calm.

    ~elle puissance d'un Repas ! La joie renait dans un cceur triSte ; elle passe dans 1 'Ame des Convives qui l'expriment par d'aimables chansons, ou le Fran~ois excelle. Le Mlancolique seul est accabl, et l'Homme d'tude n'y eSt plus propre.

    La viande cre rend les animaux froces ; les hommes le deviendroient par la meme nourriture. Cette frocit produit dans !'Ame l'orgueil, la haine, le mpris des autres Nations, l'indocilit et autres sentimens, qui dpravent le caraB:ere, comme des alimens grossiers font un esprit lourd, pais, dont la paresse et l'indolence sont les attributs favoris.

    Mr. Pope a bien connu tout l'empire de la gourmandise, lorsqu'il dit : Le grave Catius parle toujours de vertu, et croit que, qui souffre les Vie1eux, eSt vicieux lui-meme. Ces beaux sentimens durent jusqu'a l'heure du diner; alors il prfere un sclerat, qui a une table dlicate, a un Saint frugal.

    Considerez, dit-il ailleurs, le meme Homme en sant, ou en maladie ; possdant une belle charge, ou l'aiant perdue ; vous le verrez chrir la vie, ou la dtesrer, Fou a la chasse, Ivrogne dans une Assemble de Province, Poli au bal, bon Ami en Ville, sans foi a la Cour.

    On a vu en Suisse un Baillif, nomm Mr. Stei-guer de Wittighofen ; il toit a jeun le plus integre, et meme le plus indulgent des juges ; mais malheur au miserable qui se trouvoit sur la Sellette, lorsqu'il avoit fait un grand diner ! Il toit homme a faire pendre l'innocent, comme le coupable.

    Nous pensons, et meme nous ne sommes hon-netes Gens, que comme nous sommes gais, ou bra-

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    L'Homme-machine

    ves ; tout dpend de la maniere dont notre Machine eSt monte. On diroit en certains momens que 1' Ame habite dans l'eS'tomac, et que Van Helmont en mettant son sige dans. le pylore, ne se seroit trompe, qu'en prenant la parue pour le tout.

    A quels exces la faim cruelle peut nous porter.! Plus de respe0 pou_r les entrail!es _auxquelles on dott, ou on a donne fa v1e ; on les dechire a belles dents, on s'en fait d'horribles feStins ; et dans la fureur, dont on eSt transport le plus foible eSt roujours la proie du plus fort. '

    La grossesse, cette Emule dsire des paJes couleur~, ne se contente pas d'amener le plus souvent a sa s_mte les gouts dprav:s gui. a~comp,agnent ces deux etats : elle a quelquef01s fatt executer a 1' Ame les

    ~lus affr~ux c?mplots effets d'une manie subite, qui etouffe usqu a la ~o1 natt~relle: C'eSt ainsi que le cerveau, cette Matnce de 1 espnt se pervertit a sa maniere, avec celle du corps. '

    ~elle autre fureur d'Homme ou de Femme daos ceux que la continence et la san~ poursuivent C'eSt peu pour cette Fille timide et modeSte d'avoir perdu toute honte et toute pudeur elle ne regarde plus l'InceSte, que comme une femm~ galante regarde l'Adultere. Si ~es besoins ne trouvent pas de promts sou_lagemens, 1ls ne se borneront point aux simples ace1dens d'une passion Utrine, a la Manie, etc. cette malheureuse mourra d'un mal dont il y a tant de Mdecins. '

    . . Il ne fa~~ que des yeux pour voir l'Influence necessa1re de 1 age sur la raison. L' Ame suit les progres du corps, comme ceux de I'ducation. Dans le beau sexe, 1' Ame suit encore la dlicatesse du temprament : de la cette tendresse cette affeB:ion ces senti~ens vifs, plutt fonds su; la passion, qu~ sur la ra1so~ ; ces prjug_s, ces superStitions, dont la forte emp_rewte peut a pewe s'effacer etc. L'Homme, au contralre,_ dont le cervea~ et les nerfs. participent de la ~ermete ?e tous les sohdes, a l't;spnt, ainsi que les tratts du v1sage, plus nerveux : I'Education, dont manquent les femmes, ajoute encore de nouveaux

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  • CEuvres philosophiques

    degrs de force a son ame. Avec de tels secours de la Nature et de I'art, comment ne seroit-il pas pl~.s reconnoissant, plus gnreux, plus co_nSl:an_t en a~ltle, plus ferme dans l'adversit? etc. Ma1s, sUlvant a peu pres la pense de 1' Auteur des Lettres ~ur les PhyslO-nomies; ~ joint les graces de l'Espnt et du Corps a presque tous les sentimen~ du ~ceur les plus _tendres et les plus dlicats, ne dott potnt _no~s . env1er. un~ double force qui ne semble avou ete donnee a I'Homme; l'~ne, que pour se mieux pntrer ?e? attraits de la beaut; I'autre, que pour mteux servir a ses plaisirs. .

    II n'est pas plus ncessaire d'etre _ausst grand PhysionomiSl:e, que cet Auteur, pour devtner la q~alit de !'esprit, par 1~ ~gure,,.ou la fo~me ~es :ratt,~, Iorsqu'ils sont marques usqu a un certaln J?Olnt , qu ti ne l'eSl: d'etre grand Medee1n, pour cc:n!lOltre un m~l accompagn de tous ses symptomes evtdens. Examl-nez les Portraits de Locke, de Steele, de Berhaave, de Maupertuis, etc. vous ne serez point surpns ~e _leur trouver des Physionomies fortes, des yeu_x _d Atgle. Parcourez-en une infinit d'autres, vous dtSl:tnguerez toujours le beau du gra~d Gnie, et meme souvent l'honnete Homme du Fnpon.

    L'HiSl:oire nous offre un mmorable exemple de la puissance de l'air. Le f_ameux .p~c d~ Guise toit si fort convaincu que !-lenn. II_I qu~ 1 ~volt ~u tant 1~ fois en son pouvoir, n oserolt _amats ~ assa~stner, qu 11 partit pour B!oi~. Le ~hanceher Chtvernt apprenant son dpart~ s:ecna : v_oda_ u~ Homm~ .P:rdu. Lorsque s~ fatale prdthon fut uSl:tfiee pa~ l evenem~n~, on !~1 en demanda la raison. JI y a vzngt ans, dtt-11, que }~ connoiJ le Roi; il efl naturellement bon et mme joib!e; mal& j' ai observ qu' un rien !' impatiente et le met en fureur, lorsqu'i! jait foid. , . .

    Tel Peuple a 1 espnt lourd et ~upt?e ; . tel autre I'a vif, lger, p?trant. P'ou ce!,~ vtent ti, st ce n'eSl: en partie, et de Ja nournture qu ti prend, ~t de la semence de ses Peres, * et de ce Cahos de dtvers

    * L' Histoire des Animaux el des Hommes prouve I'Empre de la semence des Peres sur !'Esprit et le corps des Enfans.

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    L'Homme-machine

    lmens qui nagent daos l'immensit de l'air? L'esprit a comme le corps, ses maladies pidmiques et son scorbut.

    Te! eSl: l'empire du Climat, qu 'un H o mme qui en change, se ressent malgr lui de ce changement. C'eSl: une ~]ante ~mbula,nte, qui s'eSl: ~1le-m~me t~ansplante ; st le Chmat n eSt plus le meme, 1! eSt uste qu'elle 9genere, ou s'amliore.

    On prend tout encore de ceux avec qui l'on vit, leurs gestes, leurs accens etc. comme la paupiere se baisse a la menace du coup dont on est prvenu, ou par la meme raison que le corps du Spe!:ateur imite machinalement, et malgr lui, tous les mo uve-mens d'un bon Pantomime.

    Ce que je viens de dire prouve que la meilleure _Compagnie pour un Homme d'esr,rit, ~st la sienne, s'tl n'en trouve une semblable. L Espnt se roullle avec ceux qui n'en ont point, faute d'etre exerc : a la paume, on renvoie mal la bale, a qui la sert mal. J'aimerois mieux un Homme intelligent, qui n'auroit eu aucune ducation, que s'il en eut eu une mauvaise, pourvu qu'il fut encore assez jeune. Un Esprit mal conduit, est un Ateur que la Province a gat.

    Les divers tats de I'Ame sont done toujours corrlatifs a ceux du corps. Mais pour mieux dmon-trer toute cette dpendance, et ces causes, servons nous ici de 1' Anatomie compare ; Ouvrons les entrailles de l'Homme et des Animaux. Le moien de connoitre la Nature humaine, si l'on n'eSt clair par un juSte parallele de la Struture des uns et des autres !

    En gnral la forme et la composition du cerveau des ~adrupedes esta peu pres la meme, que dans l'Homme. Meme figure, meme disposition par tout; avec cette difference essentielle, que l'Homme eSt de tous les Animaux, celui qui a le plus de cerveau, et le cerveau le plus tortueux, en raison de )a masse de son corps : Ensuite le Singe, le CaStor, l'Elphant, le chien, le Renard, le Chat etc. voila les Animaux qui ressemblent le plus a l'Homme ; car on remarque aussi chez eux la meme Analogie gradue, par rapport au

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  • CEuvres philosophiques

    corps calleux, dans lequel Lancisi avoit tabli le sige de. f' Am~, avant f~u. M. de la Peyronie, qui cependant a tlluSI:re cette optmon par une foule d'expriences.

    . Ap~s tous les ~adrupedes, ce sont les Otseaux qm ont le plus de cerveau. Les Poissons ont la tete grosse ; mais elle eS!: vuide de seos comme celle de bien des Hommes. lis n'ont point de ~orps calleux, et fort peu de cerveau, legue! manque aux lnseB:es.

    Je ne me rpandrai point en un plus long dtail des varits de la Nature, ni en conjeB:ures, car !es unes et _les a u tres sont infinies ; comme on en peut uger, en ltsant les seuls Traits de Willis De Cerebro et de Anima Brutorum. '

    J e concluerai seulement ce qui s'ensuit clai-rement de ~es inconteStables Observations, Ie. que plus les Ammaux sont farouches, moins ils ont de cerveau ; 2 . que ce v~scere semble ~~&randir en

    que~q_ue sor~e, a p_roporuo_n. de Jeur doctltte ; 3e qu'il y a 1c1 une stnguhere condltlon tmpose ternellement par la Na~ure, qui eS!: que, plus on gagnera du cot de l'Espnt, plus on perdra du cot de l'inSt:inB:. Legue! l'emporte de la perte, ou du gain?

    Ne croiez pas au reSte que je veuille prtendre par la que le seul volume du cerveau suffise rour faire uger du degr de docilit des Animaux ; i faut que la qualit rponde encore a la quantit, et que les soliaes et les fluides soient daos cet quilibre conve-nable qui fait la sant.

    Si l'imbcile ne manque pas de cer:veau, comme on le remarque ordinairement, ce vtscere pchera par une mauvaise consiSI:ance, par trop de molesse, par exemple. Il en eS!: de meme des Fous les vices de leur cerveau ne se drobent pas toujour~ a nos recherches ; mais si les causes de l'imbcillit de la folie etc. ne sont pas sensibles, ou aller cherche; ce~les de la varit de ~ous les Esprits? Elles chape-

    rOl~nt aux yeux des Ltnx et des Argus. Un rien, une pettte fibre, que/que chose que la plm subtile Anatomie ne peut dcouvrir, eut fait deux Sots, d'Erasme, et de Fontenelle, qui le remarque lui meme daos un de ses meilleurs Dialo,P,ues.

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    L 'Homme-machine

    Outre h molesse de la moelle du cerveau d~ns les E~f~ns, dans les petits Chiens et dans le~ Otse~ux, \X tllts a re:narqu~ que les Corps canels sont effaces, et comme decolores, daos tous ces Animaux et que leurs s;ries Sle entendement, born aux observations les plus grossteres, ne puisse voir les liens qui rgnent entre la ca~se et les effets. C'eSI: une espece d'harmonie que les Phtlo~ophes ne. connoitront jamais.

    P~rmt les ~mma~x, les uns apprennent a parler et a chanter ? tls rettennent des airs, et prenent tous les tons, ausst exaB:ement qu'un Musicien. Les autr~s, qui montrent cependant plus d'esprit, tels que le Stnge, n'en peuvent venir a bout. Pourquoi cela si ce n'est pas. un vi~e des _organes de la parole? '

    Mats ce vtce eSI:-tl tellement de conformation ) ' . ' qu o.n .n y pmsse aporter aucun remede? En un mot serot~-tl absol_ume~t impossible d'apprendre une Lan-gue a cet Ammal :' J e ne le croi pas.

    ] e prendrois le grand Singe prfrablement a

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  • CEuvres philosophiques

    tour autre, jusqu'a ce que le hazard nous eut fait dcouvrir quelqu 'autre espece plus semblable a la n6tre, car ren ne rpugne qu'!l y en ait dans des Rgions qui nous sont wconnues. Cet Animal nous ressemblable si fort, que les N aturalistes l'o nt apell Homme Sauvage, ou Homm~ des bois. le le prendrois aux memes conditions des E coliers d 'A mman ; c'esr a dire, que je voudrois qu'il ne fut ni trop jeune, ni trop vieux ; car ceux qu'on nous apo rte en E urope, sont communment trop ags. Je choisirois celui qui auroit la physionomie la plus spirituelle, et qui tiendroit le mieux dans milles petites opratio ns, ce qu'elle m'au-roit promis. Enfin, ne me trouvan} pas digne d'etre son Gouverneur, je le mettrois a l'Eco le de l'excellent Matre c,ue je viens de nommer, ou d 'un autre aussi habile, s il en esr.

    Vous savez par le Livre d ' Amman, et par tous ceux* qui ont traduit sa Mthode, tous les prodiges qu 'il a su oprer sur les sourds de naissance, dans 1es yeux desquels il a, comme il le fait entendre lui-me~e, trouv des oreilles ; et en combien peu de tems enhn il leur a appris a entendre, parler, Ji re, et crire. J e veux que les yeux d'un sourd voient plus clair et soient plus intelligens que s'il ne l'toit pas, par la raison que la perte d'un membre, ou d 'un sens, peut augmenter la force, ou la pntration d'un autre : mais le Singe voit et entend ; ti comprend ce qu'il entend et ce qu'il voit. Il con

  • CEuvres philosophiques

    mon projet impossible et ridicule ; mais la similitude de la Strul:ure et des oprations du Singe eSt telle, que je ne doute