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L'AUTOPORTRAIT COMME SIGNE DE LA GLOIRE CHAPITRE 6 Ad ventura/Aventure 183 lorsque les peintres experts en leur art voient qu'on admire leurs œuvres, ils comprennent qu'ils sont presque semblables à un dieu. »67 Sa conception lie la notion platonicienne de furor à celle, médiévale, du deus artifex - le dieu architecte de l'univers - et les transfère toutes deux dans le nouveau personnage créateur de beauté. S'impose dès lors un autre défi face au monde, celui de la reconnaissance d'un statut comparable, une reconnaissance qui passe par la conquête de la notoriété et des honneurs. Alberti l'affirme: «Vous qui cherchez à vous distinguer par la peinture, visez avant toute chose le renom et la réputation que vous voyez atteints par les Anciens .•• 68 La gloire, en somme, est l'objectif déclaré de tout artiste qui s'engage dans cette difficile profession: « Ainsi cette pratique procure-t-elle du plaisir pendant que tu l'exerces, des éloges, des L'ARTISTE «DIVIN» Il nous faut revenir un instant sur la définition nouvelle de l'artiste, telle qu'elle est postulée, au xv< siècle, prin- cipalement à partir du milieu florentin. ous avons déjà fait allusion, à plusieurs reprises, à l'un de ses éléments clés: la dimension intellectuelle qu'elle revêt au sein de la société humaniste. La transformation du peintre arti- san, ouvrier des arts mécaniques, en membre des arts libéraux s'opère en incorporant l'artiste dans la catégo- rie des poètes « inspirés» par le souille des dieux, Leon Battista Alberti est très clair sur ce point. Il attribue à l'art une qualité «divine ", une conception qui sera longtemps reprise par la critique d'art. Alberti le précise d'emblée: «La peinture a en elle une force toute divine." Et de souligner: «Elle a donc ce mérite que Joshua Reynolds Autoportrait, vers 1780 Huile sur bois, 129,5x 105,1 cm Londres, Royal Academy of Arts <4169

Omar Calabrese l'Art de l'Autoportrait - 5

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o capítulo da obra é «Ad ventura/aventure»

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  • L'AUTOPORTRAIT COMME SIGNE DE LA GLOIRE

    CHAPITRE 6

    Ad ventura/Aventure

    183

    lorsque les peintres experts en leur art voient qu'onadmire leurs uvres, ils comprennent qu'ils sontpresque semblables un dieu. 67 Sa conception lie lanotion platonicienne de furor celle, mdivale, du deusartifex - le dieu architecte de l'univers - et les transfretoutes deux dans le nouveau personnage crateur debeaut. S'impose ds lors un autre dfi face au monde,celui de la reconnaissance d'un statut comparable, unereconnaissance qui passe par la conqute de la notoritet des honneurs. Alberti l'affirme: Vous qui cherchez vous distinguer par la peinture, visez avant toutechose le renom et la rputation que vous voyez atteintspar les Anciens.68 La gloire, en somme, est l'objectifdclar de tout artiste qui s'engage dans cette difficileprofession: Ainsi cette pratique procure-t-elle duplaisir pendant que tu l'exerces, des loges, des

    L'ARTISTE DIVIN

    Il nous faut revenir un instant sur la dfinition nouvellede l'artiste, telle qu'elle est postule, au xv< sicle, prin-cipalement partir du milieu florentin. ous avons djfait allusion, plusieurs reprises, l'un de ses lmentscls: la dimension intellectuelle qu'elle revt au sein dela socit humaniste. La transformation du peintre arti-san, ouvrier des arts mcaniques, en membre des artslibraux s'opre en incorporant l'artiste dans la catgo-rie des potes inspirs par le souille des dieux, LeonBattista Alberti est trs clair sur ce point. Il attribue l'art une qualit divine ", une conception qui seralongtemps reprise par la critique d'art. Alberti le prcised'emble: La peinture a en elle une force toutedivine." Et de souligner: Elle a donc ce mrite que

    Joshua ReynoldsAutoportrait, vers 1780Huile sur bois,129,5x 105,1 cmLondres, Royal Academyof Arts

  • 184

    170

    Gentile BelliniAutoportrait, 1480Dessin, 23 x 19,4 cmBerlin. Staatliche Museen,Kupferstichkabinett

    richesses et une ternelle renomme quand tu as uvrbrillamment. 69 la gloire sont donc ddis les essaisd'autoreprsentation, parmi lesquels figure la produc-tion d'autoportraits.

    La seconde moiti du xv' sicle et le XVI' siclerpteront cette thse avec une remarquable insistance.La raison pour laquelle Giorgio Vasari entreprendd'crire les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs etarchitectes ne saurait d'ailleurs s'expliquer autrement.Rappelons que Vasari place les artistes - en les consa-crant dfinitivement - au ct des autres hommesillustres de l'Histoire; ce faisant, il trouve le moyen deraliser l'objectif albertien, cette qute du renomque nous venons d'voquer. Le nom, en effet, ne devientmmoire que lorsque quelqu'un l'inscrit dans un dis-cours historique. D'autres dbats apparemment acad-miques relvent de ce mme cadre: celui, par exemple,sur le paragone delle arti, inaugur par Lonard de Vincisur les bases de l'ut pictura poesis, le clbre adaged'Horace (Art potique)70 La mise en parallle des arts- la peinture et la posie, puis la sculpture, l'architec-ture et la musique -, qui donnera lieu de doctes sp-culations techniques et rhtoriques, trouve sa probableorigine dans le dsir de l'artiste de s'affranchir des artsmcaniques et de s'apparenter l'crivain pote.

    Il va de soi que le combat pour l'affirmation del'artiste ne prsente pas seulement des aspects philo-sophiques: il se livre aussi sur le plan des comporte-ments pratiques et induit, dans la vie quotidienne, desvnements qui, parfois, n'ont rien de noble. La littra-ture consacre au sujet regorge d'anecdotes sur lesjalousies courtisanes, les prbendes sollicites auprsdes puissants, les disputes entre concurrents. La que-relle entre Benvenuto Cellini et Baccio Bandinelli - quirivalisaient Florence au temps de Cme de Mdicispour conqurir un rle de premier plan auprs dugrand-duc - est bien connue, de mme que celle quiopposait Michel-Ange Bartolomeo Ammannati dans lamme ville et pour les mmes motifs. On connat lesombrageuses relations du Bernin et de Claude Perraultdans le Paris du Roi-Soleil. On sait aussi le rle que joual'Artin en tant que propagandiste et agent de Titiendans toute l'Europe. On n'ignore rien non plus de lalutte quasi syndicale de Giovanni Battista Poggi contrela guilde des peintres gnois laquelle il refusa des'inscrire et qui lui fit subir, en retour, menaces etostracisme. Bref, la conqute d'un statut, durant deuxsicles au moins, s'est opre aussi bien dans le domainepurement culturel que dans celui de la sociologie duquotidien. Il n'en reste pas moins que l'aventure intel-lectuelle des artistes de cette priode est fascinante etqu'elle est parvenue d'importants rsultats sur le planesthtique. Au nombre desquels figurent la maturationet l'affinement de l'image de soi.

    Une longue liste d'autoportraits procde en effetde la thorie d'Alberti et de sa volont de faire dupeintre (du sculpteur et de l'architecte) un gentilhommeavant tout, puis un personnage influent, un notablede la socit. Prenons le temps d'en retracer les tapeset de passer en revue quelques modles fondamentaux.

    LE GENTILHOMME

    Il convient de rappeler ici les indications d'Alberti sur lecomportement social du peintre: Je dsire que lepeintre [... ] soit un homme de bien et vers dans lesdisciplines librales. [...1Dans ces conditions, l'hommede l'art devra observer parfaitement les bonnes murs,en se montrant surtout humain et affable, pour obtenirtout la fois la bienveillance qui lui donnera une solide

  • garantie contre la pauvret et les ressources qui l'aide-ront au mieux parfaire son art.,,71 La figure du gentil-homme qui s'est ainsi instaure recevra, quelquesdcennies plus tard, d'autres instructions, bien pluscodifies, l'usage de la vie de cour. Au milieu duXVI' sicle, par exemple, Paolo Pino traduira en cestermes l'idal du premier humanisme: [il ne convientpas que le peintre] frquente des personnes vulgaires,ignorantes ou imptueuses; [il faut] qu'il converse avecceux dont on peut apprendre et tirer profit et honneurs.Qu'il s'habille honorablement, qu'il ne soit jamais sansun serviteur, et qu'il use de toutes les commodits pos-sibles qui sont faites pour l'homme.""

    Les autoportraits de la Renaissance s'emploientsouvent nous montrer l'homme de l'art" vtu demanire convenable, la barbe et le cheveu soigns, ou levisage parfaitement ras et, bien sr, le port noble etaustre. Cet usage se rpand non seulement en Toscanemais aussi travers toute l'Europe. On peut citer cesujet deux exemples bien connus: l'Autoportrait dessin

    ILL 170 par Gentile Bellini (1480), dont le visage est immobileet le regard pos vers le lointain - l'horizon tant pardfinition le lieu de l'imaginaire et de l'inspiration -, et

    ILL 132 celui de Lucas Cranach (1550), o l'artiste, dj g etconfirm, se prsente dans toute sa dignit.

    Le gentilhomme de cour a quelque chose enplus: il suit fidlement la mode, dsormais, si l'on enjuge par les chemises au col parfaitement empes de

    III 171 Federico Barocci, dans un portrait de 1600, et d'Anni-bale Carrache - qui n'est pas rput pour avoir eu un

    III 172 caractre facile - dans l'Autoportrait de 1594.Les cours dans lesquelles s'affirme le modle du

    gentilhomme sont celles des grandes capitales euro-pennes, celles de Paris et de Londres en particulier.C'est dans cette dernire que s'impose d'ailleurs, d'unemanire quasi proverbiale, la figure du gentleman, vri-table institution de la socit britannique qui l'a reprisede l'Europe mridionale. Deux artistes, qui n'taient pasanglais, reprsentent le prototype alors en vogue dans

    III 292 me: Pieter Paul Rubens, dont les chroniques se plaisent voquer l'amabilit, la capacit qu'il avait s'entreteniren diverses langues avec ses interlocuteurs, l'lgancevestimentaire et la dlicatesse des attitudes; et Antoon

    ILL 143 Van Dyck, autre Flamand aux nombreuses frquenta-tions mondaines, issues gnralement de familles trsaises. Trois peintres britanniques suivront les traces de

    171Federico BarocciAutoportrait, 1600Huile sur bois. 42 x 33.1 cmFlorence, galerie des Offices

    185

  • -lII172

    Annibale CarracheAutoportrait, 1594Huile sur toile. 60 x 48 cmMilan, Pinacoteca di Brera

    .- 173Thomas GainsboroughAutoportrait, vers 1787Huile sur toile, 77,3 x 64,5 cmLondres. Royal Academy of Arts

    leurs lgants prdcesseurs. Joshua Reynolds arboreune impeccable tenue de promenade, tandis qu'unbuste de Buonarroti, dispos sur la droite du tableau(vers 1780), dnote un prtendu hritage culturelmichelanglesque. Thomas Gainsborough se prsente,quant lui, en habit de soire dans l'autoportrait qu'iloffrit son ami Abel (vers 1787) et dont il souhaitaitque l'on s'inspirt pour les gravures qui pourraient treralises aprs sa mort (il tait prvoyant: il mourutl'anne suivante). William Turner, enfin, apparat dansl'Autoportrait de 1799 en jeune homme lgant et raffinmais il tait dj, cette poque, un peintre protg parl'aristocratie londonienne...

    174

    William TurnerAutoportrait, vers 1799Huile sur toile. 74,8 x 58,4 cmLondres. Tate Gallery

    ILL. 173

    ILL. 1)4

    187

  • Au sicle suivant, c'est Paris, cette fois, qui est, n'en pas douter, la capitale de l'homme du monde. Onle constate aisment travers deux figures qui consti-tuent les parangons de la haute bourgeoisie duXIX' sicle. la premire est celle d'Eugne Delacroix: il

    111175 suffit d'observer dans son Autoportrait de 1839 la poseassure du personnage pour comprendre qu'il est debonne famille - son pre fut ministre et ambassadeur-et qu'il connat la bonne socit franaise de l'poque.On peut en dire autant de la seconde figure, EdgarDegas, fils de banquier, qui pratiquait le beau monde deParis et ses divertissements (les hippodromes, lesthtres, les cafs-concerts ... ). Ce n'est pas un hasard sisa frquentation des Impressionnistes l'a conduit enacqUrir la technique et le style, mais pas l'expressioncratrice ni le mode de vie bohme , comme en

    111136 tmoigne son Autoportrait de 1855. Un autoportraitencore traditionnel au demeurant... mais il est vrai qu'ilfaudra encore attendre quelques annes avant quen'closent les nouvelles tendances esthtiques.

    L'ARISTOCRATE

    Ds le XVI' sicle, l'un des objectifs premiers des artistesfut d'oprer un saut de classe en entrant dans lecercle de l'aristocratie. Beaucoup russirent dans cetteentreprise et se virent confrer le titre de chevalier quileur garantissait, plus que toute autre chose, une rente.Ce fut le cas de Raphal, plus tard du Bernin, et mmedu Caravage (pour qui cette distinction tait aussi unefaon de le protger des consquences de sa vie dr-gle). Cest surtout aux XVII' et XVIII' sicles - au momento la noblesse de cour accentue sa diffrence par rap-port aux autres en adoptant un vritable uniformearistocratique - que la satisfaction d'appartenir lanoblesse, si petite soit-elle, se manifeste le plus. EnAngleterre furent nomms baronnets Antoon VanDyck, Peter Lely (mme si le successeur de Van Dyck la charge de peintre de la Cour ne fut anobli qu'en1680, l'anne mme de sa mort) et Joshua Reynolds.Les grands peintres de la cour de Louis XIV se repr-sentent - et cela n'a rien de fortuit - pars de tous lesaccessoires caractristiques de la vie publique seigneu-riale. Dans son Autoportrait excut l'occasion de ladcoration fresque de la chapelle de Versailles,

    .. 175Eugne DelacroixAutoportrait, 1839Huile sur toile, 65 x 54,5 cmParis, muse du Louvre

    176Antoine CoypelAutoportrait, 1715Huile sur toile. 89 x 70 cmVersailles. muse du Chteau

    189

  • 177Hyacinthe RigaudAutoportrait, 1716Huile sur toile. 80 x 64 cmFlorence. galerie des Offices

    Francesco SolimenaAutoportrait. 1730Huile sur toile. 38 x 34 cmMadrid, museo dei Prado

    190

    Antoine Coypel porte le manteau de soie, la chemise ILL Ilibrode ainsi qu'une somptueuse perruque, et pose avecle livre contenant les gravures destines la ralisationdes mdailles du Roi-Soleil, pour lesquelles il avaitfourni les dessins. Charles Le Brun, habill d'une ILl.1l5manire analogue, se montre (1683-1684) dans uneattitude solennelle comme il sied un personnage queprotgent les plus hautes instances de l'tat - il fut lefavori de Richelieu puis du ministre Colbert - et unhaut fonctionnaire qui a fond puis dirig l'Acadmie,la plus importante institution officielle en matired'arts. On retrouve cette lgance vestimentaire et cettebelle assurance chez Hyacinthe Rigaud, mme si lapose, dans son Autoportrait de 1716, est peut-tre ILL 118moins solennelle, avec ce lger sourire qui affleure surses lvres. Rigaud frquentait assidment les milieuxhaut placs puisqu'il fut appel peindre un nombreimpressionnant de portraits officiels, y compris celuidu roi en personne. Quittons maintenant Paris pourNaples o Luca Giordano sut se faire apprcier pourses dons techniques et sa rapidit d'excution. Trsvite, celui que j'on surnommait Luca Fapresto futinvit par diverses cours europennes faire ladmonstration de son talent: Rome, Florence maisaussi Madrid o il vcut prs de dix ans. Son Auto- ILl. 139portrait de 1665 nous le dpeint assez jeune, en traind'effleurer d'un geste dlicat la chane qu'il porteautour du cou. L'un de ses quasi contemporains, Fran-cesco Solimena, n'avait peut-tre pas l'importance politique de Giordano, mais il avait ses entres dansles palais du pouvoir Naples, en qualit de peintre etd'architecte, et fut lui aussi invit par le roi d'Espagne Madrid. Sur son Autoportrait de 1730, il se donne ILL 177voir dans une tenue on ne peut plus aristocratique,occup dessiner l'intrieur de son atelier, devantl'une des uvres qui l'ont rendu clbre. Plus jeuneque les prcdents, mais fort bien intgr lui aussi dansl'aristocratie parisienne (ne fut-il pas le portraitistecapricieux mais trs pris de Madame de Pompadour ?),Maurice Quentin de La Tour nous offre une image assezdiffrente. Il est vrai que son esprit - ironique, libertin,amateur de ftes et de mondanits - appartient pleine-ment, dsormais, au XVIII' sicle. Ce n'est pas un hasardsi ses nombreux autres portraits le montrent toujoursun peu extravagant ou excentrique. Dans l'Autoportrait ILL 179de 1751, il pose avec lgance, en habit du soir et avec

  • '79Maurice Quentinde La TourAutoportrait 1751Pastel sur papier,64.5 x 53.5 cmAmiens, muse de Picardie

    SamuelVan HoogstratenAutoportrait dix-sept ans,1644Huile sur bois, 58 x 74 cmRotterdam, Boijmansvan Beuningen Museum

    une perruque de bal - ce genre de pose qu'un no-classique comme le peintre et critique d'art AntonRaphael Mengs jugeait brillante mais superficielle etproscrivait formellement de l'art du portrait".

    L'HOMME DE LETTRES

    Il est une autre caractristique fondamentale de l'artiste:c'est celle d'tre un homme de bonnes lettres , pourreprendre les termes d'Alberti qui identifiait sa figureavec celle de l'intellectuel, et surtout de J'crivain et dupote. la Renaissance, en effet, ces deux disciplinestaient souvent pratiques de pair. Alberti lui-mmetait crivain, de mme que ses contemporains LorenzoGhiberti, Filippo Brunelleschi et Piero della Francesca.Ce fut galement le cas, un peu plus tard, de Lonard deVinci, de Benvenuto Cellini, de Michel-Ange qui sedlectait de posie mais encore -le principe valant aussien dehors de l'Italie - d'Albrecht Drer qui connut ungrand succs comme auteur de traits. Quant GiorgioVasari, peintre la cour des Mdicis, il fut bien plus

    Ill. 11) clbre comme critique d'art. Un Autoportrait, sur

    lequel nous reviendrons bientt, le reprsente - ce quin'a rien de fortuit, l non plus - la main pose sur unlivre et la plume juste ct. Ce motif fut abondam-ment repris au XVII' sicle par des artistes de moindreimportance qui, manifestement, dsiraient eux aussi seconformer au modle humaniste. Ainsi, aux Pays-Bas,de nombreux peintres de genre se sont-ils reprsentsavec un livre, en train de prendre des notes, d'crire deslettres ou de travailler sur un carnet de croquis qui res-semble, subtile quivoque, un livre. Samuel Van Hoog-straten nous a laiss avec son Autoportrait dix-sept ans Ill. 180(1644) l'image d'un jeune homme studieux, totalementabsorb dans sa lecture. Plus tardif, l'Autoportrait lafentre nous le montre occup crire, cette fois, leregard perdu dans le lointain, en qute d'inspiration. Cetlve de Rembrandt fut d'ailleurs crivain: il composades pomes ainsi qu'un trait d'optique et de peinture,Inleyding tot de Hoge Schoole der Schilderkunst, publien 1678, qui remporta un norme succs, gal celuide ses collgues hollandais Van Mander et Houbraken.On ne sait si Gerrit Dou, autre lve de Rembrandt, s'estconsacr des travaux littraires, mais il a suivi exacte-ment le mme schma dans une srie d'autoportraits

  • 194

    .... 181

    Peter LelyAutoportrait en compagniede High May. 1675Huile sur toile,143.5 x 182.5 cmAudley End House, Essex,by permission of lord8raybrooke

    entre 1655 et 1665, dont trois, au moins, sont impor-tants: celui d'Amsterdam, celui de Boston et celui deNew York. Le premier nous donne l'illusion qu'il setient la fentre, avec un livre ou un cahier ouvertdevant lui, mais le rideau tir sur le ct et l'inscriptionen trompe-l'il nous invitent y voir une allusion lacamera obscura. Le deuxime reprend le schma enl'enrichissant de quelques dtails. Le troisime le meten scne l'intrieur de son atelier, occup excuterun dessin sur un grand bloc reli, mais l'atelier estencombr d'objets rudits : statues antiques, instru-ments musicaux, mappemonde, etc. Pieter Van derFaes, peintre germano-nerlandais tabli Londres etdevenu citoyen anglais en 1662 sous le nom de PeterLely, tait un personnage connu pour son rudition.

    ILL 181 Nous le voyons dans un autoportrait de 1675 en com-pagnie de High May. Tous deux semblent avoir t sai-sis au beau milieu d'une conversation autour d'un livre.Un autre artiste anglais - aux antipodes, cette fois, ducourtisan - aimait se reprsenter en homme de lettres :

    182 ..

    Gerrit DouAutoportrait, 1655Huile sur bois. 48 x 37 cmAmsterdam. Rijksmuseum

    William Hogarth, un prcurseur de l'intellectuel bour-geois indpendant comme on en verra au XIX' sicle.C'est lui que l'on doit un texte fondamental pourl'histoire de l'esthtique, l'Analysis of Beauty de 1753.Dans l'Autoportrait de 1745, il nous donne croire quesa propre image est un portrait ovale pos sur la tableo se tient Trump, son chien favori qu'il a peint end'autres circonstances. Trois livres servent de supportau tableau. Ils ont respectivement pour auteur Shakes-peare, Swift et Milton - autrement dit, les trois repr-sentants majeurs de la littrature britannique. ct,une palette dpourvue de couleurs, tout juste rehaussed'une ligne courbe et d'une inscription, prfigure ce quisera le nud des thories de Hogarth. Dans son futurtrait en effet, Hogarth fera l'loge de la ligne onduleou serpentine qu'il tient pour un nouvel lment deperfection esthtiqueH L'inscription l'annonce dj: the line of beauty and grace . Prcisons que ce motifde la palette la ligne courbe deviendra l'insigne del'artiste: on le retrouvera peint jusque sur son carrosse.

  • Gerrit DouAutoportrait, 1655Huile sur bois, 48 x 3Amsterdam, Rijksmu

    un prcurseur de l'intellectuellt comme on en verra au XIXeon doit un texte fondamentaltique, l'Analysis of Beauty deit de 1745, il nous donne cro':st un portrait ovale pos surp, son chien favori qu'il a ptnces. Trois livres servent de st respectivement pour auteur 5ilton - autrement dit, les troisde la littrature britannique.rvue de couleurs, tout juste ree et d'une inscription, prfigurethories de Hogarth. Dans so.garth fera l'loge de la ligne 0,'il tient pour un nouvel elmiqueH L'inscription l'annoney and grace }}. Prcisons que cligne courbe deviendra l'insirouvera peint jusque sur son ca

  • -41183William HogarthAutoportraitavec son chien, 1745Huile sur toile,90 x69,9 cmLondres, Tate Gallery

    douard ManetmiteZola, 1867-1868Huile sur toile,146 x 114 cmParis, muse d'Orsay

  • \1

    '98

    '85Henri Fantin-LatourAutour du piano. 1885Huile sur toile, 160 x 222 cmParis. muse d'Orsay

    Ill. 252

    T

    Au XIX' sicle, le problme de la reconnaissancedu statut intellectuel de l'artiste ne se pose videmmentplus_ Cependant, l'mergence des grands cnacles cultu-rels, qui se multiplieront partir de la seconde moitidu sicle, incite parfois les peintres rappeler leurlongue familiarit avec les hommes de lettres. Le grandtableau de Gustave Courbet de 1855, qui reprsente lepeintre l'intrieur d'un atelier, constitue en ce sens unvritable manifeste, si l'on considre la prsence, parmiles trs nombreuses figures qui l'animent, d'importantscrivains de l'poque, comme Charles Baudelaire. L'Ate-lier de Courbet n'tait pas, loin s'en faut, le prototypedu portrait de groupe. Pourtant, il s'est impos commeun nouveau modle iconographique: les Impression-nistes, en particulier, l'om repris leur compte, dediverses manires. Le tableau de 1874, que Henri Fantin-Latour a intitul Hommage Delacroix, est trs signifi-

    catif cet gard. Il fut prcd et suivi d'autres tableauxqui illustraient eux aussi sa frquentation des crivainset des musiciens, tel Un coin de table, de 1872, Autour ILL 18;du piano, de 1885, ou encore L'Atelier de Monet dans larue des Batignolles, de 1878. Sur chacune de ces uvresfigure le principal crivain du moment, mile Zola.douard Manet est sans doute l'artiste qui a su expri-mer au mieux son amiti avec Zola. Il a trouv une bellefaon d'excuter dans le mme temps un autoportrait ILL 184implicite 0867-1868). C'est en effet dans l'atelier del'artiste que Zola pose, occup feuilleter un livre illus-tr. Or la pice, microcosme personnel de Manet, estemplie de dtails indiquant sa prsence au ct de l'ami.Il y a des livres, bien sr, mais aussi des gravures, deslettres et bien d'autres objets tmoins. Ainsi le paraventen soie japonaise rappelle-t-il, tout comme l'estamped'Utamaro sur le mur, son intrt pour l'Extrme-

  • Ill. 185

    Ill. 184

    Orient. droite de l'estampe ont pris place deux repro-ductions d'uvres de Manet, la plus clbre (Olympia)et la plus critique: la gravure des Buveurs de VelZquez,expose au Salon de 1862 et rejete par la critique.

    LE CURSUS HONORUM

    Nous avons dit prcdemment que l'affirmation del'artiste n'tait pas un simple phnomne intellec-tuel mais aussi un fait social et conomique et nousavons eu l'occasion, dans le premier paragraphe de cechapitre, d'en voir quelques lments essentiels tra-vers le personnage du gentilhomme. Il nous faut souli-gner que les autoportraits portent galement la trace deshonneurs que les peintres, attachs une cour ou prot-gs par de riches mcnes, ont effectivement reus. Ils'agissait, l'origine, d'objets prcieux que les puissantsoffraient leurs artistes favoris. Par la suite, les distinc-tions se sont multiplies bien au-del des titres officielsqui donnaient droit une rente ou une pension. Lesacadmies qui virent le jour en Italie, au XVIe sicle,accordaient leurs membres et ceux qu'elles admet-taient en leur sein des patentes de qualit. La premireacadmie - encore prive - fut cre Rome par BaccioBandinelli en 1531. Bientt, d'autres institutions plusofficielles furent fondes, reconnues et subventionnespar l'tat. Florence, Vasari fonda en 1563 l'Accademia&: Compagnia delle arti del disegno, qu'il dirigea jusqu'sa mort. Rome, on institua en 1577, l'initiative deMuziano, l'Accademia di San Luca, qui comptait parmises fondateurs le chevalier d'Arpin. Bologne, l'Acca-demia degli Incamminati ouvrit ses portes en 1582 surles instances des Carrache. La premire acadmie qui sesoit constitue en dehors de l'Italie fut celle de Haarlem(577), l'initiative du peintre et critique hollandaisKarel Van Mander. Au XVII' sicle, le modle fut reprisdans toute l'Europe, commencer par Paris, o l'oninaugura en 1648 l'Acadmie royale, qui sera rorgani-se en 1661 par le ministre Colbert et se doublera, Rome, d'une Acadmie de France. La Royal Academy ofArts qui s'tablit Londres est bien plus tardive (1748),de mme que ses consurs de Vienne, Berlin et Madrid.

    Les acadmies dcernent des distinctions honori-fiques aux artistes qui se conforment le mieux certainscanons esthtiques pralablement dfinis, ce qui ne

    186-"

    Tiziano Vecellio,dit TitienAutoportrait, vers 1550Huile sur toile, 96 x 75 cmBerlin, Staatliche Museen

    187 ..Tiziano Vecellio.dit TitienAutoportrait, 1567Huile sur toile, 86 x 65 cmMadrid, museo dei Prado

  • 202

    ".188Giovan PaoloLomazzoAutoportrait. 1568Huile sur toile, 56 x44 cmMilan, Pinacoteca di Brera

    11189Diego VelazquezAutoportrait, 1631Huile sur toile,103,5 x 82,5 cmFlorence, galerie des Offices

    Ill. 186, 187

    Ill. 117

    Ill. 188

    Diego VelzquezDtail. Les Mnines, 1656Huile sur toile, 318 x 276 cmMadrid, museo deI Prado

    contribue gure, videmment, encourager les inno-vations artistiques (aujourd'hUi encore, l'adjectif acadmique a un double sens: il peut signifier lareconnaissance d'un artiste mais aussi son conserva-tisme absolu). Nanmoins, les artistes ont toujoursconvoit le titre que confrait l'admission l'Acadmie,autant que les privilges concds par les appareils del'tat et par les princes en particulier.

    Les autoportraits des artistes qui taient bieninsrs dans la socit gardent une trace ostensible deces ambitions. Tiziano Vecellio, dit Titien, par exemple,se vit confrer en 1533 le diplme de comte du palaisdu Latran, du Conseil aulique et du Consistoire imp-rial par Charles Quint qu'il avait rencontr quelquesmois plus tt, pour la deuxime fois, Bologne (il avaitfait la connaissance de l'empereur en 1530 l'occasionde son couronnement dans cette mme ville). Le comtepalatin fut galement nomm chevalier de l'peron d'or.Il reut les insignes affrents cette distinction: l'pe,la chane, l'peron d'or, ainsi que le droit d'entrerlibrement la Cour. Ses fils furent dclars nobles del'Empire et se virent attribuer les mmes privilges queles aristocrates depuis quatre gnrations. Pour recevoirune pension, cependant, Titien dut encore attendreonze ans: celle-ci ne lui sera octroye que le 25 aot1541, Milan, par Charles Quint, et s'lvera centducats. La fameuse chane d'or, en tout cas, se prsente,bien en vidence, sur les deux autoportraits attribusavec certitude Titien, celui de 1550 et celui de 1567.

    On peut observer un phnomne analogue dansl'autoportrait (conserv aux Offices) que Giorgio Vasaria excut la veille de la publication de la deuximedition de ses Vies des meilleurs peilltres (le volumeapparat nettement sur le tableau) : le grand surinten-dant des Mdicis porte en effet la chane, avec l'cuarmori du pape Pie V, que lui a dcerne son comman-ditaire Rome. Autre distinction, mais moins impor-tante: celle que porte, sur son imposant chapeau,Giovan Paolo Lomazzo. Il s'agit de l'insigne de sonappartenance l'Accademia da Val Blesio (dite aussiAccademia dei Facchini).

    Diego Rodriguez da Silva y Velazquez fut lui aussiun grand peintre de Cour. Durant toutes les annes qu'iltravailla au Palais, au service de Philippe IV d'Espagne,il n'eut cesse de gravir l'chelle des honneurs et de rece-voir des marques de reconnaissance: celle, d'abord, de

    peintre du Roi (1623) puis, en 1627, celle de huis-sier de la Chambre , charge que le souverain lui-mmeavait mise au concours l'intention des quatre artistesqu'il rtribuait; celle de huissier de la Cour en 1633,celle d'officier de la Garde-Robe royale ds 1634. En1642, Velzquez fut promu aide de Chambre per-sonnel du roi. En 1652, aprs diverses autres charges, ilparvint au znith de sa carrire en qualit de grandmarchal des palais royaux .

    Deux des autoportraits du peintre svillan - lesseuls que la critique, l'unanimit, s'accorde recon-natre comme authentiques - tmoignent des distinc-tions qu'il a reues. Sur le premier, qui date peut-tre Ill. lilde 1631, on voit nettement la clef qui symbolise sonstatut d'aide de Chambre. Cependant, l'ostentationavec laquelle cette clef noire parade la ceinture duprotagoniste laisse penser que l'uvre pourrait trepostrieure d'une dizaine d'annes: il se peut en effetqu'elle date de l'poque o Velzquez, sous ce mmetitre, se trouvait au service direct du roi. Le secondautoportrait, lui, est intgr dans Les Mllilles, la plusclbre de toutes ses toiles (1656). Le peintre au tra-vail porte l l'habituel pourpoint noir sur une chemiseau haut col finement pliSS, une tenue qui confirmebien le rle du peintre dans le crmonial de la Cour.Sur la poitrine s'tale une grande croix rouge en formed'pe, qui a suscit de mmorables conjectures. Cesymbole - celui de l'ordre militaire de Santiago-constitue certainement un ajout au tableau. D'aucunsveulent que ce soit le roi Philippe en personne qui l'aitpeint de sa main aprs la mort de l'artiste en 1660. Ilfaut rappeler toutefois que l'Ordre, en dpit des mul-tiples rticences de la commission charge de statuersur son admission, avait nomm Velzquez chevalierds 1659 et que l'ajout du symbole pourrait aussi bientre autographe.

    La critique, nous l'avons dit, reste partage sur laquestion de la paternit des autres autoportraits dupeintre. Prcisons qu'il en existe un Florence avec levisage seul, un Madrid qui le reprsente en buste, un Valence, plus juvnile, et un autre au palais Barberinide Rome, en buste galement. Si l'on prend en compteles datations proposes par la critique, on peut noter- pour autant, bien sr, que les uvres soient authen-tiques - que leur rythme concide avec celui des dis-tinctions honorifiques accordes l'artiste.

  • Un autre peintre de grand renom, qui a jou unrle important dans la socit de son temps, mrited'tre mentionn. Il s'agit de Jean Auguste DominiqueIngres. Les dernires annes de sa vie, notamment, lecomblrent d'honneurs: il fut nomm directeur de lavilla Mdicis Rome, grand commandeur de la Lgiond'honneur (1859), prsident de l'Acadmie des beaux-arts et snateur ( 1862). Trois de ses autoportraits, ex-

    nl. 137 cuts vers 1858, en tmoignent. Le premier, peint lademande du muse des Offices qui le destinait au corri-dor de Vasari o sont conservs des portraits de grandsmatres, nous le montre l'ge de 78 ans, portant sur lecol, droite, l'insigne de chevalier. Au cours des mois

    nl. 191 qui suivirent, Ingres reproduisit cette mme composi-tion en changeant lgrement la couleur de l'habit et eny insrant, surtout, de nouvelles mdailles. Sur letableau qu'il offrit sa seconde femme, Dauphine, et quifaisait pendant avec un portrait d'elle, il arbore l'toilede la Lgion d'honneur non sans une certaine ostenta-tion, mme si elle est en partie masque par le revers dela veste. Sur la poitrine, on remarque la prsence de lamdaille de l'ordre de Saint-Joseph dont le grand-ducde Toscane le gratifia au nom de l'autoportrait que lepeintre avait envoy Florence un an plus tt. D'aucunsont insinu - cela dit pour l'anecdote - que la partiecache de l'toile serait celle qui porte justement les sym-boles de celui qui la lui avait dcerne: Napolon III.Un cas de prtrition?

    LES SEIGNEURS DES ARTS

    Pour un artiste, en tout cas, la manire la plus glorieusede se reprsenter reste celle qui se fonde sur des prin-cipes idaux. Le succs d'un peintre est lgitim- surtout aprs l'avnement du calvinisme puis de laContre-Rforme - comme le signe de la grce divine ettrouve sa confirmation dans une illustration de soi en prince ou en seigneur de l'art. Deux grandsartistes se sont mesurs au thme de la peinture comme

    Ill. 191 muse inspiratrice. Artemisia Gentileschi, par exemple, ainaugur avec son Autoportrait (vers 1630-1637) unepratique toute fminine qui consiste s'identifier ladivinit elle-mme: elle se prsente en train de peindreavec, dans la main gauche, la palette et, dans la maindroite, le pinceau qu'elle lve vers une toile en cours

    '9'Artemisia GentileschiAutoportrait (La Peinture),vers 16301637Huile sur toile, 96,S x 73,7 cmThe Royal Collection,Her Majesty Queen Elizabeth Il

    '92Jean AugusteDominique IngresAutoportrait, 1859Huile sur papier marouflsur toile, 64.8 x 52 cmCambridge. Fogg ArtMuseum

    205

  • Nicolas PoussinAutoportrait, 1650Huile sur toile, 98 x 74 cmParis. muse du lOlNre

  • 207

  • 208

    ..... 196

    Bartolom EstebanMurilloAutoportrait, 1670-1673Huile sur toile, 122 x 107 cmLondres, National Gallery

    197 ..

    Annibale CarracheAutoportrait sur chevalet l'atelier, '595Huile sur toile,36,S x29,8 cmFlorence, galerie des Offices

    198 ....

    Annibale CarracheAutoportrait sur chevalet l'atelier, annes' 590Huile sur bois, 42,S x 30 cmSaint-Ptersbourg,muse de l'Ermitage

    perfectionn: les personnages, camps dans une attirudequelque peu condescendante, sont disposs comme s'ilsse tenaient derrire le parapet d'un balcon.

    Le second type consiste se reprsenter non pascomme une personne mais dj comme un tableau,autrement dit comme un portrait encadr. Nous avonsmentionn l'exemple de William Hogarth mais son "schma avait dj un prcdent. On peut citer le cas,brillant et significatif, de l'Autoportrait de BartolomEsteban Murillo, excut en 1670-1673. I.:artiste s'inscrit l'intrieur d'un mdaillon ovale- en forme de rniroir-mais il en sort d'un geste de la main: celle-ci en elfetempite, en trompe-l'il, sur le rebord externe, signequ'il s'agit bien d'un cadre. Le sens de cette mise enscne est subtil. Tout se passe comme si l'artiste voulaitnous dire qu'il s'agit l d'un portrait en sa mmoire, maisque, dans le mme temps, lui est encore bien vivant.Contribuent la solennit de l'ensemble les attributsplacs sur la console, juste sous le mdaillon (pinceaux,palette, dessins, crayon), ainsi que le cartouche surlequel on peut lire Bartolom Murillo, peignant sonpropre portrait pour exaucer les vux et prires de sesenfants . La subtilit s'en trouve accrue: si l'expressionpeiguant n'est pas le moins du monde valide par lapose, le prsent duratif, en revanche, l'est, et ce, juste-ment, grce au geste de la main qui nonce un je-ici-maintenant du discours. On notera que ce schma estsans doute le fruit d'une minutieuse rflexion, car il

  • SofonisbaAnguissolaLe peintre Bernardino Campipeignant le portraitde Sofonisba Anguisso/a,vers 1560Huile sur toile, 111 x 109 cmSienne, Pinacoteca Nazionale

    200Antoon Van DyckAutoportrait 1638Gravure sur cuivre,34 x 26 cmParis, muse du Louvre,chalcographie

    Nota Bene: L'inscriptionpar autodrisionest sciemment inverse

    211

  • Ill. 198

    Ill. 197

    Ill. 199

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    existe une version presque analogue et certainementcontemporaine de ce tableau, dans laquelle ne manquentque le cartouche et les objets disposs sur la console.

    Se peindre soi-mme en portrait revient signifier, videmment, que l'on est digne de laisser unsouvenir de soi travers le portrait lui-mme. Leconcept avait dj t mis en uvre, moyennant unetechnique diffrente, par deux peintres italiens. Lepremier est Annibale Carrache. Dans l'Autoportrait surchevalet l'atelier des annes 1590 (Ermitage) il rsoutla question d'une manire extraordinairement brillante.Il reprsente en effet sa propre image comme untableau, mais un tableau en cours d'laboration, nonfini, en attente des derniers dtails, qu'un peintre ano-nyme et distrait aurait laiss inachev, ct de sesoutils de travail. Ce tableau, qui dfie l'illusionnismedes matres nordiques, a t le fruit d'une tude atten-tive et tout fait rflchie si l'on en juge par les deuxuvres en rapport que nous conservons: l'esquisseprparatoire de Windsor Castle et la copie, galementautographe, de Florence. Peu d'artistes sont parvenus traduire aussi bien que Sofonisba Anguissola la lgi-timit que procure la dignit d'tre portrait. Elle ainvent en effet, avec Le Peintre Bernardino Campi pei-gnant le portrait de Sofonisba Anguissola, excut vers1560, une iconographie trs originale. L'hypothse dela dignit confre est ici confirme par le fait queCampi avait t le matre de Sofonisba et celui de sasur Lucia: si l'enseignant reprsente l'lve, c'est quel'lve a dpass l'enseignant.

    Le troisime et dernier type de monument dont il nous reste traiter est le monument propre-ment parler, la statue destine perptuer le souvenir

    imprissable, qui peut mme tre rige dans un lieupublic. Le premier qui ait pens un projet de ce genrefut Antoon Van Dyck: il a ralis vers 1638 une gravurequi verse, sans excs, dans l'autodrision, reprsentantson propre buste sculpt, plac sur un monumentpublic. lei aussi, nous sommes en prsence d'une petitevirtuosit: l'inscription qui l'accompagne apparat l'envers. L'image doit donc tre comprise comme sp-culaire. Le texte ( Icones principum virorum doctorumpictorum calcographorum statuarorum nec non amatorumpictoriae ams numero centum AB Antonio Van Dych pic-tore ad vivum extresse ) est entour de guirlandes orne-mentales et suivi de la date et de la signature du graveur.L'artiste, en somme, se ddie un monument dans lagalerie imaginaire des savants, des peintres, des gra-veurs, des sculpteurs (et, pourquoi pas, des amants) etse place lui-mme au centime rang de la liste. Ce jeu,qui manifeste un certain humour britannique, biencomprhensible pour le plus grand matre de la couranglaise, est toujours trs apprci. Nous en retrouvonsle schma dans l'uvre de deux plasticiens contempo-rains. Le premier, Jeff Koons, s'est lev en 1991 unbuste en marbre noclassique, aux bras tronqus lamanire des vestiges archologiques. Le second, JannisKounellis, artiste d'origine grecque tabli en Italie, aproduit en 1976 une installation constitue d'un paral-llpipde mtallique sur lequel repose le moulaged'une statue hellnique, repeint en bistre, les yeux cou-verts d'un bandeau. L'autoportrait est celui de sa proprepotique: Kounellis est connu, entre autres, pour leremploi de pltres tirs de statues antiques. L'ironie deVan Dyck est porte son terme en se faisant sarcasmecontre le ftichisme des amateurs d'art.

    Ill. 100

    201 Il'

    Jeff KoonsAutoportrait, 1991Marbre. 95.3 x 52,1 x 36.8 cmCollection prive

    III 201