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«P rédire»… «prévoir»… ces termes laissent entendre qu’il y a une logique ou une justice cau- sales dans la suite des choses; par contre, «prophétiser» laisse le der- nier mot aux caprices des cieux, ou du moins, à leur logique ou justice opaques; entre les deux, le médecin ou la météo auront un «pronostic», même si – et c’est devenu mérité - on parle des «prévisions» du temps. L’ennui, c’est que la «lumière» sur la «logique» et la «justice» des ef- fets et des causes n’est pas qu’une question de «progrès»… mais aussi d’intérêt. Nul bon vent pour qui a la fausse carte Cet été, à un colloque sur les armes dans l’espace (unidir.org), un mili- taire indien raconta une blague sur «deux plus deux» qui font quatre pour le savant, «à plus ou moins un pour cent» selon l’économiste, «combien vous en voulez?» de- mande l’avocat, tandis que pour le soldat, «si je savais compter, j’aurais un autre emploi». On peut donc tri- cher avec les «causes» et leurs suites: pendant deux siècles, l’opti- misme fut le gagne-pain des métiers bien cotés. On nous promettait l’ave- nir radieux par le vote ou la grève, par la science ou la Bourse, sur l’impôt ou à l’écran… et ce ne fut pas toujours faux. Mais plus par l’avion: à un salon en mai (ebace.aero), un expert de la Banque Mondiale avait livré des chiffres niant la fin de crise, avant de conclure: «Si ça ne vous plaît pas, payez-moi pour que je vous dise mieux». Les cinquante sages anonymes - consultés pour le «Plan stratégique» de l’économie genevoise sorti à mi-août – ont-ils été tous optimistes par intérêt ou par routine? Pas par «intérêt public»: dans notre République, le Départe- ment de l’économie est aussi celui de la sécurité. N’est-il pas risqué de laisser les méchants scénarios aux seuls jeux vidéo, même quand la ba- taille n’est que budgétaire (fin août, nos députés ont été «surpris» par la baisse des rentrées fiscales et la hausse de l’aide sociale)? Mais qui veut payer le prix du pessimisme, si «on n’est qu’au seuil de la crise» à contrer d’urgence? Nous voilà – comme les Anciens - réduits à faire des prières à Rousseau l’optimiste depuis son tricentenaire (contre centenaire.org). Comment miser à la baisse? Malgré tout et depuis peu, le pessi- misme est à son tour à la mode, mais pas toujours par conviction: écolos, humanitaires, et parfois chercheurs y font carrière. Jacques Attali a sorti sa «Brève histoire de l’avenir» il y a dix ans, et Fritz Lang – dans son «Me- tropolis» - nous a promis pareil dans dix ans. Plus ciblé, Dennis Meadows a réglé son compte au mythe chinois dans un article du «Monde» encore très actuel, malgré ses trois ans et trois mois d’âge: merci au géologue au chômage qui me l’a cité ces jours. Pour broyer du noir sur nos voisins d’Orient, Payot fera parler Gérard Chaliand dans quinze jours en notre ville. Le pire est d’être bien informé mais paralysé: un congrès en juin (imiscoe.org) a ouvert sur un souci: «l’érosion des droits» des migrants… et a fermé sur un autre, «l’oubli des droits» des locaux. Tout se perd, rien ne se gagne Assez: à quoi bon faire la somme des «causes»… on ne peut prouver que le «pire» est à venir: désormais, c’est moins une affaire d’équation que de regard. Selon le côté où on tourne ses yeux, l’un dira «Zut!» et l’autre, «Quoi?»; celui-ci verra un mouton, et celui-là le berger: com- ment manger le mouton sans rui- ner le berger, si l’argent manque? Pas sûr en tout cas que les deux manières de calculer le «produit intérieur» – par la valeur «créée» qui égale celle «payée» – lèvent le dilemme. «Pourquoi l’Univers a-t- il été créé?», demanda fin août un «supraconductiviste» (m2s-2015. ch) au patron du CERN, qui venait d’expliquer un autre «pourquoi» de sa science. «Posez la question aux papes», répondit le physicien en chef; merci d’ajouter «d’où vient la valeur ajoutée?»: en temps de crise, on a bien besoin du secret de ce qui semble si normal quand tout «croît». n Boris Engelson 7 septembre 2015 – N o 690 Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève- Gland-Saint Cergue). 168 818 exemplaires certifiés REMP/FRP. Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick Gravante Maquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie Gravante Flashage et impression: Mittelland Zeitungsdruck AG Distribution: Epsilon SA Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected] © Plurality Presse S.A., 2015 www.toutemploi.ch TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 690 • 7 SEPTEMBRE Optimiste ou pessimiste: lequel est le métier le mieux payé? Cassandre, princesse de Troie, n’était pas crue des siens, et en Samarie, les rois suivirent peu l’avis des prophètes de malheur. L’euphorie n’était pas non plus sans risque: chez les Ottomans, prédire une victoire et perdre la bataille était puni de mort, et au Japon, pas même besoin de bourreau: l’officier s’ouvrait lui-même le ventre… Les devins qui s’en tirèrent le mieux au fil des siècles furent l’Oracle de Delphes et la Pythie de Cumes, aux langues fourchues. Depuis Galilée, on voit plus loin: jusqu’au paradis des optimistes, payés sur la lunette à sous; alors que les pessimistes n’ont qu’un tableau noir dur à vendre… mais utile pour donner une bonne leçon. En commençant par cette question, qui grandit à chaque rentrée: le ciel va-t-il nous tomber sur la tête avant notre prochaine hausse de salaire?

Optimiste ou pessimiste: lequel est le métier le mieux payé?tirèrent le mieux au fil des siècles furent l’Oracle de Delphes et la Pythie de Cumes, aux langues fourchues. Depuis

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Page 1: Optimiste ou pessimiste: lequel est le métier le mieux payé?tirèrent le mieux au fil des siècles furent l’Oracle de Delphes et la Pythie de Cumes, aux langues fourchues. Depuis

«Prédire»… «prévoir»… ces termes laissent entendre qu’il y a

une logique ou une justice cau-sales dans la suite des choses; par contre, «prophétiser» laisse le der-nier mot aux caprices des cieux, ou du moins, à leur logique ou justice opaques; entre les deux, le médecin ou la météo auront un «pronostic», même si – et c’est devenu mérité - on parle des «prévisions» du temps. L’ennui, c’est que la «lumière» sur la «logique» et la «justice» des ef-fets et des causes n’est pas qu’une question de «progrès»… mais aussi d’intérêt.

Nul bon vent pour qui a la fausse carteCet été, à un colloque sur les armes dans l’espace (unidir.org), un mili-taire indien raconta une blague sur «deux plus deux» qui font quatre pour le savant, «à plus ou moins un pour cent» selon l’économiste, «combien vous en voulez?» de-mande l’avocat, tandis que pour le soldat, «si je savais compter, j’aurais un autre emploi». On peut donc tri-

cher avec les «causes» et leurs suites: pendant deux siècles, l’opti-misme fut le gagne-pain des métiers bien cotés. On nous promettait l’ave-nir radieux par le vote ou la grève, par la science ou la Bourse, sur l’impôt ou à l’écran… et ce ne fut pas toujours faux. Mais plus par l’avion: à un salon en mai (ebace.aero), un expert de la Banque Mondiale avait livré des chiffres niant la fin de crise, avant de conclure: «Si ça ne vous plaît pas, payez-moi pour que je vous dise mieux». Les cinquante sages anonymes - consultés pour le «Plan stratégique» de l’économie genevoise sorti à mi-août – ont-ils été tous optimistes par intérêt ou par routine? Pas par «intérêt public»: dans notre République, le Départe-ment de l’économie est aussi celui de la sécurité. N’est-il pas risqué de laisser les méchants scénarios aux seuls jeux vidéo, même quand la ba-taille n’est que budgétaire (fin août, nos députés ont été «surpris» par la baisse des rentrées fiscales et la hausse de l’aide sociale)? Mais qui veut payer le prix du pessimisme, si «on n’est qu’au seuil de la crise» à contrer d’urgence? Nous voilà –

comme les Anciens - réduits à faire des prières à Rousseau l’optimiste depuis son tricentenaire (contre centenaire.org).

Comment miser à la baisse?Malgré tout et depuis peu, le pessi-misme est à son tour à la mode, mais pas toujours par conviction: écolos, humanitaires, et parfois chercheurs y font carrière. Jacques Attali a sorti sa «Brève histoire de l’avenir» il y a dix ans, et Fritz Lang – dans son «Me-tropolis» - nous a promis pareil dans dix ans. Plus ciblé, Dennis Meadows a réglé son compte au mythe chinois dans un article du «Monde» encore très actuel, malgré ses trois ans et trois mois d’âge: merci au géologue au chômage qui me l’a cité ces jours. Pour broyer du noir sur nos voisins d’Orient, Payot fera parler Gérard Chaliand dans quinze jours en notre ville. Le pire est d’être bien informé mais paralysé: un congrès en juin (imiscoe.org) a ouvert sur un souci: «l’érosion des droits» des migrants… et a fermé sur un autre, «l’oubli des droits» des locaux.

Tout se perd, rien ne se gagneAssez: à quoi bon faire la somme des «causes»… on ne peut prouver que le «pire» est à venir: désormais, c’est moins une affaire d’équation que de regard. Selon le côté où on tourne ses yeux, l’un dira «Zut!» et l’autre, «Quoi?»; celui-ci verra un mouton, et celui-là le berger: com-ment manger le mouton sans rui-ner le berger, si l’argent manque? Pas sûr en tout cas que les deux manières de calculer le «produit intérieur» – par la valeur «créée» qui égale celle «payée» – lèvent le dilemme. «Pourquoi l’Univers a-t-il été créé?», demanda fin août un «supraconductiviste» (m2s-2015.ch) au patron du CERN, qui venait d’expliquer un autre «pourquoi» de sa science. «Posez la question aux papes», répondit le physicien en chef; merci d’ajouter «d’où vient la valeur ajoutée?»: en temps de crise, on a bien besoin du secret de ce qui semble si normal quand tout «croît». n

Boris Engelson

7 septembre 2015 – No 690

Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-Gland-Saint Cergue). 168 818 exemplaires certifiés REMP/FRP.

Edité par Plurality Presse S.A. Paraît le lundi Directeur-Rédacteur en chef: Thierry Oppikofer Coordination, Publicité, Gestion des annonces: Patrick GravanteMaquette: Imagic Sàrl Carouge, Daniel Hostettler, Sophie GravanteFlashage et impression: Mittelland Zeitungsdruck AGDistribution: Epsilon SA

Rédaction, Administration, Service de publicité: 8, rue Jacques-Grosselin • 1227 Carouge Tél. 022/307 02 27• Fax 022/307 02 22 CCP 17-394483-5 E-mail: [email protected]

© Plurality Presse S.A., 2015

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TOUT L’EMPLOI & FORMATION • NO 690 • 7 SEPTEMBRE

Optimiste ou pessimiste: lequel est le métier le mieux payé?Cassandre, princesse de Troie, n’était pas crue des siens, et en Samarie, les rois suivirent peu l’avis des prophètes de malheur. L’euphorie n’était pas non plus sans risque: chez les Ottomans, prédire une victoire et perdre la bataille était puni de mort, et au Japon, pas même besoin de bourreau: l’officier s’ouvrait lui-même le ventre… Les devins qui s’en tirèrent le mieux au fil des siècles furent l’Oracle de Delphes et la Pythie de Cumes, aux langues fourchues. Depuis Galilée, on voit plus loin: jusqu’au paradis des optimistes, payés sur la lunette à sous; alors que les pessimistes n’ont qu’un tableau noir dur à vendre… mais utile pour donner une bonne leçon. En commençant par cette question, qui grandit à chaque rentrée: le ciel va-t-il nous tomber sur la tête avant notre prochaine hausse de salaire?