L’Oracle, Thérapeutique de l’Angoisse

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  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    1/19

    KernosNumro 3 (1990)

    Varia

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Franois Jouan

    Lorale, thrapeutique de langoisse

    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Avertissement

    Le contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.

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    ................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    Rfrence lectroniqueFranois Jouan, Lorale, thrapeutique de langoisse , Kernos[En ligne], 3 | 1990, mis en ligne le 19 avril 2011.URL : http://kernos.revues.org/966

    DOI : en cours d'attribution

    diteur : Centre International dEtude de la religion grecque antiquehttp://kernos.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur : http://kernos.revues.org/966Ce document est le fac-simil de l'dition papier.Tous droits rservs

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    2/19

    L ORACLE, THR P UTIQU L ANGOISSE

    L angoisse es t souvent considre comme un de s

    traits

    dominants de

    notre

    civilisation : angoisse

    devant

    le s

    risques permanents

    de

    destruction de

    nos socits

    et mme

    de

    toute

    vie

    sur n ot re p la n te ,

    angoisse devant la

    monte de certains flaux, anciens

    o u n ou ve au x,

    cancer

    ou sida. Notre vie quotidienne

    est

    marque

    par

    u n e i ns tab il it

    qu i

    atteint

    tous

    le s domaines:

    volution

    r apide des techniques,

    fragilit

    croissante de s

    liens

    affectifs,

    incertitude

    des

    carrires,

    explosion de

    la

    violence,

    et

    mme variation des prix

    et

    des monnaies. La ncessit de

    s ada pte r sa ns

    cesse

    des situations

    nouvelles (je

    pense par

    exemple

    l informatique

    cre

    chez

    le s moi ns

    solides,

    ou les moins

    agiles,

    un

    effet de

    dsarroi

    qu i

    peut

    conduire

    au

    stress

    passager,

    ou

    la

    dpression mentale. Cette

    monte de l angoisse a

    naturellement suscit

    des

    remdes. Dans le s

    socits

    chrtiennes

    de

    nagure,

    un

    recours tait

    souvent

    offert par la religion

    : confession, direction de conscience,

    prire. ce t opium du peuple

    on t

    succd des types d opium srement

    plus nocifs

    qu e sont l es v al iu m, thalium et autres

    benzodiazpines,

    ces

    tranquillisants dont la

    France

    es t le

    pe u

    enviable champion,

    avec

    un e consommation de

    plus

    de cinquante millions de botes pa r

    an

    E t je

    ne

    parle pas

    de s drogues p ro pr em en t d it es

    ou

    de

    l alcool...

    Ce s

    anxiolytiques, comme

    leur nom l indique, moussent l anxit, mais

    e n e ff a an t chez l homme

    le

    besoin de

    comprendre

    le

    prsent et

    de se

    reprsenter l avenir . Les anxieux

    du futur,

    eux, trouvent profusion des

    porteurs

    d espoir,

    no n patents mais no n dsintresss, astrologues,

    voyantes sous le signe

    du

    soleil ou

    de la lune,

    gourous

    de toute

    provenance

    ou

    sectes

    exotiques. Les plus rflchis, comprenant

    qu e la

    c au se d e l angoisse s e t ro uv e

    s ur to u t e n

    eux-mmes, vont consulter ces

    mdecins de

    l m e q ui

    se

    sont

    vous

    la

    connaissance

    et

    la thrapie de

    la psych sous des

    enseignes

    diverses

    :

    psychothrapie,

    psychiatrie,

    psychologie clinique, psychosociologie, psychologie de l enfant,

    et j en

    oublie

    srement.

    Il ne f au t p o ur t an t pa s

    exagrer

    sur

    ce point

    l or iginalit de

    notre

    poque, car

    l angoisse

    es t

    u ne donne

    immdiate

    de

    la

    condition

    humaine, et

    en

    aucun t em ps , a uc un e civilisation n en a t prserve.

    L image de l a s r n it grecque n a

    gure

    survcu au oyage du eune

    nacharsis

    la

    posie

    d Andr Chnier et

    l art no-classique. Il

    suffit, pour faire

    prompte justice

    de

    m ir ag e, d e l ir e l es auteurs

    grecs,

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    3/19

    F JOU N

    d Homre

    la

    tragdie

    de Pl at on a u

    roman . Pens on s

    au x

    angoisses

    d Ac hille ou

    d Hector

    dans

    l pope d Ajax

    ou

    d dipe

    d Andromaque

    ou d Hcube dans la tragdie. En fait les conditions de vie dans les c its

    grecques de s ges

    archaque

    et classique renfermaient

    bien

    des

    prils

    q ue nos r gl es

    du droit

    d es g en s

    on t

    limins sinon

    totalement hlas

    au moins e n g ra nd e partie. Ainsi p ou r u ne

    nation

    moderne un e dfaite

    dans une g uerr e est certes un vnement

    grave

    cause

    de

    grands

    dommages moraux

    et

    matriels

    mais

    en

    principe elle

    ne

    m et pas

    en

    da nger la

    vie

    des habitants. L histoire grecque

    au

    contraire nous

    montre

    de no mbr eux cas o

    la

    dfaite se

    traduit

    par

    l anantissement

    de

    tout

    un p eu pl e :

    massacre

    de la population mle transfert des femmes en

    esclavage et

    dans

    le

    li t des vainqueurs

    dispersion des

    enfants

    pillage

    intgral

    des

    biens ville incendie e t r as e jusqu au sol. On conoit donc

    la panique d es f em me s de T hb es

    dans

    le

    drame

    d Eschyle lorsque les

    terribles

    chefs

    de l arm e argienne

    se prparent

    donner

    simultanment

    l assaut au x sept portes de

    la

    ville.

    Le s

    g ue rr es o nt

    toujours

    t f r qu en te s e n Grce.

    Au

    Ve s icle Athnes a forg sa

    grandeur

    dans

    la priode qu i

    va

    du

    grand

    pr il des

    guerres mdiques

    l impitoyable guerre du

    Ploponnse.

    Mais mme

    durant ces

    cinquante g l ~ r i u s s et bien p lu s a pr s 430 e lle a l ai ss un e forte

    proportion

    de

    se s

    soldats-citoyens

    sur

    les

    champs

    de

    bataille

    de Grc e

    d Asie

    Mineure

    d gypte ou de Sicile voire au fond de

    la Mditerrane

    ou du Pont-Euxin.

    Autant

    de

    sujets

    d anxit quotidienne pour l es n on

    combattants dont les

    chos se

    retrouvent dans

    la tragdie et mme chez

    Aristophane.

    D autres motifs

    d angoisse

    collective n e manquaient pas :

    pidmies famines

    et

    en particulier l ge archaque

    les

    tensions

    s oci al es

    l intrieur des

    cits. Le s

    prises

    de pouvoir alternes des

    factions oligarchiques dmocratiques ou

    t yr an ni qu es n al la ie nt p as

    sans

    massacres ou

    au moins sans confiscations et

    bannissements.

    Or

    en ces temps rien de moi ns enviabl e q ue

    la

    condition d un b an ni qui

    d an s u ne ville

    trangre

    n tait qu un apatride priv de

    toute

    protection

    lgale:

    le s

    plaintes

    d un

    Thognis

    au

    VIe sicle celles

    plus littraires

    de la Mde d Euripide

    tmoignent

    de c et te

    prcarit

    de vie

    laquelle

    l a l g is la ti on n e commencera gure remdier

    avant

    l e IVe sicle.

    l instabilit

    politique s ajoute dans la Grce

    archaq ue u ne

    crise

    morale

    et religieuse

    marque

    pa r un e apprciation profondment

    pessimiste

    de

    la c on di ti on de l h om me menac tout

    m om en t d tr e atteint

    par la

    s ou il lu re o u

    de su cco mb er

    la jalousie

    des die ux.

    Il

    s y joint ch ez l es

    esprits

    les plus rflchis un e a sp ir at io n m al s at is fa it e discerner

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    4/19

    derrire

    le

    spectacle chaotique

    du

    monde

    la

    manifestation

    d une

    volont

    surnaturelle

    d ordre

    et

    de justice.

    Mais mme dans le s

    priodes les moins

    agites

    de

    l histoire

    grecque il

    subsistait

    ces

    caus es ternelles d anx it q ue

    secrte

    pa r

    elle

    mme la

    vie

    humaine et qu i naissent

    du

    corps

    et

    de l esprit

    de la

    proche

    famille

    du mtier d u p et it

    groupe social. Nous

    verrons du

    reste pa r le s

    questions

    qu ils

    posaient leurs

    dieux que

    le s

    Anciens

    taient

    beaucoup

    moins

    torturs

    pa r des

    doutes

    m taphysiques que par des

    soucis

    plus

    i m m d ia ts c on ce rn an t leur

    sant leur

    russite et le sort de leurs

    proches. Et c est de cela que

    je

    me propose de vous parler. Mais vous me

    permettrez auparavant un bref retour

    en

    arrire q ui e xp li qu e

    ma

    prsence

    ici

    soir.

    C est symbolique m ent travers u n mythe - celui

    d u C en ta ur e-

    mdecin Chiron -

    qu e

    se

    sont

    amorces les relations

    entre

    le s

    membres

    du

    Centre de Recherches Mythologiques de

    Paris

    X

    et

    des mdecins de

    la

    Socit d tudes

    Psychothrapiques

    de langue franaise.

    Petit

    p et it e st

    n

    entre

    nous

    un

    projet de rflexion commune qu i

    s est

    matrial is en

    aot

    d er ni er d a ns

    l e Pr em ie r C on gr s

    International

    de

    Mythologie

    et

    de Psychothrapie

    sur

    le thme

    ngoisse et Divination

    Des

    sances

    de

    travail

    ont

    runi

    un e bonne centaine de participants

    Paris

    puis

    Delphes sous le patronage

    d Apollon

    avant un

    voyage

    t ra ve rs la

    Grce

    de s

    sanctuaires

    oraculaires et

    prophtiques. Et nous

    nous sommes

    trs

    vite aperus

    -

    no n

    sans

    une surpr ise qu e

    je

    qualifierais

    de divine

    q u au t er me

    de formations

    en

    apparence

    fort dissemblables

    nous

    tions

    en

    mesure le s un s et

    les

    autres

    de

    nous passer d interprtes ca r nous

    parlions une langue

    largement commune.

    Nous

    avons

    en

    effet

    d c ou ve rt b ea uc ou p

    de

    points de contact

    entre les deux types

    de

    cons ul ta ti on - l e

    mo t au m oi ns n ou s tait

    commun - celle

    du

    fidle

    antique

    auprs

    du

    dieu

    et

    celle

    du pati ent

    moderne auprs

    du

    mdecin de

    so n esprit. E t

    c est sans doute dans

    ce dernier

    mot

    qu e

    rside

    l explication. Le niveau

    ingal a tt ei n t p a r

    le s sciences mdicales pour

    le diagnostic et le traitement aurait pu conduire

    no s

    confrres

    considrer

    avec mpris

    la thr a pe utique

    de

    la rponse

    divine

    lance du

    trpied

    de

    la Pythie

    et

    r eue avec un e foi aveugle par

    le

    fidle antique.

    Mais sitt qu e d an s u ne

    affection

    la psych intervient

    avec

    le so - et

    la mdecine

    prend

    de

    plus

    en

    plus

    en

    c ompt e ce double

    facteur

    -

    on

    retombe sur

    la

    constance de rgles

    qu i

    n ont

    pa s

    plus

    vari

    qu e

    l a n at ur e

    de

    l e sp ri t h um a in .

    Je me

    limiterai

    ici quelques exemples puiss

    p r ci s me nt d an s

    le s

    rflexions de nos amis

    psy.

    Ainsi

    un

    psychotrapeute a soulign ce qu il a appel

    la

    fonction apostolique

    du

    mdecin :

    te l le

    fidle

    du

    pass

    l a p at ie nt

    moderne pose comme un e

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    5/19

    14

    F

    JOU N

    exigence ncessaire

    sa

    guenson

    l omniscience

    de celui

    qu i le

    soigne. Plusieurs o nt r ap pe l l i mp or ta nce

    de l hy pn ose

    dans

    le

    traitement d es a ng oi ss es

    particulirement

    dans

    certaines

    coles

    trangres

    le

    rle

    thrapeutique

    de

    la

    suggestion

    et de l esprance

    :

    en

    annonant

    ce qu i

    va lui arriver

    en l occurrence

    la

    gurison on facilite

    celle-ci. D au tr es n o nt p as hsit recourir au terme d e m ag ie propos

    de certaines

    mthodes

    de psychiatrie,

    ou

    encore de diverses

    branches

    des

    mdecines douces, si

    la mode dans tous les milieux. Une

    psychologue

    s est

    demand je

    la

    cite) comment ce qu on

    appelait

    l Esprit

    -

    ou

    le

    Dieu

    -

    dsormais rebaptis

    Inconscient

    peut-il

    agir, avec

    un e

    facilit

    dconcertante sur d es a ff ec ti on s t a n t physiques

    qu e

    psychiques rebelles tout autre moyen thrapeutique Un autre

    encore, partant d u p os tu lat que

    la

    divination es t l antiscience, n en a pa s

    moins

    relev

    plusieurs traits communs entre la divination oraculaire et

    la

    psychiatrie notamment

    celui d utiliser

    la rvlation du

    p as s p ou r

    effacer les inquitudes relatives

    au

    prsent

    et au

    futur.

    Mais

    je ne

    veux pa s

    refaire

    devant vous notre Congrs seulement

    indiquer la

    voie

    sur l aq ue ll e n ou s n ou s so mm es e ng ag s en commun

    avec

    la

    conscience de n tre encore q u a u d b ut

    du

    chemin. N ou s n ou s

    sommes donc donn r endez- vous Paris puis en Turquie dans

    la

    deuxime

    quinzaine d aot

    1990, aut o ur d u

    thme du

    Hros.

    Pour en

    revenir

    au x

    oracles,

    je

    veux simplement

    ra ppe le r l intr t

    qu e

    peuvent tirer nos tudes de confrontations avec des disciplines

    modernes qui semblent

    dans

    le

    principe

    l eu r tr e t ou t

    f ait trangr es.

    En

    effet,

    la lumire

    de s

    acquis

    scientifiques

    et de la

    pratique

    quotidienne de nos

    amis

    mdecins, nous avons

    t

    conduits

    envisager

    un peu

    au tr em ent la n atu re et la

    fonction des consultations oraculaires

    dans l Antiquit.

    C est donc un e brve

    promenade

    travers quelques

    sanctuaires

    prophtiques

    gr ec s q ue je vous invite. Nous vi te rons l es

    discussions rudites

    -

    toutes captivantes qu elles soient

    -

    qu i

    nourrissent par ailleurs nos

    dbats

    actuels,

    et nous

    concentrerons

    notre

    regard su r le consultant priv, q ui v ie nt c he rc he r

    la

    rponse divine

    un e an go is se p erso nn el le.

    Nous e xc lu ero ns donc

    le s consultations

    d une

    cit ou

    d une

    collectivit mme si u ne p es te

    ou

    un e

    famine

    sont

    na ture lle ment g nra te urs

    d angoisse). Nous carterons

    aussi

    le cas

    des

    sanctuaires de dieux gurisseurs

    comme Asclpios, qu i

    donnerait

    l arg emen t mati re

    un e

    autre

    confrence...

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    6/19

    La consultation d un

    oracle

    tait

    en

    Grce le moyen

    ultime mais

    non le plus courant, de tenter de pntrer les intentions des dieux

    su r

    le

    genre humain.

    En

    effet,

    le s Grecs considraient qu e

    le s

    dieux

    invisibles au x y eu x d es m or te ls , ta ie nt s an s cesse prsents

    au

    monde.

    Il s se manifestaient par de s signes qu il

    fallait

    dchiffrer si l on

    voulait accomplir leurs volonts

    et viter

    leur

    redoutable

    ressentiment.

    De tels signes pouvaient

    se

    manifester tout

    instant

    de la vie

    quoti di enne :

    un ternuement un e

    crampe,

    un

    faux-pas, un e

    rencontre

    imprvue, ou encore

    un e

    parole

    entendue

    pa r hasard

    et

    qui

    rpondait

    la

    quest ion qu on se posai t. Un t el typ e de signe, le kldon e n tr ai t d u reste

    dans

    l e mo de p ro ph t iq ue de

    certains sanctuaires

    : le

    consultant

    sortait

    du temple en

    se

    bouchant

    l es oreil les

    et

    la

    premire parole entendue

    ensuite

    a va it v al eu r d oracle. Toute

    manifestation

    cleste

    anormale

    tait

    impute la d iv in it : coup de

    tonnerre

    dans

    un

    ciel serein signe

    de Zeus

    bien

    sr), toile filante, clipse. Dans le sacrifice aussi, tout tait

    prsage

    tmoignant

    des dispositions du

    dieu

    : rejet par exemple,

    lorsque le taureau rpugnait r el ev er le muf le au bon moment, quand la

    c h vr e a sp er g e d eau ne frissonnait pas quand les poulets ou le s

    poissons refusaient le

    grain.

    On

    devait tenir

    compte d e la forme

    des

    viscres,

    et

    surtout du foie, de la qualit de la combustion

    et

    de la

    direction de la fume. Les prtres taient l pour expliciter la volont du

    dieu. Je passe

    su r

    le vol des oiseaux, trs pratiqu avec un code fort

    prcis l interprtation des rves par le s on iropoloi

    habiles

    distinguer le s vrais

    songes,

    venus de s

    dieux, de

    leurs

    erzatz

    sans

    valeur

    prophtique. Toute

    ville,

    mme

    tout village avait se s exgtes,

    amateurs ou professionnel s, qui se prtendaient

    capables

    d interprter

    ces d iv er s s ig ne s.

    De plus la Grce archaque tait parcourue par des devins

    itinrants les i trom nteis

    la

    fois prophtes

    et

    mdecins.

    C taient

    de

    vritables hommes de Dieu, q ui allaient de ville en ville,

    conseillant

    le s cits et le s familles, interprtant les sig nes prescrivant de s

    purifications et

    rglementant

    les cultes,

    faisant

    au

    sens

    propre la pluie

    et

    le beau temps

    et

    accomplissant l occasion des miracles.

    l ge classique,

    pour

    ceux

    qu i

    ne

    pouvaient consulter

    l oracle sur

    le vif, des chresmologues

    produisaient en

    quelque

    s or te d es

    oracles

    en

    conserve, s ou s forme de r ec ueils de

    prophties

    attribues

    un

    grand

    sanctuaire comme Delphes, ou

    d illustres

    inspirs d un pa ss plus ou

    moins lgendaire comme les devins hroques A mp hi arao s o u Mopsos,

    les potes

    Orphe

    o u Mus e, le s ag e s cy th e A ba ris . Ces o ra cl es du

    pass

    restaient

    encore imprgns de la puissance mag iq ue v en ue

    du

    dieu et ,

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    7/19

    OU N

    comme nos ora cle s de

    Nostradamus

    ils

    continuaient

    s a pplique r da ns

    la suite

    des temps.

    Mais

    tout

    cela

    restait

    de petits moyens pour de petites inquitudes ce

    qu e l un d entre

    nous

    appelait

    de

    l a sp ir in e p ou r

    l angoisse. Rien ne

    valait

    dans

    les cas

    graves le

    contact

    direct avec

    la divinit

    dans

    le s

    lieux mmes o elle

    avait

    tabli

    sa

    demeure. Des oracles, il y en

    avait

    pa r dizaines

    travers la

    Grce, des

    plus grands t enus pa r le s

    Olympiens

    au plus

    modestes, de

    rputation

    locale, fiefs de

    quelque dmon ou

    hros

    du pays sans parler

    des bouches des E nf er s

    qu i

    s ouvraient

    en

    divers

    endroits. Ils abondaie nt en

    particulier dans

    d es r g io ns

    comme

    la

    Botie

    ou la Thessalie o

    fleurissaient

    les cultes chtho niens . En

    effet,

    mme si

    l a p lu pa rt des grands

    oracles

    au x

    te mps historique s

    sont

    au x

    mains

    de s dieux olympiens Zeus Apollon,

    Herms

    Posidon

    l origine c tait des d es ses

    chthoniennes

    des Mres divines qu i

    avaient t

    le s pr em i re s

    prophtesses

    : Gaia

    ou

    G Delphes, Dion

    Dodone,

    D m t er e n

    plusieurs

    points du

    Ploponnse.

    No us b orn eron s

    notre r apide tourne quatre de ces

    ha uts lieux:

    Delphes,

    le

    Trophonion

    de Lbade, Dodone

    et

    l oracle

    de s

    morts

    d phyra.

    Il

    faut

    dire d abord qu e nous ne connaissons que

    trs

    imparfaitement dans

    la

    plupart

    de s cas, le

    rituel

    de la consultation

    o raculaire. M m e

    D el ph es ,

    malgr

    tant

    d e tm oign ag es

    littraires

    et

    pigraphiques bien de s

    dtails

    nous chappent

    car

    le s pratiques

    al lai ent t ell ement

    de soi po ur l es Anciens q u i ls se

    contentent

    le plus

    souvent

    de simples allusions.

    D autre

    part le s o ra cl es c on nu s

    le

    recueil

    classique de

    Parke et

    Wormell

    en

    r ecense six

    cent quinze pour

    Delphes) concernent

    surtout de s

    cits ou de

    grands

    personnages venus

    consulter sur

    d es p ro bl m es

    graves

    d ordre religieux politique

    ou

    militaire ce

    qu i

    fausse notre vision. Plutarque

    au Il e

    sicle,

    peut

    bien

    tmoigner quelque

    m pris pour

    les consultations

    de son

    temps

    o, dit-il

    en

    substance

    le s

    Grecs

    n interrogent le dieu qu e

    su r

    de s sujets

    mesquins et

    domestiques alors qu autrefois celui-ci n avait

    traiter

    que des

    grands i ntrt s

    de la Grce. so n habitude le bon Plutarque

    idalise

    par

    trop

    le

    pass

    et

    il

    parat

    bien qu toute

    poque

    le s

    consultations sur de s

    sujets privs constituaient

    la

    principale activit

    du

    sanctuaire.

    Mais elles ne

    mritaient p as d tre r ap po rt e s par le s

    auteurs o u g raves dans le marbre. Ce

    n est

    que fortuitement quand

    un

    grand de

    ce m on de pr ou ve

    quelque

    malheur

    domestique,

    qu e

    l on

    peut

    connatre

    la

    question,

    et

    parfois

    la

    rponse

    du

    dieu.

    La c on su lt at io n d u n de s oracles majeurs tait

    chose

    grave

    ncessitant

    des dmarches

    a u t re m e n t

    plus

    laborieuses e t

    impressionnantes qu e

    celles

    mmes qu i prcdent l entre

    du

    patient

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    8/19

    dans

    le

    c ab in et d u n

    des

    grands

    patrons

    de

    la

    mdecine

    actuelle.

    La

    r a li sa ti on r c la ma it d u

    temps des f atigues physiques

    de s

    formalits

    compliques

    de s

    d p en se s i mp or ta nt es . P re no ns le ca s de Delphes.

    D abord le s

    dates

    de consultation

    taient

    rares un e fois

    par

    mois

    semble-t-il l poque classique.

    Il

    fallait viser juste

    si

    l on venait

    de loi n. Or dans sa gorge

    rocheuse suspendue

    au flanc d u P ar n as se

    Delphes

    tait loigne d es r g io ns

    le s

    plus peuples de

    la

    Grce. L e

    voyage par terre travers la montagne n ta it p as e xe mp t d e d an ge rs .

    Aussi

    venait-on s ur to u t p a r

    mer mais

    -

    tombant de

    Char ybde en Scylla

    - on

    devait

    dbarquer Kyrrha

    dont

    les h ab it an ts ta ie nt r p ut s p ou r

    leur

    habitude

    de

    ranonner

    les plerins. Aprs la monte

    ardue

    jusqu au

    site il fallait prendre

    son

    tour en

    se

    faisant

    inscrire

    auprs du

    clerg u n t ou r fix

    s ui va nt u n r it ue l

    extrmement minutieux

    qu i

    tenait

    compte de s priorits promantie) et d e l o ri gi ne g og rap hi qu e d es

    consultants. galit su r ce plan i nt er ve na it u n t ir ag e au sort par la

    fve d o pe rc ep ti on d u ne t axe .

    Un e

    autre

    taxe le planos,

    tait

    dmande

    po ur l a consultation proprement dite. Il

    fallait

    aussi sacrifier

    un e

    chvre Apollon

    un e

    autre sans doute Athna

    Pronaa.

    On ne

    pouvait se rattraper s ur la viande un e

    partie

    tant dpose sur

    la

    table

    sacre

    dans

    le temple

    un e autre

    prleve

    par

    le

    prtre et

    le

    sacrificateur po ur le cou telas s ui va nt l a f or mu le . L e f idl e soumis

    au silence religieux l euphmia tait encore tenu de s purifications et

    des ablutions

    l eau

    de Castalie.

    Ce

    n es t q u a u te rm e

    d e ces com plex es

    prparatifs

    qu e

    le

    consultant

    p re na it s a place dans la procession de s

    plerins

    du jour : avec eux il

    gravissait la voie

    sacre franchissait

    la

    rampe

    d accs p ntrait da ns

    le prodomos pour entrer dans le sa nctuaire propre me nt

    dit.

    L il

    l on geait l au tel de Posidon

    et

    le foyer

    d Hestia

    t ra ve rs u n

    fouillis

    d offrandes pendant a ux p ou tr es du plafond accroches au x murs

    poses su r le sol

    statues vases

    votifs armes etc. Au fond du sanctuaire

    il parvenait enfin l adyton

    o

    la Pythie sur son trpied

    allait

    rvler

    la sentence d Apollon. C tait vraiment le sa int de s saint s avec de s

    reli qu es v nrab les

    la pierre de l omphalos, le no mb ril du monde

    surmont

    de deux

    aigles d or le laurier et la statue d Apollon le

    tombeau de

    Dionysos.

    On imagine l motion

    et

    le

    respect

    qu i

    remplissaient

    le co ns u lt ant en fin arri v au

    terme d un

    t el p r ip le

    initiatique l espoir

    aussi

    au

    moment de voir son angoisse prise

    en

    compte et dissipe p ar l a parole du dieu. Ce

    n es t p as

    ici l e lieu de traiter

    le s

    multiples points encore en discussion

    parmi les spcialistes sur

    le s

    dispositions matrielles de l adyton

    et

    la pl ac e d es

    consultants

    su r

    le

    dlire ou l a bse nc e de d li re de la Pythie su r fameuse

    fissure

    du sol

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    9/19

    18

    F OU N

    dsonuais

    oblitre

    par

    le veto des gologues.

    On

    ne sait mme

    pas

    si l es

    questions

    taient poses

    par crit

    o u o ra le me nt . I l semb le, en tou t cas,

    contrairement des traditions t en ace s, que l es

    rponses

    de la

    Pythie

    taient

    rendues en tenues

    clairs. Parfo is mme, la bonne poque, elles

    taient formules en vers, mais non

    pas

    sans doute dans les cas

    ordinaires

    que

    nous envisageons. Certaines

    rponses

    par ou ou o

    pouvaient

    tre donnes par un simple

    tirage

    au sort de la Pythie - car

    c tait

    le

    dieu qui

    conduisait

    sa

    main -

    et

    il es t q uestio n d es so rts

    qui

    bondissaient

    hors

    du trpied c est--dire de la vasque surmontant le

    trpied

    et

    dans laquelle s asseyait la

    Pythie).

    D autres

    procds

    sont

    encore voqus, et il y

    en

    avait

    srement

    pour t ous les prix et pour les

    consultants les p lu s mod es tes.

    En tout cas, son angoisse exorcise

    et

    muni de sa rp on se, le p lerin

    n avait plus qu rentrer

    chez

    lui et

    excuter

    dans l a

    srnit

    l ordre

    du

    dieu mme si, comme no us le v erro ns, cet or dr e p ou va itlu i sembler

    absurde), certain q u Apo llon v oy ait p lu s clair

    et plus

    loin

    que lui

    dans

    l avenir.

    la limite de la

    plaine

    de Bo ti e

    et

    des premiers

    contreforts

    du

    Parnasse,

    su r

    la route

    d Athnes

    Del phes, l ancienne

    Lbade

    maintenant

    Liv ad ia -

    tait

    le sige de l oracle de Trophonios. Ce devin

    semble avoir

    t

    l orig in e u ne s imple p iclse d un Zeus Chthonien, un

    Zeus nourricier. La

    pit populaire

    en avait

    fait

    un

    dmiurge des

    temps

    mythiques,

    le

    constructeur,

    ent re autres , du premier

    temple

    en

    dur d Apollon Delphes, un archi tecte

    inspir,

    mais

    aussi un

    peu

    escroc - cela

    arrive Nanmoins, i l

    tait

    devenu bien p lus

    tard

    une

    d iv in it p ro ph tiqu e, q ui

    entretenait

    des liens privilgis avec Apollon.

    L on d Euripide

    nous

    montre le roi d A thn es, Xouthos, en mal de

    descendance, qui consulte au passage l oracle de Trophonios avant celui

    de Delph es ,

    et

    on voit

    souvent

    Apollon

    lui adresser

    des clients. Il y

    avait L b ad e un ensemble religieux trs important, avec d es temples

    et chapelles non seulement Trophonios et s es e nf an ts , mais en co re

    Zeus-Roi, Hra-Aurige, Apollon, Cronos,

    Dmter-Europe.

    De

    cela, comme de

    la

    grotte

    oraculaire, i l ne

    reste

    plus rien.

    L oracle

    proprement dit tait situ au-dessus de

    la

    ville, dans le ravin s au vage o

    coulait le torrent Hercyna. L

    s ouvrait

    un

    antre.

    Au fond

    dvalait

    avec

    fracas

    un courant d eau

    qu i

    produisait

    un v io lent app el d air . Ici enco re,

    le consultant subissait une

    longue

    prparation.

    Reclus

    dans un

    local

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    10/19

    l enseigne

    du

    Bo n

    Gnie

    et

    de

    la

    B on ne C ha nc e

    il

    poursuivait

    instruction

    et purifications, celles-ci exclusivement l eau glace de

    la

    Hercyna. I l d evait sacrifier

    chacune

    de s

    divinits

    qu e je viens

    d numrer

    et

    ddier des offrandes aux d eu x s ou rc es de M n mo sy n

    et

    de

    Lth

    - la Mmoire

    et

    l Oubli.

    Tout

    cela accompli, au

    premier

    jour faste, il se

    rendait

    l an tr e e n

    vtements blancs, accompagn des prtres mais il descendait seul dans

    u ne p re mi r e cavit, en s aidant d un e p et it e chelle. Ce

    faisant il ne

    devait p as lcher le s prsents des gteaux de miel) d es ti n s a ux

    s erpents s acrs qui se prcipitaient sur lui. De l il se glis sait, les pieds

    devant dans une

    troite faille du

    rocher pour

    parvenir l dyton

    proprement dit. Que se passait-il alors

    ?

    Pausanias le consciencieux

    au te ur du Priple de la rce qui nous

    di t

    avoir men

    un e

    enqute

    personnelle

    sur

    place

    et

    avoir tt de l oracle, dclare seulement qu on

    apprenait l avenir, soit par

    des visions

    soit par

    de s paroles

    ent endues . Au sicle prcdent, Plutarque nous liv re le rcit beaucoup

    plus

    dramatique et

    circonstanci d une cons ult ati on

    attribue

    un

    disciple

    de S oc ra te

    Timarque de Chrone.

    tendu

    sur le sol du

    souterrain

    noy de t nbres, dans un tat intermdiaire entre

    la

    veille et

    le sommeil, Timarque a l i mpression de recevoi r un coup violent sur la

    tte accompagn d un bruit

    assourdissant et son

    me q ui tt e son corps

    par les fentes de son crne pour se dployer, dit-il, comme un voile.

    Il

    atteint alors un e priode d euphori e o i l contemple avec ravissement le

    spectacle color de

    la

    vote cleste, berc

    par

    la

    musique

    de

    l harmonie

    des sphres. Puis le dcor change, pour une vision qu on a

    pu

    qualifier

    de da ntes qu e : un gouffre r ond , p le in de tnbres a gi t es comme d es

    vagues. De l dit-il, s levaient

    un e

    infinit de hurlements

    et

    de

    gmissements d animaux; le

    vagissement

    d innombrables nouveaux

    ns, les plaintes mles d hommes et de femmes, t outes sortes de

    bruits

    et

    u n t um ul te confus qui montait du fond de l abme. ce spect acle

    succde un e voix a no ny me q ui

    demande:

    Tout

    et la

    voix se lance

    alors

    d an s u ne

    longue description de l Univers et de ses

    ressorts

    o n ou s

    ne

    la

    suivrons pas. Je relve seulement q ue c et te voix lu i annonce que

    dans deux mois il saura vraiment tout ... et que deux moi s plus tard il

    mourait. Timarque serait rest deux jours

    et

    demi

    au

    fond de l antre

    au

    point qu e ses amis le considraient comme perdu. P ar

    la

    suite le

    thaumaturge

    Apollonios de Tyane fera beaucoup mieux

    en

    restant

    sept

    jours

    entiers

    sous terre et, qu i plus est

    en

    ressortant Aulis, q uelq ue

    soixante kilomtres de l, brandissant

    un

    exemplaire de s uvres de

    Pythagore, le

    meilleur

    des philosophes selon Trophonios qui le

    lu i

    avait

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    11/19

    20

    F JOU N

    remis.

    M ai s n ou s

    n e s om me s

    pa s

    forcs

    de prendre p ou r article de

    foi

    le

    rcit

    de Philostrate

    ...

    Aprs la rvlation divine Timarque avait de nouveau

    ressenti

    un e

    violente douleur

    l a t t e

    et

    perdu connaissance. Il

    se

    r e tr ouve ra tendu

    sur le sol de

    l antre

    et il

    dut

    sortir

    comme

    le s

    autres consultants

    dont

    nous parle Pausanias par se s propres moyens

    et

    le s

    pieds

    le s

    premiers.

    Repris

    alors

    en m ai ns par le s

    prtres le rescap tait assis sur

    le

    sige

    de Mnmosyn

    et

    interrog sur

    ce

    qu il av ait ap pris avant d tre rendu

    se s proches. Ceux-ci le

    ramenaient la

    m a ison d initia tion

    encore

    pntr

    d effroi

    et

    i nc onsc ie nt de l ui -m m e

    et

    de

    so n

    entourage.

    Petit

    petit il retrouvait se s m oy en s e t en particulier nous di t Pausanias

    la

    facult de rire. Mais comme n ou s l e v er ro ns

    sur ce point la

    russite

    n tait pas

    garantie.

    En

    tout

    cas i l e xi st ai t

    u ne exp ress io n

    proverbiale

    Il a

    consult l or ac le d e

    Trophonios

    avec le mme sens q ue l or sq ue

    nous

    disons : Il

    p or te l e diable en

    terre.

    S ur le s

    sujets

    de

    consultation on sait peu de choses malgr

    l obligation faite

    a ux c onsulta nts de rdiger

    leur

    compte

    rendu

    sur un e

    tablette. Le s

    deux

    exemples

    cits ne nous

    obligent

    pas

    c ro ir e q u o n

    demandait

    Trophonios des rvlations d u n o rd re

    lev.

    En tout

    cas

    il

    pouvait

    jouer le rle

    plus tard dvolu

    saint Antoine

    de

    Padoue

    ca r

    le

    gnral

    messnien Aristodme a va it r et ro uv dans l antre

    de

    Trophonios

    le

    bouclier qu il avait perdu

    e t qui

    de

    ce

    moment a ll ai t tr e

    dot

    de

    proprits

    magiques

    ...

    L or ac le d e

    Lbade

    nous

    l avons

    vu possdait certains

    caractres

    in fernau x. M ais en pire phyra q ue lq ue s d iz ai ne s d e k il om t re s

    au sud

    de

    Dodone s ouvrait

    un e

    vritable bouche

    de s Enfers

    par

    o

    l on pouvait entrer en contact

    avec

    l es m or ts . phyra

    est au

    centre d un

    bassin marcageux

    au ciel

    souvent

    couvert

    travers par de s

    cours d eau

    qu i

    s appelaient

    le

    Cocyte

    et

    l Achron

    -

    noms

    d e f le uv es

    de s

    Enfers

    un e

    rgion

    qui

    n est

    pas

    s an s r ap po rt avec

    le fameux

    passage

    de

    l dysse racontant l vocation

    de

    l me

    de

    Tirsias par Ulysse suivie

    de

    la

    descente du hro s aux Enfers. Entrer en

    communication

    avec

    l me

    de s

    morts qui

    librs

    de s liens du corps avaient acquis la

    connaissance de l avenir tait une ex prience encore p lu s r is qu e

    e t

    effrayante qu e

    la

    plonge dans

    l antre

    de T rophonios.

    Arriv

    par mer

    le

    plerin

    r e m onta it le nte m e nt l Achron dans

    u ne b ar qu e

    q u i vo qu ait

    l esquif de Charon. phyra la disposition

    de s lieux progressivement

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    12/19

    rendus

    au jour par

    les archologues, t moigne de

    leur

    caractre

    infernal:

    cellules closes, pais

    murs

    polygonaux de pierre noire, sans

    ouverture sur

    l extrieur, couloirs

    troits

    barrs de portes

    et

    de chicanes,

    profonde salle souterraine vote, circuit

    s en s u ni qu e

    qui interdisait

    tout

    contact

    du

    consultant

    avec les

    suivants

    la sortie

    de l oracle. Les

    fouilles on t

    aussi

    confirm

    sur

    de nombreux points ce que les Anciens

    nous ont d it des preuves imposes

    au

    consultant.

    Longuement enferm

    dans une chambre

    obscure

    pour pratiquer une

    incubation

    prparatoire, il

    se nourrissait de mets rputs comme chthoniens,

    viande

    de porc, pain

    de seigle, fruits de m er , m ai s aussi faverolles et gesses (on a retrouv

    des restes de ces graines) , lgumes dont

    la

    consommation importante

    produit vertiges

    et

    hallucinations la cy mose

    et

    le

    l thirisme

    de

    la

    mdecin e mod erne). Ce rgime a cc ompagnait l instruction par le s

    prtres. A pr s c et te

    longue

    dokim si

    arrivait le

    moment fatidique

    :

    un e ultime purification par l eau,

    puis

    le consultant avanait, guid par

    les prtres.

    Il jetait

    un galet

    par-dessus so n paule,

    symbole de

    la

    souil lure rejete loin de lui, et l humble ta s de cailloux encore visible en

    place se rvle ainsi tout charg de sens. P r s d u corridor tait un e fosse

    o il sacrifiai t

    un

    mouton, puis

    il

    circulait

    travers

    un couloir,

    dont

    les

    dtours,

    coups de

    r ef en ds a ux pa is se s

    portes,

    symbolisaient

    le trajet

    des enfers. Il

    pntrait

    enfin dans la salle principale, sous

    laquelle

    se

    trouvait

    la

    crypte

    infernale o

    il

    devait

    descendre

    p ou r t ro uv er la

    rvlation

    qu il tait venu chercher. Mais il semble que celle-ci lu i tait

    donne

    au

    milieu

    d un appareil

    grandiose

    et

    terrifiant.

    Car

    les fouilles

    on t mi s au j ou r, d an s l pa is se ur des murs

    normes,

    des couloirs de

    circulation e t s ur to ut les restes de t ou te u ne m ac hi ne ri e de roues, de

    cabestans

    et

    de poulies, dont on

    estime

    qu elle d ev ai t s er vi r faire

    monter

    et

    descendre des reprsentations de figures infernales. Ce n est

    d u r es te

    pa s

    le seul exemple

    antique

    o les fouilles modernes

    on t montr

    les supercheries des prtres se m l an t a u sacr. Nanmoins, jusqu sa

    destruction

    accidentelle en 167 de

    notre

    re,

    ce t

    oracle

    des

    morts a

    i ns pi r u ne pit continue, comme en

    tmoignent les

    offrandes votives

    dcouvertes par c entaine s da ns

    la

    terre d es r em bl ai s

    d u s an ct ua ir e.

    C e st ve rs cette mme

    poque (en 167

    il

    a

    la

    quarantaine)

    qu e

    Lucien,

    l esprit

    fort,

    tourne

    en

    r id icule les

    mmeries

    de s

    prtres

    de

    l Achroussia

    -

    qu il transporte,

    pour

    l es b es oi ns

    de

    sa cause, en

    Msopotamie - mais c est,

    par

    chance pour nous, un tmoin

    parfaitement inform

    du

    rituel dont il se moque.

    Extrait

    de

    la

    salle oraculaire, le

    consultant,

    soulag

    mais

    sans doute

    groggy , passait encore

    trois

    jours en

    quarantaine

    pour se purifier

    de

    la s ou il lu re i n vi ta bl e d ue au contact

    des

    morts, et il

    quittait

    le

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    13/19

    22

    F JOU N

    sanctuaire pa r un e

    porte

    situe

    l extrmit

    oppose

    l entre. I l devait

    g ar de r u n

    silence

    total jusqu

    ce q u i l

    ai t franchi

    l e c ou rs de l Ac hron

    et

    se

    t ai re e ns ui te pour

    le

    reste

    de sa vie

    sur

    qu il

    avait vu dans

    le

    royaume d Hads.

    Est-ce

    pour

    cela qu e

    n ou s ign oron s

    pe u prs tout de s

    questions

    poses

    l oracle

    de s

    mor t s ?

    un e

    exception prs,

    celle d une

    trs

    ancienne consultation,

    de

    la

    fin

    du

    VIle

    sicle

    qu e nous

    conte Hrodote.

    Elle concerne

    le

    tyran de Cori nt he Pri andre.

    Celui-ci

    q ui f ig ur ai t

    pourtant parmi

    le s

    sept sages

    de

    la

    Grce tait

    un assez triste

    sire.

    Il

    a va it no ta mm ent tu s a

    femme Mlissa

    en

    la

    frappant

    coups de

    pied

    dans

    le ventre

    alors

    qu elle

    tait

    enceinte. De

    plus,

    lors de se s

    funrailles, il

    avait

    omis de

    brler,

    selon

    la coutume,

    ses

    habits et

    ses

    bijoux avec le corps. U n p eu plus t ar d, i l apprit qu un de s es a mi s q ui lu i

    avait

    confi

    sa

    fortune

    en

    dpt

    a va it p r i

    en

    mer.

    L honnte

    Priandre

    voulut s approprier

    trsor plutt

    que de le

    transmettre au x hritiers),

    m ai s c ta it

    Mlissa

    qu i l avait

    cach

    en un lieu

    connu d elle seule. Il

    envoya donc

    d es mi ss ai re s

    ph yr a i nt er ro ge r l m e

    de

    sa

    femme.

    Celle-ci

    leur

    apparut

    bien

    mais

    elle

    refusa

    de

    leur rpondre,

    car

    disait

    elle elle

    tait

    nu e

    et avait

    froid. Aussi

    Priandre organisa-t-il un e

    grande

    fte

    fminine

    l Hraeon de

    Corinthe, en

    conviant ces

    dames

    avec

    leurs p lu s b ea ux h ab it s e t tous leurs

    bijoux.

    Aprs

    quoi

    il

    les f it

    entirement dshabiller par

    ses

    gardes et brla vtements et

    bijoux

    dans

    un e fosse

    l intention

    de Mlissa. Son

    m e ainsi

    a pa is e c onse ntit

    rvler

    Priandre

    le

    lieu

    de la cachette.

    Dans

    ce cas, vous me

    dispenserez, je pense,

    de

    m apitoyer su r les ang oiss es

    morales

    du

    tyran

    de Corinthe

    et

    de m extasier

    sur

    le r le

    thrapeutique

    de l oracle propos

    d une histoire fort

    pe u

    morale.

    Reste notre

    dernier

    sanctuaire,

    l oracle

    de

    Zeus Dodone.

    Il

    remontait,

    comme celui de D elphes

    la

    plus

    haute antiquit,

    et ,

    comme

    lui il

    tait

    cit

    par

    Homre. Le

    dieu es t

    un

    Zeus chthonien ador sous

    le

    no m

    de

    Zeus aos et

    d on t les

    p ar d re s s on t

    Dion

    aa et parfois

    Thmis, la desse qui selon Eschyle,

    avait

    s uc c d G sur le trne

    prophtique de Delphes. Homre mentionne

    l es p r di ct io ns

    par

    l interprtation de s

    frmissements

    du

    feuillage

    du c h ne s ac r , mais il

    y

    eut

    au cours des

    ges

    plusieurs

    autres

    procds fonds sur

    le

    cr i

    de s

    colombes s ac r es o u le s vibrations de chaudrons

    de

    bronze disposs en

    cercle

    autour

    du

    chne et frapps par un

    fouet

    m ta llique a git pa r le

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    14/19

    v en t. M ai s

    le mode de

    consultation

    de loin le

    plus intressant

    pour

    nous

    es t

    celui dont

    tmoignent

    des lamelles d e p lo mb

    inscrites, retrouves en

    grand

    nombre

    sur

    le

    site

    depuis 1929. Il Y en a

    plus

    de

    cent cinquante,

    mais

    leur

    publication complte

    es t

    e nc or e ve ni r. O n p eu t n a nm oin s

    en voir un e quarantaine d an s une vitr in e du

    muse

    de Jannina. Le

    caractre

    vocateur

    de ces minc es

    rubans

    de plomb dont p lu si eu rs o nt

    t rutiliss, la faon des palimpsestes), vient de ce que le consultant

    crivait la question de sa propre main, dans l alphabet de sa ville et avec

    ses propres talents ou ses propres dficiences) orthographiques.

    La

    lame

    tait

    ensuite plie en deux

    et

    munie su r l a p ar ti e visible d un s ig ne d e

    reconnaissance nom, simples

    initiales,

    dessin).

    La plupart de s

    questions sont

    r d ig e s de faon

    appeler une

    simple rponse

    pa r

    u

    ou

    pa r

    o On p en se donc que les lamelles taient places d an s une

    jarre,

    d o l a p r tr es se le s extrayait d un e m ai n, tandis qu e de

    l autre

    elle

    tirait un

    sort, un e fve b lanche o u n oire, q ui

    reprsentait la

    rponse

    du

    dieu. Mais d autres q ue st io ns e xi ge ai en t

    un e

    rponse plus

    circonstancie, qui supposait u n a ut re mode de rvlation, cr it o u oral.

    Le g r an d i n t r t

    pour

    nous de la collectio n d e Dod on e

    est

    qu la

    diffrence de s o racles recen ss Delph es ,

    plus

    de quatre-vingt dix pour

    cent d es q ue st io ns sont relatives d es p ro bl m es p ri v s et nous font

    pntrer

    au cur des proccupations

    quotidiennes

    de s consultants.

    Ceux-ci s on t e n

    majorit

    des pirotes, voisins du temple, m ai s a us si des

    plerins

    venus

    de

    tout

    le monde grec, et

    en

    particulier de s

    Ploponnsiens, L ac on ie ns o u

    Corinthiens,

    et

    des Grecs de

    Grande

    Grce. Plutarque, nous l avons dit,

    dplorait

    que de son temps on ne

    post plus

    l oracle de De lphe s que des questions de ce

    type:

    dois-je

    me

    marier

    ? e nt re pr en dr e u n voya ge ? choisir

    un

    m t ie r o u

    en

    changer ?

    accorder un prt?

    acheter

    un esclave? comment accrotre me s

    revenus?

    Or ce

    sont

    prcisment

    le s

    questions

    les plus f rquentes su r

    ces

    tablettes.

    C est dire qu elles

    manent

    de

    simples

    p arti cu li ers, s ou vent mme de

    c on di ti on m od es te . Q ue lq ue s- un es se

    bornent

    de s

    questions

    de

    caractre trs gnral:

    pa r

    exemp le, q uels d ieux implorer

    pour

    assurer

    le bonheur et la

    prosprit

    du

    consultant

    et des

    siens? D autres,

    pe u

    n ombreus es , co ncern ent

    de s

    affaires de

    sant.

    M ai s b ea uc ou p

    sont

    relatives

    au

    mariage

    ou

    la

    famille

    : doi s- je

    me

    marier

    ?

    ou

    me

    remarier ? A ura i- je des

    enfants

    de ma femme ? Russirai-je

    en

    administrant la fortune

    de

    m a f ut ur e femme?

    Dois-je donner

    ma

    fille

    un e

    telle en

    mariage

    un t e l ? Plus

    grave:

    l enfant qu e

    ma femme

    attend

    e st -i l d e

    m oi ?

    Ou encore : vaut-il

    la

    peine de faire encore des

    enfants ma femme,

    vu

    le mauvais

    naturel

    des prcdents ? -

    cette

    d ern ire q ues ti o n

    nave

    su r

    un e

    t ab le tt e d u

    VIe sicle,

    e n a lp ha be t

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    15/19

    24

    F

    JOU N

    corinthien

    et en

    criture

    boustrophdon. U n d ra me

    se

    cache peut-tre

    sous la

    s im pl e q ue st io n d u n

    p r e :

    mo n

    fils est-il sain et s auf ? La

    maj orit d es questions tourne

    autour

    des activits professionnelles, des

    voyages

    et

    de

    la

    conservation des biens. Quel mtier choisir,

    et

    celui-ci

    est p ar fo is p rc is : serai-je leveur ? ferai-je du commerce ?

    deviendrai-je

    pcheur comme mo n

    p r e ?

    construirai-je une choppe?

    U n c er ta in

    Archpon demande au x dieux Naens de Dodone, Zeus,

    Dion et Thmis comment,

    aprs s t re

    lanc d ans la construction d un

    navire sur l ordre d Apollon, il va

    pouvoir maintenant

    payer ses

    dettes

    Un berger

    sollicite

    du

    dieu

    le moyen de

    protger

    son

    troupeau

    contre

    les

    loups. Un quidam, su r le point

    d acheter

    un p et it t an g

    prs

    du

    sanctuaire de Dmter voudrait avoir l avis de Zeus avant de signer.

    Plusieurs questions t ou rn en t a ut ou r de voyages d affaires : dois-je

    l entreprendre? ou le diffrer? dois-je

    aller

    m t abl ir d an s tel le ville ou

    t el le r g io n ? Un

    certain

    n om br e c on ce rn en t des biens

    perdus

    et

    prsums

    vols. Q uelq ue s d em an de s

    mritent

    d tre cites

    textuellement

    dans

    toute

    leur

    pittoresque navet : Agis demande

    propos des couvertures

    et

    des oreillers, s il

    les

    a lui-mme perdus ou si

    quelqu un

    de

    l extrieur

    les a vols. Dion

    demande

    si

    la ralit

    confirme son soupon que c est Bostrycha,

    la

    fille de Dorcas, qu i lu i a

    vol

    l argent

    qu il a perdu aux f t es d A cti um de cette

    anne.

    Simplement : Dorkilos a-t-il vol le

    vtement

    Eurydamos

    veut

    savoir

    o il retrouvera son

    vase

    perdu. Un

    autre

    interroge le

    dieu

    avec

    la

    m in ut ie d un juge d instruction : Serait-ce Archonidas qui a vol le

    serviteur d Aristocls, ou Archbios le fils d Archonidas, ou Sosandros

    l ancien esclave d A r chonidas

    ou

    de sa

    femme?

    Dion

    Chrysostome

    voquait de

    mme u n m a tr e qu i

    venait

    interroger

    l oracle de Delphes

    pour retrouver

    un

    esclave fugitif. Parfois, le

    bu t

    de la consultation n est

    pas

    cit: Quel dieu dois-je p rier p ou r

    obtenir

    e que j ai d an s l esprit

    Plus

    naf -

    ou plus

    souponneux - un autre refuse de prciser son

    souhait

    en expliquant : Moi,

    je

    le connais , et srement le dieu

    qu e

    j i nt er ro ge l e c on na t aussi.

    Dans

    un

    t r s p et it

    nombre de cas,

    nous

    avons

    la rponse du

    dieu.

    Parfois il e nc ou ra ge d es entreprises

    n ou vell es . A in si

    l orfvre

    T imod amos q ui

    lu i

    d emand e comment

    accrotre

    s es r ev en us le dieu

    rpond: qu il cde son atelier

    en

    location

    et

    qu il fasse du commerce

    d import-export en r sidant da ns

    la

    ville. Mais celui qu i demande si,

    en

    allant

    Alyza,

    il

    amliorera ses affaires, la rponse es t : Reste ici

    et persvre. De mme

    pour

    u n a ut re qui se proposait de

    franchir la

    mer

    et de s e rend re Adria, le refus

    es t

    simple

    et

    catgorique: Non.

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    16/19

    C es c as

    sont

    trop

    rares

    pour qu on puisse en

    tirer

    des conclusions

    sur

    le

    sens

    de l a ct io n des d ivi ni t s de Dodone.

    Il n en va pa s

    de mme

    D el ph es , o le s r ponse s

    sont

    beaucoup plus nombreuses.

    Sans

    doute,

    beaucoup sont

    d une valeur historique

    plus que

    douteuse

    :

    Joseph

    Fontenrose, qu i s est

    efforc d cheniller

    et

    de

    classer

    le

    contenu du

    rpertoire

    de

    Parke et

    Wormell, qu il

    rduit

    dj de six

    cent

    quinze

    cinq cent t rent e-cinq n um r os , n e retient qu une faible proportion de

    rponses

    historiques.

    Mais

    ce

    qui nous i nt r es se , c e st l esprit

    gnral,

    ce qu on

    pourrait

    appeler

    l inspiration delphique.

    Un

    de

    se s

    premiers

    aspects es t qu e le s prdictions

    s appuient

    largement su r la

    rvlation

    du

    pass. Aristote

    d is ai t d u

    sage pimnide : Il ne

    devinait

    pa s

    le s choses

    fut ures, mais

    le s faits

    pas ss rest s

    inconnus. Apollon

    procde de mme : il dpiste les fautes caches gnratrices de malheur

    et e n a tt n ue

    de fait la force maligne : n est-ce p as a in si que procdent

    nos

    psychiatres?

    De

    toute m anir e, la

    vu e

    prophtique

    de

    l avenir ne

    profite gure ceux qu i p os s de nt ce don :

    ni

    Cassandre, ni Amphiaraos

    n o nt ch ap p au x

    malheurs

    qu ils

    avaient

    prdits s an s tr e crus. Les

    consultants

    grecs

    demandaient

    moins savoir

    l avenir

    qu c onnatre ,

    grce

    au

    dieu, le moyen de

    tirer

    le meilleur parti d u n d es ti n dj fix.

    On

    pourrait

    d ir e q ue l o ra cle avait une efficacit

    thrapeutique d autant

    plus

    grande

    qu elle

    s adressait

    un e

    angoisse

    plus

    limite

    et

    plus

    spcifique. Souvent,

    du

    reste, les fidles

    venaient surtout demander au

    dieu

    un e

    confirmation de

    leurs

    propres souhaits.

    Quand

    Xnophon es t

    tent de s engager

    parmi

    le s mercenaires de Cyrus le J eu ne , i l se garde

    de

    s enqurir

    auprs du dieu

    s il d oi t

    ou non partir, m ai s d em an de

    quel

    dieu adresser

    sacrifices

    et

    prir es pour

    raliser dans

    le s meilleures

    conditions le voyage qu il envisage

    et

    obtenir succs

    et

    salut. E t le

    dieu

    s empresse de le satisfaire.

    ct

    d une thrapeutique

    de l angoisse, l oracle

    dispense a us si u ne

    thrapeutique

    de

    la vanit.

    Ainsi,

    il ne manque pas une

    occasion de

    rabaisser le s d iv er se s for me s de supriorit

    h um ai ne . I l

    proclame,

    pa r

    exemple, qu il p r f re le s humbles

    dons de

    modestes

    paysans

    au x

    splendides

    offrandes

    d un

    Crsus ou d un Gygs

    sans

    refuser, il es t

    vrai, ces dernires ; il

    soutient

    que t el p au vr e h r e

    es t

    plus

    heureux

    que

    les grands de ce monde

    et

    que S ocrate, qu i

    prtend

    ne

    rien

    savoir, est

    plus

    savant

    que t ous les doctes de son temps. Le jeune Cicron,

    ayant

    demand

    l or ac le comment

    atteindre

    la

    plus

    grande

    gloire possible,

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    17/19

    F JOU N

    s e voi t

    rpondre

    de prendre pour guide sa propre

    nature et non

    l opinion

    de la foule.

    Les oracles d Apollon tmoignent parfois d un s en s remarquable de

    l a j us ti ce qu i s attache

    l esprit

    plus

    qu la

    forme :

    a in si q ua nd

    il

    absout

    et

    rconforte

    un jeune

    homme

    qu i

    avait

    tu

    involontairement

    un

    compagnon de voyage en cherchant le df endr e contre

    d es b ri gand s

    t an di s q u un autre

    qu i

    s tait

    content de se

    sauver es t

    chass

    par la

    Pythie

    a ccus d j de non-assistance

    personne en

    danger.

    Un

    certain

    D io g ne q ui

    n est san s

    doute pa s le philosophe)

    tait

    venu

    consulter

    la

    Pythie dsespr

    de

    voir

    so n fils

    souffrir d un e p as si on

    amoureuse violente

    et

    indigne,

    e t r es te r insensible

    aux admonestations

    colreuses de so n

    pre. La P yt hi e l ui

    conseille de

    mettre

    fin un e

    hargne

    qui ne

    peut

    avoir que des

    rsultats

    contraires ses souhaits.

    Alors so n fils

    atteindra rapidement

    l oubli des philtres

    et revenu

    la

    sobrit,

    i l m e tt r a

    fi n s on c om po rt em en t hont eux , ce

    qu i

    se produisit,

    pour le bien de

    l un

    et de l autre. Tout psychologue

    avis

    donnerait

    aujourd hui

    de semblables conseils.

    Ces rp on ses q ue

    j ai

    cites

    sont

    claires

    et sans

    quivoque,

    et c est

    trs

    souvent

    le cas.

    Pourtant une

    tradition

    b ie n ta bl ie

    depuis

    l antiquit

    veut

    que les prophties de Loxias, l e dieu oblique, fussent

    en gnral tortueuses et

    susceptibles

    d un

    double sens.

    On

    cite toujour s

    ce

    p ro po s l o ra cl e

    ambigu rendu Crsus : S il

    franchit

    le fleuve

    Halys i l c au se ra la perte

    d un

    grand empire.

    Bi en que c ette

    manire

    de f ai re ne soit pa s

    la

    p lu s f r qu en te , v ous m e permettrez pour

    terminer

    d voquer

    deux

    oracles delphiques

    moins connus, sous forme de deux

    rponses dconcertantes dont le s en s h eu re ux n es t

    apparu

    q u a ve c le

    temps.

    L une concerne un a ccident de l o ra cl e de T ro ph on io s. la

    suite du

    traitement

    dont nous

    avons

    parl

    un

    riche

    habitant

    de

    Mtaponte n avait pas

    recouvr

    la

    facult

    de rire. La

    Py thie lu i

    rpondit:

    La

    Mre te

    la

    ren dra dans s a

    maison. Honore-la bien

    Il

    rentre

    che z l ui , v oi t

    sa

    m r e, l h ono re :

    sans

    succs. Il s e c ro it bern

    par

    le dieu. Mais de passage Dlos, il

    va

    visiter le sanctuaire de Lto.

    Alors

    qu il s attend

    a dm ir er d an s

    l e L t on

    un e

    n ob le effigie de

    la

    mre d Apollon, il dcouvre

    un e a nt iq ue e t

    informe

    statue

    de bois,

    un

    vieux

    xo non

    et il clate de rire.

    Comprenant

    qu il tait guri

    il

    consacr e de riches off randes la d e ss e. Le se cond e xe mp le ,

    je

    le cite

    p lu s p ou r son

    aspect romanesque

    que

    pour sa valeur

    historique, si mince

    qu e Parke

    et

    Wormell ne

    l ont

    mme

    pas

    retenu. I l co nce rne le

    fondateur mythique de Crotone, l Hraclide Myscellos. L a n ai ss an ce de

    Crotone, vers la fin du VIlle sicle, fu t extrmement

    laborieuse:

    il

    existait dj

    dans la

    rgion un e cit florissante,

    Sybaris et la

    ncessit

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    18/19

    de fonder

    un e autre

    ville

    n tait pa s

    vidente.

    Il fal lu t p lu si eu rs

    oracles,

    mme des

    menaces du dieu et l intervention miraculeuse de l ombre

    d Hracls pour dcider

    l es A ch e ns

    faire partir le

    malheureux

    Myscellos,

    d autant

    moins enthousiaste que l oracle de Delphes

    lu i

    avait

    ordonn de n t abl ir l a ville q u l end ro it o, sous

    un

    ciel serein -

    1t

    i pt

    recevrait des gouttes de pluie sur le visage.

    Il erra

    donc

    longuement

    avec

    se s

    compagnons

    travers la terre

    d Italie.

    Un jour

    que, dsespr, i l faisait

    la

    sieste, la t te appuye su r le s

    jambes

    de

    sa

    matresse ses plaintes furent si pitoyables que l a j eu ne femme se

    mit

    pleurer chaudes

    larmes.

    Sentant des grosses

    gouttes

    tomber su r son

    visage, i l comprit qu il avait

    a tt ei nt s a

    destination

    et

    su r le champ

    fonda Crotone.

    Il ne savait pas que

    le

    destin avait tabli qu un

    jour

    Crotone dtruirait

    Sybaris

    et

    se substituerait elle comme capitale de

    cette rgion. Ajoutons qu on

    perfectionna

    encore l oracle

    en affirmant

    que

    la

    courtisane elle-mme s appelait Aithria d o le double sens de

    t AiSpta L ingniosit grecque, on le

    sait

    n a pas de limites ...

    Nous voici

    au

    terme de notre

    bref et

    slectif voyage

    en

    Grce,

    terre

    des oracles.

    Comment

    conclure? Devant

    la

    place que

    t en ai t l a

    prdiction

    oraculaire

    dans

    la vie religieuse des Grecs, nous

    prouvons

    quelque

    embarras

    voire

    un certain

    scepticisme. Depuis

    Fontenelle

    au

    moins, on

    a t ro p l on gt emp s

    eu

    tendance exp li qu er l e rle des

    oracles par la

    crdulit populaire le savoir-faire voire l i mp os tu re d es

    prtres

    le

    caractre

    vague et ambigu des prdictions. Mais de telles explications se

    heurtent

    l vidence des faits. La Pythie ne s exprimait pas

    par

    des cris

    inarticuls que les

    p r tr es a ur ai en t t ra du it s a u

    mieux des

    intrts

    du

    s anctu aire. Cett e s imple femme de Delphes livrait le p lu s s ou ven t des

    oracles clairs

    et

    sans quivoque. On peut l a r ig ue ur a dm et tr e que le

    brassage de plerins venus de

    toutes

    les parties

    du

    monde grec

    a it r en du

    le clerg apte rpondre certaines questions

    du

    type: o trouver

    quoi?

    un e femme, de l or, des

    terres

    vierges dfricher? Ou encore qu une

    intuition

    de l me humaine comparable

    celle de

    no s modernes

    pythonisses ai t

    dict

    la

    Pythie des conseils psychologiquement

    justes.

    Mais

    cela

    ne

    vaudrait

    qu e

    pour

    u ne m in or it de cas. Delphes

    Dodone ou

    ailleurs

    le plerin

    venu consulter

    devait suivre

    scrupuleusement

    l ordre

    divin obtenu si

    grand-peine.

    Or le succs

    persistant

    de ces oracles suggre que le

    dieu tait tomb juste dans

    beaucoup p lu s de s c in qu an te p ou r

    cent

    des ca s que

    lu i

    attribuerait le

  • 7/25/2019 LOracle, Thrapeutique de lAngoisse

    19/19

    28

    F. JOUAN

    calcul

    d es p ro babi li ts.

    Il

    y a

    eu

    toute poque de

    l antiquit

    de s

    s ce pt iq ue s, b ie n

    sr,

    mais

    nous n avons pas

    connaissance

    de

    protestation de

    fidles

    qu e la r ponse divine aurait

    mens

    l abme

    sauf

    peut-tre dipe, mais c est une

    autre

    histoire .

    On

    dira encore que

    de nos

    jours

    certaines

    voyantes

    en vogue ont une clientle de simples

    particuliers,

    voire, parat-il, de grands notables, qu i sont convaincus de

    leur

    infaillibilit.

    Je

    pense,

    pour ma

    part, que les Gr ecs,

    gens ralistes et

    t r s p er su ad s

    de la puissance

    du

    destin,

    prsentaient

    au dieu

    de s

    demandes prudentes, sollicitant un e confirmation ou une mise en garde

    au

    su jet d un

    projet,

    un e sorte d arbitrage qu i

    le s

    soulageait d une

    angoisse

    devant

    un dilemme.

    Enfin et

    surtout, ils venaient recueillir le

    tmoignage que le

    dieu s intressait

    eux

    et

    leur

    destine personnelle.

    C est cela

    qu i

    explique la prennit de s s it es o racu lai res

    travers

    l antiquit,

    malgr

    la

    concurrence

    c ro is sa nt e d es c ul te s trangers, des

    mystres, de

    l astrologie

    ou de la sorcellerie, malgr le ddain

    de s

    philosophes et le s attaques violentes de s chrtiens: l espoir de trouver

    dans la parole

    divine

    un

    rconfort devant l angoisse

    d u f ut ur .

    Franois

    JOUAN

    Rue des Carmlites, 19

    F - 14300

    C EN