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1 e r fo rum intern ational des orch e s t res fra n ç a i s 16 et 17 mai 2001, Pa ris O rch e s t res au présent Musique vivante au X X I e s i è c l e S ous le patronage du Ministère de la Culture et de la Communication O rganisé par l’Association Fran ç aise des Orchestr es

Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

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Les 16 et 17 mai 2001 s’est déroulé à l’initiative de l’Association Française des Orchestres le 1er Forum international des orchestres français. 240 participants et 41 intervenants se sont réunis autours de quatre thèmes : Les publics - Le spectacle de l’orchestre - Les répertoires - Les outils des politiques culturelles. A l’affiche figuraient Pierre Boulez, Sylvie Hubac, Patrice Caratini, François de Mazières, Marc-André Dalbavie, Libby MacNamara (Association of British Orchestras), Martha Gilmer (Chicago Symphony Orchestra), Richard McNicol (London Symphony Orchestra), Jérôme Pernoo, Eric Picard, René Rizzardo, Elmar Weingarten, Emmanuelle Haïm, Paul Andreu… L’événement a mobilisé les orchestres, les institutions culturelles (ADDM, DRAC, AFAA, SACEM…), les collectivités territoriales et les journalistes de la France entière. Année d’édition : 2002 80 pages, 17x23cm

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1e r fo rum intern ational des orch e s t res fra n ç a i s16 et 17 mai 2001, Pa ris

O rch e s t res au présentMusique vivante au X X Ie s i è c l e

S ous le patronage du Ministère de la Culture et de la Communication

O rganisé par l’Associat ion Fran ç aise des Orchestr es

L’ A ssociation Fran ç aise desO rchestr es regroupe vingt - huitorchestr es, ainsi que laD ir ection de la Musique, de laD anse, du Th é â tre et desS pectacles du Ministère de laC ulture et le Syndicat Nationaldes Orchestres et des théâtresLyriques subventionnés dedroit privé (Synolyr). Elle estpr é sidée par Ivan Renar,Sénateur du Nord et présidentde l’Orchestre National de Lille.Créée en janvier 2000, l’AF O

pr end la suite des structur esvoisines qu ’ ont étél ’ A ssociation Nationale desO rchestr es de Région,l ’ A ssociation Nationale desOrchestres Français puis laC onf é r ence Permanente desO rchestr es Fran ç ais.

L’AF O s ’ affirme comme un lieu de réflexion, de propositionet de communication sur les enjeux fonda mentaux de laprofession :

- Observatoire de la profession,l ’AF O produit des informationsstatistiques sur l’activité desorchestr es membr es.

- Centre de ressources, l’AF O

instruit des questions tech-niques communes aux orches -tres intéressant des domainesdivers tels que la fiscalité, les rémun é rations, les droitsd ’ auteurs, la diffusion desconcerts en région, les actionsde sensibilisation, etc.

- Porte - parole de la professionaux plans national et interna-tional, l’AFO entend contribuerà la définition des politiquescultur elles.

P remier fo rum i n t e rn ational deso rch e s t res fra n ç a i sles 16 et 17 mai 2001

Ce livre présente une synthèse, qui p e rm e t , à trave rs la ri chesse desd é b at s, de pre n d re la mesure des enjeux de toute unep ro fe s s i o n .

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O rch e s t res au présentMusique vivante au X X Ie s i è c l e

1e r fo rum intern ational des orch e s t res fra n ç a i s16 et 17 mai 2001, Pa ris

S ous le patronage du Ministère de la Culture et de la Communicat ion

O rganisé par l’Association Fran ç aise des Orchestr es

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D i s c o u rs d’ouve rt u re :Une musique et ses publ i c sI van Renar, Sénateur du Nord, pr é sident de l’AF O

Les publ i c s

R eportage filmé : La Philharmonie de Lorraine et Richard McNicolJourn é es de formation des musiciens aux actions éducativesD isponible sur le site www. france - orchestr es. com

Tren te ans de pratiques culturelles P hilippe Coulangeon, sociologue, chercheur au C N R S

Un panorama des actions de sensibilisation P hilippe Fanjas, dir ecteur de l’AF O

L es outils d’élargissement du public Avec Jacqueline Bruckert, professeur permanent au C F M I del ’ U niversité de Lille III / Libby Mac N a mara, dir ectrice del ’ A ssociation des Orchestr es Britanniques / Richard McNicol,r esponsable du service pédagogique de l’Orchestr eS ymphonique de Londr es / Vincent Maestracci, inspecteurg é n é ral de l’Education nationale / Eric Picard, 1er violoncellesolo de l’Orchestre de Paris / Eric Tanguy, compositeur / Jean-Marc Bador, directeur délégué de l’Orchestre de Bretagne /Patrice A rmengau, dir ecteur des formations musicales del ’ O p é ra National de Paris / Dominique Boutel, productrice àFrance Musiques

Le spectacle de l’orch e s t re

La naissance du concert moderne au X I Xe si è cleL aure Schnapper, chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes enS ciences Sociales

L’ art de la rencon treE ntr etien avec A lbert Jacquard, scientifique, humaniste et mélomaneD isponible sur le site www. france - orchestr es. com

C omment pr é sen ter la musique vivan te ?Avec Patrice Caratini, musicien de jazz / Marc-André Dalbavie,compositeur / Jérôme Pernoo, violoncelliste / A rnaud Petit,compositeur / Dr Elmar Weingarten, dir ecteur général de l’Ensemble Modern de Francfort / Jacqueline Brochen, administrateur- d é l é guée générale de l’Orchestre National deL ille / Eric Montalbetti, délégué artistique de l’Orchestr eP hilharmonique de Radio France / A lain Surrans, conseiller à la musique, D M D T S - Ministère de la Cultur e

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La salle de concert, outil de médiation vers le publicD ialogue avec Paul A ndr eu, architecteAvec Stan Neumann, cin é aste / George Schneider, dir ecteurg é n é ral de l’Ensemble orchestral de Paris / Hervé Burckel deTell, secrétaire général de l’Orchestre de Paris

Le répert o i re

“Le mot d’Alain Rey”: musique classique, musique savan te ?E ntr etien avec le dir ecteur éditorial du Robert D isponible sur le site www. france - orchestr es. com

P rogrammation et institutionsP ierre Boulez, compositeur et chef d’orchestr e

Q uelle musique? Du patrimoine à la créationAvec Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre / M artha Gilmer, vice - pr é sidente de l’Orchestre Symphonique de Chicago, chargée de la progra mmation artistique / E mmanuelle Haïm, dir ectrice artistique du Concert d’Astr é e,assistante de William Christie / Rose Lowry, administrateurg é n é ral de l’Orchestre de Picardie / Hervé Boutry, administrateur général de l’Ensemble Intercontemporain /Jean - P ierre Derrien, producteur à Radio France

Les outils des politiques culture l l e s

Le regard de l’Observatoire des politiques culturellesR ené Rizzardo, dir ecteur de l’Observatoire des politiques cultur elles

La musique est - elle un enjeu politique?Avec Catherine A hmadi, sous - dir ectrice à la cr é ation et auxactivités artistiques, D M D T S / Claude Cha mpaud, r epr é sentant de l’Association des Régions de France /Fran ç ois de Mazi è r es, pr é sident de la Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Culture / G eorges - Fran ç ois Hirsch, pr é sident du Synolyr / R ichard Lagrange, D R AC de la Région Midi - P yr é n é es / I van Renar, Sénateur du Nord / Catherine Delcroix, administrateur de l’Orchestre National d’Ile de France / A nne Poursin, dir ectrice générale de l’Orchestre National de Lyon / Philippe Meyer, producteur à Radio France

Conclusion des débat sR emerciemen tsI van Renar, Sénateur du Nord, pr é sident de l’AF OD iscours de cl ô tureSylvie Hubac, Directrice de la Musique, de la Danse, duThéâtreet des Spectacles repr é sentant Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication

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k Le site

in ternet des

O rchestres

Fran ç ais

actualit é k

activités k

discographie k

histoire k

é tudes k

musiciens k

r ecrutements k

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A lsaceO rchestre Symphonique de MulhouseO rchestre Philharmonique de Strasbourg - orchestre National

A quitaineO rchestre National Bordeaux - A quitaine

AuvergneO rchestre d’Auvergne

B asse - N ormandieL’ E nsemble - Orchestre Régional de Basse - N ormandie

B retagneO rchestre de Bretagne

I le - de - FranceO rchestre National d’Ile de France

L anguedoc - R oussillonO rchestre National de Montpellier Languedoc - R oussillon

L orraineO rchestre symphonique et lyrique de NancyLa Philharmonie de Lorraine

M idi - P yr é n é esO rchestre de Cha mbre National de ToulouseO rchestre National du Capitole de Toulouse

N ord – Pas - de - C alaisO rchestre National de Lille

ParisE nsemble IntercontemporainE nsemble orchestral de ParisO rchestre National de FranceO rchestre de l’Opéra National de ParisO rchestre de ParisO rchestre Philharmonique de Radio France

Pays de la LoireO rchestre National des Pa ys de la Loir e

P ic ardieO rchestre de Picardie

P rovence – A lpes – Côte - d ’ azurO rchestre Philharmonique de NiceO rchestre de Région Avignon - P rovenceO rchestre Régional de Cannes Provence – A lpes – C ô te - d ’ azur

R h ô ne - A lpesL es Musiciens du Louvre - GrenobleO rchestre National de LyonO rchestre de l’Opéra National de LyonO rchestre des Pa ys de Savoie

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D i s c o u rs d’ouve rt u re C ’ est un plaidoyer pour la vie musicale et les orchestr es queprononce Ivan Renar, en militant de la cultur e.Après avoir dr essé un historique de la relation des orchestr esà leur public, il rappelle ce qu ’ ils repr é sentent en France, en termes d’audience publique, d’engagements financiers,d ’ emploi, d’aménagement du territoir e.Il souligne également la complexité des conditions d’existenceet de développement des orchestr es, leur rôle fonda mentaldans le pa ysage cultur el, sur le double plan de la mémoir e,c ’ est - à - dire de la défense d’un patrimoine, et de l’avenir, c’est -à - dire des cr é ations. En humaniste, Ivan Renar insiste sur la notion d’acc ès : accès au sens, aux valeurs, au plaisir d’ap-pr endr e, de savoir et de cr é er.Il invite les participants à ce pr emier forum des orchestr es à faire œuvre de dévoilement et de construction : il souhaitequ ’ il soit débattu de la nature des orchestr es, de leurscontraintes et des imp é ratifs que génère leur répertoir e, maisaussi que soient discutés les moyens d’une ouverture à unpublic toujours plus large et mieux form é .

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Une musique et son publ i c

I van Renar S é nateur du Nord, pr é sident de l’AF O

M esda mes, Messieurs, bonjour à tous et bien -venue.C ’ est avec un réel plaisir que nous vous accueil -lons à l’occasion du 1er forum international des orchestr es fran ç ais.Je me réjouis de voir aujourd’hui tous les orches-tr es permanents réunis au sein de l’AssociationFran ç aise des Orchestr es. Cette notion de per-manence est en effet fonda mentale : elle estpour nous la condition imp é rative d’une qualit équi se fonde sur la coh é sion des individus quiconstituent cet instrument collectif qu ’ est l’or-chestr e, en contribuant à la coh é r ence musicalede l’ensemble.L’AFO représente aujourd’hui tous les orchestres

fran ç ais qui font donc appel à un effectif de musiciens permanents, engagés sur concours, et qui bénéficient de l’apport financier descollectivités locales, communes et groupementsde communes, départements, régions et de l’Etat.L es chiffr es sont parfois éloquents : les orches -tr es membr es font appel à environ 2 000 musi-ciens permanents ; ils auront touché un publicdir ect de plus de 2 millions d’auditeurs cettesaison, sans compter les retomb é es desconcerts radiodiffus és ; les budgets cumulés denos formations repr é sentent aujourd ’ hui plusd ’ un milliard de francs annuels. C’est là unev é ritable force de frappe cultur elle et artistiqueet qui, sans vouloir opposer défense nationale etservice public de la musique, coûte moins cherque les hélices d’un certain porte-avions! Ce quime fait dire aux comptables sup é rieurs arro-gants et glacés qui nous disent toujours que laculture co û te cher, qu ’ ils devraient calculer quel ’ absence de culture co û te bien plus cher !

L’ AFO s’est donc fixé trois objectifs :L es deux pr emiers corr espondent aux missionsqui avaient déjà été confi é es aux structur esant é rieur es à l’AF O.En effet, en tant qu ’ observatoire de la profes-sion, elle recense des donn é es statistiques surl ’ activité des orchestr es membr es. En tant quecentre de ressources, l’AFO instruit des ques-tions techniques communes à la profession, surdes th è mes très variés comme la diffusion desconcerts en région, les actions de sensibilisa-tion, les rémun é rations, la fiscalité, etc.N ous avons souhaité avec l’AFO ajouter un troi-si è me élément qui nous paraît déterminant : l ’ association entend devenir un porte - parole dela profession, en France comme à l’étranger, etainsi contribuer à une définition des politiquescultur elles et plus particuli è r ement des poli-tiques musicales.C ’ est autour de ce dernier objectif qu ’ il nous aparu nécessaire d’organiser le colloque qui nousr é unit durant ces deux jours.

Il y a aujourd ’ hui beaucoup d’id é es reçuesautour des orchestr es et de leur répertoire : nosorchestr es sont supposés exister depuis long-temps, ils produisent et diffusent un nombr eimportant de concerts, ils fonctionnent sur desfonds publics pérennes, ils repr é sentent unpotentiel d’emplois important et génèrent desflux économiques non négligeables. Bref, noussommes dans le pa ysage et nous pourrions dir eque tout va bien. . .Il y a en effet quelque chose de doux dans leconcert : il corr espond à un moment de détentepour l’auditeur, son plaisir est censé l’emportersur toute autre consid é ration, et après tout labeauté du spectacle proposé, la pr é dominancedes images traditionnelles, la reconnaissanced ’ un rituel, tous ces éléments n’appellent gu è r eà la réflexion et à la pol é mique.Parce que la musique n’est pas un art du langa-ge parlé, que les mots paraissent souvent redon-dants par rapport à l’expr ession musicale elle -m ê me, il n’y aurait donc rien à dire de plus, lamusique se suffirait à elle - m ê me pour exprimerle beau et permettre un partage de l’émotion.

M ais peut - on oublier que la musique, commetoute autre forme d’art, est inspirée par soné poque, que l’artiste n’est pas désincarné maisd é pendant de son temps, que la musique, pourqui l’écoute, est un reflet des tensions del ’ é poque qui la voit na î tr e ?B r ef, il faut au compositeur comme à son audi-

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teur que soient réunis de nombr eux facteurspour que vive et se développe cette expr ession.

N on, la musique ne va pas de soi ! Pour ceux quien sont les interprètes non plus. Parmi ceux-ci,nos orchestr es, dont les modalités de fonction-nement sont trop méconnues et pour lesquelsrien ne va de soi dans leurs conditions d’exis-tence.Pour que nos orchestres existent, il faut d’abordune volonté artistique naturellement accompa-gnée d’une volonté politique. Des collectivit é spubliques réunissent des fonds autour d’un projet commun, l’Etat pr é c è de ou suit ce mouve-ment.Il faut ensuite un véritable projet d’entreprise,voulu par la dir ection de la formation instrumen-tale en accord avec ses financeurs.Ce projet se développe ensuite au sein de cettecommunauté très particuli è r e, faite des instru-mentistes et de toute une équipe administrativeet technique qui adhère au projet commun.L’ orchestre n’existe également que gr â ce auxpartenariats artistiques, économiques, poli-tiques, autant d’ententes sur des projets com-muns en matière de progra mmation, de diffu-sion, de sensibilisation, de communication.E nfin, soulignons la pr é occupation constanted ’ une complicité solide avec le public, celui fid è-le et souvent inconditionnel comme celui qu ’ ilnous faut jour après jour conqu é rir.C hacun de ces sujets de travail suppose uneé nergie constante et une fid é lité exemplaire auxprincipes qui les inspir ent.

A ce stade de mes propos, permettez à l’ancienprofesseur d’histoire d’esquisser un br ef rappelhistorique.Il est extr ê mement difficile de décrire la situa-tion ant é rieure au X I Xe si è cle, en tout cas sousl ’ angle de la relation au public : la musique popu-laire n’est, par essence, pas notée et les manus-crits ne la portent donc pas jusqu’à nous.La musique savante sacrée reste composée etjouée pour le prince et la cour, qu ’ il s’agisse des vêpr es de Monteverdi, des pi è ces d’un Lullyou d’un Delalande.C elle qui est jouée dans les églises du peupleest très vraisemblablement plus simple, et nousn ’ en avons pas de trace.La situation de la musique de Bach, au sein del ’ E glise luth é rienne, est particuli è r ement int é-r essante : Bach est nommé dir ecteur de lamusique par le pouvoir civil de la ville. C’estparadoxalement ce pouvoir civil qui lui confie la

charge de la musique sacr é e, dans une égliseluth é rienne qui rend possible une diffusion de lamusique savante dans des églises largementouvertes au peuple. Il est frappant d’appr endr eque la demande formulée alors par “le public ”est celle d’une musique qu ’ il veut joyeuse, et lesdanses pr é sentes dans les cantates de Bach,nombr euses, corr espondent aux effets du dia-logue qui existe entre l’artiste et l’auditeur.L’ é glise peut également être un lieu de diffusionde musique profane : ainsi à Paris, à Saint -André-des-Arts, à l’occasion de concerts orga-nisés par un curé passionné par la musique ins-trumentale.E nfin, dans cette situation complexe qu ’ il fau-drait avoir le temps d’analyser davantage, lesconcerts pa yants n’apparaissent pas au X I Xe

si è cle, mais au X V I Ie, et l’on garde quelques tracespar exemple de “la Société des HonnestesC urieux”, à Paris dans les ann é es 1640 : si l’onsait que le principe était celui de la rémun é ra-tion des artistes, de la location de la salle, dupartage des éventuels bénéfices ainsi dégag é s,en revanche, on ne connaît rien de la progra m-mation pr é sent é e, ni de la nature du public. Les“ M usiciens du Roi” pr é sentaient aussi dans lesm ê mes ann é es des concerts publics, mais onn ’ en sait guère plus sur l’auditoir e.Ces concerts payants se multiplient dès le débutdu X V I I Ie si è cle, ainsi le “Concert spirituel” à partir de 1725, le “Concert de Lille” animé parM ondonville, et dans un autre genr e, nous n’ou-blierons pas la reprise à Paris des op é ras pr é-sentés à Versailles, ouverts au public et pa yants.L es concerts pa yants se développeront ainsitout au long du X V I I Ie si è cle à Londr es, Paris etVienne nota mment.C ’ est l’élargissement de la forme instrumentalequi permet de dater le début de l’histoire de nos formations :La musique va sortir progr essivement dessalons au fur et à mesure de l’élargissement dela nomenclature et de la facture instrumentale :A insi Mozart en 1781 écrit - il de Vienne à sonpère après la deuxi è me ex é cution de sa 3 4è m e

s y m p honie :“Elle a marché de fa ç on magnifi que et obte nu touts uccès (...). Il y avait là quara nte violons, tous l es instr um e nts à vent doublés, dix al tos, dixcontrebasses, huit violoncel l es et six bassons.”Le nombre d’instruments à vent est multipli épar trois entre Mozart et Berlioz et leur puissance augmente consid é rablement du fait de l’évolution de la facture instrumentale. L’ une des cons é quences en est la rupture de

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l ’ é quilibre qui existait entre les vents et les cordes, qui conduit à augmenter le nombre decordes pour qu ’ un nouvel équilibre soit établi.Le X I Xe si è cle voit bien sûr l’émergence d’unebourgeoisie de plus en plus puissante quientend go û ter aux plaisirs musicaux. Entre 1800et 1850, ces plaisirs conna î tront une véritableexplosion, que l’on retrouve nota mment dansl ’ extension de la lectur e, dans la fr é quentationcroissante des th é â tr es, des salons de peintur eet des pr emiers mus é es, et bien sûr dans lamusique.La taille des salles augmente consid é rablement,la facture instrumentale se modifie en cons é-quence et les compositeurs recourent ainsi à uneinstrumentation élargie.Si le X Xe si è cle a été celui de l’image, le X I Xe a étécelui de la musique. S’agit-il pour la bourgeoisiede repr endre à son compte l’une des formesartistiques réserv é es jusqu ’ alors aux cerclesinaccessibles de l’aristocratie, et d’étendre ainsiun mod è le à une société toute enti è re ?Il reste frappant de constater au X I Xe si è cle quele concert de musique de cha mbre a toujourslieu dans des salons, pratique élitiste d’inter-pr è tes amateurs ou professionnels, et d’unpublic qui reconnaît ses pairs sous les la mbrisdorés des appartements et des hôtels toujoursparticuliers. Cette musique reste élitiste, ellesuppose la connaissance du langage musical.Parall è lement, le concert classique devient uneforme de divertissement populaire : les soci é t é sde concert se multiplient en France au début du si è cle et de Béthune à Perpignan, on encompte vingt - six en 1837. Mais il s’agit là surtoutde “réunions d’amateurs” ainsi qu ’ on le disait à l’époque. A Paris, les concerts Pasdeloup,C olonne et Lamour eux réunissent de nombr euxmusiciens professionnels, qui proposent aupublic les “concerts populair es”, dont l’imagedes repr é sentations au Cirque d’Hiver est bienconnue.L’ histoire de la forme est importante : l’uniformer equis pour les musiciens est le frac, la sc è neest en face du public, qui progr essivement vapr endre l’habitude de s’asseoir et d’écouter plu-tôt que de rester debout et discuter pendant quela musique se joue. Cependant les valses deS trauss conviendront au divertissement alorsque la musique de Beethoven restera qualifi é ede sérieuse, et l’amalga me sera vite fait par legrand public qui fera na î tre l’appellation de“ grande musique” ou “musique classique ” .A cc é l é rons ce parcours historique avec desr ep è r es chronologiques mieux connus :

L’ orchestre de l’Opéra de Paris est le doyen denos formations, la seule de l’ancien régime à avoir surv é cu à l’abolition des privil è ges. Lesorchestr es de Bordeaux, Lyon, Toulouse,Strasbourg qui naissent au XIXe siècle autour dur é pertoire lyrique, voient leur répertoire s’élargir,et figurent aujourd’hui encore parmi les fleuronsdes formations fran ç aises.L’ anc ê tre de l’Orchestre de Paris, la Société desC oncerts du Conservatoir e, créée en 1828, pr e-mière formation permanente en France, est qua-siment l’unique exemple de ce type en Europe.Il faut ensuite attendre 1934 pour qu ’ un nouveaumouvement de cr é ation de formations perma-nentes voit le jour avec l’Orchestre National deFrance, formation dédiée au répertoire sympho-nique, créée par et pour la radiodiffusion. Laradio permet dans ces ann é es la naissance denombr euses formations musicales partout en France.La plupart constitueront par la suite le cœur desformations “décentralisées” voulues par MarcelL andowski, sous l’égide d’André Malraux,Ministre d’Etat, Ministre des Affaires culturelles.S ’ é gr è nent alors des dates capitales pour la vie symphonique en France :1 9 67 : l’Orchestre de Paris succ è de à la Soci é t édes Concerts du Conservatoir e1 9 69 : naissance de l’Orchestre de Lyon1 9 71 : l’Orchestre des Pa ys de la Loir e1 9 72 : Strasbourg et Mulhouse1 9 74 : L’ O rchestre d’Ile de France1 9 76 : Lille, Lorraine, Cannes, et à Paris,l ’ E nsemble Intercontemporain et l ’ O rchestre Philharmonique de Radio France1 9 79 : Montpellier

L es lois de décentralisation permettent dans lesann é es 1980, sous l’impulsion du Ministère de laC ulture et en relation étroite avec les collectivi-tés locales dot é es alors de pouvoirs et demoyens nouveaux, de prolonger ce mouvementet d’établir un maillage du territoire gr â ce à denouvelles formations : 1 9 81 : l’Orchestre d’Auvergne1 9 83 : l’Orchestre de l’Opéra de Lyon1 9 84 : les orchestr es de Basse - N ormandie et des Pa ys de SavoieIl faut ensuite attendre le début de notre X X Ie

si è cle pour que l’on reparle de la naissance denouvelles formations et que la Ministre de laC ulture Catherine Tasca annonce les projets decréation de l’Orchestre de la région Centre etde l’Orchestre de Besan ç on, en tant que forma-tions permanentes.

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Si nous pouvons nous réjouir de ces nouveauxefforts, nous devons regr etter que la place desorchestr es permanents en France ne soit pascelle qu ’ ils méritent, au service de la musique etau service du public. Disons - le clair ement, il n’y a pas assez de moyens pour la musique, il n’ya pas assez d’orchestres en France, il n’y a pasassez de moyens pour les orchestr es existants.P rovocation ?En effet, on pourrait dire que les chiffr es que jecitais tout à l’heure à propos des financementspublics sont importants. Mais ils corr espondentà ce que repr é sente, dans toute entr eprise fai-sant appel à de nombr eux salari é s, le minimumn é cessaire à leur existence, et je n’évoque pas là leur nécessaire développement.Il faut sortir de la comptabilité de court terme, dela pensée économiste et utilitariste, qui refroidittout et blesse l’accès au sens, aux valeurs et auplaisir d’appr endr e, de savoir et de cr é er. Si l ’ E tat hésite, on voit vite les collectivit é sb é ga yer. Les soustractions d’en haut encoura-gent les soustractions d’en bas et pas seule-ment sur le plan comptable.N ous ne sommes plus à l’époque de la cassettedes “menus plaisirs” comme disait Jean Vilar.La culture est une décision d’investissementhumain sur le long terme, parce qu ’ en cultur e,c ’ est la longue pr é sence qui est essentielle, à l’image du temps humain.

C ela étant dit, les missions dévolues à nos for-mations s’étendent ; les exigences sont de plusen plus nombr euses pour que nos orchestr es,comme nombre d’autr es institutions cultur elles,contribuent à la cr é ation, la diffusion, l’éduca-tion, l’action sociale, la démocratisation de l’ac-cès à la cultur e, la réduction de la violence dansnos quartiers, l’emploi des musiciens, le rappro-chement des amateurs et des professionnels,l ’ enseignement. . .N ous devons imp é rativement mieux compr endr enos orchestr es, pour imaginer ce qu ’ ils peuventdevenir ; nous devons réfl é chir à notre rôle etaux moyens dont nous disposons, à la place del ’ artiste et à la nature du contrat qui le lie à celui qui lui confie la dir ection d’un projet d’ins -titution.

Telles sont les raisons des quatre th è mes quenous avons choisi de privil é gier durant ces deuxjours, qui seront développés gr â ce à nos invit é set à l’apport du public dans la salle.J ’ aimerais durant ces deux jours que nous fas-sions œuvre de dévoilement avant tout, puis, au

fil des diff é r ents th è mes de travail, de cons -truction.Il n’est pas si fr é quent que les institutions musi-cales en France décident de s’interroger surelles - m ê mes : nous saisirons donc l’occasionqui nous est offerte à tous de nous tendre le miroir pour analyser un ref let, et ouvrir despistes pour la construction d’une nouvelleimage, une image solide qui serait éclairée parcette aube qui se lève sur un si è cle dont il nousappartient de le rendre musical. Je n’irai pasjusqu’à dir e, paraphrasant A ndré Malraux, qu ’ ilsera musical ou ne sera pas ! Mais quandm ê me. . .

Q uelques mots encore avant de conclure : lesi è cle qui vient de se terminer a été à la foiscelui de tous les tourments, de tous les espoirs,bien souvent bafou é s, de toutes les temp ê tes et de toutes les aspirations, où le meilleur del ’ homme et de l’âme a côtoyé les pir es hor-r eurs. Le X X Ie si è cle débute en portant lesm ê mes contradictions. Les artistes ont contri-bué à maintenir debout un monde qui a beau-coup titubé. Ils aident les hommes à s’élever au -dessus de l’humanité. Une chose est certaine,l ’ homme n’est pas mort : ni comme esp è ce, nicomme id é e, ni comme id é al. Mais il est mortel :c ’ est une raison de plus pour le défendr e. On n’imagine pas la musique sans Mozart, Bachou Beethoven, les arts plastiques sans Michel -A nge, Rembrandt ou Picasso, la litt é rature sansShakespeare ou Hugo, et tous les autres. Maisqui ne voit pas que c’est l’humanité elle - m ê me,sans ces artistes incomparables, tous universelset tous singuliers, qui ne serait pas ce qu ’ elleest ? Parce qu ’ elle serait moins belle, moins cul-tiv é e, moins heur euse? Certes! Mais pas seulement : parce qu’elle serait moins vraie etmoins humaine. Nos orchestr es donnent aussi laparole en ce si è cle naissant aux compositeurs et interpr è tes de notre temps. Ils nous disent enpermanence que la cr é ation est une mémoire en avant. Encore faut - il ne pas perdre cette m é moire ! Ceux qui parfois “du passé veulentfaire table rase” se conda mnent à l’impuissance.J ’ ai envie de dire aux jeunes gens: si vous vou-lez continuer à vous aimer, ne limitez pas vosrapports au téléphone! Visitez et revisitez lespo è tes, les peintr es, les musiciens. Venez parta-ger le beau et l’émotion avec nos orchestr es.Vous le verr ez : le bonheur reste une idée neuve.S ouvenons - nous de Pierre Boulez – en forme de coup de chapeau, je vous le dis ici à l’Ircam :“Il n’y a aucune fatalité à l’histoir e. L’ histoire

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est ce qu’on y fait. L’histoire est une chose qu’onagit et non pas qu ’ on subit”. Et en effet, par ces temps de barbarie ordinair e,où l’on a l’impr ession parfois de “tâter l’aveniravec une canne blanche” tout appelle à un déve-loppement de la musique. Comme pour la cultur ede fa ç on générale, le grand probl è me aujour-d ’ hui est celui de la reconnaissance de son rôleirr empla ç able dans la société. Tous ceux quiviennent écouter nos orchestr es voient bien qu ’ ily a là toute la palpitation du monde. D’un mondedifficile, où, heur eusement, il y a toujours,quelque part, quelqu ’ un qui chante dans la nuit.C ’ est pourquoi la musique ne saurait être consi-dérée comme un superf lu, un suppl é mentd ’ â me, une décoration que l’on porte à la bou-tonnière. Elle est l’âme même de l’être humain.C omme l’a dit le po è te : “La musique est média-trice de la logique et du délire, elle donne sensà l’insensé”. Là se niche le rôle humain, la fonc-tion sociale de la musique et des musiciens, etc ’ est ce qui cogne à la vitre de notre pa ys. Onnous interroge quelquefois sur notre mission. Lamusique n’a pas de mission. Elle est !N é cessaire comme l’arbr e, elle jaillit des profon-deurs !

La musique symphonique se porte bien, à con -dition qu ’ on la sauve.Permettez - moi d’insister et de chanter enquelque sorte la Marseil lai se pour toute l’huma-nité. Il n’y a pas en France trop de musiciens,trop d’orchestr es. Il n’y en a pas assez. Et il y en a trop en difficulté !A Paris et en province, nos chefs d’orchestr e,nos musiciens font en permanence la démons-tration, comme le disait si bien A ndré Breton“ qu ’ il y a encore des contes de fées à écrire pourles adultes” ! Là est la clé de “l’à-venir ” .E st - il utopique de rêver à une société où danstous les cœurs et les esprits, et dès l’enfance,puissent être comparés les voix, les instruments,les genr es, la technique et l’âme comme disait la Malibran, des chanteurs de musique ?Pour conclure mon propos, je voudrais m’effacerderrière Aragon qui écrit ces mots phosphores-cents à propos de son héro ï ne Fougère dans “Lamise à mort” :“ C ette femme, c’est la musique même, lamusique au sens qui dépasse le mot. La musiquepar quoi sont dépassés tous les rapports habi-tuels que nous avons avec le monde. La musiquepar où vue nous est donnée sur l’invisible, accèsà ce qui n’a point d’accès… Et de son chantpeut - ê tre ne percevez - vous que le plaisir, il y a

de quoi bouleverser l’or eille et le cœur, je veuxbien, mais c’est comme un miroir tournant, l’ima-ge y change de tout le mouvement qui l’habite. . .Q uand Fougère chante, j’appr ends, j’appr ends àperte d’âme ” .Si le po è te a toujours raison, au - delà de la chanteuse, nous retiendrons le merveilleux hom-mage à la musique et aux musiciens, aux futursmusiciens et aux efforts des personnes et des structur es de bonne volonté, telles que voustous ici, qui permettent aux choses d’aller del ’ avant.

En attendant, bon travail.

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1

R ep o rt age fi l mé :La Philharmonie de Lorraine et Rich a rd McNicolJourn é es de formation des musiciens aux actions éducativesD isponible sur le site www. france - orchestr es. com

Trente ans de pratiques culture l l e sPhilippe Coulange o n, sociologue, chercheur au CNRS

Un panorama des actions de sensibilisation Philippe Fa n j a s, dir ecteur de l’AF O

Les outils d’élargissement du public

I ntervenants :

Jacqueline Bru cke rt ,P rofesseur permanent au CFMI de l’université de Lille III

L i bby MacNamara ,D ir ectrice de l’Association des Orchestr es Britanniques

R i ch a rd McNicol,R esponsable du service pédagogique de l’Orchestre Symphonique de Londr es

Vincent Maestra c c i ,I nspecteur général de l’Education nationale

E ric Picard ,1er violoncelle solo de l’Orchestre de Paris

E ric Ta n g u y,C ompositeur

P r é sentateur :

Je a n - M a rc Bador,D ir ecteur délégué de l’Orchestre de Bretagne

R apporteur :

Pat rice A rm e n ga u ,D ir ecteur des formations musicales de l’Opéra National de Paris

M od é rateur :

Dominique Boutel,P roductrice à France Musiques

>

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Les publ i c sLa question de la relation au public est au cœur des pr é oc -cupations du spectacle vivant.N ul doute qu ’ en appelant au dialogue entre la sensibilité etl ’ intelligence, la musique crée un espace de liberté que lesorchestr es et leurs musiciens veulent partager avec le public.Ce th è me est abordé ici essentiellement sous l’angle de lasensibilisation des jeunes, lors d’un débat qui suit deux inter-ventions th é oriques, l’une pour tenter une analyse des pratiques musicales des Fran ç ais, l’autre pour dr esser un étatdes lieux des actions men é es par les orchestr es.Un reportage vidéo réalisé à la Philharmonie de Lorraineillustre de manière concr è te les possibilités de formation desmusiciens dans leurs interventions auprès d’enfants quid é couvr ent la musique.

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Trente ans de prat i q u e sc u l t u re l l e s

Le Département des Etudes et de la Prospec -tive du Minist è re de la Culture a réalis équatre enquêtes sur les pratiques culturellesdes Fran ç ais en tre 1973 et 1997. Il était ten tan tde situer la musique symphonique dans cetterecherche couvrant presque tren te ann é es.C es donn é es restant très générales – fr é quen-tation du concert classique minoritaire, pra-tique socialement classan te, pr é dominanceparisienne – Philippe Coulangeon nous inviteà nous interroger sur la réussite des tentativesde démoc ratisation et sur la nécessité del ’ ouverture au jeune public. Ce constat ne manque pas d’ouvrir un débatet ces pr é occupations rejoignent lesr é flexions et les actions que les orchestresont en treprises.La nécessité d’une enquête nationale et régu-li è re sur les rapports des Fran ç ais à la musique savan te sous toutes ses formesparaît s’imposer.

Philippe Coulangeon S ociologue, chercheur au CNRS

L es quatre grandes enqu ê tes sur les pratiquescultur elles réalis é es en France en 1973, 1981,1988 et 1997 à l’initiative d’Olivier Donnat auD é partement des Etudes et de la Prospective duM inistère de la Culture fournissent une quantit éde données sans équivalent sur l’évolution descomportements des Fran ç ais en matière de loisiret de culture. Le principal atout de ces enquêtesest de fournir un outil coh é r ent et homog è ne,assis sur une méthodologie de recueil et de trai-tement des donn é es robuste et réplicable. Leurprincipale limite tient à la tendance in é vitabledes outils statistiques à la simplification et à lastylisation du réel, appr é hendé dans des cat é go-ries globalisantes qui réduisent in é vitablementla diversité des pratiques, des esth é tiques, desstyles. En ce qui concerne les pratiques musi-cales des Fran ç ais, ces enqu ê tes autorisent ler ecueil de trois séries de donn é es :donn é es relatives à la fr é quentation des concerts,donn é es relatives à l’écoute de musique enr e -gistr é e, donn é es relatives aux pratiques musi-cales amateur (pratiques chorales et pratiquesinstrumentales, pratiques individuelles et pra-

tiques de groupe). Pour chacune de ces troiscat é gories de donn é es, la segmentation selon lesgenr es musicaux est relativement fruste.

En ce qui concerne le domaine classique, la fr é-quentation des concerts est envisagée pourchaque personne interrogée à travers les deuxitems suivants en 1973 et 1981 :

- a assisté ou non à un concert au cours des 12 derniers mois ;- a assisté ou non à un concert au cours desann é es récentes.

En 1988 et 1997, le second item devient :- a ou non assisté à un concert au cours de sonexistence.

L es taux de pratique dans l’année pr é c é dantl ’ enqu ê te peuvent donc être appr é hendés ené volution sur la période 1973 et 1997. Au niveaude l’analyse des caract é ristiques socio - d é mo-

graphiques associ é es à la fr é quentation desconcerts, la faiblesse deseffectifs concernés par lapratique appr é hendée àl ’ é chelle de l’année ne per-met toutefois pas de contr ô-ler très finement l’influencepropre des variables classi-quement mises en regarddes pratiques cultur elles

( sexe, âge, dipl ô me, lieu de résidence). Il semble donc pr é f é rable de limiter certains traitements à l ’ approche rétrospective des pratiques au cours de la totalité de l’existence des individusinterrog é s, qui ne se heurte pas aux mêmes probl è mes d’effectifs. L’ analyse est par cons é quent limitée à ce niveauà la comparaison des donn é es de 1988 et de1997. Au demeurant, et quel que soit le niveaud ’ analyse considéré, les donn é es recueillies nepermettent à l’évidence pas de sp é cifier le typede concert fr é quenté (récitals de musique dechambre versus concerts symphoniques, notam-ment) ni, a fortior i, le type de répertoire écout éau cours des concerts.

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Q uelles sont les caract é ristiques saillan tesdu public des concerts classiques ?

Une pratique extrêmement minoritaireLa fr é quentation des lieux de spectacle vivantconstitue globalement une pratique minoritair e.L es concerts classiques apparaissent, dans cetensemble, comme l’une des pratiques les plusr é serv é es et, qui plus est, en relative stagnationde 1973 à 1997. Ne ttement moins fréquentés queles th é â tr es au cours des douze mois pr é c é dantchacune des enqu ê tes, qui tir ent sans douteavantage de l’ancienneté d’une politique ded é centralisation qui ne conna î tra d’équivalentdans le domaine musical qu’à la fin des ann é es1960 à la f aveur du plan Landowski, les concertsclassiques ne sont guère moins prisés que lesspectacles de ballets, mais sensiblement plusr é pandus que l’op é ra qui demeure le domaine duspectacle vivant le plus inaccessible (tableau 1).

Tableau 1 :

La fr é quen tation des spectacles (1973-1997)O nt assisté au cours des 12 mois pr é c é dant l’enqu ê te. . .

1973 1981 1988 1997

à un concert de musique classique 7% 7% 9% 9 %

à un concert non classique 7% 10% 13% 1 6 %

à une repr é sen tation th é â trale 12% 10% 14% 1 5 %

à un spectacle de ballet 6% 5% 6% 8%

à un spectacle d’op é ra 3% 2% 3% 3 %

S ource: Ministère de la Culture et de la Communication,

P ratiques cultur elles des Fran ç ais (1973), (1981), (1988), (1997)

La stagnation de la fr é quentation des concertss ’ accompagne d’une double déconnexion.D é connexion à l’égard de la fr é quentation desconcerts ext é rieurs au domaine classique, d’unepart, qui connaît sur la période une très forteprogr ession ( tableau 1). Déconnexion à l’égard des progrès de la diffusion de la musique enr e-gistr é e, d’autre part. Sur la période consid é r é e,la proportion de fran ç ais déclarant poss é der desenr egistr ements de musique classique ou demusique contemporaine devient majoritaire (42%en 1973, 52% en 1997). Il se produit de ce point de vue une certaine massification de la consom -mation de musique sérieuse enregistrée – avecla variété des pratiques d’écoute qu ’ autorise cemode de diffusion, des plus distraites aux plusr ecueillies – qui cesse d’appara î tre comme leprolongement de l’exp é rience du concert à mesur eque l’industrie et le marché du disque s’émanci-pent de l’économie du spectacle vivant.

Une pratique socialement classanteLa sociologie des pratiques cultur elles a tradi-tionnellement insisté, nota mment en France,dans le sillage des travaux de Pierre Bourdieu 1,sur le caractère “classant” des pratiques li é es àla musique savante. Considérée à l’aune de lacat é gorie socioprofessionnelle des répondants,la succession des enqu ê tes sur les pratiquescultur elles confirme très largement l’associationentre l’appartenance aux classes sup é rieur es etla fr é quentation des concerts, qui tend à se ren-forcer entre 1973 et 1997 ( graphique 1), et ne connaît d’équivalent pour aucune autre pratiquecultur elle (à l’ex ception de l’op é ra ) .

G raphique 1

Taux de fr é quen tation des concerts selon la C S P ( nom e ncl. 1975)

S ource : Ministère de la Culture et de la Communication,

“ P ratiques cultur elles des Fran ç ais” (1973), (1981), (1988), (1997)

Pour autant, la fréquentation des concerts peutdifficilement être considérée comme un élémentde caractérisation du mode de vie des classessup é rieur es. Elle demeure en effet minoritaire ausein même de cette cat é gorie, et cette caract é-ristique se renforce entre 1988 et 1997 2.Aussi, alors même que l’élargissement à de nou-velles cat é gories de publics reste limité, lesconcerts semblent perdre peu à peu la part ie

1 P ierre Bourdieu (1979), La Distinction. C r iti que soci ale du jugem e nt,

Paris, Éditions de Minuit.2 S ur le caractère minoritaire des pratiques de la “haute culture” au

sein des classes sup é rieur es, voir Richard A. Peterson et A lbert

S imkus, “How Musical Tastes Mark Occupational Status Groups ”

in L a mont, Mich è le et Fournier, Marcel (eds.), 1992, C ul tivating

D iffere nces. Symbolic Boundar ies and the making of inequal it y,

C hicago and London: The University of Chicago Press, pp. 152-186.

Voir aussi Emmanuel Pedler et Emmanuel Ethis, “La légitimité cultu-

r elle en questions”, in B ernard Lahire (dir.), Le tra vail sociologi que de

P ier re Bourdieu. Dettes et cr iti ques, Paris : La Découverte, 1999.

A griculteursC ad. moyensE nsemble

Patrons ind. commerceE mploy é s

C adr es sup. pro. libO uvriers

Page 17: Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

“ captive” de leur public issu des cat é gories socialement et cultur ellement favoris é es. Ceph é nom è ne peut s’interpr é ter comme unecons é quence de la massification de la cultur e, qui tend moins à favoriser la diffusion desœ uvr es de la culture “légitime” qu ’ elle ne tend àaffaiblir la spécificité des comportements cultu-r els des classes sup é rieur es. En d’autr es termes,l ’ é conomie du concert se trouve prise en étauentre les revers de la démocratisation et les pro-grès de la massification.

Le renforcement de l’hégémonie parisienneLa diff é r enciation sociale des pratiques cultu-r elles s’accompagne, en France, d’une discrimi-nation géographique des comportements qui oppose très nettement Paris et la province.

G raphique 2

Taux de fr é quen tation des concerts classiques par cat é gories de communes (au cours des 12 mois pr é c é da nt l’enqu ê te )

S ource: Ministère de la Culture et de la Communication,

“ P ratiques cultur elles des Fran ç ais” (1973), (1981), (1988), (1997).

En dépit de l’action volontariste de décentralisa-tion de l’offre menée depuis le plan Landowski,le déséquilibre entre Paris et la province s’estglobalement accru entre 1973 et 1997. Ce désé-quilibre tient principalement à la sp é cificité descomportements des parisiens intra - muros, qui se distinguent non seulement de ceux des pro-vinciaux mais aussi de ceux des autr es habi-tants de la région parisienne. A cet égard, laconcentration parisienne de l’offre semble exer-cer un effet limité sur les pratiques envisagéesà l’échelle de la région.On rencontre, à une échelle différente, le mêmetype d’évolution en ce qui concerne la fr é quenta-tion des th é â tr es, à ceci près que le comporte-ment des franciliens hors Paris se diff é r encieplus nettement de celui des provinciaux. ( graphique 3).

G raphique 3

Taux de fr é quen tation des th é â tres par c at é gories de communes (au cours des 12 mois pr é c é da nt l’enqu ê te )

S ource : Ministère de la Culture et de la Communication,

“ P ratiques cultur elles des Fran ç ais” (1973), (1981), (1988), (1997).

E ffets d’âge et effets de génération

D ernière variable exer ç ant un effet séparateursignificatif : l’âge. Quel que soit le niveau d’ana-lyse retenu (taux de fr é quentation au cours desdouze mois pr é c é dant l’enqu ê te ou taux d’occur-r ence de la pratique au cours de la vie), la fr é-quentation des concerts apparaît en effet tr è ssensiblement liée à l’âge des participants.Toutefois, en raison des contraintes li é es à lafaiblesse des effectifs concernés par la pra-tique, les conclusions tir é es de l’observationdes taux de fréquentation sur douze mois sontextrêmement fragiles (test du khi deux sur le l ienâge/pratique non significatif). Cette contraintedisparaît pour les taux d’occurr ence au cours dela vie, mais la comparaison est limitée auxenqu ê tes de 1988 et 1997, puisque la questionn ’ é tait pas posée dans les mêmes termes en1973 et 1981.D ’ une manière générale, la proximité descourbes pour 1988 et 1997 traduit une assezgrande stabilité des comportements en fonctionde l’âge. Jusqu’à 40 ou 45 ans, en 1988 comme en 1997, plus la position dans le cycle de vie estavanc é e, plus la probabilité d’avoir été exposé à la fr é quentation des concerts s’accro î t.( graphique 4).

R uralP lus de 100 000E nsemble

2 000 à 20 000Paris

20 000 à 100 000B anlieue parisienne

R uralParis

2 000 à 20 000B anlieue parisienne

20 000 à 100 000E nsemble

P lus de100 000

Page 18: Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

G raphique 4

A ge et fr é quen tation des concerts classiques au cours de la vie (en %)

S ource: Ministère de la Culture et de la Communication,

“ P ratiques cultur elles des Fran ç ais” (1973), (1981), (1988), (1997)

La comparaison des donn é es de 1988 et des don-n é es de 1997 permet de distinguer ce qui rel è ved ’ un effet d’âge de ce qui rel è ve d’un effet deg é n é ration. Les transformations les plus sen-sibles affectent les 30-40 ans et peuvent engrande partie s’interpr é ter comme un effet deg é n é ration. Les taux d’occurr ence entre 30 et 40ans sont d’une part notoir ement plus élevés en1997 qu ’ en 1988. Pour les personnes nées entr ela fin des ann é es 1940 et la pr emière moitié desannées 1960, d’autre part, l’avancée dans le cyclede vie est, entre 30 et 40 ans, associée à une plusgrande occurrence de la pratique du concert. Ilsaugmentent très sensiblement.C es observations att é nuent la portée de la th è sede la pr é cocité de l’exp é rience comme moteurdes pratiques à l’âge adulte. Pour bon nombr edes personnes appartenant aux générations1945-1965, la première rencontre avec le concerts ’ effectue ainsi entre 30 et 40 ans. Autr ement dit,la fr é quentation des concerts n’est pas un purproduit de la socialisation par entale et, plusg é n é ralement, l’appr entissage des pratiquescultur elles intervient pour une bonne part à l’âgeadulte. Il s’agit là d’un élément très important aur egard des strat é gies mises en place par lesorganisateurs de concerts et les orchestr es, etqui visent en général prioritair ement le publicdes jeunes.Par comparaison, les différences entre généra-tions apparaissent beaucoup plus nettement ence qui concerne le théâtre, surtout avant 25 anset après 40 ans ( graphique 5). Avant 25 ans, c’est letaux d’occurr ence particuli è r ement élevé des 15-17 ans, qui contraste à la fois avec la situation

de ces classes d’âge en 1975 et avec les don-n é es relatives à la fr é quentation des concerts.Ce ph é nom è ne est sans doute en très grandepartie imputable au développement du publicscolaire dans un contexte de massification del ’ enseignement secondair e, qui s’accompagned ’ une multiplication des sorties cultur elles dontle th é â tre semble profiter beaucoup plus large-ment que le concert. En d’autr es termes, la mas-sification de l’éducation semble pour l’heur eproduire certains effets en matière de démocra-tisation de l’accès au th é â tre – v i a, il est vrai, la constitution d’un public adolescent “captif”dont on ne peut augur er les comportements ult é-rieurs – mais pas en ce qui concerne l’accès aux concerts de musique savante.

G raphique 5

G é n é ration, âge et fr é quen tation du th é â tre (en %)

S ource: Ministère de la Culture et de la Communication,

“ P ratiques cultur elles des Fran ç ais” (1973), (1981), (1988), (1997)

Par ailleurs, et conformément à ce que l’on pou-vait observer dans le cas de la musique, l’avan-cée dans le cycle de vie accroît la probabilit éd ’ avoir assisté au moins une fois à un spectacleth é â tral. Cet effet n’est pas limité ici aux 30-40ans, contrair ement à ce que l’on observe pour lafr é quentation des concerts, mais se poursuittrès largement après 40 ans. Pour les généra-tions nées entre la fin des ann é es 1920 et le milieudes ann é es 1960, les taux d’occurr ence sont syst é -matiquement plus élevés en 1997 qu ’ en 1988,quel que soit l’âge, avec une diff é r ence minimumde 5 points pour ceux qui étaient âgés de 25 ansau moment de l’enqu ê te de 1988, et une diff é r ence maximale de 20 points pour les sexa-g é nair es de 1982.

Page 19: Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

Un panorama des actionsde sensibilisation deso rch e s t re s

Si la prise en compte des nécessités d’une formation à l’écoute musicale se généralisedans tous les orchestres aujourd ’ hui, il n’en apas toujours été ainsi. Le panorama proposépermet de constater la diversité des actionsmen é es. Il ten te également de répondre auxin terrogations nombreuses sur les mo tiva-tions de ces actions, et s’attache à tracer desperspectives pour que ce travail s’insc rivedans l’évidence et la dur é e.

Philippe Fa n j a sD ir ecteur de l’AF O

N ous avons entendu tout à l’heure l’analysesociologique dr essée par Philippe Coulangeon.C ette analyse a été menée à partir des donn é esfigurant dans les enqu ê tes sur “les pratiquescultur elles des Fran ç ais” publi é es par le DEP en1973, 1981, 1988, 1997. Cette analyse suscite dema part quelques remarques :

La pr emière est que la place faite à la musiquesavante par les chercheurs n’est que le juster eflet de la place qu ’ occupent nos répertoir esdans la société fran ç aise. A la fin du X Xe si è cle,nous ne serions plus un pays de musique, c’est-à - dire que la question de la musique savante necompterait pas ou plus parmi les priorités poli-tiques. Or, l’action quotidienne des dir ecteurs etadministrateurs d’orchestr es est pr é cis é mentfondée sur la volonté permanente de faire parta-ger le plaisir de l’écoute à un nombre toujoursé largi de personnes, pour que se transforme cettesituation.

La deuxi è me remarque est celle du constat d’une analyse fondée sur des donn é es nécessair ementglobalisantes. L’ impr é cision des donn é es peutavoir à mon sens plusieurs causes : L es orchestr es ne se penchent sérieusement surleur public que depuis peu de temps, parce queleur histoire est récente, parce que leur pr é occupation essentielle est donc encore tropsouvent la défense de leur existence et de leurd é veloppement.Dès lors, le temps consacré à l’introspection et à

l ’ analyse est trop faible, et peu nombr euses sontles formations qui parviennent à dégager desdonn é es int é r essantes et parfaitement fiablesen matière de typologie sociale du public.

D ernière remarque : le public de la musique symphonique n’est pas celui de la musique decha mbre qui n’est pas celui de l’op é ra ou dur é cital. Il ne faut pas oublier cette diff é r encia-tion, très marquée dans les pratiques cultur elleset travailler prochainement à des analyses pr é cises sur les publics. A insi pourrions - nousdisposer des outils réellement adaptés à nospr é occupations.

Parmi les propositions que nous serons amen é sà faire au moment de la conclusion de ces deuxjournées, je souhaiterais pour ma part celle del ’ ouverture d’une enqu ê te nationale sur le publicde l’ensemble des formations repr é sent é es àl ’ AF O, élargie aux orchestr es non permanentsdont les formations baroques et contempo-

raines, mais également auxsalles de toutes sortes quiaccueillent le répertoire ins-trumental.

Les orch e s t res fra n ç a i set leurs actionsé d u c at i ve s, une tentat i-ve de synthèse

D r esser un panora ma desexp é riences éducatives des orchestr es fran ç aisaurait été beaucoup plus aisé il y a une dizained ’ ann é es. En effet, les initiatives dans ce domai-ne restaient encore rar es et très in é gales, sou-vent gérées par d’autr es structur es que lesorchestr es eux - m ê mes, et sur un répertoire tr è sferm é .La situation aujourd ’ hui s’est profond é menttransformée et la plupart des formations perma-nentes sont extr ê mement actives dans cedomaine.

I) Une forme de bilan

Des propos d’ordre très général s’imposent avanttoute analyse plus détaill é e.L es actions éducatives ne sont ja mais men é esen fonction d’un plan qui aurait été inventé auniveau national et qui unifierait leur contenu. Latradition française jacobine, y compris dans ledomaine cultur el, semble être battue en br è chesur ce sujet.

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En effet, il est remarquable de constater la pro-fusion des initiatives individuelles prises par lesorchestres, qui ont, selon leurs propres souhaitset les besoins sp é cifiques à leur terrain d’inter-vention, inventé des formules diversifi é es et ori-ginales, généralement très personnalis é es.

Ce type d’activité est donc aujourd ’ hui “install é ” ,int é gré dans la régularité et l’évidence :La plupart des formations déclinent désormais leurs progra mmations à la fois en concerts et enactivités éducatives. Ces derni è r es, dénomm é esindiff é r emment activités “éducatives”, ou de“ sensibilisation”, ou de “formation” ou de“ d é veloppement du public”, sont à pr é sent ins-crites dans les projets d’orchestr es.La plupart des collectivités de tutelles consid è-r ent également la relation aux publics commeessentielle dans les missions imparties aux for-mations musicales, ce thème ét ant de plus enplus souvent int é gré dans les cahiers des chargesagréés par ces collectivit é s.L es artistes eux - m ê mes, avec une approche dif-férente pour les solistes et pour les musiciensd ’ orchestr e, compr ennent la nécessité de leursinterventions.

S ’ il n’y a donc pas de discours unique sur notr esujet, les interrogations sont cependant multiples.

I - A) De nombreuses in terrogations

1 ) La pr emière d’entre elles est celle des butspoursuivis.

L es logiques sont - elles : - commerciales : augmenter la fr é quentation dessalles et les recettes propr es ?- de communication : faire parler de l’orchestr econcerné, parce que le sujet est à la mode?- politiques: les élus sont souvent sensibles à la relation aux jeunes ?- de service public : il est nécessaire de partagerce mode d’expr ession artistique avec le pluslarge public possible?

2 ) S elon les buts fix é s, le projet éducatif pourravarier. Il s’agit là de savoir si l’on est sur le ter-rain de la pédagogie au sens traditionnel duterme ou si l’on est dans le domaine de l’actioncultur elle telle que les gens de th é â tre la prati-quent depuis de nombr euses ann é es.

3 ) La question des publics concernés appara î talors. S’adr esse - t - on à un public adulte ou au

jeune public? Cette question devrait à notre sens se poser avec une acuité de plus en plus vivedans les années prochaines. Le public “spéciali-sé”, c’est - à - dire pour l’essentiel, les élèves desécoles de musique et des conservatoires, est-ilvisé (et séduit) par ces interventions ? Lesactions éducatives rentr ent - elles dans le cadr ed ’ une formation initiale, ou concernent - elles uneaudience “généraliste”?

4 ) S elon le projet retenu, les outils éducatifseux - m ê mes seront diff é r ents :

- Q uelle est la place de la musique vivante?- Q uelles sont les utilisations faites de supportsenr egistr és?- Q uelle place pr end l’image dans ces interven-tions ?- Q uelles sont les interventions faisant appel àun effectif complet et celles recourant à unintervenant ou à des musiciens sur les lieux ?- Q uelle est la part du personnel enseignant,sp é cialisé ou non, dans ces actions ?

5 ) E nfin, la question des financements et de leurr é partition entre partenair es publics et priv é sest évidemment déterminante.

Nous ne prétendrons pas répondre à toutes cesquestions. Mais les évoquer ici permet peut - ê tr ede mesur er ce qu ’ est l’enjeu de ce sujet et lev é ritable chantier auquel les orchestr es sont tousconfrontés dans leur travail quotidien.

N ous tenterons une synth è se de ces interroga-tions en réfl é chissant à une probl é matique aussiclaire que possible, susceptible d’éviter descontr esens ou des confusions, tant dans la défi-nition de nos politiques éducatives que dans lediscours que nous tenons vis-à-vis des médias etdans les relations établies avec les pouvoirspublics eux - m ê mes.

I - B) Les buts d’une action éduc ative

D eux logiques parall è les si ce n’est contradictoi -r es guident généralement les activités éducatives:- une logique économique: il faut remplir lessalles, en esp é rant que le jeune public form éaujourd ’ hui remplira les salles demain.- une logique plus philosophique : l’art que lesorchestr es expriment n’existe pas sans partageavec le public, la mission de service public va de pair avec l’élargissement de l’audience.

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C es deux logiques n’ex cluent pas celle d’auto-d é fense d’une profession qui s’estime souventmenac ée: “la musique classique est un genr eringard et dépassé, qui ne corr espond pas auxattentes des jeunes d’aujourd ’ hui” ou “lamusique savante, nota mment contemporaine,est incompr é hensible et élitiste ” .

Or aucune action ne peut être menée sans quesoient levés ces a pr ior i trop répandus, souspeine d’agir au pr é texte de l’alibi : les orchestr esseraient dépassés par les transformations cultu-relles de notre société, la forme même de leurpr é sentation serait pass é iste, les co û ts de fonc-tionnement de nos institutions seraient trop é lev é s.

N ous rappellerons ici quelques principes fondateurs du travail des orchestr es et de leuractivité :

- L es orchestr es sont les interpr è tes d’un réper-toire qui fait partie de notre patrimoine et ilssont en même temps les acteurs d’une cr é ationbien vivante. Ils sont au service d’une formeartistique essentielle dans nos civilisationsoccidentales. Il ne s’agit donc pas de compar errap, hip - hop ou vari é t é s, et musique savante,mais de constater que de tout temps ont coexis -té des formes musicales populair es avec desformes plus savantes, souvent dans un enrichis-sement mutuel. Nous avons donc le devoir d ’ é viter la démagogie.- Les orchestres sont des entreprises “de main-d ’ œ uvre” compr enant un grand nombre de sala-riés permanents, ce qui représente une chargeavoisinant 85% de leurs budgets. Leur existencem ê me est conditionnée par ces masses finan-ci è r es, provenant majoritair ement des fondspublics, et cette situation engendre des devoirs :les orchestr es accomplissent une mission deservice public et tous doivent par cons é quentfaire partager au plus grand nombre la musiquedont ils sont les interpr è tes.

L es actions éducatives des orchestr es pourraientdonc être analys é es comme poursuivant undouble objectif :

- donner les outils de la compr é hension, - donner les moyens de mieux ressentir.

L’ enqu ê te réalisée par l’Association Fran ç aisedes Orchestr es à l’occasion de ce colloque n’estmalheur eusement pas exhaustive. Notre asso-

ciation ne dispose que de moyens limités etc ’ est en progr essant dans ce travail que nousavons pu mesur er plus pr é cis é ment les grillesd ’ analyse qui auraient été nécessair es. Il seraprobablement int é r essant de se donner un nou-veau rendez - vous dans quelques mois pour disposer de donn é es plus pr é cises.Par ailleurs, les acteurs de ces politiques quisont nombr eux dans cette salle, pourront dir ec-tement, au cours des débats, faire état de leursexp é riences et des interrogations qu ’ elles portent.

Pour l’heur e, les informations dont nous dispo-sons ne concernent que les orchestr es membr esde l’Association Fran ç aise des Orchestr es etparmi ceux - ci, les seuls orchestr es de Mulhouse,S trasbourg, Bordeaux, Auvergne, Basse -Normandie, Bretagne, Ile de France, Montpellier,L orraine, Capitole de Toulouse, Lille, Paris,l ’ E nsemble Intercontemporain, Radio France,Pa ys de la Loir e, Avignon, Cannes, Nice,G r enoble, Lyon (symphonique et lyrique), Pa ysde Savoie.

E nfin soulignons que les actions cit é es pour cer-taines formations ne sont donn é es qu’à titr ed ’ exemple et ne refl è tent que très partiellementl ’ a mpleur de leur travail.

II) Une ten tative d’inven taire

La diversité des actions, maintes fois évoqu é eprécédemment, rend difficile leur présentation.En effet, sont - elles toutes identiques dans leurobjet ? Ont - elles le même effet ?

N ous avons choisi de distinguer les cat é goriessuivantes : - les concerts à propr ement parler,- les diff é r entes formes de pr é paration,- les projets sp é cifiques.

II - A) Les concerts

La plupart des orchestres ont choisi de présenterdes concerts dits “scolair es” ou éducatifs.Il s’agit là de la pr emière démarche, la plus simplea pr ior i, la plus ancienne, peut - ê tre la plus danger euse aussi : la tentation est fr é quented’accueillir un très grand nombre d’enfants, sanss’assurer de leur préparation préalable, mêmesi nous pensons pouvoir dire que cette tentationn ’ est ja mais celle des responsables de nosorchestr es, et encore moins des musiciens eux -m ê mes.

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Les impératifs économiques sont néanmoins évi-dents et les financeurs ont souvent la volont éd ’ afficher un grand nombre d’enfants pr é sentsau concert.N ous pouvons cependant nous réjouir de consta-ter, dans la plupart des cas, que les jauges sontà pr é sent volontair ement limit é es.

C es concerts s’inscrivent le plus souvent dansle temps scolaire et peuvent pr endre plusieursformes.

La plus fr é quente est celle du concert pr é sent éou animé, par le dir ecteur musical ou par unintervenant ext é rieur.Ex : Opéra National de Lyon – série de concerts“ L es mercr edis de Mozart”, P rogra mme court commenté par Louis Langr é e.A partir de 8 ans et en fa mille.

Le degré d’interventions parlées durant le dérou-lement du concert est variable. Il peut s’agir soit de propos rapides de pr é sentation de la oudes pi è ces qui vont être interpr é t é es, soit d’unv é ritable découpage musical de la séance. Ex : Orchestre de Paris – série des “ConcertsJeunes” à la cité de la musiqueA partir d’une œuvre sp é cifique : écoute des instruments, des moments cl é s, puis auditionint é grale.

L es œuvr es sont le plus souvent choisies dansle répertoire classique et fr é quemment dans lesœ uvr es concertantes permettant l’expositiond ’ un soliste. Ex : Radio France – “A teliers d’écoute ”D estinés aux 8-15 ans. Interpr é tation par uneformation de Radio France avec soliste et / oumusicien invit é .

L’ E nsemble Intercontemporain choisit pour sapart de mettre en regard une œuvre classique etune œuvre contemporaine, l’analyse compar é edes deux pi è ces pr é c é dant leur interpr é tation.L’Orchestre National d’Ile de France ne présentepour les jeunes que des pièces contemporainesqui font chaque année l’objet d’une commandesp é cifique.

Il est difficile de savoir, à partir des renseigne-ments dont nous disposons, si les concerts pr é sentés gardent la même pertinence avec ousans pr é paration pr é alable ; la question pos é eici est celle du caractère “traditionnel” duconcert ou de son “aménagement” éventuel pour

qu ’ il compr enne ou non une part pédagogique.L es deux syst è mes semblent cohabiter, dans unebalance incertaine entre la volonté de livrer lamusique “brute”, alors pr é parée par diff é r entstypes d’interventions en amont, et la volonté dem é nager le jeune public par une pr é sentation la plus animée possible du progra mme musical.Il semble néanmoins que les exp é riences ten-t é es il y a quelques ann é es d’animer la musiquepar “autre chose” aient été abandonnées ; nousn ’ avons pas recensé d’interventions de l’image( diapositives, images anim é es, lumi è r es sp é ci-fiques...), mais des contr e - exemples viendrontpeut - ê tre de la salle.C ette irruption éventuelle de l’image n’est eneffet pas anodine. A ssez fr é quente dans lepassé, elle provenait souvent d’une crainte de nepas parvenir à “plaire” sans un accessoire à lamusique elle - m ê me. Cette crainte était d’ailleurssouvent accrue par les propr es réticences despartenair es et des commanditair es, eux - m ê mesfr é quemment mal à l’aise avec le langage musical.Le constat semble être général aujourd ’ hui del ’ importance de privil é gier le discours musical,de le pr é server dans son int é grité et donc dansson sens même sans pour autant renoncer à lefaire partager.

Dans cette démarche, la préparation du publicen amont du concert, comme moyen d’en faciliterl’approche, se systématise. Cette préparationpr end plusieurs formes que nous allons essa yerde pr é senter de manière synth é tique.

II - B) Les diff é ren tes formes de pr é paration

L es répétitions ouvertes ont longtemps été l ’ un des seuls moyens utilisés pour pr é par er auconcert.En effet, ouvrir les portes lors des répétitionsest une formule simple et l’on peut consid é r ercet acte comme suffisamment explicite du travailde l’orchestr e.M ais le constat a été rapidement fait de la diffi -culté à compr endre bien le travail musical pr é alable au concert sans que l’on dispose desclés minimums nécessair es à son décodage.

Il faut néanmoins sur ce type d’action aussi, par-venir à convaincre les partenaires, notammentles enseignants, qu ’ assister passivement à unerépétition n’équivaut pas à une véritable prépa-ration.D eux remarques importantes s’imposent à cepoint de l’exposé :

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L es interlocuteurs des orchestr es, dont le corpsenseignant, doivent garder une responsabilité et une implication qui sont essentielles à lar é ussite de toute pédagogie: certains partenair esont parfois cette tentation d’une délégationtotale du travail aux orchestr es, au double pr é-texte de la méconnaissance de leur secteurd ’ activité et de l’appar ente difficulté du langagemusical.

C orollaire de cette pr emière remarque, lesorchestr es sont des “artistes collectifs” et nonpas des pédagogues. L’outil instrumental peutet doit être mis à la disposition d’un projet édu-catif, mais la substitution compl è te de l’or-chestre aux autr es acteurs de la formation, tou-jours inefficace, n’est pas souhaitable.

C’est ainsi qu’une collaboration s’installe entreles diff é r ents acteurs pour répartir les tâches depr é paration selon les comp é tences:

L es répétitions ouvertes sont généralement pr é-c é d é es au moins d’une rencontre des respon-sables de l’orchestre avec les ma î tr es ou lesprofesseurs pour communiquer des explicationsde base sur le fonctionnement de l’orchestre et le contenu de la répétition. Ex : Opéra de Bordeaux – “enseignants - r elais ”A la rentrée scolair e, formation d’enseignants àl ’ é coute musicale des œuvr es pr é sent é es dansla saison.

Les enseignants sont souvent appelés à procéderà une première phase de découverte élémentaireavec leurs élèves, notamment celle de l’instru-mentation de l’orchestre symphonique. Ils peuventdisposer pour ce faire d’un livr et pédagogique.Ex : Orchestre régional de Cannes – concertsscolair esUne “valise pédagogique” fournie par l’orchestreaide les enseignants à pr é par er leurs élèves.

U ne autre formule consiste à animer la répéti-tion par des interventions orales, par le chef ouun intervenant ext é rieur, les th è mes musicauxpar exemple étant mis en avant.Ex : Les Musiciens du Louvr e - G r enoble – r é p é t itions ouvertes aux coll é gienscomment é es par le chef ou un artiste lyrique.

E nfin, il est fr é quent que la répétition ouvertesoit le pr é texte à son issue à une rencontre avecle chef, le ou les solistes, des musiciens de laformation voire même des membr es des person-

nels administratifs et techniques et à une visitedu bâtiment.Ex : Orchestre symphonique de Mulhouse –r é p é titions publiquesD ans le cadre de “Campus en musique” : r é p é t itions ouvertes aux étudiants et concertsuniversitair es.

En pr enant l’initiative de développer des actionséducatives, tous les orchestres constatent trèsvite l’ampleur de la demande et sont rapidementconduits à élabor er des projets sp é cifiques. La logique suivie alors privil é gie toujours un tra -vail en profondeur avec des partenaires choisis,au détriment logique du nombre d’élèves accueillis.

II - C) Des projets sp é cifiques

C es projets ont généralement les caract é ris-tiques suivantes :

- I ls reposent sur des partenariats étroits par-fois complexes et une très forte motivation desintervenants.- I ls se déclinent sur le long terme (éventuelle-ment plusieurs ann é es ) .

S ur le plan institutionnel, ils associent à l’or-chestre plusieurs types de partenair es :

- Jumelage avec une école,Ex : Philharmonie de Lorraine – convention dejumelage avec un coll è ge / lyc é eP r é paration aux répétitions et concerts.I nt é gration dans l’orchestre des élèves optionmusique.

- C ollaboration entre une ville, l’Inspectiond ’ A cad é mie et la D R AC,Ex : Orchestre Philharmonique de Strasbourg –cellule éducativeE tude de tout projet pédagogique lié à lamusique (pr é sentation d’instruments aux ensei-gnants, interpr é tation de quelques pi è ces demusique) en collaboration avec le Rectorat et la D R AC.

- A ssociation avec des comités de quartier,Ex : Orchestre Philharmonique de Montpellier –comités de quartierR elais d’information : réunions de quartiers,tarif réduit, gratuité pour les ch ô meurs et lesenfants.

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- C onventionnement avec la Caisse des Dépôtset Consignations (exa miné plus loin ) .

- A ssociation (rare) avec les conservatoir es eté coles de musique.Ex : Opéra National de Lyon – partenariat avecé coles de musique et danse.

- Actions orientées vers des publics spécifiques :prison, hôpital.Ex : Orchestre de Picardie – animation en milieucarc é ral.Ex : Orchestre de Cha mbre National de Toulouse– interventions de musiciens à l’hôpital desenfants de Toulouse.

S ur le plan musical :

- I ntervention d’un musicien dans une classepermettant aux élèves de voir et “toucher” lesinstruments, de rencontr er un soliste, d’appr é-hender le métier de chef d’orchestr e.Ex : Orchestre des Pa ys de Savoie – “ateliersmusicaux ”I ntervention des musiciens de l’orchestre dansles coll è ges.

- D ans une commune rurale, association desenfants et de leur professeur à l’organisation dela venue de l’orchestr e.

- Parrainage d’une classe pendant toute uneannée par quelques musiciens de la formation.Ex : Orchestre de Bretagne – “l’ami musicien ”S ept musiciens accompagnent chacun une clas-se de primaire pendant un an :- Présentation de l’orchestr e, atelier musical,accueil en répétitions et concerts.- Organisation d’un concert de l’orchestre dansleur commune par les enfants.

L’ une des formes les plus élabor é es de ces op é-rations spécifiques a trait à la pratique instru-mentale v i a la participation à la cr é ation d’uneœ uvre musicale :

- C hantier de la cr é ation musicale. A insil ’ O rchestre National de Lyon, qui fait partie desorchestr es accueillant réguli è r ement un compo-siteur en résidence sur plusieurs ann é es, a-t-il initié des ateliers de cr é ation qui associent desmusiciens de l’orchestre à un jeune compositeurpour écrire une partition à partir des matériauxsonor es proposés par les enfants.

- A telier musical : l’Orchestre National des Pa ysde Loire accueille une classe pendant huit jourspour découvrir l’orchestre en répétition etconcert ; un musicien intervient ensuite pendantun mois dans la classe pour aider les enfants à cr é er une partition; celle - ci sera ensuite jou é epar les musiciens de l’orchestr e.

N ous pouvons nous attarder plus longuementsur deux actions, prises à titre d’exemple :

L’ O rchestre de Bretagne : P r enant exemple sur les “fa mily concerts” prati-qués en Grande - B r etagne, l’Orchestre deB r etagne tente à nouveau l’exp é rience de pr é-senter un progra mme associant activement lepublic : la partition d’une œuvre (un extrait deC arm e n en 2001) est proposée un mois avant leconcert aux personnes achetant leur billet ; lepublic (enfants et adultes) est invité par le chefà se joindre à l’orchestre pour jouer l’œuvr e. C et exemple est appelé à être repris par d’autr esformations prochainement.

La Caisse des Dépôts et Consignations :La Caisse soutient nota mment deux op é rations.

La pr emière est dénommée “Campus enmusique”. Elle consiste depuis 1992 à aider aufinancement de concerts à l’université, etconcernait en 1999-2000 15 régions et 22 villes.

La seconde est dénommée “Quatre ans de voya-ge avec orchestre”. Elle associe deux classesd ’ un coll è ge en Zone d’Education Prioritaire àl ’ O rchestre National d’Ile de France dans unparcours de la 6è me à la 3è me, les mêmes élèvessuivant ce travail sur toute la période.

L es acteurs de ces actions étant nombr eux dansla salle, ils pourront probablement les détailler.

Pour éviter d’être trop long et pour simplifier notr epropos, nous avons choisi de ne pas relever lesinitiatives développ é es dans le domaine dulyrique. En effet, celles - ci sont nombr euses maispeuvent s’appuyer sur d’autr es supports que laseule matière musicale et supposent donc untravail très diff é r ent. Je citerai simplement pourm é moire la cr é ation avec l’Orchestre Nationalde Lille d’un op é ra pour enfant ou à Nice la cr é a-tion des décors et des costumes de H ä nsel etG retel à partir de dessins d’élèves.

On le voit, les initiatives sont très nombr euses,

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très variées. Elles donnent à tous les intervenantsl ’ impr ession d’être en train de gravir le pr emierbarr eau de l’échelle. . .

III) Le premier barreau de l’échelle

Face au défi que constituent les actions éduca-tives, les orchestr es sont nombr eux à revendi-quer une meilleure définition des rôles de chacun.

III - A) Pour une définition des rôles

Le constat que font tous les orchestr es en s’en-gageant dans ce type d’action est toujours paradoxal : si la satisfaction et l’émotion sontr é elles face à l’émotion des publics touch é s,constante est la frustration face à l’ampleur dutravail qui doit encore être réalisé. Si les progr è sont été consid é rables dans les derni è r es ann é es,il reste encore tant à fair e. . .

S ans doute conviendrait - il que les enseignementsartistiques soient promus dans l’enseignementg é n é ral, en tout cas comme disciplines d’éveilau sensible et à l’intelligence (toujours dans cem ê me jeu entre le “ressentir” et le “compr endr e ” ) .On doit en effet constater que la musiquesemble plus difficile encore à appr é hender qued’autres formes d’expression artistique. Est-cele langage musical lui - m ê me qui en est la cause,indéchiffrable à qui n’en connaît pas les codes?

C et obstacle, que nous avons déjà relevé plushaut, fr eine consid é rablement les relations avecceux dont les orchestr es aimeraient faire plusencore leurs partenair es (enseignement nonsp é cialisé, élus...). Il conduit également danscertains cas à dénatur er la musique, sans pourautant pouvoir pr é tendre être meilleurs péda-gogues.

Dès lors, notre insistance à ce que les rôlessoient mieux définis n’en est que renforc é e.Les orchestres ne sont pas chargés d’éducation;ils sont artistes ou producteurs de concerts,simplement désir eux de faire partager desm é tiers et le goût qu ’ ils ont pour l’expr essionmusicale. L’utopie merveilleuse consisterait donc à imagi-ner que l’ensemble des acteurs puisse disposerdes moyens de faire partager la musique: lafa mille, l’école, les artistes, les producteurs deconcert. . .

Avant que cette évolution de la société française

ne puisse enfin être constat é e, les orchestr es agi -ront encore longtemps, à l’échelle qui est la leur.

C ependant, il convient d’ajouter que cette échel-le est largement déterminée par les moyensfinanciers dont ils peuvent disposer, et que cesmoyens sont quasiment inexistants.Les financements publics permettent aux orches-tres de couvrir leurs charges fixes, constituéespour l’essentiel des salair es. Les cr é dits desti-nés aux actions éducatives, dans la majorité descas, sont pr é levés sur les budgets artistiques ou sur ceux de la communication.L es pouvoirs publics ont retenu l’idée du déve-loppement de ces activit é s, en ont poussé l’ins-cription dans les cahiers des charges, prenantacte certes d’une nécessité, mais également desbudgets que chacune des formations a elle -m ê me dévolue à ce domaine. En revanche, aucuncr é dit sp é cifique nouveau n’a permis de com-penser les dépenses importantes que génère cetravail.L’ argument de l’augmentation du public (quiserait automatiquement induite par les actionsé ducatives), et donc de l’augmentation corr es-pondante des recettes de billetterie ne peut pasê tre retenu.Tout d’abord, parce que l’enfant d’aujourd ’ huin ’ ach è tera évidemment son billet de concertqu ’ apr è s - demain ! Mais aussi parce que la moti-vation pour ce travail ne s’inscrit pas et ne peutpas s’inscrire dans une logique de rentabilité à court terme. Les orchestr es tiennent, et voil àsans doute encore un réflexe d’institution ana-chronique (!), à affirmer haut et fort leur respectpour une mission de service public, justificationfonda mentale de l’attribution de fonds publics.

N ous conclurons en évoquant notre trajet vers ledeuxi è me barr eau !

III - B) Vers le deuxi è me barreau de l’échelle

Le quasi - monopole de la musique dite “savante ”dans les financements publics pendant desann é es est aujourd ’ hui révolu. D’autr es formesd’expression musicale ont suscité l’intérêt despouvoirs publics et les financements corr espon-dants.C et éclatement de “la distinction” (au sens oùl ’ entend Pierre Bourdieu) et l’affaiblissement dece qui était l’apanage social d’une élite, ontconduit les orchestres à relever le déf i, si ce n’estde la popularisation de leur forme d’expr ession,en tout cas de l’élargissement de leur public.

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Ce mouvement est aujourd ’ hui général, et unv é ritable effet d’entra î nement se fait jour,chaque formation pr enant connaissance desactions men é es par les autr es, le partage des exp é riences étant maintenant organis é .

Il fallait aussi en interne convaincre les artistesdu bien - fondé de ces actions et du professionna -lisme des démarches. C’est chose faite ; sortantd ’ un conservatisme longtemps très fort, lié au sentiment de jouer pour une élite dont ilsauraient partagé alors les pr é rogatives, lesmusiciens (musiciens d’orchestre et solistes ) ,affirment clairement leur volonté de mieux faireconna î tre leur métier, et faire partager leurs plai-sirs musicaux (notons comme un signe positifque les musiciens d’orchestre revendiquent eux -m ê mes de participer plus activement à la défini-tion des projets de l’institution à laquelle ilsappartiennent ) .

Q u ’ il s’agisse donc des instrumentistes ou desé quipes de dir ection et de gestion desorchestr es, on constate aujourd ’ hui à une inven-tivité remarquable.

Tous constatent les particularités de leur cha mpg é ographique d’intervention, tous inventent des réponses adaptées à ces particularités, et lesquelques exemples qui ont été donnés doiventê tre compris comme une simple étape vers lesbarr eaux sup é rieurs de l’échelle. . .

N ous conclurons en indiquant seulement unepiste de réflexion à laquelle les orchestr esdevront à notre sens porter attention : si, commeon l’a vu, les actions éducatives à destinationdes jeunes sont désormais du domaine de l’évi-dence, on doit s’interroger sur les pratiques cultur elles des adultes, dont il ne faut pas sous -estimer le désir de découverte et la capacité àr ejoindre les rangs du public de nos formations.M ais tout est à inventer face à cet auditoir epotentiel qui se distingue nota mment par saliberté (où et comment l’atteindre?). Le corollai-re de cette liberté est celui de la complexité del ’ action, de la cr é ation de réseaux nouveaux d’in-formation et de communication, de l’échelle territoriale sur laquelle il faut agir, sans oublierles donn é es socioprofessionnelles, détermi-nantes en l’esp è ce.

P lus encore peut - ê tre qu ’ en matière de jeunepublic, les orchestr es ne pourront être seuls surce terrain; c’est probablement de l’effort d’une

nation tout entière dont il s’agit ici, pour esp é r erfaire que la France rejoigne d’autr es pa ysd ’ E urope, et l’histoire cultur elle qui a été la sienne,en s’affirmant comme un pa ys de musique.

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Les outilsd ’ é l a rgissement des publ i c s

L es poin ts de vue des princi-pales cat é gories d’acteurs desactions éduc atives sont repr é-sentés au cours de cette tableronde, y compris au niveau in ternational. Un échange parti-culi è rement ouvert permet deprendre conscience de l’implic a-tion des musiciens, qu ’ ils soien tcompositeurs ou appartiennent à un orchestre, ainsi que desr é flexions de l’Educ ation nationale. Les débats sont enri-chis de l’apport de la GrandeB retagne, tant sur un plan géné-ral avec l’Association desOrchestres Britanniques, que surle plan très conc ret des actionsmenées notamment à l’OrchestreS ymphonique de Londres.

P r é sentation :Jean - M arc Bador,D ir ecteur délégué de l’Orchestre de Bretagne

R apporteur :Patrice A rmengau,Directeur des formations musicalesde l’Opéra National de Paris

I ntervenants :J acqueline Bruckert,Professeur au CFMI de l’Universitéde Lille IIIL ibby Mac N amara,D ir ectrice de l’Association desO rchestr es BritanniquesR ichard McNicol,R esponsable du service p é dagogique de l’Orchestr eS ymphonique de Londr esVincent Maestracci,I nspecteur général de l’EducationnationaleE ric Pic ard,1er violoncelle solo de l’Orchestr ede ParisE ric Tanguy,C ompositeur

M od é rateur :D ominique Boutel,P roductrice à France Musiques

D ominique BoutelQ uelle est la motivation des musi-cie ns lorsqu ’ ils s’engage nt da ns desactions à destination du je unep ubl ic ?

E ric Pic ardL es concerts jeunes sont nés àl ’ O rchestre de Paris d’uned é marche de Monsieur Wozlinsky,alors dir ecteur général, qui souhai-tait offrir aux enfants de vraisconcerts, c’est - à - dire sans ajouterun discours à la musique. Cela aété un réel succès du point de vuede la fr é quentation mais j’avais lesentiment que l’orchestre était uti-lisé comme un outil trop compact.C ent musiciens qui jouentensemble, cela ne laisse pas beau-coup de place aux individualit é s, orje crois que lorsque l’on favoriseles individualit é s, on évite l’indivi-dualisme, ce qui donne de l’énergieau groupe. La conception de cesconcerts a évolué : nous travaillonsen amont avec une classe et cesenfants deviennent une sorte dem é diateur vers les autr es enfantsdans le public. C ependant, les choix artistiques neviennent pas des musiciens eux -m ê mes.Pour faire en sorte que les musi-ciens soient acteurs de leur devenirmusical et trouvent vraiment unsens à leur rôle, il faudrait qu ’ unecommission artistique associer epr é sentants de l’orchestr e, dir ec-teur artistique, dir ecteur général,etc., afin que les musiciens devien-nent une véritable force de proposi-tion plutôt que de fr einer ce quipourrait se fair e.

D ominique BoutelE st - ce que cela veut dire que cetterecherche de nouv ea ux publ i cs passepar une nouv elle conception de l’or-chestre ?

E ric Pic ardJe le crois. Je souhaite que les pro-positions émanant des musiciens,approuv é es par l’orchestre lui -m ê me, puissent aboutir. Ceux quine souhaitent pas ce type d’actionspourraient alors rester en arri è r e,mais au moins dans le silence. Si nous arrivons à une démarche de

ce type, nous modifierons radicale-ment la structur e. Cela impliquepour nos dirigeants de lâcher cer-taines choses. Les musiciens eux - m ê mes se retrouvent dans desdissensions internes. La structur eactuelle écrase très rapidementceux qui veulent faire quelquechose dans une machinerie qui, àmon sens, ne permet pas la cr é a-tion, n’ouvre pas de zones un peu“ sauvages ” .

D ominique BoutelR i chard McNicol, y a-t-il en Gra nde -B retagne une autre conception deschoses ?

R ichard McNicolN on, pas du tout. Quand j’étais fl û-tiste au sein d’un orchestre, nousavons fait des concerts horriblespour les enfants : nous leur appr e -nions que Beethoven était sourd,

que Bach avait des millions d’en-fants, pas un mot sur la musique !L es musiciens ont demandé quecela change. Depuis dix ans, lamise en place du “national curricu-lum” a changé beaucoup de choses.La loi a rendu obligatoire l’ensei- gnement de la composition musicalepour tous les enfants de 5 à 14 ans.Toutes les écoles poss è dent desinstruments Orff dans les écolesprimair es et des instruments plussophistiqués dans les écolessecondair es. Chaque semaine, lesenfants doivent composer de lamusique. Les enseignants et lesmusiciens peuvent alors travailleravec les enfants sur les élémentsmusicaux. D ans les écoles primair es, c’estassez difficile car nous n’avons pasde spécialistes de musique; il f aut

E ric Picard, Eric Tanguy, Vincent Maestracci

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alors s’appuyer sur la cr é ativité desenfants en leur posant desquestions : par exemple, commentpeut - on décrire telle ou telle choseen musique ?En Grande - B r etagne, ce travail atransformé la vie des musiciens.N ous étions des musiciens d’or-chestre jouant pour un chef.M aintenant, les musiciens peuvents ’ é vader dans des projets cr é atifs,pr endre des décisions. C’est unevie tout à fait dif f é r ente pour eux.

D ominique BoutelL i bby Mac N amara, l’exp é r ie nce deR i chard McNicol est - elle uni que, liéeà son orchestre et à sa personnalité ?

L ibby Mac N amaraD epuis quinze ans, il y a en effetdes exigences polit iques enG rande - B r etagne, qui imposent d ’ incorpor er ce type de travail dans

le syst è me scolair e. Les initiativesde ce genre sont donc de plus enplus répandues. Il est évident quel ’ intérêt de tout le monde ici est ded é velopper des publics nouveaux,mais ce n’est pas la raison princi-pale.Ce travail a commencé au débutdes ann é es 1980 avec le LondonSinfonietta, dirigé par Julian Moore.L es musiciens de cet ensemblevoulaient instaur er un rapport diff é-r ent entre les musiciens interpr è teset le public, faire en sorte que lespersonnes qui viennent écouter lamusique contemporaine puissent la compr endre mieux. Cette exp é-rience était tellement étonnanteque nombr eux ont été lesorchestr es qui ont développé desinitiatives similair es.P ierre Boulez a dit : “L’ orchestre est

un ensemble de possibilités”. C’estla preuve absolue qu’un orchestren ’ est pas seulement un ensembledirigé par une personne ; c’est plu-tôt un groupe d’individus tous aussicr é ateurs les uns que les autr es.Je veux souligner que le travail faitpar les orchestr es concerne aussides personnes qui ne deviendrontja mais des spectateurs. A insi, dansles prisons ou pour les personness é rieusement handicap é es ou enphase finale de maladies graves.C es actions viennent de ce quenous reconnaissons aussi le faitque le public peut exister en dehorsde la salle de concert. En Grande - B r etagne, chaqueorchestre aujourd ’ hui (nous comp-tons 45 à 50 formations) a un d é partement éducatif qui fait cegenre de travail.

D ominique BoutelLe Mini st è re de l’Education nationale veut remettre les pratiquesartistiques sur le devant de la scène.Pourriez-vous, Vincent Maestracci,parl er de vos besoins et de vosmo ye ns?

Vincent MaestracciLe ministre Jack Lang a annoncé savolonté de développer fortement les partenariats avec les acteurscultur els en dehors de l’école.C ette volonté s’appuie sur une his-toire, sur des réalisations de qualitéet sur une volonté de plus en pluspartagée des acteurs de l’Educationnationale. Je vois trois grandes étapes dansles collaborations entre leM inistère de l’Education nationaleet le spectacle vivant depuisquelques ann é es.Tout d’abord une étape pionni è r equi consistait effectivement à livr erdes “concerts bruts” pour un public scolaire captif, soit à l’int é-rieur des établissements, soit dansdes salles de concert. E nsuite, depuis environ dix ans,s ’ est consid é rablement développ é eune gestion en amont et en aval deces moments forts où l’élève ren-contre la musique vivante. La troisi è me étape se situe dansune vision prospective. Il s’agitd ’ associer des élèves aux gestes

artistiques du musicien profession-nel, c’est - à - dire à la productionmusicale véritable. Il y a là une ren-contre de l’élève avec l’exigenceartistique, ce travail de fond s’ins-crivant dans le temps et dans lar é gularité ; il est fait par les profes-seurs, avec l’aide des intervenantspour l’école primaire et professeurssp é cialistes d’éducation musicaleau coll è ge et au lyc é e.Je regardais la plaquette de l’AF Oconcernant les services éducatifsde tous les orchestr es repr é sent é spar l’association et je me félicitede voir que tous ont engagé unemultitude d’actions.

D ominique BoutelJ acquel ine Bruck ert, quel est votrea v is ?

J acqueline BruckertL es musiciens intervenants quenous formons dans les C F M I sont àla charnière entre l’école, lesenfants et les enseignants. Ils leurpermettent d’aller vers les lieux où se pratique l’art. L’ é cole doit être un lieu où lesportes sont battantes, c’est - à - dir equ ’ il faut pouvoir emmener desenfants dans une vraie salle deconcert et que les musiciens puis-sent aussi entr er dans une salle decours et travailler avec des enfants.Q uand les enfants pourront, dèsl ’ â ge de cinq ans, faire l’exp é riencequasi quotidienne d’une pratiquemusicale axée sur la cr é ation, c’est -à-dire qu’ils pourront expérimentereux-mêmes, pétrir la matière sonore,jouer avec les qualités des sons,alors ils sentiront que le concertn ’ est pas un moment de consom-mation cultur elle, mais de partaged ’ exp é riences.Je dois ajouter que la musique àl ’ é cole, c’est se cultiver, au sensd ’ entr er en résonance avec desœ uvr es, mais aussi appr endre à rai-sonner cette rencontre. Et c’est làoù est peut-être la spécificité del ’ é cole par rapport à d’autr es insti-tutions où les enfants peuvent aussipratiquer la musique.

D ominique BoutelLa musi que contem poraine n’aurait -elle pas un rôle à jouer en établ i ssa nt

R ichard McNicol, Libby Mac N a mara etE lisabeth Hayes

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un pont entre une cul t ure dite deconsom mation et une cul t ure plussa va nte ?

E ric TanguyL es projets auxquels j’ai pu êtr eassocié autour de l’idée de la qu ê tede publics nouveaux étaient tousassez singuliers et assez forts.L’ exp é rience la plus singulière quej’ai vécue s’est déroulée il y a deuxans, à l’occasion de l’éclipse totalede soleil, sur le parvis de laB asilique Saint - R é mi à Reims, avecle ciel qui devenait fou. Le publicé tait emballé par l’aspect visuel etpar son mariage avec la musiquequi devenait quasiment unemusique de ballet ou de film. Celasans que j’aie renoncé à mes pr é oc -cupations esth é tiques.La finalité du compositeur n’est pasd ’ ê tre joué, c’est de faire sa pi è ce et le mieux possible. Mais lorsqu ’ uncompositeur s’associe à des pro-jets singuliers, une couvertur em é diatique est assur é e. Celle - cipermet que les salles soient rem-plies, les publics variés et nou-veaux. Je pense aussi au FestivalP r é sence, au Festival Musica... tousmoments événementiels.E nfin, l’accueil de compositeurs enr é sidence permet un travail defond, qui s’inscrit dans le temps, etpermet des collaborations avec les structur es locales, les conser-vatoir es, les musiciens. . .

D ominique BoutelN ous al lons à pr é se nt lai sser la paro-le à la sal l e .

Participant Si la musique n’est pas diffus é edavantage dans les sc è nes natio-nales, vous n’élargir ez pas lepublic.

E ric Pic ard Je pense qu ’ il y a beaucoup dechoses à faire sur la pr é sentationdu concert. Quand on parle dessc è nes nationales qui progra mmentdes concerts classiques à reculons,je compr ends qu ’ il faut faire un vraitravail de conception des concerts,ou des pré concerts, destiné à touset pas seulement aux enfants.

R ichard McNicolIl me semble que la musique est àla fois plus complexe et offre plusde possibilités que l’on supposehabituellement. Les hommes poli-tiques pensent toujours que lamusique est faite pour ceux qui laconnaissent, que dans ce monde il ya ceux qui sont musiciens et ceuxqui ne le sont pas. Cela est tout àfait faux. Le théâtre ne pose aucunprobl è me, parce que tout le mondecompr end la langue. Or, dans notr edomaine, les enfants appr ennentpeu à peu que le monde est musical,qu ’ il n’existe pas de domaine non -musical.Si l’on peut cr é er une situation oùla musique fait partie de la vie dechacun, où la musique appartient àchacun, tout le monde devientmusicien et à ce moment-là, juste-ment, les hommes politiques sui-vent.

Y ves Rousseau( C h œ ur régional d’Ile - de - France )J ’ ai été responsable de 1982 à 1989de la diffusion et de l’animation auC onservatoire de Région de Lille.Je voudrais témoigner ici de la diffi-culté à faire se déplacer les élèvesdu conservatoire aux concerts del ’ O rchestre National de Lille, alorsm ê me que les deux maisons avaientd ’ ex cellentes relations. D ans notre syst è me fran ç ais où il ya les musiciens qui jouent lesconcerts et ceux qui enseignent, lesliens entre ces deux cat é goriessont difficiles à tisser.

N icole Salinger ( O rchestre de Paris )N ous devrions essa yer de fair edavantage pour donner des suitesaux actions éducatives et prolongerl’expérience de cette initiation parles enfants jusqu’à ce que l’écoutede la musique devienne natur elle.

M arie - P ierre Macian( P hilharmonie de Lorraine )Je voudrais me faire l’écho desr é flexions que nous avons men é esdans le cadre des réunions deschargés de communication desorchestr es fran ç ais. Nous savonsque la personne qui est au centr ede ces actions, c’est le musicien. Il

faut que le musicien s’approprie leprojet éducatif pour que l’on puissealler plus loin. On ne peut le luiimposer, mais il doit participer à soné laboration. Je soulignerai aussi la question descomp é tences des musiciens d’or-chestre pour mener ce type d’acti-vité. Grâce au travail de RichardM c N icol on s’est aperçu que celaest essentiellement dû à la repr é-sentation que le musicien d’or-chestre se fait de son métier ; c’estune certaine conscience de safonction qui va le conduire à êtr er ebuté par la réalisation des mis-sions éducatives. C oncernant les collaborations avecl’Education nationale et les CFMI,on s’aper ç oit qu ’ il y a un probl è meen ce qui concerne la formation desma î tr es : cinquante heur es de for-mation à la musique, dans le cadr edes IUFM, c’est trop faible. Or, on avraiment besoin d’enseignants –r elais.J ’ ajouterai que l’aménagement dutemps de l’enfant est une réellequestion, si l’on veut favoriser led é veloppement de nos actions endir ection des jeunes.E nfin, je veux souligner l’importan-ce des musiciens intervenants,parce qu ’ ils sont vraiment le lienentre les musiciens d’orchestre etles écoles. C’est là un rôle difficileet essentiel.

Vincent MaestracciJ ’ ai l’occasion ici de pr é ciser ce quiest à la base de l’éducation musica-le dans l’ensemble du cursus scolai-re de la maternelle à l’universit é .N ous travaillons sur trois grandscha mps : le cha mp de l’interpr é ta-tion, le cha mp de l’audition et lecha mp de la composition. C oncernant la composition, c’estun jeu d’appropriation du langagequi permet ensuite de visiter lesœ uvr es et d’avoir envie d’aller lesentendre dans une situation despectacle vivant.C oncernant l’interpr é tation, leministre a beaucoup parlé de sonsouhait de développer le chant cho-ral. C’est un instrument de musiqueque tous les élèves ont avec eux. Led é veloppement des pratiquesvocales permet d’engranger un cer-

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tain nombre de références qui ren-voient au patrimoine et sur les-quelles l’élève peut appuyer und é veloppement ult é rieur de sa cul-ture musicale.C oncernant la formation desma î tr es, la quotité de formation ini-tiale consacrée à la musique dansla formation professionnelle desprofesseurs des écoles est aujour-d ’ hui dérisoir e, je vous le conc è de.E st - ce que, pour autant, on pourraitdire qu ’ il suffirait de multiplier lescinquante heur es qui sont aujour-d ’ hui imparties à cette formation ?Je ne le crois pas. Le probl è me estsans doute ailleurs. L’ offre est multiple et il y a unedemande, dont j’encourage l’expli-citation ; il faut que la demande etl ’ offre se rapprochent pour une plusgrande efficacité.

J acqueline BruckertCe que l’on attend du musiciend ’ orchestre c’est qu ’ il soit pleine-ment là où il est attendu et reconnu,c ’ est - à - dire un interpr è te. Orqu ’ est - ce que l’interpr é tation si cen ’ est cette aventure int é rieure quicroise à tout moment l’exp é riencede l’absorption au sens pr esquespirituel du terme, c’est - à - dir el ’ é norme travail int é rieur que celasuppose que d ’ ê tre dans le tempsd ’ une œuvre et non plus dans letemps du réel... c ’ est bien cela quise croise avec l’exp é rience de larationalité et permet que l’œuvr etrouve son sens. Sans l’interprète, lamusique ne serait que virtuelle ;l ’ interpr è te est bien au point nodalde la vie musicale, parce qu ’ il est le passeur entre l’œuvre que lecompositeur lui a confiée et l’audi-teur. Nous avons un travail à fair epour que les enfants et les adultespuissent rencontr er au mieuxl ’ œ uvre d’art. Et qui la fait mieuxpasser que l’interpr è te ?

Page 31: Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

2

La naissance du concert moderne au X I Xe s i è c l ePar L a u re Sch n ap p e r, chercheur à l’Ecole des Hautes Etudes en S ciences Sociales

L’ a rt de la re n c o n t reE ntr etien avec A l b e rt Ja c q u a rd, scientifique, humaniste et mélomaneD isponible sur le site www. france - orchestr es. com

Comment présenter la musique viva n te ?

I ntervenants :

Pat rice Carat i n i ,M usicien de jazz

M a rc-André Dalbav i e ,C ompositeur

Jérôme Pe rn o o ,Violoncelliste

A rnaud Pe t i t ,C ompositeur

Dr Elmar We i n ga rt e n ,D ir ecteur général de l’Ensemble Modern de Francfort

P r é sentateur :

Jacqueline Bro ch e n ,A dministrateur- d é l é guée générale de l’Orchestre National de Lille

R apporteur :

E ric Montalbetti,D é l é gué artistique de l’Orchestre Philharmonique de Radio France

M od é rateur:

Alain Surra n s,C onseiller à la musique, D M D T S – Ministère de la Cultur e

La salle de concert , outil de médiation ve rs le publ i cD ialogue avec Paul A n d re u, architecte

I nterlocuteur :

Stan Neumann,C in é aste

P r é sentateur :

G e o rge Sch n e i d e r,D ir ecteur général de l’Ensemble orchestral de Paris

R apporteur :

H e rvé Burckel de Te l l ,S ecr é taire général de l’Orchestre de Paris

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Le spectacle de l’orch e s t reLe spectacle de la musique est l’un des moyens de sa mise en relation avec le public. Cette probl é matique de la tra nsm i s-sion, constante au long de ces deux jours de colloque, estillustrée nota mment par une interview d’Albert Jacquard, quid é veloppe le th è me essentiel de la re ncontre.L es modalités de cette transmission sont - elles diff é r entesaujourd ’ hui ou devraient - elles évoluer ? Une analyse histo-rique pr é c è de les discussions en offrant un éclairage très par-ticulier sur l’apparence et le rituel du concert au XIXe siècle.La table ronde qui suit permet un large débat sur les mythes et réalités de ce sujet, enrichi du regard de l’Orchestr eP hilharmonique de Berlin.Parce que la salle de concert doit être comprise comme l’undes éléments du spectacle de l’orchestr e, l’architecte PaulA ndr eu s’exprime au travers de ses projets de salles pourP é kin et Shanghai.

Page 33: Orchestres au présent - 1er Forum international des orchestres français

La naissance du concertm o d e rne au X I Xe s i è c l e

Le répertoire et la forme du concert modernesont-ils vraiment un héritage du XIXe siècle ?L’ approche historique qui nous est propos é eici bouscule les id é es re ç ues en mon trant quele X I Xe si è cle n’est pas monolithique et queles comportemen ts ont profond é ment évolu édurant cette période. N ul doute que le X I Xe si è cle aura été celui dela formation, la connaissance étant jug é eindispensable à la régénération et à la morali-sation de l’homme. Dès lors, tout est fait pour que la musique, langage universel, soitpopulaire ; la pratique amateur se développeconsid é rablemen t.A la fin du si è cle cependan t, la complexit étechnique des œuvres, l’inven tion du phono-graphe, la professionnalisation croissan tedes artistes, con tribueront à une désaffec-tion progressive de la pratique amateur don tnous mesurons encore aujourd’hui les effets.

L a u re Sch n ap p e rC hercheur à l’Ecole des Hautes Etudes enS ciences Sociales

Aujourd ’ hui la mode est à l’éclectisme et aumulticulturalisme, qui se traduisent dans la viemusicale par des pratiques de mélange dans un même concert de musiques appartenant à dif-f é r ents répertoir es. Cette op é ration qui n’estpas anodine, puisqu ’ elle consiste à extraire cesmusiques de leur contexte historique, géogra-phique et social et qu ’ elle suppose que l’auditoi-re soit initié à toutes ces musiques à la fois,s ’ est manifestée par exemple par l’ajout d’un“s” à son appellation par France Musiques, oulors d’un concert officiel comm é morant le 14juillet 2000 lorsque Patricia Kaas a succédé à unecantatrice ayant interprété un grand air d’opéraclassique.On sortirait ainsi du mod è le élitiste de la formeclassique du concert héritée du XIXe siècle pouratteindre toutes les couches de la population etr é gler le probl è me de plus en plus aigu de lad é sertion des salles de concert.En fait, la forme actuelle du concert et le réper-toire sont - ils véritablement un héritage du X I Xe

si è cle ? Est - ce faire pr euve d’ouverture d’espritou au contraire de démagogie de mêler des

r é pertoir es éloign és ? En se posant ces ques-tions et en évoquant les diff é r entes étapes quiont mené à la forme actuelle du concert, on ten-tera d’apporter un éclairage nouveau sur unesituation qui inqui è te le monde musical d’au-jourd ’ hui : la désaffection pour la pratique etl ’ é coute du répertoire classique.En tant qu ’ historienne de la musique, je proposede faire un retour en arrière sur ce X I Xe si è cle,r endu responsable pour ne pas dire coupable decet élitisme si décrié aujourd ’ hui.

1 . Les débuts du concert publ i c

Le concert public pa yant, tel que nous leconnaissons, est une invention très tardive. EnFrance, c’est à partir de la Restauration et sur-tout après la révolution de 1830 que la musiqueé crite sort, en partie, de la Cour et des salonsaristocratiques. Cette révolution sociale et poli-tique va être le début du formidable essor duconcert pa yant, appelé alors concert “à bénéfi-

ce”, c’est - à - dire au bénéfice,ou dans le pire des cas auxfrais, du musicien qui l’orga-nise, en général dans lessalons des grands facteursd ’ instruments. Le nouveaupublic s’élargit en compr e-nant la riche bourgeoisie,qui n’a pas forc é ment deculture musicale et qui estfriande de musique “facile”.

E ntre 1830 et 1848, c’est le règne de la virtuosit é ,l ’ é poque où Paganini se produit dans toutel ’ E urope et électrise les foules ainsi qu ’ unequantité de virtuoses de ce nouvel instrumentbourgeois, le piano, comme Kalkbr enner, Herz,Thalberg et surtout Liszt.

C omment se déroulait un concert au X I Xe si è cle ?Pas du tout comme aujourd ’ hui : jusqu ’ en 1870 au moins, la plupart des concerts étaient compo-sés d’une dizaine de “num é ros” qui faisaientalterner musique instrumentale et chant( E scudier, Dict. de musique de 1854: “Concert :ce mot vient du latin conciner, et signifie uner é union de musiciens qui ex é cutent des mor-ceaux de musique vocale et instrumentale.” ) .

Il reste rare jusqu ’ en 1870 – à l’ex ception desséances de quatuor à partir des années 1850 – deprésenter seulement de la musique instrumentaleet Liszt, qui a la réputation d’avoir inventé ler é cital de piano en 1839, fait figure d’ex ception.

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C ’ est qu ’ en France, l’op é ra garde sa supr é matieet le public aime à entendre au cours d’unconcert, surtout vers 1830, les transcriptions etles fantaisies sur les airs des op é ras en vogue( rappelons que les moyens de reproductionn ’ existaient pas). Même aux séances de la tr è sé litiste Société des Concerts du Conservatoir e,alternent jusque dans les ann é es 1860 musiquesymphonique et musique vocale. A côté de lasymphonie de Beethoven (jouée en une fois oubien deux mouvements au début et deux à la findu concert), on trouve des airs de Rossini,M ehul, Gluck, des solos instrumentaux, des vir-tuoses qui jouent des extraits de concertosqu ’ ils ont écrits eux - m ê mes (Kalkbr enner, Herz,C hopin ) .L es symphonies de Haydn, Mozart et Beethovené taient généralement plac é es au début ou à lafin des progra mmes ; bien que de plus en plusr é v é r é es et devenant progr essivement lesmod è les du canon de la musique, elles étaientfinalement moins populair es que les airs et lessc è nes des op é ras et des oratorios placés aucentre du progra mme.

Le répertoire ne se compose dans la pr emi è r emoitié du X I Xe si è cle que de musique “vivante”. Ilne viendrait pas à l’esprit de jouer les œuvr esvieilles et démod é es du si è cle pr é c é dent à partquelques initiatives isol é es comme les“ concerts historiques” de Fétis. La Société desC oncerts du Conservatoire fondée en 1828 aulendemain de la mort de Beethoven avec le butde jouer ses symphonies est une nouveauté etr este une ex ception.M ais le pourcentage d’œuvr es nouvelles décro î tprogr essivement au cours du si è cle, surtout àpartir de 1870 et en 1900 le répertoire est sem-blable à celui que nous connaissons : ainsi auG ewandhaus de Leipzig, la proportion de com-positeurs vivants passe de plus de 70% dans lesann é es 1820 à à peine plus de 20% en 1870. Ler é pertoire se fige autour d’un petit nombr ed ’ œ uvr es choisies, consid é r é es comme des chefs -d ’ œ uvr e, qui vont devenir, à l’instar du mus é epour les beaux - arts, les standards de nosconcerts actuels et des mod è les pour les com-positeurs des générations post é rieur es.

Le comportement du public au concert classiqueque l’on connaît aujourd ’ hui est codifié, commetout autre acte social : le public est immobile,muet et silencieux, concentré (au moins physi-quement) vers la sc è ne qui est seule éclair é e. Ilse distingue en partie du comportement, ob é is-

sant à d’autr es codes, du public des concerts dejazz qui se distingue à son tour de celui dupublic du chanteur de variété à l’Olympia et ainside suite.Or, à travers la presse de l’époque, on s’aperçoitque cette attitude est le fruit d’un long processusqui s’est déroulé tout au long du XIXe siècle etqui ne s’est achevé que dans les ann é es 1880-1890.En effet, l’immobilisme n’était pas acquis en1840, puisqu ’ on lit dans la pr esse que la salleS aint - H onoré est réduite pour aménager unespace au fond pour que les “promeneurs” netroublent pas l’auditoir e.De même, le respect de l’œuvre qui consiste àne pas troubler son bon déroulement n’étaitguère observé: en 1860, la célèbre pianiste MarieP leyel est interrompue par des applaudisse-ments au cours d’un concerto avec l’orchestr ePasdeloup aux concerts du Louvr e, et elle doitr ejouer imm é diatement le passage demandé. C omme à l’Opéra, on redemande un bi s imm é-diatement, pratique qui s’est maintenue jusqu ’ àla première moitié du XXe siècle. Les applaudis-sements et parfois les interventions à haute voixponctuent les repr é sentations de l’op é ra. Lepublic est donc partie pr enante du spectacle,comme le public aujourd ’ hui de la musique nonclassique.E nfin, l’assombrissement des salles afin depermettre une meilleure concentration sur lamusique plutôt que sur le spectacle de la salle,est lui aussi récent en France (encore aujour-d ’ hui en A llemagne la lumière est souvent bais-sée seulement pour les concerts) : il a falluattendre la construction de l’Opéra Garnierinauguré en 1875 pour que la lumière soit éteintedans la salle, les conversations étant reléguéesà l’ext é rieur dans les foyers, pr é vus par Garnierpour cet usage.

En France, les publics silencieux sont lespublics d’élite comme les abonnés de la Soci é t édes Concerts du Conservatoire dont le but estde jouer les symphonies de Beethoven, ou ceuxqui assistent aux séances des sociétés demusique de chambre qui se développent à partirde 1850 ou aux rar es concerts que donne Chopindans le pr estigieux salon de Pleyel. Ces vraisa mateurs de musique “sérieuse” vont peu à peus ’ affirmer, au fur et à mesure que se développele public des concerts et imposer leurs normesau grand public.

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2 . Le développement des concert sp o p u l a i re s

Le public des concerts est donc d’abord essen-tiellement formé de l’élite aristocrate et de lanouvelle élite de la finance. O r, à partir de 1860 et pendant la troisi è me répu-blique apparaît le désir croissant de populariserla musique, instrument de la moralisation dupeuple. Il n’y a pas un autre si è cle comme le X I Xe

si è cle qui ait cherché et réussi à populariser leconcert et la pratique musicale. Pour les h é ritiers de la Révolution et pour les Saint -S imoniens, dont Liszt était proche, la régénéra-tion et la moralisation de l’homme par les bien-faits de la connaissance passent par l’art et enparticulier par la musique, considérée commelangage universel. La musique devient donc l’outilde cette révolution sociale. Le 27 octobre 1861, quatre mille personnes (alorsque cinq cents sont refoul é es faute de place ) ,assistent au pr emier des Concerts populair esfondés et dirigés par Jules Pasdeloup au Cirqued ’ H iver, avec au progra mme la S y m p honie pastoral e et le C oncerto pour violon deMendelssohn. Le concert est un triomphe et cetteinitiative va être initiée en province et à Parispar Edouard Colonne (Concert national, 1873)puis Charles Lamour eux.

C omment expliquer le succès de cette populari-sation qui ne se démentira pas jusqu’à la pr e-mière guerre mondiale environ ?L’ id é e, qui peut nous para î tre na ï ve mais qui està l’origine d’actions efficaces, est que le peuplene manque pas de goût mais d’éducation et quec ’ est par la force des choses qu ’ il se contented ’ un art dégradé et inf é rieur ; une fois éduqué, lepeuple se tourne tout natur ellement vers lescimes les plus hautes et les plus nobles de laproduction artistique.L es moyens mis en œuvre pour l’éducation dupublic sont importants : le X I Xe si è cle est en effetle si è cle de la formation alors que le X Xe si è cleest celui de l’information ou encore celui del ’ é ducation et non de la communication. Parmices moyens, il faut citer :

a ) L’ introduction de l’éducation musicale à l’éco-le primaire par Guillaume Louis Bocquillon, ditWilhem, chargé dès 1819 de l’enseignement de lamusique dans les écoles mutuelles ; en 1830, dix écoles reçoivent cet enseignement et en 1833la méthode de Wilhem est adoptée par toutes les écoles de la Ville de Paris. En 1836, des cours

gratuits pour adultes sont dispensés dans troisarrondissements et le soir, élèves et ouvriers ser é unissent dans les pr é aux des écoles pour chanter : c’est la naissance de l’orph é on.

b ) L’ essor de l’institution orph é onique qui, avecles disciples de Wilhem, pr end des proportionsgigantesques de 1848 à 1870 : la France entièrechante et un concours est même organisé à l’ex-position universelle de 1867. Pasdeloup, dir ec-teur de l’Orphéon pour la rive droite de Paris,utilise les meilleurs choristes pour les oratoriosjoués par son orchestre (ils ont été utilisés en 1859 par Wagner lors des trois concerts qu ’ ildirigea à Paris).

c ) La cr é ation des Concerts populair es parPasdeloup en 1861 qui abaisse consid é rablementles prix des places par rapport à la Société desC oncerts du Conservatoire (de 75 centimes à 5 francs, au lieu de 2 francs à 12 francs) en esp é-rant que les orph é onistes forment son public. Or ce concert avait valeur de test. Comme l’écritle journaliste de la “Revue et Gazette musicalede Paris” qui en fait le compte rendu :

“Il s’agissait de savoir si le grand nombre seraitdu même avis que le petit : si les chefs - d ’ œ uvr eles plus vastes et les plus élevés seraient com-pris d’une multitude qui n’avait ja mais pu enapprocher. Monsieur Pasdeloup, lui, a pens équ ’ au point où l’éducation musicale de notre cit éparisienne était arriv é e, on pouvait hausser leniveau et faire changer de classe à ces innom-brables élèves qui sortent de nos orph é ons etr emplissent les sociétés chorales, sans compterbien d’autr es étudiants ou amateurs dont lamusique est aussi devenue la récr é ation ou lapassion.”

Si Wilhem et Pasdeloup parviennent à fair eentr er le grand public dans une salle de concert,il faut aussi éduquer son comportement.Pasdeloup a eu des discussions hom é riquesavec son public pour le faire taire et Lamour euxen 1886-1887 n’hésitera pas à arr ê ter l’orchestre et s’asseoir jusqu’à obtenir le silence le plusabsolu. Tout siffleur doit, avec l’aide des gardesmunicipaux le cas éch é ant, quitter la salle. Lebut est atteint à la fin du si è cle : l’art classiqueest passé de la simple distraction à l’objet deculte.

A côté de cette pratique populaire plus oumoins instituée par l’Etat, le piano et sa pratique

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se répandent dans l’int é rieur bourgeois, gr â cenotamment à l’abaissement du coût de l’instru-ment avec l’industrialisation à partir des ann é es1850, et font vivre de nombr eux éditeurs demusique.

3 . La musique comme nouvelle re l i gion

Face à cette démocratisation, ceux qui se voientcomme les “vrais” artistes érigent la musique aurang d’une religion. La salle est très souventappelée un “temple de la musique” (Liszt, quientre dans les ordr es, en est le reflet). Lamusique n’est plus le pr é texte à un acte social,elle est une fin en soi. On choisit alors dansl ’ histoire de la musique les dieux ou les ap ô tr esde cette religion, c’est-à-dire les compositeursdignes d’être canonisés et qui vont seuls resterau répertoire : Beethoven qui a su le pr emierassur er sa pérennité, Bach, Haydn puis Mozart. . .A la fin du X I Xe si è cle, le concert n’est plus undivertissement mais une cérémonie dont led é roulement s’est à peu près ritualisé et fixé : lechef d’orchestre entre seul sur la sc è ne commeun célébrant, l’orchestre se lève comme uneassemblée eccl é siastique, le public n’intervientqu’à des moments fixés par avance.

Parall è lement, la professionnalisation des artis -tes, le niveau technique de plus en plus élev éque requiert l’ex é cution d’œuvr es de plus enplus complexes, l’invention du phonographe quise substitue à la fonction reproductrice dupiano, aboutissent à une désaffection progr essi-ve de la pratique amateur avec toutes sescons é quences sur l’économie (en France, il ner este pratiquement plus de facteurs de pianos, nid ’ é diteurs de musique classique) et la fr é quen-tation des concerts.

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L’ a rt de la re n c o n t re

L’ art de la rencon tre, voici sans doute ce quir é sume à la fois les propos d’Albert Jacquardet la probl é matique commune aux diff é ren tsth è mes abordés durant ce forum. En se d é finissant comme scien tifique, humaniste et mélomane, A lbert Jacquard développe autour du concert des propos généreux, parti -culi è rement utiles à qui s’in terroge sur les raisons et les moyens de la transmission de la musique vivan te.

E n t retien avec A l b e rt Ja c q u a rd S cientifique, humaniste et mélomane

L es propos d’Albert Jacquard ont été maintenus dans la forme de l’entr etien

P hilippe FanjasA lbert Jacquard, on connaît de vous le scienti-fique, l’humaniste, mais moins le mélomane.N ous allons donc parler musique ensemble,mais sous un angle qui vous est cher, celui de lapersonne humaine, celui de la perception qu ’ ellea de l’expr ession artistique.

A lbert JacquardE tre une personne, c’est être capable de sesavoir êtr e.

Par cons é quent, ce qui va être le vrai myst è r ehumain, ce n’est pas une histoire d’ADN, ce n’estpas le mystère de la vie, tout cela s’explique très bien. Par contr e, le vrai mystère est le mys-tère de la conscience, qu’on ne peut acquérir, àlaquelle on ne peut aboutir que si l’on rencontr eles autr es.

Par cons é quent, à partir de là, je me dis que l ’ essentiel quand on est un être humain, c’estd ’ ê tre capable de rencontr er les autr es. Il y a desquantités de techniques nécessair es, il y a desquantités d’obstacles aussi – l’autre il n’est pascomme moi, il est grand, il est petit, il est noir, il est blanc, etc., il me fait peur – alors il faut quej ’ appr enne l’art de la rencontr e. Et cet art, c’estpeut - ê tre l’art pr emier, ça consiste à s’exprimerde telle fa ç on que l’on soit per ç u. C’est l’art de l’individu à Pech - M erle qui a mis sa main au

fond de la grotte et qui me tend la main à travers15 000 ans ; et je pr ends cette main, j’ai uncontact avec lui. Ou bien c’est Léonard de Vinci,ou bien c’est Einstein avec son équation, ou bienc’est n’importe quel individu qui est capable dechercher des moyens de s’exprimer, qui peuventê tre des mots.

Parfois, comme je ne peux pas le dire vraimentavec des mots, alors je le dis en composant unesonate ou en dessinant le cri de Munch. Toutcela pour moi, ça n’a qu ’ un objectif, à tous lescoups ; c’est s’adr esser à l’autr e. Le cri deM unch, tout le monde connaît ce tableaueffroyable, terrible, cette fille qui crie, parce queM unch avait envie de crier. C’était une fa ç onqu ’ il a eue de me faire entendre son cri, je ler encontre maintenant. Et pour moi, on est auc œ ur de toutes les activités humaines et tout ler este est dérisoire par rapport à ça. Commentr encontr er l’autre? Quand je vais au concert, j’ail ’ impr ession de dire bonjour à Mozart, à BélaB art ó k, etc.

P hilippe FanjasQ uand vous assistez à un concert – la questionva peut - ê tre vous para î tre un peu th é orique –comment appr é hendez - vous cette musique quivous est offerte ? Est - ce, d’après vous, la sensibilité qui fr é mit sous la musique, ou est - cel ’ intelligence qui fonctionne ?

A lbert Jacquard Je crois compr endre votre question. Ce n’estvraiment pas du tout la même chose, c’est auxdeux extr ê mes pour moi, entre Ravel et Bach.R avel, c’est la sensibilité, je me laisse aller, jesuis bien, je ne sais pas ce que ça va devenirmais je me laisse emporter par le fleuve. Et puisalors il y a Bach, où là je fais marcher mes neu-rones et pas seulement mes or eilles; je faismarcher mes neurones avec l’impr ession qu ’ il afait ça avec une intelligence, avec une techniqueformidable et en particulier, surtout avec Bach,qu ’ il a été capable d’utiliser le temps commematière pr emi è r e. Plus que les sons, c’est ladurée qui est la matière pr emière de la musique.Et chez Bach, cette succession qui me sembleê tre nécessaire me remplit de bonheur.

M ais moi, emporté par Bach qui m’a pris dansson raisonnement, dans sa fa ç on où chaque ins-tant succ è de à l’autre de fa ç on rigour euse, cetterigueur me semble un bonheur. C’est un peu le bonheur que j’essaie de communiquer à mes

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auditoir es quand je fais un raisonnement devanteux. Je les pr ends avec telle ou telle idée apr iori : “Vous êtes d’accord sur ceci ou ceci... etvoilà les cons é quences ” .Moi, avec des raisonnements, j’essaie de recons-tituer ce que m’apporte Bach, parce que c’estvraiment tellement absolu, c’est tellementn é cessair e... Il introduit la nécessité dans lacr é ation, c’est fabuleux.

P hilippe Fanjas Pensez - vous que l’habit du X I Xe si è cle a encor eun sens ? Est - ce que l’acte social d’aller auconcert vous paraît être en même temps un freinà la perception de l’expr ession musicale ?

A lbert Jacquard Q uand il s’agit de moi, le rite, je l’accepte. Voussavez, je fais partie d’une génération qui estallée à la messe. Au fond, rien n’est un plusgrand obstacle entre Dieu et moi que l’Eglise,é videmment, avec tout cet or et ces machins,mais j’ai appris que les rites pouvaient avoir dusens : aller au - delà du rite. Donc je ne suis pascontre le rite, mais de temps en temps, il y a desgens pour qui ça va être un obstacle, donc il faudrait les deux. Moi je compr ends très bienque l’Orchestre National d’Ile de France metteun frac et que tout le monde soit bien habillé, et je joue le jeu du rite, mais il faudrait que detemps en temps, ils fassent le même concert ouun concert diff é r ent en allant sur place. Ne pasattendre que les gens viennent à la salle Pleyelparce qu ’ ils ne viendront pas. Ils pensent qu ’ ilsne sont pas chez eux. Il faut donc aller chez eux.

Il faudrait donc qu ’ avec un col roulé, l’orchestr evienne, joue aussi bien et donne bien l’impressionqu’il prend les choses aussi au sérieux: on n’apas mis nos beaux habits noirs mais on a répétéavec le même sérieux et on a la même angoissede bien réussir notre concert devant vous oudevant le public de la salle Pleyel. Je crois qu ’ ilfaudrait que ce soit évident pour tout le mondeque ce n’est pas un concert au rabais, que cen ’ est pas pour le simple plaisir d’être malhabillé. C’est parce qu’on avait envie de mettreen place – et qui sait, peut - ê tre qu’à la longue cesera l’avenir – un autre rituel. Mais il y a un r itequand même. Le rite par exemple, c’est qu ’ il y aun silence absolu.

P hilippe Fanjas E st - ce que vous pensez que dans la relation dupublic, et nota mment de l’auditeur, à l’œuvr e

d ’ art, il y a une part de mythe, c’est - à - dire dedistance, qui serait nécessaire? Ou est - ce quel ’ apprivoisement, la mise en relation avec la plusgrande proximité, sont toujours indispensables ?Q uelle est cette part de distance ou quelle est cette part de proximité qu ’ on peut avoir avecl ’ œ uvre d’art?

A lbert Jacquard Je ne crois pas trop à la distance; justement àcause de l’objectif de la rencontr e. Il faut suppri-mer les distances. Vous parliez des mus é es toutà l’heure, je n’aime pas les musées. J’aimeraisque tel chef - d ’ œ uvre soit dans une petite égliseau fin fond du Lot. Alors je fais cinq cents kilo-m è tr es pour aller voir. On me dira que ce n’estpas possible à cause des probl è mes de sécurit é ,mais, aller voir un chef-d’œuvre en se déplaçant,en faisant des efforts, là on aura un souvenir.Tandis qu ’ aller au Louvre et voir cinquantetableaux, on ne se souviendra plus d’aucun. Parcons é quent, les mus é es ne sont pas la bonnesolution. Il faut de temps en temps avoir uneffort à faire pour aller vers, rencontr er, et cetter encontr e. . .Q ue quelqu ’ un m’aide à rencontr er Ravel ouB é la Bartók – pour Béla Bart ó k, il faut vraimentqu ’ on m’aide – et bien, il y a des rites, maismoins il y aura de distance, mieux ça vaudra.

P hilippe Fanjas Et en même temps, vous dites que la distance,sans faire de la mauvaise psychanalyse, génèreun peu du désir quand même ; c’est - à - dir e, lachose est loin, je vais faire l’effort d’aller verselle.

A lbert Jacquard O ui, mais à condition que cette distance soit unobstacle initial que je vais dépasser.

Par cons é quent, je crois qu ’ il faut dans cettenotion de rencontr e, qui pour moi est essentielle,se rendre compte que c’est un processus, et un processus qui doit surmonter des obstacles.

Il faudrait que les orchestr es fassent un petitpeu le même effort : au départ je suis en frac, et puis je me mets tout nu à la fin... John Cageaurait dû faire des choses par eilles. . .

Au concert, nous y allons toujours en fa mille etaprès on dîne tous ensemble avec les enfantsjusque très tard. Au départ, on ne parle pas duconcert, et puis ça vient quand même :

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“ Oh ! tel truc ça m’a emb ê t é .” “Comment? Maisc ’ é tait magnifique !” “Et pourquoi c’était magnifique ?” “Mais t’as pas compris ? T ’ as pasentendu ? ”Et peu à peu je me dis que je suis passé à côté,et effectivement, parce qu ’ en général les choixsont bons. Si ça ne m’a pas int é r essé du tout,c ’ est que je n’ai pas été capable de voir ce qu ’ il yavait et je n’ai même pas été ému. Je me suismis dans la position de celui qui attend la finalors c’est très pénible. Cela m’arrive rar ementje dois dir e, mais ça m’arrive avec des musiquesque je ne connais pas.

P hilippe Fanjas Cela veut dire que la musique n’est pas de l’ordrede “l’indicible”. Vous vous retrouvez en fa milleaprès le concert et vous en parlez alors, peut -ê tre pas tout de suite, mais finalement ça passepar des mots.

A lbert Jacquard Non parce qu’au fond, ce qu’on cherche là aussi,c ’ est la rencontr e. On arrive à dix, les uns à côtédes autr es ; on a beau habiter Paris ensemble,on ne se voit pas tous les jours, on ne se voitpas si souvent même, alors là il y a une esp è cede rite. On y va, ça ne se remet pas en question,et on se retrouve apr è s. Du coup, c’est un moyen de se rencontr er. On pourrait aussi bienparler du bifteck qu ’ on va manger, bien sûr, mais entre deux bouch é es de bifteck, on parlede Béla Bartók ou d’un autr e, et chacun émetvaguement ce qu ’ il a reçu. On ne veut pas jouerles critiques d’art, pas du tout, mais il y a unaspect par exemple qui n’est pas de l’art maisqui est la dyna mique même apportée par le chefd’orchestre. On a l’impression que cet hommese vide de toute son énergie. La dernière fois ona dit :“ Tu as vu comme il avait l’air fatigué tout à fait à la fin? ”“Et bien, il y avait de quoi, il s’était donné àfond. . .”On avait donc l’impr ession d’avoir vécu quelquechose en même temps que le chef d’orchestr e.

P hilippe Fanjas De quelle salle de concert auriez - vous envie ?On parle évidemment de la salle en tant quetelle, dans laquelle la musique va être produite,mais on parle aussi de son environnement, dece qu’il y a en dehors de la salle mais néanmoinsdans le bâtiment, etc.

A lbert Jacquard Je ne voudrais pas qu ’ elle soit dans le super-marché. Il faut que ce soit dans une cath é drale.Il faut qu ’ elle soit une salle en soi, que cela soit un endroit où quelque chose de sacré sepasse. Toute rencontre doit être sacr é e. Lepropre du super marché, c’est qu ’ on ne ren-contre personne, même pas la fille qui est à lacaisse. Par cons é quent, il faut compl è tementdistinguer ces activités importantes, où l’on vaessayer de se rencontrer les uns les autres parl ’ interm é diaire de la musique, des activités mar-chandes. Il faudrait que ce soit le plus gratuitpossible, pas trop cher, qu ’ il n’y ait pas de blo-cage en fonction de l’argent. Il faudrait peut - ê tr epa yer pour montr er une bonne volonté, mais entout cas que personne ne soit rebuté par le prix. On irait comme à l’église, de pr é f é r ence à pied.Il faut donc que ce soit au cœur de la ville.

P hilippe Fanjas Et en même temps, là, vous évoquez une notionqui est une notion de sacré, donc à nouveau une notion de distance, et on évoquait tout àl ’ heure cette nécessaire proximité, pour l’échan -ge justement.

A lbert Jacquard Le sacré n’est pas lié à la distance. Ah non! Unepetite église bien ferm é e, les petites églisesromanes, où l’on est toujours près de l’événement,est plus sacrée à mon avis que les grandescath é drales, où l’on regarde le curé au loin, tr è sloin. Il n’y a r ien de plus sacré. Donc votre salleid é ale ne doit pas être trop grande non plus, carsi elle est trop grande, on ne la remplira passouvent.

P hilippe Fanjas Et dans un autre ordre d’idée, faire passer dansla société civile, comme on dit, le message de lan é cessité imp é rieuse du logement pour tous,est - ce que ce n’est pas du même ressort que defaire passer le message – la nécessité est moinsvitale évidemment - de la musique savante, entout cas classique, pour tous? Est - ce qu ’ on n’estpas là face à deux nécessités de la vie ?

A lbert Jacquard Il s’agit des droits de l’homme. Tout le monde estpour le droit de propriété. La grande action de “DAL” (Droit au Logement), ça a été de fair epasser le droit au logement pr esque au mêmeniveau que le droit de propriété, pas encore toutà fait mais enfin, on est allé dans la bonne direc-

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tion. Mais une fois qu’on a le droit au logement,le droit à la nourritur e, le droit, au fond, à tous lesm é tabolismes de notre organisme, il reste l ’ essentiel, c’est le droit à toutes les rencontr es.Et parmi les rencontr es, il y a la rencontre detous les cr é ateurs, que ce soient des math é mati -ciens ou des musiciens.Je fais sourire en disant que j’ai déjà mon pro-gra mme pour le jour où je serai Ministre de l ’ É ducation nationale. Je ferai écrire sur tousles lyc é es “ici on appr end l’art de la rencontr e ” .Et bien, au fond, ça pourrait s’écrire sur toutesles salles de spectacle. La vraie finalité de toutecr é ation, c’est que le cr é ateur s’exprime et soitentendu, donc qu ’ il crée une rencontr e.

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Comment présenter lamusique viva n te ?

L’ un des in t é r ê ts de cette tableronde est de révéler, de la partde chacun des participan ts, unedouble pr é occupation: faciliterl ’ accès à la musique et expliquerles raisons d’être d’un rituel depr é sen tation.Q u ’ il s’agisse de musique con tem -poraine, de jazz ou de l’ex -p é rimen tation de “programmespasserelle”, tous les in terve-nan ts soulignent que ce débatrenvoie à une question de fond :servir la musique elle - m ê me doitrester prioritaire; la perceptiondu public dépend avant tout dela qualité des œuvres et de celledes in terpr è tes.

P r é sentation :J acqueline Brochen,A dministrateur- d é l é guée généralede l’Orchestre National de Lille

R apporteur :E ric Mon talbetti,D é l é gué artistique de l’Orchestr eP hilharmonique de Radio France

I ntervenants :Patrice Caratini,M usicien de jazzM arc - A ndré Dalbavie,C ompositeurJ é r ô me Pernoo,VioloncellisteA rnaud Petit,C ompositeurDr Elmar Weingarten,D ir ecteur g é n é ral de l’EnsembleM odern de Francfort

M od é rateur :A lain Surrans,C onseiller à la musique auprès de la Dir ectrice de la Musique, de la Danse, du Th é â tre et desS pectacles au Ministère de laC ultur e

A lain SurransN’y a-t-il pas une forte dual ité entre ,d ’ une part, un cérémoni al duconcert, qui serait une pre uve d’éli-ti sme et l’obstacle à dépasser, etd ’ a utre part, une volonté de démo-crati sation destinée à perm ettre auplus gra nd nomb re de vivre une re n-contre avec l’œuvre d’art?

A rnaud PetitVous parlez d’une sorte d’opposi-tion entre le cérémonial du concerttel qu ’ on le connaît encore aujour-d ’ hui, et la démocratisation quiserait attachée aux concerts pop,rock, populair es, vari é t é s, etc. Or,un concert de rock est parfois infi-niment plus cérémoniel qu ’ unconcert de musique symphonique.Par exemple, le ph é nom è ne de l’at-tente où la star se fait désir er partoute une série de subterfuges estune véritable mise en sc è ne et cesmises en sc è ne sont moins nom-breuses dans le concert traditionnel.Il faut noter aussi le fait que lasalle de concert est véritablementun lieu de rencontr e. Il existe entout cas un lien très fort entre lamusique et l’architecture du lieu.Ce lien a des cons é quences surl ’ é criture même de la musique dansbeaucoup de cas de figur e. A insi,faire un concert dans une cath é dra-le avec un orchestre symphonique,cela ne marche pas pour des rai-sons qui tiennent à une non - ad é-quation totale entre l’ensemble enquestion et le lieu. Donc lar é flexion sur la relation entre lelieu et la musique qui est donnée àentendre dans ce lieu me para î tquelque chose de fonda mental.

A lain SurransPour qui écrivez-vous, pour quel typed ’ é coute com posez - vous uneœ uvre ? Qu’avez - vous en tête à pro-pos de la re ncontre des ge ns avecvotre œuvre ?

M arc - A ndré DalbavieJe ne sais pas très bien pour quij ’ é cris. Au départ, un compositeurest seul. Ce qui l’int é r esse, c’est depousser le plus loin possible sapropre recherche. Quand il estconfronté au public, c’est une sur-prise pour lui.

S travinsky disait que le concert,c ’ est à la fois l’or eille et l’œil, quec ’ est une relation entre les deux.On veut que l’œil soit pr é sent maispas trop, sinon l’or eille passe ausecond plan. Or, les musiques quel ’ on expose aux concerts sympho-niques ou aux concerts de musiquede cha mbre demandent une atten-tion particuli è r e. Je me suis rendu compte de celalorsque j’ai commencé à déplacerles orchestr es, à jouer sur l’espace,au départ dans une volonté pur e-ment musicale chez moi. Je voulaistravailler sur un syst è me acous-tique nouveau. Je me suis alorsaperçu que je changeais le rapportentre le public et l’œuvre. Les gensavaient face à eux, non pas unorchestre en une seule masse, maisdes groupes de musiciens autourd ’ eux : i ls pouvaient donc pr endr een compte le lieu dans lequel ils

é taient. Cela changeait totalementleurs rapports habituels à l’œuvre.A partir de ce moment-là, j’ai écritdiff é r emment.C ette exp é rience veut - elle dir equ ’ on peut changer la forme du concert traditionnel ? Nous devonspr endre en compte le fait que notre société a énorm é ment évolué. Lesspectacles de musique dite “popu-laire” jouent sur des effets, delumière nota mment, qui sont tr è sforts et agissent beaucoup sur lepublic. Nous, nous ne pouvons pasles utiliser, parce qu ’ avec un laserqui tombe sur la fl û te à chaquesolo, l’œil serait trop distrait etl ’ or eille ne pourrait plus accrocher.N ous devons travailler avec cesdeux sensations de l’œil et del ’ or eille qui s’opposent un peu.C ’ est le probl è me de la télévision :si l’œil est trop sollicité, l’or eille

M arc - A ndré Dalbavie

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n ’ é coute plus, elle est prise parl ’ aff lux d’images.

A lain SurransJérôme Pernoo, vous qui êtes sursc è ne, qu’en pe nsez - vous ?

J é r ô me PernooIl y a une très grande diff é r enced ’ é coute et de concentration dupublic quand il s’agit de musiquecontemporaine ou quand il s’agit der é pertoire classique. Pour lamusique contemporaine, l’œuvr en ’ é tant pas ou peu connue, c’est ellequ ’ on écoute ; dès lors, la réac -tion du public à la fin du concert n ’ est pas : “Untel a bien joué oumal joué ou n’a pas joué comme un autre interpr è te que je connais.”C ela crée une énorme diff é r ence et ne remet pas en question d’unemanière identique la repr é senta -tion d’une œuvre contemporaine et

celle d’une œuvre classique. N otre interrogation à propos d’uné ventuel changement de l’aspectformel du concert renvoie donc à un questionnement sur le fond et non sur la forme. Il faut en effet arriver à ce que le concert soit réel -lement la repr é sentation d’uneœ uvr e, à laquelle nous devonsrendre le public attentif. Il faut pou-voir aider les gens à s’évader ené coutant de la musique, car il s’agitbien d’un temps dans la vie de cha-cun où l’on s’abstrait du quotidien,où l’on est réceptif à des sensa-tions que l’on n'a pas l’habitude der essentir. J ’ ai exp é rimenté plusieurs solutionspour un même concert.A insi, pour une int é grale dessonates pour violoncelle et pianode Beethoven avec Jérôme Ducros,nous avons décidé de rester une

semaine dans chaque ville. Pendantcette semaine, nous avons fait toutun travail avec le public, dans lescaf é s, dans les écoles, avec desr é p é titions publiques, etc. Les gensont besoin de ce contact personnelavec les interpr è tes pour compr en -dre qu ’ en fait, il n’est pas besoind ’ ê tre savant pour compr endr e,mais qu ’ il suffit d’écouter pour “selaisser recevoir” par la musique.

En revanche, au moment de lar epr é sentation, nous avons réelle-ment créé une distance entre l’in-terpr è te et le public, dans l’idée deprivil é gier l’œuvr e. J’ai souhait éune lumière th é â trale : le début duconcert est marqué par un noircomplet puis, au moment où la lu -mière s’allume, les musiciens sonten place et la musique commence. Ce dispositif simple donne la sen-sation d’être tout de suite dansl ’ œ uvr e, sans cette étape de l’inter-pr è te qui arrive sur sc è ne, salue,s ’ assied, s’éponge un peu le front et r egarde d’un œil complice son pia-niste. Au moment où les musicienssont sur sc è ne, ils incarnentl ’ œ uvr e, ils sont l’œuvre et il n’y aque cela qui doit être éclairé pourque l’œil ne perturbe pas l’or eillemais qu ’ au contraire il l’aide à seconcentr er. J ’ ai été très heur eux des réactionsdes gens parce qu ’ ils ne se sontpas aper ç us de ce qui s’était pass é ,ils sont simplement venus nous voiraprès le concert pour nous dire :“ C ’ est fou, on n’a ja mais été autantdans l’œuvre dir ectement.” Toutcela doit être comme un beaumaquillage qui permet simplementde révéler un beau visage sans com -pr endre qu ’ il est maquill é .

A lain SurransPatr i ce Caratini?

Patrice CaratiniPardonnez - moi, mais je me sens,non pas étranger, mais ext é rieur àce débat. Je viens du divertisse-ment et du music - hall puisque lejazz vient de là, d’un truc où il fautfaire danser les gens, où on jouedans un bar.Le fond de la question, c’est queles gens entendent quelque chose :

l ’ ensemble des musiciens ne tra-vaille sur rien d’autr e. Donc lespectacle, cela ne m’int é r esse pas.Si vous écoutez les quelquesgrands disques de l’histoire du jazz,vous entendez le public qui discuteet les verr es... et puis à un moment,les gens se taisent parce qu ’ il sepasse quelque chose sur scène, quele discours musical a pris le pas sur la circonstance.J’aurais plutôt tendance à dire quece qui m’int é r esse dans un concert,c ’ est que le public, quel qu ’ il soit,ait perçu quelque chose d’uneconstruction de l’esprit sur la mati è-re sonor e. Je pense que le probl è meest moins celui de la repr é sentationque de la distance, de la proximit éet de l’accessibilit é .Le probl è me essentiel aujourd ’ hui,c ’ est la méconnaissance, particu-li è r ement en France, qu ’ ont lesgens de la pratique musicale. Laquestion, c’est comment faire pourque les gens aient entendu quelquechose, par tous les moyens, y com-pris les plus inavouables !

A lain SurransL a ure Schnapper di sait tout à l’he ureque le concert symphoni que n’estpas l’héritier des sociétés deconcerts pop ulaires du X I Xe mais dela partie éliti ste de la vie musi cale duXIXe; elle a insisté sur la dép erditionde la prati que musi cale qui était tr è sd é v eloppée à tra v ers le mouv em e ntorp h é oni que notam m e nt et les de uxce nts facte urs de pi a nos en activ ité à cette époque. En même tem ps ,dep uis une tre ntaine d’ann é es, led é v eloppem e nt de l’ensei gnem e nt apermis un vrai re nouv eau de la pra-ti que musi cale. Bea ucoup de chosesont été te nt é es avec l’orchestre s y m p honi que pour faire que le publ i cpartage la musi que et ne soit passe ul em e nt en position de consom-mation.

Patrice Caratini Je ne crois pas à cela. Le musiciena envie qu ’ on l’écoute et c’est tout.Si la musique que vous jouez nefonctionne pas pour la danse, lesdanseurs vous jettent des can-nettes. On a là un rapport direct auson ! S’il n’y a pas la pulsation qu ’ ilfaut, vous ne pouvez pas danser

J é r ô me Pernoo

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la valse ; il y a là un vrai rapport avecun public actif. Ce qui m’int é r esse dans le jazz,c ’ est la fa ç on dont une musique quia été créée au départ pour le diver-tissement a produit des langagesabsolument insensés qui sont lesnouveaux langages du X Xe si è cle.A lors aujourd ’ hui, en concert, jemets des projecteurs sur la fl û te, lelaser, pourquoi pas ? Pour que lesgens compr ennent ce qui se passecar j’essaye de faire passer du son.M ais avec l’orchestre symphonique,vous êtes foutus ! Que vous voulezfaire comme mouvements avecquatre-vingts personnes sur scène?

E lmar WeingartenJe suis toujours extr ê mement tristequand on parle de l’orchestre sym-phonique en termes péjoratifsparce qu ’ il n’y a rien de plus beaupour moi qu ’ une S y m p honieH é ro ï que de Beethoven magnifique-ment interpr é t é e. Et ces réussitesr eposent sur la double qualité desinterpr è tes et du public.J ’ ai été impr essionné ce matin parce travail des orchestr es sur lesquestions d’éducation. Au début dusi è cle, l’éducation musicale setrouvait au sein même de la fa mille:ainsi, c’est ma grand-mère qui m’afait découvrir l’op us 111 en lejouant pour moi. Si la culture n’estplus diffusée au sein de la fa milleet encore moins à l’école, commentles orchestr es aujourd ’ hui pour-raient - ils toucher des enfants qu ’ ilsne voient que rar ement ? NikolausH arnoncourt raconte que lorsqueJoseph Haydn jouait et que lamodulation n’était pas tout à faitcorr ecte, le public éclatait de rire etse tapait sur les cuisses !Aujourd ’ hui, j’ai entendu pour lapr emière fois le terme de musiquesavante. Ce terme veut bien dir eque le public doit déjà conna î tre lamusique pour l’appr é cier.L’ O rchestre Philharmonique deB erlin organise une fois par an unesorte de grand marathon danslequel sont propos é s, en une mêmejourn é e, musique de cha mbr e,concerts symphoniques, etc. Lepublic vient très nombr eux et l’onvoit alors que l’art de la rencontr edont A lbert Jacquard parlait tout à

l’heure, cela fonctionne... Les pro-gra mmateurs devraient se faire denouvelles idées sur les moyens deformer l’auditeur, suivant l’expr es-sion américaine “two - step f low” :cela veut dire seulement qu ’ au pr e -mier niveau, on a l’informationmusicale dir ecte et, au deuxi è meniveau, il faut parler, créer une com-munication autour de ce qui a étéentendu.

Patrice CaratiniD eux mots parce que je pense qu ’ ily a un malentendu. Vous avezentendu que l’orchestre sympho-nique était jugé de manière péjora-tive, ce qui n’était pas du tout monpropos. Q uand je disais “L’ orchestr e, vousê tes foutus !”, je voulais dire qu ’ iln ’ est pas possible avec quatr e -vingts personnes sur sc è ne, de faire autre chose que le concert tra -

ditionnel. Je suis totalement d’ac-cord avec vous : les gens viennent,ils écoutent la musique et la parta-gent.

A lain SurransQ uelqu ’ un veut - il réagir da ns lasal le ?

S ophie Roughol( Auditorium de Dijon )Je voulais juste dire que je suis ab -solument contre la désacralisationdu concert d’orchestr e. La sacrali-sation est indispensable parce quel ’ instant du concert est magique etque les gens qui viennent, et sur-tout ceux qui ne viennent pas sou-vent, veulent que cet instant soitsacré. En revanche, il faut désacra-liser par tous les moyens l’avant -concert, et l’apr è s - concert.Ne pourrait - on pas agir davantage

sur la progra mmation elle - m ê me, eté viter par exemple la sacro - saintesuccession ouvertur e, concerto,entracte, symphonie ?

E ric Mon talbettiEn effet, il est bien qu ’ on expliqueclair ement la raison de cette tradi-tion qui se justifie par l’énergieque requiert le t ravail de l’orchestresur une heure et demie de dur é e.Ce qui gouverne l’organisation duconcert est souvent lié à desaspects musicaux, des questionsde fond et non de forme.

N vart A ndreassian( C hef d’orchestr e )Je pense que nous avons en effetbeaucoup de travail en matière de progra mmation. Pourquoi ne pasencha î ner une vingtaine d’œuvr es courtes et ressembler aux progra m-mations des Concerts Pasdeloup

au X I Xe si è cle ? L’ important, c’estl ’ œ uvr e. La musique doit être au centre de nos pr é occupations.

E lmar WeingartenN ous avons organisé des concertsdits “cross - over” avec l’Orchestr eP hilharmonique de Berlin, l’ann é ederni è r e. La pr emière tentative a été un échec, raison pour laquellej ’ ai d’ail leurs quitté l’orchestr e. Ils’agissait d’organiser un concertavec le groupe de rock Scorpions àl’Exposition Mondiale de Hanovre.Il semblait que ce groupe hard aitune célébrité mondiale à Hanovre !L’ â ge moyen de ce groupe est lar-gement au - dessus de l’âge moyendes musiciens de l’Orchestr eP hilharmonique. L’ orchestre a étéen quelque sorte réduit à devenirune esp è ce de fond sonore pour lamusique des Scorpions, mais ce fut

Patrice Caratini E lmar Weingarten

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un grand succès financier. C laudio A bbado, très mécontent decette pr emière tentative, a mont éune sorte de contr e - proposition quia été extr ê mement bien con ç ue sur le plan dra maturgique et qui aeu un grand succès, avec WyntonM arsalis et le Lincoln Center JazzO rchestra. Dans cet espace circulaire qu’est lasalle de la Philharmonie, où lepublic est disposé autour de lasc è ne, il y a eu une formidable ren-contre entre les musiciens de jazzet les musiciens de l’Orchestr eP hilharmonique. Certains d’entr eeux se sont compl è tement détach é sde leur partition pour finalementimproviser avec les musiciens dejazz.

J é r ô me Pernoo, A lain Surrans, A rnaud Petit, Elmar Weingarten, M arc Blezinger

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La salle de concert , outil de m é d i ation ve rs le publ i c

L aur é at des concours lancés pour les projetsde salles de Pékin et Shanghai, Paul A ndreuconfron te son métier d’architecte aux exi-gences du spectacle vivan t.Pour ces deux édifices, dotés d’une grandeforce symbolique, l’architecture est d’abordune invitation à les pénétrer. C’est alors unart du p a s s a g e qui s’exprime et ils son tcon ç us pour donner au passant le désir duspectacle qui se déroule à l’in t é rieur.Paul A ndreu explique commen t, en se saisis-sant d’un tel enjeu architectural, il a voulu à la fois servir la musique et lui offrir de résis-ter au lieu qui l’abrite, dans l’idée d’un v é ritable échange en tre l’artiste musicien etl ’ artiste bâtisseur.Il faudra aussi retenir les propos de l’archi-tecte sur la salle de concert, dont l’apparencea été t ravaillée, notamment autour du regardque le public portera tantôt sur les artistes sursc è ne, tantôt sur la salle elle - m ê me, commedevant le jeu d’un feu qui vide l’esprit. A lorsm ê me que les salles sont immenses, c’estune recherche de l’in timité qui s’exprime ici,qui puisse favoriser “cette blessure inoubliable ”que constitue la relation à une œuvre d’art.

D i a l ogue avec Paul A n d re uA rchitecte

I nterlocuteur :S tan Neumann,C in é aste

P r é sentation :G eorge Schneider,D ir ecteur général de l’Ensemble orchestral de Paris

R apporteur :H ervé Burckel de Tell,S ecr é taire général de l’Orchestre de Paris

S tan NeumannVous êtes le grand architecte des structur esa é roportuair es, depuis Roissy, en 1970. Vous avezdit d’ailleurs en parlant de ces défis que ce quivous avait fasciné, au départ, c’est qu ’ il n’y avait

pas de mod è le, que tout était à inventer. Vousê tes maintenant placé pour la pr emière fois devotre carrière face un défi tout aussi importantpuisqu’à Pékin on vous demande de construire dans un même ensemble une salle d’opéra, unesalle de concert et une salle de th é â tre tradition-nel chinois. Face à de tels défis, quelle est votre pr emière réaction ?

Paul A ndreuIl y a deux grandes forces dans la vie. D’abordl ’ exp é rience et, d’une manière au moins égale,l ’ ignorance. Ne pas savoir grand - chose d’unsujet, ce n’est pas mal parce que cela vous faitpeur et, en même temps vous oblige à allerimm é diatement au fond des choses. A propos dePékin, c’est chemin faisant que mes idées onté volué: je bâtissais quelque chose de rigour euxen pens é e, qui n’était pas LA vérité maisquelque chose de coh é r ent à partir duquel onpouvait parler avec des utilisateurs et se com-pr endr e.

Je suis parti de deux consi-d é rations principales. D ’ abord, le site. Il est aucentre de Pékin, à côté de la Cité Interdite, à côté del ’ A ssemblée Nationale,c ’ est - à - dire pour tous leschinois au centre du monde !Vous avez alors un devoird ’ inscription dans le site etvous vous rendez compte

par exemple que le sch é ma courant d’un op é raou d’un th é â tre qui consiste à avoir une fa ç adepublique ouverte et une autre derrière pour le service technique, n’est rigour eusement paspossible.On avait donc ce probl è me d’un bâtiment sansfa ç ade. Ensuite, il fallait qu ’ on traite du substrattechnique, que ce lieu soit un lieu de travail sans aucun défaut, afin qu ’ ensuite je puissem ’ occuper de ce qui m’int é r esse le plus, c’est - à -dire de conduire les spectateurs dans les diff é r entes salles et de donner son caractère àchacune des salles. L’ enveloppe a beaucoup changé au cours del ’ é tude. A été fonda mentale cette décision de nepas faire de fa ç ade noble et de fa ç ade secon -dair e, de finalement faire un bâtiment qui est unpoint sur un carr é .

S tan NeumannVous êtes en rupture par rapport au grand mod è-le de l’op é ra du X I Xe, comme le Palais Garnier

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qui a une fa ç ade principale et des fa ç ades lat é-rales somptueuses et l’arrière qui ressemble àun blockhaus.

Paul A ndreuJe dirais oui et non. D’abord, la grande diff é r en-ce, c’est qu ’ il y a un complexe de trois salles.J’ai toujours admiré chez Garnier une formidablefonctionnalité ; il est en même temps capableavec quelques éléments, une colonnette, unefen ê tr e... de réaliser une phrase compl è tecomme peut le f aire un musicien comme Brahms.C’est un art du développement, du déploiementet de la conversation qui est un concept de fusionfabuleux.

S tan NeumannLe bâtiment de Garnier affiche tout le temps sesdiff é r entes fonctions, alors que votre bâtiment à Pékin est juste une invitation à pénétr er à l ’ int é rieur. . .

Paul A ndreuVous avez absolument raison. Ce que vousd é crivez est venu pour deux autr es raisons. Il y a d’abord l’architecture de la Cité Interdite quetout le monde a envie de respecter, et il y a, àcôté, l’Assemblée Nationale qui est l’architectu-re néo-classique du pouvoir installé, du pouvoirfort, avec des colonnes à n’en plus finir. C’est unjaponais qui m’a dit un jour, et je crois qu ’ il

a raison, que je suis arrivé à un bâtiment sansfa ç ade parce que l’autre en avait trop. . .

S tan NeumannC ela, c’est le dialogue avec le contexte et, à l ’ int é rieur, vous devez dialoguer avec la musiqueelle - m ê me.

Paul A ndreuParce que quand la lumière s’éteint dans unesalle la seule chose qui doit briller, c’est lesyeux des spectateurs, j’ai pensé au début devoirapporter seulement une technique, tous les équi -pements scéniques, puis me retirer sur la pointedes pieds... L’idée était que mon travail consistait

finalement à faire entr er les gens dans cettesalle, en leur donnant une chance de se transfor-mer pour être dans l’état requis par le spectacle.Si je voyais une cantatrice chanter dans la ruesa peine ou son plaisir, je crois que cela meferait rir e, en tout cas cela me para î trait étrange.Pour que ce spectacle devienne sublime, pourque la fiction devienne possible, pour qu ’ onentre dans le rêve, il faut un certain parcours. Jedois m’occuper de ce parcours qui doit avoir une certaine longueur, avec une série d’espacesqui vont se succ é der. La longueur, c’est de ladurée ou c’est de l’espace, qu ’ importe, c’estquelque chose qui fait qu ’ on va abandonner lavie quotidienne, tout ce qui fait la ville autour.

( image 1) - Grand th é â tre National de Chine (Pékin )

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On va ensuite passer une enveloppe, deux enve -loppes, trois enveloppes, pour enfin être dans la salle et écouter de la musique. M ais au fur et à mesure de l’avancement du pro-jet, j’en ai rajouté sur la salle. Aujourd ’ hui, je nepense plus que je me retire sur la pointe des pieds.

S tan NeumannAu départ vous disiez: “Au moment où la musiquecommence, l’architecture cesse, elle doit dispa-ra î tre”. Au fond, aujourd ’ hui, vous affirmez de plus en plus qu ’ elle doit continuer à exister. . .

Paul A ndreuO ui. Je me suis dit d’abord : “Voilà un espacequi est servant. Il ne doit pas opposer d’impossi-bilité à ceux qui font la musique.” Dans undeuxi è me temps, je me suis dit : “Si je veux enten -dre la différence entre le concert et le disque, laspatialisation du son est importante, mais aussi

la sensation de vivr e, là et aujourd ’ hui, un é v é nement. Et si cet événement est situé dansun lieu pr é cis, il faut qu ’ il y ait des élémentsforts de visualisation et de mémorisation.” D ans un troisi è me temps, je me suis dit aussique ce n’est pas possible qu ’ on crée quelquechose avec un instrument qui ne résisterait pas.C’est toute la liberté de l’artiste de vouloir tou-jours aller au - delà de cette résistance et de vou-loir la briser, et c’est ce jeu de la liberté qui faitqu ’ on définit l’instrument et qu ’ on lutte avec.Tout en étant bon serviteur, tout en donnant lesens du lieu, cette salle devait en même tempsê tre quelque chose qui résisterait, qu ’ il faudraitpeut - ê tre dépasser, et dans lequel les artistestrouveraient finalement leur compte en y trouvantune sorte d’équilibr e. Il y a des lieux ou des outils qui sont en attentedu cr é ateur, il y a peut - ê tre des musiques quiattendent leurs instruments, il y a, en tout cas,

des lieux architecturaux qui attendent qu ’ on les pr enne et qu ’ on les transforme aussi.

S tan NeumannPeut - on voir à quoi ressemble cette résistance ?

Paul A ndreuTien - an - M en, le Palais du Peuple, voilà où setrouve l’op é ra qui est une île au milieu d’un lacartificiel, comme une petite ville dans la ville,dans laquelle il faut se rendre ; elle est ouvertemais on ne la touche pas, on peut rentr er dedansmais on ne peut pas pousser une porte : on nepousse pas la porte d’un centre comme celui - l àcomme on pousse la porte d’un supermarché, il faut un passage. . .En un mot, c’est un projet transgr essif ; j’aitransgr essé le règlement après un an et demi deconcours et ceux qui l’organisaient ont trans-gr essé aussi compl è tement leurs règles ; il n’y a

sans doute de cr é ation que dans la transgr es-sion. ( image 1)

C ’ est un élément immense mais ce n’est pas unmonstr e, nota mment parce qu ’ il est associé àdes espaces verts. L’ ensemble fait deux centquarante mètr es de long. Une seule vo û te enfer-me trois objets ; le tout jouera sur le côtéopaque, le jour, et transpar ent, la nuit. Le verr eé tant opaque le jour, il refl é tera toujours quelquechose; au contraire la nuit, l’ensemble de l’es -pace sera dévoilé. Cela joue donc sur cettea mbiguïté d’ouverture et de fermetur e. En ce quiconcerne l’entr é e, on passe sous l’eau du bas-sin, sous une verri è r e. ( image 3)

A l’int é rieur, les trois volumes : l’op é ra qui est aucentre avec deux mille trois cents places, (deuxmille cinq cents pour les ballets), un auditoriumde deux mille places sur le côté et un th é â tre de deux cents places où auront lieu les repr é-sentations de l’Opéra de Pékin.

( image 2) - Grand th é â tre National de Chine (Pékin ) ( image 3) - Grand th é â tre National de Chine (Pékin )

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Tout est couvert par cette grande vo û te qui ne touche à rien et qui est faite comme une coquilled ’ œ uf. Sur la coquille d’œuf se trouve unhabillage de verre d’un côté et de métal de l’autr e,et à l’envers, du bois. Ce sont trois salles et c’est aussi un lieu à visi-ter. Pékin n’a pas beaucoup d’endroits modernesoù l’on puisse entr er libr ement. J’espère beau -coup ici un effet voisin de celui du Centre Pom -pidou, c’est - à - dire que l’on vienne pendant lajournée pour voir cet espace et qu’à ce momenton se frotte à la culture, et que certains se fas-sent pr endr e. J’ai tout fait pour que dans les cir-culations entre les salles dans les partieshautes, et dans les galeries tout autour, se trou -

vent des espaces permettant des expositions,des événements ainsi qu ’ une simple promenadepermettant de voir la ville, ce qui ne gênera enrien l’usage des salles puisque les circulationssont compl è tement sépar é es. ( image 2)

Le passage sous l’eau dure pendant soixante àsoixante - dix mètr es durant lesquels on voit leb â timent à travers vingt à cinquante centim è tr esd ’ eau, donc avec une vue troubl é e. Quand onarrive, on entre dans une vue clair e, verticale.Tout de suite, cette ambiance est très nette,avec le bois et la maille dorée qui entour ent l ’ op é ra. ( image 3)

Peut - ê tre est - ce un peu chinois, le fait de fonc-tionner par espaces successifs qu ’ on traverse,

mais c’est universel aussi ; on passe derrière lamaille, on est à l’op é ra.J ’ ai fait une salle verticale et non horizontale.J ’ ai caché tous les dispositifs acoustiques pourretrouver la f luidité des lignes. J’ai aussi prévuun double éclairage: entre cette maille et le muracoustique de derri è r e, on pourra par un jeud ’ allumage et d’intensité donner à la salle unecouleur plus ou moins blanche, plus ou moinsdor é e, plus ou moins rouge.

S tan NeumannFace aux contraintes techniques auxquellesvous avez été confronté pour la salle de l’op é ra,l ’ é laboration de la salle de concert propr ement

dite a été plutôt un travail de lib é ration ?

Paul A ndreuO ui. Une salle d’op é ra vous conduit au bord dela dépr ession parce que tout le monde vousexplique tout ce qui est impossible, à cause de lasc é nographie, ou de l’acoustique... Il me semblequ ’ avec ces salles de deux mille trois cents per-sonnes pour l’op é ra, avec cette contrainte devue et d’audition absolue, on est vraiment à lalimite du possible. Je compr ends cette exigence,mais la demande de voir et d’entendre me paraîtun peu à la limite de l’obsc é nité. L’auditorium est une grande salle allongée. ( image 4)

J’ai créé une salle blanche et j’espère qu’on ne

( image 4) - Grand th é â tre National de Chine (Pékin) – Auditorium

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l ’ é teindra ja mais tout à fait, qu ’ on laissera “lesjardins” la nuit : la nuit n’est ja mais noir e, lesfleurs blanches sont encore blanches la nuit. Sij’ai mis des espèces de colonnes, ce n’est paspour le plaisir de faire néo-classique, c’est pouravoir des éléments de pr é gnance assez proches,que l’arrière puisse pr endre de la distance etqu ’ on puisse fixer son regard. Il me semble qu ’ on entend bien uniquementquand le regard est fixé quelque part. Donc, jecherche un certain nombre d’éléments assezneutr es mais pr é sents sur lesquels le regardpeut s’accrocher. C’est en particulier la raisondu réflecteur qui est là-haut, et qui est nécessairepour des consid é rations d’éclairage et de r envoi du son. J’avais envie de le faire en verr ecomme un œil d’insecte, avec de nombr eusesfacettes, de manière à ce que le mouvement del ’ orchestre soit pr é sent dans ce réflecteur,cassé, démultiplié, que cela soit comme une

fla mme, comme un feu. Moi, quand je suis devant le feu, mon esprit se vide et cela me pr é-pare à le laisser envahir par d’autr es choses.J ’ ai cerné une partie du public, une partie duparterre et l’orchestre dans un espace en bois, demanière à ce qu ’ on puisse d’abord avoir desjauges variables, et surtout pour que toujours,les musiciens et une partie des spectateurssoient totalement solidaires et se s entent tout àfait dans un même espace. Ce n’est pas possiblepour deux mille, donc j’ai concentré une partie et laissé s’évader le reste.

S tan NeumannVotre projet de Shanghai est - il très diff é r ent ?

Paul A ndreuLe centr e - ville de Poudhong n’est pas du toutcomme Pékin, il est nota mment plein de voies decirculation. J’ai donc cherché une autre forme,

qui contient ici aussi trois salles. J’ai plutôt cherché à faire un objet un peu étrange, semi -d é ployé, que j’ai placé sur une esp è ce de piedpour le sépar er des routes. ( image 5)

Il est rev ê tu d’un verre très sp é cial qui, dans lajourn é e, est quasiment opaque et qui, la nuit,devient une esp è ce de la mpe japonaise quis ’ ouvr e. Et on se dit bien que ce n’est pas unb â timent de bur eau et qu ’ il s’y passe quelquechose de très étrange. ( image 6)

Si j’ai tellement déployé ces fa ç ades, c’est aussipour donner de l’éclairage natur el à toutes lesloges, aux salles de répétition, à tout le monde,gr â ce à cette multiplication des fa ç ades. Aucentre, j’ai placé un lieu de rencontre, une sortede grand bistrot qui n’a pas la lumière natur elle,mais où tout le monde peut se retrouver. Un grand escalier rentre dans ce qui est commeun pétale puis on parvient à un espace public ininterrompu, mais qu ’ on peut moduler, avec un

lieu d’exposition et trois salles très organiques.La salle philharmonique de deux mille places estune “salle paysage”. Elle permet une participa-tion de tout le monde autour de l’orchestr e, avecconvivialité. ( image 7)

S tan NeumannD ans les deux grandes salles de Shanghai etP é kin, malgré les diff é r ences, vous jouez sur lem ê me ressort, c’est - à - dire un lointain pa ysagequi entoure les parois et qui donne une sensa-tion de convivialité, pr esque d’intimité alors quece sont des espaces énormes. Ce genre declivage, entre proche et lointain, est très marqu édans les deux projets.

Paul A ndreuO ui. Une autre chose importante, c’est que jecherche toujours une espèce de respiration duprojet : je pense à la respiration des spectateurs ;

( image 5) - Cen tre des arts orien taux de Shangai ( image 6) - Cen tre des arts orien taux de Shangai

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le déploiement dans l’espace va parfaitement,dans ma fantasmagorie, avec la musique. Pour moi, cette évasion dans l’illimité, dans lamusique des sph è r es, est quelque chose depositif. C’est effectivement un pa ysage. Quand ily a deux mille personnes quelque part, répartiesdans l’espace comme cela, la chose la plus belle,la plus variable aussi, c’est le public, sa couleur,sa tension. Les installer comme cela dans une esp è ce de pa ysage, c’est leur donner quelquechose de bien, quelque chose qui est ample. A lbert Jacquard insistait sur la rencontr e. J’aifait le maximum pour que les musiciens nesoient pas dans un état d’enfermement. Je penseque dans les loges qui ouvrent sur l’extérieur, ils

peuvent se concentr er, ils peuvent se voir, ilspeuvent regarder dehors, puis ils vont se retrou-ver au moment de faire de la musique. Et puis le public de la même mani è r e.Q uant à moi, je me retire sans me retir er. J’aime bien cela parce qu ’ en même temps, tout en leur offrant un espace infini, j’ai envie de les for-cer un peu à se souvenir qu ’ ils sont là, danscette ville-là, à ce moment-là. Je crois en deux choses en matière de culture:je crois au désir et je vous ai parlé du souhaitque j’ai de cr é er du désir. Si ce bâtiment esttranspar ent, lumineux dans la nuit, c’est que jesouhaite qu ’ il déclenche du désir. Le désir n’estpas un pi è ge, tout au contrair e.

( image 7) - Cen tre des arts orien taux de Shangai – Auditorium

L’ autre chose en laquelle je crois, en matière deculture, c’est la blessure. J’emprunte ce mot,dans ce sens, à Pierre Gardeil. Je veux dire quequelqu ’ un qui n’a ja mais été au concert, et qui va venir dans une salle parce qu ’ on y voit Pékin, ou peut - ê tre par hasard, ou peut - ê tre encore par une esp è ce d’instinct, celui-là sera blessé et iln ’ oubliera plus ja mais. Ces gens ne sont nonpas captés par je ne sais quelle puissance musi-cale qui va les exploiter, au contraire ils vontdevenir des gens qui ont découvert une choseformidable, un vrai bonheur.

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“Le mot d’Alain Rey” : musique classique,musique sava n te ?E ntr etien avec le dir ecteur éditorial du RobertD isponible sur le site www. france - orchestr es. com

P rogra m m ation et institutionsP i e rre Boulez, compositeur et chef d’orchestr e

Quelle mu s i q ue ? Du pat rimoine à la création

I ntervenants :

P i e rre Boulez,C ompositeur et chef d’orchestr e

M a rtha Gilmer,Vice - pr é sidente de l’Orchestre Symphonique de Chicago, chargée de la progra mmation art ist ique

E m m a nuelle Haïm,D ir ectrice artistique du Concert d’Astr é e, assistante de William Christie

P r é sentateur :

Rose Low ry,A dministrateur général de l’Orchestre de Picardie

R apporteur :

H e rvé Boutry,A dministrateur général de l’Ensemble Intercontemporain

M od é rateur :

Je a n - P i e rre Derri e n ,P roducteur à Radio France

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Le répert o i reCe que le public compr end comme étant le répertoire desorchestr es mérite un double éclairage, qui contribue à en r é v é ler la réalité tout comme la force symbolique.C ’ est pourquoi A lain Rey introduit cette th é matique sur unequestion de vocabulair e. Pierre Boulez intervient ensuite sur le sujet des relations entre l’institution et la progra mma-tion, au travers d’exemples très concr ets, tirés de son exp é rience internationale. La table ronde permet de débattr edes enjeux auxquels sont confrontés les orchestr es dans leur politique de progra mmation lorsque, au double service du public et de la musique, ils doivent concilier les œuvresdu patrimoine et celles d’aujourd ’ hui. Ce th è me est élargi ici à la probl é matique de la musique baroque.

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“Le mot d’Alain Rey” :musique classique, mu s i q u es ava n te ?

Musique classique, musique savante, musiques é rieuse, la musique jouée par les orchestressymphoniques a besoin de qualific atifs et toussemblent fort réducteurs.A lain Rey, avec une science qui croiseno tamment séman tique, sciences sociales ethistoire, tente une définition. La complexitédu langage music al, doublée de l’in ten tion del ’ in terpr è te qui la lit et lui donne vie, en faitun langage plein de myst è re, probablemen tr é tif à une définition réductrice.

Alain ReyC oauteur du Grand et du Petit Robert, du D ictionnaire historique de la langue fran ç aisechroniqueur à France Inter

P hilippe Fanjas On dit que la musique adoucit les mœurs et queson langage, réputé universel, peut séduire tousles publics. Pourtant, ce mot qui nécessite tou-jours un qualificatif pour prendre son sens précis,n’est-il pas porteur de multiples contradictions?

A lain ReyJe crois en effet que le mot musique n’est pasun mot calme, parce qu ’ il refl è te une pluralit éfonda mentale, qui est celle des muses. Commechacun sait, les muses étaient nombr euses,m ê me s’il y avait Apollon derrière pour lesmener ! Elles constituent un ensemble symbo-lique de la mythologie gr ecque qui inclut un cer-tain nombre de sciences.

Le mot musique parle très rapidement d’un artau sens fonda mental du terme, c’est - à - dire à lafois une technique d’organisation et quelquechose qui exprime les sentiments humains à tra-vers un savoir et des connaissances. Il n’est pas du tout bizarre que ce mot contienneune telle pluralité d’indications et de contenusqui vont de la math é matique (ce qui est rest évrai pour une partie de la musique), à l’expr es-sion lyrique (la lyre). Il renvoie aussi à l’astrono -mie, qui est une appellation de la mathématiqueet qui parle aussi d’harmonie puisque c’est l’har-monie des sph è r es; il renvoie également à la

production de sons ma î trisés par la voix humai-ne et par les instruments. Il y a donc là, uneextraordinaire pluralité de possibilités qui sesont réalis é es dès la Grèce antique.

D ’ un côté, il n’y a rien de plus natur el et de plusconsensuel que la musique: il s’agit du rapportde l’homme avec le son qu ’ il produit lui - m ê me,c ’ est - à - dire la parole, et avec les sons que pro-duit la natur e, donc l’environnement. M ais en même temps, dans chaque civilisation,il y a une conception de la musique qui passepar des connaissances. En effet, pour êtr ecapable de cr é er de la musique en tapant surdes silex ou en produisant un son modulé, qui estde la même nature finalement que la parole primitive, il a bien fallu mener une réflexion surles qualités de résonance des corps ou sur laquestion des harmoniques, même s’il n’a pas étén é cessaire d’expliciter ces sujets.

D onc, d’un côté, la musique réunit, puisqu ’ elletraite d’un rapport de l’homme à lui-même et à la natur e, mais d’un autre côté les clivages sontnombr eux, parce qu ’ il y a mille possibilités decr é ation et d’interpr é tation. Il y a donc une mul-tiplicité des instruments d’étude, avec aujour-d ’ hui l’ethnomusicologie et aussi des organisa-tions sonor es très diverses : pentatoniques,tonalité ou pas, mode ou pas, etc. Dans l’histoire,ces types se sont organisés jusqu’à ce queJean-Sébastien Bach finisse par donner les for-mules définitives que sont la ga mme diatoniqueet la tonalit é .

P hilippe Fanjas N ’ est - il pas étonnant que les qualificatifs lesplus utilisés pour parler de cette musique soientclassique, sérieuse ou grande? La notion demusique sérieuse est particuli è r ement triste ;celle de musique classique date la musique donton parle et son usage est souvent un contr e -sens par rapport aux diff é r entes époques decomposition; enfin pour la grande musique, elleinduit un jugement de valeur qui l’oppose à une musique qui serait petite et dont on ne saitd ’ ailleurs pas trop ce qu ’ elle est.

A lain ReyEn effet, c’est une faiblesse qui n’est pas propr eà la langue fran ç aise mais se retrouve danstoutes les langues modernes.

Je crois que cela refl è te une réalité sociale de la musique.

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Tant que la musique a été une activité organis é een fonction de besoins d’expression rythmique,mélodique, chorégraphique, la musique tradition-nelle populaire n’avait pas besoin de se désigneret s’exer ç ait à travers les voix, les instrumentsainsi que les rythmes produits par le corps. L es pi é tinements rythmés d’une danse tradition-nelle, que ce soit une bourrée ou une dansegr ecque, produisent à l’évidence des résultatsmusicaux, dans un aspect très spontané. D ans les désignations actuelles, nous sommesles héritiers de l’organisation de la musique, à travers ce ph é nom è ne finalement très récentqu ’ est le concert.Il y avait natur ellement des musiques donn é espour un certain public mais elles étaient soitdépendantes d’un autre type de spectacle - c’estle cas de l’opéra - soit inféodées à une célébra-tion religieuse - c’est le cas de la cantate - soit encore il s’agissait de manifestations réser-v é es aux princes. Avec la prise de pouvoir de la bourgeoisie aud é but du X I Xe si è cle – je crois que c’est vraimentun ph é nom è ne romantique – le concert, organi-sation nouvelle, a vu le jour et la musique estalors devenue un élément valorisé de consom-mation cultur elle.

L’ apparition du concert co ï ncide avec l’appari-tion de toutes ces désignations. Valorisantepour une musique que l’on qualifiera de bour-geoise et dévalorisante pour des musiques pa y-sannes ou rurales. On ne parle pas encore demusique populair e, au sens général du terme,mais ce terme va appara î tre avec la révolutionindustrielle et avec la révolution sociale aumilieu du X I Xe si è cle, en 1848.

E st - ce que pour Baudelaire l’I nternational e é taitou n’était pas de la musique? La question esttrès délicate à poser ! On sait qu ’ il a découvertE ug è ne Pottier, ce qui n’est quand même pasrien, mais en même temps il avait une sorte der é ticence fonda mentale pour le côté spontan é ,traditionnel et populaire de cette musique.Il y a là une réaction qui est à la fois valorisanteparce qu’elle recherche une qualité rare, et quien même temps, sans le savoir, est incluse dansune organisation hi é rarchique de la société où labourgeoisie s’accorde tous les privil è ges.

P hilippe Fanjas L es termes utilisés aujourd ’ hui comportent desr é f é r ences chronologiques, musique ancienne,musique baroque, musique classique, musique

contemporaine, musique d’aujourd ’ hui,musiques actuelles aussi dont le sens est pourle moins ambigu. Pourrait - on dire que cetted é multiplication des qualificatifs corr espond àun élargissement de l’accès à l’écoute desconcerts et un élargissement des formes musi-cales proposées ? Du XIXe siècle qui se resserresur un répertoire pr é cis, nous arriverions aujour-d’hui à une période qui se permettrait le luxe defranchir all é gr ement plusieurs si è cles et donc der ecourir à des qualificatifs plus nombr eux.

A lain ReyJe crois que c’est l’aspect positif des choses,qui a son importance. Mais il est int é r essant deremarquer que toutes ces classifications histo-riques ne fonctionnent que dans le cha mp de lagrande musique. Parce que la musique orchestrale, instrumenta-le, lyrique, etc. est maintenant vécue commeé tant atempor elle, cela lui permet, si j’ose dir e,d ’ ê tre extr ê mement tempor elle : c’est dans lamesure où cette musique renvoie à des valeursg é n é rales et consid é r é es comme durables qu ’ onest obligé de périodiser l’ensemble qu ’ elleconstitue. Nikolaus Harnoncourt par exemple,souligne que le rapport au temps est diff é r ententre la musique dite classique du XVIIe siècle etcelle dite populaire d’aujourd ’ hui. En effet, cettedernière ne s’inscrit pas dans une typologiecomme rock 1940, ou swing. . .

Le jazz est dans une situation un peu semblable :il commence déjà à avoir des valeurs suffisa m-ment embourgeois é es pour qu ’ on puisse le couper en tranches chronologiques. Se dégageainsi une client è le sp é cifique pour le jazzN ouvelle - O rl é ans, une autre pour le swing desann é es 1930-1935 ou une autre pour la périodeplus récente avec le fr ee jazz.

Cela veut dire qu’il y a un système de valeurs quise met en place, qui fait partie de la politiquecultur elle dans son ensemble. A lors que pour lamusique sans qualification pr é cise, spontanée –par exemple la chanson – les références sonttoujours très rapides : ces musiques vieillissentmal, ou peu, ou elles disparaissent pur ement et simplement. Elles sont alors qualifi é es de rin-gardes, de nullardes par les auditeurs, ce qui n ’ est ja mais le cas de la musique classique. Si quelqu ’ un n’aime pas la musique baroque, ildonnera bien entendu de mauvaises raisons,mais qui ne seront pas du type “Je déteste çaparce que ça a plus de 300 ans ” .

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Très souvent les auditeurs ont le sentimentd ’ ê tre dans une musique pleinement contempo-raine en écoutant, au X X Ie si è cle, des musiquesdu début du X Xe si è cle : il suffit de donner unepi è ce de Webern pour que l’on soit dans lamodernité absolue! A lors que Webern, pour moi,c ’ est pr esque aussi loin que Berlioz.

C ela me fait quand même penser qu ’ il y a unerichesse plus grande dans cette musique mal appelée “classique” mais qui existe parcomparaison avec les musiques plus spontan é es– disons simplement ça pour ne pas avoir dejugements de valeur – qui elles, vont et vien-nent, apparaissent et disparaissent, vieillissentextr ê mement vite et dont il n’est pas questiond ’ aller rechercher des manifestations d’il y acent ans ; sinon, par goût du kitsch, ou avec uneffet stylistique.Donc, ces musiques sont totalement différentes.La grande musique n’est peut - ê tre pas si grandeque ça mais dans tous les cas elle est plus pro-fonde, plus épaisse. Elle est plus importante cul-tur ellement ; elle rel è ve de l’histoire ; elle résiste comme l’histoire ; elle est actuelle alorsqu ’ elle est très ancienne. Toutes caract é ristiquesqui ne sont pas celles de la musique spontanée.

P hilippe Fanjas D é signant ainsi une musique dite “classique ” ,dense, complexe, et une autre musique, de vari é-té, populair e. . .

A lain ReyJe disais spontan é e. Ce qui n’est pas un juge-ment négatif, au contrair e. C’est très beau laspontan é ité ; i l y a de la musique extr ê mementclassique et savante qui est en même tempsspontan ée : on ne peut pas dire qu ’ il n’y ait pasdes passages de Debussy qui ne soient pasextr ê mement spontan é s. . .

P hilippe FanjasEn revanche, le qualificatif employé n’est - il pasr é v é lateur d’une fracture sociale entre ceux qui entrent dans le monde du classique et ceuxqui s’intéressent à un autre monde musical, plusimm é diatement accessible ?

A lain ReyC ela montre bien que le clivage entre les deuxn ’ est pas un clivage musical mais un clivagesocial. Ce qui veut dire que l’on peut retrouverdans la vraie, la grande, la belle, la complexemusique des tas d’éléments qui figur ent a pr ior i

dans l’autre partie. Les grands compositeurs enont souvent témoigné. J’en veux pour pr euveR avel fasciné par le jazz – alors même que, jecrois, il n’y avait pas compris grand-chose - maispeu importe car il y avait dans cette musiquequelque chose qui lui paraissait important dansl ’ histoire musicale de l’humanité. Et ça suffit.Quand c’est l’oreille d’un Ravel il n’y a plus qu’àse tair e, il n’y a plus qu’à admettre que c’est vraiet qu ’ il a raison. Ce sont des choses qui se pro-duisent assez fréquemment. Menuhin était trèssensible à des formes de musique non codifi é es.

N ous avons peut - ê tre une possibilité qui seraitd é finitoire – mais qu ’ on ne peut pas employerparce que cela sera prétentieux ou pédant – cellede dire que la musique dite “classique” est enfait une musique qui est complexe, pens é e, com-pos é e. Ces mots “composer”, “compositeur” se sont mis au X V I Ie si è cle à désigner sp é cifique -ment la musique, alors qu ’ auparavant ils s ’ appliquaient aussi bien à litt é ratur e, la “com-position” litt é rair e. C et événement très pr é cis s’est produit apr è sM onteverdi. En France, il est advenu avec lesth é oriciens de la musique, comme le PèreM ersenne et son traité de l’harmonie universelleau milieu du X V I Ie si è cle. C’est à ce moment- làqu ’ on a commencé à ne parler de composition etde compositeurs que pour la musique, alors quetout art, litt é ratur e, peintur e, est compos é .

C ette idée de composition me paraît importante.L’ idée d’écriture l’est peut - ê tre moins mais il estex ceptionnel que l’on ait à faire à de la musiquecomposée sans recours à une notation écrite,m ê me pour les musiciens de jazz. Il y a uneexception notable : Django Reinhart ne savait pasé crire la musique mais il n’en avait pas besoinparce qu ’ elle était écrite dans sa tête. On imagi-ne mal aujourd ’ hui un chef d’orchestre ou un instrumentiste d’orchestre qui ne sache pasd é chiffr er les notes sur une port é e.

Du coup, la musique classique serait d’une autr enature que les autr es musiques parce qu ’ elleferait partie des arts à double détente dans les-quels il y a une création puis ensuite une inter-pr é tation. Cela ne se passe pas d’un seul coupet en même temps. A l’inverse, c’est très sou-vent concomitant pour les musiques dites dumonde, où ce sont les compositeurs (qui nesont pas des compositeurs) qui interpr è tent (etqui ne sont pas des interpr è tes). Finalement, ce sont des improvisateurs.

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En fait, la musique dite classique est sortie toutearmée, me semble-t-il, en occident et en Europevers le X V Ie si è cle, de la spontan é ité en mêmetemps que de ce pr é alable très complexe et tr è sé crit qu ’ é tait la musique religieuse; ainsi pour lechant gr é gorien qui, très tôt dans le Moyen A ge,est écrit avec les neumes. Mais il est vrai qu ’ àces époques, la musique non écrite était bienplus importante que la musique écrite ; de mêmeque la litt é rature orale était bien plus importanteque la litt é rature écrite.

On est donc dans une situation comparable quifait que la musique orchestrale, la musique ins-trumentale et même la musique d’op é ra sont desmusiques qui demandent une notation préalableet ensuite une reprise avec interpr é tation. Doncelle vit plusieurs fois.

De plus, il n’y a qu ’ une toute petite communaut écapable de lire une partition : j’ai rencontré plusieurs fois William Christie, et la derni è r efois que je l’ai vu, il m’a montré le manuscritd ’ un op é ra de Rameau qu ’ il était en train d’étu-dier. A l’évidence, il profitait de cette musiqueécrite, alors que moi j’en suis incapable. Et quandje dis moi je peux inclure 99,9% de la populationfran ç aise!

Il y a là une toute petite fa mille de gens parfaite-ment capable de lire une musique qu ’ ils n’ontja mais entendue et de déjà pr é voir, entendr e,imaginer toute une ga mme de sons. Je suis compl è tement fasciné par cette capacité, qui estrare mais qui existe. Si elle n’existait plus, il n’yaurait plus de musique savante, plus de musiquecompos é e, parce qu ’ elle passe par ça. J’ai vuune fois Bar enboim jouer et diriger uniquementde mémoire trois concertos de Mozart. C’estinimaginable quand on pense à la somme d’in-formations : le jeu de piano est déjà une chose complexe mais il faut y ajouter la totalité desinstruments de l’orchestr e.

C ’ est incroyable ! Ça suppose une tournure de lam é moire que d’autr es développent dans desdomaines diff é r ents mais qui est ici enti è r ementint é grée dans une immense construction, com-posée et complexe. Cela aboutit à cette musiquequ ’ on ne peut plus qualifier : elle n’est passavante, elle n’est pas grande, simplement elle ace caractère particulier de pouvoir être enti è r e-ment notée puis enti è r ement restitu é e. Elle l’estalors avec ce plus indispensable qu ’ est le fac -teur humain, expr essif, qu ’ un interpr è te rajoute

en restant le plus près possible de l’intentionvirtuelle du compositeur. Cela aussi constitueune esp è ce de magie et d’alchimie compl è tementincompr é hensibles de l’ext é rieur. Je ne pense pas que les autr es musiques pr é sentent ce mêmedegré de myst è r e.

P hilippe Fanjas La dissociation que vous évoquez entre deuxlangages est fascinante : le langage musical estun langage écrit, puis lu et interprété. Le langagecommun est celui de l’échange parlé. Entre cesdeux langages, de fait, il n’y a pas de communi-cation. A lors que la musique renvoie à une composition complexe, elle ne renvoie pas à desmots suffisamment explicites qui contiendraientson sens tout entier. On se retrouve face à l ’ absurdité d’une tentative de définition à laquelleil faut peut - ê tre renoncer.

A lain ReyJe pense que c’est sage de dire ça, mais enfin ilserait tout de même souhaitable d’arriver à unesolution raisonnable qui ne soit pas hi é rar-chique, bourgeoise ou sociale et qui tiennecompte de facteurs fonda mentaux dans la défi-nition. C ela dit, c’est très difficile, et même si l’on trou-vait un mot, ça ne voudrait pas dire qu ’ il seraitemployé parce que le langage quotidien a seshabitudes, bonnes et mauvaises, et il y a beau-coup de mauvaises habitudes. Finalement, si tout le monde se compr end, ce n’est pas tropgrave.

M ais il n’en reste pas moins ce clivage entr elangage quotidien et code sp é cifique de la musi -que et surtout de la musique écrite et savante.Il y a pourtant des ponts entre les deux, l’un desponts étant la po é sie :La po é sie travaille avec un mat é riel qui estex clusivement langagier, avec des mots, desphrases, des structur es syntaxiques, etc. Elleaboutit à un effet, à une complexité, à la possibi-lité de réciter, de lir e, de chanter aussi des productions de langage qui ont autant de myst è-re et de possibilités d’expr ession humaine que la musique elle - m ê me. Donc, il y a là sinon des ponts, du moins des parall é lismes, ce quiest un peu consolant tout de même parce quetous les arts finalement poursuivent le mêmecombat.

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P rogra m m ation et i n s t i t u t i o n s

L es con tributions de Pierre Boulez à la viemusic ale en France sont consid é rables. Il faitici profiter l’auditoire des exp é riences ducompositeur, du chef d’orchestre et du direc-teur music al, en France comme à l’étranger.S es réflexions sur les relations en tre institu-tion et programmation permettent de contra-rier l’image trop souvent figée de l’orchestreconsidéré à tort comme inc apable d’imagina-tion et d’audace. Pierre Boulez évoque lesquestions du fonctionnement et du rayonne-ment de l’institution, ainsi que celle des lieuxde concert. Il propose de nombreux exemplesde programmation, qui mêlent une grandein telligence music ale au service des œuvreset un sens aigu de la relation au public.

P i e rre BoulezC ompositeur et chef d’orchestr e

Ayant été à la tête de deux orchestr es très diff é-r ents dans leur statut comme dans leurs buts,l ’ O rchestre de la BBC et le New York Philhar-monic, j’ai aussi fondé l’Ircam et l’EnsembleI ntercontemporain parce que je me suis renducompte que dans les grandes institutions, aucu -ne place n’était réellement faite à l’exp é ri -mentation comme à l’interpr é tation des œuvr esnouvelles. N ous sommes en effet confrontés au ph é nom è-ne de la sp é cialisation, qui conduit à voir ler é pertoire des grandes institutions diminué pourles œuvres anciennes du fait de la quête d’unecertaine authenticité, et pour les œuvr escontemporaines du fait des besoins particuliersà l’écriture musicale du X Xe si è cle.

L’ authenticité est très difficile à définir. Elles ’ appuie sur des instruments dits authentiquesou des écrits à partir desquels nous ne pouvonsvraiment pas très exactement définir cettenotion d’authenticité. Ainsi concernant le t empo,les pr emiers renseignements pr é cis sur unedurée d’ex é cution sont dus à Bayr euth quand, àpartir de 1876, toutes les durées de représenta-tion ont été minutées. Quant au diapason, il a étéstandardisé à partir du milieu du X I Xe si è clequand les musiciens ont voyagé plus rapidement

et que les mesur es du temps comme de la hau-teur, se sont alors unifi é es pour tous les pa ys. L es orchestr es jouant des instruments moder-nes sont considérés comme des gens qui trahis-sent la musique ancienne.

Pour la musique contemporaine, les difficult é ssont autr es :L es orchestr es sont des organismes lourds ettrès hi é rarchis é s. Or, les compositeurs refusentcette standardisation, qui a commencé à la findu X V I I Ie si è cle, s’est poursuivie pendant tout leX I Xe et a eu son grand ach è vement au début duX Xe. Parce qu ’ ils désir ent pour chaque œuvre uncertain type de sonorité, ils constituent desgroupes instrumentaux très variables. Déjà,dans Stravinsky et Sch ö nberg, on peut voir unr efus fr é quent de la standardisation de l’orchestr e. A insi, dans la S y m p honie de psa um es deStravinsky, les violons comme les altos n’ont rienà fair e, mais deux pianistes sont nécessair es. N ous poserons quatre questions essentielles :

Tout d’abord celle de l’insti-tution et de son fonctionne-ment. Ensuite, celle de la program-mation, qui est une questioncapitale, car elle concerne la relation de l’institution àun public. Le lieu est égale-ment important, car il doit ser-vir la musique d’aujourd ’ huicomme notre patrimoine.

E nfin la question du ra yonnement, car l’institu-tion doit organiser elle-même les conditions d’unrayonnement qui dépasse l’événement ponctuel.

I - L’ institution

L’ institution est faite d’un pôle administratif etd’un pôle artistique qui sont complémentaires.S ur le plan administratif, l’organisation la plusprofessionnelle est nécessair e, car elle permetde demander aux artistes de donner le maxi-mum. Parall è lement, le projet artistique est capi-tal car sans lui, l’organisation perdra son sens.

La figure du dir ecteur musical repr é sente la par-tie visible de l’iceberg. Sur lui se focalisent lesd é sirs du public et ses exigences. Son rôle estessentiel vis - à - vis des compositeurs et du recrutement de l’orchestre. S’il n’y a pas de per-manence artistique dans le choix des musiciens,les conditions artistiques se détérior ent pro-gr essivement.

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Je pense qu ’ il n’y a pas d’organisation id é ale.M ais les institutions marcheront certainementmieux si elles sont dirig é es par des personnali-tés suffisa mment fortes. Quant au point de vuedes ressources, que l’on soit dans un contextesubventionné comme en Europe ou de finance-ment privé comme aux Etats - U nis, deux sys-t è mes que j’ai vécus de pr è s, les probl è mes sontà peu près les mêmes.

II - La programmation

La progra mmation est le but essentiel de l’insti-tution et elle est évidemment difficile à réaliser.On est obligé de définir des progra mmes enfonction d’un auditoire général, très difficile àcerner d’ailleurs, et on ne peut satisfaire quetrès rar ement tout le monde. Ce type de progra mmation est probablement cequ ’ il y a de plus difficile à fair e, même si on peutquelquefois réussir cet exercice. Je peux donner deux exemples : A Cleveland, récemment, j’ai commencé un pro-gra mme par O cta nd re de Var è se, comme uneintroduction à la pi è ce de Manoury qui suivaiten pr emière audition. La seconde partie étaitconsacrée à la S y m p honie en trois mouv em e ntsde Stravinsky et aux Trois pi è ces op us 6 de Berg.N ous avons joué ce progra mme trois fois pourenviron six mille personnes. A Chicago, j’ai donné une pièce de Marc-AndréD albavie, en pr emière audition, pr é sentée seuleen pr emière partie du progra mme, en raison dudispositif sc é nique. La seconde partie était com -posée du concerto en sol de Ravel qui procurait,après l’effort fait pour écouter Dalbavie, uneesp è ce de détente. Puis suivait Le Mandar inm erv eil l e ux de Bart ó k, une pi è ce tendue et dur e,surtout vers la fin. Nous avons joué ce progra m -me cinq fois, pour environ douze mille per-sonnes et l’accueil a été chaque fois ex cessive-ment chaleur eux pour toutes les pi è ces. Ce qui est int é r essant, c’est de ne pas toujoursutiliser la formation standard de l’orchestr edurant un même progra mme.

L ors de ma tournée avec le LSO, j’ai conçu unprogra mme 1 autour des compositeurs autri-chiens passés et actuels : les Trois pi è ces op us 6de Berg et la sixième symphonie de Mahler. C es pi è ces étant très fatigantes pour les bois etsurtout pour les cuivres, nous avons commandéune œuvre à un jeune compositeur autrichien,O lga Neuwirth, en posant comme seule condi-tion de recourir seulement aux cordes et aux

percussions. Cette œuvre était en total contras-te avec les deux autr es sur les plans du style et de la sonorité. Si cette œuvre est pass é eaussi bien entre les deux autr es, c’est parcequ ’ elle constituait une esp è ce de barrière entr edeux autres musiques qui, au contraire, étaienttrès voisines.

Ce qui me paraît important pour le futur desgrandes institutions musicales, c’est de pouvoirdiviser l’orchestr e, de ne pas toujours s’obliger à recourir à cent dix personnes.

Par exemple, en 1974, à l’occasion du centi è meanniversaire de la naissance de Sch ö nberg,j ’ avais pr é senté un progra mme centré sur desœ uvr es de musique de cha mbre uniquement, laS é r é nade, Pier rot Lunaire et l’ O de à Napol é on ;j ’ avais donc fait travailler ce petit groupe endehors du reste de l’orchestr e. Plus générale-ment, je divisais l’orchestre en deux, pour unepart environ soixante - cinq à soixante - dix musi-ciens afin de couvrir tout le répertoire classiqueet même le jeune romantisme, et pour une autrepart, trente-cinq ou quarante instrumentistesdans un répertoire de musique de cha mbre élar-gi, également très riche en terme de répertoir e.Par exemple, j’ai pu progra mmer ainsi Av e nt ureset Nouv el l es Av e nt ures de Ligeti, ou H uit cha ntspour un Roi fou de Maxw ell Davies. L ors de la pr emière saison, les musiciens crai -gnaient que nous ne cherchions à obtenir d’euxtoujours davantage. Mais en veillant avec le chefdu personnel à ce que tous les musiciens puis-sent participer à ces petits groupes, cette pro-gra mmation a vraiment rencontré l’intérêt desmusiciens et leur a permis de manifester leurindividualité, ce qui a rendu par cons é quent legroupe meilleur.

D ans le domaine de la musique du passé, il fautaussi donner aux musiciens la possibilité, parexemple, de passer du cor chromatique au cornatur el, de l’archet moderne à l’archet à l’ancien-ne, etc. Pour retrouver ces techniques, il faut du temps. Il faudrait pouvoir donner un momentdans la saison pour permettre le travail de cesinstruments pendant quinze jours à troissemaines, comme un sas d’entrée dans un autr emonde. Il y aura alors la possibilité de récupérertout le répertoire si l’on a pu organiser ces plagesde pr é paration.

1 B erg Trois pi è ces op us 6 // Neuwirth C l inam en/ N odus //

M ahler 6è m e s y m p honie .

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L’ institution pourrait alors devenir un pointd ’ é mulation pour que de petits groupes sp é ciali -sés se forment à l’entour, de même qu ’ il y a desgrands mus é es et des petites galeries.

III - Le lieu

Le lieu du concert est particulièrement important.La diversification des lieux peut être bénéfique.A New York, pour la musique contemporaine,nous nous déplacions “down town”, parce quenous savions que le public le plus int é r essé setrouvait dans le bas de la ville. On ne peut secontenter de se dire que le public viendra parcele programme est bon, il faut avoir le désir, trèsvolontair e, de conqu é rir quelque chose. C’est unpeu comme la technique de la gu é rilla, vousenvahissez un quartier ou un autre selon lesn é cessit é s.

Le sens que l’on peut donner à un lieu est par-fois plus important que sa qualité propr ementacoustique. Quand j’ai commencé les concertsdu “domaine musical”, j’ai toujours voulu que cesconcerts se passent dans un lieu qui n’étaitconsacré à aucun autre concert, au th é â tr eM arigny ou au th é â tre de l’Odéon. La fixation dupublic sur ces lieux était très importante pourdonner un profil à ces concerts.

L’ architecture compte aussi beaucoup. J’ai ditqu ’ on luttait souvent contre l’architectur e. Parexemple, pr é senter R é pons est absolumentimpossible dans une salle habituelle.

De ce point de vue, la salle de la Cité de lamusique à Paris est une réussite car elle esttotalement modulable. Des œuvres de caractèrestrès diff é r ents y sont jou é es, comme G r uppen de Stockhausen, ou R é pons par exemple. D ans une salle du futur, il faut pr é voir desemplacements alternatifs, tantôt consacrés auxmusiciens, tantôt au public. Il faut avoir des dis-positifs très modulables, ou des espaces totale -ment vides comme celui de l’Espace de projec-tion de l’Irca m, où l’on peut installer absolumentn ’ importe quoi. Il faut également pr é voir des câblages à grandecapacité pour faire face à l’évolution desbesoins, il faut pouvoir accrocher des haut - par-leurs... Plus on ira vers la litt é rature du futur,plus se posera ce probl è me d’une architectur eadaptée aux diff é r ents genr es musicaux.

IV - Le rayonnemen t

On ne peut pas remplacer le phénomène de l’évé-nement qui permet à de nombr euses personnesde communiquer dir ectement avec des inter-pr è tes. Cela permet d’établir une vraie commu-nauté, très provisoire mais en même temps tr è sforte. Il faut qu ’ il y ait une communication, et la pr é occupation d’une documentation qui per-mette de prolonger l’événement. Cette docu -mentation permet une sorte de pédagogie, entemps réel ou bien à distance. Il faudra augmen-ter et organiser l’accessibilité à la documentation.

Pour moi, l’institution par rapport à la progra m-mation peut se résumer en deux mots : expansion d’un côté et flexibilité de l’autr e. Lesinstitutions pourront rester de taille variable,accord é es aux diff é r ents milieux, adapt é es aur é pertoir e, mais surtout, ce qui compte, ce sontles personnalités qui sont à leur tête, et l’imagi -nation et l’engagement vis - à - vis d’un projet cul-turel clairement défini.

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Quelle mu s i q ue ?Du pat rimoine àla créat i o n

Dans le prolongement des proposde Pierre Boulez, cette tableronde s’in t é resse à la capacit édes orchestres à proposer lelarge répertoire qu ’ offren taujourd ’ hui plusieurs si è cles demusique. L’ exemple del ’ O rchestre Symphonique deChicago permet de prendre toutela mesure des capacités pourl’orchestre symphonique à servirson répertoire de pr é dilectiontout en cherchant les moyensd ’ une inven tivité plus grande auservice de son public et desmusiciens. N ul affron tement en tre lesorchestres dits traditionnels et larepr é sen tan te des ensemblesbaroques : le dialogue permet desaisir les enjeux de la recherchemusicologique, confrontée à la pratique du concert. Chaquemusique a ses exigences, éclai-r é es ici par un échange pr é cissur les techniques instrumen-tales, l’organisation du travail,la mo tivation des musiciens et larelation au public.

P r é sentateur :R ose Lowry,A dministrateur général del ’ O rchestre de Picardie

R apporteur :H ervé Boutry,A dministrateur général del ’ E nsemble Intercontemporain

I ntervenants :P ierre Boulez,C ompositeur et chef d’orchestr eM artha Gilmer,Vice - pr é sidente de l’Orchestr eS ymphonique de Chicago, charg é ede la progra mmation artistiqueE mmanuelle Haïm,D ir ectrice artistique du Concertd ’ A str é e, assistante de Willia mC hristie

M od é rateur : Jean - P ierre Derrien,P roducteur à Radio France

Jean - P ierre DerrienE m ma nuelle Haïm, vous sit uez - vousda ns la même probl é mati que queP ier re Boul ez ?

E mmanuelle HaïmEn ce qui nous concerne, nous nousattaquons à un répertoire qui va de 1580 à 1780. Nous couvrons doncà peu près la même durée de r é pertoire que les orchestr es sym-phoniques. Ce répertoire reste enmarge des répertoir es les plus cou-ra mment progra mmés et nécessitetout à fait la création d’orchestresde sp é cialistes. Je vais repr endre les quelquespoints évoqués par Pierre Boulez,comme le diapason ou le tempo. Pour le diapason, nous avonsquelques éléments nous permettantd’avoir quelques connaissances del ’ instrumentarium. L’ orgue de l’égli-se Saint - G ervais à Paris est au diapason 400 1, ce qui nous permetde savoir que les œuvr es de lalignée des Couperin étaient à cediapason relativement grave. En cequi concerne l’interpr é tation des trag é dies lyriques, celles de Rameauont un diapason fort bas de 392 ou,au contrair e, pour les pr emiers op é-ras de Monteverdi, un certainnombre d’instruments restants dela Cour de Mantoue nous laissent àpenser que les diapasons étaienttrès hauts, à 460 ou 470. Ce sont làdes éléments tout à fait quanti-fiables.Pour les tempos, nous avons desé l é ments peut - ê tre moins certains.L es commentair es de l’époque peuvent faire sourir e, mais l’indica-tion du nombre de bougies brûléesau cours d’une repr é sentation nousdonne une idée de la durée d’unop é ra de Lully qui est aux alentoursde trois ou quatre heur es. C’est àpeu près la durée constatée aujour-d ’ hui pour ces œuvr es.Un op é ra de Cavalli sera certaine-ment plus facile à progra mmer avecun orchestre de spécialistes ayantdes habitudes de pratique d’impro-visation collective. La pratique de

r é pertoir es particuliers, avec deseffectifs sp é cifiques, appelle despratiques musicales particuli è r esplus coutumi è r es aux instrumen-tistes et donc plus faciles pour desorchestr es sp é cialis é s.

Jean - P ierre DerrienC oncerna nt le répertoire, Pier reB oul ez a donné des exem pl es dec onstr uction, par “contam ination ”des œuvres avec une mise en pers-pective, ou bien à l’opposé avec deschoix fondés sur l’homog é n é ité. S ur quels cr it è res constr ui sez - vousvos prog ram mations ?

M artha GilmerPour chaque progra mme, j’essaiede trouver quelque chose de nou-veau pour le public, qui peut êtr eune œuvre ancienne mais peuentendue, à laquelle on ajoute uneœ uvre plus connue. On peut alorsé couter le tout avec une or eilleneuve du fait du manque de familia-rité avec l’œuvre dans un cas et dela red é couverte dans l’autr e.N otre progra mmation est con ç ueaussi pour nos musiciens parcequ ’ ils sont toujours stimulés par lad é couverte. Par exemple, nousavons progra mmé les op é ras deM ozart et Da Ponte durant la pr e-mière saison musicale de DanielB ar enboim. Comme les musiciensconnaissaient bien les œuvr es deM ozart pour l’orchestr e, ils ont évi-demment trouvé des liens avec les op é ras, mais il s’agissaitd’œuvres qu’ils n’avaient pas l’habi-tude de travailler et de pr é senter.

Jean - P ierre DerrienP ier re Boul ez, vous nous avez ditqu ’ il fal lait toujours trouv er simul ta-n é m e nt de quoi réveil l er un publ i cqui n’aime que le répertoire tradi-tionnel et celui qui n’est attentif qu’àla nouveauté. De la même manière,des musi cie ns d’orchestre sympho-ni que seront très he ure ux de jouerdes op é ras de Moz art parce qu ’ ilsont peu l’habit ude de la fosse, etd ’ a utres pr é f é reront jouer les qua-t uors avec pi a no de Moz art.

1 L’ accord se fait aujourd ’ hui en général

au diapason 440 qui indique la fr équence

du “la ” .

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C om m e nt, qua nd on est arti ste etprog ram mate ur, orga ni se - t -on cesrapports avec un public et des musi-cie ns ?

P ierre BoulezIl y a deux points dans votre ques-tion. Il y a le probl è me du publicmais aussi celui, surtout, du syst è-me de l’abonnement, que vousn’avez pas évoqué. Aux Etats-Unis,sont vendus des abonnements com-pr enant six à dix progra mmes. LaBBC n’a pas de syst è me d’abonne-ment, l’Orchestre Symphonique de Londr es pratiquement pas. Si unconcert n’est pas inclus dans unabonnement et que le progra mme neplaît pas, le public ne vient pas. L es syst è mes peuvent varier selonles orchestr es. A insi au LSO l’an-née pass é e, les progra mmes quej ’ ai dirigés étaient annoncés commedes progra mmes de découverte.D ans chaque progra mme propos é ,il y avait une œuvre nouvelle.Autour de ces œuvr es, il y avait unprogra mme très homog è ne. A insipar exemple, nous commencionsavec z ero Points de Peter Eötv ö s,puis le concerto pour violon deL igeti, et pour finir, Le Prince de boi sde Bart ó k. Le soliste était ChristianTetzlaff au violon, ce qui pouvaitattirer du monde.

L es musiciens aussi ne doiventja mais être oubliés dans une pro-gra mmation :Vous savez qu’un orchestre est toutsimplement le reflet de la soci é t é .Vous avez des musiciens qui sontprogr essistes, d’autr es extr ê me-ment conservateurs et cela ned é pend pas de l’âge. Donc si unprogra mme très difficile est mis enœ uvr e, des musiciens vont s’y int é-r esser dans l’orchestr e. Certainsdiront : “C’est fatigant, mais c’estint é r essant !”, d’autr es diront:“ E ncore ce type de musique !” Maissi le chef a le niveau professionnelpour amalga mer toutes ces opi-nions, alors même ceux qui sontr é ticents diront : “Il connaît sonbusiness, donc on n’a pas d’objec-tion.” C ’ est la même chose avec l’inter-pr è te. Pollini, par exemple, inspir eune certaine confiance parce qu ’ on

sait qu ’ il ne joue pas que despi è ces contemporaines. Dès lors,quand il joue une pièce de SalvatoreSciarrino, le public peut dire: “S’ille joue, c’est que cela doit être int é r essant, donc je peux m’y int é-r esser.” N ous cherchons donc une esp è cede pacte de confiance avec lesgens qui viennent pour les artistescomme avec ceux qui viennent pourles œuvres. C’est pour cela que jepense qu ’ il n’y a pas “un” public ou “ le” public, mais “des” publics très diff é r ents.

Jean - P ierre DerrienP ier re Boul ez vie nt d’évoquer ung ra nd orchestre. Emma nuelle Haïm,pour Le Concert d’Astrée, com m epour Les A rts Flor i ssa nts que vousconnai ssez bie n, vos prati ques sont -el l es ide nti ques ? Pe ut -on pe nserqu ’ une petite com muna uté est plusa v e nt ure use et plus soud ée ?

E mmanuelle HaïmN os ensembles sont assur é menttrès soud é s. Dans un orchestr ebaroque, la progra mmation va tr è scoura mment solliciter les musi-ciens comme soliste ou cha mbristes,sans véritables règles de hi é rar-chie. C’est d’ailleurs cet aspect - l àde la pratique musicale, très enga-g é e, qui contribue à attir er nombr ede musiciens vers ce répertoir e.Dès lors, les musiciens ont unepart active dans la progra mmationet un rapport très dir ect avec lechef, nota mment en ce qui concer-ne les recherches musicologiques.

Jean - P ierre DerrienM art ha Gil m er, vous êtes en charged ’ une instit ution très ancie nne. Laprope nsion de l’instit ution à se fi gerpeut-elle être durablement modifiéepar la pr é se nce de ge ns qui sont à lafois pi a ni ste et chef d’orchestrecomme Daniel Bare nboim, ou com-posite ur et chef d’orchestre com m eP ier re Boul ez ? Lorsque de tel l es personnal ités quitte nt l’orchestre, la te ntation de la routine inh é re nte àtoute instit ution rev ie nt - el le ?

M artha GilmerC haque dir ecteur artistique del ’ O rchestre Symphonique de Chicago

a eu une personnalité extr ê mementforte. Après Georg Solti qui a été ledir ecteur musical de l’Orchestr eS ymphonique de Chicago pendantvingt - deux ans, il est certain quel ’ empr einte de Daniel Bar enboimdur era au - delà de ses ann é es depr é sence à Chicago. Il a en effetapporté à notre progra mmation et ànos activités une souplesse, unediversité, une imagination, très dif-f é r entes des ann é es pass é es.

Jean - P ierre DerrienSi l’on veut apporter le meil l e ur aupublic et aux musiciens, quels sontl es ava ntages et les inconv é nie nts del ’ abonnem e nt ?

P ierre BoulezL’ avantage est évidemment écono-mique. Ce qui est rassurant pourl ’ orchestr e, c’est de savoir quequand les abonnements marchent

très bien, la saison sera en partiecouverte par les rentr é es du box- office. Le probl è me des abonne-ments est qu’ils obligent à servir unmenu imposé à tout le monde. L’ abonnement a cependant desinconv é nients, nota mment sur le plande l’organisation du travail. Ainsi,dans de nombr eux orchestr es nord -américains, il y a, en principe, quatrerépétitions et quatre concerts pourle même progra mme. Travaillerdans ce syst è me veut dire que l’ona les yeux bandés, sur un fil de ferà tr ente mètr es au - dessus du sol etqu ’ il faut rejoindre l’autre rive àtemps. Pour les œuvr es difficiles, un “overtimes” est parfois nécessair e, maisqui co û te cher, aussi essaie - t - on del ’ é viter au maximum.

E mmanuelle Haïm et Pierre Boulez

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Jean - P ierre DerrienM art ha Gil m er, quels sont les inconv é nie nts ou les ava ntages quevous vo yez au système des abon -nem e nts ?

M artha GilmerL’ avantage de l’abonnement pourune institution comme la nôtre esttrès nettement f inancier. Pour vous donner un exemple, un renou-vellement d’abonnement nousco û te à peu près quatorze dollars.En revanche, chercher un nouvelabonné, avec tous les multiplesdocuments édités et envoy é s, celapeut nous co û ter trois cents àquatre cents dollars. Cela repr é-sente, éventuellement, plus que larecette générée par l’abonnement.C ela dit, nous tentons de faire untravail beaucoup plus approfondisur les offr es faites au public, pourdes raisons économiques et artis-

tiques. Nous allons jusqu’à offrir une formule d’abonnement libr e, oùla personne peut choisir les dates et progra mmes de ses concerts,pourvu qu ’ elle en pr enne huit. N ous avons également ouvert unenouvelle série d’abonnements pourtrois concerts seulement, en visant particuli è r ement une tranched’âge de vingt à trente ans, jeunesprofessionnels, n’ayant pas du toutl’habitude d’aller au concert et auconcert de musique classique parti-culi è r ement. Ces trois concertssont précédés d’un échange avecmoi - m ê me et avec une animatriced ’ une station de radio qui émet de la musique rock, très connue dupublic. La discussion s’appuie surdes œuvr es connues de ces per-sonnes en dehors de l’univers de lamusique classique, mais qui peu-

vent avoir un lien avec la musiquepr é sentée le soir même.

Jean - P ierre DerrienM erci. Je lai sse la parole à la salle.

C hristophe Darnel( E diteur de musique )Pouvez - vous définir ce qu ’ est ler é pertoire et quel est l’apport descompositeurs invités dans lesorchestr es ?

P ierre BoulezJe vous dirai simplement qu ’ enl ’ espace de deux semaines, quandj ’ é tais à Cleveland et à Chicago, j ’ ai créé les œuvr es de trois compo-siteurs, Marc - A ndré Dalbavie,P hilippe Manoury et Eliott Carter ; la liste serait longue si j’énum é-rais toutes les cr é ations que j’aifaites quand j’étais à la BBC ou àN ew York ou avec le LSO. Faire passer ces œuvr es au réper-toire, c’est autre chose, parce que“ r é pertoire” implique “joué assezsouvent”. Je pourrais citer l’exemplede l’Ensemble Intercontemporain :nous avons commandé un grandnombre d’œuvr es que nous avonscr é é es et jou é es quinze, vingt, tr entefois même pour certaines d’entr eelles ; nous les avons enr egistr é esaussi, ce qui est très important pourla diffusion. Certaines œuvr es ontdonc une vie très éph é m è r e. Pourd ’ autr es, au contrair e, que nousavons sélectionn é es parce qu ’ ellesé taient vraiment d’une grande qualité, plus les musiciens les ontinterpr é t é es, plus ils se sont sentisà l’aise et ils ont donné à cesœ uvr es un contenu émotionnel etun contenu musical beaucoup plusforts que la pr emière fois qu ’ ils les ont jou é es. A insi par exemple avec S e uils deM arc - A ndré Dalbavie, il est certainque les musiciens se sont sentisbeaucoup plus à l’aise après l’avoirjouée sept ou huit fois, après avoir absorbé toutes les difficult é stechniques qui pouvaient se pr é-senter et qui, au départ, étaientpeut - ê tre un handicap. Q uand on a joué et rejoué cesœ uvr es, elles ont été chaque foismieux donn é es, mieux comprisespar le public aussi. Probablement

d ’ abord parce que la sonorité estmeilleur e, parce que les rythmes etla forme sont plus perceptibles, le public ressent quelque chose quipasse d’une fa ç on assez irration-nelle, mais qui passe, et fait quel ’ audition est plus facile.

Jean - P ierre DerrienE m ma nuelle Haïm. Sur cette questiondu répertoire et des com posite urs en rési de nce...

E mmanuelle HaïmC hez nous, les compositeurs ontune résidence éternelle et je l’esp è-re, bienheureuse ! Notre tâche estde faire que certaines œuvr es dupatrimoine europ é en entr ent aur é pertoir e, comme par exemple lesgrandes trag é dies lyriques deR a meau qui sont toutes des chefs -d ’ œ uvr e.N ous devons donc continuer àmettre en valeur des œuvr esmajeur es et red é couvrir aussi despi è ces délaiss é es. Il y a un équi-libre subtil à trouver entre ce quiest totalement inconnu du public etce avec quoi il commence à sefa miliariser. Je pense que c’est lànotre rôle, qui compr end une partd ’ é ducation du public.

Jean - P ierre DerrienM art ha Gil m er, qu’en est - il auxE tats - U nis de la place et du rôle descom posite urs contem porains ?

M artha GilmerAugusta Witt est notre compositeuren résidence. Nous lui commandonsbien entendu des œuvres pour l’or-chestr e. Mais elle a aussi d’autr esr esponsabilit és : elle lit toutes lespartitions envoy é es à l’orchestr e,elle mène les conversations avec lepublic avant les concerts où uneœ uvre contemporaine est progra m-m é e. Elle a également un rôleimportant dans la communaut é ,nota mment dans les écoles, car c’estelle qui “pr ê che” la parole de lamusique contemporaine. Enfin,c ’ est elle aussi qui nous conseillesur la progra mmation d’une nouvel-le série de concerts de musiquenouvelle ou contemporaine.C ependant, aux Etats - U nis, pour desquestions budgétaires, les postes

P hilippe Etourneau, Jacqueline Brochen,G é rard Riou, Hervé Boutry, Gilbert Blanc

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fixes de compositeur en résidencesont de moins en moins nombreux.

M ich è le Charmet( P r é sidente de l’office cultur el del ’ A ire sur la Lys, Pas de Calais )Pourquoi est - ce l’orchestre qui sedemande comment trouver un nou-veau public ? Je crois que l’or-chestre fait son travail. C’est bienentendu dans l’enfance que cespersonnes doivent être form é es.Tant qu ’ il n’y aura pas de passer el-le entre le Ministère de la Culture et le Ministère de l’Educationnationale, nous serons toujours aum ê me point. La question ne doit - elle pas êtr eposée au niveau de la formationplutôt qu ’ au niveau du public adulte?

P ierre BoulezVous avez soulevé une question quiest importante parce que l’on dittoujours que ce sont les orchestr esqui sont responsables de leur pro-gra mmation et dit - on, d’une dimi-nution du public. Je pense en effetque nous intervenons en fin decourse et que l’éducation ne peutpas être assumée par les seulsorchestr es. C’est dans le domainede l’école que l’éducation musicaledoit être conduite. L es Percussions de Strasbourg avaient commencé à développerune école de la percussion où l’ap-pr entissage ne commen ç ait pas par le solf è ge, mais par un contactdir ect avec le sonor e, même primi-tif, même simple, mais au moins,cela voulait dire : “Je fais quelquechose et je ne me contente pasd ’ entendre”. Il y avait donc touteune éducation qui commen ç ait pardes bruits, des rythmes faits spon-tan é ment, puis, au fur et à mesur e,on se dirigeait vers une culture plusé labor ée ; ce travail commen ç aitavec de jeunes enfants. Je regr etteque ce mode d’éducation musicalen ’ ait pas pu se développer partouten France.

S ophie Roughol( Auditorium de Dijon )L es orchestr es symphoniques disentqu ’ ils ne peuvent plus progra mmerde la musique ancienne. Cela n’est -il pas dû au fait que les musiciens

ont peur de se remettre en cause, etd ’ adopter des techniques et unerhétorique qui les obligeraient à êtrebeaucoup plus souples et beaucoupplus mobiles ?

Jean - P ierre DerrienAva nt de passer la parole à nos troi sinv ités, je crois pouvoir vous direque quelqu ’ un comme Simon Rattl e ,lors de son prem ier concert avecl ’ O rchestre Philharmoni que deB erl in, a joué D aphnis et Chlo é e nde uxième partie, et la S uite desB or é ades de Ram eau en prem i è repartie. Les choses bouge nt !E m ma nuelle Haïm ?

E mmanuelle HaïmLa personnalité de Simon Rattle etson goût prononcé pour des réper-toir es très divers l’ont amené àfaire que certains orchestr es puis-sent au moins conna î tre cettemusique-là. L’ année prochaine, parexemple, je vais participer avec luià une Passion selon Saint - J ea n qu ’ ilva donner avec des orchestres desp é cialistes et avec des orchestr esde facture moderne auxquels cer-tains instruments seront confiés àdes sp é cialistes, pour le luth, leclavecin ou la viole de ga mbe quisont pour le moins difficiles àappr endre en quinze jours.

Si l’on donne à un violoniste moder-ne un instrument monté en boyau,il mettra beaucoup de temps à sefa miliariser avec ce genre de technique instrumentale. Certainsinstruments permettent plus diffici-lement la double pratique ; ainsi la fl û te traversière moderne et letraverso sont difficilement compa-tibles, tout comme le hautboismoderne avec sa perce particuli è r equi demande une tension très sp écifique, ce qui conduit à un tra-vail de nature opposée au haut-bois baroque. C ela n’emp ê che que la musique està tout le monde et qu’il est bon defaire partager l’universalité du lan-gage musical. J’ai trouvé mer-veilleux que Simon Rattle fasse eneffet jouer l es Bor é ades à desorchestr es qui ignoraient jusqu ’ aunom de Rameau.

Jean - P ierre DerrienM art ha Gil m er, que pe nsez - vous decette question du rapport des musi-cie ns aux répertoires baroque ouclassi que?

M artha GilmerN ous avons eu longtemps deuxfreins à la programmation d’œuvresdites baroques :Tout d’abord, la crainte de s’attir erles foudr es de la critique ou dupublic en jouant les œuvr esbaroques sur des instruments d’au-jourd’hui. Par ailleurs, le systèmede rotation des musiciens queP ierre Boulez évoquait tout à l’heu-r e. Cependant, nous jouons cesœ uvr es de plus en plus. La saison2 0 00 - 2001 sera conclue par unePassion selon Saint - J ea n, et aucours de la saison prochaine, tousles C oncertos Bra ndebourgeoi sseront progra mm é s, associés à desœ uvr es des X I Xe et X Xe si è cles.

Jean - P ierre DerrienMerci, Martha Gilmer. Pierre Boulez ?

P ierre BoulezUn grand texte musical est toujourssusceptible de plusieurs interpr é ta-tions. Natur ellement, si on ne jouaitles sonates de Beethoven que surle pianoforte de 1790, je crois quenous en aurions fort peu de jouis-sance d’un certain point de vue. Jeme souviens du mot de Beethovenqui, alors qu’Ignace Schupantzig luifaisait remarquer que c’étaitimpossible dans le registre aigu duviolon, etc., lui avait répondu :“ Pensez - vous que je pense à votr einstrument quand l’esprit soufflesur moi ?” Le texte est inspiré parl ’ instrument, mais il est pour moibeaucoup plus fort que l’instru-ment. A insi, avec l’A rt de la fugue,on peut dire que cette œuvre existeau-delà de toute instrumentation :c ’ est l’épitomé d’une réflexion surla musique qui se transmet unique-ment par la lecture d’un texte.

Participan tSi certains répertoir es sont diffici-lement interpr é tables sans recoursà leur instrumentarium pr é cis – jepense à Monteverdi nota mment –d ’ autr es, Bach par exemple, comme

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le dit Monsieur Boulez, développentune rh é torique ind é pendante del ’ instrument qui la soutient. Sur cesr é pertoir es-là, les orchestr es symphoniques ne pourraient - ils paspr endre plus de risques ?

Jean - P ierre DerrienE m ma nuelle Haïm ?

E mmanuelle HaïmC ela dépend tellement de la person-nalité du musicien ! De nombreuxmusiciens n’ont pas le souhait des ’ adapter à des instruments nou-veaux. Pour certaines musiques, letexte prime. D’autr es sont très li é esà la sonorité des instruments pourlesquels elles ont été écrites.J ’ aime beaucoup Glenn Gouldjouant Bach au piano parce que jetrouve qu ’ il transmet un messagemusical certain. Cela n’emp ê chepas que lorsque l’on joue sur l’ins-trument de l’époque de la composi-tion, on arrive à une tout autr emusique. Pour d’autr es répertoir es, ce n’estpas la question instrumentale quiva être en cause, mais la fa miliari-sation avec un langage, avec eneffet une rh é torique. N ous pouvons pr endre des exemplestrès simples : certains violoncel-listes peuvent jouer des concertosromantiques extr ê mement difficilestechniquement parlant ; cependant,pour une ligne de “continuo” simpleoù il va y avoir quelques notes à jouer, il faudra avoir la capacit éd’être un accompagnateur, de parlerbien plusieurs langues, d’êtr ecapable d’être celui qui attrape ouvole la parole d’un autr e. Ce n’estpas le musicien moderne qui estfonda mentalement diff é r ent dumusicien baroque, ce sont les per-sonnalités musicales qui sont diff é-r entes les unes des autr es.

J acqueline Brochen( A dministrateur- d é l é guée généralede l’Orchestre National de Lille )Je voudrais souligner deux points :C oncernant le répertoire baroque,je veux dire que nombr euses sontles formations symphoniques quijouent à la fois Le Messie deH aendel ou les Passions de Bach etle répertoire contemporain.

E nsuite, nous devons rappeler lachance des institutions fran ç aisesde pouvoir fonctionner sur fondspublics, ce qui nous permet ou nousimpose de faire un effort importantdans le domaine de la musiquecontemporaine, malgré le risqued ’ une faible fr é quentation publique.

Jean - M arc Bador( D ir ecteur délégué de l’Orchestr ede Bretagne )La plupart des régions fran ç aises( et nous avons vu hier qu ’ il en man-quait encore) se sont dot é es d’unorchestr e, avec les moyens qu ’ ellesavaient à leur disposition.G é n é ralement, la détermination del’effectif de ces orchestres n’a pasété le résultat d’une réflexion sur lerépertoire attendu de cette forma-tion, mais la cons é quence des cr é-dits jugés disponibles. Dès lors, ledir ecteur musical a à sa dispositionun panel de répertoire lié au seuleffectif permanent.

P ierre - E mmanuel Conquer( Violoniste et chef d’orchestr e )Ma question concerne le statut demusicien et son cadre d’emploi, en rapport avec la question du réper-toir e.P ierre Boulez évoquait tout à l’heu-re ce que pourrait être le format del ’ orchestre de l’avenir, qui auraitune progra mmation diversifiée etqui n’utiliserait pas systématique-ment l’ensemble des forces dispo-nibles. Dans les institutions danslesquelles vous avez travaillé, com-ment a-t-il été possible d’employerdans un même progra mme centvingt musiciens et une formation decha mbre de huit à quinze instru-mentistes, et que tout le monder este à la fin du mois dans un quotad ’ heur es à peu près respecté. Neva - t - on pas plutôt vers un change-ment du statut de l’orchestre ?

P ierre BoulezJe pense que c’est difficile dans lesconditions actuelles, mais il fautdiscuter avec les musiciens. Parexemple, on peut jouer sur leshorair es de répétition. A New York,j ’ avais obtenu, pour faire des pro-gra mmes diversifi é s, que l’or-

chestre soit divisé en deux pendantun certain nombre de semainesdans l’ann é e. J’ai fait cela avec laBBC aussi ; je me souviens avoirpartagé l’orchestre entre John EliotG ardiner, travaillant un répertoir eancien et moi, un répertoire assezcontemporain. Nous avions deuxstudios diff é r ents et des horair esidentiques. Les musiciens avaientexactement les mêmes quotasd ’ heur es, le répertoire s’est élargiet le nombre de concerts a étédoublé. C’est donc une question destrat é gie et d’organisation.

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Le rega rd de l’Observat o i re des politiques culture l l e sRené Rizzard o, dir ecteur de l’Observatoire des politiques cultur elles

La musique est-elle un enjeu politique ?

I ntervenants :

C at h e rine A h m a d i ,S ous - dir ectrice à la cr é ation et aux activités artistiques, D M D T S

Claude Champaud,R epr é sentant de l’Association des Régions de France

François de Mazière s,P r é sident de la Fédération Nationale des Collectivités Territoriales pour la Cultur e

G e o rge s - François Hirs ch ,P r é sident du Synolyr

R i ch a rd Lagra n ge ,D R AC de la Région Midi - P yr é n é es

I van Renar,S é nateur du Nord

P r é sentateur :

C at h e rine Delcro i x ,A dministrateur de l’Orchestre National d’Ile de France

R apporteur :

Anne Po u rs i n ,D ir ectrice générale de l’Orchestre National de Lyon

M od é rateur :

Philippe Meye r,P roducteur à Radio France

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Les outils des politiques c u l t u re l l e sC ette question est centrale dans tout débat sur la musique.Elle concerne le rôle du politique dans l’exercice de sa respon-sabilité sur l’état cultur el d’une nation. Le débat s’ouvre avec le regard de l’Observatoire des politiques cultur elles etse prolonge avec les positions des collectivités locales et de l’Etat.Tous rappellent l’importance que revêt la musique en Franceen s’accordant sur la nécessité de contribuer au maintien et au développement de sa place dans la culture fran ç aise. I ls s’expriment également sur les objectifs et moyens concr ets qu ’ il s’agit de mettre en œuvr e.

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Le rega rd de l ’ O b s e rvat o i re des politiques culture l l es

R ené Rizzardo apporte ici un point de vue àla fois distancié et très informé, qui lui permetd’analyser globalement les politiques cultu-relles et les rôles respectifs des orchestres etdes collectivités territoriales.Pour être effic aces, les politiques culturellesdoivent résulter d’un dialogue en tre collecti-vités publiques et avec les orchestres. Lesmissions sont en effet nombreuses, leurcon tenu est variable et elles sont très in é ga-lement réparties et financ é es sur l’ensembledu territoire. D’une bonne définition des rôlesde chacun, encore trop imparfaite, dépend la constitution d’une véritable cha î ne decoop é ration, qui est de la responsabilité dupolitique.S elon René Rizzardo, le con texte est aujour-d ’ hui favorable pour faire de la musique unv é ritable enjeu politique : il s’agit de débattreici d’un enjeu pour la créativité de la nation,d ’ un enjeu de civilisation.

René Rizzard oD ir ecteur de l’Observatoire des politiquescultur elles

Il y a une difficulté certaine à tenir un discoursg é n é ral sur les questions qui nous réunissentpendant ces deux jours, car nous sommes face àdes exp é riences artistiques, musicales ou terri-toriales très diverses. Il faut par ailleurs se gar-der de principes rigides, de la vision unique etcentralisée qui a pr é valu pendant une quarantai-ne d’ann é es. L’ exp é rience montre que l’on avance d’abord parla passion et la générosité, par des formationsouvertes sur les questions nouvelles et enfin pardes métiers adaptés aux nouvelles questions.C ela ne suffit pas, il nous faut aussi des strat é-gies, et c’est peut - ê tre ce qui manque le plus àune politique musicale ambitieuse. Partons d’un état des lieux et essa yons de fair eun peu de prospective. Je ne parle pas de pr é voir l’avenir, mais, partantd ’ une réalité, de dire quelles perspectives on se donne pour la faire évoluer. Cela demande dutemps alors que les élus sont sommés de

r é soudre dans les six pr emiers mois de leur arri-vée l’essentiel des questions qui se posent àune population. Il faut trouver le rapport entre letemps de l’action, et les temps de la réflexion, de la décision et de l’évaluation. Ce moment del ’ é valuation est celui où, ensemble, des parte-nair es se demandent si les objectifs qu ’ ilss ’ é taient donnés ont été atteints ou pourquoi ilsne l’ont pas été, et pourquoi ce qu ’ ils avaientpr é vu ne s’est pas tout à fait passé comme ilsl ’ avaient attendu. La plupart du temps, ce sontles impr é vus qui sont les plus int é r essants.

Le th è me des outils des politiques cultur ellesdoit être pr é cisé. Les outils, qu ’ ils soient tech-niques, financiers, juridiques ou pédagogiques,doivent d’abord être considérés comme desr é ponses appropri é es aux finalités artistiques etaux objectifs cultur els que se donnent lesorchestr es, par exemple l’irrigation cultur elle duterritoire ou l’adh é sion de nouvelles popula-tions. Si les orchestr es sont confrontés à ces

enjeux, les collectivit é spubliques le sont peut - ê tr edavantage. Ces objectifs ontconduit et conduisent lesorchestr es à faire évoluerleurs missions : missions decr é ation et de production,qui constituent un socle,missions éducatives, mis-sions de décentralisationterritoriale, missions inter-

nationales. Que ces missions soient nouvellesou anciennes, les orchestr es les exp é rimententaujourd ’ hui en fonction de l’évolution des pra-tiques, en particulier l’explosion des pratiquesa mateur, ainsi que de l’évolution de la repr é -sentation que nos concitoyens ont de l’art eng é n é ral et de la musique en particulier.

S ur ce point, cette attitude répond sans doute àun besoin de sens, comme le montr ent desé tudes récentes. A insi, un sondage demandé parla FNCC nous montre que nos concitoyens ontune repr é sentation de l’art qui évolue dans unsens extr ê mement positif. Cela ne veut pas dir equ ’ ils se pr é cipitent tous au concert. A ceté gard, le plan de développement de l’éducationartistique et de l’action cultur elle à l’école pr é-sentée par CatherineTasca et Jack Lang arriveà un bon moment. Notre société est peut - ê tr ecapable aujourd ’ hui d’assumer pleinementcette réalité et c’est une opportunité qu ’ il fautsaisir. Mais, sans doute, il y a besoin de liens

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entre ces diff é r ents mouvements, les missionsdes orchestr es, les pratiques, l’évolution dusens que nos concitoyens semblent vouloir don-ner à l’art et à la cultur e, et ce lien me sembleêtre largement du ressort des collectivités terri-toriales – j’y reviendrai rapidement tout à l’heure.

L es politiques cultur elles, de leur côté, consti-tuent le cadre des missions que je viens d’évo-quer, missions de service public et donc d’int é-rêt général, li é es à des financements publics.L es politiques cultur elles sont en même tempscr é atrices des conditions de ces missions et deleur efficacité. Orchestr es et pouvoirs publicsont des rôles sp é cifiques à partir de finalit é scommunes et d’objectifs compl é mentair es. Lesorchestr es ne peuvent être efficaces que s’ilssont inscrits dans le cadre de politiques cultu-r elles à la fois dyna miques et inventives, car,bien évidemment, s’ils peuvent être efficacespar eux - m ê mes, ce n’est pas à eux de tout fair e.Il faut donc leur proposer un cadre adapté.

O bservons par ailleurs que les orchestr es sesont développés ces tr ente derni è r es ann é es,autant, si ce n’est plus, par la volonté des collec-tivités territoriales que par celle de l’Etat. L’Etata accompagné évidemment le mouvement ; il aaussi accompagné la diversification des conte-nus et des formes de la production et de la diffu -sion musicale. Cela donne aujourd ’ hui un pa ysage diversifié, mais aussi contrasté, in é ga-litaire en termes d’aménagement cultur el du ter-ritoire, et en termes également d’organisationde la vie musicale. Le mode de financement desorchestr es est très disparate. L’ in é galité esté galement aux portes des budgets desorchestr es. Il est urgent, si l’on veut y voir unpeu plus clair, que l’Etat refonde ces missionsnationales, afin de peser sur les solidarités ter-ritoriales, favoriser les régions, car je pensequ ’ il ne peut agir seul, encourager la circulationdes orchestr es, veiller à la qualité des recrute-ments en lien avec la formation et l’insertionprofessionnelle.

Le “sch é ma des services collectifs cultur els”, quiest en cours d’élaboration, est un exercice tout àfait int é r essant de réflexion sur l’aménagementcultur el du territoir e. Le temps est sans doutevenu de mettre à plat les responsabilités desuns et des autr es. Dans ce cadre-là, les élus, dufait de leur proximité aux artistes et en re lationavec des associations porteuses, sont souventpr é occupés par la place des artistes dans la

cité, réalité souvent difficile à résoudr e. Les éluset les services de l’Etat, tant au plan régionalque national, peuvent mieux faire convergerleurs objectifs. A insi, nommer un chef ou renou-veler son contrat, c’est établir une relation deconfiance et véritablement assumer un projet,non pas l’accepter du bout des lèvr es en l’aban-donnant dans les faits à un professionnel. A uncontrat de confiance entre l’artiste et les pou-voirs publics répond le contrat de confiance évo -qué avec la population dont parlait Pierre Boulezce matin. Le rôle de synth è se entre les diff é-rentes questions qui se posent à un orchestre, lar esponsabilité de la coh é r ence du projet d’en-semble incombent aux responsables politiquesqui doivent savoir cr é er les conditions de ce quej ’ appellerais une cha î ne de coop é ration et quisuppose aussi un nouveau type de partenariatinstitutionnel. Dans ce contexte, je voudrais sou -lever deux questions.

La pr emi è re : comment penser un partage effica-ce et harmonieux des rôles entre les pouvoirspublics ? Nous sommes en effet dans un momentoù s’il n’y a pas une clarification des responsa-bilit é s, il y aura stagnation. Chaque fois que l’ona mieux identifié des responsabilités en rapportavec la demande sociale – cela s’est toujourspassé ainsi dans ce pa ys, et il est temps de lefaire pour la musique – il est possible de donnerun nouveau sens au rôle de chacun et de pariersur le développement. Les financements crois é s,utiles pour le devenir des orchestres, peuvent àcet égard garantir leur développement, maisencore faut - il qu ’ une clarification des rôles soitrapidement engag é e.

La deuxi è me question est celle du mode de ges-tion. Comment choisir le mode gestion le plusapproprié qui garantisse aux orchestr es lar econnaissance pleine et entière de leurs res-ponsabilités artistiques, avec un engagementferme des pouvoirs publics dans le financementde cette responsabilité artistique et des mis-sions cultur elles? Cette question est très impor-tante car il s’agit, à la fois, de clarifier et detrouver les outils de gestion permettant laconvergence des responsabilit é s. A cet égard, leprojet “d’établissement public de coop é ration cul -tur elle” peut être une réponse int é r essante quandil s’agit de réunir les partenaires publics autourd ’ un même projet. Pour autant, c’est un outilqu ’ il ne faut pas chercher à imposer. Lorsqued ’ autr es modes de gestion, je pense en particu-lier à “l’association loi 1901”, donnent pleine-

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ment satisfaction, il ne devrait pas y avoir obli-gation d’en changer. On observera enfin que lesconseils régionaux ont confirmé, ces dernièresann é es, leur engagement financier en matière desoutien à la production musicale. Ce n’est pasparce que les conseils régionaux sont les petitsderniers du financement de la culture en Francequ ’ il ne faut pas penser, en termes de prospecti-ve et de perspectives, au rôle futur qu ’ ils pour-raient jouer. Ne faudrait - il pas que, à terme, lesr é gions soient plus nettement les chefs de filepour le développement des orchestr es et assu-ment, à leur égard, une comp é tence de gestionpartag ée ? Je pose la question sans dire quec ’ est absolument la solution.

On sait par exp é rience que la clarification desr esponsabilités se réalise souvent au bénéficedes activités concern é es et de la population. Atitre d’information, le dispositif exp é rimentaldes protocoles de décentralisation cultur elle,lancé par Catherine Tasca et Michel Duffour,peut être un outil int é r essant. Encore faut - il, évi-demment, que le spectacle lui - m ê me y trouve sa place.

En conclusion, je dirai que la réunion de volon-tés nouvelles, et d’un contexte que je pensefavorable, peut faire de la musique un véritableenjeu politique. Je parle là d’un enjeu pour lacr é ativité de la nation, en particulier celle desenfants et des jeunes, un enjeu de civilisation.Je crois que cela pourra se réaliser à conditionqu ’ on soit capable d’inventer de vraies politiquesmusicales dans lesquelles les orchestr es, dansla diversité de leur contenu et de leursm é thodes, trouveront mieux leur place et joue-ront pleinement leur rôle. Pour que la situation évolue, il faut que chacuntrouve sa juste place, dans un contexte qui fassedébat et soit porté collectivement par l’ensemblede la nation.

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La musique est-elle un enjeup o l i t i q ue ?

D es repr é sen tan ts des collecti-vités loc ales et de l’Etat expri-ment leur point de vue sur cettequestion capitale pour le déve-loppement et l’avenir desorchestres. Chacun s’accorde àrappeler ici que la culture est undroit constitutionnel et qu ’ ellefigure dans la Déclaration uni-verselle des droits de l’Hommede 1948.Du point de vue des communes,le repr é sen tant de la FNCCappelle à un partage clair desresponsabilités en tre les acteurspublics, pour la réalisation desmissions de formation, création,diffusion et animation. Le rôledes régions s’av è re particuli è re-ment importan t, no tammen tdans le cadre du développementeurop é en. Les mutations du rôlede l’Etat sont également souli-gn é es : aujourd ’ hui il s’agitmoins de dire le droit que d’éta-blir les liens indispensablesen tre acteurs culturels et collec-tivités publiques, dans l’espritd ’ un véritable partenariat.

P r é sentateur :C atherine Delc roix,A dministrateur de l’Orchestr eN ational d’Ile de France

R apporteur :A nne Poursin,D ir ectrice générale de l’Orchestr eN ational de Lyon

I ntervenants : C atherine A hmadi,S ous - dir ectrice à la cr é ation et auxactivités artistiques, D M D T SC laude Champaud,R epr é sentant de l’Association desR é gions de France Fran ç ois de Mazi è res,P r é sident de la Fédération Nationaledes Collectivités Territoriales pour la Cultur eG eorges - Fran ç ois Hirsch,P r é sident du Synolyr

R ichard Lagrange,D R AC de la Région Midi - P yr é n é esI van Renar,S é nateur du Nord

M od é rateur :P hilippe Meyer,P roducteur à Radio France

P hilippe MeyerLe sujet qui nous rassemble et quiest évidem m e nt, comme tous less ujets de tabl es rondes, bea ucoupplus vaste que nous ne som m escapabl es de le traiter, est de sa voir sila musi que est un enjeu pol iti que .Un enjeu pol iti que, cela veut dire: lamusique fait-elle partie, à quel titreet à quel chef, de la vie de la cité ? Jedema nderai d’abord aux élus de s ’ expr im er.

Fran ç ois de Mazi è resJe répondrai en tant que repr é sen-tant d’une fédération, pluralistepolit iquement, et qui repr é senteessentiellement les communes,mais également les départementset les régions. Partons des mis-sions telles que les élus les expri-ment :La pr emi è r e, c’est une mission deformation. Notre pr emier devoiraujourd ’ hui est de veiller à ce quetout le monde ait accès à une sensi-bilisation à la musique et, s’il doitaller plus loin, à une véritable for-mation. On n’a pas de public et pasde musiciens sans cet effort pr é a-lable. Cette mission fonda mentale,par une dérive lente mais certaine,r epose aujourd ’ hui essentiellementsur les budgets des communes.Le deuxième objectif, c’est celui dela cr é ation. Il faut à son service unepolitique extrêmement volontaristeet qui doit être portée avec beau-coup d’énergie parce que tout lemonde ne compr end pas cet objec-tif de la même mani è r e. Il s’agit làd’une obligation morale que les élusdoivent se donner. La troisi è me mission, qui est peut -ê tre la plus facile pour les élus, estcelle de l’animation musicale de lacité. Je crois que la grande réussitede la décentralisation de ces der-ni è r es ann é es réside dans cetteesp è ce d’envahissement des initia-

tives. Le risque est peut - ê tre queles deux pr emi è r es missions, plusexigeantes et plus difficiles, pas-sent derrière celle de la diffusionde la musique, qui répond à unedemande formulée au quotidien.

I van Renar Si nous sommes dans une périodeoù le politique et la politique sonttrès décri é s, les questions de cultu-re, et plus particulièrement celle dela musique, sont des questions tr è spolitiques. Qu’est - ce que la poli-t ique ? C’est assumer son destin,ne pas le subir. Aller à un concert,c ’ est une question de valeur humai-ne et pas financi è r e. Je me réfèretoujours à la philosophie desL umi è r es, pour laquelle “Le pain etl’éducation sont les deux premiersbesoins du peuple.” Le pain à notr eé poque, c’est la formation et la cultur e, et c’est donc l’emploi. Leprobl è me est qu ' aucun des élé-ments des pouvoirs publics ne peutassumer, à lui seul, dans toute sonampleur, l’ensemble des dépensescultur elles et en particulier dans ledomaine de la musique. Pour cetteraison, en ce qui me concerne, jemilite pour l’intercommunalité, pourde nouveaux partenariats qui ras-semblent le département, la région,l ’ E tat et l’Europe. Pour que tousensemble, nous puissions assumermieux des dépenses qui sont ànotre époque, des dépenses de civi-lisation.

N ous avons dit enjeu politique,c ’ est - à - dire enjeu de civilisation. Jecrois que personne, pas même lepeuple souverain, ne s’avance suffi-samment sur ces questions-là. Lorsdes derni è r es élections munici-pales, j’ai été frappé de constaterque les mots “artiste” et “cr é ationartistique”, n’apparaissaient quedans 0,5% des cas. Les mots “cul-ture, culturel, politique culturelle”,dans 20% des cas. Cependant, demanière contradictoir e, les équipessortantes qui ont été réélues sont,quelle que soit la couleur politiquedu mair e, celles qui ont eu une poli-tique cultur elle ambitieuse. Pas une politique cultur elle “paillettes ” ,dispendieuse, mais une vraie poli-tique cultur elle avec des structur es

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professionnelles, orchestr es,th é â tr es, mus é es, écoles, et aussiun travail en direction de la massede la population. Cela montre doncqu’à notre époque, la culture cor-r espond aussi à une forme de res-pect des personnes.

La population de ce pa ys est tr è sadulte, très polit ique, au meilleursens du terme ; une questioncomme la culture est perçue commel’illustration du respect de chaquepersonne individuellement, mêmepour des gens qui ne vont pas auth é â tr e, au concert ou ne fr é quen-tent pas les mus é es, mais qui sonttrès satisfaits qu ’ on puisse faire cetravail pour leurs enfants. Sur leplan européen, si la notion de servi-ce public faiblit, l’Europe deviendraun marché sans conscience.

C laude ChampaudL es historiens de l’humanité datentdes villes de Mésopota mie lemoment où le pouvoir politique ad é cidé de financer des activit é sculturelles. Depuis, sans cesse, lespouvoirs se sont considérés commeen charge de la cr é ation cultur elle,probablement plus que de la diffu-sion cultur elle. Ce n’est pas pourrien qu’ensuite les rois, les princes,les princes - é v ê ques ont financé desorchestr es. I ls finan ç aient autr efois pour leurpropre plaisir alors qu ’ aujourd ’ hui,ce qui est nouveau, c’est que nousfinan ç ons pour le plaisir et pour lalib é ration cultur elle de chaque indi-vidu, car l’accès à la culture peut-ê tre en effet un facteur de ségr é ga-tion. En faisant ce travail, nousavons profond é ment l’impr essionde faire ce pour quoi nous avonsété élus. Je voudrais maintenant évoquerdeux sujets : C oncernant le financement des dif-f é r ents orchestr es de notre asso-ciation, l’apport de l’Etat est géné-ralement autour de 20% dans tousles orchestr es cit é s. Mais les finan-ceurs principaux sont, d’une partles régions, ce qui est un ph é nom è-ne relativement récent, et d’autr epart les villes. A ctuellement, le pouvoir quitte leniveau étatique où il avait été f ix é

en France par Enguerrand deM arigny, pour le compte de Philippele Bel. Par la suite, le pouvoir, c ’ est - à - dire le monarque puis laR é publique, s’étaient institués pro-tecteurs des arts, des lettr es et de la musique. Plus tard, nous avonseu ce mouvement des villes qui ontcréé des orchestres et plus récem-ment les régions se sont impliqu é esdans cette question. N ous vivons de nos jours une pério -de de recomposition institution -nelle et nous voyons bien quel ’ é chelon régional sera un échelonimportant. C’est un échelon quis ’ est développé en pr enant sur lesautr es, sur le département bien sûret également sur l’Etat. Se posedonc aujourd ’ hui le probl è me d’uner ed é finition des missions de cha-cun. Je pense que l’Etat ne pourrapas faire face à ses engagementset à son devoir en ce qui concernela diffusion et la cr é ation de lamusique classique sans redistribuerses prérogatives et sans redonnerdes possibilités de financement auxr é gions.

P hilippe MeyerM erci, Monsie ur Cla ude Cham pa ud .Je donne mainte na nt la parole àG eorges - Fra n ç ois Hirsch qui inter-v ie nt en ta nt que pr é si de nt duS ynolyr.

G eorges - Fran ç ois HirschJe voudrais faire un rapide survoldes politiques cultur elles depuis laS econde Guerre mondiale. Au sortir de cette période, la cultu-re a pris en effet une place très diff é r ente dans la conscience col-lective de notre pa ys. Seuls les partis politiques avaientdes id é es sur la question et en par-ticulier le Parti Communiste quir é unissait à l’époque nombre d’in-tellectuels, de gens de th é â tr e,d ’ artistes… Ce sont eux qui, à tra-vers des organisations populair eset associations de jeunesse, ontcréé les pr emi è r es conditions d’unev é ritable décentralisation et und é but de démocratisation de la cul-tur e. C’est évidemment à travers le th é â tre que tout cela s’est pass éavec la figure essentielle de JeanVilar. Jeanne Laur ent a été, elle,

l ’ artisan de la décentralisation dela politique du th é â tre en France. La musique était peu repr é sent é edans ces réflexions. Elle existaitn é anmoins à travers les orchestr esd ’ associations fondés et gérés par les musiciens eux-mêmes, puispar les orchestr es de la radio dontla mission essentielle était, et esttoujours d’ailleurs, la diffusion àl ’ antenne. Il n’y avait aucun orches -tre en région. Le deuxi è me mouvement a été dû à A ndré Malraux, Ministre desA ffair es Cultur elles, figure embl é-matique. De cette époque date une profusion d’initiatives dont lacr é ation des Maisons de la Cultur eet une politique du patrimoine. D ans le domaine de la musique,A ndré Malraux a eu la bonne id é ede cr é er une Dir ection de laM usique qu ’ il a confiée à MarcelL andowski. Grâce au plan

L andowski, nous connaissonsactuellement un pa ysage musicalavec des orchestr es en région. Il aaussi permis la cr é ation del ’ O rchestre de Paris qui a pris lasuite de la Société des Concerts duC onservatoir e. Nous héritonsaujourd ’ hui de ce plan de MarcelL andowski depuis largement ampli-fié par Maurice Fleur et. C’est surces acquis que nous vivons tou-jours. N ous bénéficions d’une panopliequi permet beaucoup de choses enterme de décentralisation et enterme de cr é ation. Je conclurai mon propos en rappe-lant que notre souhait aujourd’huiest de faire en sorte que nos insti-tutions évoluent, que les rapports àl ’ int é rieur de nos institutions, lapolitique de cr é ation et la politique

G eorges - Fran ç ois Hirsch etC laude Cha mpaud

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artistique évoluent. Les relationsqui existent à l’heure actuelle entr eson public et l’orchestre doiventé galement évoluer, l’orchestr edevant s’int é gr er davantage dans letissu urbain et devenir un acteur de cette vie quotidienne.

R ichard LagrangeJe voudrais faire quelques remar-ques pr é alables :Tout d’abord, quand on parle d’histoire, du rôle traditionnel despouvoirs publics en France et desrapports entre le pouvoir et la cul-tur e, je n’oublie pas que ce droit àla culture est un droit de l’homme.Il f igure en tant que tel dans le pr é-ambule de la constitution de 1946. Il figure dans la Déclaration univer-selle des droits de l’homme de1948. Je crois donc que c’est à cetitre – là aussi que nous agissonstous, l’Etat évidemment en premier.

Ma deuxième observation, c’est quel ’ E tat, en effet, ne peut pas toutfair e. Il y a aujourd ’ hui en France unemultiplicité d’acteurs dans ledomaine cultur el, une multiplicit éd ’ initiatives et le rôle des collecti-vités locales a été rappelé à justetitr e. Le rôle de l’Etat aujourd ’ hui n’estpas forc é ment toujours de dire ledroit, d’impulser, de structurer maisc ’ est de travailler avec l’ensemblede ses partenaires et, en premierlieu, les collectivités locales. Cecipour essa yer de mettre en placedes projets qui soient au service dupublic dans le cadre de cette mis-sion qui incombe à l’ensemble despouvoirs publics. C’est pour celaque je ne souhaite pas opposer lesr ô les respectifs des collectivit é slocales et de l’Etat.

Je suis même agr é ablement surprisd’entendre Monsieur de Mazièresé voquer la mission pédagogique etla cr é ation dans les deux pr emi è r esobligations des collectivités localesen matière cultur elle. Les collecti-vités locales ont parfois tendance àconsid é r er que ces missions - l àr el è vent plutôt de l’Etat dans le par-tage actuel de nos comp é tences. Si les financements de l’Etat nesont pas toujours majoritair es, ilssont néanmoins déterminants, etc ’ est à travers ce levier budg é tair eque l’on peut discuter missionp é dagogique, mission de cr é ation,mission de développement despublics, avec ceux que je consid è r ecomme de véritables partenair es de ces missions. E nfin, notre pa ys compr end desd é s é quilibr es importants sur leplan cultur el et l’aspect de structu-ration des pa ysages est capital.N ous devons dire sur ce sujet quenous nous heurtons pour l’instant à des difficultés très grandes d ’ organisation de notre territoire etde coop é ration entre collectivit é s,pour assurer les meilleures condi-tions de financement et de pérenni-sation des actions et des politiquesculturelles d’une manière générale.

C atherine A hmadiS ’ agissant des orchestr es, l’inter-vention de l’Etat est aujourd ’ huir elativement déséquilibrée par rap-port aux collectivités territoriales.C ependant, il est après tout normalqu ’ après que l’Etat a joué son rôled ’ impulsion, d’accompagnement, oud’expertise, finalement, les collecti-vités locales remplissent leursfonctions à leur tour. Faut - il pour autant envisager uneclarification des comp é tences ? Je le rappelle, les lois de décentra-lisation de 1982 et suivantes nel ’ ont pas fait, parce que, comme vousle souligniez Monsieur le Sénateur,la question de l’art et plus large-ment de la culture n’est pas aussiconsensuelle que les statistiquespourraient le laisser penser.Il me paraît que l’intervention del ’ E tat, en particulier en matière decr é ation, continue d’être un élémentfonda mental du pa ysage artistiqueet cultur el de notre pa ys.

Le seconde point que je voulais é voquer est celui de la fonctiond ’ orientation de l’Etat en mati è r eartistique. N’entendez pas orienta-tion comme une vision id é ologiquemais plutôt comme une attentionconstante et soutenue, tant àl ’ é chelon déconcentré qu ’ au niveaucentral, à la cr é ation et à ses formesles plus émergentes. Nous avons bien sûr beaucoup parléd ’ orchestr es aujourd ’ hui, mais jevoudrais rappeler que la musiquepasse par beaucoup d’autr esformes que la forme symphonique.N ous sommes en particulier tr è sattentifs aussi bien à la question del’écriture musicale, donc à la ques-tion des commandes et de l’éditiondes partitions, qu’à celle des diff é-r ents langages musicaux, et à celledes ensembles musicaux. Pour l’Etat, la fonction d’expertisedoit demeur er une fonction absolu -ment centrale.

P hilippe MeyerJe vais de suite lai sser la parole à lasalle tout en me perm etta nt néan-moins un bref interm è de sur la télé-vision. Nous faisons comme si nousne sa v ions pas que les fr é que nceshertzie nnes national es sont desbie ns publ i cs. Elles appartie nne nt àla col l ectiv ité nationale. Elles sontconc é d é es grat uitem e nt à des entre-pr i ses pr iv é es ou à des soci é t é snational es à la suite d’une com p é ti-tion dont la loi a di sposé qu ’ el l edevait être réglée par le mie ux - di sa ntcul t urel. Des ca hiers des chargessont établis, des engagem e nts sontl i b rem e nt souscr its, da ns lesquels lamusique et la d iffusion de la musiqueinstrumentale, symphonique, etc.,fi gure nt. Ces engagem e nts sont vio-lés constam m e nt. Qu’avons - nousfait pour qu ’ ils ne le soie nt pas ?Q u ’ a vons - nous fait pour faire sa voirque nous trouv ions ces ma nque-m e nts à des parol es donn é es ou cem é pris à des règl es col l ectiv es ,ins upportabl es ? Je pe nse que laquestion mérite d’être au moinspos é e .

G eorges - Fran ç ois HirschConcernant l’audiovisuel, il est clairdéjà qu’on ne fait jamais appliquerles cahiers des charges de la télévi-

R ichard Lagrange et Fran ç ois de Mazi è r es

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sion publique et de la radio. Si les cahiers des charges étaient bienappliqu é s, on verrait une grandediff é r ence, car ils contiennentnombre d’obligations. On satisfait àces obligations entre deux heureset quatre heur es du matin, en diffu-sant donc des concerts que per-sonne ne voit et que personne n’en-tend parce que généralement, apr è sdeux heur es du matin, on dort. Il est clair que cela doit cesser etqu ’ il faudra, un jour, bien poser cesquestions au Conseil Supérieur del ’ Audiovisuel et à l’Etat.

Y ves Sapir( M usicien de l’Orchestre Nationaldu Capitole deToulouse, membre duS NAM - C G T)En ce qui concerne le Syndicat desA rtistes Musiciens, nous avons lesouci permanent de notre placedans la société fran ç aise et de nosobligations par rapport aux collecti -vités qui nous financent, donc parrapport aux contribuables. C’est ceque nous appelons le service publicde la musique. B eaucoup de choses restent à fair een France. Quand même, plus d’untiers des régions n’a pas d’or-chestre permanent. Sans orchestr e,pas de cr é ation musicale, pas de travail en dir ection de tous lespublics. N ous consid é rons qu ’ une desr é ponses aux difficultés soulign é esr é side dans la permanence de l’em-ploi. La plupart des orchestres nepeuvent développer leurs activit é sque parce que des musiciens sontpermanents.

L aurent Tardif( M usicien à la Philharmonie deL orraine, membre du S NAM - C G T)Face nota mment à une propositionde loi d’Ivan Renar, visant à doterles collectivités locales d’un nouvelinstrument de politique culturelle,l ’ E tablissement Public de Coop é -ration Cultur elle, il faut absolumentint é gr er des donn é es concernantles personnels dans la réflexion quis ’ ouvre aujourd ’ hui.

J acques Schirrer( M usicien à l’Orchestre National de Lille, délégué syndical du Syn -

dicat N ational des Enseignants etA rtistes )Je voudrais interpeller le pr é sidentR enar à propos de ce projet decr é ation d’établissement public àvocation cultur elle. Nous sommesinquiets de ne pas conna î tre ce pro-jet. Vous avez promis une concer-tation avec les diff é r entes organi-sations syndicales.

H ervé Jouanneau(“La Gazette des Communes ” )Je souhaite insister auprès deM onsieur Renar afin qu ’ il pr é sentel ’E P C C et demander à Monsieur de Mazi è r es les commentair es quelui inspire cette proposition de loi ?

Jean - L uc Bernard( M embre du Syndicat National desM usiciens Force Ouvri è r e )Je voulais demander à Monsieur deM azi è r es les diff é r ences qu ’ il faisait entre animation et diffusion.

I van RenarL es questions qui m’ont été pos é esdir ectement devraient faire à ellesseules l’objet d’un colloque !U ne pr emière proposition de loi aété déposée il y a deux ans. Sur lefond, c’est celle que je vais sou-mettr e. Nos débats au Sénat vontpermettre de déboucher sur unnouveau texte qui vous sera adr es-sé dans le cadre de la concertationdans les jours qui viennent, enm ê me temps que je serai amené àr é diger le rapport que je dois pr é-senter à mes coll è gues du Sénat,rapport que je fournirai le mercr edi6 juin, en matin é e. Il faut savoir que l’établissementpublic cultur el fait débat à l’int é-rieur même du gouvernement entr ele Ministère de la Cultur e, leM inistère de l’Int é rieur et leM inistère de la Fonction Publique. Sur le fond, ce texte est une façonde sortir de la logique régalienne. Ils’agit d’élaborer un instrument departenariat qui pr enne en compte àla fois la déconcentration et lad é centralisation et qui vise à offrirà la vie cultur elle et artistique denotre pa ys un cadre qui assure sap é r ennité. L es structur es cultur elles concer-n é es (entre trois cents et quatr e

cents en France) sont pour l’essen-tiel, les Conservatoires Nationauxde Régions, les mus é es, les centr esdra matiques, les sc è nes nationaleset les orchestres. Il s’agit de struc-tur es dans lesquelles les collectivi-tés locales et l’Etat sont déjà enpartenariat. Il n’y aura aucun carac-tère obligatoire à la cr é ation d’unEPCC. Il faudra qu ’ un souhaitmajoritaire se dessine dans descollectivités locales, et nous sou-haitons que l’Etat soit pr é sent danschacune de ces structur es auxcôtés des collectivités territoriales.

Fran ç ois de Mazi è resJe réponds à deux questions dontl ’ une sur l’établissement public cul-turel. C’est une des demandes trèsanciennes de notre fédération : si l’on regarde quels sont les élé-ments juridiques dont nous dispo-sons aujourd ’ hui, il y a l’association

qui, dans sa souplesse, est un ins-trument extraordinair e. Ce n’estd ’ ailleurs pas parce qu ’ il existeral ’ é tablissement public cultur el qu ’ ilfaudra transformer toutes les asso-ciations. Il y a ensuite la régie et lar é gie personnalis ée ; pour cettederni è r e, elle n’a ja mais pu êtr ev é ritablement mise en pratique dufait des nombr eux probl è mes pos é spar les circulair es d’application. Le vide est aujourd ’ hui devenucriant : avec l’évolution de la décen-tralisation, chaque fois que l’onsouhaite construire un projet commun entre l’Etat et les collecti-vités territoriales, on ne sait plusquelles structur es utiliser endehors de la structure associative,qui a ses limites, nota mment entermes de garanties. N ous sommes donc très heur euxque la proposition d’Ivan Renar

I van Renar et Philippe Meyer

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vienne en débat. C’est un texte dif-ficile car il doit concilier à la fois laprotection des personnels et enm ê me temps une souplesse du fonc -tionnement artistique. U ne deuxi è me question a été pos é eà propos de la distinction à opérerentre animation et diffusion. Vousavez tout fait raison, il faut êtr em é fiant sur les termes. Même sielle est nécessair e, l’animation estune facilité. La diffusion va beau-coup plus loin, elle est beaucoupplus exigeante, mais cette politiquedemande l’implication de chacun,des élus comme des artistes. Ladiffusion veut dire aussi un travailparticulier avec les écoles et uneimagination adaptée au terrain.

P hilippe MeyerM erci à tous, il est 16h15 et troi sm inutes, nous avons donc respect énotre contrat et nous allons quitter

le plateau. Souv e nez - vous, c’est cequ ’ on m’a dit au prem ier col loquea uquel j’ai parti cipé il y a très long-tem ps – il est vrai que c’était sur laps ychi atr ie – que da ns les col loques ,on appre nd toujours bea ucoupmoins qu’on espère et beaucoup plusqu ’ on ne pe nse!

G eorges - Fran ç ois Hirsch, ClaudeC ha mpaud, Ivan Renar, Philippe Meyer,C atherine A hmadi, Richard Lagrange,Fran ç ois de Mazi è r es

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D i s c o u rs de clôture Il revient à la Dir ectrice de la Musique, de la Danse, duTh é â tre et des Spectacles au Ministère de la Cultur e, de cl ô-tur er deux jours de réflexion et de dialogue.S ylvie Hubac souligne l’importance de ce pr emier forum quipermet de donner aux orchestr es toute leur place parmi lesacteurs de la culture en France, dans l’exercice des missionsde cr é ation, diffusion et démocratisation de la musique.E lle retient particuli è r ement le th è me de la re ncontre, qui faitl’essence du concert, et justifie les actions destinées à l’élar-gissement de l’audience.E lle insiste également sur l’exemplarité de la permanence des formations fran ç aises au service de leur personnalit éartistique. S ylvie Hubac rappelle que l’Etat articule ses attentes autourdes missions artistiques, sociales et professionnelles, d é sormais inscrites dans les cahiers des charges établis entre les partenair es publics et les orchestr es. Elle invite àr é fl é chir à l’avenir, c’est - à - dire à l’ouverture aux nouvellestechnologies, comprises comme devant appuyer le concertvivant, vecteur d’une émotion irr empla ç able.S ylvie Hubac invite, au - delà des résultats acquis, à portertoute notre attention sur l’avenir, et nota mment sur l ’ ouverture aux nouvelles technologies, sur les enjeux de lapolitique audiovisuelle, sur l’évolution du statut juridique des entr eprises cultur elles, et également sur l’enjeu particu-lier des salles et des lieux de répétition, notamment à Paris.P lutôt que de conclur e, Sylvie Hubac préfère constater que les nombr eux chantiers ouverts durant ces deux jours, avec la conviction de chacun, seront traités avec le plein appui des pouvoirs publics.

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R e m e rc i e m e n t s

I van Renar S é nateur du Nord, pr é sident de l’AF O

N ous arrivons au terme de ces deux riches jour-n é es. Nous allons entendre Mada me SylvieH ubac qui va clore nos travaux au nom deM ada me Catherine Tasca retenue, comme vousle savez, au Festival de Cannes pour y aborder,dans le domaine du cin é ma, des questions voi-sines de celles qui nous ont agités ici. Madamela Dir ectrice, avant que vous ne pr eniez la paro-le, je dirai quelques mots car nous ne dr esse-rons pas de conclusion – nous avons souhait éouvrir un débat qui devra se poursuivre, et, parcourtoisie républicaine, vous ser ez la derni ère àpr endre la parole.

Au nom de l’Association Fran ç aise desO rchestr es, je voudrais remercier tous ceux quiont participé à ce premier forum, ceux qui ontpris la parole, qui ont rapporté exposé ou anim éle débat pendant deux jours. Je voudrais remer-cier aussi Philippe Fanjas et son équipe,nota mment Flor ent Girard et Laure Philippe.

N otre objectif était double; réfl é chir et échangersur ce que nous sommes et le faire savoir.L’ histoire nous dira – c’est son métier – si cesdeux objectifs ont été atteints. Il reste que vousavez pu voir, rencontrer, entendre chacun desadministrateurs ou des dir ecteurs d’orchestr es.Vous avez pu remarquer aussi que chaque for-mation s’est néanmoins effacée derrière les pro -pos de fond. Il nous a été reproché qu’on ne lesentendait pas suffisa mment, mais c’était volon-taire afin de permettre un vrai débat. Ce forum n’était que le pr emier. L’ avenir estouvert, ce colloque crée de nouvelles obligationspour l’Association Française des Orchestres.Pour la suite imm é diate, nous envisageons d’or-ganiser réguli è r ement des rencontr es th é ma-tiques sur des sujets pr é cis, un L ivre bla nc surles actions éducatives des orchestr es, l’éditiondes actes de ces deux journ é es. Un nouveauforum se tiendra également, en 2003 vraisembla-blement, au vu d’un progra mme d’activités 2002 déjà particuli è r ement charg é .

M ada me la Dir ectrice, tous ici, nous pensonsque les orchestr es sont utiles. Nous allons toutfaire pour faire compr endre que nous sommesindispensables, que nous ne sommes pas un

luxe ; Monsieur de Mazi è r es, nous sommes depr emière nécessité, je crois que vous ser ez d’ac-cord avec nous. Sur la fonction artistiqued ’ abord, bien évidemment, je n’insiste pas. Surla fonction sociale et pédagogique aussi, car sinous avons fid é lisé un public, il nous reste tou-jours le grand chantier de la démocratisation.N otre ambition se veut élitaire pour tous. Nosorchestr es ont fait la démonstration qu ’ il n’yavait pas de fatalité dans ce domaine. Nouscommen ç ons à récolter parce que nous avonsbeaucoup semé, et chacun des orchestr es icipeut en témoigner. Sur la décentralisation, les orchestres sont dansce pa ys un nouvel outil d’aménagement du terri-toir e, et les collectivités territoriales sont impliqu é es, certaines très fortement. Pour lad é concentration, je soulignerai seulement qu ’ il ya des DRAC et des préfets qui n’ont pas encorevu qu ’ ils pouvaient mieux faire avec des institu-tions comme les nôtr es, qui ont largementatteint l’âge adulte.

C ela dit, Mada me la Dir ectrice, à nouvelles mis-sions nouveaux moyens, pour le service despublics, pour l’intérêt de la France et pour saplace dans le monde. Nous sommes actuelle-ment dans une intense période de débat sur lesarbitrages budg é tair es. Il faut que Mada meC atherine Tasca sache que nous sommes à sescôtés dans les négociations, quelquefois diffi-ciles, qu ’ elle doit mener ; elle ne doit pas hésiterà nous utiliser pour le plus grand bien de la politique cultur elle dans ce pa ys. Mada me laD ir ectrice, quand vous verr ez Mada me laM inistr e, vous l’embrasser ez de notre part maisdites - lui bien de ne pas nous oublier dans sesprières. Pour notre part, nous ne l’oublierons pasdans les nôtr es, je vous cède la tribune.

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D i s c o u rs de clôture

Sylvie HubacD ir ectrice de la Musique, de la Danse, du Th é â tre et des Spectacles - Ministère de la Cultur e

M onsieur le Président, cher Ivan Renar,M esda mes, Messieurs,

C atherine Tasca m’a demandé de la repr é senteret de vous transmettre ses regrets de n’avoir puê tre pr é sente aujourd ’ hui parmi vous. Vous savezl’importance qu’elle attache à la musique et auxmusiciens dans sa vie personnelle comme dansson action publique et elle aurait souhaité pou-voir vous dire personnellement tout l’int é r ê tqu ’ elle porte à vos travaux. Je lui rendrai biensûr fid è lement compte des débats que vous avezmenés et des préoccupations et projets qui sontles vôtr es pour l’avenir des orchestr es.

N ous voici donc parvenus au terme des deuxjourn é es de ce pr emier forum internationalconsacré aux orchestr es. Il a été l’occasion der é fl é chir sur ce que sont les orchestr es sympho-niques qui ont leurs rites, leurs lieux, leurs offi-ciants, leurs fid è les, de s’interroger sur la placequ ’ ils occupent dans la vie cultur elle et artis-tique de notre pa ys, de questionner l’avenir,celui des musiciens, des publics, des œuvr es, de la musique.

Si l’on se retourne quelques décennies en arri è-re sur ce qu ’ é tait le pa ysage symphonique fran-ç ais, on ne peut éviter de faire référence à lafigure de Marcel Landowski qui a été à l’origined ’ une véritable restructuration de notre viemusicale.

Il faut rappeler qu ’ en 1966, la situation de la viemusicale était dra matiquement simple : leC onservatoire National Sup é rieur de Paris, unequarantaine d’écoles de musique, des institu-tions de diffusion lyrique et symphoniqueasphyxi é es, faiblement soutenues par les com-munes. A lors que la plupart des grands pa ysmusicaux europ é ens poss é daient un orchestr epermanent pour 500 000 habitants, la France en avait à peine à l’époque un pour trois millions.

Face à une situation de car ence extr ê me, le planL andowski apportait une réponse très volonta-riste et engageait l’Etat, aux côtés des collectivi-

tés territoriales, à une véritable refondation desorchestr es, de leurs moyens comme de leursmissions. De 1967 à 1978, dix - huit orchestr espermanents ont été fondés ou restructur é s, dontquatorze en région.

En 1982, Maurice Fleuret allait redéfinir la logiqueinitiale en l’adaptant au rôle nouveau pris parles collectivités territoriales.

L argement redevable à ces actions détermin é es,la vitalité des institutions symphoniques fran-ç aises s’est encore développée depuis lors.

D ans nombre de villes et de régions, les orches -tr es sont devenus des acteurs majeurs de la vie cultur elle locale, qui font la fierté des collec-tivit é s, dans lesquels se reconnait un publicnombr eux et fid è le, comme les forces écono-miques de régions dont ils sont souvent le porte -drapeau. Nombre d’entre eux ont acquis unra yonnement international gr â ce au disque et

aux tourn é es à l’étranger.

La France, nation majeur edans l’histoire de la musiqueoccidentale, a retrouvé sonrang parmi les pa ys euro-p é ens gr â ce, nota mment, aud é veloppement desorchestr es de région, à l’ac-tion déterminée des pou-voirs publics mais aussi, bien

s û r, et d’abord, au travail des musiciens et autalent et à l’opini â tr eté des personnalités musi-cales qui les ont dirig é es (Jean - C laudeC asadesus à Lille, Michel Plasson à Toulouse,S erge Baudo à Lyon, puis Emmanuel Krivine et aujourd’hui David Robertson, Jacques Mercieren Ile - de - France, A lain Lombard à Bordeaux,P hilippe Bender à Cannes mais aussil ’ O rchestre des Pa ys de Loir e, de Strasbourg, d ’ Auvergne, etc.). Bient ô t, deux nouveauxorchestr es pourraient voir le jour, en régionC entre et en Franche Comt é .

De ces deux journ é es de travail, riches end é bats, réflexions et échanges, je retiendraitrois choses: d’abord, si vous me permettez l’ex-pr ession, l’émergence d’une conscience collective des orchestres qu’exprime cette mani-festation; la confirmation ensuite des nom-br euses attentes que suscitent les orchestr esfran ç ais, attentes des musiciens, des respon-sables des formations mais aussi des publics ;

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enfin la volonté collective de poser les questionsde l’avenir proche, des mutations en cours etdes adaptations à imaginer pour permettre à cesoutils majeurs de la politique cultur elle de notre pa ys que sont les orchestr es de continuerà servir avec foi et ambition la musique.

Ce forum aura constitué une étape historique.L’ initiative en revient à l’Association Fran ç aisedes Orchestr es qui regroupe désormais l’en-semble des orchestr es symphoniques et lyriquesfran ç ais, qui permet une concertation perma-nente et est un interlocuteur naturel du Ministèrede la Cultur e.

L’ E tat et les autr es partenair es publics et priv é sdes orchestr es pourront désormais s’appuyersur cet instrument de collecte d’informations surla vie des orchestr es, d’analyses et de proposi-tions.

C ette rencontr e, dont l’initiative revient à IvanR enar qu ’ il faut remercier et féliciter, est l’occa-sion de mettre en pleine lumière l’importancequ’ont acquise les orchestres symphoniques dansnotre vie musicale. Elle aura fourni les élémentsd ’ une perception globale du rôle qu ’ ils tiennentdans la cr é ation musicale, la diffusion desœ uvr es, la démocratisation cultur elle.

Au - delà de la reconnaissance de l’importancedu travail accompli, qu ’ attendez - vous, qu ’ atten-dons - nous des orchestr es aujourd ’ hui?

L es attentes sont multiples. Celles qui s’expri-ment et celles que l’on devine, qu ’ elles concer-nent par exemple le concert, sa forme, sonpublic, qu ’ elles concernent l’orchestr e, commecommunauté de musiciens, qui est aussi uneentr eprise cultur elle ou encore les missions quenous assignons aux orchestr es.

Vous avez, à juste titre, au cours de ces journées,évoqué la place du public au regard de l’actiondes orchestr es fran ç ais. Sait - on ce que le publicattend des orchestr es et en retour, ce que lesorchestr es attendent du public? Comment s’or-ganise cette rencontre myst é rieuse autour de la musique qui pr end la forme du concert, cettealchimie née de la présence physique des inter-pr è tes qu ’ un enr egistr ement pourra reproduir e,comme un écho, mais non remplacer. Car lamagie du concert réside dans son caract è r eé ph é m è r e, dans ce moment d’humanité et d’émo -tion – qui, lui, ne peut être dupliqué – où se ren -

contr ent une œuvr e, des musiciens et un public.Bien sûr la forme que prend le concert change,é volue, longtemps codifiée dans le mod è le d’unesorte de rituel hérité du X I Xe si è cle, elle ser enouvelle. La musique s’ouvre à des lieux, à despublics nouveaux, croise les genres mais ce quien fait l’essence, la rencontr e, est intempor elle.

C es évolutions nécessair es du “spectacle duconcert”, de la rencontre musicale, supposentpeut-être de transgresser ou de bousculer lesmod è les, de se poser les questions de la sensi-bilisation, de la pédagogie, des politiques tari-fair es, des modalités facilit é es de commerciali-sation, de la politique de communication, d ’ ouverture au jeune public, des heur es duconcert et bien sûr de sa progra mmation... Jesais bien que les orchestres français n’ont pasattendu ce forum pour agir en ce sens, sinon ilsne rassembleraient pas chaque saison près dedeux millions d’auditeurs (bien davantage que lepublic du football), mais ce sont là des thèmesqu ’ il faut sans cesse revisiter.

D ’ une fa ç on générale, les orchestr es doivents ’ attacher à mieux faire conna î tre la richessequ ’ ils repr é sentent. Dans une société où lemod è le dominant et médiatique de la consom-mation musicale conduit l’auditeur à privil é gierdes formes jetables et standardis é es, il fautaffirmer avec force qu’un orchestre installé dansune ville ou dans une région constitue unimmense potentiel de cultur e, de joie et d’épa-nouissement personnel.

M ais un orchestr e, ce n’est pas seulement leconcert et la rencontre avec le public, c’est aussiune communauté engagée de musiciens.

N os orchestr es sont d’abord le lieu de travail de2 000 musiciens permanents, petites communau-tés d’artistes, qui, par leur talent et leur passion,leur travail, font vivre le projet de leur formation.A l’heure où, dans d’autr es domaines du spectacle vivant, on réfl é chit à rétablir et à déve-lopper la notion de permanence artistique, l’éco-nomie des orchestr es symphoniques, formationsdisposant d’effectifs stables et pérennes, para î texemplair e.

B â tir un orchestre qui ait un son propr e, une per-sonnalité, un public, suppose du temps en com-mun et donc que s’y dédient tous ceux qui leconstituent.

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C ette permanence nécessaire suppose un enga-gement fort de la part des partenair es publicsfinanceurs des orchestres français et qui en con-tr epartie des moyens qu ’ ils attribuent – 700 MFenviron en 2 000 dont 30% proviennent de l’Etat –confient à chacune des structures des missionsexigeantes en termes d’activité artistique et cul-tur elle. Elle pose aussi des questions tr è sconcr è tes en termes de statuts, de conventionscollectives, de carri è r es, de conditions de tra-vail... Les débats de ces deux jours y ont faitr é f é r ence et ont permis de mieux les entendr e.

On souligne souvent que la politique desorchestr es est le terrain privil é gié de la collabo-ration entre les partenair es publics, et il vrai que rien n’aurait pu se faire sans la prise deconscience et l’élan qu ’ ont manifestés les collec-tivités territoriales qui se sont rapidement enga-g é es de fa ç on passionnée dans cette politique.C ette collaboration est une force pour lesorchestr es et doit être encore consolid é e.Aujourd’hui, chacun apporte, en échange de sacontribution, l’éclairage de ses propr es priorit é s,dûment détaillées dans les conventions d’objec-tifs. Ces attentes sont - elles exag é r é es, troplourdes ou trop dispers é es? Il faut s’interroger,mais je ne le pense pas.

Pour l’Etat, je voudrais rappeler rapidement cequ ’ elles recouvr ent. La mission territoriale, eng é n é ral très pr é cis é ment définie dans lescahiers des charges, ne doit pas être la seuleapproche de leur activité. Il importe de souligneraussi les trois axes de la responsabilité, artis-tique, sociale et professionnelle, qui retiennentplus particuli è r ement l’intérêt de l’Etat.

La mission artistique, avec une responsabilit ésur l’ensemble du répertoire symphonique, exprime l’identité artistique de l’orchestre à tra-vers le projet de son dir ecteur musical. Je sou-haite m’attarder un instant sur l’évolution desprogra mmations, pour souligner et saluer lesefforts qui ont déjà été f aits dans ce domaine, enparticulier en faveur de la cr é ation. Il est clairque le répertoire de nos orchestr es a connudepuis vingt ans, gr â ce aux initiatives diverses( commandes, travail avec des ensembles sp é-cialis é s, initiatives telles que “Musiques nou-velles en Liberté”, etc.), une évolution très mar-quée de leur répertoire qui permet de donnerplus largement à entendre aussi la musiqued ’ aujourd ’ hui. Le développement de cette orien-tation doit être compris comme une priorit é .

La mission sociale renvoie à la responsabilit éd’œuvrer non seulement en direction d’un public,mais de toute une population, en se pr é occupantde ceux qui, pour des raisons sociales, écono-miques ou cultur elles, pourraient se sentirex clus du cha mp de la musique symphonique. La diffusion la plus large des œuvr es est aussil ’ une de nos raisons d’êtr e, la démocratisationun objectif constant.

La mission professionnelle enfin doit conduire à faire d’un orchestr e, sur son territoir e, unevéritable ressource, encore trop peu exploitée, eta mener à conclure des liens avec les autr esstructures de production ou de diffusion, ou pré-par er l’insertion professionnelle des jeunesmusiciens en développant des collaborationsencore plus étroites avec les établissementsd ’ enseignement sp é cialisé, nota mment lesconservatoir es nationaux de région.

Toutes ces attentes, nous ne pourrons les releverensemble qu’en procédant à un effort d’imagina-tion qui permette aux orchestr es de garder àl ’ avenir la place centrale qu ’ ils occupent aujour-d ’ hui dans la vie musicale, alors même que lemonde cultur el évolue à grande vitesse.

L’avenir immédiat, c’est d’abord le sujet de l’ou-verture aux nouvelles technologies, au multim é-dia. En créant des sites internet, les orchestresont déjà pris la mesure de ces évolutions quibouleversent, de fa ç on radicale, la fa ç on decommuniquer, de dialoguer, voire de diffuser lamusique. Comme tous les acteurs culturels, lesorchestr es doivent s’interroger sur la meilleur efa ç on d’adopter ces nouveaux modes pour lesapprivoiser et les mettre au service de leursmissions.

D ans un domaine voisin, une vraie réflexion surla politique audiovisuelle des orchestr es doitê tre conduite. La radio et la télévision publiquesdoivent leur faire davantage de place.

L’ imagination doit aussi concerner les méthodesde gestion des orchestr es et le sujet de leur statut juridique, aujourd ’ hui partagé entre desr é gies, des associations, des syndicats mixtes.

C ’ est de ce point de vue que s’analyse le projetde cr é er un nouveau cadre juridique, qui concilieautonomie de gestion et transparence des res-ponsabilités avec le partenariat entre collectivi-tés publiques. Le Président Ivan Renar, qui est

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aussi Sénateur du Nord et Président de l’Orchestr ede Lille, s’est beaucoup battu pour ce projet, etj ’ espère qu ’ il pourra aboutir rapidement. Il s’agit de permettre la cr é ation d’une nouvelle cat é goried’établissements publics qui pourraient consti-tuer un cadre simple, efficace et adapté pour lesgrandes institutions cultur elles marqu é es par le principe de coop é ration entre les collectivit é spubliques. Ce nouveau statut me paraît particu-li è r ement adapté pour nos orchestr es. En effet,l ’ unification de leur statut juridique est unequestion centrale pour ce qui concerne la situa-tion professionnelle des personnels, la gestionde la carrière des musiciens, l’application dedispositifs conventionnels clairs et l’organisa-tion interne de ces entr eprises de spectacles.

Le travail actuellement conduit par le Synolyr etles organisations syndicales de musiciens, pourn é gocier une annexe adaptée aux orchestr esdans la convention collective des entr eprisesartistiques et cultur elles, illustr ent les efforts quisont nécessaires pour construire dans le contex-te actuel un cadre commun.

L’imagination doit aussi s’attacher à la questiondu développement de la diffusion des orchestr esfran ç ais, de leur pr é sence sur le territoir e.

Les orchestres français, à de rares exceptionspr è s, ne disposent pas de salles de concert dontils assureraient eux-mêmes l’exploitation (cer-tains d’entre eux rencontr ent même des difficul-tés pour s’assur er de lieux de répétition régu-liers). Outre le fait que cette situation nuit à leuridentité, elle les rend dépendants pour leur dif-fusion des infrastructur es qui veulent bien lesaccueillir. Même si des progrès ont été réalis é sau cours des dernières années pour inciter lesgrands réseaux publics de diffusion à ouvrir pluslargement leurs portes au domaine sympho-nique, il reste que les orchestr es se heurtentencore souvent aux logiques économiques quigouvernent les décisions des responsables deces établissements. Des idées neuves doiventdonc être encore recherch é es pour que, parexemple, les tourn é es puissent être organis é esde fa ç on plus ais é e.

Encore faut-il que les salles adaptées au concertexistent en nombre suffisant. Même si, là encor e,des progrès importants ont été réalisés en par-tenariat entre l’Etat et les collectivités territo-riales, par exemple à Lyon, à Montpellier, àN antes, à Dijon, et si d’autr es projets sont en

pr é paration, à Poitiers nota mment, l’équipementdu territoire en lieux d’accueil dignes desartistes et du public reste un sujet de pr é occu-pation pour le développement de la v ie sympho-nique.

A Paris, comme vous le savez, l’Etat a mis àl ’ é tude la réalisation d’une grande salle deconcert, d’un grand auditorium qui devrait trou-ver sa place sur le site de La Villette. Il a voca-tion à s’inscrire au cœur d’un dispositif favori-sant le brassage des pratiques et des stylesmusicaux savants ou populair es. Grâce à soninstallation dans le cadre de la Cité de laM usique, il se nourrira d’une intense activité deformation, d’initiation et de documentation quifera écho à sa progra mmation. Lieu d’ancragede grandes formations parisiennes et d’accueilpour les orchestr es régionaux et internationaux,il constituera l’outil symbolique des ambitionsd ’ une politique tournée vers le X X Ie si è cle.

“ L’ ineptie c’est conclure” disait Flaubert, et lesenjeux évoqués au cours de ces deux journ é essont si importants, si déterminants pour la viemusicale de demain, qu’ils n’appellent pas uneconclusion, mais l’invitation à s’engager sur lesnouveaux chantiers que vous avez définis.

Les orchestres, nous l’avons tous rappelé, ontd é sormais une histoire suffisa mment forte dansnotre société pour se confronter sans com -plexes aux défis du futur. Ne leur font défaut nila qualité, ni la volonté, ni l’énergie. Ils peuventcompter sur l’appui entier des pouvoirs publicspour les accompagner dans leurs projets d’avenir.

D ans l’interview qu ’ il donne cette semaine aujournal “Téléra ma”, à l’occasion de la sortie deson dernier film “Eloge de l’amour”, Jean - L ucG odard dit ceci : “Je reviens en arri è r e, mais jevais de l’avant”. Cette citation me paraît biené pouser le mouvement dans lequel sont aujour-d ’ hui inscrits nos orchestr es.

A lors, pour que le X X Ie si è cle soit musical commele souhaitait hier Ivan Renar, retenons pour nos orchestr es cette devise et avec eux, allonsde l’avant !

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Le 1e r fo rum intern ational des orch e s t res f rançais a été organisé par l ’ A s s o c i ation Française des Orch e s t re s

Philippe Fa n j a s, dir ecteurF l o rent Gira rd , secr é taire général L a u re Philippe, chargée de production

Camille Ja u b e rt , C hargée d’études, et avec l’assistance de Vladimir Bauer, Emilie Landero i n , Blandine Maléfa n t et E m m a nuelle Redege r

M a rc Blezinge r et E l i s abeth Haye s, traduction

P i e rre Fra n ç o i s, r echerches historiques

Demain chez vous Pro d u c t i o n s, r eportages

C a role Roussel, cr é dit photographique, sauf images “dialogue avec Paul A ndr eu”: image 1 : AX Y Z, image 2 :A ntoine Buonomo et Hervé Langlais, image 3: A rtefactory et H ervé Langlais, image 4: A ntoine Buonomo et Hervé Langlais, image 5 :AX Y Z, image 6: AX Y Z, image 7: A ntoine Buonomo et Hervé Langlais.

R e m e rc i e m e n t s

L’ A ssociation Fran ç aise des Orchestr es remercie les personnalités fran ç aises et étrang è r es de leur participation au 1er forum international des orchestr es fran ç ais.

L’ AFO remercie le Ministère de la Culture et de la Communication et la SACEM pour leur soutien.La Cité de la Musique, l’Ensemble Intercontemporain, l’Irca m, l ’ O rchestre National d’Ile de France, l’Orchestre Symphonique de C hicago ainsi que Elisabeth Hayes, dir ecteur de la communication de l’Orchestre Symphonique de Chicago ont contribué à la réussite de cette manifestation.

A s s o c i ation Française des Orch e s t re s

6, rue de Châteaudun - 75009 Paris

T é l é phone: 01 42 80 26 27

T é l é copie: 01 42 80 26 46

www. france - orchestr es. com

M él : afo @ france - orchestr es. com

© Copyright AF O, 2002

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w w w. s a c e m . f r

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1e r fo rum intern ational des orch e s t res fra n ç a i s16 et 17 mai 2001, Pa ris

O rch e s t res au présentMusique vivante au X X Ie s i è c l e

S ous le patronage du Ministère de la Culture et de la Communication

O rganisé par l’Associat ion Fran ç aise des Orchestr es

L’ A ssociation Fran ç aise desO rchestr es regroupe vingt - huitorchestr es, ainsi que laD ir ection de la Musique, de laD anse, du Th é â tre et desS pectacles du Ministère de laC ulture et le Syndicat Nationaldes Orchestres et des théâtresLyriques subventionnés dedroit privé (Synolyr). Elle estpr é sidée par Ivan Renar,Sénateur du Nord et présidentde l’Orchestre National de Lille.Créée en janvier 2000, l’AF O

pr end la suite des structur esvoisines qu ’ ont étél ’ A ssociation Nationale desO rchestr es de Région,l ’ A ssociation Nationale desOrchestres Français puis laC onf é r ence Permanente desO rchestr es Fran ç ais.

L’AF O s ’ affirme comme un lieu de réflexion, de propositionet de communication sur les enjeux fonda mentaux de laprofession :

- Observatoire de la profession,l ’AF O produit des informationsstatistiques sur l’activité desorchestr es membr es.

- Centre de ressources, l’AF O

instruit des questions tech-niques communes aux orches -tres intéressant des domainesdivers tels que la fiscalité, les rémun é rations, les droitsd ’ auteurs, la diffusion desconcerts en région, les actionsde sensibilisation, etc.

- Porte - parole de la professionaux plans national et interna-tional, l’AFO entend contribuerà la définition des politiquescultur elles.

P remier fo rum i n t e rn ational deso rch e s t res fra n ç a i sles 16 et 17 mai 2001

Ce livre présente une synthèse, qui p e rm e t , à trave rs la ri chesse desd é b at s, de pre n d re la mesure des enjeux de toute unep ro fe s s i o n .

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