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Med Pal 2006; 5: 283-286 © 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 12 e CONGRÈS DE LA SFAP Médecine palliative 283 N° 5 – Octobre 2006 Organiser les soins palliatifs dans le système de santé, un levier pour améliorer la qualité des soins en fin de vie. Perspectives à partir d’une recherche européenne France Lert, INSERM U687-IFR69, Saint-Maurice ; Université Paris XI, IFR 69, Villejuif. Cette présentation s’appuie sur un travail collectif réalisé sous la responsabilité de Catherine Markstein avec des collègues, cliniciens, chercheurs, formateurs de sept pays entre 1999 et 2002. Ce travail portait sur les équipes mobiles de soins palliatifs en milieu hospitalier et a abouti à des recommandations qui sont restées à ce jour peu dif- fusées et peu connues [1]. Mon propos puise pour l’essen- tiel dans ce travail collectif qui, bien qu’un peu ancien, garde toute son actualité. Que tous ceux qui y ont parti- cipé soient donc remerciés. Les soins palliatifs se présentent comme un monde social au sens donné par la sociologie straussienne, c’est- à-dire, au-delà de sa dimension concrète de soins à des malades, un ensemble de relations sociales, de groupes, de modes d’expression. Mon intervention affirme que la qualité des soins en fin de vie pour tous ceux qui en ont besoin et les demandent, exige que les soins palliatifs soient organisés au sein du système de santé, c’est-à-dire soient constitués en enjeu de santé publique. Cette affir- mation suscitera sans doute une large adhésion au premier abord. Pourtant, dans le fonctionnement concret, une telle approche se heurte à ce qui singularise les soins palliatifs. Elle conduit à mettre au premier plan la relation de per- sonne à personne en faisant disparaître les dimensions d’organisation : l’annonce de la mort elle-même se tradui- sant par des situations cliniques singulières, des attentes intimes qu’elles soient spirituelles, sociales ou psycholo- giques appelant toujours une réponse ajustée, par l’intensité de la relation intersubjective avec la personne en fin de vie et ceux qui l’entourent, par l’engagement des soignants né de convictions et d’expériences personnelles ou vécues dans leur travail, par les conflits de valeurs et la prégnance des dilemmes éthiques qui singularisent les soignants de soins palliatifs et les amènent à se sentir minoritaires au sein de l’univers médical. De plus, les points de vue variés qui coexistent sur le statut des soins palliatifs au sein de la médecine, spécialité à part entière ou attitudes parta- geables par tout soignant, jouent aussi contre le point de vue systémique. Les recommandations produites par notre groupe sont issues de la réflexion collective menée à partir d’une évaluation des pratiques réalisée dans les sept équipes participantes [2] et des ateliers de formation au sein des équipes sur des thèmes choisis. Le principe de ces recom- mandations a été non pas de se référer à un univers de normes, mais de s’appuyer sur ce qui en pratique condi- tionne des soins palliatifs de qualité. Si notre projet euro- péen a été mené à propos des équipes mobiles, il a conduit à conclure que ces équipes ne pouvaient être pensées en dehors d’un système de soins général qui fait leur place aux soins palliatifs. Le raisonnement de santé publique conduit à considérer la disponibilité, l’accessibilité et l’éga- lité d’accès à des soins efficaces pour tous selon les va- leurs, les normes et les conditions que se donne chaque société, et incluant donc des dispositions législatives sur la fin de vie et l’euthanasie. Notre groupe a relevé des recommandations qui s’adressent aux pouvoirs publics et à la société tout entière, au système de soins, aux équipes et soignants des soins palliatifs La société et les pouvoirs publics Dans une société où l’individualisme s’accentue, où les événements personnels et familiaux se vivent dans un étroit cercle d’intimes, où la médicalisation s’est accen- tuée, l’expérience de l’accompagnement d’une personne en fin de vie est une expérience rare dans la vie d’un individu et laisse de nombreuses personnes démunies quand elles doivent affronter pour elles-mêmes ou leur entourage une telle situation. En France, si l’autonomie de la personne est proclamée et organisée dans des textes Lert F. Organiser les soins palliatifs dans le système de santé, un levier pour améliorer la qualité des soins en fin de vie. Perspectives à partir d’une recherche européenne. Med Pal 2006; 5: 283-286. NDLR : Ce texte a fait l’objet d’une présentation à l’occasion de la séance plénière du 12 e Congrès de la SFAP (Montpellier – 15-17 juin 2006). Adresse pour la correspondance : France Lert, INSERM U687, 14, rue du val d’Osne, 94415 Saint-Maurice. e-mail : [email protected]

Organiser les soins palliatifs dans le système de santé, un levier pour améliorer la qualité des soins en fin de vie. Perspectives à partir d’une recherche européenne

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Organiser les soins palliatifs dans le système de santé, un levier pour améliorer la qualité des soins en fin de vie. Perspectives à partir d’une recherche européenne

France Lert, INSERM U687-IFR69, Saint-Maurice ; Université Paris XI, IFR 69, Villejuif.

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ette présentation s’appuie sur un travail collectifréalisé sous la responsabilité de Catherine Markstein avecdes collègues, cliniciens, chercheurs, formateurs de septpays entre 1999 et 2002. Ce travail portait sur les équipesmobiles de soins palliatifs en milieu hospitalier et a aboutià des recommandations qui sont restées à ce jour peu dif-fusées et peu connues [1]. Mon propos puise pour l’essen-tiel dans ce travail collectif qui, bien qu’un peu ancien,garde toute son actualité. Que tous ceux qui y ont parti-cipé soient donc remerciés.

Les soins palliatifs se présentent comme un mondesocial au sens donné par la sociologie straussienne, c’est-à-dire, au-delà de sa dimension concrète de soins à desmalades, un ensemble de relations sociales, de groupes,de modes d’expression. Mon intervention affirme que laqualité des soins en fin de vie pour tous ceux qui en ontbesoin et les demandent, exige que les soins palliatifssoient organisés au sein du système de santé, c’est-à-diresoient constitués en enjeu de santé publique. Cette affir-mation suscitera sans doute une large adhésion au premierabord. Pourtant, dans le fonctionnement concret, une telleapproche se heurte à ce qui singularise les soins palliatifs.Elle conduit à mettre au premier plan la relation de per-sonne à personne en faisant disparaître les dimensionsd’organisation : l’annonce de la mort elle-même se tradui-sant par des situations cliniques singulières, des attentesintimes qu’elles soient spirituelles, sociales ou psycholo-giques appelant toujours une réponse ajustée, par l’intensitéde la relation intersubjective avec la personne en fin de vieet ceux qui l’entourent, par l’engagement des soignantsné de convictions et d’expériences personnelles ou vécuesdans leur travail, par les conflits de valeurs et la prégnancedes dilemmes éthiques qui singularisent les soignants desoins palliatifs et les amènent à se sentir minoritaires ausein de l’univers médical. De plus, les points de vue variés

qui coexistent sur le statut des soins palliatifs au sein dela médecine, spécialité à part entière ou attitudes parta-geables par tout soignant, jouent aussi contre le point devue systémique.

Les recommandations produites par notre groupe sontissues de la réflexion collective menée à partir d’uneévaluation des pratiques réalisée dans les sept équipesparticipantes [2] et des ateliers de formation au sein deséquipes sur des thèmes choisis. Le principe de ces recom-mandations a été non pas de se référer à un univers denormes, mais de s’appuyer sur ce qui en pratique condi-tionne des soins palliatifs de qualité. Si notre projet euro-péen a été mené à propos des équipes mobiles, il a conduità conclure que ces équipes ne pouvaient être pensées endehors d’un système de soins général qui fait leur placeaux soins palliatifs. Le raisonnement de santé publiqueconduit à considérer la disponibilité, l’accessibilité et l’éga-lité d’accès à des soins efficaces pour tous selon les va-leurs, les normes et les conditions que se donne chaquesociété, et incluant donc des dispositions législatives surla fin de vie et l’euthanasie.

Notre groupe a relevé des recommandations quis’adressent aux pouvoirs publics et à la société tout entière,au système de soins, aux équipes et soignants des soinspalliatifs

La société et les pouvoirs publics

Dans une société où l’individualisme s’accentue, où lesévénements personnels et familiaux se vivent dans unétroit cercle d’intimes, où la médicalisation s’est accen-tuée, l’expérience de l’accompagnement d’une personneen fin de vie est une expérience rare dans la vie d’unindividu et laisse de nombreuses personnes démuniesquand elles doivent affronter pour elles-mêmes ou leurentourage une telle situation. En France, si l’autonomiede la personne est proclamée et organisée dans des textesLert F. Organiser les soins palliatifs dans le système de santé, un levier pour

améliorer la qualité des soins en fin de vie. Perspectives à partir d’une recherche

européenne. Med Pal 2006; 5: 283-286.

NDLR : Ce texte a fait l’objet d’une présentation à l’occasion de la séanceplénière du 12e Congrès de la SFAP (Montpellier – 15-17 juin 2006).

Adresse pour la correspondance :

France Lert, INSERM U687, 14, rue du val d’Osne, 94415 Saint-Maurice.

e-mail : [email protected]

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réglementaires, les pratiques médicales sur l’annonce desmauvaises nouvelles sont encore en transformation (direou pas toute la vérité, euphémiser les mauvaises nouvel-les, entretenir les proches mais pas la personne malade,etc.), elles rencontrent encore souvent les attentes de l’en-tourage qui pense devoir protéger la personne malade etbascule encore du « tout faire pour sauver la personne »à « aider à ne plus souffrir ». Dans ce contexte, la propo-sition d’un soutien ou d’un transfert en service de soinspalliatifs est vécue comme l’annonce de la mort, et la dé-marche est incomprise et parfois rejetée, quand elle n’estpas tout simplement censurée avant d’être énoncée. Deplus, la pleine participation de la personne et de sonentourage aux décisions de fin de vie serait sans doutesoutenue par une réflexion personnelle et collective avant

la phase de maladie qui devraitfaciliter la communication auxmoments les plus difficiles. C’estl’objet de la communicationgrand public par les pouvoirs pu-blics, car cette communication nepeut pas être laissée seulementaux médias et aux associationsquel que soit leur positionnementsur la question de la fin de vie.Les associations de soins pallia-

tifs sont par ailleurs des médiateurs indispensables desdébats tant en direction du public, et des médias que desprofessionnels de santé. Cette responsabilité ne doit pasêtre négligée ou minimisée dans sa portée.

Une première étape semble franchie dans de nom-breux pays par l’inscription des soins palliatifs commeune composante à part entière du système de soins et quidoivent être accessibles à tous. Ce principe général sup-pose, qu’outre leur présence au sein du système, ils soientenseignés et portés à une capacité suffisante en ressourceshumaines et en structures. Pour qu’il y ait des soins pal-liatifs, il faut des professionnels formés – pourtant sou-vent c’est plus une attitude qui préside aux recrutementsqu’une compétence acquise et validée, cette position étantparfois même revendiquée par des cadres médecins ou in-firmiers du champ –, il faut de l’enseignement initial etcontinu et de la recherche, notamment de la rechercheclinique et évaluative.

Les soins palliatifs constituent un continuum intégrantles services résidentiels, les équipes mobiles au domicileet dans les services hospitaliers. Cette proposition répondau constat de l’isolement des petites équipes de liaison/mé-diation/mobiles qui interviennent en appui des soignants,agissant ainsi en deuxième ligne et qui n’ont pas le plussouvent la responsabilité directe des décisions. Elles af-frontent souvent des situations tendues ou de conflit, nevoient pas toujours leurs conseils suivis. Ces situations

sont génératrices de stress, d’un sentiment d’érosion del’identité soignante, d’épuisement et de

burn out

. C’estpourquoi, la possibilité d’exercer, soit simultanément soitsuccessivement dans des services hospitaliers, résidentielsde type USP et dans des équipes mobiles hospitalières ounon, apparaît comme garante du maintien de l’équilibredes soignants et des équipes, et de leurs compétences.Cette recommandation n’est pas aisée à traduire en pra-tique compte tenu de la diversité actuelle des statuts, phé-nomène qui n’est pas propre à la France, et ne doit pasconduire à persévérer dans les statuts d’exception de nom-bre d’équipes fonctionnant sur des postes ou dans desstructures non statutaires. Ceci, et la reconnaissance d’uncorpus de connaissances théoriques et cliniques et de pra-tiques spécifiques tant en médecine qu’en soins infirmiersconduisent évidemment à poser la question d’une spécia-lité médicale à part entière.

Le système de soins

Un deuxième espace dans lequel les soins palliatifs sedéploient est bien sûr le système de santé lui-même. L’in-tégration des soins palliatifs au système de santé signifiequ’ils y prennent leur place, une pleine place, en gardantleur spécificité. L’intégration se distingue de l’assimilation(dans laquelle le modèle se diffuse et disparaît, de la sé-grégation où le monde des soins palliatifs fonctionneraittout à fait à part). Cette intégration se heurte à différentsobstacles. La polysémie du terme de soins palliatifs quipermet de dénommer sous ce vocable de multiples appro-ches des soins (continus, de confort, antidouleur, termi-naux…) génère des malentendus d’autant que les équipesde soins palliatifs sont hétérogènes dans leurs pratiquesprofessionnelles, et dans certains cas se donnent pour fi-nalité de transformer les pratiques au-delà de leur champpropre, se sentant pour certaines investies de faire changerles pratiques et les relations. Même si ce projet s’exprimeà bas bruit, il ne va pas toujours sans générer de tensions.Les soins palliatifs doivent être connus et compris au seindu système de santé. C’est le rôle des associations profes-sionnelles en quelque sorte de stabiliser le champ et de lefaire connaître et reconnaître au sein de l’univers médical.

L’offre de soins palliatifs doit être identifiable et cequ’elle propose réaliste et efficace dans un contextedonné. En ce sens, le réalisme des projets médicaux etinstitutionnels, eu égard aux moyens disponibles et auxbesoins potentiels, est susceptible de conduire à un dia-logue et à une coopération plus efficaces. Cette réflexionnous a conduit à considérer qu’une équipe de soins pal-liatifs (fut-elle mobile, de support, de coordination ou deconseil) devait compter pour exister, c’est-à-dire dès sa

Passer d’une relation intersubjective à une offre de soins palliatifs organiséeet intégrée.

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création, au moins trois personnes (médecin, infirmière,assistante sociale ou psychologue). Sans ce noyau mini-mum, le projet ne peut pas mener une activité suffisantepour donner crédit à son projet.

Les USP sont des lieux de formation pratique complé-mentaire de l’enseignement théorique. Mais, les équipesmobiles ont souvent, et souvent au premier plan, un ob-jectif pédagogique, tout simplement parce que ni leursressources, ni leurs positionnements ne permettent auxunités et équipes de répondre à l’ensemble des besoins etque le projet d’intégration passe aussi par la réalisationdes actes et des démarches de soins palliatifs par les soi-gnants des services classiques. Dans un univers aussitechnique que l’univers médical, les savoirs, les compé-tences, voire l’expertise sont des dimensions majeures dela culture médicale et hospitalière. Les soignants de soinspalliatifs doivent donc avoir acquis la formation auxconcepts, aux connaissances et aux techniques des soinspalliatifs pour être reconnus par les communautés soi-gnantes et prendre toute leur place.

L’image emblématique du soin est celle d’une relationintersubjective entre le patient et le soignant même si, dansla réalité, la prise en charge d’une maladie mobilise unensemble de services, de professions et de personnes dansune division du travail plus ou moins maîtrisée. Uneéquipe qui met en commun l’information, et où la décisionest partagée dans le respect des rôles professionnels et del’autonomie est une valeur prégnante dans l’ensemble del’univers du soin. Ces idéaux de l’accomplissement de soicomme soignant se réalisent – ou ont des chances de seréaliser – pleinement dans les USP qui ont souvent uneforte cohésion d’équipe, des systèmes de managementmoins hiérarchisés et une forte attention aux personnes ;ils constituent un véritable défi pour les soignants deséquipes mobiles. Ceux-ci pratiquent les soins souvent pardélégation et ne sont qu’en deuxième ligne dans la relationavec les patients, position qui parfois les ébranle dans leuridentité de soignant. Les équipes mobiles sont encore plusen difficulté quand elles se sentent investies de la missionde répondre à l’ensemble des demandes d’une structuresans en avoir les ressources. L’adéquation entre objectifs,projet et ressources qui peut amener à revoir à la baissel’ambition du projet initial est apparue la condition garantedu développement progressif des équipes. Cet exercice « endeuxième ligne » passe par des activités de coordination,de conseil, de formation directe ou de désignation de cor-respondants pour offrir effectivement des soins palliatifsde qualité. Une équipe mobile en milieu hospitalier doitdonc avoir une réelle capacité de travail différenciée selonles services : nomination de correspondants dans certainsservices, réunions de concertation régulières dans d’autres,organisation de formations, consultations pluridisciplinai-res au cas par cas. Pour organiser ainsi son fonctionne-

ment, elle doit avoir une autonomie garantie par une po-sition reconnue au sein de l’hôpital.

En milieu hospitalier, les activités transversales sontde plus en plus nombreuses. Si tout le monde s’accordesur leur principe, dans les faits, elles sont souvent mal-menées dans les organigrammes et maltraitées en termesde moyens, limités et instables. De fait, elles sont souventlimitées dans leur autonomie et ont peu de poids dansl’institution. Le développement des soins palliatifs néces-site donc que les administrations sanitaires et les cadreshospitaliers, médicaux ou administratifs reconnaissentcette juste place nécessaire, ce qui veut dire pour ces ser-vices être correctement placés dans les organigrammes etdonc dans les instances hospitalières de décision.

Si jusqu’à présent j’ai principalement évoqué toutes lesraisons d’intégrer les soins palliatifs dans le système desanté (c’est-à-dire d’insérer dans le monde soignant uneéquipe avec son identité spécifique), notre groupe de travaila revendiqué une exceptionnalité concernant la gestion etla valorisation du temps. En finde vie, le temps a une valeur par-ticulière d’une part pour laisserle temps à l’expression plus com-pliquée, plus lente à cause desdétériorations cognitives, de lafatigue, des enjeux émotionnelsou existentiels, et parce que lesactes demandent du temps ; cetemps doit être valorisé commeun acte en soi. D’autre part, lesdécisions (notamment les déci-sions de retour à domicile, trans-fert dans un autre service, pour-suite, instauration ou arrêt detraitement) sont empreintes d’incertitude et lourdes de senset de conséquences. Elles peuvent demander du temps, desjours, et donc devenir des enjeux économiques qui doiventêtre reconnus. Dans une recherche menée sur les équipesde soins à domicile, nous avons identifié de nouvelles fonc-tions soignantes (« le conseil comme clinique sans acte »,« le soutien et la formation des soignants et des proches »,« le travail sur les émotions ») qui doivent être reconnueset valorisées dans les nomenclatures, et donc dans les mo-des de rémunération [3].

Les services et équipes de soins palliatifs

Un troisième espace est celui du champ des soinspalliatifs eux-mêmes. L’engagement personnel et l’impor-tance accordée au sujet conduisent à des modes d’orga-

Différencier les modes d’intervention pour répondre à l’ensemble des besoins des personnes en fin de vie.

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nisation plus égalitaires dans les prises de décision con-cernant les soins ou l’organisation. Les qualitéspersonnelles sont fortement mises à contribution, effaçantparfois la dimension professionnelle. Le groupe de recher-che a souligné l’importance de clarifier la question du

lea-dership

au sein des équipes, de développer de véritablescompétences de communication nécessaires pour travailleravec des équipes très hétérogènes dans leurs pratiques etdans leur compréhension de la problématique des soinspalliatifs. Les équipes de soins palliatifs sont à la fois per-çues comme envahissantes quand elles cherchent à faireprévaloir des orientations de prise en charge ou de trai-tement, et comme donneuses de conseil exonérées du« sale boulot » quand elles conseillent mais ne sont pas làaux heures les plus pesantes. Elles doivent donc clarifierleur projet, et donc en assumer autant l’ambition que leslimites dans l’univers où elles exercent.

Au cours d’un travail mettant en présence des équi-pes de pays différents, l’hétérogénéité des points de vueéthiques – qui existe tout autant à l’intérieur de chaquepays – est apparue de façon nette. Cette comparaison defait a permis de pointer l’occultation fréquente de la di-versité des engagements éthiques alors même que cesengagements sont source de frustrations pour les soi-gnants quand ils ne peuvent être tenus et que les conflitssur le terrain éthique sont fréquents et majeurs dans lesinteractions avec les services d’aigu. Plus qu’une uni-formité éthique qui n’a conceptuellement aucun sens, ilest apparu utile pour la cohérence de l’équipe et le res-pect de l’identité de chaque soignant de mener au seindes équipes de soins palliatifs un travail qui permettede situer la frontière entre « compromis » et « compro-mission » dans la participation à une décision, et de sedonner des lignes directrices pour faire face aux tensionset aux conflits, en partant non des valeurs mais des si-tuations cliniques ; c’est le sens de la notion d’éthiquenarrative.

La question de l’euthanasie a bien évidemment uneplace cruciale sur ce plan. Pour autant, il n’y a ni consen-sus ni uniformité dans le monde des soins palliatifs surcette question. Il est apparu dans la recherche que cetteproblématique était de fait peu – voire pas – discutée ausein des équipes. Dans les pays qui autorisent l’euthanasie,il est essentiel que le point de vue des équipes soit connupour ce qu’il implique dans sa participation aux soins despersonnes en fin de vie au sein d’une structure. Ceci pour-rait éviter des situations de tensions et le sentiment deperte de sens qu’éprouvent parfois certains soignants.

Conclusion

La masse d’expériences accumulée par les pionniers dessoins palliatifs dans d’autres pays, et la mise sur pied d’unsystème dense et diversifié de services et d’équipes enFrance depuis vingt ans doivent permettre de changerd’échelle, de réaliser l’engagement de la loi qui garantit àtous l’accès aux soins palliatifs en abordant le développe-ment de ce secteur avec les concepts de la santé publique.

Références

1. Markstein C. Promoting the integration of Continuous Carein the hospital. The Palliative Care mobile support team asa means to convey the philosophy of Continuous and Inte-grated Care. Analysing medical practice and research in newintegration strategies (1/10/2000-30/09/2003). Bruxelles :European Union 2004.

2. Roux L, Lert F, Mino JC, Markstein C. L’intégration del’équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital : enjeux insti-tutionnels, professionnels et organisationnels. Med Pal2003 ; 2 : 6-13.

3. Mino JC, Lert F. Le travail invisible des équipes de soutienet conseil en soins palliatifs au domicile. Sciences Socialeset Santé 2003 ; 21 : 35-64.