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MEMOIRE ORIGINAL ORIENTATION DES PATIENTS AGr:S A PARTIR DU SERVICE D'ACCUEIL ET D'URGENCE 6pital gdndral ou H pital gdriatrique ? • UNGER*, A. STUCKELBERGER* *, J.P. MICHEL * * RI~SUMI~ Une 6tude prospective d'une durfie d'un mois portant sur 2 436 admissions dans le Service d'accueil et d'urgence de l'H6pital uni- versitaire de Gen~ve, Suisse, avait pour but d'6tudier les proces- sus d6cisionnels dfterminant le transfert des personnes ~g6es. L'6mde a port6 sur les crit6res utilis~s pour le transfert d'un patient ~g6 soit vers une unit6 d'un h6pital g6n6ral, soit vers un h6pital g~riatrique. En ce qui concerne le diagnostic principal, les patients chez lesquels un probl~me psychosocial a 6t6 mis en 6vidence 6taient plus volontiers transf6r6s vers un h6pital g6riatrique (P < 0,001), alors que les patients porteurs de maladies cardio- vasculaires 6taient plus volontiers transffrfis dans une unit6 de m6decine d'un h6pital g6n6ral (P < 0,05). Les r6sultats de l'6tude font ~galement apparaitre tm pr6jug6 nfgatif chez les patients fig6s face ~tl'h6pital g6riatrique, ind~pendamment d'un s6jour antfirieur dans ce lieu. SUMMARY Transfer of Elderly patients [rom the emergency depart. ment : General Hospital or Geriatric Hospital ? A one-month prospective study of 2436 admissions was carried out in the Emergency Department of the University Hospital of Geneva, Switzerland, in order to analyze the decisional process of elderly patient transfer. The criteria for transferring an elder- ly patient to a general hospital or to a geriatric hospital were ana- lyzed. Diagnoses with psycho-social problems were significantly associated with a transfer to the Geriatric Hospital (P < 0.001) and cardiovascular diseases were associated with transfer to in- ternal medicine wards (P < 0.05). The results also reflected a negative image of elderly patients in geriatric hospitals, and the general, ageist, attitude encountered in non-geriatric medicine. Mots-cl~s : Patients ~tg6s,processus d6cisionnel, service d'accueil et d'urgences. Key-words : Elderly Hospitalization, decision-making, patient transfer, image of geriatric medicine. Outre le fair bien connu que la proportion des patients tigris admis dans les h6pitaux gfinfiraux est en cons- tante croissance, les patients tigris se pr6sentant au ser- vice d'accueil et d'urgence sont plus souvent admis l'h6pital que les autres [1-3], y restent plus longtemps que les patients moins agfis, et sont parfois considfir~s comme des ~ bloqueurs de lits ,, [4, 5]. De plus, les h6pi- taux ou unit6s g6riatriques ~tant fr6quemment surchar- gfis, les patients sont alors obligatoirement transffr6s dans les services de m6decine [6]. Le service d'accueil et d'urgence repr6sente un interface important entre la communaut6 et les ins- titutions hospitali~res, interface ~ l'intfrieur duquel la d6cision de transffrer les personnes fig6es dans dif- * Centre medical et chirurgical des Entr6es, H6pital cantonal Uni- versitaire de Gen6ve, CH-1211 Gen6ve 14. ** H6pital de G6riatrie, CH-1226 Th6nex/Gen~ve. Regu en juin 1992. Accept~ en f6vrier 1993. f6rentes unit6s ou h6pitaux est prise. Ce transfert pose le probl~me difficile des dficisions d'hospitali- sation et questionne plus particuli~rement la logique des d6cisions de transfert. Alors que le processus d6cisionnel de transfert concernant la population g~n6rale a 6t6 investigu6 [7], les 6tudes concernant les personnes ~g6es sont rares [8, 9]. Le cas des per- sonnes agnes se pr6sentant au service d'accueil et d'urgence relive d'une ambiguit6 tout gt fait particu- li~re rant il est vrai que les d61imitations actuelles entre m6decine interne et m6decine g~riatrique sont vagues. A ce fait, s'ajoutent les motivations institu- tionnelles o3 chaque responsable adapte sa grille d6cisionnelle aux structures locales plut6t qu'~ un rai- sonnement objectif. C'est pour ces raisons qu'il est apparu int6ressant d'6valuer la strat6gie d'orientation propos~e aux per- sonnes ag6es admises au service d'urgences, ainsi que le processus d6cisionnel qui y pr6side. R~an. Urg., 1993, 2 (3), 273-278

Orientation des patients âgés à partir du service d'accueil et d'urgence

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Page 1: Orientation des patients âgés à partir du service d'accueil et d'urgence

M E M O I R E ORIGINAL

ORIENTATION DES PATIENTS AGr:S A PARTIR DU SERVICE D'ACCUEIL ET D'URGENCE 6pital gdndral ou H pital gdriatrique ?

• U N G E R * , A . S T U C K E L B E R G E R * *, J .P . M I C H E L * *

RI~SUMI~

Une 6tude prospective d'une durfie d'un mois portant sur 2 436 admissions dans le Service d'accueil et d'urgence de l'H6pital uni- versitaire de Gen~ve, Suisse, avait pour but d'6tudier les proces- sus d6cisionnels dfterminant le transfert des personnes ~g6es. L'6mde a port6 sur les crit6res utilis~s pour le transfert d'un patient ~g6 soit vers une unit6 d'un h6pital g6n6ral, soit vers un h6pital g~riatrique. En ce qui concerne le diagnostic principal, les patients chez lesquels un probl~me psychosocial a 6t6 mis en 6vidence 6taient plus volontiers transf6r6s vers un h6pital g6riatrique (P < 0,001), alors que les patients porteurs de maladies cardio- vasculaires 6taient plus volontiers transffrfis dans une unit6 de m6decine d'un h6pital g6n6ral (P < 0,05). Les r6sultats de l'6tude font ~galement apparaitre tm pr6jug6 nfgatif chez les patients fig6s face ~t l'h6pital g6riatrique, ind~pendamment d'un s6jour antfirieur dans ce lieu.

SUMMARY

Transfer of Elderly patients [rom the emergency depart. m e n t : General Hospital or Geriatric Hospital ?

A one-month prospective study of 2436 admissions was carried out in the Emergency Department of the University Hospital of Geneva, Switzerland, in order to analyze the decisional process of elderly patient transfer. The criteria for transferring an elder- ly patient to a general hospital or to a geriatric hospital were ana- lyzed. Diagnoses with psycho-social problems were significantly associated with a transfer to the Geriatric Hospital (P < 0.001) and cardiovascular diseases were associated with transfer to in- ternal medicine wards (P < 0.05). The results also reflected a negative image of elderly patients in geriatric hospitals, and the general, ageist, attitude encountered in non-geriatric medicine.

Mots-cl~s : Patients ~tg6s, processus d6cisionnel, service d'accueil et d'urgences.

Key-words : Elderly Hospitalization, decision-making, patient transfer, image of geriatric medicine.

Outre le fair bien connu que la proportion des patients tigris admis dans les h6pitaux gfinfiraux est en cons- tante croissance, les patients tigris se pr6sentant au ser- vice d 'accueil et d 'u rgence sont plus souvent admis l 'h6pital que les autres [1-3], y restent plus longtemps que les patients moins agfis, et sont parfois considfir~s comme des ~ bloqueurs de lits ,, [4, 5]. De plus, les h6pi- taux ou unit6s g6riatriques ~tant fr6quemment surchar- gfis, les patients sont alors obligatoirement t ransffr6s dans les services de m6decine [6].

Le serv ice d 'accue i l et d ' u r g e n c e repr6sen te un in ter face impor t an t en t re la c o m m u n a u t 6 et les ins- t i tut ions hospitali~res, in terface ~ l ' in t f r ieur duquel la d6cision de t ransf f re r les personnes fig6es dans dif-

* Centre medical et chirurgical des Entr6es, H6pital cantonal Uni- versitaire de Gen6ve, CH-1211 Gen6ve 14. * * H6pital de G6riatrie, CH-1226 Th6nex/Gen~ve. Regu en juin 1992. Accept~ en f6vrier 1993.

f6rentes unit6s ou h6pi taux est prise. Ce t ransfer t pose le probl~me difficile des dficisions d'hospitali- sation et quest ionne plus part icul i~rement la logique des d6cisions de t ransfer t . Alors que le processus d6cisionnel de t ransfer t conce rnan t la populat ion g~n6rale a 6t6 invest igu6 [7], les 6tudes concernan t les personnes ~g6es sont ra res [8, 9]. Le cas des per- sonnes agnes se p r6sen tan t au service d 'accuei l et d ' u r g e n c e r e l ive d ' u n e ambigui t6 tout gt fait particu- li~re rant il est vrai que les d61imitations actuelles entre m6decine interne et m6dec ine g~riatrique sont vagues . A ce fait, s ' a jou ten t les motivat ions institu- t ionnelles o3 chaque responsable adapte sa grille d6cisionnelle aux structures locales plut6t qu'~ un rai- sonnemen t objectif.

C ' e s t pour ces raisons qu ' i l es t apparu int6ressant d '6valuer la strat6gie d 'or ientat ion propos~e aux per- sonnes ag6es admises au service d 'urgences , ainsi que le p rocessus d6cisionnel qui y pr6side.

R~an. Urg., 1993, 2 (3), 273-278

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- 2 7 4 - Orientation des patients &gCs

Cette 6tude a pour objectif : 1) d'identifier plus particuli6rement les crit~res utilis6s par les chefs de clinique pour d6cider d'un transfert en milieu g4ria- trique ou en milieu g6n6ral non chirurgical; 2) d'analyser les raisons qui poussent une partie des patients ~g4s ~t refuser le transfert en milieu g6ria- trique ; 3) de mettre en 6vidence la typologie des patients << g4riatriques, dans un service d'accueil et d'urgence.

• Patients et methode

Notre 4tude a 6t6 conduite dans le seul service m6dical public d'urgences m6dico-chirurgicales des- servant les 380 000 habitants du Canton de Gen~ve (Suisse), parmi lesquels 13,3 % sont des personnes fig6es de plus de 65 ans. Ce service de l'h6pital can- tonal universitaire de Gen6ve a pris en charge en 1989, 30 728 patients, dont 19 286 (62 %) sont retourn6s directement ~ leur domicile et 11 836 (32 %) ont 6t4 transf6r4s dans un des services de l'h6pital ou dans d'autres h6pitaux ou cliniques.

Tousles patients en ~ge de retraite (plus de 62 ans pour les femmes et plus de 65 ans pour les hommes) qui ont consult6 le service d'accueil et d'urgence, quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit, sur une p6riode de 30 jours cons4cutifs (du 23 mars 89 au 27 avril 89) ont 4t4 suivis jusqu'~ leur lieu de trans- fer t : la population retenue pour cette 6rude 4tait constitu4e des patients ag6s potentiellement trans- f4rables soit dans un service de m4decine interne de l'h6pital universitaire, soit ~ l'h6pital de g4riatrie (HOGER). L'h6pital de g6riatrie est un h6pital de moyen s6jour, d'une capacit6 de 360 lits, sans acti- vit6 chirurgicale, mais b4n4ficiant de larges capaci- t6s de consultations sp6cialis6es. L'information d6taill6e concernant le sexe, l'~ge, l'origine et les dia- gnostics principaux 6tait recueillie ~ partir du dos- sier m6dical et administratif 4tabli au service d'accueil et d'urgence.

Un psychologue ind4pendant (AS) a men6 l'4tude en interrogeant le chef de clinique responsable de la prise en charge de ces patients quant ~ ses motiva- tions ~ transf4rer chaque patient concern6 soit dans un service de m4decine interne, soit ~t l'h6pital g6ria- trique. De plus, le meme investigateur a interrog4 t ous l e s patients qui refusaient leur transfert en milieu g4riatrique, de faqon ~ mettre en 6vidence les raisons de ce refus. Les tests t de Student et du Chi2 ont 4t4 utilis4s pour s'assurer de la signification sta- tistique des diff4rences.

• R~sultats

Population ~tudi~e

Durant la p4riode de l'6tude, 2 436 patients de tous ~ges (1 139 femmes, 1 297 hommes) ont 4t4 admis ROan. Urg., 1993, 2 (3), 2 7 3 - 2 7 8

au service d'accueil et d'urgence ; le nombre quoti- dien moyen de consultations a 4t4 de 81,4. Dans cette population, 686 patients (402 femmes et 284 hom- mes) 4taient en ~ge de retraite, repr4sentant 28,2 % de l'ensemble des consultants.

Origine

Parmi les 686 patients ~g4s, 90,4 % venaient de leur domicile, 8,2 % d'un 4tablissement de long s4jour et 1,4 % 6tait des 6trangers ou de passage Gen6ve.

Destination

Le tableau I montre la proportion de patients fig6s qui sont retourn6s fi leur ,, domicile, (domicile priv6 ou institution de long s6jour) dans les 24 heures sui- vant leur admission et ceux qui sont rest6s ~ l'hSpi- tal g6n4ral universitaire dans divers services. Le transfert en milieu g4riatrique n'a concern6 que 7,4 % des personnes fig6es consultant le service d'accueil et d'urgence. Le taux 61ev6 d'hospitalisa- tion chez la personne fig4e durant la p4riode de l'6tude est repr6sentatif du taux annuel d'hospitali- sation de cette meme population pour 1989 (hospita- lis6s = 74,8 %, non admmis = 24,4 %).

Critdres de transfert Transfert dans une unit6 de Mgdecine

Les raisons exprim4es par le chef de clinique res- ponsable du service d'accueil et d'urgence sont rap- port6es ci-dessous par importance d6croissante. Plusieurs raisons pouvaient ~tre invoqu4es pour le meme patient et les principaux crit~res de transfert d'un patient dans une unit6 de m6decine relev4s sont les suivants :

-- plus du quart des personnes ~g6es (25,9 %) avaient d4j~ 4t4 hospitalis4es dans la m~me unit4 au cours de l'ann6e pr4c4dente, et ont 4t4 retransf4r6es imm4diatement dans la meme unit6 par convention interhospitali6re ;

-- pros de 20 % des patients pr4sentaient une pathologic aigu6 n4cessitant des investigations ou un traitement urgent. Les maladies cardiovasculaires et plus particuli~rement les sympt0mes coronariens ont 6t4 les raisons majeures d'un hospitalisation en m6de- cine interne (N = 24), suivis des affections pulmo- naires aigu~s (infectieuses ou non) (N = 12) ainsi que d'autres maladies aigu~s h6matologiques, infectieu- ses, syst6miques, etc. ;

-- 49 personnes ~g4es (18,1%) 6talent adress4es sp4cifiquement ~ un m4decin de l'h0pital cantonal universitaire de Gen~ve par leur m6decin traitant ;

-- pour 39 patients ~g4s (14,4 %), le chef de cli- nique a jug4 que des investigations sophistiqu4es 6taient n6cessaires. Parmi elles, la scanographie, l'angiographie, la scintigraphie, certaines biopsies,

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Orientation des patients &g¢s - 2 7 5 -

Tableau I Destination des patients &g~s et non &gds d partir du Service des urgences

Destination

H6pital Gdndral : Soins intensifs Chirurgie M~decine Interne

H6pital de Gdriatrie :

Autres hfpitaux ou cliniques : H6pital psychiatrique Maison de convalescence Retour ~ domicile**

D~c~s

498

21 19

1 208

3

Non ~gds* (< 65 ans)

(N = 1 750)

28,5 7O

207 161

0,06

1,2 1,1

69,0

0,2

(%) (N = 688)

448 43

135 270

51

4,0 15,3

9,2

3 22

159

3

ttgds* (>~ 65 ans)

65,3

7,4

0,4 3,2

23,2

0,4

(%)

6,3 19,7 39,4

Les deux distributions sont statistiquement h~t~rog~nes (P < 0,001). ** Avec ou sans traitement ambulatoire.

le cath6t~risme cardiaque sont des examens qui ne sont pas disponibles dans l'h6pital de g~fiatrie. Parmi les traitements complexes (N = 12) (4,4 %), la dialyse, l'61ectrostimulation cardiaque et l'angioplas- tie repr6sentaient des indications au transfert en milieu non g6riatrique ;

-- 30 personnes ~g6es (11,1%) semblaient << si j e u n e s , que la d~cision d'un transfert en m6decine plut6t qu'en milieu g6riatrique a sembl6 6vidente au chef de clinique ;

-- 30 de nos patients (11,1%) n'ont pu etre admis ~ l'h6pital de g6riatrie parce que celui-ci n'avait plus de lit disponible. Alors que le service d'urgence fonctionne jour et nuit, les possibilit6s de transf6rer un patient en dehors des heures habituelles d'admis- sion s'av~rent extremement difficiles pour des rai- sons administratives et ont rendu ainsi impossible le transfert pour 30 patients ;

-- 20 patients (7,4 %) ont refus~ le transfert en milieu g~riatrique et ont donc dt~ transf6r~s dans un service de m6decine.

Transfer? en milieu gdriatrique Raisons invoqu6es par le chef de clinique pour le

transfert des 51 personnes ~g6es en milieu g6riatri- que (7,4 % de l'ensemble des admissions g6riatri- ques), par ordre d'importance :

-- tr~s vieux, v o i r e , trop vieux ~. L'~ge l~gal d'admission en milieu g6riatrique en Suisse est de plus de 62 ans pour les femmes et de plus de 65 ans pour les hommes. Dans la rdalit6, seules les person- nes tr~s ~g6es ou qui ont une apparence tr~s ~g6e ont 6t~ transf6r6es en milieu gdriatrique (N = 27) (57,4 %). Ce crit~re se trouve confirm6 par l'obser- vation d'une difference significative entre l'~ge moyen des personnes ~g6es transf6r6es dans un ser- vice de m6decine (78,1 + 7,7 ans) et les personnes

agnes transf~rdes en milieu g~riatrique (84,8 + 4,6 ans) (P < 0,001) ;

-- parmi les patients ne prdsentant ni probl~me m~dical ni probl~me chirurgical aigu, 15 (31,9 %) pr6- sentaient un probl~me exclusivement g~riatrique (probl~me m~dico-psycho-social, maladie chronique, soins de fin de vie) ;

-- pour 13 (25,5 %) des patients ~g~s, le trans- fert en milieu g~riatrique rut d~cid~ en raison de la proximit~ du lieu de domicile, proche de l'h6pital g~riatrique, ou de la facilit~ (notamment horaires de visite adapt6s) avec laqueUe ils pouvaient recevoir des visites de leurs proches (N -- 7) (13,7 %), ou parce que leur 6pouse ou un ami proche avaient dt~ pr~a- lablement trait~s dans cet h6pital (N = 6) (12,8 %) ;

-- 11 personnes ~g6es transferees en milieu g~riatrique (21,5 %) avaient pr~alablement fait un s~jour dans ce meme h6pital ;

-- 6 des 51 patients transforms en milieu g~ria- trique (12,8 %) dtaient adress~s directement ~ l'h6pi- tal de g~riatrie par leur m~decin traitant via le service d'accueil et d'urgence.

D i a g n o s t i c p r i n c i p a l a u s e r v i c e d ' a c c u e i l e t d ' u r g e n c e (Tabl. II)

Le tableau II permet une comparaison des diagnos- tics principaux pour chaque patient transfer6 soit dans une unit~ de m~decine, soit dans une unit~ g~ria- trique.

Une pathologie cardiovasculaire ~tait significative- ment plus fr~quente dans le groupe des patients admis dans un service de m~decine (24,8 °70 versus 10,6 % P < 0,05).

Un probl~me psychosocial, incluant l'impossibilit5 d'apporter des soins ad~quats au domicile, ~tait lar-

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- 276 - Orientation des patients #g#s

Tableau II Transfert des patients ~gOs on m~decine interne et ~ I 'hSpital de g~riatrie selon le diagnostic pr incipal

Diagnostic principal

Cardiovasculaire Pulmonaire et pleural Infection extrapulmonaire Digestif Neurologique Psychiatrique Psycho-social (SIAD) M6tabolique H6matologique Asthenie Investigations BILAN Cancer Ost6oarticulaire

67 66 12 17 39

8 3

17 7 2 7

14 11

TRANSFERT: M6decine interne H6pital de gdriatrie

(n = 270) (n = 51) % n %

5 8 3

11 3

12

2

6 1

24,8 a) 24,2 4,4 6,3

14,4 3,0 1,1 b) 6,3 2,6 0,7 2,6 5,2 4,1

10,6 a) 17,0 6,4

21,6 6,4

25,5 b)

4,3

11,8 2,0

Total 270 1 O0 51 1 O0

a) (P<0,o5) b) (P < 0,001)

gement plus fr6quent chez les patients adress6s l'h6pital de g6riatrie (25,5 % versus 1,1%). La diff6- rence dans ces deux groupes 6tait significative (P < 0,001). I1 n 'y avait pas de difffrences statisti- quement significatives entre les patients transf6r~s dans une unit6 de m6decine ou ~ l'hSpital de g~ria- trie dans lea autres groupes diagnostiques.

Refus du patient d'un transfert en milieu gdriatrique

Un transfert en milieu g6riatrique a 6t~ propos6 par le chef de clinique responsable du service d'accueil et d 'urgence ~ 71 patients (10,3 % du total des per- sonnes ag6es admises au service d'accueil et d'urgence). De mani&re surprenante, 20 de ces 71 patients (28,2 %) ont refus6 cette proposition. I1 faut noter qu'ils n'6taient pas plus jeunes (age moyen 83,6 ans) que ceux qui ont accept6 le transfert en milieu g6riatrique (age moyen 84,8 ans). Les motifs de refus de transfert sont rapport~s ci-dessous :

-- le Canton de Gen~ve s'6tend sur une surface de 282 km 2, et plus d 'une heure est n6cessaire pour atteindre l'h6pital de g~riatrie ~ partir du centre de la ville au moyen des transports publics. Si cette situation peut sembler anodine, il faut tenir compte du fait que ce voyage est consid6r6 comme une , exp6dition >> par la majorit6 des 6pouses ou des amis des personnes ag6es. 15 patients ont argument~ leur refus sur la base de cet ~loignement (75 °7o) ;

- - les patients refusant l 'admission en milieu g~riatrique constituent deux groupes : 1) 13 patients (65 %) ont refus~ leur transfert de crainte d'etre hos- pitalis~s en compagnie de patients tr~s, voire << trop ,,

R~an. Urg., 1993, 2 (3), 273-278

ag6s ;2) 11 patients (55 %)ont motiv6 leur refus par leur volontfi de ne pas etre exposfis gt l 'atmosph~re d@rimante d'un hOpital g6riatrique ;

- - 7 patients (35 %) ont ~voqufi l ' image d 'un << hSpital-mouroir >> pour refuser leur transfert en milieu g~riatrique ;

-- 4 personnes agnes (20 %) ont choisi d 'etre trait6es dana un service de m~decine en raison de 1'image positive de celui-ci ;

-- la mort d 'un membre de la famille, 1'absence de confort et d'intimit~, les difficult6s de communi- cation avec le staff mfidical ou infirmier lors d'hos- pitalisations pr~alables en milieu g~riatrique ont ~t~ lea arguments avanc6s par 4 patients (20 %) pour refuser leur transfert en milieu g6riatrique.

Jamais la famille n'a diacut~ la d~cision d 'un patient refusant son transfert en milieu g~riatrique. Dana 10 des 20 cas de refus (50 %), la famille avait la meme image n~gative du milieu g~riatrique que le patient. Seule dans 4 des 20 cas (20 %), et cela ind@endam- ment d'une experience pr~alable, la famille du patient avait une image positive de ce type de service. Lea autres familles n'exprimaient pas d'opinion. Quel que soit le point de rue de la famille dana ce groupe, celui- ci n 'eut aucune influence sur la d6cision du patient.

• Discussion

Cette fitude montre que l'hospitalisation apr&s une consultation au service d'accueil et d'urgence est plus fr~quente chez les personnes agfies que chez les per-

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sonnes plus jeunes : 3/4 des personnes agnes sont hospitalis&s ~ partir du service d'accueil et d'urgence, compar~ ~ 1/3 des patients plus jeunes. Ces donn&s confirment les observations d'Ettinger et coll. [3] qui notent un taux d'admission de 51,5 % des personnes ag&s versus 14,4 % pour les person- nes plus jeunes apr~s une consultation au service d'accueil et d'urgence. Ces r~sultats peuvent en par- tie etre expliquSs par les caract~ristiqnes de la popu- lation &udi~e et une notion de l 'urgence diff~remment ressentie [10].

Les &udes men&s dans les services d'urgence, por- tant sur les differences entre les patients ~g~s et non ages ont montr~ plusieurs r~sultats significatifs : l'nti- lisation du service d'urgence par les personnes agfies est plus adequate [11, 12], les motifs d'hospitalisation recouvrent des pathologies plus aigu~s et plus urgen- tes chez les patients ages [1, 3], la mortalit~ initiale des personnes ag&s est plus ~lev& [13] et, le deve- nir et la dur& du sfijour augmentent significativement avec l'avance en age (14, 15). De plus, les diagnos- tics portfis chez les patients ages sont souvent multi- ples et peu clairs [1], alors que les jeunes prfisentent tr~s souvent des probl~mes chirurgicaux, parmi les- quels des traumatismes nfineurs, expliquant ainsi en partie un recours plus faible de ceux-ci ~ l'hospitali- sation. La personne fig& est connue pour souffrir de pathologies multiples ou de handicap provoquant chute, dfipendance et impossibilit~ de rester ~ domi- cile. Alors que les patients plus jeunes ont souvent un rfiseau social ou familial susceptible de les aider tem- porairement, les personnes fig&s ont souvent perdu leur conjoint, sont socialement isol&s, et dans l'impos- sibilit~ de recevoir des soins ~ domicile lorsque la charge devient trop lourde. De plus, l'attitude des patients avanqant en age, qui consiste ~ accepter la maladie comme un effet normal du vieillissement [16], pent induire des d~lais dans le processus de consulta- tion, aggravant ainsi une situation d~j~ pr&aire.

Le processus dficisionnel pr~sidant au transfert des personnes agnes soit en milieu de m~decine interne, soit en milieu gfiriatrique est du plus grand int6r~t. Notre &ude met en ~vidence que le chef de clinique en charge du service d'accueil et d'urgence dirige plus volontiers les personnes ag&s prfisentant un probl~me mfidical aigu vers les unit~s de m~decine, alors qu'il hospitalise plus volontiers en milieu g&ia- trique les patients tr~s ages effou porteurs de pro- blames psychosociaux. I1 apparait clairement que la d&ision de transfert en milieu g~n~ral ou g~riatri- que n'est pas totalement univoque.

Une premiere constatation, au vu des r~sultats, est que la logique de la d&ision est plus une logique de type personnel dans laquelle les crit~res qualitatifs et subjectifs sont mel~s aux crit~res objectifs : plus que l'~ge r&l ou la pathologie de la personne ~g~e, l'aspect de la personne agile apparait comme un cri- t~re d&isif de transfert en milieu g~riatrique. On pourrait cr&r pour cette attitude l'expression

Orientation des patients #g#s - 2 7 7 -

, d'ag~isme ,, par analogie au racisme, sexisme, machisme, etc. Une explication de ce ph6nom~ne pent &re trouv~e dans le fait qne le chef de clinique du service d'accueil et d'urgence pent se sentir rela- tivement impuissant, voire d~valoris~ lorsqu'il se trouve confront6 ~t une personne ague souffrant de pathologies intriqu&s ou de probl~mes psychoso- ciaux qui n&essitent des ~valuations complexes.

Une deuxi~me constatation est qu'un nombre non n~gligeable de patients et de membres de leur famille jugent de faqon tout ~ fait subjective et ~motionnelle ce que repr~sentent les structures g~riatriques. Cette perception refl&e une certaine discrimination l%gard des structures pour personnes ag&s. Celle- ci est exprim& de mani~re tr~s forte dans notre &ude par le groupe de personnes refusant le transfert, por- teuses d'un pr~jng~ social, parfois renforc6 par une experience personnelle n6gative. Par exemple, la ren- contre inattendne et jug& choquante lors d'une visite avec un patient d~ment ou tr~s d&~rior~ est suscep- tible de renforcer des id&s pr&on~ues sur le milieu g~riatrique. La mort est ~galement plus fr~quente dans la population ague g~n~rale et se trouve donc plus pr~sente en milieu g&iatrique, donnant de cette structure l'image d'un lieu o~l l'on se rend pour mou- rir. De plus, les personnes agnes refusent leur trans- fert en milieu g~riatrique fr~quemment en raison de leur convenance personnelle et de l'image presque , concentrationnaire, r~serv& aux personnes de cet age. De nombreux patients ages recherchent le contact avec des individus plus jeunes, ne voulant pas &re exclus de , l'h6pital pour tout le monde >>, l'image que la soci&~ a face ~ la maladie chez la per- sonne ~g~e &ant souvent celle d'une d&~rioration intellectuelle, d'un handicap physique, d'une perte d'autonomie et de dignitY, voire de la mort.

Une troisi~me constatation d&oule des deux autres : le patient ag~ refuse en r~alit~ relativement rarement un transfert en milieu g6riatrique. Cepen- dant, ce r~sultat dolt &re consid~r~ avec circonspec- tion, la question du choix n'ayant pas ~t~ soumise au patient transf~r~ en m~decine interne, alors qu'elle l'~tait ~ la totalit~ des patients que le m~decin , trieur ~> voulait transf~rer en milieu g~riatrique. De plus, hombre de ces derniers n'&ait pas aptes ~ refu- ser un transfert &ant donn~ leur condition m~dicale.

E n conclusion : Les critSres de transfert utilis6s par le chef dn clinique du service d'accueil et d'urgence r~pondent plus ~ une appr&iation subjective qu'objective. Un certain nombre de personnes ag&s refusent leur transfert en milieu g6riatrique en rai- son de l'image qu'ils en ont.

I1 devient essentiel de d~velopper ~ l'avenir de nou- velles approches pour tenter de permettre ~t la g&ia- trie de refl&er des images positives pour la soci&~ vieillissante. De plus, il semble souhaitable que leg& riatre s'implique plus dans les processus d&isionnels de transfert ~t partir des services d'accneil et d'urgence.

R~an. Urg., 1993, 2 (3), 273-278

Page 6: Orientation des patients âgés à partir du service d'accueil et d'urgence

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On peut esp6rer que l'6mergence de la g6riatrie comme sp6cialit6 m6dicale ~ part enti~re soit suscep- tible de conduire ~ une meilleure d6finition et recon- naissance de ses fonctions et de ses responsabilit6s sp6cifiques, de mani~re ~ pouvoir 6tablir plus claire- ment les crit~res d'admission appropri6s dans l'une ou l'autre des structures m6dicale ou g6riatrique.

Le probl~me est loin d'etre r6solu. En effet, la m~decine g6riatrique repose sur une distinction d'fige au meme titre que la p6diatrie, mais manque encore des sp6cificit6s lui permettant d'assumer la totalit6 de la population fig6e. D'autre part, une 6ventuelle exclusion des patients de plus de 65 ans de la m6de- cine interne ferait craindre une fonte dramatique de sa << clientele ~, et modifierait probablement la pro- bl6matique m6dicale darts son ensemble. Tout repose doric sur la place que sont amendes ~ prendre la g6ria- trie et la pathologie g6riatrique dans le futur. Le pro- blame des disciplines dites horizontales (p6diatrie, m6decine g6n~rale, g6riatrie par exemple) dolt etre r6solu si l'on veut 6viter de tomber dans les conflits de comp6tences. La m6decine g6riatrique doit choi- sir sa voie entre deux chemins : celui de la compl~- mentarit6 et donc de la collaboration, ou celui de la rivalit6 et donc de la comp6tition.

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