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Architecture-Studio, musée des Sciences naturelles de Lhassa, Tibet, 2015. Laisné-Roussel, Nice Méridia, immeuble de bureaux, Nice, 2015. Véronique Mauger NORME OU PERFORMANCE : LE CHOIX DE L’EXPORT Les carnets de commandes de plus en plus maigres sti- mulent, en France, les désirs d’export. Cependant, le chemin est long entre la volonté de construire à l’étranger et la réalisation de projets en dehors des frontières hexagonales. Selon Alain Trincal, ancien directeur général délégué des Ateliers Jean Nouvel, « une prise de conscience de sa valeur ajoutée et une notoriété acquise dans son propre pays sont les premiers arguments pour être capable de s’exporter ». Ce quinquagénaire dynamique a cofondé en 2015 Talents & Co, un cabinet de conseil qui promeut les talents architec- turaux français à l’étranger en les aidant notamment à développer leur réseau à l’international. Il accompagne aussi bien de gros clients (l’architecte de la Philharmonie de Paris ou Shigeru Ban) que des plus petites structures et il a récemment aidé Françoise Raynaud (Loci Anima) à obtenir la construction d’une tour à New York. Parmi les alternatives, les concours ouverts permettent, plus rarement, aux jeunes agences d’accéder à des commandes internationales. C’est le cas de l’agence Moreau Kusunoki, lauréate du concours pour le Guggenheim d’Helsinki parmi plus de 1.715 candidats ou encore des Parisiens DGT, qui viennent de livrer le Musée national d’Estonie… dix ans après avoir remporté la compétition internationale. Mais ces exemples tiennent plus de l’heureux hasard que d’une stratégie réfléchie. L’étranger est un terrain d’expé- rimentation et « un état d’esprit », selon Dimitri Roussel, architecte associé de Laisné-Roussel, qui collabore avec plusieurs agences de renommée internationale. Si les starchitectes sont appelés pour la force de leur signature, la plupart des architectes qui s’exportent le font en valo- risant leur savoir-faire grâce à des réalisations locales. Architecture-Studio, par exemple, a commencé à conquérir le marché chinois après la construction du Parlement européen, à Strasbourg (1998). Outre les constructions d’envergure, un atout incontes- table pour se faire repérer à l’étranger, « une signature par- ticulière, la culture et l’art de vivre à la française, sans oublier une expertise reconnue en ce qui concerne l’habitat collectif et le projet urbain constituent de véritables cartes de visite », analyse Roueïda Ayache, associée d’AS.Architecture-Studio. Cependant, le secteur reste très concurrentiel, notam- ment face aux Anglo-Saxons dont « le jeu collectif permet de tisser des liens solides entre industrie, ingénierie et architecture », précise Alain Trincal. Des structures comme Arup ou Aecom sont des conglomérats puissants qui embarquent chargés d’affaires, architectes, ingénieurs, consultants pour conquérir l’international. Une culture de la performance beaucoup plus exportable que celle, franco-française, centrée sur la la norme. « Nous sommes bloqués par notre tendance à respecter les normes plutôt qu’à rechercher des solutions innovantes pour atteindre la performance », estime le cofondateur de Talents & Co. D’où la nécessité de s’associer à des structures locales. Ces coalitions sont indispensables pour rassurer les clients, mais aussi pour appréhender sans équivoque le contexte sur place. Documents réglementaires, contrats juridiques, réseaux d’acteurs locaux sont des invariants qu’il faut savoir dé- crypter. C’est ce qui a notamment permis à Studio Milou, fondé par Jean-François Milou, qui dispose de bureaux à Singapour depuis 2008, après avoir remporté le concours de la National Gallery, de développer son marché asiatique. Loin des stratégies de développement bien rôdées des grandes agences internationales, la plupart des structures accèdent aux marchés extérieurs en développant leurs propres tactiques. Capacité d’investissement, expertise et un carnet d’adresses solide sont les fondamentaux pour tenter l’export. Le reste est affaire d’alchimie entre envie, contexte et opportunités. Architecture-Studio, Théâtre national de Bahreïn, Manama, 2012. LA CULTURE DE LA PERFORMANCE EST PLUS EXPORTABLE QUE CELLE, FRANCO- FRANÇAISE, CENTRÉE SUR LA NORME. Dossier P.96 Études de cas

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Architecture-Studio, musée des Sciences naturelles de Lhassa, Tibet, 2015.

Laisné-Roussel, Nice Méridia, immeuble de bureaux, Nice, 2015.

Véron ique Mauger

NORME OU PERFORMANCE : LE CHOIX DE L’EXPORT Les carnets de commandes de plus en plus maigres sti-

mulent, en France, les désirs d’export. Cependant, le

chemin est long entre la volonté de construire à l’étranger

et la réalisation de projets en dehors des frontières

hexagonales. Selon Alain Trincal, ancien directeur général

délégué des Ateliers Jean Nouvel, « une prise de conscience de

sa valeur ajoutée et une notoriété acquise dans son propre pays

sont les premiers arguments pour être capable de s’exporter ». Ce

quinquagénaire dynamique a cofondé en 2015 Talents & Co,

un cabinet de conseil qui promeut les talents architec-

turaux français à l’étranger en les aidant notamment à

développer leur réseau à l’international. Il accompagne

aussi bien de gros clients (l’architecte de la Philharmonie de

Paris ou Shigeru Ban) que des plus petites structures et il a

récemment aidé Françoise Raynaud (Loci Anima) à obtenir

la construction d’une tour à New York.

Parmi les alternatives, les concours ouverts permettent, plus

rarement, aux jeunes agences d’accéder à des commandes

internationales. C’est le cas de l’agence Moreau  Kusunoki,

lauréate du concours pour le Guggenheim d’Helsinki parmi

plus de 1.715 candidats ou encore des Parisiens DGT, qui

viennent de livrer le Musée national d’Estonie… dix  ans

après avoir remporté la compétition internationale.

Mais ces exemples tiennent plus de l’heureux hasard que

d’une stratégie réfléchie. L’étranger est un terrain d’expé-

rimentation et « un état d’esprit », selon Dimitri Roussel,

architecte associé de Laisné-Roussel, qui collabore avec

plusieurs agences de renommée internationale. Si les

starchitectes sont appelés pour la force de leur signature,

la plupart des architectes qui s’exportent le font en valo-

risant leur savoir-faire grâce à des réalisations locales.

Architecture-Studio, par exemple, a commencé à conquérir

le marché chinois après la construction du Parlement

européen, à Strasbourg (1998).

Outre les constructions d’envergure, un atout incontes-

table pour se faire repérer à l’étranger, « une signature par-

ticulière, la culture et l’art de vivre à la française, sans oublier

une expertise reconnue en ce qui concerne l’habitat collectif

et le projet urbain constituent de véritables cartes de visite »,

analyse Roueïda Ayache, associée d’AS.Architecture-Studio.

Cependant, le secteur reste très concurrentiel, notam-

ment face aux Anglo-Saxons dont « le jeu collectif permet de

tisser des liens solides entre industrie, ingénierie et architecture »,

précise Alain Trincal. Des structures comme Arup ou

Aecom sont des conglomérats puissants qui embarquent

chargés d’affaires, architectes, ingénieurs, consultants pour

conquérir l’international. Une culture de la performance

beaucoup plus exportable que celle, franco-française,

centrée sur la la norme. « Nous sommes bloqués par notre

tendance à respecter les normes plutôt qu’à rechercher des

solutions innovantes pour atteindre la performance », estime

le cofondateur de Talents & Co. D’où la nécessité de

s’associer à des structures locales. Ces coalitions sont

indispensables pour rassurer les clients, mais aussi pour

appréhender sans équivoque le contexte sur place.

Documents réglementaires, contrats juridiques, réseaux

d’acteurs locaux sont des invariants qu’il faut savoir dé-

crypter. C’est ce qui a notamment permis à Studio Milou,

fondé par Jean-François Milou, qui dispose de bureaux à

Singapour depuis 2008, après avoir remporté le concours

de la National Gallery, de développer son marché asiatique.

Loin des stratégies de développement bien rôdées des

grandes agences internationales, la plupart des structures

accèdent aux marchés extérieurs en développant leurs

propres tactiques. Capacité d’investissement, expertise et

un carnet d’adresses solide sont les fondamentaux pour

tenter l’export. Le reste est affaire d’alchimie entre envie,

contexte et opportunités.

Architecture-Studio, Théâtre national de Bahreïn, Manama, 2012. LA CULTURE DE

LA PERFORMANCE EST PLUS EXPORTABLE QUE CELLE, FRANCO-FRANÇAISE, CENTRÉE SUR LA NORME.

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to their solid reputation, most exporting architects promote their expertise based on their local cons- tructions. Architecture-Studio, for example, began to build in the Chinese market after the construction of the European parliament, in Strasbourg (1998). Apart from ambitious constructions, which are an unquestionable strength if you want to be noticed abroad “a specific project, French-style culture and l i festyle, not to mention recognized expertise in col lect ive housing and urban projects are real business cards”, analyses Roueïda Ayache, partner of Architecture-Studio. However, the sector is highly competitive, particu-larly faced with the Anglo-Saxon style architects, whose “collective strategy creates powerful l inks between industry, engineering and architecture”, says Alain Trincal. Organizations such as Arup and Aecom are powerful conglomerations who take on board business developers, architects, engineers, and con-sultants to win international projects. This performance culture is much more readily exportable than a purely French one, centred on standards. “We get nowhere through our tendency to stick to standards rather than search for innovative solutions to achieve high perfor-mance”, believes the co-founder of Talents & Co. Hence the need to establish partnerships with local organiza-tions. Coalitions are essential to reassure clients, but also to unambiguously apprehend the context on site. Regulatory documents, legal contracts, local stake-holder networks are constants that need to be deci-phered. This is what enabled Studio Milou, founded by Jean-François Milou, with offices in Singapore since 2008, to develop its Asian market, after winning the National Gallery competition.Far f rom the smoothly operat ing development strategies of large international offices, most organiza-tions access foreign markets by developing their own tactics. Investment capacity, expertise and a good address book are constants in the attempt to export. The rest is a question of a combination between desire, context and opportunities.

EXPORTING ARCHITECTURE

Constantly diminishing order books have led to export aspirations in France. However, the route from desire to build abroad to completing a project abroad is a long one. According to Alain Trincal, former deputy managing director of Ateliers Jean Nouvel, “being aware of your added value and a reputation acquired in your own country are the chief arguments in favour of exporting your work.” A dynamic man in his fifties, he co-founded Talents & Co, in 2015, a consultant’s office promoting French architectural talents abroad and helping them develop their international network. He assists large clients (as Jean Nouvel and Shigeru Ban) as much as he does small organizations and he recently helped Françoise Raynaud (Loci Anima) to obtain the construction of a high-rise in New York.Among the alternatives, open competitions occasionally enable young architects to access international com-missions. This was the case of for Moreau Kusunoki practice, winner of the competition for the Guggenheim in Helsinki, among over 1,715 candidates, or the Paris DGT office, which has just delivered the National Museum of Estonia, ten years after winning the interna-tional competition. However, these examples are more good fortune than a purposeful strategy. Working abroad is a test-ing ground and "a state of mind," according to Dimitri Roussel, associate architect of Laisné-Roussel, a practice working with several internationally renowned agencies. Although starchitects are sought after due

Studio Milou, National Gallery, Singapour, 2015. C’est à l’occasion de ce projet qu’a été créée l’antenne Studio Milou Singapore, active depuis 2010.

Having won the National Gallery competition, the architects created the office Studio Milou Singapore in 2010

E N G L I S H

En haut / Above Studio Milou, Centre international des sciences, Quy Nhon, Vietnam, 2013.

En bas / Bottom Le Centre international des sciences abrite deux salles de conférences encadrées d’un péristyle de béton brut et destinées à accueillir une communauté scientifique internationale.

The International Centre of Sciences has two conference rooms, framed by concrete peristyle, for hosting an international scientific community.

PERFORMANCE CULTURE IS MORE READILY EXPORTABLE THAN A PURELY FRENCH ONE, CENTRED ON STANDARDS.

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