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OUI, IL FAUT SAUVER LE STYLE Le style, donc. Eh bien, plus de style, justement. Plus de place pour le style ! On dit qu’il va mourir. Bientôt. Aujourd’hui, peut-être. C’est une question d’heures. De minutes, dit-on. Ah ! les salauds ! Pardon, mais c’est la vérité. Comment peut-on être aussi « con » ? Et comment tant de commentateurs, comment tel gourou de tel colloque, tels professeurs ou anciens conférenciers, comment l’Ecole Normale Supérieure, bref, comment tant d’esprits raisonnables, dans un de ces laboratoires où se distille l’esprit du temps et où se concoctent les théories à venir, comment ces pas-si-malins génies peuvent-ils accueillir comme une bonne nouvelle, un bon signe, comme le bon débarras trop longtemps différé d’une question trop longtemps difficile, l’essouflement, pour ne pas dire le discrédit, de ce geste magnifique, comment peut-on se réjouir, donc, de l’abandon du style, qui est, en réalité, une calamité, pour ne pas dire une fumisterie ? Peut-être sont-ils hégéliens. Oh, des hégéliens bizarre sans doute ; des hégéliens d’un sous- hégélianisme ; un hégélianisme de bazar ; un de ces hégélianisme douteux qui instruit le procès de l’arasement du style par l’universalisme niveleur des grandes théories dans ces termes où je ne peux pas ne pas songer qu’un rosenweigien pourrait presque reconnaître son pain béni ; mais enfin un hégélianisme quand même. Ah ! croire à la « fin du style », comme on a jadis cru à la fin de l’histoire – pensée adolescente, navrante… J’eus, mois, un réflexe sensiblement différent. D’abord, je n’y crois pas. Je pense : comme souvent, le type même de la mauvaise rumeur, sûrement lancée comme un iceberg depuis la banquise des idées reçues où se fige, forcément, un vieil et sombre glacis d’obsessions et dont on est forcé de penser qu’il s’y joue un bien étrange jeu de l’amour et du hasard, dans cette soupe, dans ce marécage, cette nappe confuse où l’on réchauffe des paroles que l’on croyait oubliées et qui n’étaient, au fond, que gelées. Mais, en fait, non. Le style est bien en train de disparaitre. Ce n’est pas exactement un nouveau Munich. C’est sa version XXIème siècle – lente, par petites touches, plus diffuse, à coups de dissimulations, intimidations, oublis et œillères… Mais je n’y crois toujours pas. Je ne crois toujours pas que l’on puisse penser cela. Je crois même, pour tout dire, exactement l’inverse.

Oui, Il Faut Sauver Le Style

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Discours fictif du sosie de Bernard-Henri Lévy à l'ONU

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OUI, IL FAUT SAUVER LE STYLE

Le style, donc. Eh bien, plus de style, justement. Plus de place pour le style ! On dit qu’il va mourir. Bientôt. Aujourd’hui, peut-être. C’est une question d’heures. De minutes, dit-on. Ah ! les salauds ! Pardon, mais c’est la vérité. Comment peut-on être aussi « con » ? Et comment tant de commentateurs, comment tel gourou de tel colloque, tels professeurs ou

anciens conférenciers, comment l’Ecole Normale Supérieure, bref, comment tant d’esprits raisonnables, dans un de ces laboratoires où se distille l’esprit du temps et où se concoctent les théories à venir, comment ces pas-si-malins génies peuvent-ils accueillir comme une bonne nouvelle, un bon signe, comme le bon débarras trop longtemps différé d’une question trop longtemps difficile, l’essouflement, pour ne pas dire le discrédit, de ce geste magnifique, comment peut-on se réjouir, donc, de l’abandon du style, qui est, en réalité, une calamité, pour ne pas dire une fumisterie ?

Peut-être sont-ils hégéliens. Oh, des hégéliens bizarre sans doute ; des hégéliens d’un sous-hégélianisme ; un hégélianisme de bazar ; un de ces hégélianisme douteux qui instruit le procès de l’arasement du style par l’universalisme niveleur des grandes théories dans ces termes où je ne peux pas ne pas songer qu’un rosenweigien pourrait presque reconnaître son pain béni ; mais enfin un hégélianisme quand même.

Ah ! croire à la « fin du style », comme on a jadis cru à la fin de l’histoire – pensée adolescente, navrante…

J’eus, mois, un réflexe sensiblement différent. D’abord, je n’y crois pas. Je pense : comme souvent, le type même de la mauvaise rumeur,

sûrement lancée comme un iceberg depuis la banquise des idées reçues où se fige, forcément, un vieil et sombre glacis d’obsessions et dont on est forcé de penser qu’il s’y joue un bien étrange jeu de l’amour et du hasard, dans cette soupe, dans ce marécage, cette nappe confuse où l’on réchauffe des paroles que l’on croyait oubliées et qui n’étaient, au fond, que gelées.

Mais, en fait, non. Le style est bien en train de disparaitre. Ce n’est pas exactement un nouveau Munich. C’est sa version XXIème siècle – lente, par petites touches, plus diffuse, à coups de dissimulations, intimidations, oublis et œillères…

Mais je n’y crois toujours pas. Je ne crois toujours pas que l’on puisse penser cela. Je crois même, pour tout dire, exactement l’inverse.

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Et quand bien même on le penserait, qu’est ce qui resterait quand il ne resterait plus rien du style ? Le style pour rien, vraiment ? Le style forcément à vide et dans le vide ? La volonté du rien à l’état pur ? L’absence de style comme style ? La littérature comme une pratique triste et morose, la fumée d’un lointain incendie, une feuille morte sans son arbre, une fureur spectrale et sans objet, un mensonge inutile et qui cesserait de mentir vrai ? Un progressisme, au fond, sans progrès ? Ou plutôt, et cela revient au même, une apocalypse sans lever du rideau ? Bruissement sourd, à la fin, et inaudible, forcément, d’écrivains silencieux mimétiques de leur propre murmure…

Sauf que je l’entendis. En prêtant mieux l’oreille, je l’entends toujours, cet appel du style. Appel sourd… Mais appel quand même. Un appel que j’ai entendu, pour ma part, peut-être parce

que je me résous difficilement au pire , tout au long de ma vie et de mes engagements et qui me hante, encore, aujourd’hui ; peut-être aussi parce que cette mémoire antinazie qui est la mienne, en m’interdisant d’y renoncer sans renoncer à une part de moi-même, m’interdit de renoncer au style ; peut-être enfin parce que je ne me suis jamais senti intimidé par ces opérations de piraterie, de détournement de sens ou de captation symbolique contre lesquelles je me suis toujours, naturellement, dressé. Eh oui.

C’est que, pour le coup, le paradoxe est proprement phénoménal. Et vu d’ici, sur la ligne de crète où je me trouve, à la frontière du Kurdistan irakien, avec les

derniers Peshmergas qui, défendant leur liberté, défendent aussi la nôtre avec leurs dernières munitions, ce paradoxe, cette querelle, cette brouille, cette affaire qui n’en est pas une, donc, confine au grotesque.

Grand malentendu. Bizarre, évidemment. Terriblement bizarre. Et d’autant plus bizarre qu’on ne blague pas, mine de rien, avec le style. Mais justement. Vrai symptôme. Indicateur avancé du pire. Trait d’un visage qui pourrait bien être celui d’une

realpolitik à la française et que l’on peut qualifier, au choix, de lucide, de sécuritaire, ou, comme moi, de néofascisme.

C’est ainsi. Il n’y a pas d’anti-stylisme de gauche. L’anti-stylisme est, lui aussi, le progressisme des imbéciles. Car enfin, étranges, quand même, ces heideggeriens dissidents ignorant l’aletheia des autres –

et je pense ici, surtout, à la canaille Zlavoj Zizek. Vraiment étranges, oui, ces historicistes qui nous auraient dit naguère que l’Esprit absolu était

sur le point d’advenir à soi et qui se mettent à faire l’éloge du désengagement parmi les lenteurs et les douleurs de la contre-histoire, en se taisant d’un silence qui en dit long – et je pense ici, surtout, à Michel Onfray, aux néo-munichois.

Plus qu’étrange, décidément troublante, cette noria de coquins nourris au barthésianisme et à sa prosopoppée du Texte, qui viennent reprocher aux autres leur idéalisme excessif, en disant, quant à eux, adieu au bon sens – et je n’oublie pas, ici, les bisbilles de ce néo-molletisme de gauche, qui est aussi un communisme de droiche.

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Mais, en même temps, pas si étrange que ça. Non. Pas si étrange que ça pour quelqu’un qui, comme moi, signalais cette « barbarie à visage

humain » refoulée à même tous, et je dis bien tous les socialismes, au temps de l’« idéologie française », et qui – c’est d’ailleurs, peut-être, mon péché originnel – voyais déjà dans cette « volonté de pureté » la remontée de cette vieille et nouvelle barbarie qui contamine, aujourd’hui, les meilleures démocraties.

Ici encore, ici plus que jamais, recherche université antifasciste désespérément… J’exagère ? Lisez plutôt – les textes sont là. Car enfin, que la stylistique soit le fascisme de notre temps, que ce fascisme soit animé par des

projets, des idées, une volonté de pureté qui ne se peuvent comparer qu’aux délires nazis, et que le dispositif tout entier soit aussi là, en train de pivoter sur son axe, toujours prêt à s’inspirer du pire, à prendre la forme de n’importe quel discours sombre et à installer au poste de commandement de cette division, de cette séparation, de ce principe de disjonction qu’il s’est tant employé à dissimuler mais que, quant à moi, je nomme de son nom, à savoir la barbarie la plus crasse, et la plus despotique, et la plus consentie, c’est vrai ; c’est même une vérité qu’il est grand temps d’assumer, et d’assumer jusqu’au bout, de vraiment assumer, donc, pour qu’enfin la stylistique rompe avec la part sombre d’elle-même ; et cela, non seulement j’en conviens, mais j’ai été, je crois, l’un des premiers, il y a vingt ans, à l’établir, à établir qu’il est grand temps, peut-être, de rétablir un équilibre minimal entre les barbares et le monde libre.

C’était une parenthèse – mais j’y tenais. Et alors, à partir de là, que faire ? Que faire, contre la stylistique, si elle est si dérobée à la lumière de la vérité ? Où en sommes-nous ? J’y viens... Mais, d’abord, une autre parenthèse, liée à la première – j’y tiens aussi. Car l’avantage, avec cet acte d’oubli du style, qu’il faut bien se décider à appeler par son nom, qui

est un acte révisionniste, c’est qu’il met le curseur où il faut. Ou, plus exactement, c’est qu’il actualise le logiciel : style. Qu’il rappelle qu’avec ce type d’adversaire universitaire, la guerre doit être sans trève et sans

merci. Et puis qu’il contraint chacun, partout, c’est-à-dire dans le monde normalien comme dans le reste

de la planète universitaire, à dire pourquoi il combat, avec qui, contre qui. À la guerre comme à la guerre.

Car justement. Gagnons du temps. C’est l’hypothèse de cette conférence : alors autant l’annoncer tout de go. Il y a un mot qui fait défaut et qu’il faudrait réinventer. Il n’a pas bonne presse, ce mot. Il passe pour le type même du signifiant flottant au sens des mallarméens, ou de l’abstraction

sans pensée au sens des hégéliens. On le dit vain (l’université moderne), quand ce n’est pas vide (Barthes) ou potentiellement et

paradoxalement absolu (le style-religion de Proust et, déjà, de Flaubert).

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Ce mot, c’est le style. Or le style, c’est l’un des beaux mots de la langue littéraire moderne : périlleux, sans doute ; piégé,

évidemment ; mais plutôt moins, tout compte fait, que les deux autres mots de la devise universitaire, et opérant même comme un contre-feu à ce que leur face-à-face aurait, sinon, de mortifère – sans style, l’écriture n’est-elle pas condamnée à reconduire cette stérile mêlée des mots et des méta-mots que pointent, à juste raison, les critiques du textualisme sans limite ? et le style n’est-il pas l’antidote à ce risque totalitaire que les althusseriens conséquents détectent, non sans raison aussi, au coeur de l’idéal de signifiance et de sa passion du rien ?

Ce style n’est pas un mot d’ordre, une stylistique nappée d’une idéologie nouvelle et qui ne dirait, forcément, pas non nom.

Non. C’est un horizon. Ce n’est pas un programme, c’est un idéal, une perspective, une utopie. Ce n’est

pas le troisième terme d’une devise usée jusqu’à la corde, c’est une idée régulatrice qui fait que les deux autres, le texte et le signifiant, conjurent leurs penchants criminels.

Eh oui. Une idée régulatrice. Ou, ce qui revient au même, une aventure. La grande aventure du style, disait Sartre. Ce genre d’aventure immense dont parlait le Sartre des Mots et qui hantait encore celui du Gide

vivant… Aventure immense, oui, la plus immense, la plus belle, mais aussi la plus difficile et la plus risquée de toutes les aventures humaines.

Car enfin, le style, c’est la question qui compte. Ou plutôt : c’est le sujet qui compte. Lui seul. Pour les philosophes, bien-sûr. Ou pour un écrivain, qui, comme moi, essaie d’écrire un peu.

Qui parle, d’ailleurs, quand l’écrivain parle ? Supposons que ce soit lui et lui-seul. Style d’auteur. Style de genre. Mais, aussi, style d’un nouveau genre. Style de tous les jours. Style

du jour, par delà la nuit du sens. Et je veux dire par là plusieurs choses. Qu’il est rare, ce style. Qu’il a pour caractéristique d’être, au sens propre, exceptionnel. Et que c’est, à chaque fois, comme une trouée dans la pensée, une percée dans la langue

ordinaire, une interruption dans l’ordre sage, bien réglé, de l’écriture (non, évidemment, à une stylistique de despote éclairé) ; un je-ne-sais-quoi, en sorte, contre lequel on se « cogne », disait mon maître Lacan (théorie du trognon, du style comme trognon qui résiste à la théorie).

Mais bon. Pour l’heure, il se trouve – et je pense là au sort qui m’a été réservé depuis mes débuts en

littérature – que les hordes de pisse-froids universitaires sont beaucoup plus braves quand il s'agit de gloser sur des paroles gelées que lorsqu'il faut mettre les mains à la pâte, s’engager dans le réel réellement réel et dans l’œuvre d’écrivains conséquents, dans ce mélange de texte et de geste que j’appellais, ailleurs, les « gextes » des vrais aventuriers de la liberté – alors oui, bien-sûr, nous ne parlons forcément pas du même style : ce style-là, ce style universitaire, c’est ce style incertain qui, si bien stylé soit-il, peut être théorisé, ou à demi théorisé, ou théorisé puis rethéorisé, et cela n’importe quand, n’importe comment, comme on veut (sans doute rassemble-t-il en un Style fantasmé les pièces puzzle littéraire ; mais c’est un Style qui ne trouve pas la clé ; c’est un Style idéal ; c’est la froide épopée, parmi ces écrivains bourgeois, des écrivains qui n’en sont pas, des écrivains si littéraires qu’ils sortent de la

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littérature, de cette absence de littérature dans la littérature elle-même – de ce cas, si répandu, et, au fond, si caractéristique de cette littérature bornée qui est la nôtre, campant à part, séparée du monde, séparation qui la condamne mais qui est le vieil apanage de la théorie universitaire.)

Pardon de la simplicité un peu robuste du raisonnement. Mais ceci est une ligne de démarcation que je trace avec Althusser. Althusser, plutôt que Hegel. Althusser, plus que tous, me hante, oui – à chacun ses démons. Mais le fait est là. Et alors ? Alors que faire ? Que faire, si l’hégélianisme ne rompt pas avec son démon de l’absolu ? Un coup de force ? Non. Le contraire. Un demi-tour. Un acte de vérité. Car enfin, reprenons. Telle est la fourche. La question où tout revient. C’est la question que je pose – et il est grand temps d’y répondre, avec deux hypothèses, c’est-à-

dire, peut-être, au fond, trois. Et j’aurai atteint mon objectif quand j’aurai commencé de convaincre que l’université ce n’est pas

d’abord le style. Mieux : que le style, ce n’est pas essentiellement et premièrement de la bimbeloterie. Mieux encore : que ce n’est pas toujours et forcément à une dissertation qu’un beau texte doit

aboutir. Mais enfin que c’est d’abord, premièrement, forcément, une manière de penser et de découvrir

le monde. 1. Alors quand je dis que la première chose à faire est surtout pour les hégéliens de rompre avec

leur démon de l’absolu, je veux surtout dire que ces tragédies en chaine, ce climat d’apocalypse délétaire, ce grand cyclone universitaire, où spiralent – parmi d’autres – quelques-uns des sombres démons de notre temps, peut-être tout cela devrait-il être, pour ceux qui tiennent au style comme à leur foi la plus intime, le point de départ d’une rude et belle campagne au terre de laquelle l’université rompra, enfin, avec la part obscure d’elle-même – et ceci pour dire aussi, pour dire surtout que, si l’université persistait à vivre dans l’idée (textualiste, littéralement textualiste, même si c’est un textualisme libéral) que le style se théorise tout seul, en douce, dans notre dos, sans que les lecteurs s’en aperçoivent ni, encore moins, en soient informés, si cette illusion ne volait pas en éclats, s’il se dissipait ce vieux rêve d’une stylistique pour tous, si le style cessait, en un mot, d’être combattif, oui, il ne faut pas s’attendre à le voir disparaitre pour autant – ceci pour dire, donc, que le style ne change pas, quels que soient les styles, quelles que soient les positions ; que le style est attentif à sa défense et ses contre-attaques ; étonné du trouble qu’il suscite et éprouve en retour ; moins cynique qu’optimiste ; et bouleversé, bien-sûr, non de son évidence mais du doute qu’il suscite malgré lui – et cela, les hégéliens comme les nietzschéens en conviendront ou se contrediront.

Telle est, pour ce nouvel âge sombre qui est le nôtre, la première leçon d’ombre et de lumière. C’est dit. 2. Mais attention ! il y en a une autre. La seconde. Peut-être, au fond, la seule. Je ne sais pas. Mais

ce que je sais, c’est que cette autre voie, la deuxième, c’est celle que j’ai passé ma vie à explorer et à

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laquelle, quarante ans après Les Indes Rouges, écrit dans la grande ombre d’André Malraux, mon vieux maître, et à laquelle je suis en train de revenir à partir d’une méditation qui est aussi une romanquête sur le style – cette voie, je l’appelle la messianique.

Autre voie, autre espoir. Or voilà que les choses basculent. Espoir ? Le mot est fort, bien-sûr. Je le sais. Je sais que cette

voie place le style terriblement haut – c’est sûr. Mais aussi, et inévitablement, cette voie-là, cette grande et belle voie, elle a le mérite de sortir de la pénombre une humanité absente à son passé et à elle-même.

3. Et puis enfin, le style, son existence, la pratique du style, tout cela est l’indice d’une dernière chose. Le style est le rempart, il est le refuge de la dernière vérité des écrivains. Il est l’asile d’une vérité dernière, sans laquelle (et c’est là, proprement, le messianisme) ils ne seraient plus écrivains du tout.

Alors la seule chose que je dis, c’est que si la partie sera difficile et confuse, elle n’est pas perdue. Et la seule chose que je comprends, c’est que la nouveauté de notre époque, la seule, c’est que,

si le terrain du style reste, plus que jamais, celui où j’entends me tenir et vivre, il est devenu celui où je dois guetter, attendre, et, évidemment, défaire mon plus vieil ennemi.

Situation navrante, mais pas tragique. Problématique, mais pas décisive. Et sûrement pas une raison, en tout cas, de céder la place à la canaille – ils ne passeront pas. Je résume, naturellement. Mais enfin, je crois avoir restitué l’esprit du style. C’est aussi simple que cela. Je le sais. Et je sais que la réponse est là – prenez cette clé que je vous donne. Il faut imaginer des stylistes heureux. Il faut un antipari où l’on gagne en misant, non sur l’existence, mais sur l’inexistence d’une

définition du style. La stylistique est à ce prix. Et l’alternative, la seule, c’est le diable universitaire et ses légions de de critiques, qui étaient des

anges et qui sont maintenant des assassins. Alors heureux, qui, comme moi, aime le style. Heureux, vraiment heureux qui peut avoir heureusement ce heurs que de l’aimer, oui. Et plus heureux, qui combat pour l’amour du style Voilà. Nous en sommes là. C’était l’objet de cette conférence. Et le reste viendra à son heure – des stylisticiens, il y en a déjà : mais il en faut plus.