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Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée No 1 février 2007 Au nom du bien

PAGES ROMANDES - Au nom du bien

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Que se cache-t-il derrière la fameuse affirmation « C’est pour ton bien » ? Réunies dans ce numéro de Pages romandes, l’histoire, la philosophie, l’éthique et la psychanalyse apportent divers éclairages sur la propension de certains êtres humains à vouloir « le bien des autres ».

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Pages romandesRevue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée No 1 février 2007

Au nom du bien

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Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mentale et la péda-gogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Conseil de FondationPrésident : Charles-Edouard Bagnoud

Rédactrice et directrice de revueSecrétariat, réception des annonces et abonnementsMarie-Paule ZuffereyAvenue Général-Guisan 19CH - 3960 SierreTél. +41 (0)79 342 32 38Fax +41 (0)27 456 37 75E-mail: mpzunetplus.chwww.pagesromandes.ch

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Parution: 5 numéros par anMi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

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GraphismeClaude Darbellay, www.saprim.ch

Mise en pageMarie-Paule Zufferey

ImpressionEspace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

Crédits photographiques et illustrationsSébastien Gollut, Robert Hofer, Fotolia, Isabelle Vicquéry, Ateliers de la Glâne

Photos de couverture: Robert Hofer

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction.La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

©Pages romandes

Sommaire

Dossier: Au nom du bien

2 Tribune libre: Quand c’est pour ton bien que je t’exploite

Jacques Kühni

3 Editorial Marie-Paule Zufferey

4 Il était une fois la relation d’aide Saül Karsz

7 Entre aide et contrôle, quel travail social? Entretien avec Verena Keller

9 L’éthique dans l’acte d’accompagnement Jean-François Malherbe

11 Au nom de tous les biens Olivier Salamin

14 C’est pour ton bien Louisette! Pierre Avvanzino

16 Quand le bien passe par la douleur Corine Mellana Campiche

17 Il n’y a pas d’aide sans écoute Témoignage de Patricia Graber

18 C’est pour ton bien que je t’aime, fiction Nicolas Couchepin

21 Les cahiers d’un clinicien: Bizarreries du comportement

Claude-André Dessibourg

22 Nouvelles des régions Marie-Paule Zufferey

23 Sélection Loïc Diacon

24 Séminaires, colloques et formations

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Tribune libre

Il m’arrive, assez souvent je trou-ve, d’être capable d’un beau ges-te. Aimable, courtois, serviable et parfois efficace; comme vous et lui là-bas et d’autres encore. Ce beau geste nous le voulons, si possible, élégant et gracieux comme une noblesse d’esprit doublée d’une légèreté d’agir. Jamais, au grand jamais, ce geste n’est suivi par la question élémentaire «mais à qui cela profite-t-il?» Cette question, nous la réservons au crime. Le profit a l’air tellement plus civilisé quand on peut chanter en chœur que c’est pour le bien des faibles et des ignares que l’on agit.Dans le fatras des mémoires et dans le fracas de l’actualité se croisent pourtant un certain nombre de troublants discours. Pour le bien des «sauvages»An de grâce 1545, fondation de la ville de Potosi (Bolivie), dont la mine exploitée dès l’année sui-vante, fournira à l’Espagne les deux tiers de l’argent circulant dans le monde. De 6 à 8 millions d’Indiens et d’Africains y mour-ront entre le XVIe et le XVIIIe siècle.1

Année 2005, loi du 23 février, Assemblée nationale française. «La Nation exprime sa reconnais-sance aux femmes et aux hom-mes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine…». Ce ne sont pas les mêmes lieux ni les mêmes temps ni les mêmes voix. Ce sont des faits coloniaux qui n’ont rien à faire ensemble. D’un côté on évoque la prospé-rité espagnole bâtie sur une mon-tagne de cadavres et de l’autre on évoque l’action civilisatrice des bons colons en dépit des massa-

cres. Il n’en reste pas moins que sont convoquées des idées du bien qui font systématiquement abstraction de l’autre. Pour le bien des filles«Que la femme reste donc dans le rôle magnifique pour lequel elle a été créée. Sa part est déjà subli-me. En forçant son talent elle ne parviendrait qu’à se contrefaire. Elle est bâtie moralement, intel-lectuellement et corporellement pour être mère. De là découle sa dignité. Il n’y a pas de fonction sociale plus grande au monde.»2 En 1925, l’abbé Grimaud qui peut se targuer de vingt ans de di-rection spirituelle de la jeunesse, lutte contre l’émancipation des femmes au nom de leur gloire et pour leur bien.En 2001, un autre chrétien, ac-cessoirement président des Etats-unis, a prétendu servir la cause des femmes afghanes en envahis-sant leur pays. Pour le bien des enfants«En 1848, le Conseil de l’édu-cation du canton de Zurich proposa d’interdire le travail des enfants en âge scolaire et de limi-ter à 12 heures par jour la durée du travail des enfants de moins de 16 ans. La Commission sco-laire de la commune industrielle de Töss prit la position suivante: «On va décidément trop loin. Pendant des années, nos enfants ont travaillé 14 heures par jour dans les fabriques d’ici et cela ne les a pas empêchés non seu-lement de rester en bonne santé, mais encore de croître en stature et en vigueur. (…) Ainsi la loi veut encore réduire la journée de travail des enfants dans les fabriques; mais que feront-ils de leur temps libre, sinon des sot-tises, ce qui certes ne réjouira guère les laborieux habitants de la

commune?» 3

En 2007, vous pouvez essayer d’expliquer à vos enfants que c’est pour leur éviter la délinquance que vous les envoyez à l’usine! En 1848 déjà, il fallait être très borné et très bourgeois pour y croire.Pour le bien des gueuxEn 1936, quand le Front po-pulaire vota les congés payés, il se trouva bien des nantis pour s’alarmer de la santé des ouvriers en vacances, condamnés qu’ils allaient être à l’alcoolisme, par leur incapacité naturelle à affron-ter l’oisiveté.En 2005, l’OCDE réactualise ses directives soutenant le work-fare state en précisant que, pour mieux aider les pauvres, mieux vaut ne pas les aider.4 «Le 31 août 1911, l’anthropolo-gue nord-américain Alfred Louis Kroeber (1876-1960) envoie le télégramme suivant à la prison d’Oroville: «Journaux annoncent capture Indien sauvage parlant langue complètement inconnue. (…) Si histoire vraie, retenez Indien jusqu’à arrivée professeur université d’Etat qui le prendra en charge et s’en portera garant. Affaire importante pour Histoire indigène».

Du fond de sa cellule, l’Indien Ishi, revêtu de la blouse de bou-cher qu’on lui a remise pour cou-vrir sa nudité, est harcelé de ques-tions qu’un groupe de visiteurs lui pose, quand l’ethnolinguiste Waterman vient le récupérer. Ishi est le dernier survivant de la tribu Yana, tribu entièrement ex-terminée par les pionniers blancs à la fin du siècle dernier. Sujet d’intérêt scientifique majeur, Ishi trouvera asile dans les murs du Muséum de l’Université de San Francisco. Pendant quatre ans, il fera partie de la vie du musée. Il recevra tous les dimanches, de deux à quatre heures et demie, les visiteurs désireux de voir le der-nier indien à l’état de nature. Il mourra de la tuberculose, du der-nier don de ses hôtes»5 Je vous le demande, à qui ont donc profité tous ces crimes de bonté?

1Manière de voir n° 90, décembre 2006- janvier 2007.2Futurs époux, ouvrage couronné par l’Académie française, Abbé Charles Grimaud, 1925.3Le mouvement ouvrier suisse, éd. Adversaires, Genève 1975.4Cf. Monde diplomatique, déc. 2006, in «Guerre aux chômeurs!»5Travaille qui peut, éd. d’en bas, 1996.

Quand c’est pour ton bien que je t’exploiteLes troublants discours de l’histoireJacques Kühni, formateur d’adultes, Morgins

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Me voilà bien. Je suis là, à tenter de cerner la notion de bien, et les mots se défilent. C’est bien fait pour moi! Je n’avais qu’à bien réfléchir avant d’accepter un dossier sur ce besoin qu’éprouveraient les êtres humains à vouloir absolument le bien des autres. Le dictionnaire me propose bien quelques définitions. Mais cer-tains termes, trop usuels, ont la fâ-cheuse tendance à flotter, tant bien que mal, à la surface de sentiments qui ne disent pas toujours clairement leur nom. Selon l’encyclopédie donc, est bien tout ce qui est conforme à un idéal, à la morale, à la justice. Fort bien. Mais aussi, tout ce qui est utile, avantageux pour quelqu’un et qui correspond à son intérêt. Nous voilà bien avancés. Le bien commun est-il forcément taillé dans la même étoffe que le bien particulier? Un homme qui a du bien est-il nécessairement un homme de bien? Si les biens de ce monde sont à dédaigner, selon certains, la sagesse des dictons nous invite pourtant à prendre son bien où on le trouve, tout en avertissant par ailleurs qu’un bien mal acquis ne profite jamais! Et pour tout vous dire, j’aurais la plus grande méfiance à l’égard d’une missive qui me serait adressée avec ce paraphe: «Un ami qui vous veut du bien»… Mais les délires sémantiques les plus extravagants ne rendront jamais compte des réalités troublantes qui se cachent derrière le fameux c’est pour ton bien. Mettre à jour quel-ques-unes des raisons profondes et quelquefois inavouables qui nous amènent, un jour ou l’autre, à faire ce genre de déclaration, tel est l’ob-jectif de ce dossier. Parce que les personnes handicapées mentales,

comme les enfants d’ailleurs, sont parmi les êtres les plus démunis face à certains comportements édu-catifs coulés dans la dictature des certitudes. Comment, par exem-ple, travailler à l’autodétermination des personnes handicapées, si l’on est prisonnier, sans même le savoir, d’un préjugé éducatif très répandu, selon Oubaïd¹, qui veut «que l’on fasse éviter au sujet, au nom du bien, les mauvaises rencontres qui le traumatisent et le mauvais objet qui concourt à sa douleur»? Pourtant, il est de notoriété pédagogique que les erreurs et les errances font partie de tout apprentissage... Et ce n’est là qu’un aspect des ambiguïtés qui se dégagent du concept de bien, pour peu qu’on ose s’aventurer à l’interro-ger sans tabou. Aucun bien prodigué à autrui n’est vraiment au-dessus de tout soupçon, surtout s’il est auto-proclamé. Et le don professé jus-qu’au sacrifice peut conduire au vertige, quelquefois même, à la violence...Réunies autour de ce thème, l’his-toire, la philosophie, l’éthique et la psychanalyse apportent quelques éclairages sur cette propension de certains humains à vouloir rageu-sement le bien des autres, et qui constitue l’une des facettes de la relation d’aide. Fait d’actualité², té-moignages et fiction viennent faire écho à ces approches scientifiques en versant au dossier leur lot de ques-tions brutes, concrètes, délicates et intimes.

¹I.Oubaïd, Terre de Cien no 3, p. 24²Lire ci-contre la dépêche AFP: « Les parents d’une handicapée défendent le choix d’arrêter sa croissance »

Edito

Les vertiges de la bienfaisanceMarie-Paule Zufferey, rédactrice

Les parents d’une handicapée défendent le choix d’arrêter sa croissance

Les parents d’une petite Américaine de neuf ans, atteinte d’un grave handicap mental, ont décidé d’arrêter médicale-ment sa croissance physique pour pouvoir continuer à s’occuper d’elle. La petite Ashley, qui vit avec ses parents dans l’Etat de Washington, souffre depuis sa naissance, d’une rare forme d’encépha-lite et son développement mental s’est arrêté à trois mois. Ses parents, qui ont souhaité garder l’ano-nymat, mais se présentent sur leur site internet, comme des diplômés de l’ensei-gnement supérieur, expliquent qu’ils ont cherché le moyen de faciliter la vie de leur fille à mesure qu’elle grandira.Après avoir consulté des médecins de l’hôpital pour enfants de Seattle, les pa-rents d’Ashley ont donné leur feu vert à plusieurs procédures médicales, dont une ablation de l’utérus. Depuis 2004, la petite fille a reçu des doses d’oestrogènes pour accélérer la soudure de ses os, ce qui limitera sa croissance. Les parents assurent que le traitement permettra à leur fille de vivre plus à l’aise lorsqu’elle vieillira, en lui évitant, notamment, de développer des esquarres.«Nous pourrons avoir la joie de la por-ter dans nos bras et Ashley pourra partir en voyage plus fréquemment, au lieu de rester dans son lit à fixer la télévision ou le plafond toute la journée. Nous l’appelons notre «ange de l’oreiller», parce qu’elle est adorable et reste à l’endroit où on la pose, généralement un oreiller», déclarent les parents dans leur bloc-notes en ligne.La nouvelle a suscité de vives réactions de la part de certains groupes religieux, qui parlent d’eugénisme. Le débat a aussi atteint la communauté médicale et a ren-contré un fort écho au sein des associa-tions de personnes handicapées.Les médecins d’Ashley défendent le prin-cipe de son traitement, avançant le fait qu’il permettait à ses parents de mieux s’occuper d’elle.Les parents, quant à eux, démentent fer-mement que leur décision soit un choix de confort pour eux-mêmes. A toutes les critiques émises, ils répondent invariable-ment: «Le but principal est d’améliorer la qualité de vie d’Ashley».

afp/mpz

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Philosophe, sociologue, consultant-formateur en stratégies d’interven-tions sociales et auteur de plusieurs ouvrages, Saül Karsz dirige de-puis �989 le séminaire «Déconstruire le social» à Paris. Dans cet article, il com-mente l’évolution des postures philosophiques dans le domaine du so-cial et leur influence sur la relation d’aide. Après une période à dominante caritative, puis une autre marquée par la notion de prise en charge, Saül Karsz esquisse la pos-sibilité d’une troisième voie, la prise en compte. Mais cette préconisation est-elle réaliste lorsqu’il s’agit de personnes handicapées mentales?

Il était une fois la relation d’aideSaül Karsz, philosophe et sociologue, Paris

La relation d’aide apparaît le plus souvent com-me un synonyme de relation éducative, sociale et médico-sociale; elle est censée exprimer leur quin-tessence, leur raison première et leur visée ultime. Non sans raison, bien entendu. C’est bien une aide que le travailleur social, le psychologue, le méde-cin, et autres professionnels entendent apporter aux personnes prises dans des problématiques psychi-ques et/ou physiques difficiles. Et c’est encore une aide que, pour leur part, ces personnes cherchent auprès des spécialistes... Aide spécialisée, justement, puisque sont mobilisés des compétences et des savoir-faire techniques ainsi que des références et des positionnements éthiques spécifiques. L’aide n’est donc pas à prendre dans son sens générique, général, voire généraliste, tel que le vocable fonc-tionne dans la vie courante. Aider un enfant à traverser une rue passante, ou même s’inquiéter régulièrement des ennuis de santé physique et/ou mentale de quelqu’un, lui fournissant une aide en termes de conseils et de directions pour améliorer son état, ne recoupe pas exactement, ou pas complè-tement, l’acception du même terme dans le domaine social et médico-social. Car il s’agit, dans ce dernier, d’un mot de passe fort prisé, que les professionnels mettent quelques années à s’approprier, et d’une pratique délimitée par des paramètres relativement précis. C’est ce que je voudrais détailler mainte-nant, en me livrant à une brève enquête théorico- politique.Pour commencer à préciser les choses, consultons les dictionnaires. «Action d’intervenir auprès d’une per-sonne en joignant ses efforts aux siens», l’aide «c’est faire avec, et pour quelqu’un, quelque chose qu’il ne peut pas faire seul».1 Ces deux caractérisations ont en commun de solliciter les efforts de l’aidé, son consentement, sinon son adhésion, par où se marque la différence de la relation d’aide d’avec la pure et simple imposition, la collaboration obligée. Même en cas d’aide contrainte (intervention sociale ou médico-sociale sur injonction de justice ou en cas de danger pour soi et pour l’entourage), le déploie-ment de l’aide fait l’objet de quelques négociations avec les destinataires. Aide et accompagnement ont partie liée...Cependant, s’il est question de joindre les efforts de l’aidant à ceux de l’aidé, le fait est que ce dernier peut mobiliser toutes sortes d’efforts, qui ne sont pas tous du même acabit ni ne vont dans la même di-rection. Implicitement ou explicitement, des choix

s’imposent. L’aidant s’y emploie, en décidant lequel des multiples efforts susceptibles d’être déployés par l’aidé il tâchera de fortifier et lequel il s’emploiera à décourager. Un calcul conscient et inconscient est indispensable. Se joindre aux efforts de l’aidé ne va nullement de soi, n’a rien d’une évidence. Cas typique des tutelles et curatelles: l’aidé ne manque certainement pas d’efforts (en se livrant à des dé-penses inconsidérées, en recherchant des situations de danger, en se laissant dépérir), mais manque plutôt de discernement, de «réalisme». Or, toutes et chacune de ces catégories relèvent de l’appréciation du Conseil de famille, du tuteur, de l’autorité com-pétente, de ce que dans une société donnée, dans une couche sociale donnée on tient pour normal et pour anormal, pour tolérable et pour intoléra-ble. Déduisons que sans être contrainte, l’aide reste indéfectiblement sélective: l’aidant joint ses efforts uniquement à ceux des efforts de l’aidé que lui-même et d’autres (mais pas nécessairement l’aidé) tiennent pour positifs, constructifs, pertinents. Ceci expliquant, par exemple, que l’aide apportée en ma-tière d’euthanasie demeure illégale.Paradoxe que la seconde définition ci-dessus rend davantage visible. Faire quelque chose qu’autrui ne peut pas faire tout seul suppose que l’aidant a une connaissance relativement claire de ce que l’aidé souhaite, de ce dont il a besoin, de ce qu’il est ca-pable ou au contraire incapable d’accomplir. Du bien d’autrui, de ce qui est bon pour lui, ce dernier n’en est pas au courant, ni à même de l’obtenir par ses seules forces. Paradoxe d’autant plus prégnant qu’il serait malaisé de repérer les situations dans les-quelles chacun - patient ou médecin, personne en difficulté ou travailleur social - fait tout, tout seul... Cependant, si peu ou prou chacun a toujours be-soin d’aide, celle-ci ne prend pourtant pas la forme d’une relation d’aide à caractère éducatif, social ou médico-social.Pour qu’une telle relation se mette en place, c’est-à-dire pour que l’aide relève, non pas du sens com-mun, mais du domaine social et médico-social, une condition sine qua non est requise. Condition sou-lignée par les deux définitions ci-dessus. En effet, l’une et l’autre mettent en scène deux personnages spécifiques, à nul autre semblables: l’aidant et l’aidé, appellations parfaitement usuelles au demeurant, banalisées et banales, mais qu’on aurait grand tort de prendre pour des truismes. Il s’agit de termes singulièrement codés. Chacun à sa manière, aidant

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et aidé, ont à satisfaire des réquisits donnés, à assumer des rôles déterminés, à déployer un certain genre d’efforts. On ne s’improvise ni aidant ni aidé. Fournir de l’aide (au sens générique) ne garantit pas de devenir aidant (au sens social ou médico-social). Demander de l’aide n’implique pas de l’obtenir, encore moins de décrocher celle que le demandeur souhaite.A partir de là, quelques ponctuations vien-nent préciser la relation d’aide.Celle-ci constitue une relation interperson-nelle socialement agencée. Relation interper-sonnelle, puisque les différents aidants sont loin de déchiffrer à l’identique les demandes qui leur parviennent, de se faire la même re-présentation de leur fonction et de mobiliser les mêmes paramètres, y compris en termes d’investissement subjectif. Schéma com-parable chez celui qui cherche une aide. Il n’adresse pas exactement la même demande selon les compétences qu’il accorde à l’aidant, les pouvoirs qu’il lui suppose, la sympathie, voire le transfert à son égard. Ce qui ne va pas sans conséquences très concrètes: selon les situations, l’aide demandée et l’aide obtenue diffèrent plus ou moins fortement, carences à colmater et ressources à mettre en branle ne se ressemblent guère.Relation socialement agencée, puisque ces

personnes en chair et os que sont l’aidant et l’aidé représentent en même temps des per-sonnages investis par des modèles, des idéaux, des principes. Leur relation est labourée par des conceptions quant à ce qui est normal, ce qui l’est moins, ou pas du tout; elle est prise dans des idéologies de la dépendance et de l’autonomie, de la maladie mentale et de la santé, des idéologies de l’aide, des objectifs à atteindre dans l’aide, des rôles et fonctions de chacun....Deux modalités typiques et typées jouent ici un rôle déterminant: la relation d’aide peut être à dominante caritative ou bien à do-minante prise en charge. Deux versants qui n’existent pas chacun de son côté, étanches l’un à l’autre; charité et prise en charge se trouvent simultanément présentes dans cha-que relation d’aide concrètement développée, mais à des doses différentes selon les cas.2

Dans la relation d’aide à dominante caritative est aidant celui qui fait don de prestations diverses autant que de son attention la plus complète, voire de sa personne. Il est en po-sition de nanti: pas forcément économique, mais quant à ses certitudes, à son dévouement et aux raisons de son dévouement, à son souci envers autrui. Parfaitement au fait de ce qui est bon et ce qu’il ne l’est pas. Convaincu que si tout humain a des droits et des devoirs,

pour des raisons psychiques et/ou physiques tous n’y accèdent pas. Il est donc engagé dans un combat sans relâche: la relation d’aide convoque une irrépressible vocation à laquelle il ne saurait aucunement se soustraire. D’une certaine manière, sa vie (pas que profession-nelle) en dépend. Aider relève d’une entrepri-se missionnaire. Pas forcément religieuse, au demeurant: une certaine laïcité s’accommode fort bien de la pitié envers autrui considéré comme démuni, dépendant, soumis à des ca-rences diverses et variées. L’aidé, en effet, est celui qui reçoit, qui bé-néficie, qui ne peut que bénéficier de ce qui lui est octroyé. Il a besoin d’être aidé parce qu’il pâtit de son autonomie limitée, de sa capacité d’initiative réduite. Il mérite d’être aidé dans la mesure où il est censé vouloir s’en sortir: en règle générale, on l’appelle «personne». Soit, justement, le cas exemplaire de la «personne handicapée»: là où, dans des sociétés dites civilisées et dans des temps re-lativement proches, difformes, éclopés, in-firmes et autres originaux faisaient l’objet de traitements passablement mortifères, l’ap-pellation de «personne handicapée» marque une véritable avancée historique et politique.

1Respectivement, Petit Robert et Dictionnnaire critique de l’action sociale (Paris, Bayard, 1995, p.35)

2Cf. Saül Karsz, Pourquoi le travail social? Définition, figures, clinique (Paris, Dunod, 2005)

Présentation de l’ouvrage en page 23

©Fo

tolia

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Tendance renforcée par des appellations récen-tes: «personne en situation de handicap» ou, plus usuelle dans les pratiques à orientation caritative, «personne avec handicap». Il n’en reste pas moins que l’orientation caritative rend malaisé de prendre en compte que ces personnes - handicapées ou pas - sont des êtres sexués animés de désirs et de fan-tasmes, porteurs d’opinions et d’engagements idéo-logiques, d’options politiques... Malaisé alors de comprendre que le bénéficiaire résiste au bien qu’on lui souhaite.Malaise semblable dans la relation d’aide à domi-nante prise en charge. L’aidé est supposé en posi-tion de fragilité, précarité, souffrance; il est réputé ne pas bien savoir ce qui lui arrive, ni les ressorts à mobiliser pour améliorer son sort. Il revient alors à l’aidant d’activer différentes sortes d’allocations et de ressources. La prise en charge peut ainsi se met-tre en mouvement, qui consiste à conduire autrui là où il faut qu’il parvienne, de préférence avec son consentement... L’aidant est en position d’exper-tise, de savoir, sinon de tout-savoir. Ce qui souvent correspond aux attentes des tutelles administratives et même du demandeur d’aide. Il arrive cependant que la prise en charge réveille des louvoiements et des réticences chez le bénéficiaire potentiel. Deux scénarios deviennent alors possibles: tenir ces réti-cences pour des anomalies à aplanir au plus vite, ou au contraire entrevoir la possibilité d’une nouvelle voie, qui relève de la prise en compte.Dans celle-ci, l’aidé n’est pas tant une personne (eu égard aux connotations ci-dessus) qu’un sujet censé savoir, à sa manière, ce qui lui arrive et comment gérer ce qui lui arrive. Enjeu: non plus de faire pour lui, ou mieux que lui, mais de faire avec lui, l’ac-compagnant dans le cheminement qui est le sien, dans lequel il ne peut que prendre des risques, sim-plement parce qu’il est vivant. Non plus intervenir au nom du bien, c’est-à-dire de ce que l’aidant et les modèles hégémoniques ont décrété comme tel, mais en prenant appui sur le discours et les pratiques de l’intéressé, en se laissant enseigner par lui, y compris par ses erreurs et ses errances. L’aidant cesse d’être celui qui sait mieux, pour devenir celui qui sait autre chose, et différemment... Dans ces conditions, il s’agit de soumettre à débat les décisions prises, en gardant en vue que si, de fait, il faut toujours choi-sir une orientation, celle effectivement choisie n’est jamais la seule possible: sa mise en perspective cri-tique, condition de sa rectification raisonnée, reste de rigueur. Et s’il s’agit toujours d’aider, il n’est pas certain qu’on puisse parler encore de relation d’aide, au sens caractérisé ci-dessus... En d’autres termes, la prise en compte suppose de savoir qu’entre l’aide demandée et l’aide fournie subsistent d’inexorables décalages, des non correspondances significatives, des hiatus plus ou moins importants. C’est ce que les insatisfactions des destinataires ne cessent d’ex-primer. Cela dit, ces préconisations sont-elles réalistes quand on a à faire avec des personnes handicapées menta-

les? Pas simple, en effet. Gardons-nous des réponses triomphalistes, purement rhétoriques, tout en rap-pelant cependant qu’avec les sujets dits normaux, bien dans leur peau, insérés professionnellement et socialement, les choses ne sont pas obligatoirement simples non plus! Dans tous les cas, des révisions plus ou moins déchirantes s’imposent, quant au sta-tut de la santé et de la maladie, de ce qui est normal et de ce qui est censé ne pas l’être, de la société dans laquelle nous vivons. Ou survivons. Nécessité alors de questionner le préjugé courant d’après lequel souffrances et fragilités seraient toutes entières logées du côté de l’aidé, celui-ci ne connaissant d’autres joies que celles - plutôt frustres, sinon infantilisantes - qu’on lui consent. En supportant ce fait que l’aidé a autant besoin de l’aidant que celui-ci de celui-là, en principe pas pour les mêmes raisons, ni en fonc-tion de la même logique. Mais l’un et l’autre restent solidaires, en dépendance réciproque.D’où cette moralité: la situation de l’aidé ne suffit à déclencher de l’aide ni à motiver durablement l’aidant, sans l’intervention agissante de modèles so-cioculturels précis, soit d’orientations et de prises de parti, de politiques et d’économies politiques qui, par définition, ne sauraient se prétendre neutres. Or, plus la prégnance de ces modèles est méconnue, et plus la charité accapare le devant de la scène.

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Entre aide et contrôle, quel travail social?Entretien avec Verena Keller, enseignante et chercheuse, HETS, LausanneInterview réalisée par Marie-Paule Zufferey

Parlons d’abord du cadre général. Une insuffisance chronique de moyens semble caractériser la période actuelle, s’agissant du travail social. Mais les moyens mis à disposition ne disent-ils pas quelque chose d’une fin programmée, d’un projet de société?

Le travail social est lié à un certain type de société. Il est né ou s’est fortement développé dans les périodes où les sociétés capitalistes étaient en croissance et semblaient assurer le bien-être et un avenir radieux pour tous. Cette perspective d’une société riche n’est plus d’actualité aujourd’hui; donc le travail social est aussi en difficulté, mais pas uniquement par faute de moyens. Contrairement à ce qu’on peut penser, les moyens du social augmentent, et continuent d’augmenter. En lisant les comptes glo-baux de la protection sociale, qui sont un des in-dicateurs de la croissance du social et de la santé, comparables au niveau européen, on s’aperçoit que la Suisse a rattrapé son retard. Elle qui trônait dans les dernières places, est maintenant tout à fait bien notée, puisqu’un tiers de son PIB est aujourd’hui affecté à la protection sociale. Non, ce qui explique le sentiment de mal-être de beaucoup de travailleurs sociaux vient, selon mes observations, davantage d’une pression idéologique et politique. Il s’agit aujourd’hui de rendre des comptes, de montrer des résultats, d’attester de son efficacité ou de son efficience.

Ce qui revient à poser la question de l’objectif du travail social…

En effet. Si la mission du travail social est de rendre tout le monde heureux et épanoui, pouvant partici-per à la société, évidemment on n’y arrivera pas! Si le but est d’atténuer, un peu, la pauvreté et la souffran-ce, je crois que c’est possible… Malgré les critiques qui lui sont adressées, il faut reconnaître que notre pays a encore une bonne couverture sociale. Ce n’est peut-être pas suffisant et vraisemblablement, la so-ciété n’est pas en mesure d’offrir à toutes les person-nes la place qu’elles souhaiteraient, mais il n’est pas juste de dire que la société ne fait rien…

Le travail social, dites-vous, est écartelé entre deux missions contradictoires. D’une part, il est appelé à mettre en œuvre la solidarité sociale et d’autre part, il est une puissante instance d’autorité et de contrôle. Peut-on craindre un basculement de l’équilibre dans le

sens d’une diminution de la part d’aide au profit de la fonction de contrôle ou de normalisation?

Il y a toujours un risque. Cela dit, dans les milieux du travail social, on a tendance à angéliser et à em-bellir le passé. Il n’était pas forcément plus agréable d’être pauvre il y a 50 ou 100 ans! Sous le vocable de pauvre, il faut ranger toutes les personnes qui n’étaient pas en mesure de subvenir à leurs besoins: les vieux, les malades, les handicapés, les veuves, et autres enfants sans famille. Le contrôle sur ces gens-là était extrêmement fort, violent même, in-terdits qu’ils étaient, par exemple, de mariage, de libre établissement et j’en passe… Le travail social a souvent nié ces aspects de contrôle, de discipline et de normalisation. Ce qui lui revient maintenant un peu comme un boomerang…

Est-ce à dire que les travailleurs du social ont de la peine à assumer cette mission de contrôle?

C’est plutôt le contexte qui a changé. Dans les années 70, il était facile de prôner l’égalité. Nous étions dans des années de croissance; il y avait de l’argent. Personne ne s’intéressait au travail social, qui a alors conquis une certaine liberté, ayant peu de comptes à rendre. Aujourd’hui, le regard sur les différentes institutions s’est durci. Du moment que la société paie, elle pense être en droit d’attendre des effets concrets du travail social: la pauvreté de-vrait diminuer, l’exclusion également et la violence des jeunes, aussi. Il s’exerce sur le travail social ce qu’on peut appeler une pression au résultat. Or ce résultat ne peut pas être atteint, étant donné que les problèmes se posent bien en amont et en dehors du travail social! Les problèmes d’inégalité, de chô-mage, de formation; les difficultés d’avoir un projet de vie dans une société comme la nôtre… C’est la société elle-même qui crée ces problèmes et qui les délègue ensuite au travail social. Du moment que ce dernier n’arrive pas à les résoudre, il est accusé d’être la source du problème. Peu préparés, héroïques parfois, les travailleurs sociaux prennent cela à leur compte. C’est cette responsabilité qui est difficile à assumer. S’y ajoute un autre aspect encore. L’esprit de notre temps veut que l’individu soit seul respon-sable de ce qui lui arrive, qu’il s’agisse de ses réussites ou de ses difficultés. La pression sur les travailleurs sociaux comme sur leurs usagers et usagères est dès lors très forte puisqu’ils acceptent de croire qu’ils

Auteure de l’ouvrage «Aider et contrôler. Les controverses du travail social», Verena Keller partage ses analyses sur les problèmes actuels du «travail social», cible de bien des critiques. Zoom sur des relations d’aide forcément influen-cées par des conditions socio-politiques en (r)évolution et regard sur de possibles avenirs.

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peuvent maîtriser leur sort. Or, il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir …

Les exigences d’efficacité en cours d’intensifica-tion ne risquent-elles pas de produire des édu-cateurs enclins à imposer leur réponse aux per-sonnes ayant besoin d’aide, sans prendre le temps d’entendre la demande de l’autre? Avec comme corollaire, un amoindrissement de la relation?

Lorsqu’on contractualise plus, qu’on fait re-poser les prestations sur des concepts plus ad-ministratifs, bien sûr, il y a moins de relation. Mais nous voilà à nouveau en présence d’une mystification, cette fois de celle du concept de relation, autant par rapport au passé qu’en ce qui concerne les demandeurs. Un exem-ple. Dans le cadre d’une recherche récente, nous avons réalisé une trentaine d’interviews avec des bénéficiaires de l’aide sociale. Il est très intéressant de voir comment ces person-nes parlent de leur assistant social. A deux exceptions près, aucune d’elles n’en a cité le nom. Elles invoquaient un rapport neutre et institutionnel, en termes de: «On m’a pro-posé, ils m’ont dit de…».

Tout cela sur une toile de fond tout à fait po-sitive, par ailleurs, plutôt contents de l’aide reçue. La première demande n’est donc pas nécessairement une quête de relation. En revanche, la première envie de beau-coup de travailleurs sociaux, ainsi que de nos étudiants et étudiantes, est justement de construire une relation. Et cela devient quel-que chose de très compliqué et de très difficile pour les deux parties. Le travailleur social est frustré si la personne ne veut pas de son offre relationnelle. Alors que l’usager attend une prestation concrète et fiable, une information, une orientation, une aide matérielle. Qu’on rende cette prestation avec respect et gentilles-se, cela va de soi, mais on n’est pas centré sur la relation. Imposer une relation, un contact proche, durable, profond, où la personne doit se livrer dans ses sentiments ou son vécu in-time, peut devenir quelque chose d’extrême-ment intrusif. C’est une violence très grave, très importante faite à l’égard d’une personne en difficulté. Dans la mesure où cette dernière n’est pas demandeuse, on n’a pas à imposer une telle proximité relationnelle. Le travail est souvent considéré comme une panacée aux problèmes de marginalité. Les théo-ries de normalisation n’auraient-elles pas été in-ventées pour justifier la mise au travail des per-sonnes handicapées dans une société où le credo dominant est la productivité?

La mise au travail est un débat très ancien… L’individu doit-il être libéré du travail ou au contraire, doit-il se libérer dans le travail? Est-ce un bien que de pouvoir travailler ou est-ce un malheur? Les sociétés successives ont donné des réponses très diverses à ces questions. Dans la Grèce ancienne, le travail était réservé aux esclaves… Toute la question est donc de savoir quelle participation à la vie en société nous préconisons. A tant évoquer le spectre de l’exclusion, on a un peu oublié de s’intéresser au travail réel, fait de travail sur appel, de bas salaires, de densification des rythmes du travail. Nous vivons une période d’insertionnisme à tout va. Il serait important de nous reposer aujourd’hui un certain nom-bre de questions essentielles. Que ce soit pour les personnes avec un handicap ou pour toute autre personne, d’ailleurs… Est-ce qu’un atelier protégé est une chose positive? Sou-haitée par la personne? Quel atelier protégé? Qu’est-ce qui doit s’y passer? Quelle recon-naissance? Quel salaire? Quelle formation? Pour quel épanouissement? Quelle produc-tion? Les questions ne manquent pas. On ne peut pas affirmer: «L’emploi est bon et l’inac-tivité est mauvaise». Ce n’est pas du tout aussi simple…

Iriez-vous jusqu’à dire que le travail social est sur son déclin?

Peut-être, avec le déclin des Trente glorieuses, puisqu’il était fortement lié à cette période où on pouvait se le permettre. Aujourd’hui, les collectivités publiques sont moins riches (alors que les fortunes privées des plus riches augmentent), il faut donc trouver d’autres solutions…

Quel avenir voyez-vous pour le travail social?

Je ne sais pas très bien vers quoi il va. J’ai essayé, comme d’autres auteurs, de modéliser les trans-formations en cours et j’en ai trouvé trois de possibles:Le premier modèle pourrait s’apparenter à une sorte de «nouvelle charité»: soupes po-pulaires, ventes de journaux des SDF, cartons et restos du cœur et autres bals de charité qui ont le vent en poupe. Il suffit de vouloir du bien aux personnes pour être à même de conseiller, d’apporter une aide. C’est l’ère de la déprofessionnalisation et en même temps celle de la médiatisation: journaliste, politi-cien, n’importe qui peut lutter contre l’exclu-sion. Le problème est qu’il n’y a pas d’espoir de changement, puisqu’on n’interroge même plus le pourquoi de la pauvreté ou du mal-heur qui est arrivé…Le deuxième modèle a des allures plus poli-cières. Les travailleurs sociaux sont appelés dans les préaux des écoles et autres centres de loisirs, afin d’éviter la violence entre les jeu-nes. Dans les grandes villes alémaniques mais aussi romandes, on engage des travailleurs so-ciaux pour éviter qu’il y ait des heurts entre les passants qui font leurs courses et les «margi-naux» ou les toxicomanes qui zonent. Quel-que chose comme un contrôle social fort sur certaines populations qui font peur…Et puis il y a une troisième évolution et c’est celle que je souhaiterais. C’est le re-dé-veloppement de l’état social, avec un souci d’égalité de traitement, de justice sociale, de redistribution. Il s’agit de réinscrire le travail social dans sa fonction de défense des droits humains fondamentaux. Informer les person-nes en situation de fragilité, accompagner, donner accès à des possibilités qu’offre heu-reusement notre société, voilà pour moi le rôle et la mission du travail social. Dans ce modèle, la relation d’aide n’est pas première, mais si une personne vient avec une quête de relation, alors le travailleur social doit avoir les compétences pour fournir la prestation demandée… Avant tout, dans ce modèle, le travailleur social offre un service public de haute qualité.

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L’éthique dans l’acte d’accompagnementJean-François Malherbe, professeur d’éthique et de philosophie, Université de Sherbrooke, Québec

La «relation d’aide» consiste à accompagner un sujet affronté à sa propre souffrance et à lui proposer à cette occasion de l’assister dans son travail d’auto-engendrement, dans le labeur de son «devenir-soi». Il est souvent préférable de recevoir de l’assistance lorsque c’est dans la souffrance que l’on donne naissance à soi-même, c’est-à-dire à un être qui dit «je» à juste titre. Je compare volontiers l’aidant-e à une sage-femme ou à un obstétricien et l’aidé-e à une parturiente. Je serais même tenté, si cela ne paraissait pas trop saugrenu, de mettre ce dernier substantif au masculin: un «parturient». Tant il est vrai que donner naissance à soi-même est une tâche essentielle qui ne fait pas acception du sexe du sujet concerné. En ce sens, la relation humaine fonda-mentale est une relation d’aide. Elle participe de ce travail par lequel, tour à tour parturiente et obstétri-cien, nous nous donnons naissance à nous-mêmes dans la réciprocité. Plus précisément, on pourrait dire que la relation humaine fondamentale est faite de deux relations d’aide réciproques.La «relation d’aide» est un cas particulier de cette re-lation fondamentale. Sa particularité consiste en ceci qu’elle est asymétrique: il y a un sujet qui demande de l’aide et un autre qui la lui accorde au titre d’un statut particulier: parent, éducateur, soignant, com-pagnon de route, etc. Dans le domaine de la santé, une relation d’aide a pour but de réinvestir subjec-tivement le «corps machine» du sujet (c’est-à-dire le corps que le sujet «a»), de soutenir le sujet à habiter le corps qu’il «est». Dans le domaine des relations d’aide, ce sont les pa-roles vives qui appellent la guérison. La parole vive est une parole qui fait surgir un sujet là où l’on ris-querait de ne voir qu’un objet destiné à la mort: un cadavre en sursis. Quand une parole fait vivre, elle suscite l’autre comme sujet de sa propre guérison à laquelle concourt le juste geste thérapeutique. C’est faute de sa juste réappropriation au sujet que l’ob-jectivation se transforme subrepticement en objec-tification. C’est, par exemple, le cas – fréquent dans le domaine de la santé mentale - lorsque le «faible» (l’aidé) n’a rien à dire (ou ne sait pas dire) et que le «fort» (l’aidant) sait (ou croit savoir) ce qui est bon pour l’autre… La parole vive est aussi nécessaire que la médication et le geste justes car, faute de parole vive, le médica-ment et le geste, si justes soient-ils, ne s’inscrivent pas de soi dans un désir de vie. L’art d’aider, ne serait-ce pas en définitive l’art de prononcer, autour des actes

techniques les plus empreints de justesse, ces paroles vives qui suscitent, accompagnent et soutiennent le sujet dans la réalisation de son désir de guérison?

L’éthique

L’éthique, c’est le travail que je consens à faire avec d’autres dans le monde pour réduire, autant que faire se peut, l’inévitable écart entre mes valeurs affichées et mes valeurs pratiquées. Le mot «travail» est entendu ici au sens très fort qu’il a dans l’expression qui désigne une parturiente com-me «femme en travail». Il s’agit d’un acte qui donne naissance à quelqu’un-e, d’un acte inaugural, d’un acte personnel. Et pas simplement d’un travail d’exé-cution auquel on se plierait plus ou moins mécani-quement et sans grande créativité. Ce travail, chacun est invité à y participer. Mais chacun a également la possibilité de refuser l’engagement qu’il requiert. Il y aura toujours des individualistes à tout crin qui placeront leur subjectivité au dessus de la règle. Et il y aura toujours des légalistes qui protégeront leur fragilité derrière la lettre de la règle. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour refuser de contribuer à la recherche d’une tierce voie entre subjectivisme et légalisme. Certes, chacun peut accomplir un tra-vail personnel pour affiner sa jugeote. Mais la voie la plus féconde pour transformer son propre «gros bon sens» en «bon sens raffiné» reste la discussion critique menée entre pairs, discussion qui se caractérise par ce que le philosophe Karl Popper a appelé l’ «inter-subjectivité critique». Entre l’idéal et la réalité, il y a toujours un écart. Il n’y a pas lieu de s’en scandaliser car l’humaine condition est ainsi faite que nous ne sommes jamais complètement à la hauteur de nos ambitions, même les plus légitimes. Mais notre défi n’est pas tant d’être parfait que de nous inscrire dans une tension positive vers le meilleur. Certains nient l’existence de l’écart susmentionné: les idéalistes qui ne voient que les affiches et les sacralisent au point qu’elles forment un écran qui leur donne l’illusion d’être protégés de la réalité. Et les cyniques qui ne considèrent que les pratiques et font fi de toutes les affiches ou, même, s’en servent «machiavélique-ment» pour dissimuler aux yeux des autres leurs douteuses pratiques. Nier l’écart en absolutisant l’un de ses pôles, c’est refuser le travail de l’éthique (même si on met ses affiches en vitrine). Assumer positivement la tension de cet écart en travaillant à le réduire: tel est le travail de l’éthique. Ce travail

Toute situation d’aide implique l’existence d’une relation asymétrique: l’un des sujets a besoin d’aide et l’autre la lui accorde au titre d’un statut particulier. Si l’éthique est une posture qui permet de corriger quelque peu ce déséquilibre relationnel initial, elle est aussi, selon Jean-François Malherbe, un «travail qui tend à réduire l’inévitableécart entre les valeurs affichées et les va-leurs pratiquées».

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est interminable. La raison en est que nous n’avons pas prise sur tout. Bien des réalités restent hors de portée de nos possibilités de les transformer. C’est ce qu’Aristote appelait la nécessité qui caractérise ce qui ne peut pas être autrement qu’il n’est. Le philosophe dis-tinguait cependant de la nécessité la contin-gence qui caractérise ce qui pourrait être autrement qu’il n’est. Et il recommandait de ne pas nous dépenser vainement à tenter de changer la nécessité, d’accepter ce que nous ne pouvons changer; mais tout à la fois de concentrer nos forces à changer ce qu’il est en notre pouvoir de modifier. Cette humble détermination revient à assumer la finitude de notre humaine condition. Cela en décourage certains qui, tels des adolescents capricieux, «veulent tout, tout de suite et plus encore». Mais c’est le signe d’une réelle maturité que de faire la part des choses et de ne pas avoir, comme on dit familièrement, «les yeux plus grands que le ventre».Comme on s’en aperçoit, le travail de l’éthi-que confine à la «spiritualité».

Celle-ci ne se réduit cependant pas à de l’éthi-que pratique. Quelle est donc leur différence?

La spiritualité

La spiritualité est ce travail sur soi que consent à faire un sujet qui, par delà la cohérence exigée en éthique, tente d’advenir à Soi «en vérité» c’est-à-dire de s’accueillir lui-même dans sa propre inépuisabilité. Bref, c’est le rapport que ce sujet s’autorise à sa propre «surprenance».Socrate semble avoir distingué son «daimo-nion» de son «personnage» social. Selon Pla-ton, le «démon» de Socrate est comme «une voix sans mots» qui l’avertit des erreurs à ne pas commettre mais sans pour autant jamais lui dire «quoi faire»! Dans les pièces de Sopho-cle, d’Eschyle et d’Euripide, pour ne citer que les plus grands parmi les «tragiques» grecs, les acteurs portaient un masque qui avait trois fonctions: servir de porte-voix; permettre aux spectateurs d’identifier du premier coup d’œil le rôle que tenait l’acteur qui le portait; et at-tirer l’attention des spectateurs sur ce rôle que jouait l’acteur tout en masquant le sujet qui tenait le rôle. Les Grecs appellaient «prosô-pon» ce masque, substantif que les Romains traduisaient à l’aide du mot latin «persona» qui a donné en français les mots «personne» et «personnage». Hannah Arendt également qui, dans une veine très socratique, oppose: l’«auteur» qui a composé une pièce de théâtre et l’«acteur» qui joue la pièce.La problématique du Soi et du masque va plus loin encore que celle de l’éthique. En éthique, il s’agit de réduire l’écart entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Dans un cheminement spirituel, il s’agit de nous accueillir nous-mêmes chaque fois que nous nous surprenons nous-mêmes. Il s’agit, pour chaque sujet, de se laisser deve-nir soi au creux même de l’écart entre ce qu’il dit et ce qu’il fait.Le masque, c’est notre façon d’apparaître aux autres et à nous-mêmes, que nous avons bricolée au fur et à mesure que nous avons dû «négocier» notre survie dans un milieu qui ne répondait pas à nos désirs. Pour fa-briquer ce masque, le seul matériau dispo-nible était le «jeu de langage familial» dans lequel nos aînés nous ont raconté le «roman familial». Notre bricolage a consisté à racon-ter l’histoire à notre tour, en nous y faisant «une place au soleil», en nous y donnant un «rôle» à jouer. Ce «rôle», c’est notre mas-que. Le travail du masque consiste non pas à nous débarrasser du masque, qui nous colle à la peau, mais à amincir et rendre translu-cide ce masque de façon que notre Soi puisse rayonner à travers avec le moins d’entraves possible.

C’est dans la présence «maïeutique» de l’autre (l’autre est l’accoucheur ou la sage-femme qui aide à faire naître le Soi à travers le masque), différent et équivalent, que le Soi apprend à respecter les trois interdits instituteurs de l’humanité, à assumer sa solitude, sa finitude et son incertitude, à cultiver la solidarité, la dignité et la liberté des autres et de soi. Bref, à devenir autonome. C’est par le travail du masque que le Soi devient sujet de sa propre histoire au lieu d’en rester le jouet.Nous commençons tous par apprendre la musique en faisant des gammes, puis en nous efforçant d’exécuter une partition dont nous ne sommes pas le compositeur. Il n’y a aucune exception. Le chemin de l’autonomie nous conduit dans un second temps à choisir les partitions que nous interprétons. C’est l’éthi-que. Mais, dans une ultime étape, celle de la «spiritualité», c’est d’interpréter notre propre composition qu’il s’agit.Prêtons un instant l’oreille, à propos du «démon» de Socrate, à l’inconscient col-lectif recueilli dans l’étymologie grecque. «Daimôn» désigne le dieu, la divinité, l’esprit qu’on peut évoquer, ainsi que le génie attaché à chaque homme et qui personnifie en quel-que sorte sa destinée. «Daimonion» évoque ce qui provient de la divinité: ses messages personnifiés, la voix intérieure qui guide et conseille l’homme. «Eudaimonia» dont Aris-tote faisait la finalité ultime de la vie morale, signifie le bonheur, la prospérité, la richesse, l’abondance.Ne pourrions-nous pas dire, dès lors, que le bonheur serait dans ce que nous appelons la «spiritualité»? Ce serait l’eudaimonia qui consisterait à vivre en harmonie (eu) avec cette part de divinité en nous (daimonion) qui personnifie notre destin. Et ne pourrait-on pas dire alors que c’est cette «harmonie» en nous du divin et de l’humain qui produirait l’abondance dans notre vie?Dans une telle perspective, l’éthique dans l’accompagnement consiste à susciter le sujet de sa vie en l’autre fragilisé. Ainsi entendue, l’éthique confine à la spiritualité. Celle-ci n’est-elle pas, en effet une dynamique au cœur de laquelle il s’agit de:- naître à soi-même,- jouer la pièce qu’on a soi-même composée,- laisser Dieu ou l’Univers naître en nous,- vivre radicalement l’Instant présent,- assumer son rapport personnel à l’incons- cient collectif- etc...Maître Eckhart, avec sa hardiesse habituelle, ne va-t-il pas jusqu’à affirmer dans l’un de ses Sermons que «La naissance de Dieu en moi et ma naissance comme sujet sont un seul et même événement»?

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Au nom de tous les biensOlivier Salamin, psychothérapeute FSP, directeur ASA-Valais

Freud appelait «furor sanandi» cette rage du soignant à vouloir le bien de son patient. Au cours de l’histoire, le bien de l’autre a d’ailleurs permis de justifier les pires atrocités. C’est l’une des raisons qui fait que la psy-chanalyse se méfie des bonnes intentions… dont nous savons que l’enfer est pavé.

Pour parodier les Inconnus, la distinction entre la bonne et la mauvaise intention éducative est subtile car elle est à la fois nécessaire et délicate. Elle est nécessaire parce qu’elle s’inscrit précisément là où l’éducation n’a pas porté ses fruits, mais elle est délicate car elle précède sans cesse la personne handicapée; parce qu’elle n’a pas pu dire, parce qu’elle ne comprend pas ou parce que nous ne la comprenons pas…C’est à ce point que surgissent les écoles qui définis-sent la bonne façon de faire pour le bien de l’autre.La psychanalyse, dont la lecture pourrait en valoir une autre, a cependant le mérite de réfuter les so-lutions toutes faites, une sorte de prêt-à-porter qui serait bon pour tous. Elle propose au contraire d’interroger au cas par cas la manière singulière dont chaque sujet va traiter le rapport à son propre corps et comment il va parvenir ou non à faire lien social.

La révolte de Stéphane

Stéphane se plaint du monde. Il vient à ma rencon-tre sans rendez-vous, parfois plusieurs fois par jour. Je l’entends monter les escaliers d’un pas lourd et furieux. Il frappe à la porte et entame: «J’ai quelque chose à dire… les éducateurs m’obligent à fumer», ou «les éducateurs ne me donnent pas à manger», ou encore «Etienne me vole mes cigarettes»…Il faut dire que les réponses qu’il a obtenues jus-qu’ici tendaient plutôt à lui prouver que ses dires n’étaient pas fondés.J’ai d’abord marqué ma désapprobation, en indi-quant qu’il n’était pas acceptable que les éducateurs l’obligent à fumer. J’ai estimé ses revendications suf-fisamment graves pour en prendre note. Stéphane m’a alors proposé de garder ces notes «pour la réu-nion». De quelle réunion s’agissait-il, je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que cette tournure lui a permis de s’apaiser, parfois même de sourire ironi-quement d’une situation qui le mettait hors de lui et de retourner plus tranquille à l’atelier d’occupation où il travaille.

Stéphane vient donc régulièrement – et littéra-lement – «déposer plainte». Il amène ses propres notes, manuscrites ou écrites à l’ordinateur, dessine des plans pour m’expliquer les torts qu’il a subis, me demandant à chaque fois de noter pour la réunion.Dans une session d’analyse de la pratique avec Gil Caroz, psychanalyste à Bruxelles, les équipes éduca-tives ont choisi de présenter la situation de Stéphane dont je viens de vous décrire la singularité de mes rencontres avec lui.Dès les premiers mots de sa présentation, une édu-catrice signale les troubles du comportement de Stéphane. Elle ajoute à ce trait «une problématique d’accusation de l’autre». Stéphane est convaincu que des choses se passent alors que dans la réalité, cela ne s’est pas produit.Dans une première lecture contemporaine, on re-père que Stéphane encombre les équipes qui ont l’impression d’être les victimes de ses provocations.Comme il arrive à Stéphane de tomber – par exem-ple lors de séjours ou de fêtes institutionnelles – les équipes ont là aussi la conviction qu’elles sont ma-nipulées, qu’il se laisse tomber. L’incontinence uri-naire – qui sera plus tard réinterprétée du côté d’un lâcher du corps – est également traitée de façon comportementaliste avec l’idée notamment qu’un désagrément, comme par exemple le fait d’amener lui-même son linge souillé à la lingerie, pourrait permettre l’extinction du comportement.La conversation met en évidence, d’une part, la cer-titude pour Stéphane qu’une volonté malveillante s’adresse à lui et, d’autre part, le lâcher du corps qui ne survient pas n’importe quand, mais lorsqu’un éducateur se détourne de lui sans parole.Cette vignette illustre combien la lecture de la situa-tion prise dans une position de victime des agisse-ments de Stéphane était venue boucher les tentati-ves de traitement que Stéphane essaie de mettre en place pour se défendre d’un autre qui l’envahit.On est donc sur la pente savonneuse qui consiste à tenter de réduire ses symptômes pour son propre confort, alors que l’accompagnement de Stéphane pourrait aussi bien prendre une tournure plus fa-vorable dans une transition des représentations de la position de «l’emmerdeur» à celui qui dépose plainte. Son impasse devient alors solution et son symptôme, loin de constituer un trouble à élimi-ner, devient une façon singulière qui lui permet de nouer un lien social.

La lecture psychana-lytique de la relation d’aide que propose Olivier Salamin débou-che sur une invitation à prendre en compte, dans l’élaboration du projet éducatif, des solutions déjà trouvées par le sujet lui-même. Dans cette perspective, l’accompagnant n’est plus celui qui occupe la place d’aidant supposé savoir par avance ce qui est bien pour l’autre. Il devient cet interlocuteur capable de ces « petits pas de côté » indispensa-bles à la circulation de la parole et à la rencontre.

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Soutenir la participation du sujet

Emilie porte un diagnostic de handicap men-tal modéré; elle a des comportements dits caractériels. Emilie monte les gens les uns contre les autres et présente de grandes com-pétences pour créer des conflits qu’elle gère très mal et dont elle n’arrive pas à parler. Si l’on peut dire que globalement sa relation avec les éducateurs est bonne, Emilie peut aussi bien avoir des comportements qui in-quiètent les équipes. Elle s’automutile parfois dans sa chambre, tout en étant des plus serei-nes durant ces moments-là.Les équipes soulignent qu’il n’est pas possible d’aider Emilie à trouver les raisons de ses cri-ses, ni le pourquoi de ses automutilations.La conversation que nous engageons à propos d’Emilie avec Franco Lolli, psychanalyste à Milan, met en évidence trois solutions symp-tomatiques chez elle:1. Emilie utilise un grand nombre de mots

dont toutefois elle ne connaît pas la signifi-cation. Son langage génère des malentendus qui nous font dire qu’elle ne parle pas pour communiquer. Elle parle hors discours, dirait Lacan.2. Emilie a des troubles psychosomatiques. Lorsqu’elle vit un moment difficile, elle se plaint de douleurs, au ventre, ou encore à la tête.3. Emilie s’automutile en toute sérénité.

Qu’est-ce que la jouissance?

Pour ramasser la question et dégager une orientation éducative autour de la participa-tion d’Emilie, il nous faut tenter de donner de ce concept une définition aussi claire et synthétique que possible.On pourrait dire que la jouissance est un état de tension que le corps éprouve. C’est un état de tension insupportable pour le sujet. Pour le sujet névrosé, la jouissance est transformée en

plaisir, par l’intermédiaire de l’éducation no-tamment; une inscription singulière dans le langage et dans le corps fait que la jouissance se transforme en quelque chose de supporta-ble que nous définissons comme du plaisir. Pour le sujet psychotique par contre, la jouis-sance est un état de tension continu qu’il ne peut pas supporter et qu’il doit évacuer.Cette lecture du vécu d’Emilie nous aide à dé-gager une logique de son cas. Sa participation au monde consiste à traiter la jouissance qui arrive dans son corps de façon diffuse et in-supportable. Elle le fait en alignant des signi-fiants hors sens, en localisant la jouissance du corps dans un versant hypocondriaque et en s’automutilant, ce qui semble l’apaiser dans une libération de la jouissance au travers des ouvertures qu’elle pratique dans son corps.Emilie a donc trois modalités pour se libérer de la jouissance qui l’envahit : parler, penser à la maladie et se blesser.Ces trois modalités indiquent à la fois la parti-

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cipation du sujet et l’impossible de l’éducation sou-ligné par Freud, au sens où les productions du sujet, aussi insupportables nous semblent-elles, ont valeur de solutions symptomatiques. Soutenir la parti-cipation d’Emilie, dans ce cas précis, revient dans un premier temps à accepter les solutions qu’elle a choisies. Bien sûr, il ne s’agit pas de soutenir la so-lution hypocondriaque et celle de l’automutilation. Mais l’objectif éducatif avec Emilie n’est pas pour autant de supprimer ces deux symptômes. Peut-être se réduiront-ils «de surcroît» dans une approche appliquée à soutenir de façon décidée, sa solution du maniement des signifiants, par exemple avec des jeux langagiers tels que les rébus, ou encore dans un travail d’écriture qu’elle investit beaucoup.

Le petit pas de côté…

Ces deux exemples cliniques viennent répondre à la question du «savoir ce qui convient à l’autre». Ils proposent d’une part, une relecture de l’acte éducatif lorsqu’il est le reflet de la problématique du professionnel lui-même et d’autre part, une remise en question d’un «savoir à l’avance» qui ne respecte ni la valeur de construction du symptôme, ni le temps de la rencontre, qui est toujours un peu inquiétante, lorsqu’elle fait vaciller nos certitudes et nos semblants. La psychanalyse oriente ainsi l’accompagnant en lui proposant de ne pas occuper une place de «su-jet supposé savoir» (par avance le bien de l’autre). Ce qu’il a à savoir, c’est qu’il y a un au-delà de la demande, quelque chose qui relève du questionne-ment et du travail, propres à un sujet.Minelli (2000) le précise dans un très bel exemple tiré de sa pratique de documentaliste. Lorsqu’elle reçoit un élève qui lui demande des références sur le cheval, elle ne se contente pas de lui répondre que des réponses toutes prêtes se trouvent au rayon «plus belle conquête de l’homme». Elle fait un petit pas de côté et demande à l’élève ce qu’il sait déjà, ce qui l’amène. Ce pas de côté permet de faire circuler la parole et situe l’élève dans une position de cher-cheur face à son questionnement.

Références:

LACAN, J., 1960. Séminaire du 23 mars, in : L’éthique de la psychanalyse, 1986, Seuil.MINELLI M.-C., 2000, Les petits pas de côté, in Terre du CIEN, 5, pp. 13-14

Le geste de saint Martin

La façon dont Jacques Lacan reprend l’initiative de saint Martin dans son séminaire VII « l’Ethique de la psychanalyse », permet une relecture du geste de ce grand che-valier qui coupe sa tunique pour en donner une moitié à un mendiant.Il s’agit d’un acte de charité chrétienne pour lequel Lacan fait la proposition sui-vante : « Tant qu’il s’agit du bien, il n’y a pas de problème, le nôtre et celui de l’autre sont de la même étoffe. Saint Martin partage son manteau, et on en fait une grande affaire, mais enfin, c’est une simple question d’approvisionnement, l’étoffe est faite de sa nature pour être écoulée, elle appartient à l’autre autant qu’à moi. Sans doute touchons-nous là un terme primitif, le besoin qu’il y a à satisfaire, car le mendiant est nu. Mais peut-être, au-delà du besoin de se vêtir, mendiait-il autre chose, que saint Martin le tue, ou le baise. C’est une tout autre question que de savoir ce que signifie dans une rencontre la réponse, non de la bienfaisance, mais de l’amour.» (Lacan, p. 219)Vouloir le bien de l’Autre…Dans un article à paraître en décembre prochain dans les cahiers de la section clini-que de Lyon, Pierre Forestier commente cet extrait de Lacan. En voici un condensé qui éclaire deux points très importants:- la question de l’interprétation de la demande;- celle de la participation du mendiant dans cette histoire.Saint Martin est le patron de plus de 3600 églises en France. C’est Sulpice Sévère qui a tracé les grandes lignes de sa biographie (316-397).Martin éprouve très vite le désir de se consacrer à Dieu, mais il est partagé, dans un débat intérieur, entre la fidélité aux obligations militaires d’une part et la vocation monastique d’autre part.A 15 ans, il fugue lors d’une cérémonie et, dénoncé par son père, il entre à cet âge dans la légion romaine. Il accède à la garde impériale à cheval (schola) et porte un manteau blanc (la chlamyde).Officier en Gaule, sa patience est mise à l’épreuve. Martin est dans une logique religieuse où le maître sert son serviteur sous la forme d’un ministère et il s’inspire des saintes femmes qui entourent Jésus pour guider sa vie morale.Un événement survient un soir d’hiver aux portes d’Amiens où il rencontre un pas-sant pauvre. Immédiatement, Martin interprète que Dieu a placé ce pauvre homme sur son chemin. Il partage son manteau et en offre une moitié au pauvre.Suite à son geste, il fait un rêve. Le Christ est vêtu d’une demi-chlamyde et il l’en-tend: «J’étais nu et vous m’avez vêtu; ce que vous faites aux plus petits de mes frères, c’est à moi que vous le faites».Martin se fait baptiser et se dégage de ses obligations militaires; dans la lignée de saint Augustin, il place alors l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi.Cet extrait biographique montre comment saint Martin interprète la demande du mendiant à partir du rapport à sa propre jouissance.A priori, c’est la façon dont les professionnels sont d’emblée impliqués lorsqu’ils s’engagent à titre personnel dans une relation d’aide et c’est ce à quoi l’analyse per-sonnelle et/ou les supervisions viennent répondre.La participation du mendiant reste donc énigmatique, même si Lacan dans son commentaire incisif nous indique que cela a sans doute à voir avec la pulsion de mort et la sexualité.OS

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C’est pour ton bien, Louisette!Pierre Avvanzino, professeur eesp, Lausanne

La certitude d’agir pour le bien de l’autre peut conduire aux pires violences. Afin d’illustrer ce propos, Pierre Avvanzino a choisi de rappeler le tragique épisode de ces enfants placés, déplacés et replacés sans état d’âme par l’Etat, vers le milieu du siècle der-nier, et dont il retrace les destins parfois douloureux à travers une étude historique intitulée «Enfance sacrifiée»�. Pour les autorités de l’époque, le bien de ces petits était sans conteste leur place-ment dans des familles d’accueil, des orphelinats ou même des maisons d’éducation. Fortes de cette assurance, elles ont ensuite délibérément fermé les yeux sur les traitements parfois iniques qui leur étaient infligés. Ces sanctions étaient-elles considé-rées comme le prix à payer pour en faire de «bons» citoyens?

Les quelques lignes qui suivent sont dédiées à Loui-sette Buchard Molteni. Placée dès l’âge de cinq ans en institution, elle fera «Le tour de Suisse en cage»2, dans les pires institutions fermées, dans des prisons de sinistre réputation. Et pourtant elle n’avait com-mis aucun délit; elle était révoltée contre les injus-tices et elle parlait. Cela lui a coûté vingt ans de vie volée, vingt ans d’exil; elle y a laissé en partie sa santé, par son engagement généreux, passionné, ses positions parfois excessives. Long combat pour garder sa dignité, faire connaître le sort des enfants orphelins, considérés comme différents des autres, sans réelle protection. En octobre 2003, elle a entrepris une grève de la faim pour protester contre le classement d’interven-tions parlementaires visant à éclairer ce passé. Cette fois plus que d’autres, elle a été mieux entendue par Monsieur et Madame tout le monde, ainsi que par les médias; grâce notamment à l’attention et au respect d’une femme, haute magistrate, d’un de ces vieux amis, lui aussi fonctionnaire, et de très nom-breuses personnes, femmes et hommes qui ont subi le même sort que Louisette. Elle décédera quelques mois plus tard.J’ai rencontré Louisette en 1997. Sur un coup de téléphone, nous nous sommes retrouvés avec nos écrits respectifs et j’ai compris que j’avais devant moi l’une de ces personnes devinées, entre-aper-çues de très nombreuses fois dans mes recherches archivistiques. Nous avons beaucoup échangé, et souvent, sur le sort des orphelins suisses. C’était à chaque fois de grands moments de complicité, mais aussi de vérité. Louisette m’appelait professeur, non par déférence, mais bien plus pour me rappeler ma responsabilité et la nécessité de l’histoire. Pas la re-cherche de l’histoire à distance, avec la trop fameuse objectivité, qui permet au chercheur d’être détaché de son objet, afin de ne pas être influencé par lui et qui le tient tellement éloigné qu’il ne peut plus le saisir... Mais une recherche engagée qui ose montrer ce qu’elle découvre en entrant dans les événements. Avant et après sa grève de la faim de 2003, une peti-te cellule de recherche a été constituée, qui a eu pour tâche première de recueillir les témoignages d’en-fants placés dans les années 1930 à 1950, et encore vivants. Les Amis et les Amies de Louisette. Dans ce travail, tous les récits de Louisette sont confirmés et bien au-delà1. C’est par exemple le récit de cet homme, âgé de 80 ans et qui témoigne. Placé dans un orphelinat dès

Le contexte historique: quand le silence est loi...

L’histoire de Louisette Buchard Molteni, c’est une histoire singulière, mais c’est aussi l’histoire de centaines d’enfants abandonnés, sans feu ni lieu, tout à la fois objets d’at-tention et de moindre intérêt. Il existe bien un regard historique et politique sur leur statut, sur leur sort. Cependant, quand il existe, il rend plus volontiers compte de la pensée et des réalisations des grands pédagogues, ou encore de l’histoire romancée de personnages politiques qui, grâce à leur engagement et leurs qualités charismatiques, obtiennent toutes sortes de résultats. Mais les enfants placés dans les asiles, les orphelinats, les maisons d’éducation spéciali-sées, ou encore dans des familles d’accueil, sont eux l’objet d’une forme de désintérêt, ce qui n’exclut pas une certaine curiosité. L’histoire de Louisette est un témoignage capital et en même temps un mince échantillon dans l’immense cortège de souffrances qu’ont vécues un grand nombre d’enfants placés au milieu du 20e siècle. Souvent battus, violés, mis littéralement en esclavage, sans droits élémentaires, à la merci de tous. Comment cela a-t-il été possible dans une époque qui n’est pas le Moyen-âge, une époque pratique-ment contemporaine de la nôtre?En étudiant les archives d’une institution de notre pays, je trouve dans les années 1940 et suivantes, un grand nombre d’articles de journaux qui dénoncent les conditions de vie et le traitement infligé aux enfants placés.«L’asile d’Echichens, juste au dessus des vignes bénies, forme de bons domestiques agri-coles. Quand ces gamins ne sont pas au travail, ils traînent tristement dans des habits trop grands ou parfois vêtus de vieux uniformes. En les voyant, on pourrait croire avoir été déplacé dans un camp de réfugiés à la frontière espagnole.» 1

Silence! Silence gêné des autorités. Silence des comités d’institutions. Trucages des faits, impunités invraisemblables. Il faut attendre le rapport sur l’Enfance maltraitée de 1992, déposé sur le bureau du Conseil fédéral pour voir des changements significatifs apparaître, concernant le pro-blème de la maltraitance. Des lois et règlements obligent des contrôles accrus des services de l’Etat. Des procédures de dénonciation sont ainsi mises en place.

Pierre Avvanzino

1Illustrierter Familienfreund, 23 octobre 1943.

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son jeune âge, il raconte sans se plaindre l’enfant martyr qu’il a été. Le directeur de cet orphelinat, un pasteur, bat régulièrement l’enfant. Au moment de son adolescence, ce traitement lui est même infligé pratiquement une fois par semaine. L’enfant gran-dissant et se révoltant, le pasteur demande l’aide d’autres adultes et parfois, c’est à quatre qu’ils se mettent pour l’attacher sur un établi, nu, et le frap-per. En fin d’entretien, je demanderai à cet homme s’il peut, dans toute cette souffrance, retenir quelque chose de positif. Il va réfléchir longuement, puis: «Oui, une chose… On a mis une telle haine en moi, que j’aurais pu tuer. Et je ne l’ai jamais fait… heureusement!» Je dois rajouter un élément de plus de cet entretien qui illustre l’au-delà de l’abject; ce moment où les mots ne suffisent plus à raconter. Cet enfant subit encore d’autres sévices. Une sœur, religieuse, lui fait régulièrement passer des examens médicaux. C’est-à-dire qu’elle vérifie sa bonne santé et son développement physique. Au fil du récit, les larmes de cet homme de 80 ans coulent, accompa-gnées de sanglots; il raconte le viol de sa sexualité naissante; sa voix est presque inaudible… Je vois du coin de l’œil mon collègue preneur de son, accroché à ses manettes pour que les paroles dites ne retom-bent pas dans le néant! Dans nos échanges avec Louisette, revenait sans cesse une question: «Est-ce que tous ces mauvais traitements, ces atrocités seraient encore possibles aujourd’hui?» Un homme jeune, presque un jeune homme s’est alors mis à parler devant Louisette, devant la caméra du petit groupe de recherche. Il y a quelques années, il était placé dans une institu-tion d’une grande Fondation du canton de Vaud. Régulièrement lui aussi a été déculotté; sa tête ser-rée entre les genoux du directeur du foyer d’accueil où il était placé, il était fessé parfois jusqu’au sang. Aujourd’hui seulement il peut raconter et expliquer sa peur de toute autorité, avec tout ce que cela com-porte comme problèmes de comportement.Il y a quelques mois, dans une grande institution pour personnes handicapées, un éducateur se sen-tant menacé se défend par un coup au visage, si violent qu’il déchausse trois dents à un résident. Ce fait est caché par l’auteur, ainsi que par un témoin direct et la personne handicapée est laissée sans soin. Quelques jours plus tard, le fait est découvert et la personne fautive sanctionnée. D’autres situa-tions similaires existent de nos jours dans plusieurs institutions.

Tous les tortionnaires de ces enfants ont eux aussi un nom et leur responsabilité est totale. Mais der-rière eux, c’est une responsabilité collective qui est engagée. Engagée par la politique sociale d’une épo-que, par un système d’assistance, des dispositions politiques et financières, par des pédagogies parti-culières.Le témoignage de Louisette Buchard Molteni est inaliénable, comme celui de tous ses Amis considé-rés comme différents des autres, qui bénéficient ou subissent pour leur bien, tous les discours et les ac-tes des soi-disant savants ou raisonnables que nous sommes.1Enfance sacrifiée, Pierre Avvanzino, Geneviève Heller, Cécile Lacharme, Ed. PU romande, Cahiers de l’EESP No 42, 144 pages, ISBN : 2882840462

2 Le tour de Suisse en cage, Louisette Buchard Molteni, Yens, Cabédita, 1995

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Quand le bien passe par la douleurTrouver les mots pour expliquer l’inexplicableCorine Mellana-Campiche, Pully

Quelquefois, le bien-être physique passe par des traitements douloureux. Comment alors trouver les mots pour expliquer à un enfant avec un handicap mental que ces thérapies qui font si mal lui sont prescrites pour son bien? Dans cet article, Corine Mellana- Campiche partage son expérience de maman.

La découverte du monde des personnes handicapées s’est située pour moi en milieu hospitalier, à l’Hô-pital orthopédique de la Suisse romande, il y a une trentaine d’années. A l’époque, les longs séjours des enfants nécessitaient une prise en charge scolaire, c’est pour ce travail que j’ai été engagée comme en-seignante spécialisée. Les enfants venaient de toute la Suisse romande pour y subir un traitement ou une opération. Parmi les petits patients hospitalisés, certains étaient porteurs d’un handicap moteur, as-socié parfois à un handicap mental. Pendant quel-ques années, des enfants pris en charge par Terre des Hommes bénéficiaient de traitements et de soins dans cet hôpital. Ils arrivaient principalement des pays du Maghreb, du Sénégal, de Somalie.L’hôpital est un lieu où les enfants sont envoyés «pour leur bien». Ils n’ont pas le choix. Ils n’y vont pas par plaisir, ils y affrontent des situations doulou-reuses physiquement et moralement.Parmi les enfants qui entraient à l’hôpital, ceux qui pouvaient comprendre qu’ils étaient là «pour leur bien» et tirer parti de cette notion étaient peu nombreux: il fallait qu’ils soient suffisamment mûrs pour comprendre que quelque chose qui allait les faire souffrir maintenant leur éviterait d’autres souf-frances ensuite, donc être capables de se décentrer, de dialoguer, de recevoir des informations, de po-ser des questions, ou de se situer dans le temps par exemple.Les enfants jeunes, ou dépaysés, ou handicapés mentaux pouvaient donc au mieux entendre «c’est pour ton bien, il faut le faire», mais ne pouvaient pas en faire grand-chose. Leur perception des processus de soins dépendait en grande partie de la qualité et du type de leurs relations avec les adultes qui les ac-compagnaient et qui les soignaient.Au début de mon activité à l’hôpital, je me souviens que le message qu’on donnait souvent aux enfants consistait à leur demander de se montrer courageux, de supporter, de ne pas se plaindre. Au fil des an-nées, la prise en compte de la douleur et du bien-être des enfants quels qu’ils soient est devenue une priorité, alors qu’auparavant, la «bientraitance» des enfants hospitalisés était liée à la personnalité des soignants. Quand l’évidence du handicap s’est révélée chez notre fille, elle était âgée d’un an. Ce qui pouvait paraître un essor «plutôt lent» est devenu au fil des mois un développement hors norme, pour lequel il fallait mettre en place des investigations médicales

et des mesures thérapeutiques. Pour moi, le fait de travailler dans un service de pé-diatrie, bien que n’étant pas directement impliquée dans les soins, a été une aide précieuse. L’hôpital est un milieu ouvert à tous, mais les protocoles de soins, le langage spécialisé, le fonctionnement hié-rarchique y sont bien spécifiques. La possibilité d’en décoder quelques aspects, de se sentir en milieu connu permet d’anticiper ce qui va s’y passer et de réduire en partie les craintes qu’on peut éprouver. La connaissance de ce milieu et des enfants porteurs de toutes sortes de handicaps m’a permis également d’éviter des illusions quant à l’avenir: il ne serait pas rose.C’est donc pour son bien que notre fille a dû porter des attelles de nuit, être opérée et plâtrée à plusieurs reprises, suivre des thérapies parfois agréables, par-fois contraignantes, parfois pénibles. D’investiga-tions en contrôles, avec ou sans anesthésie, les crain-tes étaient et restent souvent disproportionnées: ce qui est perçu comme intrusif ou contraignant peut devenir intolérable, alors qu’un acte médical censé être douloureux peut être bien vécu. Je me suis retrouvée de l’autre côté de la barrière, avec les parents, dans ce rôle qui consiste à accom-pagner son enfant pour affronter un moment diffi-cile pour son bien. Trouver les mots pour lui expliquer quelque chose d’inexplicable, ou alors se taire et agir. Collaborer avec les soignants, parfois défendre son avis quand les réactions de son enfant sont faciles à décrypter pour soi et qu’on a le sentiment que le protocole médical passe à côté. Encourager, consoler, cajoler, et aussi rester ferme, tenir et retenir son enfant de toute sa force quand il se débat. Faire confiance aux professionnels mais ne pas oublier de poser des ques-tions. Passer du soulagement, quand c’est terminé, à la déception, parce qu’il faudra recommencer.Et puis constater que l’enfant a des ressources in-croyables pour passer au travers de ces moments difficiles. Que c’est lui qui nous donne l’énergie quand on est dans un sentiment de découragement et d’impuissance. Et que cet échange d’énergies va nous permettre de l’accompagner toujours et encore, pour son bien.

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Il n’y a pas d’aide sans écouteTémoignage de Patricia GraberPropos recueillis par Eliane Jubin

Au cours de cet entretien, Patricia livre ses réflexions sur la notion d’aide.«L’aide c’est d’abord quelqu’un qui sait écou-ter». Aucune aide ne semble possible à Patri-cia s’il n’y a pas d’abord une écoute. «Trop de gens aident alors que rien n’est demandé!» s’exclame-t-elle, «Si ceci est gentil c’est sur-tout embêtant...» affirme encore Patricia. «Avant que Pro Infirmis n’envoie quelqu’un chez moi dit-elle, ce sont mes sœurs qui m’aidaient. Si je faisais des bêtises je n’appré-ciais pas toujours qu’elles me le disent car je le savais déjà. On se fâchait souvent et ça c’était triste! Maintenant, si je fais des bêtises, elles ne le savent plus toujours et cela me permet de réparer avec l’aide de mon assistante so-ciale, sans faire plein d’histoires... C’est beau-coup mieux! Maintenant que mes sœurs ne m’aident plus, j’ai une relation normale avec elles, une relation de sœurs».«La personne qui sait écouter doit être payée». Patricia estime que c’est normal que la per-sonne qui l’aide soit payée. Par contre, si elle, à son tour, apporte son aide à quelqu’un, elle ne

pense pas mériter de salaire. Elle argumente: «Moi, quand j’aide, je ne dois pas être payée car j’aide volontiers!» Puis elle poursuit: «Moi j’attends simplement un merci, c’est normal de dire merci à quelqu’un qui n’est pas payé». Dans l’échange qui suit ces propos, Patricia dit ne pas toujours avoir envie de dire «merci» à ses aides, cela dépend des personnes. Elle in-siste fortement sur le fait que cela dépend si la personne l’a écoutée avant de se fâcher.«La personne qui aide doit s’occuper de ce qui la concerne». Patricia développe une si-tuation. Dernièrement elle a participé à une sortie du Club de formation continue. Le but du voyage était la visite des studios de la TSR. Une belle journée dit-elle, qu’elle avait vrai-ment envie de raconter. «Je n’ai pas pu le faire car une personne ayant vu dans le journal le compte-rendu avec photo du groupe m’a dit: T’as vu comme t’es vautrée sur ta copine! C’est pas aidant de dire cela; elle aurait dû, avant, me demander si c’était bien, cela aurait été gentil. J’étais vexée».«Les gens qui aident s’occupent de choses

qui ne les regardent pas! Si j’ai envie de dire telle ou telle chose, je le dirai! Cette personne, cela ne la regardait pas; cette sortie c’était un loisir!». «Moi aussi je peux aider !» Une amie de Patri-cia, en situation de handicap, lui a demandé de l’aider. Cette personne souhaitait une présence lorsque son mari travaille. Patricia raconte: «J’avais envie, je savais que tout le monde dirait que c’était une charge et ils l’ont tous dit. Alors, j’ai compris que c’était une charge, tout le monde était content et moi j’ai demandé à mon amie de ne pas m’en vou-loir. Si on m’avait laissé faire, j’y serais allée. Je crois bien que je n’ai pas demandé aux bonnes personnes».Pour conclure l’entretien, il est proposé à Pa-tricia d’imaginer avoir une baguette magique capable de changer quelque chose dans sa vie. La réponse jaillit instantanément: « Moi, j’aimerais aussi pouvoir aider, mais toujours en demandant avant si je peux aider...»

Patricia est au bénéfice d’un accompagnement à domi-cile, prestation mise sur pied par Pro Infirmis Jura. Elle exerce une activité professionnelle au sein des ateliers « Les Castors ».La jeune femme est une participante assidue des cours de formation conti-nue pour personnes en difficulté d’apprentissage. Son entourage joue un rôle important dans sa vie ; sa fa-mille, son assistante sociale, son accompagnatrice, ses maîtres socio-professionnels, ses amies et amis, son médecin… Patricia habite seule un appartement en Ajoie.

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Simon, si tu me racontais ce qui s’est passé? A dit le directeur. Des fois, je me cache dans l’armoire, j’ai dit. L’armoire, a dit le directeur. L’armoire a-t-elle vraiment un rapport avec tout cela?Mais je suis pas vraiment caché, j’ai dit. Tout le monde sait que je suis dans l’armoire parce que j’enlève la clef. D’accord, mais si tu me racontais plutôt ce qui s’est passé avec Caroline? A demandé le directeur. Moi, j’ai dit, j’enlève la clef de l’armoire parce que l’autre fois, pendant que j’étais caché dans l’armoire, quelqu’un a fermé la porte à clef et je ne pouvais plus sortir. J’ai eu peur de chez peur, j’ai dit. Je suis resté bien caché tout le matin, tellement j’avais peur. Simon, a dit le directeur, Caroline a fermé l’armoire parce qu’elle voulait que ta chambre soit bien ran-gée, c’est tout. Elle ne te voulait pas de mal. Heureusement qu’à l’heure du dîner, quelqu’un a vu que j’étais pas à table! J’ai dit. Tout le monde a dû s’arrêter de manger. Quelqu’un a dit, il faut chercher Simon. Tout le monde a dû courir partout partout et m’appeler fort-fort. SI-MON!!! Moi, j’ai entendu, mais je n’ai pas répondu parce que j’avais trop peur. A la fin, quelqu’un a entendu un garçon qui pleurait dans l’armoire. C’était moi! C’est com-me ça qu’on m’a retrouvé. C’est Caroline qui t’a retrouvé, Simon, a dit le directeur. Ce n’est pas «quelqu’un». Elle a dit que je n’aurais pas dû pleurer. Elle a dit que j’aurais mieux fait de l’appeler fort-fort. Et pourquoi ne l’as-tu pas fait? demande le directeur.Moi je trouve que j’ai bien fait de pleurer, parce que sinon j’y serais encore, dans l’armoire. Caroline, elle embrouille tout dans ma tête. C’est bien là le fond du problème, Simon. Les grands ne s’embrouillent pas avec Caroline. Explique-moi un peu ce qui s’est passé ce matin. Commence au début de ton histoire, et puis tu suis le fil.

Mais moi, je ne sais pas où le fil commence. C’est tout mélangé. Les mots me viennent tous en même temps dans la bouche. Je me concentre fort-fort. Je serre les lèvres. Je cherche le début du fil.Le début du fil, c’est quand mon réveil a sonné ce matin. Non. Le début du fil, c’est le mardi, parce que le mardi, Caroline est l’é-du-ca-trice-de-référence. Non. Le début du fil, c’est moi, parce que j’oublie

toujours quelque chose quand c’est le mardi.Pourtant, j’essaie fort-fort de penser à tout quand c’est le mardi. Faut se lever et s’habiller et se laver et s’aplatir les cheveux et être de bonne humeur quand Caroline viendra dans ma chambre. Faut mettre ses chaussures à l’endroit et les attacher et faire tout comme il faut sinon elle défait tout et elle refait tout bien plus vite et puis on est puni. Faut être de bonne humeur sinon elle est triste et puis elle dit «Simon est comme un coq en pâte, de plus en plus exigeant et de moins en moins donnant». Faut rien-rien oublier. J’aime pas tellement le mardi. Voilà, c’est ça le début du fil. Le mardi, ne rien oublier, ne pas dormir de la nuit, penser fort-fort à tout, pleurer un petit peu parce que ça marche jamais, avoir envie de se cacher dans l’armoire au lieu d’être de bonne humeur. Ce matin, c’était mardi. Alors moi, quand il faisait encore nuit, j’ai ouvert grand-grand l’armoire, j’ai sorti tous mes habits, j’ai réfléchi fort-fort, j’ai pris un slip, on commence par le slip, après la camisole, faut pas la mettre le derrière devant, après les chaus-settes, non, Simon, je t’ai dit cent fois de ne pas mettre les chaussettes en premier, pas quand on est tout nu, après, le pull et le pantalon, on dit DES pantalons, Simon, parce qu’on a deux jambes, pas rien qu’une seule, attention, faut pas mettre LES pantalons à l’envers, ils sont pliés comme ça à cause du repassage mais faut les tourner pour les mettre, c’est très difficile, attends je vais t’aider, le pull aussi, faut le mettre à l’endroit, tu n’y arriveras pas, laisse-moi faire, tu vois, c’est pour ça qu’il y a l’étiquette, pour savoir quel côté c’est, l’endroit, et après, on met les chaussures et fini, j’ai plus qu’à faire le lit comme ça elle sera contente, Caroline. Après, j’ai attendu-attendu. Après, Caroline est entrée dans ma chambre. J’avais même aplati mes cheveux (avec de la salive, pas avec de l’eau, faut pas ouvrir le robinet avant l’arrivée de Caroline). J’ai dit fort-fort Bonjour Ca…Simon, Simon, Caroline a dit. Tes lacets sont défaits. Oh non, j’ai pensé. Oh non. J’ai seulement pensé oh non. Les lacets, j’ai pensé. Oh non. J’ai regardé si la porte de l’armoire était ouverte mais je l’avais déjà refermée. Caroline avait les yeux qui brillaient, elle était très contente. Elle s’est tout de suite jetée par terre devant mes pieds et elle a attaché mes lacets. Je sais faire, j’ai dit.

C’est pour ton bien que je t’aimeFictionNicolas Couchepin, écrivain, Fribourg

Comment attraper la perception de l’aide que peuvent avoir les person-nes handicapées menta-les, sinon en redonnant la parole à Simon-aux-yeux-bridés, personnage fictif qui nous a déjà livré quelques-unes de ses pensées secrètes dans notre édition de septembre dernier... Entre humour, poésie et tendresse, Nicolas Couchepin nous invite à une vraie réflexion sur nos attitudes d’aidants patentés.

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On ne dirait pas, elle a dit. Comme ça, tu risques de t’encoubler.Ben, je tomberai et voilà, j’ai dit. Ah ah ah, a dit Caroline. Et qui te consolera? Qui soignera tes genoux couronnés? Ben… C’est toi, j’ai murmuré. Justement, elle a dit très doucement. Exacte-ment, c’est moi! Mais c’est moi qui aura mal, j’ai dit.C’est moi qui AURAI mal, Simon. Essaie au moins de faire des phrases correctes. C’est moi qui AURAI mal, Simon. Non, c’est moi, j’ai dit.Caroline a souri. Simon, elle a dit, quand admettras-tu enfin que tu n’es pas comme les autres enfants, que tu ne peux pas te débrouiller tout seul et que tu as besoin de moi? C’est pour ton bien que j’attache tes la-cets, pas pour moi. Moi, tu sais, ça ne me fait pas de différence. Mais-mais, le mardi, mais des fois, je n’oublie pas mes lacets, j’ai dit distinctement. Regarde les choses en face, Simon. Tu oublies toujours quelque chose, a dit Caroline. Mais-mais, le mardi, mais à part les lacets, j’ai rien oublié ! J’ai crié. J’ai même mis le panta-lon à l’endroit. LES pantalons, Simon. Tu n’as pas qu’une seule jambe, Dieu merci. C’est déjà assez compliqué comme ça. Et puis, oublier d’atta-cher ses lacets, ce n’est pas «ne rien oublier». C’est oublier quelque chose. Je m’excuse, j’ai dit.Je ne veux pas que tu t’excuses. Ce que je vou-drais, c’est que tu me prennes un peu plus au sérieux. C’est de ne pas parler dans le désert. C’est que tu montres un peu de respect pour ce que je fais pour toi. Ou bien, elle a dit d’un air indifférent, ou bien alors tu apprends en-fin à te débrouiller tout seul. C’est important d’apprendre le respect du travail des autres. Mer-merci pour ce que tu fais pour moi, j’ai dit pour changer de sujet (c’était pas tellement un vrai-vrai merci). Tu ne vas pas t’en tirer en jouant le joli cœur, a dit Caroline. On parle de tes souliers. Moi, personne ne s’inquiète jamais de mes souliers défaits.Mais-mais, le mardi, si-si tu avais tes lacets défaits, je-je-je me jetterais à tes pieds et je les

attacherais, j’ai dit. Caroline a ri. Tu parles, elle a dit. Tu ne verrais pas de l’eau au lac. Mais-mais, heureusement, tes lacets ne sont jamais défaits, j’ai dit.C’est ça, a dit Caroline. Mes lacets, à moi, ne sont jamais défaits. Tu n’as qu’à faire comme moi. Regarde : on croise le bout gauche sur le droit on passe le droit par-dessus le gau-che puis par-dessous, on prend à la moitié du bout droit avec le pouce gauche avec la main gauche on fait une boucle du bout gauche par-dessus le pouce droit on tient la boucle entre le pouce et l’index de la main gauche, de la main droite on tourne le bout droit du lacet autour de la base de la boucle qu’on a faite avec le pouce droit et qu’on tient dans la main gauche, en passant par-dessus le pouce gau-che, derrière la boucle, avec l’index droit on forme une boucle sur le bout de lacet qu’on vient de passer derrière la boucle dans ta main gauche et on enfile la nouvelle boucle dans le trou où se trouve le pouce gauche. Ce n’est pourtant pas compliqué. Après, on tire. Plus vite, plus vite! Evidemment, si tu bayes aux corneilles, au lieu de tirer…Caroline a soupiré. Elle a tout défait le nœud que j’avais fait. Après, elle a tout refait sans rien dire. Elle est rapide, Caroline. Voilà, maintenant c’est comme il faut, elle a dit. Ton nœud n’aurait pas tenu dix minutes. C’est pour ton bien que je te le dis, mon petit Simon. Moi je n’ai rien dit, parce que j’ai eu une drôle d’idée dans ma tête. J’ai pensé: Moi, c’est pour ton bien à toi que le mardi, j’oublie toujours quelque chose. Ma drôle d’idée m’a fait rire. Ecoute quand je te parle, elle a dit. Écoute-quand-je-te-parle, j’ai dit et ça m’a fait rire. Mais-mais le mardi, tu ne m’as pas appris, alors je ne sais pas faire. Et j’ai mis mes mains sur mes oreilles. Ah, ça, c’est la meilleure! Elle a dit très dou-cement. Non seulement tu es incapable d’être autonome, mais en plus tu fais le malin.C’était-c’était-c’était pour rire! J’ai crié. Pour rire! Elle a craché. Mon pauvre Simon, ton sens de l’humour ne ferait pas rire une

chèvre. Ton sens de l’humour te ressemble, elle a dit. Il est nul, ton sens de l’humour. Alors là, j’ai commencé à avoir vraiment très envie de me cacher dans l’armoire. Mais Ca-roline s’est appuyée contre la porte. Enlève tes mains! A crié Caroline. Tu crois que ça m’amuse de n’être qu’une paire d’yeux, une paire d’oreilles, une paire de jambes et une paire de mains pour tout faire à ta place, t’évi-ter de te faire mal, pour t’empêcher d’avoir l’air complètement gogol? Ah, mais! Je m’en fiche, à la fin, si tout le monde rigole de toi, avec ton pull à l’envers! Tu pourras sortir tout nu dans la rue, je ne dirai rien. Tu pourras te cacher dans l’armoire, je ne te chercherai même pas. On verra bien comment tu te dé-brouilles si je ne suis pas là pour penser à ta place. Et d’ailleurs, tu vas me faire le plaisir de ranger tous tes habits, là. Oui monsieur, tous ces habits que tu as tirés dehors sans aucune considération pour la personne qui les a rangés avec amour dans ton armoire. Et ne compte pas sur moi pour t’aider, puisque tu n’es pas capable de la moindre reconnaissance. J’ai commencé à pleurer, mais en-dedans pour que Caroline ne voie pas. J’ai pensé Oh oui, je voudrais bien voir. Je voudrais bien sortir lundi-mardi-mercredi-jeudi-vendredi-same-di-dimanche. M’en aller tous les jours, et je voudrais beaucoup me cacher dans l’armoire. Mais Caroline n’entend pas ce que je pense. Elle s’est penchée et elle a pris les pulls et les pantalons et les chaussettes et les slips et elle m’a tout mis dans les bras. Moi j’ai essayé de tout tenir en même temps mais les chaussettes sont tombées par terre. Ah, je vois que tu sais te passer de moi! Elle a dit. Je vois que tu te débrouilles très bien tout seul! Bravo Simon, bravo! J’ai rien dit. J’ai fait une pile sur mon lit avec les slips. J’ai pleuré mais en faisant attention pour pas qu’elle me gronde. La pile est tom-bée. Y avait des slips partout-partout.Caroline a pris tous les slips et elle a fait une pile en deux secondes. Décidément, sans moi… Elle a soupiré. J’ai essayé de dire quelque chose. Mais le pro-blème avec ma cervelle d’oiseau c’est que tous les mots venaient en même temps. Et puis j’arrivais pas à tenir dans mes bras tous mes

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habits, ni tous mes mots dans ma bouche. Et puis j’avais mal à la tête. Et puis j’avais faim. Et puis je commençais à avoir peur aussi, parce que, le mardi, je ne peux pas aller dans l’armoire, je ne peux pas non plus aller déjeu-ner, je ne peux rien faire de normal-comme-les-autres-jours. Si seulement elle était partie, j’aurais pu ré-flé-chir. Mais elle me regardait. Elle était très contente. Ça ne m’amuse pas du tout, j’ai dit distinc-tement. Quoi ? Elle a hurlé. Aiaiaie, je m’étais trompé! Je voulais seule-ment penser ce que j’ai dit au lieu de le dire fort-fort. C’était vrai ce que je pensais. Elle avait même pas vu mes cheveux aplatis, et quand elle dit qu’elle a mal quand c’est moi qui tombe ça m’amuse pas et puis le mardi ça m’amuse pas et quand elle est toujours après moi ça m’amuse-pas-du-tout. En plus, l’ar-moire était fermée, je pouvais pas me cacher dedans. Alors, je me suis trompé.Répète un peu ce que tu viens de dire? A dit Caroline. J’ai mis toutes mes mains devant ma bouche mais ça n’a servi à rien. MOI-MOI-MOI-MOI NON PLUS ÇA NE M’AMUSE PAS!!! J’ai hurlé distinctement (sauf que tous les mots sont sortis en même temps). JE-JE-JE-SAIS-LACER-MES-CHAUSSURES-MAIS-J’AI-JAMAIS-LE-TEMPS-TU-VOIS-TOU-JOURS-MES-PIEDS-AVANT-MOI-ON-ON-DIRAIT-QUE-TU-PASSES-TON-TEMPS-A-REGARDER-MES-PIEDS-T’AS-RIEN-D’AUTRE-A-FAIRE-QUE-REGAR-

DER-MES-PIEDS! J’EN AI MARRE QUE TU REGARDES MES PIEDS TOUT LE TEMPS! JE VEUX ALLER DANS L’AR-MOIRE! J’AI PAS PEUR DU NOIR ET TU POURRAS PAS REGARDER MES PIEDS !Caroline a été très contente. Tu ne sais pas gérer tes émotions, elle a dit. Moi, c’est mon métier, de penser à ta place à ce que tu dois faire. Que ça te plaise ou non. C’est ma vocation. Je regrette que tu ne com-prennes pas que tout ça, c’est pour ton bien. Ce n’est pas pour moi. J’ai plus pu me retenir, j’ai pleuré fort-fort. J’ai laissé tomber tous mes habits et j’ai mar-ché dessus. Je peux aller dans l’armoire? J’ai demandé en reniflant. Non, Simon, tu ne peux pas aller dans l’ar-moire. Tu peux t’excuser immédiatement. C’est la seule chose que tu peux faire, a dit Caroline très doucement. Je n’accepte pas que tu me parles sur ce ton. C’est toi qui as besoin de moi. C’est toi qui es gogol. C’est toi qui ne sais pas attacher tes chaussures. Moi je n’ai pas besoin de toi. Tu iras dans l’armoire quand tu te seras excusé.Je m’excuse, je m’excuse, JE M’EXCUSE !!!

J’ai hurlé. JE M’EXCUSE TOUJOURS POUR TOUTE MA VIE POUR TOUT CE QUE JE FAIS POUR TOUT CE QUE JE SUIS POUR TOUTTOUTTOUTTOUT-TOUT JE M’EXCUSE JE M’EXCUSE JE M’EXCUSE POUR TOUJOURSTOU-JOURSTOUJOURS.

Et j’ai été vers l’armoire et Caroline était ap-puyée contre la porte et j’ai mordu Caroline. J’attends, a dit le directeur. Peux-tu m’expli-quer ce qui t’est passé par la tête?Je savais pas quoi lui dire. C’est dur d’expli-quer le mardi, alors j’ai rien dit.Tu sais que nous ne pourrons pas te garder si tu mords les éducatrices, a dit le directeur. Tu le sais, Simon?Oui, j’ai dit.Toute cette histoire pour des lacets de chaus-sures. Il faut vraiment que tu grandisses un peu, Simon. Mon frère à moi non plus n’attache jamais ses lacets. Mais j’ai rien dit parce que lui, c’est pas pareil, même s’il est plus grand, il est nor-mal alors maman lui achète des chaussures-à- velcro. Oui, j’ai dit.Accepter de l’aide quand on n’est pas capable, c’est cela, grandir, a dit le directeur. Oui, j’ai dit.Et ne pas mordre quand on sent qu’on n’est pas à la hauteur, c’est cela, grandir, a dit le directeur. Si tu ne fais pas d’efforts pour faire plaisir à Caroline, nous devrons réfléchir sérieusement à te trouver une place plus adap-tée à ton handicap. Je m’excuse, j’ai dit. Tu t’excuseras auprès de Caroline, a dit le di-recteur. C’est elle qui a besoin de tes excuses, pas moi. C’est bien le problème, j’ai pensé distincte-ment. Mais le directeur n’entend pas ce que je pense.Oui, j’ai dit. Je peux aller dans mon armoire, maintenant? Le directeur a soupiré. Ce n’est pas là que tu feras des progrès, il a dit.

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Bizarreries du comportement Claude-André Dessibourg, neurologue, chargé de cours à l’IPC, Université de Fribourg

Les cahiers d’un clinicien

Il est parfois difficile de faire la part des choses dans certains troubles relationnels, notamment chez une personne handicapée. On est souvent en présence d’une constellation de symptômes (subjectifs) et de signes (objectifs). Ils sont la résultante de déficits neurologiques (troubles génétiques, malformatifs, neurobiologiques…), d’une sémiologie psychiatri-que (angoisses, troubles thymiques, personnalité li-mite, dite borderline) et du retard mental lui-même (difficultés d’acquisition des connaissances, du langage...).

Nécessité d’un triple diagnostic

Dans certains cas, nous aurons donc besoin de re-courir au «triple diagnostic». Un triple diagnostic qui comprend les trois démarches suivantes, dont l’ordre n’est d’ailleurs pas hiérarchique:- D’abord d’un bilan neurologique commençant toujours par une anamnèse incluant la famille, la gestation, les éléments péri- et néo-nataux, l’évolu-tion pédiatrique, les examens déjà pratiqués, le dé-veloppement, la scolarité, etc. Par la suite intervient l’observation neurologique détaillée. Ces paramètres dirigeront le médecin vers tel ou tel examen spé-cialisé. Il fera enfin une synthèse (consilium) qu’il expliquera à la personne et à ses parents et mettra ce document à disposition de ses collègues (dans le sens large du terme) avec l’aval du patient et de sa famille (qui peuvent, sur demande, en recevoir un double, pourquoi pas?);- Ensuite d’un diagnostic et d’une prise en charge psychiatriques, si tel est le besoin ou la demande, sachant que la personne handicapée peut, tout autant qu’une autre, (et parfois davantage) souffrir de phobies, d’anxiété, de dépression, de psychose etc. Pour mémoire, on se rappellera l’étude de Deb et Joyce (1999): dans une cohorte de 143 adultes avec retard mental et épilepsie, 55% d’entre eux avaient des troubles du comportement. Une autre recherche, celle de Smith et al. (1996), portant sur un collectif de 2117 adultes handicapés, a mis en évidence 60% de pathologies psychiatriques asso-ciées à la déficience;- Enfin d’une évaluation et d’un suivi psycho-pé-dagogiques tenant compte des différents quotients d’intelligence, des tests dynamiques du développe-ment, des compétences et des capacités de la person-ne, de son environnement socio-culturel, d’objectifs et de contrôles pédagogiques taillés sur mesure.

Zidi Les anamnèses gestationnelle et néonatale semblent normales chez Zidi. À l’âge de trois ans, le rapport d’un pédopsychiatre mentionne un retard du lan-gage, des éléments d’agressivité et d’inhibition, des traits phobiques, une immaturité affective. Une ra-diographie du crâne et un EEG sont sans particu-larité. On pense alors à un «trouble global atypique du développement». À l’âge de sept ans, un bilan psychologique montre un QI à 57 (échelle verbale: 61). L’enfant suit des classes spéciales. De deux à dix ans, Zidi est mise sous valproate (Depakine®) pour des absences sans crises convulsives. Pendant son adolescence, elle continue à présenter des difficultés scolaires ainsi que des troubles du comportement. Son entourage la trouve «bizarre»: bégaiement occasionnel, suspensions du discours, lenteur au travail, manque d’efficacité, problèmes d’identité, idées jugées paranoïaques... Elle entre dans un internat spécialisé pour effectuer un appren-tissage de blanchisseuse. Sa psychiatre lui prescrit 75 mg de quetiapine (Seroquel®) le soir, en raison d’an-goisses et de symptômes dissociatifs (dédoublement de la personnalité d’origine psychotique). Cliniquement, le neurologue remarque de discrets signes neurologiques: latences exagérées dans les ré-ponses, diminution des mouvements fins des deux mains, hyporéflexie diffuse, tendance dystonique (torsion) de la tête vers la gauche (elle aurait eu des «crises» plus importantes de ce type sous des neuroleptiques incisifs). On note également une surcharge pondérale. Zidi est cependant orientée, collaborante. Elle entre facilement en contact avec les thérapeutes, parle beaucoup, a un discours quel-que peu paranoïaque. L’EEG montre à plusieurs reprises des décharges brèves de pointes-ondes gé-néralisées à 3-4 cycles par seconde, sans focalisation particulière.Zidi est mise au bénéfice de lamotrigine (Lamictal®) à doses progressives, médicament qu’elle supporte bien. Elle n’a plus d’absence et son comportement, ainsi que son état thymique se sont nettement amé-liorés. Son référant note un meilleur contact avec ses camarades. Le personnel éducatif négocie de nou-veaux objectifs pédagogiques. Alors qu’on avait envisagé d’arrêter sa formation pour la faire entrer dans un atelier protégé, cette échéance est repoussée et Zidi peut continuer son apprentissage.

Le concept du dou-ble diagnostic chez la personne déficiente est apparu à la fin des années quatre-vingt dans la littérature spécialisée. Aujourd’hui, l’avance-ment des recherches dans ce domaine amène de plus en plus de spécialistes à proposer un triple diagnostic. Cl.-André Dessibourg propose d’approcher ce nouveau concept à travers une nouvellevignette clinique.

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Nouvelles des régions

Valais, une nouvelle association d’aide aux enfants handicapés et leur famille, le Baluchon

Depuis quelques années, la société valaisanne a pris l’option d’inté-grer les enfants handicapés dans le cadre scolaire normal. Il en résulte un bénéfice certain pour la socialisation dans le cadre de l’école, tout comme dans celui de la ville ou du village. Il en découle aussi une charge plus lourde pour les parents qui doivent assumer l’intégralité du temps en dehors des horaires scolaires. Interpellée par cette problé-matique, Anne-Catherine Bruchez, jeune éducatrice spécialisée, a pris son «baluchon», rencontré des parents et des professionnels concernés, ainsi que d’autres personnes préoccupées par cette situation. De cette concertation est née l’idée de créer «Le Baluchon». Cette toute nou-velle association propose aux familles l’accompagnement socio-éduca-tif d’une éducatrice spécialisée, à domicile et à raison de 2 à 3 heures par semaine. Ce service poursuit un double objectif: amener l’enfant handicapé à plus d’autonomie et offrir à son entourage une plage de respiration bienvenue.Après avoir expérimenté le projet en accompagnant deux familles pen-dant plus d’un an et entrepris de très nombreuses démarches, l’asso-ciation cherche des appuis auprès des départements de l’Instruction publique et des Affaires sociales du canton du Valais. En automne der-nier, elle est reconnue d’utilité publique par ce dernier. De ce fait, dès le 1er janvier 2007, les parents qui désirent recourir aux services du «Baluchon» peuvent recevoir une subvention, eu égard à leur situation financière. Pour l’heure, trois familles ont fait appel à ce service. Si le but de cette jeune association vous séduit; si vous désirez soutenir cette idée d’accompagnement individuel à domicile de l’enfant handi-capé et de sa famille, vous pouvez devenir membre ou faire un don qui servira à augmenter l’action éducative et le soutien du «Baluchon».acb/mpz

Contacts:Association «le Baluchon», Champs de la Croix, 1965 SavièseSylvie Clavelier, présidente, tél. 027 395 29 08Anne-Catherine Bruchez, éducatrice spécialisée, tél. 027 776 17 21E-mail: [email protected] 19-82-4

Alesia, un projet de fondation pour la création d’un centre multiculturel dans le Chablais

Une école de musique et de théâtre d’une capacité de 350 à 400 élè-ves, une douzaine de salles de cours, six ateliers équipés, un studio d’enregistrement, une petite salle de concert modulable, une salle multimédia, deux locaux pour soins thérapeutiques alternatifs, équipés pour recevoir les personnes handicapées, des locaux administratifs, un restaurant, une terrasse pour l’été et une grande place de jeux pour les enfants; voilà pour l’inventaire «à la Prévert» du projet de la Fondation Alesia. Son but? Améliorer l’intégration, au sein de la société, des personnes en situation de handicap avec des déficiences motrices, psychiques et sensorielles et leur donner la possibilité d’être accueillies dans des structures adaptées à chacun. Ce centre, qui se propose d’être ouvert à tous, offre la possibilité à chacun - ayant ou non un handicap - de dé-velopper ses facultés musicales, créatives, intellectuelles et spirituelles et ce, au moyen de cours particuliers ou d’ateliers en groupes. Il se veut aussi un espace de bien-être et de détente, avec la possibilité de recevoir des soins thérapeutiques alternatifs.A l’origine du projet, deux professeurs de musique. François Bauer, na-tif de La Chaux-de-Fonds, doyen des classes professionnelles d’ateliers de l’Ecole de Jazz et de Musique Actuelle (EJMA) et Claude Buri, de Lausanne, doyen des classes de théories de l’EJMA. L’un percussion-niste et l’autre guitariste, ils sont tous deux des musiciens actifs sur les scènes internationales. Ce sont leurs expériences avec des personnes en situation de handicap, accueillies dans leurs cours respectifs, qui les ont amenés à rêver ce projet. «Il s’agit avant tout d’un projet profondément humain. Il est né d’une envie de rassembler, dans un contexte artistique, les différences si enri-chissantes qui se trouvent en chacun. C’est un projet du cœur, un élan vers le partage, vers l’acceptation de l’autre et par là-même, l’accepta-tion de soi», écrivent-ils en guise de préambule à un dossier encore en mouvement.A leur connaissance, aucune structure de ce type n’existe encore en Suisse. Si le lieu de construction du complexe n’est pas encore définitif, leur préférence se porte sur le Chablais valaisan. L’Arc lémanique et de la Veveyse assurent en effet un bassin de population important avec, notamment, la proximité de grandes institutions en rapport avec le handicap. La possibilité de trouver sur un seul site autant de presta-tions devrait séduire, tout comme l’opportunité de bénéficier des lieux de loisirs familiaux situés aux alentours.Le projet est généreux, original et ambitieux. Encore dans sa phase de consolidation, il a d’ores et déjà obtenu le soutien d’associations, de fédérations et d’institutions. Reste pour lui à peaufiner son position-nement, afin de jouer la parfaite complémentarité avec les prestations qui existent déjà.Pages romandes se propose de suivre l’évolution de ce dossier et d’en tenir ses lecteurs et lectrices régulièrement informé-e-s.fb/mpz

Si vous désirez en savoir plus ou apporter votre soutien à ce projet, vous pouvez contacter François Bauer, directeur du projet, av. des Pléiades 2, 1815 ClarensTél. +41 21 981 20 74 ou +41 79 541 04 34 - [email protected]

Appel à collaboration

Vous êtes à l’origine ou vous avez connaissance d’un projet, d’une réalisation ou d’autres événements liés au handicap, dans votre région? Faites-le savoir en écrivant un article dans Pages romandes ou informez-en la rédaction!

Marie-Paule ZuffereyAv. Général-Guisan 19CH – 3960 SierreTél. +41 79 342 32 38Adresse e-mail : [email protected]

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Sélection

Hospitalisation forcée et droits du malade mental: étude de droit inter-national et de droit comparéMaria-Antonella BinoZürich: Schulthess Verlag, 2006

Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, le malade mental, ou plus couramment le «fou», était victime d’exclusion et de ségrégation. Aujourd’hui, il est considéré comme un malade

à part entière avec les mêmes droits, voire davantage, que le patient physique ordinaire.Ce changement de statut soulève une série de problèmes, qui interpelle aussi bien le législateur que le praticien. Qu’est-ce que la maladie men-tale en droit? Le malade mental a-t-il le droit de participer personnel-lement à sa procédure d’hospitalisation? A-t-il le droit de connaître et de contester les conclusions médicales «à charge»? Quel est le pouvoir d’appréciation réel du juge de l’hospitalisation forcée en matière d’ex-pertise psychiatrique? Quelle est la vraie portée du droit d’accès au dos-sier médical? Le malade mental délinquant est-il présumé dangereux? Comment gérer la crainte accrue à l’égard de certains malades mentaux considérés comme violents et incurables que l’on voudrait éloigner à tout jamais de notre société?Pour répondre à ces questions, l’auteure prend en considération les nouvelles règles de l’éthique psychiatrique qui prônent l’instauration d’un véritable partenariat entre psychiatre et patient. Le livre s’articule en trois parties: la notion de «malade mental», la privation de liberté avec ses formes et conditions, les droits procéduraux.

Pourquoi le travail social?Définitions, figures, cliniqueSaül KarszEd Dunod, 2004, 161 p

Confronté à la question centrale de l’identité du travail social, l’auteur s’engage dans un définition suffisamment rigoureuse, et donc discutable, de ce qu’est le travail social, de ce qu’il peut fournir, de ce à quoi il échoue.

Il articule les trois figures majeures de l’intervention sociale: charité, prise en charge et prise en compte. Ces trois figures sont à la fois spécifiques et inséparables. Inscrites dans l’histoire, toujours actives au coeur des prati-ques concrètes, elles annoncent des futurs possibles.Il dessine ensuite la clinique de l’intervention sociale, avec le souci du sin-gulier et du concret, la production d’expériences instruites, qui à leur tour instruisent les praticiens. Il s’agit d’inventer une clinique de l’intervention sociale, démarche transdisciplinaire qui convoque à la fois des dimensions psychiques, idéologiques, politiques et théoriques.Dans le travail social, la neutralité est impossible et l’objectivité indispensable. Dans cette dialecti-que se déploie le leitmotiv: l’idéologie et l’inconscient font nœud.Cet ouvrage se veut un instrument de ressourcements personnels et professionnels. Aiguillon, surtout, pour ne pas confondre principe de réalité et principe de résignation. Tiré de la 4e de couverture

Voulez-vous de nous? Quelle place dans la société pour les personnes en situation de handicap mental?Julien PerfumoBruyères-le-Châtel: Nouvelle Cité, 2006

Extrait de la préface de Henri-Jacques Stiker, universitaire français spécialiste des questions de handicap et d’intégration: «Julien Perfumo n’est pas le premier ni le seul à poser la question

qui lui sert de titre et à essayer de convaincre qu’il est possible, souhai-table, bénéfique, pour tous de vivre avec les personnes dites handica-pées mentales, comme nous vivons avec la multitude de ceux qui nous entourent. Cette proclamation a souvent été lancée par les personnes concernées elles-mêmes, par les parents, voire par les chercheurs. Plus rarement par un professionnel. Julien Perfumo met cartes sur table en racontant son itinéraire et son travail dans des institutions spécialisées. Le professionnel n’a jamais baissé les bras, il est resté convaincu que les structures spécialisées sont toujours à dépasser, que les personnes sont premières et qu’elles donnent autant qu’elles reçoivent, qu’il faut continuer à dénoncer les faux-fuyants, les étroitesses institutionnelles ou politiques. Où l’auteur a-t-il puisé cette façon d’être et de parler? Peut-être dans cette conviction: «Plus je prends conscience de mon être de faiblesse et l’accepte, plus je suis en mesure d’accepter mon sembla-ble en difficulté; l’inverse est tout aussi vrai».

Congrès polyhandicap 2005Paris: CTNERHI, 2006, 307 p.

Textes des interventions présentées devant ce congrès organisé par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) sur le thème du polyhandicap.Pourquoi parle-t-on de polyhandicap? Pour affirmer que la personne polyhandicapée est une Personne Humaine à part entière, c’est-à-

dire qu’on lui reconnaît des potentialités communicatives, intellectuel-les et psychiques et que tout doit être fait pour les discerner, permettre leur expression, leur évolution, ceci quelles que soient la gravité ou la complexité de ses déficiences cognitives et motrices.Ceci nécessite que les familles soient aidées par un personnel disponi-ble, compétent et ayant une grande expérience dans la communication non orale, très déficitaire, comprise le plus souvent par le seul entou-rage proche.Ceci impose de prévenir et de traiter toutes les épines irritatives phy-siques, en rappelant que ces soins médicaux souvent très complexes, voire très urgents, sont au service de la reconnaissance, de l’expression et de l’évolution des potentialités communicatives, psychiques et intel-lectuelles de la personne polyhandicapée.Ce sont tous ces aspects qui ont été abordés dans ce congrès par diffé-rents spécialistes, médecins et non médecins, français et étrangers, avec les familles, pour réaffirmer que «ces personnes profondément défi-cientes sont des Personnes Humaines à part entière, tout simplement différentes, ayant le droit à la vie et non à la survie».

Loïc Diacon, responsable infothèque , IES, Genève

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Séminaires, colloques et formation

Le polyhandicap: un handicap pas vraiment comme les autresUn regard renouvelé sur le polyhandicapGeorges Saulus, médecin psychiatre, Aix-en-ProvenceClaire Landre, orthophoniste, Aix-en-ProvenceObjectif: offrir une vision actualisée du polyhandicapde l’enfant, considéré dans l’ensemble de ses com-posantes historiques, épistémologiques, étiopa-thogéniques et développementales, cliniques, évolutives, socio-politiques et éthiques.Haute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS), rue Jean-Prouvé 10, 1762 GivisiezJeudi et vendredi, 29 et 30 mars 2007Jeudi et vendredi 3 et 4 mai 2007Délai d’inscription: 28 février 2007Coordinateur: Jean-Louis Korpès, professeur HEF-TSRenseignements et inscriptions: HEF-TS, Givisiez,

Tél. ++41 26 429 62 00

Autour de la convention internationale pour la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapéesIntervenants: responsables de l’association «Handicap International», Lyon, FranceHaute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS),rue Jean-Prouvé 10, 1762 GivisiezMercredi 18 avril 2007Délai d’inscription: 16 mars 2007Coordinateur: Jean-Louis Korpès, professeur HEF-TSRenseignements et inscriptions: HEF-TS, Givisiez,

Tél. ++41 26 429 62 00

Autodétermination – du concept à la pratiqueSession d’approfondissementNancy Breitenbach, Disability Consultant, FranceJean-Louis Korpès, professeur HES, GivisiezHaute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS),rue Jean-Prouvé 10, 1762 GivisiezJeudi et vendredi 26 et 27 avril 2007Délai d’inscription: 23 mars 2007Coordinateur: Jean-Louis Korpès, professeur HEF-TSRenseignements et inscriptions: HEF-TS, Givisiez,

Tél. ++41 26 429 62 00

Processus de Production du Handicap (PPH).Application du PPH dans l’élaboration d’un plan d’intervention individualisé en réadaptationPierre Castelein, président GRAVIR asbl, BruxellesHaute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS),rue Jean-Prouvé 10, 1762 GivisiezLundi et mardi 7 et 8 mai 2007Délai d’inscription: 6 avril 2007Coordinateur: Jean-Louis Korpès, professeur HEF-TSRenseignements et inscriptions: HEF-TS, Givisiez,

Tél. ++41 26 429 62 00

Vérité, mensonge, secrets et confidences dans les relations d’aideJean-François Malherbe, prof. Université de SherbrookeCours Améthyste No 2635 et 6 mars 2007Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson

Tél. ++41 26 668 02 78 - [email protected]

Les personnes déficientes intellectuelles et les équipes de professionnels face aux fins de vie et à l’expérience du deuilAnne Dusart et Christiane BessonCours Améthyste No 26412, 13 et 14 mars 2007Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson

Tél. ++41 26 668 02 78 - [email protected]

De l’idéalisme à la sagesseLes pièges du professionnalismeJean-François Malherbe, prof. Université de SherbrookeCours Améthyste No 26726 et 27 avril 2007Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson

Tél. ++41 26 668 02 78 - [email protected]

Travailler en réseaux et en interdisciplinarité Pour améliorer la collaboration avec les professionnelset les parentsChristiane BessonCours Améthyste No 26830 avril et 1er mai 2007Centre paroissial œcuménique de LucensRenseignements et inscriptions: Christiane Besson

Tél. ++41 26 668 02 78 - [email protected]

Eléments de psychopathologieChristèle RichardEcole d’études sociales et pédagogiques, Lausanne23, 24 avril et 7, 8 mai 2007Délai d’inscription: 22 mars 2007Renseignements et inscriptions: éésp - Vaud

Unité de formation continue, ch. des Abeilles 4, 1010 Lausanne

Tél. ++41 21 651 03 10 - [email protected]

La parole de la personne handicapéeNouvelle posture ou imposture?48es Journées d’études du GERSESamedi 23 et dimanche 24 juin 2007Les personnes qui souhaitent présenter une com-munication peuvent le faire jusqu’au 15 mars 2007Pour obtenir le dossier d’inscription, ainsi que de plus

amples renseignements: www.gerse.asso.fr

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