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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:668-669 668 PANCRÉATITE AIGUË CAS CLINIQUE Didier MENNECIER (1), Franck CEPPA (2), Leila SINAYOKO (1), Damien CORBERAND (1), Florence HARNOIS (1), Catherine THIOLET (1), Olivier FARRET (1) (1) Service de pathologie digestive ; (2) Service de biochimie et de pharmacologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé. RÉSUMÉ Les atteintes pancréatites induites par le celecoxib, un inhibiteur de Cox-2 de première génération, sont réputées comme étant rares. Nous rapportons le cas d’une pancréatite aiguë sévère chez une femme après un traitement de 3 mois par le celecoxib. Le bilan étio- logique de la pancréatite est resté négatif. L’imputabilité du cele- coxib a été considérée comme vraisemblable. Cette observation et quelques cas rapportés dans la littérature suggèrent de rechercher une pancréatite en cas de douleurs abdominales lors de la prise d’anti-inflammatoires sélectifs de COX-2. SUMMARY Didier MENNECIER, Franck CEPPA, Leila SINAYOKO, Damien CORBERAND, Florence HARNOIS, Catherine THIOLET, Olivier FARRET Drug-induced pancreatitis injury due to celecoxib, a first generation Cox-2 inhibitor, has been rarely reported. We describe one case of severe pancreatitis after treatment with celecoxib for 3 months in a woman. No aetiology has been found for pancreatitis. The role of celecoxib in the etiology of colitis was considered probable. This report and a few other cases in the literature suggest to seek a pan- creatitis in the event of pains abdominal when there is a catch of the cyclooxygenase-2 selective non-steroidal anti-inflammatory drug inhibitor. Introduction Le celecoxib (Celebrex ® ) est un anti-inflammatoire non sté- roïdien inhibiteur sélectif de COX-2. Les effets indésirables diges- tifs, les plus fréquemment décrits, sont des troubles mineurs. Nous rapportons le cas d’un malade ayant présenté une pan- créatite aiguë survenue après la prise de celecoxib. Observations Une femme âgée de 57 ans était hospitalisée en octobre 2004 pour des douleurs sus-ombilicales d’apparition brutale. On ne trouvait pas de notion de pancréatopathie familiale. La malade ne consommait pas d’alcool ou de produit de phytothérapie et n’était pas toxicomane. Elle prenait régulièrement depuis 4 ans de la venlafaxine (Effexor LP ® 37,5 mg/24 heures) pour un syndrome dépressif et de l’atorvasta- tine (Tahor ® 20 mg/j). L’histoire de la maladie débutait en mai 2004 par la découverte d’une ostéoarthrose érosive des mains nécessitant la mise en place de kétoprofène (Biprofenid ® 200 mg/j) à la demande. Devant l’apparition d’épigastralgies sans signe endoscopique d’ulcère gastroduodénal, ce traitement était remplacé par du celecoxib (Cele- brex ® , 200 mg/j) le 10 juillet 2004. Le 10 octobre 2004, la malade ressentait une douleur abdominale sus-ombilicale augmentant progres- sivement d’intensité et nécessitant une hospitalisation le 15 octobre 2004. À l’examen clinique initial, il n’y avait ni fièvre, ni ictère. Les exa- mens biologiques mettaient en évidence une amylasémie et une lipasé- mie respectivement à 3 N et à 5 N. Dans le sang, les tests hépatiques, le taux de protéine C réactive, le ionogramme, les taux de triglycérides, de calcium, d’urée et de créatinine étaient normaux. Il n’y avait pas d’hyperéosinophilie. L’échographie montrait un foie homogène et l’absence de dilatation des voies biliaires intrahépatiques ainsi que du cholédoque. La vésicule biliaire était alithiasique à paroi fine. La tomo- densitométrie abdominale montrait une infiltration diffuse de la graisse péripancréatique associant des coulées nécrotiques se situant dans l’espace pararénal antérieur droit et gauche et dans l’arrière cavité des épiplons. L’échoendoscopie biliopancréatique objectivait un canal de Wirsung et un cholédoque sans anomalie. Les sérologies des virus A, B, C, CMV, VZV, EBV, VIH, échovirus, coxakie B1 et B6 et oreillons étaient négatives. Les coprocultures ne montraient aucun germe pathogène. L’évolution était favorable avec une disparition des douleurs en quelques jours et les tests fonctionnels pancréatiques se normalisaient en quelques jours. La tomodensitométrie abdominale de contrôle 4 semaines après confirmait une restauration complète du parenchyme pancréatique. Il n’existait pas de mutation du trypsinogène cationique, et devant l’absence de détection des 31 mutations les plus fréquentes du gène CFTR, la mucovisidose était écartée. Discussion Dans notre observation, le diagnostic de pancréatite aiguë a été fait devant l’existence de douleurs abdominales, d’une aug- mentation de la lipasémie supérieure à 3 fois la limite de la nor- Acute pancreatitis after treatment by celecoxib (Gastroenterol Clin Biol 2007;31:668-669) Tirés à part : D. MENNECIER, Service de pathologie digestive, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, 69, avenue de Paris, 94160 Saint-Mandé. E-mail : [email protected] Pancréatite aiguë survenant après la prise de celecoxib

Pancréatite aiguë survenant après la prise de celecoxib

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Page 1: Pancréatite aiguë survenant après la prise de celecoxib

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:668-669

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PANCRÉATITE AIGUË

CASCLINIQUE

Didier MENNECIER (1), Franck CEPPA (2), Leila SINAYOKO (1), Damien CORBERAND (1), Florence HARNOIS (1), Catherine THIOLET (1), Olivier FARRET (1)

(1) Service de pathologie digestive ; (2) Service de biochimie et de pharmacologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé.

RÉSUMÉ

Les atteintes pancréatites induites par le celecoxib, un inhibiteur deCox-2 de première génération, sont réputées comme étant rares.Nous rapportons le cas d’une pancréatite aiguë sévère chez unefemme après un traitement de 3 mois par le celecoxib. Le bilan étio-logique de la pancréatite est resté négatif. L’imputabilité du cele-coxib a été considérée comme vraisemblable. Cette observation etquelques cas rapportés dans la littérature suggèrent de rechercherune pancréatite en cas de douleurs abdominales lors de la prised’anti-inflammatoires sélectifs de COX-2.

SUMMARY

Didier MENNECIER, Franck CEPPA, Leila SINAYOKO, Damien CORBERAND, Florence HARNOIS, Catherine THIOLET, Olivier FARRET

Drug-induced pancreatitis injury due to celecoxib, a first generationCox-2 inhibitor, has been rarely reported. We describe one case ofsevere pancreatitis after treatment with celecoxib for 3 months in awoman. No aetiology has been found for pancreatitis. The role ofcelecoxib in the etiology of colitis was considered probable. Thisreport and a few other cases in the literature suggest to seek a pan-creatitis in the event of pains abdominal when there is a catch of thecyclooxygenase-2 selective non-steroidal anti-inflammatory druginhibitor.

Introduction

Le celecoxib (Celebrex®) est un anti-inflammatoire non sté-roïdien inhibiteur sélectif de COX-2. Les effets indésirables diges-tifs, les plus fréquemment décrits, sont des troubles mineurs.Nous rapportons le cas d’un malade ayant présenté une pan-créatite aiguë survenue après la prise de celecoxib.

Observations

Une femme âgée de 57 ans était hospitalisée en octobre 2004 pourdes douleurs sus-ombilicales d’apparition brutale. On ne trouvait pas denotion de pancréatopathie familiale. La malade ne consommait pasd’alcool ou de produit de phytothérapie et n’était pas toxicomane. Elleprenait régulièrement depuis 4 ans de la venlafaxine (EffexorLP® 37,5 mg/24 heures) pour un syndrome dépressif et de l’atorvasta-tine (Tahor® 20 mg/j). L’histoire de la maladie débutait en mai 2004par la découverte d’une ostéoarthrose érosive des mains nécessitant lamise en place de kétoprofène (Biprofenid® 200 mg/j) à la demande.Devant l’apparition d’épigastralgies sans signe endoscopique d’ulcère

gastroduodénal, ce traitement était remplacé par du celecoxib (Cele-brex®, 200 mg/j) le 10 juillet 2004. Le 10 octobre 2004, la maladeressentait une douleur abdominale sus-ombilicale augmentant progres-sivement d’intensité et nécessitant une hospitalisation le 15 octobre2004. À l’examen clinique initial, il n’y avait ni fièvre, ni ictère. Les exa-mens biologiques mettaient en évidence une amylasémie et une lipasé-mie respectivement à 3 N et à 5 N. Dans le sang, les tests hépatiques, letaux de protéine C réactive, le ionogramme, les taux de triglycérides, decalcium, d’urée et de créatinine étaient normaux. Il n’y avait pasd’hyperéosinophilie. L’échographie montrait un foie homogène etl’absence de dilatation des voies biliaires intrahépatiques ainsi que ducholédoque. La vésicule biliaire était alithiasique à paroi fine. La tomo-densitométrie abdominale montrait une infiltration diffuse de la graissepéripancréatique associant des coulées nécrotiques se situant dansl’espace pararénal antérieur droit et gauche et dans l’arrière cavité desépiplons. L’échoendoscopie biliopancréatique objectivait un canal deWirsung et un cholédoque sans anomalie. Les sérologies des virus A, B,C, CMV, VZV, EBV, VIH, échovirus, coxakie B1 et B6 et oreillons étaientnégatives. Les coprocultures ne montraient aucun germe pathogène.L’évolution était favorable avec une disparition des douleurs en quelquesjours et les tests fonctionnels pancréatiques se normalisaient en quelquesjours. La tomodensitométrie abdominale de contrôle 4 semaines aprèsconfirmait une restauration complète du parenchyme pancréatique.Il n’existait pas de mutation du trypsinogène cationique, et devantl’absence de détection des 31 mutations les plus fréquentes du gèneCFTR, la mucovisidose était écartée.

Discussion

Dans notre observation, le diagnostic de pancréatite aiguë aété fait devant l’existence de douleurs abdominales, d’une aug-mentation de la lipasémie supérieure à 3 fois la limite de la nor-

Acute pancreatitis after treatment by celecoxib

(Gastroenterol Clin Biol 2007;31:668-669)

Tirés à part : D. MENNECIER, Service de pathologie digestive, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, 69, avenue de Paris, 94160 Saint-Mandé.E-mail : [email protected]

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male et une inflammation de la glande pancréatique aveccoulées de nécrose à la tomodensitométrie. Cette pancréatiteaiguë peut être imputée au celecoxib sur les arguments suivants :i) l’absence d’arguments cliniques ou biologiques pour une autrecause en particulier biliaire ou alcoolique ; ii) l’absence de con-texte familial, infectieux et auto-immun ; iii) l’évolution rapide-ment favorable après l’arrêt du celecoxib ; iiii) l’absence deréapparition des symptômes à distance, avec 6 mois de recul,alors que les autres traitements n’ont pas été modifiés ou arrêtés,en particulier l’atorvastatine.

Le délai de 3 mois entre la prise de celecoxib et l’apparitionde la pancréatite aiguë est probablement lié à une prise non sys-tématique de cette molécule par notre malade et ne s’oppose pasà une étiologie médicamenteuse. En effet, selon la classificationdes pancréatites médicamenteuses, les critères chronologiquesreposent sur le profil évolutif de la pancréatite aiguë en fonctionde l’administration et de l’arrêt des médicaments. Dans notreobservation, la réadministration n’ayant pas été faite, la relationchronologique entre la prise médicamenteuse et la survenue dela pancréatite est compatible car le délai entre l’administrationdu traitement et la survenue de la pancréatite aiguë est de plu-sieurs mois. À l’arrêt du traitement, l’évolution est suggestive carles anomalies cliniques et biologiques ont régressé en quelquesjours. Nous obtenons donc une imputabilité chronologique cotéeC2. Les critères sémiologiques, dans notre observation, sontcotés S3 car les autres causes ont été éliminées. Nous obtenonsdonc une imputabilité intrinsèque cotée I3, suggérant le carac-tère vraisemblable de l’origine médicamenteuse de cette pan-créatite aiguë [1].

Trois autres observations de pancréatite aiguë secondaire àla prise de celecoxib ont déjà été rapportées. Dans les deux pre-miers cas, il s’agissait de malades prenant plusieurs médica-ments avec une imputabilité du celecoxib difficile à préciser, et larecherche d’une microlithiase par une échoendoscopie haute

n’avait pas été réalisée [2, 3]. Le troisième cas concernait unhomme n’ayant pas d’autre thérapeutique et dont l’imputabilitésemble plausible [4]. Ces trois observations, en revanche, n’ontpas bénéficié d’un bilan étiologique exhaustif comme chez notremalade.

Le mécanisme de la pancréatite n’est pas connu, mais larareté du phénomène est plutôt en faveur d’un mécanisme immu-noallergique. Ce mécanisme immunoallergique est probable-ment secondaire au noyau sulfonamide. Ce noyau est présentdans la structure du celecoxib sous la forme de benzènesulfona-mide. Les sulfonamides, en effet, ont déjà été associés au déclen-chement de pancréatite aiguë [5].

Conclusion

L’ensemble de ces données suggère une toxicité pancréatiquepossible du celecoxib et nous incite donc à recommander undosage des tests biologiques pancréatiques devant l’apparitionde douleurs abdominales lors d’un traitement par celecoxib.

RÉFÉRENCES

1. Delcenserie R. Quels sont les critères d’imputabilité d’une pancréatiteaiguë à un médicament ? Gastroenterol Clin Biol 2001;25:1S18-21.

2. Carrillo-Jimenez R, Nurnberger M. Celecoxib-induced acute pancrea-titis and hepatitis: a case report. Arch Intern Med 2000;160:553-4.

3. Baciewicz AM, Sokos DR, King TJ. Acute pancreatitis associatedwith celecoxib. Ann Intern Med 2000;132:680.

4. Nind G, Selby W. Acute pancreatitis: a rare complication of cele-coxib. Intern Med J 2002;32:624-5.

5. Runzi M, Layer P. Drug-associated pancreatitis: facts and fiction.Pancreas 1996;13:100-9.