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4 e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 1 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie Parenté et adoption. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie paicî Plan communication Ouessant : 1. Quelques rappels sur les différentes conceptions de la famille et de la parenté : Parenté classificatoire Famille nucléaire / élargie ; maison, lignage, etc. Terminologie et attitudes de parenté 2. Quelques rappels historiques sur l’adoption et sur les diverses raisons de déplacer les enfants d’une famille à une autre À Rome Ailleurs En Océanie ou an d’autres sociétés dites traditionnelles en général 3. Qu’en est-il en Nouvelle-Calédonie ? Une parenté classificatoire : frères de père = pères et sœurs de mère = mères sœurs de père = tantes et frères de mère = oncles distinction entre cousins croisés = cousins et cousins parallèles = frères Lignages patrilinéaires : transmission du nom, des droits sur la terre, des totems…

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 1 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

Parenté et adoption. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie paicî

Plan communication Ouessant :

1. Quelques rappels sur les différentes conceptions de la famille et de la parenté :

• Parenté classificatoire

• Famille nucléaire / élargie ; maison, lignage, etc.

• Terminologie et attitudes de parenté

2. Quelques rappels historiques sur l’adoption et sur les diverses raisons de déplacer les enfants d’une famille à une autre

• À Rome

• Ailleurs

• En Océanie ou an d’autres sociétés dites traditionnelles en général

3. Qu’en est-il en Nouvelle-Calédonie ?

• Une parenté classificatoire :

frères de père = pères et sœurs de mère = mères sœurs de père = tantes et frères de mère = oncles distinction entre cousins croisés = cousins et cousins parallèles = frères

• Lignages patrilinéaires : transmission du nom, des droits sur la terre, des totems…

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 2 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

Les différentes formes de transferts d’enfants Il me faut tout d’abord préciser que ces recherches se basent sur plusieurs mois d’enquête ethnographique sur la parenté, de recueil des généalogies, à Ponérihouen (côte Est de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie), entre 1989 et 1998. Ce travail n’aurait pu être fait sans les habitants de la région qui m’ont accueillie et qui ont eu la patience de répondre à mes questions. À ce titre, je voudrais citer tout particulièrement la famille d’André Mwâtéapöö et celle de Déwé ici présente qui m’ont reçue et souvent guidée dans ma recherche. Avant d’entrer dans le sujet, je voudrais revenir rapidement sur les notions d’adoption et de parenté d’un point de vue comparatif. En effet, l’adoption se trouve pratiquée, sous diverses formes et avec des finalités très variées, dans quasiment toutes les sociétés. À ce titre, on peut dire qu’elle constitue un révélateur significatif des valeurs et des pratiques sociales liées à la parenté, à son idéologie et à son image. Car toutes les sociétés ne reconnaissent pas à leurs membres les mêmes facilités pour « fabriquer » de la parenté (Mireille Corbier, 1999). Par exemple, selon les sociétés, l’adoption et les relations nourricières peuvent favoriser des mariages ou au contraire les interdire. De même, le don d’enfants peut être conçu comme un contre-don ou comme un substitut d’une alliance endogame préférentielle. Lorsque l’on veut parler de transferts d’enfants d’un point de vue historique et dans différentes sociétés, on doit d’abord se demander avec Suzanne Lallemand (1992) à quelle fonction sociale l’adoption répond-elle ? Selon cet auteur, ce serait peut-être surtout non une feinte de filiation mais le plus souvent un rapport d’alliance ou au moins un substitut de celui-là ! Aujourd’hui, dans nos sociétés, les transferts d’enfants sont conçus, pour combler l’absence d’enfants des couples stériles, et cela pour répondre aussi essentiellement à ce qu’on appelle le « bien de l’enfant ». Cette préoccupation occidentale toute récente, puisqu’elle ne date que du XXe siècle, est absente ou très mineure dans les motivations des donneurs et preneurs d’enfants ailleurs. En effet, le lien entre adoption et orphelins est très contemporain, après la Première Guerre mondiale ; il convient donc de dissocier l’histoire de l’adoption de la nécessité d’éducation des orphelins. Par ailleurs, dans les adoptions internationales si répandues aujourd’hui, il ne s’agit pas non plus toujours d’orphelins, mais surtout d’enfants dits abandonnés pour connaître des jours meilleurs dans des pays et des familles plus aisés. L’analyse du phénomène de l’adoption dans une perspective comparée, telle que l’a fait Jack Goody (1969), permet d’opposer un modèle euro-asiatique à un modèle africain. Dans le modèle euro-asiatique, nous avons une tradition de transmission verticale des biens d’une génération à l’autre au détriment des relations horizontales entre frères ou entre membres d’une même génération, ce qui suscite des pratiques adoptives pour combler le manque de descendance. Et, dans le modèle africain, nous avons un système productif où la propriété et la transmission individuelle de la terre notamment ne sont pas fondamentales, ce qui fait que la circulation des enfants y est très répandue, sous forme souvent de fosterage (transfert momentané sans changement définitif d’identité) mais aussi d’adoption. En Europe occidentale, l’adoption a eu trois fonctions principales qui ne s’excluent pas mutuellement :

• procurer une famille aux orphelins et enfants trouvés, • procurer une progéniture sociale aux couples sans enfants, • procurer à un couple ou à un individu un héritier à sa propriété.

À la transmission des biens, il convient d’ajouter aussi celle des statuts tout aussi importante. Il s’agit donc essentiellement de donner une descendance aux parents qui n’en n’ont pas, d’assurer la continuité d’une lignée interrompue faute de fils. Mais, quand la continuité d’un groupe est assurée aussi bien par les collatéraux que par les descendants, comme c’est le cas

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dans les lignages agnatiques, par exemple dans la France d’ancien régime (voir André Burguière), l’adoption n’y était donc pas répandue. Si pour les historiens de l’Europe médiévale, l’adoption est conçue comme une « manipulation » de la parenté, pour les ethnologues, elle « fabriquent de la parenté ». Esther Goody (1982), pour mieux définir ce que sont des parents (père et mère), a dégagé cinq principales composantes des rôles parentaux qui doivent être assumées par un couple, par une seule personne ou qui peuvent être partagées ou encore déléguées à d’autres :

1. Conception et gestation 2. Nourrissement 3. Éducation 4. Soutien et garantie 5. Identité juridique

Il convient d’en ajouter une sixième : l’obligation réciproque d’aide et d’entretien. On peut donc ainsi opposer une délégation partielle de certaines de ces composantes au transfert institutionnalisé de l’ensemble (sauf les données biologiques), ce qui correspondrait pour elle à l’adoption. Mais en fait, ce terme recouvre des pratiques et usages plus étendus. Et, dans de nombreuses sociétés, on constate un parallèle très fort entre adoption-fosterage et mise en nourriture, en éducation, en apprentissage,soit une association intime entre nourrir et éduquer. En latin, le verbe alo signifie « nourrir, alimenter, sustenter, entretenir ; nourrir, élever ; alimenter, faire se développer ; (au fig.) nourrir, développer » ; le substantif qui lui correspond est alumnus « nourrisson, enfant » différent sinon en opposition au cadre de l’adoption et de l’adrogation.

Quand on met l'accent aujourd’hui sur les pratiques de transferts d'enfants dans différentes sociétés, on arrive souvent sur la confrontation entre « adoption traditionnelle » et « adoption internationale », cette dernière étant très ethnocentriste dans sa conception de la circulation – peut-on même employer ce terme dans ce cas-là ? – des enfants. Cela nous amène aussi à réfléchir sur le problème de l'abandon face à celui du don et sur les conceptions différentes de la filiation que l'on retrouve à travers le monde.

En effet, la notion de «parents» varie d'une société à l'autre. En Occident, le principe d'exclusivité fait qu'un enfant n'a qu'un seul père et une seule mère ; ailleurs, un enfant peut avoir de multiples pères et mères « classificatoires ». Si, en France, on est normalement parent par le sang, dans d'autres sociétés, il en va autrement, sans que n'intervienne pour ce faire le principe d'adoption. Ainsi, chez les Kanaks paicî, par exemple, tous les frères de père sont des « pères » et toutes les sœurs de mère sont des « mères », selon le principe de la terminologie de parenté de type Iroquois. Ce qui nous amène à nous demander si la circulation d'un enfant dans la parenté classificatoire a la même signification que celle hors parenté. Sans compter que si la parenté par le sang est en France ou ailleurs transmise par le père comme par la mère, dans d'autres sociétés, le sang peut ne pas transmettre la filiation, comme c'est le cas en Nouvelle-Calédonie où les sociétés kanak patrilinéaires disent que le sang vient de la mère et donc du lignage utérin. Enfin, il me paraît important de voir les changements que les processus d'adoption dans les sociétés dites « traditionnelles » peuvent connaître récemment avec l'influence de plus en plus grande du modèle de la famille occidentale (via la télévision notamment mais aussi en raison, pour ce qui est des DOM-TOM français par exemple, de l'ancienneté de la colonisation française dans ces territoires éloignés), ce qui nous ramène à la mondialisation d'un modèle de famille – composée du couple de parents et de leurs enfants, sous-entendu le plus souvent biologiques.

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Quelques rappels sur les différentes conceptions de la famille et de la parenté : Les éléments nécessaires de toute structure de parenté sont la consanguinité, la filiation et l’alliance (cf. C. Lévi-Strauss, atome élémentaire de parenté).

• Famille nucléaire / élargie ; maison, lignage, etc.

• Parenté classificatoire

• Terminologie et attitudes de parenté

Au niveau des terminologies de parenté, on trouve des termes descriptifs (soit un terme qui n’est appliqué qu’à un seul parent, à l’exclusion de tout autre) et d’autres classificatoires (soit un terme peut désigner des individus se situant en des positions de parenté différentes). (R.C. 1975) Dans le domaine de la filiation, on distingue les organisations sociales qui séparent les lignes directes et les lignes collatérales de celles qui ne les séparent pas. On a donc des filiations unilinéaires, patri ou matrilinéaire, mais aussi bilinéaire (l’individu appartient aussi bien à un groupe patrilinéaire que matrilinéaire). Dans les terminologies descriptives, on sépare les collatéraux et linéaux, et dans celles classificatoires, on mélangent les parents en ligne directe avec certains collatéraux. (R.C. 1975) Pour le mariage, il existe deux sortes de règles : celle, négative, qui interdit la recherche de conjoint possible parmi certaines catégories de parents, et celle, positive, qui en plus de ces prohibitions, indique dans quelle catégorie de parent on trouve le conjoint désirable (préférentiel) ou nécessaire (prescriptif). La prohibition de l’inceste dicte avec qui on ne peut pas se marier, l’organisation dualiste indique avec qui il est possible de se marier et le mariage entre cousins croisés désigne qui vous est réservée comme épouse. (R.C. 1975) Au niveau méthodologique, l’enquête de parenté comprend quatre axes : la terminologie, les généalogies, les rapports entre normes e pratiques et les attitudes qui sont engendrées entre les parents et les structures de parenté. (R.C. 1975) Toute étude de la parenté nécessite l'analyse de la terminologie, du mariage, de la résidence, de la filiation et de l'héritage. Pour ce faire, la méthodologie d'enquête s'appuie d'une part, sur le recueil des généalogies et de la terminologie de parenté et, d'autre part, sur les rapports entre normes, discours, représentations et pratiques comme sur les attitudes liées à la parenté, de façon à dégager les structures de parenté. Précisons que si le recueil des généalogies est une des méthodes d'enquête pour étudier les phénomènes de parenté et d'alliance, elles deviennent, par le traitement social des relations généalogiques, un objet d'étude permettant de définir de groupes discrets, ici des lignages classificatoires patrilinéaires. En tant que telles et par leur fonction classificatoire, elles constituent aussi une représentation1 de l'univers social paicî et une vision historique de cette société, en reliant tout Kanak à un premier ancêtre humain et à des ancêtres mythiques. C'est en ce sens également que la généalogie sans l'histoire jèmââ du lignage est incomplète (Bensa & Rivierre, 1976 ; Bensa, 1985). C'est en ce sens aussi que l'on constate une différence notable dans la notion de filiation entre nos sociétés et de nombreuses sociétés traditionnelles : chez les Kanaks comme dans bien d'autres sociétés, la filiation est aussi un acquis social construit avant d'être une donnée

1. À un point tel que, lors de l'enquête généalogique, certaines étaient spécialement construites pour moi afin de masquer un inceste, par exemple, bien qu'il soit connu de tous. Cela est bien révélateur du fait que ces généalogies, en tant que représentations, sont aussi des constructions qui peuvent être faites au coup par coup et en fonction des interlocuteurs. On peut noter d'ailleurs que, dans de pareils cas, André Mwâtéapöö s'était mis à l'écart pour ne pas cautionner ce genre de "reconstructions".

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biologique et, à ce titre, on peut noter que le terme consaguin peut être équivoque puisque, commenous le verrons, ce sont les femmes qui transmettent le sang de leur lignage, alors que la filiation est patrilinéaire. Dans les organisations sociales basées sur le clan, on constate l’importance du rôle d’ancêtre mythique ; au niveau du lignage, par contre, on part d’un ancêtre réel, mais on peut parfois donner des frères au père de l’ancêtre unique afin de raccrocher à la lignée de nouveaux venus dans la société. (R.C. 1975) Quelques rappels historiques sur l’adoption et sur les diverses raisons de déplacer les enfants d’une famille à une autre Souvent, on trouve une opposition entre parenté biologique et parenté adoptive qui correspond à une opposition entre « parenté par le sang » et « parenté par la nourriture » ou « parenté par la terre » (Jeudy-Ballini, 1992 : 117). Est-ce que le fait de donner naissance à un enfant suffit pour en être les parents ? En fait, non, et c’est bien là ce qu’Esther Goody avait noté avec ces cinq composantes de la parentalité.

• À Rome

• Ailleurs

• En Océanie ou an d’autres sociétés dites traditionnelles en général

Le parallélisme entre adoption et mariage est clair : les deux transforment l’alliance en filiation (Shore, 1976). Ou encore, l’adoption, au même titre que le mariage, est un mode d’alliance entre groupes (Sahlins, 1980). Au lieu de considérer le prêt ou la cession d’enfant seulement comme un réaménagement interne du groupe de descendance, bon nombre d’auteurs l’envisagent comme une forme d’échange. (Lallemand, 1993). Qu’en est-il en Nouvelle-Calédonie ?

• Une parenté classificatoire :

que l’on retrouve dans la terminologie de parenté, c’est-à-dire dans la façon de nommer et de s’adresser à toute personne que l’on classe dans sa parenté frères de père = pères et sœurs de mère = mères sœurs de père = tantes et frères de mère = oncles distinction entre cousins croisés = cousins, et cousins parallèles = frères

• Lignages patrilinéaires : transmission du nom, des droits sur la terre, des totems… Tous les lignages sont répartis en deux moitiés matrimoniales exogames, les Dui et les Bai. Alliance préférentielle avec la cousine croisée. Les deux conjugués font qu’a priori toute personne du sexe opposée de l’autre moitié que la sienne est un conjoint possible et donc considérée comme en position de cousin(e) croisé(e). À ces considérations générales s’ajoutent d’autres considérations particulières liées entre autre chose à l’histoire des lignages. Ce qui fait que certains lignages de la moitié alterne seront considérés comme des lignages frères et dont les membres seront donc exclus des conjoints possibles. Par ailleurs, les chemins pris par l’alliance font que chaque lignage a des relations d’alliance privilégiées, et le plus souvent réciproques, avec tel ou tel autre lignage particulier.

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Enfin, chaque lignage essaie de multiplier ses partenaires dans l’échange matrimonial de façon à disposer d’un réseau d’alliés le plus vaste possible.

• Les différentes formes de transferts d’enfants

En gros, deux types de transferts d’enfants : Le prêt <–> « gardiennage temporaire », c’est-à-dire enfant élevé ailleurs, jusque vers ses 12 ans. – Le don <–> « adoption proprement dite », c’est-à-dire enfant adopté ailleurs avec changement d’identité si changement de lignage. Auxquels il faut ajouter l’intégration d’adultes « étrangers » dans un lignage et même d’un lignage nouveau venu en son entier dans un autre qui l’accueille. Qu'en est-il en Nouvelle-Calédonie ? À travers l'étude précise des transferts d'enfants à Ponérihouen, nous allons voir en quoi la compréhension de l'adoption nous éclaire sur celle de la parenté paicî. Notons déjà le parallèle fait par A.G. Haudricourt entre les transferts d'enfants et l'intérêt pour les plantes exogènes :

« L'intérêt des Mélanésiens pour l'étranger "à cultiver" se manifeste aujourd'hui d'une façon frappante : leurs villages sont réellement envahis par les plantes ornementales américaines, asiatiques ou mêmes africaines. Chaque fois qu'ils peuvent se procurer la bouture d'une plante nouvelle, ils la rapportent chez eux ; ils échangent celles qu'ils possèdent. Le rapprochement s'impose avec les échanges d'enfants si courants en Océanie ; l'"évolué" qui répugne à donner ses enfants à "repiquer" dans les familles voisines est taxé d'égoïste et d'asocial. » (1964 : 102).

En comparant ainsi les transferts d'enfants aux échanges de clones d'ignames, Haudricourt replace l'adoption dans l'idéologie horticole kanak :

« Le paysan mélanésien cherche à se constituer une collection de clones la plus riche possible, soit en échangeant avec ses voisins, soit en rapportant des friches une nouveauté qu'il y a aperçue. Il est donc à la fois éveillé aux nouveautés et aux échanges. Il considère comme normal d'emprunter ou d'échanger les enfants, d'adopter un étranger. » (1972 : 38)

Il est nécessaire de distinguer ici entre l'adoption d'un enfant et celle d'un "étranger" adulte2. Si toutes deux reposent sur les mêmes principes généraux, notamment l'intégration de quelqu'un dans sa parenté patrilinéaire, ces deux sortes d'intégration partent de situations différentes. Comme le souligne Bensa (1996 : 111) :

« Le migrant, éloigné de ses habitats-souches, est perçu comme un être désocialisé ; il vivait, dit-on, à l'écart, dans la forêt, jusqu'à ce qu'il soit invité à entrer dans le terroir qui l'accueille. Cet étranger est, par là, explicitement inscrit dans un nouvel espace géopolitique et détaché de son groupe d'origine, c'est-à-dire de ses agnats et de ses maternels d'autrefois. En conséquence, on l'assimile à un enfant adopté, nourri et éduqué par ses nouveaux parents, ses hôtes, qui cumulent à son égard les fonctions de pères et de mères. Comme des parents paternels, ils lui transmettent un nom de lignage, et une appartenance clanique ; comme des utérins, ils doivent veiller aussi à son développement physique et à sa santé, le doter d'un corps fort, à cette différence près que le corps qu'ils façonnent n'est pas destiné à un autre site que le leur : il est produit sur place et doit revenir, après sa mort et même de son vivant, un ancêtre local (cf. Haudricourt A.-G., 1964 : 93-104). »

L'enfant transféré ne peut être assimilé à un « être désocialisé » et c'est donc ailleurs qu'il faut chercher les motivations de la circulation des enfants. Il ne fait au plus que changer d'identité (2) Cette intégration d'un "étranger" dans un lignage, bien que reposant sur un principe similaire à l'adoption, semble correspondre à ce que Hughes Fulchiron et Pierre Murat (1988 : 92-97) nomment l'adrogatio : « l'adrogation est un acte de droit public qui met sous la puissance de l'adrogeant un paterfamilias ainsi que les personnes qui dépendent de celui-ci, alors que l'adoption proprement dite est l'acte de droit privé par lequel l'adoptant acquiert la puissance paternelle sur un membre d'une autre famille qui était déjà soumis au pouvoir d'un paterfamilias. » (1988 : 93). Car, en effet, bien souvent, il s'agit d'une partie de lignage qui, par ce principe, se trouve ainsi intégrée entièrement dans une autre parenté.

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de parenté, en cas de transfert d'un lignage à un autre. Une restriction doit cependant être apportée pour le cas des enfants nés de mère célibataire, c'est-à-dire non reconnus dans leur lignage paternel. la pratique de l'adoption dans la société kanak correspond beaucoup plus à ce que l'on appelle chez nous une adoption simple car elle procède au cumul des filiations et non pas au remplacement de l'une par l'autre comme c'est le cas dans l'adoption pleinière.

Les mariages préférentiels paicî Les lignages paicî sont patrilinéaires, à résidence patrilocale et se répartissent en deux moitiés matrimoniales dites intermariantes, les Bai et les Dui3. De façon générale, un homme (une femme) bai épouse une femme (un homme) dui. Dans les représentations, les Dui sont les utérins des Bai et vice versa, et chacun, d'une moitié à l'autre, se trouve ainsi automatiquement en position de cousin(e) croisé(e) classificatoire. L'alliance préférentielle est celle avec la cousine croisée, celle matrilatérale — fille (directe ou classificatoire) de l'oncle maternel — étant, dit-on, la plus valorisée. Par tout mariage, les paternels transmettent, aux enfants à naître, leur nom de lignage, des droits sur des terres et leur(s) totem(s) ; les maternels, quant à eux, transmettent le sang, la vie… et sont responsables de la bonne croissance et de la force de leurs neveux (nièces). Mais l'échange de sœurs qui se juxtapose généralement à ce mariage préférentiel fait qu'il y a souvent superposition entre la cousine croisée patri- et matrilatérale (schéma ci-dessous). Ce qui nous donne une interversion des groupes paternels et utérins pour les individus des générations ultérieures et le sang passe donc d'un groupe à l'autre, de génération en génération. Ainsi, à chaque génération, les oncles maternels ont épousé les tantes paternelles des enfants de la génération suivante.

3. Il existe plusieurs versions du jèèmâ, récit historico-mythique d'origine de ces moitiés, qui racontent la séparation des hommes entre Bai et Dui. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces différentes versions parce que ce serait beaucoup trop long, mais, globalement, on peut dire que, selon les versions, on remonte à deux ou trois ancêtres qui sont frères, hiérarchisés entre aîné et cadets, qui descendent du premier homme, qui sont ce que Lévi-Strauss (1967 : 80) en fait présente comme les deux héros culturels tantôt frères aîné et cadet, tantôt jumeaux, qui sont donnés comme étant à l'origine des organisations dualistes. Pourquoi deux ou trois selon les versions ? La majorité des informateurs sont d'accord sur deux, qui sont Dui Daulo qui a donné les Dui et Bwëé Béalo qui a donné les Bai. Mais, pour certains, il y a en plus la présence de Téâ Kanaké qui, pour les uns, chapeaute l'ensemble et est le chef de tout le monde alors que pour les autres, comme le dit Guiart (1963) notamment, il serait l'ancêtre de certains lignages, au même titre que Dui Daulo et Bwëé Béalo. Sur le terrain, personne ne m'a jamais dit que tel ou tel lignage descendrait de Téâ Kanaké. Ils sont toujours rattachés soit à Bwëé Béalo soit à Dui Daulo, donc à ces deux frères qui se sont mariés avec leurs sœurs et qui ont décidé, pour les commodités de l'alliance matrimoniale, de se séparer en deux moitiés, dui et bai.

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! O ! O

! O ! O

! O ! O

A B

1

2

3

A1

A5

A3

A2

A4

A6

B1 B2

B3 B4

B5 B6

Non

Terres

Non

Terres

Sang

Sang

Non

Terres

Non

Terres

transmission en ligne maternelle : le sang

transmission en ligne paternelle : le nom, la terre…

Lignage A

Lignage B

De façon plus large, on dit prendre femme dans le lignage de sa mère. Dans ces cas-là, on fait juste une petite coutume parce qu'on suit le chemin du sang4. Mais, comme on ne prend pas en considération que les oncles maternels directs, mais en fait tout le grand clan dans lequel ils se trouvent, on prend femme dans tous les lignages qui font partie du grand clan englobant le lignage des oncles utérins. Mais cela ne signifie pas que n'importe quel Bai peut s'allier à n'importe quel Dui. En effet, l'étude de l'application effective de ce modèle nous permet de mettre en avant d'autres règles négatives qui viennent contrarier le mariage entre Bai et Dui. En fait, dès la naissance d'un garçon, le père commence à lui chercher une femme :

« Quand il grandit un peu, je regarde chez ses tontons. Et je vois celui qui a des filles nées presque en même temps ou juste après. Alors, je prends une âdi et je vais là-bas pour leur dire : "je viens demander la main de votre fille pour qu'elle se marie avec votre neveu". Les tontons acceptent et ils sont contents car leur fille est garantie. Cette coutume est la mise d'un tabou èèë pour réserver la fiancée. Quand je ne vois pas de filles chez les vrais tontons de mon fils aîné, je regarde plus loin, dans les autres lignées des tontons, et je vois une lignée avec laquelle je peux faire une alliance. Je vais donc les voir pour discuter d'abord, pour leur dire ce à quoi j'ai pensé et leur demander s'il est possible d'avoir une de leurs filles, parce que, par rapport aux lignées, mon fils est encore un neveu pour eux. S'ils acceptent, je leur donne une âdi pour le èèë. C'est surtout quand on ne trouve pas de filles chez les tontons qu'on fait une nouvelle alliance. » (A. Mwâtéapöö, Ponérihouen, 17.03.1995)

Chaque lignage a donc des alliances préférentielles avec un certain nombre d'autres lignages5. Et tout lignage — je dirais même toute partie de lignage — a donc des chemins spécifiques en liaison avec quelques alliances primordiales, qui donnent pour chaque enfant d'un couple, en dehors de leur lignée utérine, un certain nombre de chemins possibles. De plus, tous les lignages de la même moitié ne sont pas forcément plus proches les uns des autres que de certains lignages de moitié différente. Cela dépend de leurs origines respectives6. Ainsi, si certains Bai (ou certains Dui) peuvent se marier entre eux, il faut que ce soient des lignages

4. Dans les composantes de la personne, le sang est dit en effet venir de la mère, c'est-à-dire du lignage utérin. 5. Comme par exemple : « Le chemin pour les Nâaucùùwèè, ce sont les clans dui suivants : Göpwéa, Nâwa mä Purumôtö, Göröatü, Poomâ, Göröârâjawé, Aiawa de Baa et de Nêavââ, Pwârâpwééaa, Mwêrêö (Séé, Cari , Èrùcuuké…), Gönârî. » (C. & A. Nâaucùùwèè, Göièta, 8.02.1995) 6. Ainsi, les Nâaucùùwèè et les Mêêdù, bien que tous deux Bai, sont dits très éloignés car ils ont des origines différentes. Par contre, les Nâaucùùwèè et les Näbai (bai) sont très proches, en raison d'une origine commune. Enfin, les Näbai sont "frères" des Aramôtö (dui) par le mélange des sangs de leurs guerriers. Mais cela n'empêche pas des Nâaucùùwèè de se marier avec des Aramôtö. De même, les Mwâtéapöö et les Gönârî, bien que l'un soit bai et l'autre dui, sont "frères" mais, cette fois-ci, en raison d'une même origine : les Gönârî sortent des Mwâtéapöö et c'est en prenant le nom de Gönârî qu'ils ont changé de moitié.

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 9 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

éloignés. Jamais on ne pourrait envisager un mariage Näbai-Nâaucùùwèè, disent-ils, car ce serait comme un inceste7. Il existe aussi, pour chaque lignage, des lignages de l'autre moitié, qui sont prohibés matrimonialement (voir aussi Bensa et Rivierre, 1982, 1988). Plusieurs facteurs peuvent entraîner des prohibitions de ce type : — Une partie d'histoire commune — avoir cheminé ensemble ou partagé le même habitat pendant une période donnée, alliance de guerre, service rendu… — qui font que l'un de ces lignages devient le père ou le frère de l'autre. Par exemple, le fait d'être accueilli quelque part. Léonard Pwârâiriwâ Mwâtéapöö est nommé ainsi depuis qu'il a été accueilli chez les Pwârâiriwâ de l'Embouchure. Il est courant de rajouter à son propre nom celui du lignage chez qui on a été accueilli, ou comme aussi les Mîî Pûrûê pour les Mîî de Poo qui sont restés à Mwââgu avec les Pûrûê… Dans le même ordre d'idée, quand quelqu'un a été élevé un moment enfant chez quelqu'un d'autre, tout en gardant son nom, à sa mort, une coutume peut être faite aussi dans ce lignage-là, comme on peut faire aussi une coutume à un lignage donné en souvenir d'un service rendu. C'est ce qui fait que certains lignages sont considérés comme des lignages frères alors qu'ils n'ont pas la même origine et constituent ainsi des sortes de phratries, lesquelles se surajoutent à la bipartition en moitié matrimoniale pour déterminer les conjoints prohibés ou possibles. — Le mélange des sangs de deux lignages par l'intermédiaire des cadavres de deux guerriers ennemis retrouvés l'un sur l'autre :

« Après la bataille, quand chaque clan va chercher ses morts, ils se trouvent face à un grand problème car ils trouvent un Näbai et un Aramôtö morts l'un sur l'autre et dont les sangs se sont mêlés. À partir de là, ils ont dits : "la guerre se termine là et on est ensemble caa âboro ("ensemble / homme")". Pour sceller cette alliance, un Näbai a pris un petit os de son avant-bras pour le donner aux Aramôtö qui ont fait de même en gage de leur engagement, pour signifier qu'ils constituent désormais le même corps, la même marmite sacrée. Une alliance de ce genre dure pendant des générations. Là, elle a duré jusqu'à R. Näbai qui a épousé une femme Aramôtö — Aramôtö Paijècaa de Saint-Yves. Les alliances Näbai-Aramôtö ont été rouvertes à partir de là. » (C. & A. Nâaucùùwèè, Göièta, 8.02.1995)

Ces prohibitions courent alors sur plusieurs générations, jusqu'au jour où l'on décide que l'on peut ouvrir à nouveau la "route matrimoniale". Sans rentrer dans le détail de la terminologie de parenté paicî, on peut dire que celle-ci est classificatoire : elle ne sépare pas totalement les lignes directes et les lignes collatérales et qu'elle effectue une certaine assimilation, d'une part, entre générations différentes et, d'autre part, entre individus de sexes différents. Ses caractéristiques générales, à savoir :

- à la génération au-dessus d'Ego : père et frère de père sont désignés par le même terme, caa "père" en adresse comme en référence, et sont tous deux distingués du frère de la mère, désigné par aunîaa8 "oncle" en adresse comme en référence ; de la même façon, mère et sœur de mère sont des nyaa "mères", et elles sont distinguées de la sœur de père

7. « Avec les Mwâtéapöö, nous sommes deux Bai, mais nous pouvons quand même nous marier. Lorsque je me suis marié avec la sœur d'André, le père d'André a rappelé avant le mariage tous les Bai avec qui les Mwâtéapöö pouvaient se marier : les Katéko, les Näpëërëwâ, les Märé mä Aranyêgi, les Pigo mä Pwëolaa… mais surtout pas les Nâaucùùwèè car, avec eux, ils sont dans une relation particulière née d'une alliance de guerre. Cette alliance fait que l'on considère les Mwâtéapöö et les Nâaucùùwèè comme deux frères et on ne peut donc plus se marier ensemble. C'était à l'époque d'une guerre à Wailu où les Mwâtéapöö ont fait appel aux Nâaucùùwèè pour qu'ils viennent les aider. C'est de là que date cet interdit de mariage entre nos deux clans. On dit caa âboro — "ensemble / homme" —, c'est-à-dire que c'est comme le même clan, ou encore caapwi ârâ pwa ilö — "un seul / contenant / faire cuisine de la marmite sacrée", — c'est-à-dire ceux qui mangent ensemble le contenu de la marmite sacrée. C'est mon mariage avec la sœur d'André qui a levé cet interdit de mariage et a rouvert la route des alliances matrimoniales entre les deux clans. Le père d'André a dit que maintenant c'était bien. » (C. Nâaucùùwèè, Göièta, 26.01.1995). 8. Le terme aunîaa peut être décomposé en au-, 1. trace ; 2. "préfixe nominalisant "là où, endroit où" ; et nîaa, "neveu : nièce d'homme".

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qui est une panîaa 9 "tante" ; ce qui est caractéristique d'une terminologie "bifurcate merging" - à la génération d'Ego : les cousins parallèles, enfants de frère de père, sont des frères et sœurs au même titre que les germains et sont distingués de ceux de l'oncle maternel et de ceux de la tante paternelle, cousins croisés matri- et patrilatéraux, böru ;

l'assimilent à une terminologie de type Iroquois. Cette assimillation des collatéraux masculins de père au père et de ceux féminins de la mère à la mère, et la distinction des autres collatéraux (féminins pour le père et masculins pour la mère) serait une des conséquences du système dualiste (Lévi-Strauss, 1967 : 83). De plus, la distinction entre d'une part, les frères et sœurs et les cousins parallèles assimilés à ceux-ci et, d'autre part, les cousins croisés :

« satisfait à toutes les exigences d'une organisation dualiste à moitiés exogamiques ; en vérité, il [ce vocabulaire] pourrait être la traduction, en termes de parenté, de l'organisation sociale en moitiés. Mais la même relation peut s'exprimer d'une façon différente. En effet, la terminologie dichotomique que nous venons de décrire coïncide aussi avec une autre institution très répandue dans la société primitive : le mariage préférentiel entre cousins croisés. […] Comme il existe une parfaite harmonie entre l'organisation dualiste, le système de parenté que nous venons de décrire, et les règles du mariage entre cousins croisés, on pourrait tout aussi bien dire, renversant la proposition précédente, que c'est l'organisation dualiste qui constitue, sur le plan des institutions, la traduction d'un système de parenté résultant lui-même de certaines règles d'alliance. » (Lévi-Strauss, 1967 : 114-115).

Cette assimilation transgénérationnelle des termes d'adresse se retrouve dans les attitudes et les comportements liées à la parenté. Il y a même parfois assimilation totale par le biais de l'homonymie. Bien sûr, tout ceci est beaucoup trop rapide et nécessiterait une plus longue présentation, ce qui sera faite utérieurement. Pour conclure néanmoins à propos de ce dualisme matrimonial — système qui indique avec qui on peut se marier — et sur les alliances préférentielles des cousins croisés — tendance qui désigne qui est dans la position d'épouse —, je dirais que plusieurs autres critères interfèrent sur les moitiés matrimoniales exogames pour déterminer d'autres conjoints prohibés ou pour limiter encore plus ceux possibles. Ceux-ci sont de différentes natures : les alliances guerrières, l'isogamie, mais aussi la résidence et la localité, dont nous n'avons que très peu parlé. Tout se passe comme si chaque moitié, qui comprend différents clans eux-mêmes regroupant plusieurs lignages, pouvait être traversée par d'autres recoupements, variables dans le temps et dans l'espace, et n'affectant pas forcément tous les lignages d'un même clan et/ou d'une même moitié de façon identique et déterminant autant de phratries. D'après le schéma ci-dessous, les membres des lignages compris dans un quelconque des mêmes ensembles ainsi définis ne pourront donc pas, selon les normes prônées, se marier. C'est donc une nouvelle règle négative qui se surajoute à celle de la prohibition de l'inceste. Seul le clan Vêkumè n'entre pas dans ce schéma puisque bien que bai, il comporte un lignage dui. Par contre, l'isogamie, non prise en compte non plus dans ce schéma, se surajoute comme règle positive.

9. Le terme panîaa peut être décomposé en pa-, causatif ; "article" pluriel, peut marquer le féminin ; et nîaa, "neveu : nièce d'homme".

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 11 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

Bai Dui

Séparation des moitiés matrimoniales

Ba1

clans composés de lignages

phratries transversales aux moités

phratries à l'intérieur d'une moité

phratries à l'intérieur

d'une moité

Ba2

Ba3 Ba4 Bb1

Bb2Bb3

Bc1

Bc2 Bc3

Bc4 Bd1

Bd2Be1

Be2 Be3

Da1

Da2 Db1

Db2

Dc1Dc2

Dc3

Da3Db3

Dc4Dc5

Dd1

Dd2

Dd3De1

De3De2

Dd4

Be4

Bd3

Be5Be6

Ba, Bb, Bc, Bd, Be : clans baiDa, Db, Dc, Dd, De : clans dui

1, 2, 3… n : lignages composant un clan donné

Après cette présentation rapide du système de parenté paicî, voyons ce qu'il en est de l'adoption des enfants.

Les Transferts d'enfants On ne saurait étudier la parenté dans toute sa dimension, en Nouvelle-Calédonie, sans tenir compte des transferts d'enfants (adoption et fosterage). L'un des objectifs de ce travail est en effet de voir pourquoi et comment on donne un enfant et à qui on le donne. Les Paicî distinguent plusieurs types d'adoption, qui vont de l'adoption en tant que tel à un prêt momentanné, dont les principales motivations sont l'absence de descendance, le rappel des alliances ou le règlement d'une dette.

Discours et représentations kanak en matière d'adoption Pour analyser les phénomènes de transferts d'enfants et les comparer aux mariages, on peut partir soit de celui qui donne un enfant, soit de celui qui le reçoit, autrement dit en distinguant preneur et donneur d'enfants. Les Kanaks différencient plusieurs types d'adoption. La première distinction se fait au niveau du changement ou non de nom. Il faut distinguer en effet "adopté coutumièrement", c'est-à-dire "élevé par10", tout en gardant son nom de clan, de l'adoption avec changement de noms. 10. Comme je n'ai comptabilisé de façon systématique, lors des enquêtes généalogiques, que les adoptions proprement dites, dans ce chapitre sur les transferts d'enfants, je ne détaillerai donc que les adoptions. Cela ne signifie pas pour autant que les pratiques de fosterage soient de peu d'importance ; bien au contraire ! Celles-ci ont un rôle indéniable dans le rappel des alliances entre différents lignages. Simplement, elles sont beaucoup plus difficiles à repérer systématiquement, puisqu'elles n'impliquent aucun changement durable de statut — elles ne sont donc pas repérables en tant que telles dans les généalogies recueillies — et qu'elles ne se font quasiment plus aujourd'hui. Je n'en parlerai donc que d'un point de vue qualitatif, en insistant notamment sur leur différence de nature et de singification d'avec l'adoption plénière. Néanmoins, rappelons rapidement ce qui, dans les transferts d'enfants en Nouvelle-Calédonie, distingue le fosterage de l'adoption. Les caractérstiques de l'adoption sont les suivantes : c'est un don ; l'enfant est transféré définitivement, généralement à sa naissance, chez des parents adoptifs qui deviennent ses parents classificatoires. ; il y a changement d'identité et de statut ; seuls les

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Mais il y a aussi adoption sans changement de nom lorsque cela se passe à l'intérieur du lignage. Il existe encore une autre sorte d'adoption, soit à l'intérieur du même lignage, soit dans un autre lignage. Un enfant peut être "donné à" quelqu'un dans le lignage — dans le sens "d'attribué à" —, comme par exemple D. qui a été donnée au frère de son père, B., sans pour autant faire l'objet d'un transfert. Cela influe sur les relations que D. a avec B. et ses enfants. De ce fait, D. n'a plus de rapport libre avec lui et ses enfants, qui sont des petits frères et des petites sœurs. D. a donc les mêmes relations qu'avec son vrai père. Cela peut être fait aussi chez les utérins, ou bien dans un lignage frère, ou encore dans un lignage allié, même apparemment très éloigné, mais qui antérieurement était en relation avec eux. Enfin, une autre façon d'être attribué à quelqu'un est de porter son nom, ce qui peut être fait par rapport à une personne avec laquelle on n'a aucun lien d'alliance. Cela crée un lien de type frère entre les deux personnes qui portent le même nom. C'est un lien de jènôôrî. Ces différentes sortes d'adoption se trouvent marquées dans le vocabulaire paicî par les expressions suivantes : - èrù o nââ (+ lieu) j'ai été élevé à (+ lieu), /élever/moi/à (avec mouvement)/ (+

lieu) ; les parents qui élèvent disent aussi èrù, comme ils le disent pour leurs propres enfants (cf. note @71)

- èrù o nââ jaa X j'ai été élevé chez X, /élever/moi/à (avec mouvement)/près de, à côté de/X - nä ô të wë X j'ai été donné à X, /donner/moi/à (attributif)/introduit le complément animé/X - töpwö é nââ-nä jèè tää X donner un enfant en adoption, /mettre, installer/lui/dedans/ autre/clan/X - é popa o wë X j'ai été adopté par X, /il/prendre, recevoir/moi/introduit le complément animé/X bë popa èpo kë /nous (exclusif)/prendre, recevoir/enfant/bien, chose à/ les parents disent ça pour dire qu'ils ont pris pour eux - popa é géé nä tää X adoper un enfant, /prendre/lui/de/dans/lignage/X - (p)i pa èpo adoption, /prise/enfant/ - popa èpo adopter, /prendre, recevoir/enfant/ - nä ô të wë donner en adoption, - pi nââ èpo adopter, adoption, /reciproque/donner, recevoir/enfant/ - ipièrù , èrù élever Adopter un enfant se dit donc pa èpo, /prendre/enfant/, du point de vue du lignage preneur, alors que popa èpo signifie aussi bien recevoir que prendre un enfant, car popa est littéralement aussi bien "recevoir" que "prendre, emmener, s'emparer" :

« Popa èpo, c'est pour les deux, quand je parle de moi avec quelqu'un à qui j'ai donné un gosse. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 21.12.1993)

Enfin, on peut dire également i-pa èpo, /préfixe (réfléchi, réciproque, moyen)/prendre/enfant/, quand c'est un tiers qui parle de deux personnes qui se sont données un enfant.

liens avec les oncles maternels sont conservés ; c'est définitif, mais, dans certains cas, réversible ; l'enfant prend tous les droits et devoirs de son lignage adoptif, qui devient son lignage classificatoire, y compris le totem. Le fosterage se définit comme suit : c'est un prêt par lequel l'enfant est confié pour être élevé ailleurs que chez ses parents biologiques jusqu'à un certain âge ; il n'y a pas de changement d'identité et de statut en raison de son caractère momentané ; l'enfant garde tous les droits et devoirs de son lignage biologique et classificatoire, mais peut obtenir parfois quelques droits et devoirs dans le lignage qui l'a élevé (par exemple, terres, part de coutume pour eux au décès de l'enfant, etc.).

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« I-pièrù, c'est élever un enfant d'un autre pour moi, comme si c'est mon vrai enfant et que désormais il fait partie de mon clan. Mais on dit aussi i-pièrù pour les ménages qui ont des enfants, fruits de leur union11. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 21.12.1993)

Mais ipièrù c'est aussi "avoir des enfants". Cinq raisons principales m'ont été données pour ces transfert d'enfants. Il y a adoption dans les cas suivants : - pour "régler une dette", - pour remercier d'un geste ou d'un service rendu, - en cas d'absence de descendance, au niveau d'un couple ou au niveau du lignage, - pour rappeler les alliances passées, - en retour d'une femme qu'on n'a pas pu rendre. Si pour une dette ou une réconciliation, on donne plutôt une fille à adopter — ou une femme à marier12 — ; dans le cas du remerciement, par contre, il s'agit plutôt d'un garçon :

« Une "dette", c'est quand on a causé des ennuis ou manqué de respect ; dès fois, ça provoque des guerres ou des querelles. Pour réparer, on donne une monnaie âdi et une femme ou une fille. Le "remerciement", c'est par exemple quand je cherche une femme pour mon fils et que personne n'accepte ma proposition… Alors, quelqu'un à qui je n'ai pas pensé vient me faire une proposition et il a sauvé la situation en acceptant de donner une femme alors que je ne lui avais pas demandé. Aussi, on lui donne un garçon à adopter. Il y a un autre cas de remerciement, comme cela s'est passé avec S. G. Car les vieux ne voulaient pas qu'il se marie avec A. à cause de la religion, S. étant protestant et le père de A. catéchiste à la Mission. (…) Finalement, ils se sont mariés à Lifu à l'église avec le curé et le pasteur. M. est resté un mois et demi à Lifu. S. et A. ont donné leur troisième fils à M. pour qu'il soit Mwâtéapöö pour remerciement qu'il ait finalement accepté leur mariage. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 10.01..1996)

Une femme qui n'a pas d'enfants est mal vu, surtout par le lignage où elle est mariée. Dans le temps, ce pouvait être un cas de répudiation ; le plus souvent, la femme restait, mais on en prennait une autre. En plus, il est nécessaire d'avoir des descendants mâles pour assurer la succession du lignage. Mais, comme nous le verrons ci-dessous, il faut avoir aussi des filles pour être sûr d'obtenir une femme pour son fils. Aussi, quand on n'a que des descendants du même sexe, on cherche à adopter le sexe opposé. Dans le cas d'absence de descendance, si celle-ci aboutit au risque d'extinction d'un lignage, on adoptera de préférence un neveu :

« Dans le cas d'un clan qui s'éteint, l'adoption d'un garçon est plus importante pour perpétuer le clan. Très souvent, on ne prend pas n'importe comment. On va prendre un nîaa, un enfant de femme. Mais on ne doit pas faire de distinction si l'adoption a été faite avec l'accord de tous les membres du clan d'adoption. Car, normalement, on ne doit faire aucune distinction entre enfants adoptés et enfants nés dans le clan. » (C. & A. Nâaucùùwèè, J. Näbai, Göièta, 05.02.1996)

C'est essentiellement dans ce cas que l'adoption d'un garçon est plus valorisée semble-t-il que celle d'une fille, car il s'agit de perpétuer un lignage menacé. Il en est de même en cas de remerciement pour service rendu. Les filles par contre sont plus valorisées pour le réglement d'une dette, ou en retour d'une femme qu'on a reçu en mariage et que l'on n'a pas pu rendre. Car l'échange de femmes entre lignages est supposé être équilibré :

« Si X prend une femme chez Y, X s'attend à ce que Y vienne chercher une femme chez lui à un moment donné. » (C. & A. Nâaucùùwèè, J. Näbai, Göièta, 05.02.1996)

11. J.-C. Rivierre (1983) ne donne pour pièrù ou èrù que le sens de l'adoption : « èrù : se réserver (végétal ou humain) pour veiller à sa croissance, l'éduquer ; èrù i èpo kêê se réserver son enfant, vouloir l'adopter et l'élever » et « pièrù : élever les enfants d'un autre, avoir tutelle sur ; cf. èrù ; go pièrù goo-rë je les élève ». Mais il signale aussi que le terme èrù peut s'appliquer au monde végétal dans le sens de : « upwârâ êrê èrù arbre approprié, réservé, objet de soins ». 12. Le fait de donner une femme à marier pour une réconciliation, après une guerre entre deux clans, est une garantie pour ne plus avoir de disputes entre ces deux clans, car désormais : « il y a les neveux là-bas. Ce qui fait que pour la réconciliation, on procède à un échange de femmes. Si on fait la paix sans donner de femmes, il y a toujours la haine, les conséquences par la suite car on n'a pas donné de femmes. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 10.01.1996)

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« Il y a des Dui qui rentrent dans des familles Bai par adoption et vice-versa. C'est ce qui fait le lien pour rappeler les alliances. Aussi, dans les cas d'adoptions, on ne faisait pas de différences car les liens coutumiers, on ne peut pas les défaire. » (E. B. Tùtùgörö-Thonon, M. P. Tùtùgörö-Aramôtö, V. T. Tùtùgörö, Nâpwéépaa, 2.12.1993)

Sinon, dans les autres cas, les justifications du choix du sexe de l'enfant adopté sont d'ordre personnel, dit-on. Certains préfèrent avoir des filles pour pouvoir perpétuer les routes matrimoniales ; d'autres préfèrent avoir des garçons pour assurer une descendance à leur lignage. Mais, dans la mesure du possible, on essaie de maintenir un certain équilibre entre filles et garçons. En règle générale, ce sont les parents qui souhaitent adopter un enfant qui font une proposition aux parents biologiques. Ils vont donc les voir pour leur proposer de prendre un de leurs enfants. Si les parents biologiques de l'enfant sont d'accord, ils vont voir les autres membres du lignage. Cela se passe différemment selon que c'est une fille ou un garçon qui doit être adopté. En cas d'adoption d'un garçon dans un autre lignage, il est nécessaire d'obtenir l'accord de l'ensemble du lignage, en raison des droits que celui-ci acquiert en devenant membre de ce lignage. Ce n'est qu'après que l'on fait la coutume pour concrétiser l'adoption. C'est tout le lignage d'adoption qui présente un geste aux parents biologiques ; cette coutume est dite u pa èpo, "pour prendre l'enfant", qui, au même titre que celle faite par la famille du mari "pour prendre la femme", u pa ilëri, fait partie des coutumes nommées u pa âboro, "pour prendre un individu". À cette coutume correspond celle faite par la famille qui donne, l'enfant ou la femme selon les cas, qui s'appelle u töpwö âboro, "pour poser l'individu", soit u töpwö èpo ou u töpwö ilëri. Ce geste permet à la personne ainsi transférée d'avoir dans le lignage où elle arrive, que ce soit par adoption ou par mariage, les mêmes droits que n'importe lequel des autres membres du lignage concerné par cette arrivée. En cas de transfert d'enfant à l'intérieur du lignage, il n'y a donc pas besoin de faire ces coutumes — pour prendre et installer l'enfant. Pour certains informateurs même, de tels transferts d'enfants à l'intérieur de leur lignage de naissance, tout en ayant toutes les caractéristiques d'une adoption plénière, ne sont pas à mettre sur le même plan que ceux ayant lieu dans un autre lignage, puisque l'enfant reste où il doit être (cf. ci-dessous). Il change juste de parents directs, qui en fait se trouvent souvent déjà en position de parents classificatoires. Il était toujours possible de refuser de donner un enfant, comme on pouvait le faire aussi pour une femme demandée en mariage d'ailleurs. Si ce n'est pas forcément mal vu de refuser — c'est souvent la mère qui refuse de donner son enfant en adoption car "c'est elle qui décide", dit-on —, cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir de la rancœur gardée par celui qui voit sa demande rejetée. Selon les informateurs, les coutumes faites pour le transfert d'un enfant, soit sont les mêmes qu'il s'agisse d'une fille ou d'un garçon, soit sont plus importantes dans le cas d'une fille, car celle-ci, quand elle se mariera, donnera une descendance au lignage dans lequel elle s'est mariée et des neveux et nièces à son lignage adoptif.

« Les vieux ici, ils ont dans l'idée qu'il faut beaucoup de filles, car une fille, c'est la lumière, c'est le foyer, c'est la famille. Si il n'y a pas de filles, il n'y a pas de foyer, il n'y a pas de succession. C'est pour ça que beaucoup de clans préfèrent avoir des filles ; et pour prendre une fille (sous-entendu une femme), il faut donner beaucoup de présents pour remercier les parents de l'avoir élevé. Quand il y a une adoption de fille, il y a une différence dans le geste par rapport à un garçon. Car les vieux considèrent que la femme, c'est la vie. Le discours n'est pas pareil pour un garçon. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 10.01.1996)

Il n'y a pas de règles négatives pour les adoptions et il ne semble pas qu'il y ait des adoptions prohibées, comme c'est le cas pour les mariages. Mais, celles-ci ne peuvent se passer qu'entre lignages qui ont de bonnes relations ; ce qui fait que c'est toujours plus facile quand il existe des liens de parenté entre les couples concernés par le transfert d'un enfant. Lorsqu'un oncle maternel adopte un neveu — une nièce —, il l'adopte en tant que tel, c'est-à-dire comme un nîaa, ce qui n'empêche pas que celui-ci devienne frère — sœur — de ses autres enfants. Par

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contre, à la génération suivante, on ne fera plus aucune distinction entre les enfants du nîaa et ceux des enfants biologiques de l'oncle. Mais un neveu peut également être adopté comme fils, ce qui est plus rare, car, dans ce cas-là, il y a juxtaposition du père et de l'oncle. Ceci se passe, comme nous l'avons mentionné ci-dessus, en cas de risque d'extinction de lignage. De la même façon, un grand-père adopte généralement son petit-fils — sa petite-fille — en tant que tel, comme on peut adopter un enfant aussi en tant que frère - sœur. Tout ça est fixé au moment de l'adoption, pour ne pas changer l'enfant transféré de niveau généalogique et rester dans les mêmes appellations de parenté, du côté biologique comme du côté classificatoire. Cela se produit essentiellement pour les transferts à l'intérieur d'un lignage.

« Ceux qui ne changent pas de noms et qui restent dans leur lignage de naissance, ce n'est pas une adoption car ils sont là où ils doivent être. Surtout pour les mères célibataires, car on ne connaît pas les autres (sous-entendu les paternels) puisqu'il n'y a pas eu de coutumes de faites. » (D. Görödé-Pûrûê, Mwââgu, 22.02.1996)

C'est souvent dans le cas d'enfants nés de mères célibataires que le grand-père adopte son petit-fils ou sa petite-fille :

« Dans le cas des filles mères, on adopte son enfant pour sauver la situation et permettre à la mère de pouvoir se marier quand même. Mais, si elle veut garder son enfant, on ne l'oblige pas à le donner. Dans le temps des vieux, c'était mal vu qu'une fille ait un enfant comme ça car elle était réservée pour quelqu'un dès sa naisance pour se marier. Aussi, cela provoquait souvent des disputes ! Dans le temps des vieux, avoir un enfant de père inconnu, c'est une honte dans la famille. Aussi, quand une fille tombait enceinte, on avait des médicaments pour faire disparaître l'enfant. Car toute fille était toujours retenue déjà pour quelqu'un d'autre. C'est pour ça qu'on garde l'enfant ainsi né dans la famille. Mais seulement, il est déjà mal vu car c'est le gosse d'une fille13. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 09-10.01.1996)

En fait, il faut nuancer cette position : « La fille retenue dès la naissance, c'est le principe et c'est là surtout qu'il y a un problème quand la

femme est enceinte comme ça, c'est si elle a été retenue ou si elle a été élevée chez quelqu'un pour y être mariée. Cela provoquait des cas de suicides chez ces femmes enceintes. Pour les cadettes notamment, où il n'y a pas de coutumes faites pour les retenir, je ne sais pas. Ce sont surtout les aînées qui étaient ainsi retenues dès la naissance. En plus, il faut distinguer deux choses : il y a retenu dès la naissance avec une coutume et puis il y a sans coutume, mais toute petite, on lui apprend qu'elle est censée aller se marier là, dans le clan de ses tontons, ce qui n'est pas forcément d'ailleurs ses tontons directs mais c'est plus large. Car le mariage entre böru, c'est beaucoup plus large que les véritables tontons. » (D. Görödé-Pûrûê, Mwââgu, 22.02.1996)

Comme, dans ces cas de naissances, les oncles maternels se trouvent être aussi les paternels de l'enfant, on fait souvent appel à une autre branche du clan pour remplacer les tontons au niveau des coutumes :

« Pour Céu, par exemple, j'ai fait appel aux Gönârî pour remplacer les tontons. C'est à eux que j'ai apporté le geste. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 09.01.1996)

Ces cas d'adoptions d'un petit-enfant signifient en fait "être adopté dans le clan sous la responsabilité de telle personne", afin de donner une identité sociale, à un enfant né d'une femme, dans cette société où l'idéologie patrilinéaire domine. Selon les informateurs, les pratiques adoptives auraient connues quelques modifications depuis la colonisation :

« Dans le temps, ce n'est pas comme maintenant, on n'adoptait pas n'importe qui : c'était soit dans le clan allié, utérin — on demandait ses neveux —, soit dans son propre clan, lignage — un cousin qui n'a pas d'enfant en demande un. Mais on n'adoptait pas non plus dans n'importe quel clan. Actuellement, on adopte n'importe comment, ce qui provoque des litiges. On dit "celui-là, il n'est pas d'ici…" » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 26.11.1993)

13. Les enfants nés hors mariage peuvent être dits des "enfants volés", dans le sens où ils sont soustraits au lignage de leur père biologique. Mais, souvent, cela provient du fait que celui-ci ne veut pas reconnaître sa paternité et faire les coutumes nécessaires envers les oncles maternels de l'enfant.

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Ne pas adopter "n'importe qui" signifie aussi que l'on ne transfère des enfants qu'entre lignages de rang équivalent, en respectant en cela l'isogamie matrimoniale, ce qu'avait souligné J.-P. Doumenge (1982 : 77) :

« L'adoption complétait les droits de succession. La règle générale voulait que l'adopté rompit les liens qui l'unissaient à sa famille biologique. Il était pris entièrement en charge par ses adoptants. Quand ces derniers ne possédaient aucune descendance biologique, l'adopté faisait office de substitut. Si l'adoptant avait déjà des enfants, le nouveau venu profitait des mêmes droits que ses frères adoptifs. Au moment du choix de l'adopté, l'adoptant tenait toujours compte du clivage aîné-cadet, car tout transfert ne pouvait se faire que par assimilation de l'un à l'autre. Un adoptant en position d'aîné choisissait un de ses "semblables" parmi les postulants d'un lignage ayant la même personnalité que lui dans le cadre de la société globale. Dans tous les cas, un "nouveau venu" ne pouvait être adopté que s'il s'intégrait dans un circuit d'identification comportant localement des correspondants. Faute de correspondance, l'étranger était chassé. »

Il est nécessaire de nuancer l'affirmation de J.-P. Doumenge selon laquelle l'enfant transféré ne conserve aucun lien avec sa famille biologique, car il n'y a pas de secret adoptif et l'enfant garde toujours des relations avec ses parents biologiques. D'ailleurs, au niveau des termes de parenté d'adresse et de référence qu'il utilise, il garde ses relations de parenté avec sa famille biologique, sauf quand il est adopté au loin — ce qui fait qu'il perd l'emploi des termes de parenté dans son lignage biologique et ne se situe que par rapport à son lignage d'adoption — ou que les parents adoptifs décident qu'il doive rompre tous liens avec sa famille biologique et ne se situer que par rapport à sa parenté classificatoire. Mais, dans tous les cas, la rupture n'est jamais totale, puisque, au niveau du respect des prohibitions de l'inceste, tout adopté ne pourra se marier ni dans son lignage de naissance ni dans son lignage adoptif. Il cumulera donc les interdits matrimoniaux propres à chacun d'entre eux.

« L. a été adopté chez les Tùtùgörö et il ne peut donc pas se marier chez les Mwâtéapöö, son clan d'origine. Il prend le totem de son clan d'adoption mais il garde ses vrais tontons. Si il revient toujours là, c'est parce que ses parents adoptifs ne se sont jamais occupés de lui. Il a grandi avec nous car, après l'avoir demandé et fait le geste coutumier pour l'adopter, ils ne l'ont pas pris avec eux. L. nous appelle toujours papa et maman. Et c'est aussi pour cela qu'il a fait construire sa case chez nous à Cäba. Il a voulu reprendre le nom Mwâtéapöö mais j'ai dit que ce n'était pas la peine. Ça ne change rien de toutes façons. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 09.01.1996)

Même si cet exemple est un peu particulier, il n'en demeure pas moins que l'enfant transféré dans un lignage proche garde toujours ses liens de parenté avec son lignage d'origine et emploie les termes de parenté par rapport à ses liens biologiques dans son lignage de naissance, tout en prenant ceux correspondant à sa parenté classificatoire dans son lignage adoptif. Une autre situation peut se produire aussi, quand les parents biologiques et adoptifs ne se trouvent pas dans le même rapport vis-à-vis de l'enfant et, dans ce cas, ce sont les parents adoptifs qui décident comment l'enfant doit se situer par rapport à sa parenté biologique. Dans tous les cas, c'est la décision des parents adoptifs, prise au moment du transfert, qui prime. Mais on peut aussi prendre quelqu'un comme un gendre ou une belle-fille. Il s'agit alors de fosterage. C'est souvent le lignage des maternels qui vient demander une fille pour l'élever, pour qu'elle reste avec eux avant de se marier chez eux14 :

« La mère de W. a été élevée ainsi chez les Pwârâiriwâ pour se marier là. Mais, finalement, elle s'est mariée chez les Pwiié. Le grand-père de M. avait aussi amené une femme "adoptée" pour son fils qui n'en a pas voulue. Aussi, elle a été mariée chez un clan frère. Ma tante, M., a été amenée ici comme ça également. C'est son oncle, Téâ Albert, qui est allé la chercher pour être la femme de l'autre vieux. Elle avait environ quatorze-quinze ans. Il a dit, en venant la chercher, qu'il lui fallait quelqu'un pour s'occuper de lui parce qu'il était vieux… Et comme c'est un tonton, il n'était pas possible de refuser ! » (D. Görödé-Pûrûê, Mwââgu, 13.02.1996)

14. Mais on peut aussi tout simplement donner un enfant au clan maternel en remerciement de la femme qui est venue et qui a donné des enfants au clan paternel.

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Les filles ainsi prises pour futures belles-filles gardaient donc leur nom de lignage jusqu'à la "célébration du mariage15" en question. C'est donc plus à rapprocher de "élevé coutumièrement par" ; mais cela est plus étendu que ça, car on peut être élevé coutumièrement par quelqu'un en rappel d'une alliance passée ou, à l'inverse, pour ouvrir une nouvelle route. Dans ce dernier cas, c'est l'appel à un mariage futur entre les deux lignages concernés par ce fosterage. On peut aussi être élevé ailleurs jusqu'à un certain âge, en rappel d'une alliance passée, mais cela n'est pas définitif. Dans ce cas, la durée ne compte pas ; cela peut être très court, mais c'est le fait de manger dans la même marmite finalement qui compte. Et c'est là sans doute une différence notable entre fosterage et adoption, c'est que le premier n'est fait que pour marquer, reconnaître ou encore créer des liens d'alliances, l'échange des femmes, alors que l'adoption peut correspondre à plusieurs raisons, dont celle du rappel des alliances passées. L'enfant, élevé ailleurs et qui n'y a pas été adopté, peut y rester devenu grand et, dans ce cas, une coutume est faite pour cela. À l'inverse, un enfant qui a été adopté ailleurs peut revenir dans son lignage d'origine, et là encore, une coutume de retour doit être faite :

« Mon arrière-grand-père, Göru Mwîînô, au cours d'une guerre, se trouvait dans le fond de la vallée. À un endroit, ses compagnons ont entendu un enfant qui pleurait. Ils sont venus le dire à Göru qui a demandé si c'était une fille ou un garçon. Comme c'était un garçon, il l'a pris comme son fils et l'a élevé en même temps que Cau Nâkapita. Pourtant, c'était le fils des ennemis qu'il était en train de combattre. Quand les Pwârânäunâ étaient sur le point de s'éteindre, leurs sujets sont venus le chercher car il n'y avait plus de descendants. Göru a dit de voir si l'enfant était d'accord pour retourner chez eux. Il est parti mais il a dû gardé le nom de Nâaucùùwèè. Une de ses filles est mariée avec le chef de Göa. Agnès, au niveau de l'état civil, devrait être Nâaucùùwèè. Ou alors, peut-être qu'il a repris le nom de Pwârânäunâ au moment du recensement. Le fait de garder le nom Nâaucùùwèè était une garantie de ne pas avoir de problème par la suite avec les Nâaucùùwèè. » (C. Nâaucùùwèè, Göièta, 05.02.1996)

« Il est possible que des enfants adoptés reviennent dans leur clan de naissance. G. par exemple… Ses parents adoptifs ne s'occupaient pas de lui. Sa mère adoptive en plus est décédée et son père adoptif s'est remarié avec une femme qui ne l'aimait pas. Aussi, G. restait toujours avec son grand-père Göpwéa. Quand il est devenu grand, il lui a dit qu'il voulait revenir chez les Mwâtéapöö. Le grand-père était d'accord, mais il est mort avant que ça ne soit fait. Aussi, on a fait la démarche coutumière pour le reprendre. Mais on n'a pas encore fait les démarches pour l'état civil. » (A.M. Mwâtéapöö, Cäba, 09.01.1996)

Cela ne remet pas en cause le caractère définitif de l'adoption plénière ; c'est plutôt comme si, une fois adulte, il décidait de revenir se faire adopter dans son lignage d'origine. Ainsi, les Kanaks ont donc prévu une certaine réversibilité de l'adoption plénière et la tansformation du fosterage en adoption plénière, et ce, de par la volonté de l'enfant transféré devenu adulte. Dans tous ces cas, lors des mariages et décès des individus, une part des coutumes va là-bas aussi.

« Normalement, un enfant adopté quitte définitivement les sapins de son père biologique et est désormais sous le sapin de son père adoptif. Aussi, c'est fini et il n'hérite de rien de sa famille biologique. Ce n'est pas comme la femme qui peut effectivement hériter de quelque chose de sa famille, c'est comme une dote. Ça peut être important. Mais, en fait, c'est une pratique exceptionnelle que de lui donner un terrain. C'est souvent quand ses vieux ne veulent pas que leur fille parte. Le fait de lui donner un bout de terrain l'oblige à rester là. » (C. & A. Nâaucùùwèè, Göièta, 05.02.1996)

Ce n'est qu'en cas d'adoption plénière que l'enfant transféré prend, avec le nom, le totem de son lignage adoptif ; par contre, quelle que soit la nature du transfert, l'enfant garde toujours ses vrais oncles maternels :

« L'histoire, c'est le sang, qui vient du côté maternel et, quand l'enfant est né, ce sont eux qui amènent le souffle. Lorsqu'on donne un enfant en adoption, on prévient les tontons que leur neveu va être adopté

15. En fait, traditionnellement, il n'y avait pas de cérémonie de mariage au sens propre. Après que les coutumes aient été échangées entre lignages preneurs et donneurs de femme, celle-ci s'installait dans la famille de son mari et ce n'est qu'à la naissance du premier enfant qu'avait lieu une cérémonie officialisant l'union.

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par tel clan. Les tontons ne peuvent jamais refuser, c'est juste pour prévenir. L'enfant adopté prend les totems du clan adoptif, mais ses propres totems le suivent aussi, mais pas avec la même importance. Une fois adopté dans un clan, c'est moi qui doit être à la tête du clan où je suis adopté. » (A. Mwâtéapöö, Cäba, 16.01.1995).

Cela est à rapprocher de l'adoption d'un lignage ou d'une partie de lignage dans un autre. Lorsqu'on accueille quelqu'un ou un groupe venant d'ailleurs, il est courant de l'intégrer dans le lignage qui l'accueille par ce procédé et, parfois, de le mettre à la tête. Cela se produisait souvent lors des conflits entre lignages.

« Quand il y a des litiges entre les clans, moi je vais essayer de camoufler, de sauver le clan de son ennemi. Aussi, il reconnaît que si il reste en vie, c'est grâce à moi. Cela crée des liens en reconnaissance. S'il est dui, il devient bai en même temps car c'est comme une adoption. Par exemple, nous autres avec les Nâwa, ils sont dui, mais on les traite comme si c'étaient des Bai avec nous. C'est la même chose pour les Pèè de l'Embouchure. Car les clans que l'on cache, on finit par les adopter, leur donner nôtre nom. Nous, on doit à personne, mais on a sauvé beaucoup de gens ! » (A. & K. Mwâtéapöö, Nâpwéwiimiîâ, 12.01.1994)

« Les Aramôtö sont partis du pic Aramôtö à cause des guerres tribales, avant l'arrivée des colons. Certains sont partis et ont changé de clans, ils sont rentrés par adoption dans d'autres clans, comme les Göröârâjawé, les Pwëidaa, qui sont partis de Cäba. » (D.B. Aramôtö, Nâpwéépaa, 2.12.1993).

« Quand les Cöömârî sont arrivés à Göröcê, ils ont pris de nom Göröcê et sont devenus bai. Quand les clans sont chassés, poursuivis, on les cache quand ils arrivent là où ils sont accueillis ; ce qui fait qu'ils changent de noms et on ne peut plus les toucher ; dès fois aussi ils changent ainsi de moitié. » (R. Göröcê, Göröcê, 15.12.1993)

Cela pose parfois des problèmes dans la réalisation des généalogies. Car, comme on dit souvent : « ceux qui sont dans la terre, il ne faut pas les déterrer », ou encore « ce que nos vieux ont enterré, on ne peut pas le déterrer », pour signifier le fait que ceux qui ont été ainsi intégrés dans un autre lignage pour être soustraits à leurs ennemis, cela doit rester caché. Un autre fait induit certaines difficultés lors de l'enquête généalogique. Il s'agit des cas d'adoption ne respectant pas la règle d'isogamie et permettant ainsi la captation de biens et de droits usurpés, ce qui occasionnent de nombreux conflits :

« Les phénomènes d'adoption sont très fréquents. Or, l'assimilation d'un individu à un lignage particulier peut être remise en cause lorsqu'on le sait issu d'un autre beaucoup moins respecté. Il est dans l'habitude des Mélanésiens, autant que faire se peut, de combler les vides qui peuvent se faire jour dans le tissu social avec l'extension d'une lignée et, plus encore, d'un lignage. Mais l'élément adopté peut faire figure d'intrus, surtout lorsque l'adoption permet de capter la richesse terrienne d'un authentique groupe autochtone. » (Doumenge, 1982 : 189)

Si, auparavant, le processus de transfert d'enfant ne concernait que les deux lignages partie prenante — preneur et donneur — qui se mettaient d'accord pour ce faire, aujourd'hui, depuis la création de l'état civil indigène, les adoptions doivent être officialisées par le tribunal civil.

Adoption coutumière et état civil français Pour que le statut civil particulier régissant les Kanaks prenne en compte l'adoption, cela signifie sans aucun doute que ce phénomène a été de tout temps des plus généralisés :

« L'article 37 de la délibération du 3 avril 1967 est formel sur ce point : l'adoption est régie par la règle coutumière et fondée sur le consentement des familles intéressées. La pratique administrative fait là aussi appel à la consultation des familles ou clans intéressés par voie de procès-verbal de palabre dressé par le syndic des Affaires mélanésiennes. Mais le plus souvent, l'adoption n'est portée à la connaissance de l'organe administratif que s'il y a des incidences financières (octroi d'allocations familiales, etc.). Des adoptions coutumières peuvent donc se produire tout en étant ignorées de l'état civil. » (Agniel, 1993 : 10)

Plus d'une fois, en effet, ne m'a-t-on pas dit, lors de l'enquête généalogique, que untel était adopté, dans la coutume, par X, mais que cela n'était pas reporté dans l'état civil. Certains non-Kanaks — personnels administratifs, médecins… — voient dans l'importance des adoptions actuelles un moyen de captation d'aides financières, notamment des allocations

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familiales. Je ne me prononcerai pas sur cette appréciation, n'ayant aucun élément à ma disposition en la matière. Par contre, il est une autre pratique dont on peut parler et qui concerne l'adoption d'enfants nés d'alliances mixtes, entre femmes kanak et hommes non-kanak ou l'inverse. En effet, la statut de droit civil particulier veut que seuls les enfants nés de deux parents de statut civil particulier soient reconnus de statut civil particulier. Tous ceux nés d'une alliance mixte sont automatiquement de droit commun, en vertu du principe de supériorité du statut de droit commun sur celui de droit particulier. Ce qui fait que des transferts d'enfants se font alors dans le but de donner aux enfants le statut de droit particulier et les droits afférants, notamment sur les terres. Mais cette situation n'est pas réellement prévue dans les textes. Si, dans le cas de l'adoption d'une personne de statut civil particulier par des citoyens de droit commun, ce sont les articles 343 à 370-2 du code civil qui les régissent, donc comme des adoptions de droits communs, qu'en est-il dans le cas inverse :

« b) […] la difficulté réside dans la détermination du statut civil de l'adopté. Les pratiques administratives et judiciaires concordent sur ce point : l'adopté prend le statut civil des adoptants, donc celui de droit commun. En l'absence de tout texte réglementaire ou législatif, le doute subsiste. Si on peut admettre que, dans le cas d'une adoption plénière, il y ait changement de statut civil, l'adoption simple pose problème sur ce point. c) Adoption d'une personne de statut civil de droit commun par des adoptants de statut civil particulier : la situation rencontrée est délicate et n'a pas reçu de solution catégorique tant de l'administration que de la juridiction civile. En effet, si l'on admet le principe inital de la supériorité du droit commun, et en se fondant sur la lettre de la constitution qui ne prévoit le changement de statut civil que dans le sens du statut civil de droit particulier vers le statut de droit commun, on aboutit à une double impasse : - en ce qui concerne la détermination du statut civil de l'adopté : si la détermination ci-dessus est suivie, l'adopté doit prendre le statut civil de l'adoptant. Or, dans les faits, cela se traduirait par le passage du statut civil de droit commun au statut civil de droit particulier, ce qui n'est pas expressément prévu par la constitution ; une telle conséquence pourrait être considérée comme contraire à la lettre ; - en ce qui concerne la forme et la procédure de l'adoption : si on se réfère au cas des figures du §b ci-dessus, on constate que c'est le statut des adoptants qui entraîne le choix de la procédure. Dans l'hypothèse étudiée, ce principe ne saurait être appliqué : on voit mal, compte tenu de la primauté du droit commun, l'adoption d'une personne de statut civil de droit commun être régie par les règles coutumières. » (Agniel, 1993 : 10)

Ainsi, il n'est pas sûr, à la lecture de ce texte, que ceux parmi les Kanaks qui pensent pouvoir résoudre le problème du statut de leur enfant né d'une union mixte, et lui donner ainsi un statut social à part entière dans leur lignage — notamment le droit aux terres — en le faisant adopter par un agnat de droit civil particulier, arrivent à leurs fins. Après cette courte présentation du discours kanak sur les transferts d'enfants et des textes régissant aujourd'hui cette dernière, voyons ce que nous donne l'analyse des généalogies recueillies. Comme je l'ai mentionné ci-dessus, je ne dispose d'aucune donnée quantitative sur les fosterages ; je n'en tiendrais donc plus compte pour la suite de ce chapitre et tous les transferts mentionnés concerneront donc tous des adoptions plénières.

L'adoption dans les faits Globalement, l'analyse des données généalogiques nous permet de dégager deux situations de départ, soit une mère célibataire, soit un couple, qui donne un enfant. Au total, ce sont 341 enfants sur les 1374 enregistrés qui ont fait ainsi l'objet d'un transfert, soit 25 %.

* ENFANTS NÉS D'UNE MÈRE CÉLIBATAIRE Dans le cas des enfants nés d'une mère célibataire — 142 mères célibataires ayant eu 220 enfants ont été enregistrées —, les 178 enfants (80,9 %) qui ont fait l'objet d'un transfert ont été adoptés, en majorité, dans le lignage de la mère (58,4 %), soit par son frère (28,7 %), soit par son père (27 %) — les 2,7 % restants par divers parents de la mère. Ces enfants ne changent donc pas de noms patronymiques. Comme ils se trouvent dans le lignage de leur oncle utérin, on doit faire appel, pour toutes les cérémonies coutumières nécessitant la

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présence ou l'intervention de l'oncle maternel de l'enfant, à un béré-nîaa, c'est-à-dire une personne ayant les mêmes oncles maternels, mais se trouvant dans un autre lignage. Face à ça, 41,6 % des ces enfants ont été adoptés dans un autre lignage (patronyme différent), dont 9 % par des grands-pères maternels classifcatoires de la mère biologique, 9,6 % par des beaux-frères classificatoires de la mère biologique, 5 % par des maris de leur mère, 1,1 % de cas divers, 7,9 % en rappel de mariages passés et 2,8 % en rappel de liens de consanguinité éloignés ou d'alliances guerrières, c'est-à-dire par des lignages dits "frères" ; je manque d'informations pour les 6,2 % restants.

* ENFANTS NÉS D'UN COUPLE Dans le cas des enfants de couples — 141 couples sur 1514 sont concernés (9,3 %) —, 107 des 163 enfants transférés (sur un total de 759 enfants, soit au total 14,1 % d'adoptés) sont donnés dans un autre lignage (65,6 %) face à 56 adoptés dans le lignage du père biologique (34,3 %). Si l'on regarde d'un peu plus près, on voit que la majorité de ceux qui sont donnés dans la même lignage sont donnés à des pères classificatoires (26,4 %). On constate deux cas d'enfants donnés à des sœurs célibataires du père de l'enfant. Ensuite, viennent bien sûr les grands-pères, mais de façon là beaucoup plus annexe (1,8 %) et dans, les mêmes proportions, divers parents (frères ou fils classificatoires de l'enfant) ; 3,1 % sont donnés dans d'autes branches du même lignage. Alors que ceux qui sont donnés dans un autre lignage que celui du père biologique sont en grande majorité en fait donnés dans l'alliance, comme suit, pour 75 de ces enfants, certains étant comptés plusieurs fois16 : Lignages alliés du lignage du père biologique : 67 41,1 % Père adoptif appartenant au lignage de la mère 29 17,8 % Père adoptif appartenant à un lignage allié au lignage du père 25 15,3 % Femme du père adoptif appartenant au lignage du père 13 8,0 % Lignages alliés du lignage de la mère biologique : 17 10,4 % Père adoptif appartenant à un lignage allié au lignage de la mère 8 4,9 % Femme du père adoptif appartenant au lignage de la mère 9 5,5 % Ainsi, 38 enfants sont donnés à des couples adoptants qui sont, par le père adoptif ou par sa femme, du côté de la parenté matrilatérale, soit 23,3 % et 13 enfants sont donnés à des couples dont la femme sort de la parenté patrilatérale, soit 8 % ; ce qui fait que 51 enfants sont donnés à un parent direct patri ou matrilatéral de leurs parents biologiques, soit 31,3 %. Et les 33 autres sont donnés chez des alliés matrimoniaux matri ou patrilatéraux (20,2 %). Je ne détaillerai pas ici les différentes positions des père adoptif , car ce serait trop long. Disons simplement que cela concerne essentiellement des oncles utérins (7,4 %), des grands-pères maternels et des sœurs de mère (3,7 % chacun), et des sœurs de père (4,9 %) pour ceux transférés dans les lignages paternel ou maternel. Pour les autres, les positions sont très diversifiées.

* Pour conclure, on constate que ces 341 enfants ayant fait l'objet d'un transfert, sont donnés : - dans le lignage du père ou dans un lignage proche, pour 66 d'entre eux (19,4 %) ; - dans le lignage de la mère ou dans un lignage proche, pour 138 d'entre eux (40,5 %) ; - dans un lignage allié matrimonial à celui du père, autre que celui de la mère, pour 39 d'entre eux (11,4 %) ; - dans un lignage allié matrimonial à celui de la mère, autre que celui du père, pour 86 d'entre eux (25,2 %) ;

16. Car on peut trouver différentes façons de rattacher les enfants tranférés à leur tuteur, en prenant le côté de leur père ou celui de leur mère et même de la mère de leur père ou de leur mère ; ce qui nous ramène à un total de 84.

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le lignage du père et ceux qui lui sont alliés matrimonialement en dehors de celui de la mère ne concernant forcément que les enfants nés d'un couple, le lignage de la mère (109 contre 29) et les lignages alliés à celui de la mère (69 contre 17) concernant essentiellement ceux nés d'une mère célibataire. On peut donc dire que 175 enfants transférés (51,3 %) restent dans leur lignage de naissance ou dans un lignage "frère" alors que 144 sont donnés dans un lignage allié matrimonial de leur lignage de naissance (42,2 %). Mais sur ces 175, 109 sont nés de mères célibataires ; il est donc difficile de les mettre sur le même plan que ceux nés d'un couple et restant dans le lignage du père. Quoi qu'il en soit, l'adoption en rappel d'alliances passées reste importante (près de la moitié des transferts). Au niveau des raisons présidant à ces transferts, on peut repérer dans les généalogies que, dans une partie des transferts d'enfants, il est sûr que le couple qui reçoit l'enfant n'a pas d'enfants propres (biologiques) et que on procède là au remplacement d'une naissance qui n'a pas eu lieu. Mais, ce n'est ni systématique ni la majorité des cas recensés. Dans la plupart des cas, les transferts d'enfants ont lieu aussi auprès de couples qui ont déjà des enfants biologiques17. Les motivations sont donc autres, dans ces cas-là, ces transferts d'enfants ayant lieu aussi en rappel d'alliances ou de liens de consanguinité. Autrement dit, quand on transfère un enfant à l'intérieur du lignage, c'est pour rappeler les liens de consanguinité alors que quand on le transfère dans un lignage autres, c'est en rappel de mariages passés. Alors une hypothèse émise par Lallemand (1993) qui a étudié les problèmes de transferts d'enfants dans les sociétés traditionnelles est de voir si ces transferts d'enfants fonctionnent comme l'alliance, en suivant les mêmes règles, mais avec une autonomie propre, c'est-à-dire ne sont pas simplement pour remplacer une alliance, mais avec leurs propres cycles d'échanges. Autrement dit, si on rend un enfant quand on ne peut pas rendre une femme, on peut considérer également que les échanges d'enfants auraient leur propre autonomie par rapport à l'échange des femmes.

Conclusions Suzanne Lallemand (1993), à propos de la circulation des enfants en société traditionnelle, en parlant de Claude Lévi-Strauss, émet la suggestion suivante18 :

« […] s'il nous était loisible d'ajouter quelques couples supplémentaires aux "éléments de parenté" de cet auteur, on pourrait proposer de considérer les ensembles "parents-enfants" face à la relation "enfants-grands-parents19". » (1993 : 17)

Pour comprendre le pourquoi de l'adoption, nous avons pris en compte les positionnements respectifs des enfants transférés par rapport à leurs tuteurs ou parents classificatoires. Suzanne Lallemand donnent quatre causes de transfert : - la survie, la reproduction (enfants orphelins, tuteurs stériles) - la nécessité (excès de descendance, divorce), - la convenance sociale (balance des sexes), - la commodité ("tirer l'enfant", pour le protéger d'un mauvais sort). Nous avons constaté effectivement des transferts auprès de tuteurs sans descendants biologiques et l'on peut assimiler les transferts d'enfants des mères célibataires à une certaine convenance sociale — quant à la balance des sexes, n'ayant pas fini l'analyse, je ne peux 17. J'ai fait toute l'analyse en fonction du rang de naissance et du rang d'adoption, on ne peut pas rentrer dans les détails ici aujourd'hui 18. Shore (1976) avait déjà suggérer d'ajouter les enfants adoptés à la liste de Lévi-Strauss de femmes et de biens comme moyens d'échange entre groupes et avait accentué l'importance de nommer comme un fait symbolique et normatif des transactions d'adoption dans le contexte à la fois de la descendance et de la thérie de l'alliance. 19. À Ponérihouen, 57 enfants ont été donnés à des tuteurs en position de grands-pères, soit 16,7 %.

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conclure en la matière — ; la commodité se retrouve également pour protéger une descendance — enfants comme adultes — contre des attaques de sorcellerie. Mais, je ne pense pas que l'on puisse considérer en Nouvelle-Calédonie qu'il y ait excès d'enfant d'une façon ou d'une autre. Comparant les visions de la parenté et les images du fosterage-adoption, S. Lallemand précise que :

« Ces différentes conceptions de la parenté ont un impact certain sur la représentation de la circulation des enfants. Dans l'optique de la primauté du biologique, l'adoption apparaît comme un palliatif à la mise au monde, comme une copie plus ou oins acceptable, effectuée, autant que faire se peut "au plus près du lien naturel", comme dirait J.B. Silk (1980). Dans la conception associant consanguinité et valeurs sociales, l'adoption est le produit de la négociation entre plusieurs niveaux de fonctionnement de la parenté ; elle en constitue un compromis. Dans la perspective de a primauté du lien construit sur le lien biologique, la mobilité enfantine apparaît comme lieu d'échange entre partenaires sociaux, mode de communication entre individus, forme de don. (…) Plus subtile est la seconde, faisant état d'ajustements internes entre différents composantes, matérielles et normatives, de l'ensemble parental. Son parti pris d'hétérogénéité est fort convaincant. (…) Quant à la troisième position, affirmant que selon le système symbolique en vigueur, tantôt les sociétés confèrent explicitement un grand poids à certains pans de leur réseau biologique, tantôt n'en font pas l'objet de l'élaboration susceptible de déboucher sur des représentations et des moyens d'action, elle a la force d'intégrer ce qui paraît la contredire. Elle est donc la plus englobante des trois. En ce qui concerne les phénomènes de circulation des enfants dans cette représentation de la parenté, elle rend compte, avec la même aisance, tant des adoptions simulant étroitement la rapport filial de l'enfant donné que des déplacements positionnant très différemment l'individu déplacé — comme consanguin plus éloigné, comme étranger, comme allié. (…) Ainsi, à travers les orientations distinctes des systèmes familiaux, se repèrent tantôt le pôle de l'adoption réparatrice des mailles manquantes de la parenté, tantôt celui du transfert juvénile créateur de relations nouvelles. » (1993 : 33-34)

Par rapport aux données paicî, je pencherais aussi pour la troisième position. Estimant « trop restrictif de cantonner la circulation enfantine dans le cadre de la seule parenté, fût-elle d'abord et surtout système symbolique », cet auteur se demande si les adoptions « n'ont-elles pas plutôt l'ambition de situer le jeune arrivant du côté de l'alliance ? » (p. 34). Elle cite les recherches de divers auteurs, notamment Océanistes, mentionnant cette possibilité :

« V. Carroll (1970,10) estime que si l'adoption n'est que "simulacre de parenté" alors ses actualisations océaniennes posent problème, puisqu'un lien de consanguinité effectif préexiste déjà souvent chez les partenaires de ce processus. Mieux vaudrait alors le rabattre du côté de l'amitié ou de l'alliance. D'autres de ses collègues océanistes affinent cette intuition, notamment B. Shore estimant que le "parallélisme entre adoption et mariage" est clair : les deux "transforment l'alliance en filiation" (in Brady, 1976, 196). […] M. Sahlins aussi souligne la ressemblance de ces deux démarches, "l'adoption étant, au même titre que le mariage, un mode d'alliance entre groupes" (1980, 97). […] Enfin, last but not the least, Y. Brady concluant le second ouvrage sur l'Océanie, propose l'hypothèse suivante : l'adoption de gens de la parenté dans les systèmes cognatiques à prohibitions matrimoniales étendues peut remplir la même fonction interne de support et d'alliance interne que le mariage des cousins croisés dans les systèmes unilinéaires. Et il émet ces corollaires : l'importance des relations d'alliance par le biais de l'adoption sera alors plus grande dans ces systèmes cognatiques que dans les unilinéaires. Et "si les mariages entre cousins croisés sont autorisés, l'adoption jouera seulement un rôle mineur dans l'alliance entre leurs unités" alors que si le mariage entre cousins croisés est largement prohibé, "le rôle de l'adoption comme mécanisme de l'alliance augmentera en fréquence et en importance structurale dans ce système " (1976, 290). Ainsi, au lieu de considérer le prêt ou la cession d'enfant seulement comme un réaménagement interne du groupe de descendance, bon nombre d'auteurs l'envisagent comme une forme d'échange […]. » (Lallemand, 1993 : 34-35)

En région paicî, nous sommes bien dans le cas d'un système unilinéaire (patrilinéaire) avec mariage des cousins croisés. Je n'ai pas encore comptabilisé le nombre d'alliances effectives entre cousins croisés. Mais, au niveau des représentations, toute alliance entre un Dui et un Bai en est déjà une, et nous avons relevé 603 mariages dans ce cas sur 1514, soit près de 40 %. Il n'en demeure pas moins que les adoptions sont importantes, il nous faut donc

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approfondir la nature du rôle joué dans le système de l'alliance par ces transferts d'enfants dont, rappelons-le, 42 % sont faits vers un lignage allié matrimonial. En examinant les données disponibles sur de nombreuses sociétés traditionnelles, S. Lallemand en arrive à la conclusion suivante :

« […] les rapports entre circulation des femmes et des enfants se sont révélés riches et variés. Ils intègrent des articulations évoquant des rapports logiques. » (1993 : 205)

On peut les résumer de la façon suivante : il y a implication lorsque l'adoption-fosterage entraîne une alliance ou l'inverse ; c'est un rapport de substitution lorsque l'adoption-fosterage remplace l'alliance ; enfin, adoption-fosterage et alliance se trouvent en rapport d'inclusion ou d'association quand ils ont lieu simultanément.

« Il semble que ces diverses formes de liens entre ces deux institutions viennent conforter notre hypothèse (et particulièrement la substitution) selon laquelle l'adoption-fosterage stimule, renforce, oriente, voire peut sous certaines angles apparaître comme un analogue du mariage. Cette vocation de la circulation enfantine peut aller plus loin (…). En effet, les formes de déplacement de générations d'enfants successives sont susceptibles de se couler dans les formes de dons de femmes habituels en société non occidentale (rareté de l'échange direct, existence de 'échange différé, valorisation éventuelle de l'échange asymétrique, et échange complexe). En outre, et ceci est souligné par plusieurs contributions océanistes, la justification de ces échanges de rejetons réside, entre autres, dans le constat moralisateur que la génération antérieure les a effectués précédemment ; il importe alors de les reproduire. Finalement, ce circuit semble mû de façon parallèle au modèle matrimonial, et parait capable d'autonomie par rapport à ce dernier. Le don d'enfants peut puiser dans ses propres ressources la constitution de ses cycles, et ce n'est pas seulement de manière métaphorique que ses formes se coulent si aisément dans celles du mariage : en tant que "prestation totale", selon le mot de M. Mauss, il est normal qu'il emprunte les divers circuits de l'échange social. » (1993 : 205)

Nous avons déjà repéré dans les généalogies recueillies l'existence effective de plusieurs répétitions de déplacement d'enfants pouvant constituer des renchaînements d'adoption, comme on trouve de nombreux renchaînements d'alliance d'ailleurs, qui laissent augurer de la présence de cycles dans les transferts d'enfant. Voyons en quelques exemples :

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!1°2°

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O O O1°

sens du

transfert Un couple donne deux filles à un père du père biologique.

On remarque que père et fils sont mariés à deux sœurs, en seconde noce pour le père.

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6°5°

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sens du

transfert

Un couple donne d'abord un fils à un frère du père biologique. Puis une mère célibataire donne ses deux fils ,

l'aîné à son frère adoptif, le pwëëdi à un frère célibataire. Elle donne également sa fille à un autre de ses frères. Celui adopte également le fils de sa fille adoptive. Et la fille de l'aîné des frères, mère célibataire, donne son fils

en adoption au frère célibataire de son père. On voit dans ce cas là que ces six adoptions se passent dans la parenté consanguine.

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2°1°

1°2°O O

sens du

transfert Une mère célibataire donne ses deux garçons , l'aîné dans la parenté consanguine, à un père (frère de père), le

pwëëdi dans l'alliance à frère (cousin parallèle) de la seconde femme de son père.

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Une mère célibataire donne ses trois enfants, l'aîné dans la parenté consanguine à un père (frère de père), la

seconde dans l'alliance à un oncle maternel et la troisième dans le lignage de sa grand-mère maternelle au fils du frère de la mère de sa mère, c'est-à-dire au cousin croisé de sa mère. Peut-on dire dans ce dernier cas que

l'alliance entre cousins croisés qui n'a pas eu lieu est remplacée par ce transfert d'enfant ?

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 25 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

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Une mère célibataire donne son fils au frère de son futur mari. Puis sa sœur se marie à un fils classificatoire (fils

de cousin parallèle au deux sœurs, c'est donc un cas d'inceste) et le couple donne leur fille au fils adopté de la première. Puis, la fille d'un autre de leurs frères classificatoires, mère célibataire, donne son fils au même fils

adopté de la première. Ainsi, ces trois adoptions se font donc dans l'alliance, les deux dernières en rappel de la première.

Enfin, nous avons un dernier exemple qui présente cinq transferts d'enfants sur trois générations avec les renchaînements d'alliance correspondant repérés. On a d'abord une mère célibataire qui adopte la fille aînée de sa fille mariée (1a). Puis, on a un transfert d'un fils dans l'alliance (1b), celui-ci étant donné à la fille — mariée à un membre d'une autre branche du même lignage que le père biologique — du frère de la mère du père biologique. Ces deux enfants transférés sont nés au niveau 4, l'un étant passé au niveau 3 par le fait du déplacement. Enfin, on a trois autres transferts d'enfants, nés au niveau 5. Un fils est donné dans l'alliance à la sœur mariée — dont le mari épousera en seconde noce la mère biologique de la mère de ce fils — du père du père biologique (2a), le couple donnant ce fils représentant une alliance entre deux branches du même lignage. Puis ce même couple donne un autre de ses fils (2b) à la fois dans l'alliance et dans la consanguinité puisqu'il est donné au fils du frère de la mère — car alliance entre deux branches du même lignage — du père biologique. Enfin, un couple qui représente encore une alliance entre deux branches du même lignage donne son fils aîné au même couple adoptant (2c). Ici, le père adoptif est à la fois le frère de la mère célibataire de la mère biologique et le fils du frère de la mère du père de cet enfant. On voit donc que, sans questionnement très précis sur chaque transfert d'enfant, en liaison avec les alliances passées, il est difficile, vu l'imbrication des données, d'arriver à des conclusions très fiables. Un recours à une nouvelle enquête s'avère dès lors des plus nécessaires. On peut simplement essayer de dégager plus clairement les alliances et les adoptions ici considérées, sans pour autant pouvoir forcément en tirer quelque conclusion que ce soit (cf. Tableau ci-dessous). Ainsi, on peut dire que :

Couple : => Adoption de : —> Chez : 1a Mêêdù=Pwiridë => (Mêêdù) —> Pwiridë=0 1b Aramôtö Edëmârâwi=Pwiridë => (Aramôtö Edëmârâwi) —> Aramôtö Edëmârâwi=Näpwäräpwé 2a Aramôtö Edëmârâwi=Aramôtö Mäinä => (Aramôtö Edëmârâwi) —> Mêêdù=Aramôtö Edëmârâwi 2b Aramôtö Edëmârâwi=Aramôtö Mäinä => (Aramôtö Edëmârâwi) —> Aramôtö Curubiti=Pwiridë 2c Aramôtö Edëmârâwi=Aramôtö Curubiti => (Aramôtö Edëmârâwi) —> Mêêdù=Aramôtö Edëmârâwi

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 26 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie Légendes : En caractères gras, les maris ; en caractères standards, les femmes ; entre parenthèses : en caractères gras et italiques, les fils donnés ; en caractères italiques, les filles données. Abréviations de noms de lignage : Ar.Mä. = Aramôtö Mäinä ; Ar.Cur. = Aramôtö Curubiti ; Ar.Ed. = Aramôtö Edëmârâwi ; soit trois branches du lignage Aramôtö. En fait, les adoptions paicî fonctionnent aussi bien par transferts harmoniques — quand ils s'effectuent « de manière à conforter l'orientation lignagère privilégiée par la communauté » —, c'est-à-dire à l'intérieur du même lignage, que dysharmoniques — « si, majoritairement, loin d'aider à la consolidation et au renforcement du groupe de descendance, (ils sont) destiné(s) à combler les besoins ou envies d'individus dépendant d'un ensemble de consanguins distincts de celui-ci » (Lallemand, 1993 : 101) —, autrement dit dans un autre lignage. Ainsi, cette comparaison du fonctionnement de la parenté et de l'alliance avec celui des transferts d'enfants amène S. Lallemand à conclure :

« Il semble que l'on puisse assigner trois fonctions distinctes aux transferts d'enfants par rapport aux modes de recrutement de la filiation localement pratiqués. D'abord, la circulation juvénile peut conforter la filiation si elle en épouse les lignes de forces sur le plan structurel et en affermit les objectifs. La circulation juvénile peut aussi ambitionner un rôle complémentaire à celui de la reproduction lignagère : prolongeant les visées matrimoniales, elle sert aussi à l'échange, et, (…) "rend" momentanément des enfants là où des femmes ont été prélevées, et marque par ces trajets les solidarités que se doivent les groupes alliés. Mais les brassages d'enfants au sein de familles distinctes ne sont pas sans impact sur le destin des groupes. Sauf lorsque le sexe des jeunes déplacés ne les habilite pas à reproduire le lignage, lorsque la nature du transfert est de petite ampleur, quantitative et temporelle, lorsque le type d'intégration pratiqué ne fait pas intervenir de transferts de droit trop importants, le groupe risque de perdre l'identité revendiquée et de changer ses pratiques de recrutement et de dévolution des biens. Ainsi, "harmoniques" ou "dysharmoniques" vis-à-vis des régimes de filiation en vigueur, les transferts d'enfants peuvent aussi leur être analogues, complémentaires ou opposés sur le plan des directions qu'ils lui impriment. » (p. 114)

Si les transferts d'enfants paicî me semblent bien, et analogues, et complémentaires, c'est-à-dire que certains confortent la filiation alors que d'autres se font en sens inverse de la filiation et prolongent ainsi les visées matrimoniales, je n'en déduirais pas, comme l'auteur, que les transferts dysharmoniques et complémentaires puissent changer le régime de filiation et de dévolution des biens. Peut-être est-ce parce que, dans ce cas, ce sont essentiellement des filles qui sont déplacées. Car, si l'on ne prend pas en compte les enfants des mères célibataires, c'est près des deux tiers des transferts qui se font de façon dysharmoniques. Il faudra vérifier ce point pus précisément, en examinant de près le sexe des enfants ainsi déplacés. Si les adoptions induisent sans aucun doute des prohibitions matrimoniales classificatoires, celles-ci se cumulent à celles héritées au niveau biologique. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a pas de secret adoptif : l'enfant déplacé sait toujours d'où il vient et, souvent, conserve des liens forts avec ses parents biologiques. Par contre, les prohibitions matrimoniales ne se reportent pas au niveau des transferts d'enfants : il n'existe pas, semble-t-il, de transferts prohibés ; certains sont néanmoins déconseillés, ceux qui ne respectent "l'isogamie". En règle générale, l'adopté hérite plutôt dans son groupe adoptant, soit dans sa parenté classificatoire ; mais il semble que certains droits puissent être conservés dans la parenté biologique. Ce qui est sûr c'est que l'enfant transféré garde ses "vrais" oncles maternels. Malgré tout, l'enfant déplacé (comme l'épouse) tend à perdre son identité initiale pour prendre celle du groupe adoptant (ou allié). De même, les coutumes faites lors des transferts d'enfants sont les mêmes que celles faites pour installer la femme dans le lignage de son époux. Est-ce que cela suffit à assimiler statutairement l'enfant déplacé à la femme chez ses alliés, comme le propose J. Goody (1969, cité par Lallemand, 1993) ? En Nouvelle-Calédonie, dans certaines conditions, l'épouse peut hériter de quelques biens personnels de ses ascendants (terres notamment). Cette part de legs paternel est généralement très inférieur à celle de ses frères et ne peut être transmise qu'aux enfants nés de cette alliance et ne devient en aucun cas propriété du lignage de l'époux. Il peut en être de même pour les enfants adoptés, comme nous l'avons mentionné ci-dessus.

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4e Salon du livre insulaire de Ouessant (août 2002) 27 Intervention d’I. Leblic : Parenté et adoption : l’exemple de la Nouvelle-Calédonie

Dans l'adoption — comme dans l'alliance —, on constate aussi des échanges directs entre donateurs mutuellement récipiendaires — comme l'échange de sœurs —, beaucoup plus souvent des échanges différés d'enfants, parfois à une génération d'intervalle, et des échanges asymétriques — personne donnant un enfant à ses propres parents, un don unilatéral redoublé, etc. —, et des échanges à plusieurs groupes — donateurs et/ou bénéficiaires — et/ou avec des figures mixtes — dans plusieurs directions. Enfin, certains des éléments constatés caractérisent l'adoption paicî comme inclusive et d'autres comme exclusive. Il semblerait donc que les transferts d'enfants paicî soient un mélange de ces deux types d'adoption. Enfin, il ne faut pas oublier l'adoption d'adultes, individuelles ou collectives — intégration d'"étranger" dans un lignage pour lui donner une position locale, intégration d'un lignage nouveau-venu dans un autre, "camouflage" d'un lignage poursuivi… — qui renforce le parallèle que l'on peut faire entre le domaine de la parenté et l'organisation sociale en général (voire notamment l'utilisation des termes de parenté caa, ao… pour les relations sociales…). Cette pratique se double d'ailleues souvent de la justaposition des patronymes du lignage d'origine et de celui adoptant. Ce qui est certain, c'est que la circulation d'un enfant au sein de son lignage patrilinéaire est un fait qui ne change pas grand chose pour l'enfant car il est là où il doit être, surtout quand il reste dans la même position généalogique entre ses parents de naissance et ses parents adoptants, qu'il nomme tous des termes de "père" et "mère". C'est d'ailleurs la raison de la "petite coutume" faite pour officialiser ce transfert. Là où les choses sont plus formaliser, c'est quand l'enfant change de lignage et c'est en ce sens que le parallèle avec l'alliance matrimoniale prend tout son poids puisue ce sont les mêmes coutumes que l'on fait aussi bien pour déplacer une enfant qu'une femmes et les installer sur les terres du lignage qui les intègre.