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Paris Puces Yvan Tessier

Paris Puces...Paris Puces Yvan Tessier Paris Puces Les puces de Saint-Ouen attirent irrésistiblement et plus que jamais. Jeunes et moins jeunes, touristes et Parisiens, créateurs

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Paris PucesYvan Tessier

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Les puces de Saint-Ouen attirent irrésistiblement et plus que jamais. Jeunes et moins jeunes, touristes et Parisiens, créateurs et collectionneurs viennent y chiner, ou tout simplement flâner dans une atmosphère du Paris d’autrefois. Le fouineur trouvera toujours le singulier, et souvent la rareté s’il est avisé.

Les objets y vivent une seconde vie. Paris Puces nous emmène pour une flânerie photographique aux étals du plus grand marché du monde, en nous présentant une galerie de photographies insolites d’objets drôles, bizarres, superbes… présentés dans un désordre apparent, parfois très calculé, et avec beaucoup d’humour. Ils nous transportent loin, entre kitsch, surréalisme et nostalgie, pour un voyage dans le temps et dans la fantaisie.L’auteur, Yvan Tessier, est bibliothécaire et photographe. Il a publié Paris, art libre dans la ville, ouvrage sur les graffitis (Editions Herscher 1991), Les Métamorphoses des vitraux et des fleurs dans les cimetières de Paris (Editions Hirlé, 2006), et Paris couleur nostalgie (Editions Parigramme en 2011).

Photographies et texte : Yvan Tessier

Conception et direction éditoriale Bertrand Dalin

Assisté de Paméla Cauvin

à Pascal et Laëtitia

Paris Puces

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Un aimable accueil, Saint-Ouen, marché Vernaison.

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Avant-proposAmi lecteur, ce livre n’est pas un annuaire, ni un constat, ni un inventaire.

Quand les traces du vieux Paris sont devenues de plus en plus rares, j’ai cherché d’autres lieux pour prolonger mon travail photographique sur la nostalgie ; travail effectué principalement entre 1980 et 1995 dans les entrepôts de Bercy, puis dans tout l’Est parisien (1). Mais où trouver de tels endroits où le passé se laisse encore capturer, ne serait-ce qu’un instant ?

Le déclic est venu en 2002 sur un marché aux puces. J’ai alors pratiqué assidûment tous les marchés aux portes de Paris. Et d’abord les puces de Saint-Ouen, les plus connues, fréquentées par plus de cent mille visiteurs chaque week-end du samedi au lundi compris. L’affluence ne date pas d’hier : le métro vomissant les chineurs (du tsigane cinav : aller acheter ou vendre quelque chose) depuis 1909, date de l’ouverture de la ligne Porte d’Orléans - Porte de Clignancourt. La nostalgie était bien au rendez-vous, à moins d’un kilomètre de mon domicile : l’aventure photographique commence parfois en sortant de chez soi !

Quinze marchés : Vernaison (créé en 1920), Malik , Biron (1930), Jules Vallès (1938), Paul Bert (1949), Serpette (1970), Marché des Rosiers (1976), Cambo (1979), Malassis (1989), Dauphine (1991), Antica, Lecuyer, le Passage, l’Entrepôt, l’Usine…, pas moins de 2500 brocanteurs et antiquaires ! Et toutes sortes d’objets : de la « drouille » (c’est à dire de la camelote, de la petite marchandise) jusqu’à l’objet d’art qui séduira le collectionneur averti.

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J’ai aussi visité régulièrement les puces de Vanves, de Montreuil. Comme à Clignancourt, les chiffonniers s’y installèrent dès 1860. Chassés de la capitale par les pouvoirs publics, ils trouvèrent derrière les « fortifs », après les barrières de l’octroi, des zones où ils purent exercer leur activité de zoniers sans payer d’impôt. Enfin, je suis allé à la Foire nationale à la brocante et aux jambons sur l’île de Chatou (dix jours au printemps et à l’automne), et dans diverses brocantes parisiennes. A Saint-Ouen, j’ai longuement arpenté les espaces publics, les rues Jules-Vallès, Paul Bert, Lecuyer, la rue des rosiers et deux marchés en plein air : Paul-Bert et Vernaison. J’ai toujours privilégié le côté « puces ». Et photographié des objets ou des images qui appartiennent à la culture populaire et qui en sont parfois des icônes.

Pourquoi cet engouement ? Parce que là trônent les objets du passé — parfois dans un désordre invraisemblable —, mais souvent savamment orchestré… et réapprovisionné chaque semaine. Kitsch, nostalgie, surréalisme (par juxtaposition d’objets disparates : une panthère empaillée coiffée d’un chapeau haut de forme, par exemple), bizarrerie, drôlerie : voilà pour moi les principales qualités des puces où le fouineur trouvera toujours la rareté, le singulier, en un mot, la beauté. André Breton y venait régulièrement. Et combien d’autres créateurs, à la recherche d’une idée, d’une étincelle !

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Mon travail sur la nostalgie y est devenu moins mélancolique, puisque la source n’est pas prête de se tarir et surtout plus fantaisiste. Je dois reconnaître ma dette à l’égard des marchands et rendre hommage à leur sens de la composition et à leur sens de l’humour : aucune des photos qui suivent n’a été arrangée ou recomposée. Je crois en la formule de Marguerite Duras, disant à son directeur de la photographie Bruno Nuytten lors du tournage du film « Son nom de Venise dans Calcutta désert » : « surtout ne touchez à rien ! ». Il suffit de flâner, de regarder, d’attendre la rencontre. L’image, l’objet s’imposeront d’eux-mêmes.

Chaque semaine les marchands des puces recréent le monde. Avec beaucoup de loufoquerie, ils font revivre le passé. Réinventent le baroque. L’origine de ce mot, c’est le terme portugais barroco qui désigne la perle irrégulière. Mot qui entrera dans le vocabulaire technique de la joaillerie au XVIe siècle. Mais dès le XVIIIe siècle, il sera repris par les partisans de l’art classique pour stigmatiser un art qu’ils qualifiaient ainsi : extravagant, capricieux, protéiforme, incohérent... Le texte qui suit est un inventaire à la Prévert des marchés aux puces, une accumulation, une exubérance sur l’autel de la fantaisie.

Yvan Tessier

(1) – cf Paris couleur nostalgie, Editions Parigramme, 2011.

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Christ au papillonCuillères à Mistinguette Mannequins sans têteChevaux sans maîtrePanthère à haut-de-formeDu Banania pour se remettre Tableaux au rebutChiens à la chasseOurs en goguetteNains ricanantsAngelots bien niaisBuveurs à la chopeDéesses de ThaïlandeDe vieux messieursDes vieilles damesDe jeunes enfantsDes belles dames font le trottoirLes héritiers ont déménagé le salonPhotographies profanéesLivrées au publicIntimités dévoyées

SurexposéesSeconde vie des objetsPour amateurs éclairésLe roi est mortVive le marchéBric-à-bracAvec couacsSublimeAvec cimesTrès cherDes petites filles jouent à saute-moutonAvec les nuagesHippocampesPolissons et galipettesPrennent la poudre d’escampetteTrains à vapeurVoiliers superbesEcuyères à visièreAviateurs à baignoiresBaigneurs idiotsUn canard au milieu du cristal

La grande cacophonie du kitschUn paquebot dans les dunesDes parapluiesPour vache qui pisseUne perruche amoureuseUn militaire en permissionDes bébés écœurantsCochons bondissants à la gare d’AusterlitzDes Vierges qui ne trouvent pas preneurScorpions qui dansentDevant la machine à écrirePromeneurs bien sagesMouflons à l’arrêtUne horloge arrêtéeUn vieux 45 tours érailléFernandel avec ses dents de chevalLa TSF fatiguéeUn colonial au milieu des masques africainsUn chien au pied des batailles

Inventaire à la Prévert

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Jeanne d’Arc avec sa cote de maillesDes cadres décadrésDes élans de chaiseDes hommes bleusUne femme en tenue légèreDes lapins sur guéridonQuatre nains de jardin jouent à la beloteUne sacrée pagnoladeUn aigle regarde la montagneUn chien surveille le troupeauLes bébés ont la peau douceLes Vierges l’air ailleursLes biches sont empailléesTout marche sur des roulettesUn lion attend son diable pour rentrerLe singe fume la pipeLes gitanes disent la bonne aventureLes danseuses dansent le flamencoAu milieu du butaneUn carton déborde de nounoursEt le Christ est entouré de chiens policiersUne péniche prend son tempsLa bière coule à flotsArlequins à ludions

Bernaches caméléonsDe vieux tromblonsDes mousquetonsDes trublionsDes histrionsTirailleurs sénégalaisJavasJavanaisFripes éliméesRebuts de l’arméeBagues hippiesZonards zombisJoueurs de bonneteauUn œil sur le badaudLes marchands jouent au tarotLes aristocrates à la lanterneLe singe fait la grimaceLes sardines bouchent le portUn éléphant met les pieds dans le platLes puces c’est çaCocottes en papierBiches égaréesLévriers en arrêtPierrots enamourésLe client est roi

Allez c’est emballéLes puces ont l’immensité de la merQui rejette sur la grèveUne multitude d’objetsEcume de nos désirsTournesols déflorésSur les pavés la plageEt le chaland contentQui va glanerUne plume d’angeLe tic-tac de l’horlogeDes morceaux du TitanicLa petite madeleine du souvenirLes marins bourlinguentDraguent l’objet chériLa grande catinD’eau douceTintins au bordelÇa fait du tintouinOu bien de la poudre de perlimpinpinUn écureuil sautille de table en tableIl s’arrête et commande un San Pellegrino

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Mais bientôt il remet ses lunettes car devant luiUn éléphant à roulettesVend une encyclopédieA une girafeDe MarseilleUn évêque bénit la fouleTrois canards protestent vigoureusementDeux macchabées se bécotent sur un banc publicBanc publicUne carpe dort sur un fauteuilElle a bu trop de guignoletDes anges regardent le cielEt soupirentQue sont devenus les dauphinsDes mers d’antanUn lion ronge ses pattesSoyez netAvec la teinturerie RenardEdith piaffeDjango ressusciteA la chope des pucesC’est l’heure du déjeunerLa foule est bigarrée

Au menuBédouins de MalikChats d’AbyssinieDandysDemi mondainsFolles en escarpinsGigolosGigolettesAh traînerQue c’est chouetteOurs à lunettesHétéros en salopetteFeuilletés de coquettesVol au vinVol-au-ventFeuilles d’automnePas marrantDes benêtsDes belettesEt des lièvres en paillettesDes marsouinsDes MartiensDes petitesQu’ont du chienDes bananes

De PanameDes loulousDe PartoutDes pingouinsDes lapinsDes cadeauxAux cousinsAfricains au turbinEt des jeunesPasse-moi le jointGâteux vauriensVoyousD’chez CardinLe quidamQui se pâmeLe marchandQui attendUn sandwich au saucissonOh mon Dieu que c’est bonLa mousse se trémousseAu son d’l’accordéonEt les mouettes piaillentAu creux de la chansonCommuniantes en aube de maiVieux loup de mer en gilet

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Tiens encore FernandelSuivi d’un lapin bleuLes amoureuses inspirent des cartes centenairesPiaf est pilléeLes pigeons pigeonnésL’impair a beaucoup serviA quelques malfrats de troisième classeUn crâne boit du VichyToréadors sans taureauxLes hirondelles verbalisentLes vieux Arabes se chauffent au soleilEn pardessus d’hiverEt thé à la menthe bien sucréVente de djinnsEt de mystèresUn pauvre hère tire une carrioleL’Art déco est trop cherPourtant les collectionneurs collectionnentLa France porte un giletLa France se porte mal merciUne marchande pique-nique avec du tabouléLe caniche sur canapé

Les baisers s’envolent avec les cartes postalesAvec les mots douxUn cheval sur son chevalet attend les prairies amoureusesLes cerfs sortent leurs andouillersLes plaques émaillées ont perdu le nordEt les gondoles VeniseLes hommes ont morflé à VerdunLes chevaux à VaugirardQue reste-t-il de nos amoursRubans fanfreluchesGredins greluchesChapeaux coqueluchesBoomerangs baudruchesUne ruche où tu trouvesLe miel du souvenirUn cygne se reposeSur un plateau d’argentLes plumes recousuesPar des machines à coudre SingerLes redingotes attirent Jours de FranceLes poilus ressuscitentUn ours en peluche fait les yeux douxA une madone

Brosses à tête de mortEcclésiastiques à QuinquinaAssurances contre la mortDromadaires à neigeLa grande clownerie des objetsUn académicien en goguetteMarie-Claire à la voiletteUn traîneau d’oursonsMaman tigre et ses trois petitsBuffle grandeur natureHippopotames en bermudaA fleursPierrot devant MiróJaguars ocelotsDragons de KomodoChats en nœud pap’Souris à moustachesPerruques et postichesBébé porté par une cigogneRobespierre en porcelaineUn pêcheur à la ligneSur les toits de ParisEt la lagune de VeniseEt le monde entier

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Dans une bulleVoilàTout est làTout est vraiOu presqueAux puces de Saint-OuenDe VanvesDe MontreuilA la foire à la brocante et au jambonDe ChatouHiboux genoux caillouxTatousFoules foutoirsEncens encensoirsVendeurs de marronsEventails à PiconCuirs brodequinsDents de requinPromenades à colibrisPlumes de ouistitisAverses embelliesColifichets de ParisZouaves accordéonsToucans chapeaux melonBarbe à papa

Jeunes hommes de bonne familleBernard-l’ermite de provinceDes joyeux drillesEt des mandrillsDes aigrefinsDes chérubinsChaises à porteursMarquis sur tapisserieUn cliché de Pierre LotiTintin au CongoIndigène faisant le beauJaponais faisant photoExplorateurs au petit piedGaulois à guignoletBraques en cabrioletMoustaches au hennéLe monde en accéléréLes petits ruisseaux font les grandes rivièresAndré Breton discute avec PrévertSous le regard ironique de DadaLa rencontre d’un parapluieEt d’une machine à coudreMet le feu aux poudresFeux de Bengale

Artificiers à piranhasUn phacochèreSur lit d’oursinsDe l’atmosphèreDes cris d’IndiensAmourettesEn voiturettesFemmes légèresEn claquettesJaponaisesEn socquettesUn pigeon à col roulé roucouleUne chanson tristeAmours et peinesChagrins rengainesChambres meubléesConfort moderneHôtel du NordAchats et VentesRéparationsMadame SolangeCartes horoscopesOuvrages de damesA la bonne franquetteAchat de chevaux

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Ou de bibelotsChacun rentre heureuxAvec ses achatsFaire les yeux douxA son siamoisPièges à tatousBaisers dans le couRêver beaucoupEtre un peu fouGreniers dehorsIl pleut de l’orA la chasse au trésorRedevenir un enfantLe temps suspenduL’éternité d’un instant

rencontresinsol i tes

au fil des échoppes

14 Le plaisir dédoublé, Saint-Ouen, marché Vernaison.