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PARTIE
III
“LE DOUBLAGE ET LES TRANSFERTS
CULTURELS”
1
Le cinéma est fait pour tous ceux
dont la curiosité est le plus grand
défaut.
Claude Lelouch
2
3
INTRODUCTION
Ce mémoire est le fruit d’un grand intérêt personnel pour le domaine du
cinéma et de la traduction, on se penchera donc sur la traduction lors du doublage
(traduction filmique) qui fait partie du domaine plus vaste de la traduction
audiovisuelle (ou TAV), qui est en évolution continue.
Toutefois la question de la traduction audiovisuelle est longtemps restée
ignorée par les experts de la traduction, probablement parce que, comme l'a affirmé
Delabastita (1990: 97), «elle a été associée au statut médiocre encore parfois accordé
aux médias et à la culture de masse ». Cependant, étant donné que le doublage a des
impacts déterminants sur la circulation d’un film en dehors des frontières du pays où
il a été tourné, la traduction pour le doublage a gagné toujours plus d’importance
pendant les dernières années. La recherche dans ce domaine s’est beaucoup
développée et a tentée de mieux comprendre les enjeux et les impacts des différents
modes de traduction audiovisuelle sur le public.
Après avoir donné une définition complète des concepts de TAV et de
doublage, on analysera les points critiques et problématiques que le dialoguiste doit
affronter en traduisant le scénario original d’un film vers la langue d’arrivée.
La question de la traduction filmique est très délicate, parce que lorsque le
dialoguiste effectue la traduction du scénario originel, il doit respecter aussi les
contraintes constitués des images et sons du films originel ; il doit chercher à
reproduire, dans la version d’arrivée, le système et le message culturel de la version
de départ, en gardant le message initial inchangé.
Plus la langue et le système culturel de départ sont différents de ceux d’arrivée,
plus le travail du dialoguiste se fait compliqué et le message initial devient alors plus
difficile à transposer.
Donc le domaine de la traduction pour le doublage constitue un défi continue et
évolue constamment, jour après jour.
Avant de commencer cette dissertation, je voudrais dédier quelques lignes à la
raison profonde, pour laquelle j’adore le cinéma en général et donc tout ce qui est lié
à ce domaine.
4
Je crois que le cinéma a le pouvoir inexplicable d’influencer les personnes qui
voient ses produits. Il a changé le passé, il changera le futur et il est en train de
changer et d'influencer le présent. Chaque film apporte des messages à son public et
ces messages peuvent être des sources de réflexion, utiles à améliorer et simplifier la
façon de penser de chacun. Le cinéma stimule les pensées des personnes et penser,
plus et mieux, peut aider chaque personne à s'améliorer et se développer soi – même.
Il est arrivé à tous, au moins une fois dans sa vie, de sortir d’une salle de
cinéma et de rester imprégné par l’atmosphère et la trame du film et d’avoir cette
pensée: «Mais est-ce réellement si simple?» ou «Moi aussi, je devrai avoir le courage
de faire des choix plus risqués dans ma vie!».
C’est vrai que la vie n’est pas un film, mais un film peut aider à avoir une vie
meilleure.
5
TRADUIRE POUR LE DOUBLAGE
1.1. Le préambule
La traduction est le fait d'interpréter le sens d'un texte dans une langue («langue
source», ou «langue de départ»), et de produire un texte de sens et d'effet équivalents
sur un lecteur ayant une langue et une culture différentes («langue cible», ou «langue
d'arrivée»).1
Dans les prochaines pages on analysera un type particulier de traduction, c'est-
à-dire la traduction audiovisuelle (TAV) qui concerne à la fois le théâtre, la radio, la
télévision, le cinéma et Internet (grâce auxquels on produit ce qui est connu sous le
nom de matériel audiovisuel). Dans les prochains paragraphes on donnera une
définition plus précise de la TAV et des produits audiovisuels, mais ce qu'il est
important de souligner, c’est le fait que ce matériel audiovisuel, au moment d’être
traduit, montre plus de contraintes que d’autres types de texte. Il s’agit de contraintes
soit techniques, soit textuelles, puisque les textes audiovisuels impliquent à la fois
des éléments verbaux et non – verbaux et regroupent aussi bien le son que l’image.
On analysera en particulier la traduction d’un type différent de textes
audiovisuels, c'est-à-dire la traduction des scénarios de films, laquelle est finalisée au
moment du doublage de ces derniers soit pour le grand écran (le cinéma) soit pour le
petit écran (la télévision), pour les exporter dans un pays qui ne parle pas la langue
de l’œuvre originelle; ce type de traduction est connu sous le nom de traduction
filmique (ou cinématographique) et les personnes qui l’effectuent sont les
dialoguistes (adaptateurs).
Dans la transposition d’un scénario on cherchera à comprendre si «on doit
traduire les œuvres ou leurs auteurs?»,2 c'est-à-dire on se demandera s'il est
important de ne pas trahir la volonté des auteurs et les messages qu’ils veulent
1 <http://fr.wikipedia.org/wiki/Traduction>. 2 On trouve ce concept dans le livre italien: G. G. Galassi, 2000, “Tre funerali e un matrimonio”, La traduzione multimediale. Quale traduzione per quale testo? R. M. Bollettieri Bosinelli, C. Heiss, M. Soffritti, S. Bernardini (sous la direction de), Clueb, Bologne, pp. 200 – 204. [Ma traduction en français].
6
transmettre à travers l’œuvre, quel est le rôle du doublage et comment s’articule le
processus du doublage.
1.2. Histoire du doublage3
L’ère du cinéma muet se termine en 1927, lorsque le cinéma parlant est
introduit. Le premier long métrage parlé et chanté fut The Jazz Singer (Alan
Crosland, 1927), qui a été suivi, en 1928, par celui qui a été présenté comme le
premier «all – talking feature film»: Light of New York.
Déjà à l’époque, la production américaine était présente en Europe, et
fournissait, en Italie, la majorité absolue de la programmation.
Le 14 avril 1929 dans la structure Supercinema de Rome, le film The Jazz
Singer a été présenté avec la bande originale, et pour en faciliter la compréhension,
dans les scènes dialoguées on a installé des panneaux avec des sous – titres en italien.
Le film a remporté un grand succès.
Pendant des années on a adopté des solutions différentes pour faire circuler des
œuvres cinématographiques (en particulier en langue anglais) dans un pays étranger.
Le premier de ces expédients reste l’emploi des versions multiples, en effet pendant
les années 1927 – 1933, les films étaient tournés en versions multiples. En utilisant
les mêmes acteurs, les scènes d’un film étaient refaites dans plusieurs langues pour
obtenir des versions différentes, une pour chaque langue dans laquelle le film était
distribué. Cette pratique était employée par la maison cinématographique américaine
Paramount, qui avait à Joinville, près de Paris, des établissements, où on tournait des
dizaines de versions multiples, avec une dépense d’énergie injustifiée. De cette façon
on a tourné les films italiens suivants: Il segreto del dottore, version de Doctor’s
Secret de William DeMille, Il richiamo del cuore version de Sarah and Son de
Dorothy Arzner, La donna bianca, version de The Letter de Jean de Limur, La
vacanza del diavolo, version de The Devil’s Holiday d’Edmound Goulding.
3 Les titres des films contenus dans ce paragraphe ont été tiré du livre italien: E. DiFortunato et M. Paolinelli, Tradurre per il doppiaggio, Milan, Hoepli, 2005, pp. 3 – 8.
7
Cette dépense d’énergie n’a pas duré longtemps: en fait, jusqu’à l’invention du
doublage (dans les années 30) par le physicien autrichien Karol Jacob, «who had
overall responsability for Paramount’s German films».4
En Italie la Fox a chargé Louis Loeffler d’expérimenter le système du
doublage. Il était technicien de montage et réalisateur américain, marié à une femme
italienne et il connaissait donc bien la langue italienne. Le premier film
complètement doublé en italien a été Tu che mi accusi (de Victor Fleming, 1930).
Toutefois, avant que la pratique du doublage s'enracine concrètement en Italie,
il faut souligner certains événements antérieurs: avant tout, le 22 octobre 1930, le
Ministère de l’Intérieur promulgue une loi interdisant la projection des films en
langue étrangère:5
«Il ministero dell’interno ha disposto che da oggi non venga accordato il
nullaosta alla presentazione di pellicole cinematografiche che contengano del parlato
in lingua straniera sia pure in misura minima. Di conseguenza, tutti indistintamente i
film sonori, ad approvazione ottenuta, porteranno sul visto la condizione della
soppressione di ogni scena dialogata o comunque parlata in lingua straniera».6
Le ministre de l’Intérieur Benito Mussolini affirmait que le Cinéma National
ne pouvait pas véhiculer des langues étrangères, parce qu’il voulait, en conformité
avec la politique du Fascisme, protéger l’industrie cinématographique nationale et
empêcher la propagation des idées, cultures et politiques étrangères, qui seraient
arrivées en Italie avec les films étrangers.
Malgré cette disposition gouvernementale, en 1930, la production nationale ne
dépassait pas une douzaine de films et ne suffisait donc pas à couvrir les besoins des
4 C. Ford, “Paramount at Joinville”, dans Films in Review, n. 9, Novembre 1961 [ma traduction: qui avait la responsabilité complète pour les films allemands de la maison cinématographique Paramount]. Concept reporté dans le livre de M. Paolinelli, E. Di Fortunato, cité, p. 6. 5 E. Perego, La traduzione audiovisiva, Rome, Carocci, 2005, p. 39. 6 «Le Ministère de l’Intérieur a approuvé un décret selon lequel, à partir d’aujourd’hui, ne sera plus accordée d’autorisation à la représentation des pellicules cinématographiques qui contiennent des dialogues en langue étrangère. Donc, tous les films qui ont des dialogues, indistinctement, après avoir obtenu l’approbation, auront sur leur visa la condition de suppression de toutes scènes dialoguées en langue étrangère». [Ma traduction en français].
8
salles de cinéma. Ensuite il fut une période, pendant laquelle le gouvernement
décide de rendre les films étrangers muets, les dialogues étant remplacés par des sous
– titres. Plus de 300 films ont été frappés par la loi de Mussolini.
Toutefois, pendant cette période, des films, doublés avec la technologie
allemande, commencent à circuler. A propos de Prix de beauté de Augusto Genina,
le critique Andrea Uccellini a écrit: «Girate le scene della versione muta, ora Genina
dirige i suoi interpreti negli studi di Tobis di Epinay per la versione parlante e sonora
in quattro lingue. Da che esiste il film parlante si tratta della prima volta che si
verifica un tal fatto, che però presenta difficoltà non comuni, ma che saranno
superate. Si attende la première con impazienza».7
Après la première de Prix de beauté à Paris, Cecil Jorgefelice écrit dans le
Courier Cinématographique: «Il saute aux yeux des connoisseurs que la plus grande
partie des sons et des paroles a été ajoutée et raccordée après achèvement de la bande
muette. Mais outre que ce travail minutieux et délicat a été exécuté adroitement, je
me demande si ce n’est pas là, dans une certaine mesure, la meilleure formule. Elle
permet ce ‘filtrage’ des sons et des bruits qui apparait comme absolument
indispensable. Dans l’ensemble cette partie du travail est satisfaisante. Les paroles
sont brèves, réduites à l’essentiel, en général assez expressive, pour ne pas donner
une impression de remplissage».8
La première salle de synchronisation a été construite dans l’établissement du
Palatino de Rome (1930), où l’année suivante on commence à doubler des films
étrangers, pour la plupart des films allemands. On arrive ainsi à la naissance de
l’industrie du doublage italien. C'est pendant cette période que les maisons
cinématographiques américaines Columbia et Metro Goldwin Mayer inaugurent
leurs établissements en Italie.
7 A. Uccellini, “Lettera da Parigi”, in L’eco del cinema, n. 73, Décembre 1929. [Ma traduction: Après avoir tourné les scènes en version muette, maintenant Genina dirige ses acteurs dans les studios de Tobis d’Epinay pour la version parlante et sonore en quatre langues. Depuis la naissance des films parlés, il s’agit de la première fois qu’un tel fait se produit, toutefois il présente des difficultés particulières, mais qui seront surmontées. On attend la première avec impatience]. Ce passage est contenu dans le livre de M. Paolinelli, E. Di Fortunato, citè, p. 7. 8 C. Jorgefelice, Le Courier Cinématographique, n. 20, 17 Mai 1930. Ce passage est contenu dans le livre de M. Paolinelli, E. Di Fortunato, cité, p. 7.
9
2. LA TRADUCTION AUDIOVISUELLE
2.1. Définition de traduction audiovisuelle
La définition de "traduction audiovisuelle" (TAV) s’est répandue rapidement
pendant les dernières années, mais certains spécialistes préfèrent utiliser la définition
de «traduction multimédia», parce que celle – ci «comprend une grande variété de
produits qui vont des produits audiovisuels, au web en passant par les CDs –
ROM ».9
C'est ce qu'affirme Christine Heiss:10
« La traduzione multimediale va intesa come traduzione di testi con
collocazione multimediale, cioè traduzione di componenti linguistiche appartenenti
ad un pacchetto di informazioni percepite contemporaneamente in maniera
complessa. […] Si tratta di un prodotto comunicativo che implica che il destinatario
attivi simultaneamente almeno due canali di percezione (generalmente quello visivo
e quello uditivo), ottenendo informazioni strettamente interconnesse».11
Donc, tous les matériaux audiovisuels sont caractérisés par l’élaboration et la
présentation des contenus grâce à des canaux différents mais simultanés.
Les études sur la traduction audiovisuelle (ou multimédia) se penchent sur les
transpositions des textes complexes, qui se distinguent par des langages multiples,
des systèmes communicatifs différents. Dans ces textes on relève continuellement
des interactions et des interférences entre la communication verbale et celle non –
verbale. Le texte doit donc toujours être analysé dans sa complexité.
9 Ce dernier concept est expliqué dans le livre italien: I. Ranzato, La traduzione audiovisiva, Bulzoni Editore, Rome, 2010, p. 23. [Ma traduction en français]. 10 C. Heiss, R. M. Bollettieri Bosinelli (sous la direction de), Traduzione multimediale per il cinema, la televisione e la scena, Bologne, Clueb, 1996. 11 «La traduction multimédia doit être entendue comme une traduction des textes avec une corrélation multimédia, c'est-à-dire une traduction des composantes linguistiques, qui appartiennent à un paquet d’informations perçues en même temps d’une manière complexe. Il s’agit d’un produit communicatif qui implique que le destinataire a, en même temps, au moins deux canaux de perception (en général les canaux visuel et auditif)». [Ma traduction en français].
10
Yves Gambier, docteur en linguistique, affirme dans un essai en 2004, qu'«il y
a trois problèmes fondamentaux qui se posent dans le transfert linguistique
audiovisuel:
• La relation entre images, sons et paroles.
• La relation entre langue(s) étrangère(s) et langue d’arrivée.
• La relation entre code oral et code écrit».12
Dans le domaine de la TAV, même si on peut distinguer des modes différents
de traduction, on va seulement analyser la pratique du doublage, qui est «une
technique consistant à substituer aux voix des comédiens d'une œuvre audiovisuelle
(film, feuilleton, etc.) en version originale, les voix de comédiens s'exprimant dans
une autre langue, afin de diffuser cette œuvre dans des pays ne parlant pas la langue
dans laquelle l'œuvre a été tournée».13
Avant de doubler un film, on doit traduire, ou mieux, transposer les dialogues:
c’est sur les dialogues que la traduction filmique se focalise, cette dernière est une
branche de la traduction audiovisuelle. Cette branche s’occupe de la traduction et de
l'adaptation des scénarios étrangers dans une autre langue d’arrivée, afin d’effectuer
le doublage des films. Le code verbal, et en particulier le parlé d’un film, est la seule
composante modifiable du produit filmique, dans son passage d’une communauté
linguistique à une autre. Les dialogues cinématographiques (ou télévisés) sont une
reproduction orale d’un scénario écrit. Le dialogue filmique est un texte «scritto per
essere detto come se non fosse stato scritto».14 La traduction a donc la tâche difficile
de recréer dans la langue d’arrivée une oralité simulée qui reflète l’oralité simulée de
la version originelle.
Le processus d’assimilation à la langue parlée est une des contraintes
principales dans les opérations de doublage. Le langage doublé doit reproduire
l’authenticité, la spontanéité et l’instantanéité de la langue parlée.
En outre la sociolinguistique indique une série de caractéristiques de la langue
parlée, très difficiles à reproduire, c'est-à-dire les variétés du langage régional, celles 12 Yves Gambier, “La traduction audiovisuelle: un genre en expansion” , Meta: journal des traducteurs, vol. 49. n. 1, 2004. <http://id.erudit.org/iderudit/009015ar>. 13 <http://fr.wikipedia.org/wiki/Doublage>. 14 Gregory, 1967(voyez la bibliographie): «un texte écrit pour être dit, comme s’il n’a jamais été écrit» [Ma traduction en français].
11
liées à l’appartenance de classe, le niveau de formalité du langage et les problèmes
liés à l’adoption d’un certain registre.
Selon Herbst,15 «le ton du langage, l’emphase et l’accent sont des éléments
fondamentaux de la langue parlée, lesquels, seulement grâce à une réflexion attentive
et à la créativité dans la reproduction, peuvent être transposés pendant les opérations
de doublage»; autrement il y a le risque que la langue des œuvres
cinématographiques ou télévisées doublées se révèle artificielle et artificieux,
aseptique.
Dans les deux paragraphes suivants on analysera les contraintes techniques du
doublage, en cherchant à comprendre pourquoi, pour les transpositions des œuvres
filmiques d’une langue à une autre, on parle souvent d’adaptation plutôt que de
traduction - dans les pays doubleurs, la langue des produits doublés est différente de
la langue des produits nationaux.
2.2. Maintenant, le doublage
La création d’un film (sa production, son tournage et sa distribution) comprend
trois phases: une phase de pré – production, une phase de production et une dernière
phase de post – production, dont les processus d’adaptation et de doublage des
scénarios font partie. Dans la dernière phase on a utilisé le mot adaptation plutôt que
le mot traduction, parce que quand un scénario pour le cinéma ou la télévision,
rédigé dans une langue de départ, est transposé dans une autre langue, définie langue
d’arrivée, on doit respecter des contraintes de traduction; ces contraintes n’existent
pas, par exemple, pour la traduction d’un texte littéraire, ce qui fait rentrer la
traduction filmique dans la sphère des phénomènes normalement définis sous le nom
de phénomènes d’adaptation. En effet, toutes les versions doublées des films
étrangers doivent s’adapter à l’image, au langage parlé, au contexte et surtout doivent
respecter le principe de «synchronie», c'est-à-dire «le fait que le texte doit être
15 T. Herbst, “Why dubbing is impossibile?”, dans Traduzione multimediale per il cinema la television e la scena, C. Heiss et R. M. Bollettieri Bosinelli (sous la direction de), Bologne, Clueb, 1996, pp. 97 – 115. [Le concept exposé dans le mémoire est une traduction personnelle en français du concept italien contenu dans le livre de C. Heiss et R. M. Bollettieri Bosinelli, cité, pp. 97 – 114].
12
synchronisé avec le mouvement des lèvres et en général tous les éléments
linguistiques du texte doivent correspondre avec les images du film. C'est
particulièrement difficile pour les langues qui n'utilisent pas le même nombre de
syllabes par phrase : par exemple, l'anglais et le français et, pire encore, l'anglais et
l'italien».16 En effet le doublage «implique une synchronie labiale quand les lèvres
des acteurs sont en gros plan et donc visibles; Sinon il implique une synchronie
temporelle (synchronie avec le temps de durée du mot ou de la réplique d’un acteur),
quand les lèvres ne sont pas visibles ou quand les visages sont de trois quart,
permettant ainsi plus de souplesse dans la traduction».17
Plus généralement dans toutes les versions doublées on doit respecter une
synchronie entre le parlé et l’image, entre le parlé et les mouvements et le langage du
corps, parce que chaque film s’articule dans une sphère visuelle et une sphère
acoustique, dans le son et l’image, et on ne peut faire abstraction d’aucune des deux.
Le processus du doublage est comparable à une chaîne de travail, où chaque
figure a son propre rôle. Quand les films sont destinés aux salles de cinéma, le
doublage est financé et accompli par la maison de distribution du film en question,
laquelle s’occupe de la distribution de la pellicule dans le pays du tournage et dans
les autres pays étrangers.
Avant de commencer le doublage du film dans le studio de doublage, les
spécialistes doivent recevoir le matériel suivant: avant tout le scénario entier et intact
avec tous les dialogues du film et une copie de la pellicule complète des dialogues,
musiques et effets sonores. La bande sonore livrée aux professionnels, qui
s’occuperont du doublage, doit être intacte; la copie de travail doit être parfaitement
identique à la copie utilisée pour la diffusion; enfin le dialoguiste doit avoir à
disposition le scénario de post – production, lequel induit toutes les modifications
apportées pendant la période de tournage.
La figure du dialoguiste – adaptateur occupe la première étape du processus du
doublage; il/elle s’occupe de la traduction du scénario du film étranger, qui doit être
doublé. Cette traduction/adaptation devrait être effectuée en respectant non
seulement le principe de «synchronie» décrit ci – dessus, mais aussi la volonté et les
16 <http://ecolomedia.uni-saarland.de/fr/cours/video/dubbing/domain-specific-issues/translation-and-cultural-issues-13.html>. 17 Yves Gambier, déjà cité, note n. 152.
13
intentions de l’auteur de la version de départ (dans le prochain paragraphe on
analysera les stratégies de traduction, adoptées par les dialoguistes).
Puis il y a la figure de l’assistant de doublage, qui s’occupe de diviser le film
dans des ‘anneaux’ (unités) de doublage pour faciliter la tâche du directeur de
doublage et des doubleurs.
La figure du directeur de doublage gère la partie créative du processus du
doublage, il/elle reçoit la version du scénario dans la langue d’arrivée (rédigée par le
dialoguiste) et dirige le doublage en studio. Cette personne a une vision globale du
scénario et de la trame du film à doubler, il/elle connait les personnages, ses
caractéristiques et donc choisit les voix des acteurs/doubleurs et les aide dans la
compréhension des personnages que les acteurs doivent interpréter et doubler.
Parfois le directeur intervient aussi sur la traduction/adaptation opérée par le
dialoguiste, en cherchant des solutions traductives plus appropriées. Cette figure peut
trouver des solutions plus efficaces que celles trouvées par le dialoguiste, parce
qu’il/elle peut les vérifier directement et concrètement sur la scène.
Le processus du doublage est complété par le technicien de doublage qui
s’occupe de la synchronisation entre les voix doublées et les mouvements labiaux et
s’occupe du montage et du mixage de la bande sonore doublée avec la bande
internationale. Donc le processus du doublage inclut différentes figures
professionnelles, chacun d’elles ayant une tâche précise et coopérant avec les autres
figures pour obtenir un produit doublé de bonne qualité. Toutes les figures sont
indispensables les unes aux autres, comme les maillons d’une chaîne.
14
2.3. Doubler, c’est récrire
Dans les paragraphes précédents on a vu la définition générale de la traduction
audiovisuelle et celle particulière de la traduction filmique, on a présenté le processus
du doublage et les figures professionnelles qu’il implique; maintenant on va analyser
le sens profond du concept de doublage et la raison pour laquelle la traduction pour
le doublage est différente de tous les autres types de traduction.
Traduire pour le doublage signifie traduire le scénario d’un film dans une
langue différente (langue d’arrivée) de celle utilisée pour tourner le film même
(langue source). Cependant traduire le scénario d’un film est plus compliqué que
traduire un texte littéraire, parce que le film constitue un système complexe, où il y a
une interrelation de différents codes: visuel, verbal et auditif. Pourtant la traduction
pour le doublage implique une «traduction totale»,18 parce qu’elle doit tenir compte
non seulement des valeurs relatives au sens des dialogues, mais aussi de celles
phonologiques, comme l’intonation, la longueur des mots et le synchronisme.
On peut définir la traduction filmique comme une forme de récriture du texte
de départ, en effet ce genre de traduction et le doublage même sont fondés sur une
réécriture du texte originel dans une autre langue, dans laquelle on doit transposer
non seulement des mots vides, mais aussi le message du scénario source. «Le
doublage est la projection fantastique du principe du double».19 Dans le même essai
on décrit le fait que chaque film a un avantage, il montre des images qui complètent
les mots, donc la tâche du doubleur est facilitée par cette complémentarité, en effet
l’acteur/ doubleur a les armes pour une adhérence plus précise aux sens originels des
mots.
Chaque film a un message caché et reproduit les valeurs culturelles du pays où
il est tourné, toutefois quand un dialoguiste effectue la transposition d’un scénario
étranger dans sa propre langue, toutes les variations sont potentiellement légitimes,
mais ces variation peuvent comporter la perte des valeurs culturelles des personnages 18 Bollettieri Bosinelli, (2002: 76, voyez la bibliographie) [Ma traduction en français d’un concept italien]. 19 F. La Polla, “Quel che si fa dopo mangiato: doppiaggio e contesto culturale”, dans R. Baccolini, R. M. Bollettieri Bosinelli, L. Gavioli (sous la direction de), Il doppiaggio. Trasposizioni linguistiche e culturali, Bologne, Clueb, 1994, pp. 51 – 60. [Ma traduction du texte originel italien].
15
du film originel, et par conséquent, rendre vain les idées des auteurs de la version de
départ.
Le dialoguiste et le doubleur sont les médiateurs entre deux systèmes culturels,
celui du film de départ et celui du film doublé et ils ont la tâche très difficile de
reproduire le message d’un film dans une autre langue, en évitant d’en trahir le sens.
En effet s'ils trahissaient le message, ils seraient irrespectueux envers les auteurs du
film source et envers le public du film doublé, qui ont le plein droit de connaitre
l’essence originelle du film.
Donc le doublage est une opportunité, à condition qu’il ne mente pas.
L’un des premiers chercheurs à avoir utilisé le concept de réécriture pour
définir la traduction filmique et le doublage a été Lefevere (1992), qui a élargi la
perspective des études sur la traduction à un plus grand contexte socioculturel. Après
les études conduites par Lefevere, les spécialistes de la traduction ne se sont plus
seulement focalisés sur le langage, mais aussi sur l’interaction entre traduction et
culture et sur la façon qu'à le contexte culturel d'influencer la traduction.
Il y a différentes techniques, qui sont utilisées pendant l’adaptation d’un film,
pour transposer les éléments culturels du scénario de départ dans la langue d’arrivée.
Dans le prochain chapitre on va analyser ces techniques et on va présenter un
exemple concret d’adaptation d’un film anglais dans la langue française.
16
3. LES COMPOSANTES CULTURELLES DANS LA
TRADUCTION FILMIQUE
3.1. Les techniques de traduction
Pour les éléments culturels, ou composantes culturelles, on implique les
éléments d’un texte qui ont un contenu, justement, culturel et non linguistique. Dans
les films et dans les autres produits audiovisuels, ces références sont représentées par
les signes verbaux et non – verbaux (ces derniers peuvent être visuels et auditifs)
lesquels appartiennent au contexte socioculturel d’origine et qui peuvent donc être
inconnus par la culture d’arrivée.
Ce sont les éléments qui caractérisent le plus la couleur et le style originels. On
peut adopter différentes stratégies pour les traduire et il y a plusieurs classifications
relatives aux techniques de traduction des références culturelles dans le domaine de
la traduction filmique; l’une parmi les plus fameuses est la taxonomie fondée sur les
études de Diaz Cintas (2007),20 qui, bien que relative au domaine des sous titres,
peut être facilement appliquée à la traduction pour le doublage:
• Le prêt linguistique: quand le mot ou la phrase du texte source ne
change pas dans le texte d’arrivée.
• L’explication: le texte est rendu plus accessible grâce à une précision
ou à une généralisation.
• Le calque ou traduction littérale.
• La substitution: des références dans le texte de départ sont substituées
à de nouvelles références dans le texte d’arrivée.
• La transposition: le concept culturel d’une culture est traduit avec le
concept culturel d’une autre.
• La récréation lexicale: l’invention d’un néologisme.
• La compensation: on cherche à équilibrer la perte d’un point de la
traduction grâce à l’ajout d’un autre point de la même.
• L’omission. 20 Dans Diaz Cintas, Remael 2007: 202 – 207, reporté dans le livre de I. Ranzato, cité, pp. 42 – 43.
17
• L’ajout.
C'est le dialoguiste qui choisit quelle est la technique la plus appropriée pour
résoudre les problèmes traductifs, auxquels il est confronté au cours de l’adaptation
d’un scénario. Ses choix doivent être cohérents pendant la transposition du texte
entier et respecter le sens général de ce dernier.
On verra, dans le prochain paragraphe comme des choix trop hasardeux
peuvent modifier la perception du film doublé par le public d’arrivée.
18
3.2. Analyse du doublage d’un film – culte: «Un tramway nommé
Désir»
Le film Un tramway nommé Désir (1952, figure 7) est la version française du
film américain A Streetcar Named Desire, réalisé par Elia Kazan et sorti aux États –
Unis en 1951.
(Figure 7, Un tramway nommé Désir, 1952)
L’histoire, racontée dans le film, est une reprise de la pièce écrite par
Tennessee Williams, que Kazan avait déjà mise en scène pour Broadway quelques
années auparavant.
19
Le film, comme la pièce de Tennessee Williams, raconte l’histoire de Blanche
Dubois (Vivien Leigh), qui veut à tout prix retrouver la sérénité familiale. Cette
femme vit dans un monde d’illusions. Elle quitte sa ville natale d’Auriol, dans le
Mississippi et arrive chez sa sœur, Stella Kowalski (Kim Hunter), qui habite rue
«Elysian Fields» dans le quartier français de la Nouvelle – Orléans, . Après être
arrivée, Blanche communique à sa sœur que la plantation de sa famille Belle Reeve à
Auriol a été «perdue», mais elle donne des explications qui restent vagues. Elle
représente dans le film la vieille société des planteurs du Sud en train de disparaitre.
Plus tard Blanche explique à Stella, qu’elle a pris une pause dans son travail de
professeur d’anglais à cause d’une crise de nerfs. Toutefois il s’agit d’un prétexte, en
réalité, elle s’est enfuie pour avoir eu une relation avec un étudiant âgé de dix – sept.
De l’autre coté de l’histoire il y a le mari de Stella, Stanley (Marlon Brando),
qui est ouvrier, fils d’immigrant polonais, descendu de la société urbaine du nord des
États – Unis en plein développement industriel. Il est grossier, sensuel, il domine
Stella mais elle tolère son comportement parce qu’il s’agit de l’aspect qui l’attire le
plus. Toutefois, l’arrivée de Blanche bouleverse le mariage de Stella et Stanley; ce
dernier ne croit pas aux mensonges de Blanche pour couvrir son passé et il
commence à investiguer sur les événements de son passé.
Parmi les amis de son beau – frère, Blanche fait la connaissance du timide
Mitch, qui tombe sous son charme; mais Stanley découvre la vérité sur sa belle -
sœur et informe son ami, qui quitte Blanche, en condamnant, de cette façon, toutes
les possibilités pour Blanche de reconstruire sa vie.
Il y a toutefois entre Stanley et Blanche un jeu de séduction subtile, un jeu
pervers d’attraction et de répulsion, qui se termine en viol, causant ainsi la
destruction mentale de Blanche, enfermée dans un hôpital psychiatrique. Tandis que
le couple Stanley et Stella, dont la paix familiale semblait être restaurée grâce à la
naissance d’un bébé, atteint un point de rupture, à cause de l’incapacité de Stella à
accepter le destin malheureux de sa sœur.
Le fil conducteur du film entier est donc représenté par la description du
rapport conflictuel et destructif entre Stanley et Blanche, entre le monde réaliste et
cru du premier et le monde d’illusions de la deuxième.
20
Ce film – culte, magistralement tourné, a attiré l’attention de Nathalie Ramière
(chercheuse dans le domaine de la traduction à l’Université du Queensland,
Australie), qui a écrit un essai en 2004 sur l'analyse contrastive des versions sous –
titrée et doublée en français de ce film de Kanzan. On se concentrera seulement sur
les points concernant l’étude de la version doublée, puisque le doublage et la
traduction filmique représentent la matière principale de ce mémoire.
Dans les paragraphes suivants on analysera la question des transferts culturels
dans la version doublée de ce film, en utilisant des pistes de réflexions, suggérées par
l’analyse conduite par Mme Ramière dans son essai.
Avant de commencer notre analyse, il est important de souligner que les
éléments verbaux et non – verbaux, présents dans ce film, font partie d’un réseau de
sens symboliques qui rendent le doublage très compliqué.
3.2.1. La question des transferts culturels
La question des transferts culturels est un problème pour le dialoguiste quand
ce dernier doit transposer un scénario, rédigé dans une langue, dans une langue
différente.
La traduction filmique et le doublage tendent souvent à «effacer le caractère
étranger du décor et à naturaliser les références culturelles. Dans le cas d’un film
comme Un tramway nommé Désir, où presque chaque allusion culturelle a une
justification symbolique ou esthétique, naturaliser les référents revient à modifier
tout un réseau symbolique de signes verbaux et non verbaux».21
En effet le film entier est caractérisé par deux éléments principaux: la
complexité évidente des personnages principaux et le fait que le contexte culturel,
dans lequel ils agissent, est bien marqué et bien défini. Donc ces deux éléments sont
essentiels pour la caractérisation symbolique du film et il est très important de ne pas
les modifier au moment de la transposition dans une autre langue. En effet les
21 Tiré de l’essai de Nathalie Ramière: <http://id.erudit.org/iderudit/009026ar>. (Voyez la bibliographie>.
21
changements éventuels, opérés dans la version doublée, pourraient altérer totalement
la réception du film par un public étranger.
En analysant l’essai que Nathalie Ramière a rédigé sur cette pellicule, on peut
mettre en évidence les répercussions des choix faits par le dialoguiste et les
doubleurs sur les questions de transferts culturels, de la présentation des personnages
et des relations entre eux.22
Selon ce qu'affirme Niemeier:23 «[the] users belong to a different cultural
world than those for whom the signs were originally intended, we can predict major
clashes between these two worlds». Cette citation montre que le but véritable, dans la
question des transferts culturels, est de transposer et de suggérer dans la version
d’arrivée le contexte socioculturel du film original.
L’analyse de la version doublée, contenue dans l’essai de Nathalie Ramière, a
été conduite d’une façon contrastive afin de pouvoir mettre en évidence certaines
problématiques spécifiques à la traduction pour le doublage.
«Étant donné que le contexte socioculturel du film joue un rôle très important,
la façon dont il est rendu par la traduction peut en modifier l’image chez le
spectateur»,24 selon Mme Ramière dans son essai.
Souvent le doublage ne respecte pas la distance entre la culture de départ et
celle d’origine, en risquant ainsi de déformer le message du film original.
La version d’arrivée d’un film devrait être interprétée en tenant compte du fait
qu’il s’agit toujours d’une version adaptée et doublée et donc qu'il faut aussi
considérer la présence constante dans la pellicule des signes de la culture d’origine,
afin de ne pas diminuer le sens profond du film.
22 Nathalie Ramière affirme dans son essai (voyez – vous note n. 162), qu’il lui a été impossible de trouver les références exactes (date de réalisation et nom de traducteurs) des versions traduites sur lesquelles elle s’est basée pour son étude. Ceci démontre qu’on accorde encore peu de reconnaissance au domaine de la traduction audiovisuelle. 23 Niemeier (199: 145, voyez la bibliographie): “Comme les personnes qui appartiennent à un public étranger ont un système culturel différent de ce qui caractérise le public du pays dans lequel le film a été tourné, nous pouvons prédire des conflits majeures entre ces deux systèmes”. [Ma traduction en français d’une partie de texte contenue dans l’œuvre de N. Ramière, citée, p. 104]. 24 Voyez l’œuvre de N. Ramière, citée, p. 105.
22
Dans le film on fait plusieurs références à des endroits réels de la Nouvelle –
Orléans, parce que le contexte géographique est l’élément du film le plus connoté au
niveau culturel et symbolique.
Analysons maintenant l’exemple reporté dans l’essai, concernant le décor
particulier et significatif du film. Au début de la pellicule on voit le nom des
tramways «Desire» et «Cemeteries» et celui de la rue «Elysian Fields» qui donnent
immédiatement des indices clairs sur le décor géographique du film. Leur importance
a été maintenue dans la version doublée en français, où ces deux noms ont été
traduits avec les mots correspondants «Désir» et «Cimetières». On a utilisé ces mots
français parce que les deux noms symbolisent le thème principal de l’histoire (le
désir qui conduit à la ‘mort’) et il est donc nécessaire que les spectateurs
francophones les comprennent clairement.
Dans la version doublée la plupart des références à l’anglais sont évitées, les
auteurs français cherchant à rendre les réalités culturelles, représentées dans le film,
familières aux spectateurs français en traduisant les références à la culture anglaise
avec leurs correspondances en français:
1) «Bourbon Street», la célèbre avenue associée au quartier français, devient
«le Boulevard Bourbon».
2) Le nom «Galatoire’s»,25 l’un des plus vieux et plus fameux restaurants de la
Nouvelle – Orléans n’est pas cité dans la version doublée, le dialoguiste ayant
probablement choisi de ne pas transposer ce nom dans la pellicule d’arrivée, parce
qu’il n’était pas assez connu par le public français. Il pouvait donc être omis, sans
causer de pertes de sens.
Ce qui est très important pour la traduction d’un scénario et de ses références
géographiques, c'est la capacité du traducteur à jouer un rôle de médiateur culturel et
à effectuer des choix uniformes dans tout le texte.
Le conflit entre Stanley (originaire du nord des États – Unis) et Blanche
(originaire du sud) symbolise le conflit historique entre le Nord et le Sud du Pays.
Dans la pellicule il y a des références symboliques à la guerre civile. Ces références
peuvent sembler évidentes aux yeux des spectateurs américains, parce qu’elles font
25 Ces deux exemples sont contenus dans l’œuvre citée de N. Ramière, pp. 105 – 106.
23
partie de l’histoire de leur pays, mais moins aux yeux d’un public étranger et ce fossé
culturel génère souvent des problèmes aux traducteurs.
Stanley représente le Nord des États – Unis, les attitudes de cette part du pays
en plein révolution industrielle, tandis que Blanche représente le Sud, habité par des
planteurs aristocratique en décadence.
Les origines différentes de Blanche et Stanley se reflètent dans leurs façons
différentes de parler, qui font référence à des éléments typiques de la culture du Nord
ou du Sud. Pourtant le dialoguiste doit bien comprendre ces références et chercher à
les rendre compréhensibles à un public étranger, sans trahir le sens initial.
L’histoire, racontée dans le film, se déroule dans un contexte qui est très bien
défini d’un point de vue historique (comme on l'a vu ci - dessus) et d’un point de vue
socioculturel. En effet le conflit symbolique entre Blanche et Stanley, comme le
souligne Nathalie Ramière dans son essai, «est marqué aussi par l’utilisation d’un
contraste des accents et des registres de langue». La différence d’accent entre Marlon
Brando (Stanley, qui parle avec un accent du Nord et précisément new – yorkais) et
Vivien Leigh (Blanche, qui parle avec l’accent du Sud) est difficile à rendre dans la
langue française. Il n’y a pas de correspondance française des dialectes anglo-
américains utilisés dans la pellicule originale. Les doubleurs ont cherché à résoudre
le problème en tentant de reproduire le contraste entre les deux façons de parler des
protagonistes, entre leurs différents registres; ils ont essayé de rendre, d’une part, la
vulgarité, la simplicité et l’ironie du langage utilisé par Stanley et, d’autre part, le
registre linguistique élégant, recherché et parfois lyrique employé par Blanche. Donc
le dialoguiste et les doubleurs français ont substitué l’utilisation originale des variétés
diatopiques avec l’utilisation des différentes variétés diaphasiques, représentées par
des registres linguistiques différents.
Alors que les deux protagonistes se rencontrent pour la première fois, Stanley
s'exclame dans la version doublée: «Ah oui, la sœur à Stella!» et «J’ai ma ch’mise
qui m’colle après!». Ces expressions utilisées par les traducteurs mettent en évidence
les origines modestes de Stanley (il est ouvrier), à travers l’emploi de formes plus
populaires et moins recherchées; Blanche, au contraire, utilise dans la version
d’arrivée, comme dans celle de départ, un registre de langue soutenu, afin de
24
souligner ses origines nobles: «Faites, je vous en prie»,26 pour donner un exemple de
la version doublée.
Donc l’impossibilité de reproduire la multiplicité des accents anglo –
américains dans la version doublée en français a été compensée par l’utilisation des
différents registres linguistiques, conformes aux profils sociaux des personnages,
comme Mme Ramière le fait plusieurs fois remarquer dans son essai.
Enfin, on peut dire que le doublage a fait appel à différentes stratégies pour
faire face aux problèmes concernant les transferts culturels: la stratégie la plus
utilisée, regarde la «naturalisation» de la plupart des allusions à la réalité
sociohistorique américaine. Naturaliser ces éléments signifie les rendre
compréhensibles à un public étranger, dans ce cas au public français, en cherchant à
préserver en même temps le message contenu dans la version originelle.
Toutefois la stratégie de naturalisation peut constituer un risque, parce que son
emploi peut causer la perte ou la modification dans le texte d’arrivée des éléments
présents dans le texte de départ. On va analyser cet aspect de la traduction filmique
dans le prochain paragraphe, en prenant toujours comme exemple le film Un
tramway nommé Désire.
26 Pour connaitre la font des exemples ci - dessus cités, voyez l’œuvre citée de N. Ramière, p. 107.
25
CONCLUSION
Le paragraphe précèdent se termine avec une question indirecte. Il n'est pas
question de diminuer l’importance du doublage ou de discréditer cette pratique, mais
de souligner ses points problématiques, afin de faire une réflexion soignée.
L’adaptation des dialogues, et plus généralement le doublage, devraient se
poser un objectif plus ambitieux: celui de respecter pleinement la volonté et les
capacités expressifs de l’auteur et des interprètes originaux, afin de substituer la
bande originale avec une autre, nouvelle et équivalente (la version d’arrivée).
Il s’agit d’un objectif ambitieux et chargé de beaucoup de responsabilités,
parce que la version doublée représente souvent le premier vecteur, par lequel le
public d’arrivée entre en contact avec une œuvre étrangère et lui donne l’opportunité
de s'en faire une première impression.
Les bonnes intentions de la majeure partie des auteurs et interprètes des
versions italiennes des produits audiovisuels étrangers, aujourd’hui, doivent faire
face à la réalité industrielle des dernières années, laquelle impose de travailler à des
rythmes effrenés, causant ainsi une baisse qualitative de la pratique du doublage.
Donc le doublage représente désormais une forme d’art en agonie et c’est le
marché qui devrait le premier rehausser la qualité des produits qu’il fait circuler, en
permettant d’améliorer la qualité du doublage et le rendre ainsi plus compétitif.
26