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5 Physiologie de la défécation A. Senéjoux Introduction La défécation normale est l’évacuation des matières fécales par l’anus. C’est un processus complexe impliquant les formations ana- tomiques également engagées dans la continence fécale. Le rectum et les sphincters de l’anus constituent un ensemble moteur dont le fonc- tionnement est coordonné et soumis à un contrôle nerveux hautement intégré. Anatomie Le rectum mesure environ 12 à 15 cm de long. Son diamètre est identique à sa partie supérieure à celle du sigmoïde, il s’élargit ensuite pour former l’ampoule rectale. La charnière recto-sigmoïdienne pré- sente une angulation variable selon les individus. Le rectum comporte deux couches musculaires lisses : une couche circulaire interne qui s’épaissit au niveau de la ligne pectinée pour former le sphincter anal interne, une couche longitudinale externe dont les fibres profondes présentent des extensions fibro-élastiques qui aboutissent dans la zone sous-cutanée périanale, les fibres superficielles se mêlant à celles du muscle releveur de l’anus. Il est tapissé par une muqueuse glandulaire. Vide, le rectum est aplati d’avant en arrière, plein il décrit un S. Le canal anal a une longueur de 2 à 4 cm et un diamètre de 3 cm lorsqu’il est distendu. C’est une zone de haute pression isolant le rec- tum du milieu extérieur. Il est recouvert d’un épithélium malpighien pluristratifié non kératinisé. Lorsqu’il est vide, l’anus est normalement collabé, prenant l’aspect d’une fente antéro-postérieure à plis radiaires dont les parois sont accolées hermétiquement. A. Senéjoux (), Centre Hospitalier Privé Rennes-Saint-Grégoire, 6, Boulevard de la Boutière, 35760 Saint-Grégoire, e-mail : [email protected] Sous la direction de Gérard Amarenco, Agnès Senéjoux, Pathologies des toilettes ISBN : 978-2-8178-0355-5, © Springer-Verlag Paris 2013

Pathologies des toilettes || Physiologie de la défécation

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Page 1: Pathologies des toilettes || Physiologie de la défécation

5Physiologie de la défécation

A. Senéjoux

Introduction

La défécation normale est l’évacuation des matières fécales par l’anus. C’est un processus complexe impliquant les f ormations ana-tomiques également engagées dans la continence fécale. Le rectum et les sphincters de l’anus constituent un ensemble moteur dont le fonc-tionnement est coordonné et soumis à un contrôle nerveux hautement intégré.

Anatomie

Le rectum mesure environ 12 à 15 cm de long. Son diamètre est identique à sa partie supérieure à celle du sigmoïde, il s’élargit ensuite pour former l’ampoule rectale. La charnière recto-sigmoïdienne pré-sente une angulation variable selon les individus. Le rectum comporte deux couches musculaires lisses : une couche circulaire interne qui s’épaissit au niveau de la ligne pectinée pour former le sphincter anal interne, une couche longitudinale externe dont les fibres profondes présentent des extensions fibro-élastiques qui aboutissent dans la zone sous-cutanée périanale, les fibres superficielles se mêlant à celles du muscle releveur de l’anus. Il est tapissé par une muqueuse glandulaire. Vide, le rectum est aplati d’avant en arrière, plein il décrit un S.Le canal anal a une longueur de 2 à 4 cm et un diamètre de 3 cm lorsqu’il est distendu. C’est une zone de haute pression isolant le rec-tum du milieu extérieur. Il est recouvert d’un épithélium malpighien pluristratifié non kératinisé. Lorsqu’il est vide, l’anus est normalement collabé, prenant l’aspect d’une fente antéro-postérieure à plis radiaires dont les parois sont accolées hermétiquement.

A. Senéjoux ( ), Centre Hospitalier Privé Rennes-Saint-Grégoire, 6, Boulevard de la Boutière, 35760 Saint-Grégoire, e-mail : [email protected]

Sous la direction de Gérard Amarenco, Agnès Senéjoux, Pathologies des toilettesISBN : 978-2-8178-0355-5, © Springer-Verlag Paris 2013

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L’appareil sphinctérien comporte un sphincter lisse, interne, de fonc-tionnement inconscient, en contraction tonique permanente et un sphincter strié, externe, à commande volontaire. Le sphincter externe est un ensemble musculaire complexe renforcé à sa partie supérieure par le faisceau pubo-rectal du muscle élévateur de l’anus qui cravate la jonction ano-rectale, créant ainsi un angle ouvert en arrière (angle ano-rectal ou cap anal) entre le canal anal oblique en bas et en arrière et le rectum d’obliquité inverse. Cet angle mesure normalement 80° en retenue et 120° lors d’efforts de poussée. Entre ces deux couches musculaires, se trouve le muscle longitudinal. Ce muscle est une pro-longation de la couche musculaire externe du rectum et il a aussi été suggéré qu’il est également composé par des fibres provenant du sphincter externe. La structure anatomique et la fonction de ce muscle ne sont pas parfaitement élucidées [1].

Fonctionnement du canal anal et du rectum

Le tonus de repos

C’est la pression de clôture du canal anal, elle permet la continence passive, non consciente. Elle a essentiellement pour origine le sphinc-ter interne : 55 % du tonus de repos proviennent du sphincter interne, 30 % sont liés à la contraction tonique du sphincter externe et 15 % sont en rapport avec les hémorroïdes internes normalement présentes au niveau du canal anal [2].

La contraction volontaire

Elle dépend du sphincter anal externe. Sous contrôle de la volonté, elle entraîne une augmentation de pression dans le canal anal, empê-chant l’évacuation du contenu rectal. Son amplitude est élevée dans un premier temps puis se stabilise au bout de quelques secondes tradui-sant la fatigabilité sphinctérienne externe.

Les réflexes ano-rectaux

Lors de la distension du rectum la partie haute du canal anal se relâche, c’est le réflexe recto-anal inhibiteur. Cette relaxation permet la progres-sion du contenu rectal vers la ligne pectinée dont la riche innervation

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permet de faire la différence entre des selles et un gaz. L’analyse du contenu rectal est transmise au cortex qui en fonction de la situation et de la volonté autorisera ou non l’exonération. Cette relaxation du sphincter interne est compensée par la contraction du sphincter externe empêchant l’extériorisation du contenu rectal : c’est le réflexe recto-anal excitateur, qui contrairement au réflexe précédent, n’est pas inné mais acquis (apprentissage de la propreté). Le réflexe d’échantillon-nage correspond à l’ensemble et associe lors d’une distension rectale, une contraction rectale, le réflexe recto-anal inhibiteur et la contraction brève réflexe du sphincter externe et du muscle pubo-rectal.

La poussée

Elle est initiée par une contraction abdominale et s’accompagne d’une inhibition du tonus sphinctérien associant un relâchement du sphincter externe strié volontaire et une inhibition du tonus de repos liée à la relaxation du sphincter interne.

Innervation recto-anale

Répondant à la dualité de structure musculaire, l’appareil recto-anal présente une innervation à la fois somatique et végétative, comparable à celle de la vessie et du muscle strié périurétral. Le rectum et l’anus (comme le détrusor et l’urètre) sont innervés par le nerf hypogas-trique et le nerf splanchnique pelvien. Les muscles striés périanal et périurétral sont innervés par le nerf pudendal.

Innervation sensitive

Au niveau du rectum, l’innervation sensitive est assez pauvre : le rectum est insensible aux stimuli somatiques comme la douleur. Il est en revanche sensible à la distension. La sensibilité rectale à la disten-sion passe par le système parasympathique jusqu’aux racines sacrées S2, S3 et S4 [3]. On retrouve dans les couches musculaires lisses le système nerveux intrinsèque : les plexus de Meissner et d’Auerbach innervant la sous-muqueuse et des couches musculaires lisses. Le canal anal est richement innervé, il contient :

• les plexus de Meisser et d’Auerbach au niveau du sphincter interne et de la sous-muqueuse permettant la sensation du toucher ;

• les récepteurs de Krause et Ruffini répondant aux stimuli thermiques ;

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• les corps de Golgi-Mazzoni et les corpuscules de Pacini répondant aux sensations de pression et de tension.

Les stimuli anaux sont transmis au système nerveux central par la branche hémorroïdale inférieure du nerf pudendal puis par les racines sacrées S2, S3, et S4.La transmission du signal au cortex lors de la distension rectale et lors de la distension anale est bien visible en IRM fonctionnelle avec un signal qui apparaît au niveau de l’insula, du gyrus cingulaire, du cortex inférieur pariétal gauche et du cortex orbito-frontal droit. La distension anale induit en plus une activation d’aires motrices supplémentaires et du cervelet gauche [4].

Innervation motrice

Le sphincter interne est innervé par le système parasympathique provenant des racines sacrées et par le système sympathique provenant du cordon spinal thoraco-lombaire et des nerfs présacrés hypogas-triques. L’innervation sympathique semble moduler le tonus de repos du sphincter interne avec un effet de contraction inconsciente de ce sphincter [5], la plus grande partie du tonus de repos paraît cependant d’origine myogène : in vitro les fibres musculaires lisses du sphincter interne développent une activité contractile spontanée [6]. On sup-pose que la relaxation du sphincter interne observée lors du réflexe recto-anal inhibiteur est médiée par les cellules de Cajal qui sont de véritables pacemakers du muscle lisse capables d’inhiber le tonus de repos [7]. L’oxyde nitrique est le neurotransmetteur des fibres ner-veuses inhibitrices non adrénergiques et non cholinergiques, il induit une relaxation du sphincter interneLe sphincter externe est essentiellement innervé par le nerf pudendal dont l’origine se situe au niveau du plexus sacré (racines S2-S3 et S4) alors que le muscle élévateur de l’anus est directement innervé par le plexus sacré. De ce fait, la stimulation du nerf pudendal induit une contraction du sphincter externe et une augmentation de pression dans le canal anal. En revanche, la stimulation de la racine S3 entraîne une réduction de l’angle ano-rectal par contraction du muscle éléva-teur de l’anus et une légère contraction du sphincter externe lié à la diffusion du stimulus vers le nerf pudendal [8].

Les étapes de la défécation

À l’état basal, le rectum est vide. Une à deux fois par jour, sous l’effet de l’activité motrice colique et de l’ouverture de la charnière

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recto-sigmoïdienne, le rectum se remplit. La distension rectale ainsi engendrée, met en jeu les mécanorécepteurs qui signalent direc-tement au cortex la présence d’un contenu rectal et induisent un réflexe recto-anal inhibiteur propulsant les matières fécales sur la ligne pectinée. À ce niveau, le contenu rectal est analysé par les ter-minaisons sensitives permettant de faire la différence entre un gaz ou une selle. Ces informations sont transmises au cortex qui joue un rôle important mais mal connu, le lobe frontal est certainement impliqué à en juger par les désordres ano-rectaux observés en cas de lésion frontale [9]. Le cortex peut soit autoriser la défécation, soit l’empêcher grâce aux voies inhibitrices descendantes à partir du centre de commande supraspinal situé dans le tronc cérébral près du centre de la miction. Ce centre assure la synergie ano-rec-tale de la défécation [10]. Le système nerveux central peut ainsi soit empêcher la défécation, soit l’autoriser selon le contexte social. Il peut même interrompre une défécation en cours. Si la défécation est autorisée, il s’en suit plusieurs étapes mettant en jeu différents muscles, chaque étape étant essentielle :

– la poussée abdominale, associée à une manœuvre de Valsalva en position assise, favorise l’ouverture de l’angle ano-rectal, et le posi-tionnement du rectum dans l’axe du canal anal ; ceci est également facilité par la surélévation des pieds ;

– le muscle pubo-rectal et le sphincter externe se relâchent ; – le muscle longitudinal de l’anus se contracte, ce qui raccourcit le canal anal et favorise l’évacuation des matières ;

– le passage des selles dans le canal anal déclenche un réflexe ano-sigmoïdien qui permet la vidange du sigmoïde [11]. Ce réflexe est commandé par le système parasympathique, il persiste en cas de lésion haute de la moelle épinière. Ainsi, le toucher rectal est un moyen de déclencher un réflexe d’évacuation chez des patients souffrant d’une telle lésion ;

– les faisceaux du muscle releveur de l’anus à l’exception du faisceau pubo-rectal se contractent assez rapidement pour limiter la descente du plancher périnéal et donc l’étirement des nerfs et ligaments ;

– une fois l’exonération terminée, le sphincter externe et le muscle pubo-rectal se contractent, l’angle ano-rectal se referme.

Si une seule de ces étapes est rendue impossible, l’exonération devient difficile et le plus souvent incomplète, même si les selles sont suffisam-ment molles, et on parle alors de constipation terminale.Si la défécation est socialement impossible, la distensibilité de la paroi rectale permet de faire rapidement diminuer la pression rectale, entraînant une diminution puis une disparition de la sensation de besoin, ce qui compense la fatigabilité du sphincter externe et du muscle élévateur de l’anus.

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La défécation s’organise ainsi à partir d’une sensation rectale ; le plus souvent, celle-ci est inhibée par le cortex et l’évacuation est différée. Lorsque les conditions d’environnement sont favorables, l’inhibition corticale cesse et la défécation peut s’organiser. Dans le déclenchement de la défécation, le conditionnement joue un rôle considérable : de simples changements d’habitude (voyage, hospitalisation) peuvent suspendre toute évacuation pendant plusieurs jours. De fait, les capacités adaptatives du rectum permettent de différer assez facilement la défécation.

Références

1. Opazo A, Lecea B, Admella C et al. (2009) A comparative study of s tructure and function of the longitudinal muscle of the anal canal and the internal anal sphincter in pigs. Dis Colon Rectum 52: 1902-11

2. Lestar B, Penninckx F, Kerremans R (1989) The composition of ana l basal pressure. An in vivo and in vitro study in man. Int J Colorectal Dis 4: 118-22

3. Rogers J (1992) Testing for and the role of anal and rectal sens ation. Baillieres Clin Gastroenterol 6: 179-91

4. Lotze M, Wietek B, Birbaumer N, Ehrhardt J, Grodd W, Enck P (200 1) Cerebral activation during anal and rectal stimulation. Neuroimage 14: 1027-34

5. Cobine CA, Fong M, Hamilton R, Keef KD (2007) Species dependent differences in the actions of sympathetic nerves and noradrenaline in the internal anal sphincter. Neurogastroenterol Motil 19: 937-45

6. Glavind EB, Forman A, Madsen G, Svane D, Andersson KE, Tottrup A (1993) Mechanical properties of isolated smooth muscle from human rectum and internal anal sphincter. Am J Physiol 265: G792-8

7. Piotrowska AP, Solari V, Puri P (2003) Distribution of interstit ial cells of Cajal in the internal anal sphincter of patients with internal anal sphincter achalasia and Hirschsprung disease. Arch Pathol Lab Med 127: 1192-5

8. Matzel KE, Schmidt RA, Tanagho EA (1990) Neuroanatomy of the str iated muscular anal continence mechanism. Implications for the use of neurostimulation. Dis Colon Rectum 33: 666-73

9. Weber J, Delangre T, Hannequin D, Beuret-Blanquart F, Denis P (1 990) Ano-rectal manometric anomalies in seven patients with frontal lobe brain damage. Dig Dis Sci 35: 225-30

10. Abysique A, Orsoni P, Bouvier M (1998) Evidence for supraspinal nervous control of external anal sphincter motility in the cat. Brain Res 795: 147-56

11. Shafik A, El-Sibai O, Ahmed I (2001) Role of the sigmoid colon in the defecation mechanism with evidence of sigmoido-anal inhibitory and ano-sigmoid excitatory reflex. Front Biosci 6: B25-9