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et du vin Patrick McGovern Naissance de la vigne Préface : François Morel

Patrick McGovern Naissance de la vigne et du vin

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et du vin

Patrick McGovern

Naissancede la vigne

Préface : François Morel

PRÉSENTATION

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Naissance de la vigne et du vin raconte l’aventure spectaculaireet fascinante du vin depuis l’aube de la civilisation, il y a plus de7 000 ans, et démontre son rôle essentiel depuis la nuit des tempsdans l’art de vivre raffiné, loué à la fois par le poète et le chercheur.

Patrick McGovern nous emmène dans un étonnant voyageaux temps des premières expérimentations de la fabrication de cecélèbre breuvage dans les tout premiers villages du Moyen-Orient.Même avant l’essor de la civilisation, il imagine nos ancêtres ho-minidés en train d’apprécier un « beaujolais nouveau du paléoli-thique ». Au cours de son voyage dans le temps, décrivant lespremiers vins d’Égypte, de Mésopotamie et de Terre sainte, il créeune nouvelle synthèse du caractère central du vin dans l’histoirede l’homme, qui regorge de notions tirées de l’archéologie mo-derne, de la science et des arts. Il raconte comment le vin soula-geait et guérissait les corps des êtres fatigués, enflammaitl’imagination des artistes, animait les célébrations de toutes sortes,accompagnait les rois et les bourgeois dans l’au-delà et devintmême l’incarnation symbolique de la vie elle-même.

« Nous commémorons cette histoire chaque fois que nous versons unverre de vin et savourons le produit de cette plante eurasienne clonée, croi-sée, transplantée, depuis ses origines au Proche-Orient, il y a plus de7 000 ans [...]. La plupart des histoires de la vigne et du vin commencentlà où celle-ci se termine. Elles s’appuient principalement sur les textesgrecs et romains [...]. Ce livre a pour objet d’éclairer cette “préhistoire”,cruciale, mais en grande partie cachée, du vin et de son développementdepuis l’âge du bronze jusqu’à eux. »

Étienne Akar (www.oeno.tm.fr)

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NAISSANCE DE LA VIGNE ET DU VIN

Préface de François Morel1 « L’âge de la pierre » du vin

Entre faits et légendeLa rencontre de l’homme et de la vigne : l’hypothèse paléolithiqueD’où vient la vigne cultivée eurasienne ?Où et quand fut fait le premier vin ?

2 L’hypothèse NoéLa génétique et GilgameshTranscaucasie : la patrie de la viniculture ?En explorant la Géorgie et l’ArménieL’ADN antiqueCoup de filet plus large en AnatolieLa patrie indo-européenne« Le déluge de Noé »Plus loin

3 La traque archéologique et chimique du premier vinGodin TepeL’archéologie moléculaire à l’âge de la maturitéIdentification par la spectrométrie infrarouge des résidus de la jarre de Godin TepeLa déduction archéologiqueDu jus de raisin au vin et au vinaigreLa vinification à l’aube de la civilisationLe casier à bouteilles du premier vin ? Un symposium dans le vrai sens du mot

4 Le vin néolithiqueUne innovation capitaleLa chromatographie en phase liquide : un autre outil del’archéologie moléculaireLa résine antique : une boisson et une médecineUn barrage des médiasRaisin sauvage ou domestiqué ?Plus de jarres néolithiques en provenance de Transcaucasie

5 Le vin des tout premiers pharaonsUne industrie royale par excellenceUne découverte étonnante à partir d’une tombe royale de la dynastie 0Découverte de l’ADN d’une ancienne levure

6 Le vin de l’âge d’or égyptienLes Hyksos : un goût constant pour les vins du LevantFête du vin à l’apogée du Nouvel Empire Le vin, ultime expression religieuse

SOM

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NAISSANCE DE LA VIGNE ET DU VIN

Les vins d’Akhenaton, le roi hérétique, et de Toutankhamon Le vignoble égyptien sous les Ramessides

7 Le vin des premières villes du mondeCivilisation de la bière uniquement ?Le banquet à la manière des MésopotamiensLe vin : une boisson des cités des plainesTransplantation de la vigne à Chiraz

8 Le vin et les grands empires du Proche-Orient antiqueLe vin sur le Tigre et l’EuphrateLes vins d’Anatolie et l’Empire perdu des HittitesL’expansionnisme des Assyriens : échansons, chaudrons etcornes à boireLes vins fins d’Aram et de PhénicieCap à l’est en direction de la Perse et de la Chine

9  La générosité de la Terre sainteLes pressoirs dans les collines ; les tours et les vignoblessur les sols des ouadisLe succès de l’expérienceSatisfaire les besoins d’une société cosmopoliteLes vins des rois et du peupleLes rouges profonds et les bruns puissantsLe vin : un héritage de la tradition judéo-chrétienne

10 Les terres de Dionysos : la Grèce et l’Anatolie de l’OuestBoire le dieuUne connexion minoenne ? La première retsina grecqueLe vin adoucit par le chêneLe « grog grec » : une révolution dans la fabrication des breuvagesLe vin et le « grog grec » pendant l’âge des héros

11 Un breuvage pour le roi Midas ; aux limites du monde civiliséLe roi Midas et le « grog phrygien »Recréer un  ancien breuvage ; festin anatolienVers les régions hyperboréennes du nord : le « grog européen »

12 L’archéologie moléculaire, le vin et un regard vers le futurLà où tout a commencéConsumé par le vinPourquoi l’alcool et pourquoi le vin ?L’humble levure aux premières lignesUne nouvelle recetteLe vin, la métaphore parfaite

Postface de Robert Mondavi

NAISSANCE DE LA VIGNE ET DU VIN

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PATRICK McGOVERNUN CHERCHEUR PASSIONNÉ

Le professeur Patrick McGovern est le directeur scientifiquedu projet d’archéologie biomoléculaire pour la cuisine, les boissonsfermentées et la santé au musée de l’université de Pennsylvanie, àPhiladelphie.

Il utilise dans ses recherches l’archéologie moléculaire, tech-nique émergente d’analyse des traces laissées par l’activité hu-maine et l’analyse génétique (analyse ADN) conjointement àl’étude des mythologies.

Il est également professeur d’anthropologie. Son parcours aca-démique réunit les sciences physiques, l’archéologie et l’histoire.Il est titulaire d’une licence de chimie de l’université de Cornell,d’un doctorat en archéologie du Moyen-Orient, d’un doctorat enlittérature du département des études d’Asie et du Moyen-Orientde l’université de Pennsylvanie et a mené un projet d’études enneurochimie à l’université de Rochester. En tant que professeuradjoint au département d’anthropologie de l’université de Penn-sylvanie, il enseigne l’archéologie moléculaire.

On l’a même surnommé l’Indiana Jones de l ’his toiredes vins et des anciens breuvages.

Un scientifique accompli

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La confirmation chimique des premières preuves de ces matièresorganiques – le pourpre royal datant de 1300-1200 av. J.-C. et levin et la bière datant de 3500-3100 av. J.-C. – a reçu une large cou-verture médiatique. Un article de 1996 publié dans le journalscientifique international Nature a repoussé la date de la premièreapparition du vin de 2 000 ans – la situant à la période néolithique(aux alentours de 5400-5000 av. av. J.-C.).

Ses recherches qui montrent ce que l’archéologie moléculaireest capable d’accomplir ont permis de reconstituer le « festin fu-néraire du roi Midas » et de confirmer chimiquement les premièresboissons fermentées de n’importe quelle région du monde – ainsi,en Chine néolithique, il y a quelque 9 000 ans, où des jarres en po-terie contenaient un mélange de riz, de miel, de raisin et de fruitsd’aubépine.

En tant qu’associé de recherche à la section Moyen-Orient dumusée, il a aussi dirigé le projet de la plaine de la Bekaa.

Patrick McGovern a également recours à une technique chi-mique originale, qui permet de détecter dans les fragments de po-terie d’infimes quantités d’acide tartrique, dont le raisin est la seulesource connue au Moyen-Orient.

Durant ces dernières décennies, il a mené maints projets de re-cherche et a participé notamment à de nombreuses fouilles à tra-vers le Moyen-Orient en tant que consultant en poterie etstratigraphie.

Récemment, lui et ses collègues ont également identifié le premierbreuvage fait de cacao (chocolat) dans un site au Honduras, daté àenviron 1150 av. J.-C., et un vin de la dynastie égyptienne zéro.

Une passion au service de l’histoire du vin

Patrick McGovern est l’auteur de Naissance de la vigne et duvin, traduction d’Ancient Wine : The Search for the Origins of Vini-culture (Princeton University Press, 2003), et plus récemmentd’Uncorking the Past. The Quest for Wine, Beer, and Other AlcoholicBeverages (« En débouchant le passé. La découverte du vin, de labière et autres boissons alcoolisées », Berkeley, University of Ca-lifornia, 2009). Il a écrit plus de cent articles et de nombreux livres.

Ses écrits

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LA PRESSE INTERNATIONALE

« Ce livre très documenté et de lecture facile, est passionnant debout en bout. Il fait le point sur l’ensemble des connaissances ac-tuelles, sur la question, sans dissimuler les lacunes et les chaînonsmanquants. Il ne reste qu’à en espérer une prochaine traduction enfrançais. »Étienne Akar, www.oeno.tm.fr« Un nouvel ouvrage remarquable. »Adam Gopnik, New Yorker« Personne n’est mieux qualifié que McGovern pour débusquer lesmultiples indices des origines du vin et de la vigne. Tel un détectivescientifique, il utilise les puissants outils de la science moderne danssa quête des racines du vin. »Madeleine Nash, Time magazine« Un trésor de connaissance sur la viticulture… Le livre de McGo-vern restera probablement un incontournable dans la bibliothèquede chaque véritable amateur ou spécialiste du vin. Levons nosverres à ce remarquable ouvrage ! »Laurence A. Marschall, Natural History« Il faut du courage pour aborder un sujet aussi vaste que celui del’étude de la viticulture antique – dans sa chronologie, sa géographieet son histoire –, et il faut de la rhétorique pour faire un tel ouvrage,alliant l’information et la réflexion. Patrick McGovern a réussi à faireexactement cela. Son livre est à mettre entre toutes les mains, aussibien de professionnels que d’amateurs passionnés. »James C. Wright, American Scientist« Il est évident que McGovern est un fervent chercheur, et que saprofonde passion pour le vin est renforcée par sa compréhension durôle de ce breuvage dans la civilisation. Les amateurs de vin qui ai-ment aussi se plonger dans la riche histoire de la viticulture trouve-ront beaucoup à savourer dans ce livre complexe, mais intrigant. »Deborah Scoblionkov, Philadelphia Inquirer

Cet ouvrage a reçu, dans sa version originale, sous le titre « Ancient Wine», plusieurs prix, dont le GrandPrix de l’Organisation internationale de la vigne et du vin.

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« Ce livre savant sur le vin est le plus fascinant de l’année… C’estune tapisserie de fragments culturels qui combine l’art, l’archéologie,la chimie et la gastronomie. Il suit le fil du vin à travers 8 000 ansd’histoire humaine […]. »Toronto Star« Un nouvel ouvrage remarquable » Adam Gopnik, New Yorker

Relief sculpté d’une roche représentant le dieu de l’orage Tarhunda (à Ivriz, Turquie).Le dieu tient une grappe de raisins et est drapé d’une vigne (VIIIe siècle av. J.-C.).

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La quête scientifique de l’origine desvins passe par le sud-est de la TurquieELAZIG (Turquie)

Il existe sans doute des endroits plus accueillants pour la viti-culture que les paysages désolés du sud-est de la Turquie. Maisl’enquête menée par José Vouillamoz est formelle. C’est sûrementici que les ancêtres de nos vignerons ont pressé du raisin pour pro-duire le premier vin de l’histoire, il y a près de 10 000 ans.

Botaniste de formation, José Vouillamoz s’est lancé sur la pistedes origines du vin il y a près de dix ans. Avec un spécialiste de bio-logie moléculaire, Patrick McGovern, il ausculte l’ADN des vignesdomestiques et sauvages du monde entier.

« Nous avons commencé par collecter des échantillons devignes dans ce que j’appelle le Proche-Orient, c’est-à-dire l’Anato-lie, l’Arménie et la Géorgie, pour déterminer à quel endroit le raisinsauvage était, génétiquement parlant, le plus proche des variétésde raisins cultivés », explique M. Vouillamoz.

« Il s’est avéré que c’était le sud-est de l’Anatolie, ajoute lescientifique suisse, nous avançons donc l’hypothèse que c’est trèsprobablement à cet endroit que la vigne a été domestiquée pour lapremière fois. »

Ce postulat est étayé par les travaux de son partenaire PatrickMcGovern. Réalisées au laboratoire du musée de l’université dePennsylvanie, ses analyses de résidus de liquides retrouvés sur desbateaux antiques ont elles aussi conclu à l’origine anatolienne desgrands crus d’aujourd’hui.

Auteur de deux ouvrages intitulés « En débouchant le passé »(Encorking the Past) et « Le Vin ancien » (Ancient Wine), aujourd’huitraduit sous le titre Naissance de la vigne et du vin, le scientifiqueaméricain a eu recours à une technique chimique originale, qui per-met de détecter dans les fragments de poterie d’infimes quantitésd’acide tartrique, dont le raisin est la seule source connue auMoyen-Orient.

Si la Géorgie, l’Arménie et l’Iran ont tous joué un rôle dans lanaissance du vin, ses résultats préliminaires suggèrent que c’est

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bien dans le sud-est de l’actuelle Turquie que les premières grappesde Vitis vinifera ont été cultivées, approximativement entre 5 000et 8 500 ans avant notre ère.

Héritage menacé

Par séquençage ADN, les deux chercheurs sont parvenus à re-constituer l’arbre généalogique de centaines de cépages actuels.Tous descendent de treize variétés d’un raisin sauvage cultivéesdans la partie anatolienne du « croissant fertile », la vaste zone quis’étend de l’Iran et de l’Irak actuels à la vallée du Nil et est consi-dérée comme le berceau historique de l’agriculture.

Selon José Vouillamoz, cette découverte contredit la théorie gé-néralement acceptée selon laquelle la plupart des cépages d’Europeoccidentale ont été introduits séparément du Moyen-Orient, duProche-Orient, de Turquie, d’Égypte ou de Grèce. Et le scientifique de citer en exemple le cas du gouais blanc, qu’il abaptisé le « Casanova du raisin ». « Celui-ci a donné naissance à aumoins 80 variétés européennes, comme le chardonnay, le gamay etle riesling », explique le Suisse, qui a récemment publié une sommerecensant 1 368 variétés de raisin.

AFP, publié le 03/12/2012

Cruche à bec avec figurine d’oiseau (Kültepe, Turquie).

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EXTRAITS

« L’âge de la pierre » du vinUne seule espèce de vigne eurasienne (Vitis vinifera L. subsp.

sylvestris) sur une centaine à pousser à l’état sauvage dans les ré-gions tempérées d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord donneaujourd’hui 99 % du vin mondial. Il peut s’agir d’un cultivar de ca-bernet sauvignon, de gewurztraminer ou de syrah. La variété desvins produits à partir des fruits de ces vignes est impressionnante.Ils peuvent être rouge foncé, avec un arôme de mûre et de cèdre,ou bien blanc siliceux avec une pointe jaune paille. Le fait est quenous devons à une seule espèce de vigne une gamme apparemmentinfinie de couleur, de douceur, de corps, d’acidité, de goût etd’arôme qui qualifient ce délectable breuvage.

La prédominance de la vigne eurasienne est d’autant plus frap-pante que les anciens habitants des régions où de nombreuses es-pèces sauvages de vignes se développent de nos jours – enparticulier en Chine et en Amérique du Nord – ne semblent pasavoir exploité la vigne en tant que source de nourriture ou l’avoircultivée. Leif Eriksson et ses Vikings furent suffisamment impres-sionnés par le foisonnement de la vigne dans toutes les forêts dunord-est du Nouveau Monde pour donner à la région le nom deVinland (« Terre des vignes »). […]

Entre les faits et la légendePour comprendre pourquoi et comment la vigne eurasienne

est centrale dans l’histoire du vin, il nous faut retourner à une pé-riode de la préhistoire humaine ensevelie dans les brumes dutemps. De soi-disant interprètes du passé pris au piège de la qua-trième dimension empêchent le voyage dans le temps. La flèchedu temps est pointée dans une direction, et notre tâche est de scru-ter des millions d’années en arrière pour reconstruire la suite desévénements particuliers qui ont mené à la domestication de lavigne eurasienne et du vin.

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L’archéologie – l’étude scientifique des vestiges anciens –constituera notre principale ressource et nous guidera pour ima-giner un scénario plausible concernant le vin à l’âge de la pierre.Les traces anciennes ne fournissent pas d’indications dans cettequête : les textes écrits les plus lointains, qui datent d’environ 3500 ans av. J.-C., sont plus tardifs et consistent en des donnéesbrèves et souvent énigmatiques. Des traités approfondis sur le vin– comme le chapitre XIV de l’Historia naturalis écrite par Plinel’Ancien au Ier siècle apr. J.-C. ne dépendent que des sources ou del’expérience de celui qui écrit et sont réfractés au travers de la vision du monde de l’époque.

Aussi intrigantes et souvent excitantes que soient les histoiresdes origines de la viniculture (comprenant à la fois la viticulture –la culture de la vigne – et la vinification), il convient d’être prudentpour s’engager dans ce « vignoble » embrouillé. De nombreux livres sur l’histoire du vin donnent une importance indue à telleou telle légende et font confiance à des traductions douteuses. Sides écrivains de la Grèce antique affirment que Dionysos, le dieugrec du vin, est venu de Phénicie, de Crête, de Thrace, de Lydieou de Phrygie, il faut creuser plus avant. Une autre opinion large-ment répandue, partagée par beaucoup de cultures méditerra-néennes, est que le vin vient du sang des humains qui se sontdressés contre les dieux.[…]

La rencontre de l’homme et de la vigne : l’hypothèsepaléolithique

Les humains ont certainement rencontré la vigne sauvage eu-rasienne et son fruit singulier à une date très lointaine, de la mêmefaçon qu’ils avaient rencontré les mollusques et leur teinture pour-pre. Il y a environ 2 millions d’années, des groupes d’êtres humains(Homo sapiens) ont migré de l’Afrique de l’Est par le pont naturelde la péninsule du Sinaï et sont arrivés au Moyen-Orient. Leurpremière rencontre avec la vigne sauvage a dû se produire dansles régions élevées à l’est de la Turquie, au nord de la Syrie ou aunord-ouest de l’Iran. Peut-être découvrirent-ils cette plante dansune région plus au sud – les collines de Palestine et Israël ou la

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région montagneuse de la Transjordanie –, des conditions d’hu-midité plus grande qu’aujourd’hui prévalant pendant les périodesinterglaciaires.

Le cadre général qui a permis à l’homme de rencontrer lavigne la première fois au paléolithique aboutit aussi à une série depostulats sur la découverte du vin, désignée comme l’« hypothèsepaléolithique ». […]

On peut imaginer un groupe d’hommes primitifs fouillant dansla vallée d’une rivière ou dans une forêt pentue à la végétationdense, à quelque distance de leur caverne ou autre abri. Captivéspar les fruits de couleur vive qui pendent en grosses grappes desvignes accrochées aux arbres à feuilles caduques ou persistantes,ils cueillent le raisin et le goûtent avec hésitation. Ils sont séduitspar son goût aigre et sucré, et en cueillent à nouveau. Ils ramassentautant de baies qu’ils peuvent, peut-être dans une peau d’animalou dans un récipient en bois grossièrement creusé. Un trou ou unecrevasse dans la roche pourraient aussi faire l’affaire. Selon la ma-turité du raisin, la peau de certains grains se fend et le jus coulevers le fond sous le poids de la masse des raisins. Si les grains deraisin sont laissés dans leur contenant et mangés petit à petit sousun à deux jours, ce jus va fermenter en raison de la levure naturellequi forme un duvet sur les peaux et va devenir un vin peu alcoolisé.En atteignant le fond du « tonneau », notre supposé(e) habitantou habitante des cavernes trempe son doigt dans la mixture, lesuce, et est agréablement surpris par ce breuvage aromatique etlégèrement grisant produit par hasard.

Le vin néolithiqueUne innovation capitale

[…]J’étais à l’affût de n’importe quel vin néolithique. Et quelmeilleur endroit pour mes recherches que ma propre université –University of Pennsylvania Museum –, qui possède l’une des meil-leures collections au monde d’objets archéologiques bien docu-mentés ?[…]

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La possibilité de découvrir la preuve chimique de l’existencedu vin néolithique incite très favorablement à la réouverture del’enquête sur le résidu jaunâtre des tessons de Hajji Firuz.

Si la vinification est reconnue comme une activité humaine in-tentionnelle plutôt que le fruit d’un hasard saisonnier, cela im-plique que durant la période néolithique, au Proche-Orient, entre8500 à 4000 av. J.-C., pour la première fois dans la préhistoire, lesconditions préalables nécessaires à cette mémorable innovation sesont trouvées réunies. Plus important encore, les communautésnéolithiques de l’ancien Proche-Orient et de l’Égypte s’étaient sé-dentarisées en raison de la domestication de plantes et d’animauxtels que les céréales et les ruminants. C’est avec un approvision-nement alimentaire plus sûr et plus choisi que chez les nomades,et grâce à cette stabilité, qu’émergea ce qu’on pourrait appeler une« cuisine néolithique ». En utilisant une variété de techniques detransformation des aliments comme la fermentation, la marinade,la cuisson, l’assaisonnement, etc., les peuples néolithiques étaient,aussi loin que nous le savons, les premiers à produire du pain, dela bière et différents plats de viande et de céréales que nous conti-nuons encore à déguster aujourd’hui.

Des objets artisanaux simples, utiles à la préparation des ali-ments, au stockage et au service, allaient de pair avec cette nou-velle cuisine. Les vases en céramique et plâtre, qui sont d’uneimportance particulière pour la vinification, ont commencé à ap-paraître vers 6000 av. J.-C. Sa souplesse fait de l’argile un matériauidéal pour la définition des formes, pour le goulot étroit des cuveset les grandes jarres, ainsi que pour la production et la conserva-tion du vin. La poterie qui en résulte, après que l’argile a été placéeà des températures élevées, est pratiquement indestructible, et sastructure poreuse permet d’absorber les matières organiques : uneaubaine pour les chimistes archéologues. Les argiles appartiennentà la famille des aluminosilicates hydratés qui comprend égalementdes zéolithes minérales. Zéolithes et argiles partagent la mêmepropriété : elles sont d’excellents matériaux échangeurs d’ions.Plus il y aura de composés organiques polaires ainsi « verrouillés »à la place de la matrice de silicate de la poterie ancienne et tantque la nappe phréatique n’introduit pas des agents plus puissantsou ne perturbe l’équilibre chimique, plus ils pourront rester intactspendant des siècles.

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L’horticulture des vignes et des autres plantes du Proche-Orient,comme celles de l’olive, de la figue et de la grenade, a souvent étéconsidérée comme un développement préhistorique relativementtardif, commençant vers la fin du IVe millénaire av. J.-C., mais enpleine expansion au cours du IIIe millénaire. Les traces archéobo-taniques de produits horticoles (telles que semences, bois, peaux…),qui sont plus fréquentes dans les contextes archéologiques de cettedernière période, fournissent la preuve élémentaire de cette hypo-thèse. Toutefois, la collecte systématique de matériaux botaniques,au Proche-Orient et sur les sites égyptiens, n’a été réalisée qu’aucours des dernières décennies, et les caractéristiques morpholo-giques qui ont été utilisées pour distinguer l’espèce sauvage desespèces domestiquées peuvent induire en erreur.Spécifiquement pour le raisin, les pépins carbonisés constituentl’essentiel des éléments de preuves archéobotaniques, et le supposé

Thrace

Mer ÉgéeMer Égée

Thasos

Hermus

•Athènes

Bosphore

Lesbos

Crète

•Istanbul

Lydia Phrygia

Hacilar

AntalyaBodrumMugla

Uluburun(Kas)

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Beysultan•

Sakarya

Samos

Mer MéditerranéeMer Méditerranée

Meander

Cilicia

Cyprius

Hatay

Mer Mer

Zincirli•

Karacadag•

Sakcegozu

KultepeKayseraAcemhoyuk

Catal HoyukIvriz

Can Hasan

Alisar HoyukBogazkoy

Alaca HoyukGordion

AnkaraInandik

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Delice

Halys

Saihan

Ceyhan

Tuz

Marmara

Taurus

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pépin de raisin domestiqué est reconnu pour être de forme plusallongée que son homologue sauvage. La carbonisation expéri-mentale de pépins de raisin actuels a démontré qu’un pépin étroitpeut être élargi et arrondi, ce qui brouille la distinction entre lespépins des sous-espèces domestiques et sauvages.

Les perspectives de trouver du vin néolithique semblaient par-ticulièrement bonnes, parce que de nombreux sites néolithiquessont situés en hauteur dans les régions montagneuses du Proche-Orient et c’est précisément là que le raisin sauvage eurasien pros-père. À une altitude de plus de 1 200 mètres, Hajji Firuz Tepe estsitué le long de la périphérie orientale de la distribution actuellede la vigne sauvage, dans la région montagneuse bordant le nordde la Mésopotamie.

0 300 km

N

S

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SESO

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Noire

Assyria

•Noire

Irak Iran

UrartuMer

CaspienneMer

Caspienne

Lac Sevan

Lac Urmia

Euphrates

Tigris

Upper Zab

Araxes(Razdan)

Kura

Lac Van

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Rioni

•NosiriKhizanaant-Gora

KhakhetiTbilisi

MtskhetaTrialeti

Shulaveri-GoraShomu-Tepe

Karmir BlurYerevan

Mont Ararat

Van

Hasanlu

ZiwiyehNimrud

Assur

Vallée AraratErzincan

KorucutepeTepecik

Arslan Tepe

Hassek HoyukTitris Hoyuk

Cayonu

Turban HoyukHacinebiCarchemish

L’Anatolie et le Caucase

Le vin des premières villes du mondeCivilisation de la bière uniquement ?

L’un des motifs les plus courants sur les sceaux est le banquetroyal, qui traduit l’essentiel du symposion grec et du conviviumromain et en est l’ultime inspiration, des milliers d’années plustard (planche couleur 5). On voit des hommes et des femmes assissur des chaises en bois avec un court dossier et des croisillonscomme les « tabourets » de la Grèce mycénienne (chapitre 10). Ilsportent à leurs bouches des coupes et des gobelets ou tiennent delongs tubes introduits dans de grandes jarres. Des serviteurs setiennent prêts, avec des cruches à long bec, pour remplir leurs go-belets. À l’arrière-plan, on gratte une lyre à tête de bélier et desdanseurs et chanteurs fournissent le divertissement. La plus an-cienne représentation d’un motif de tube à évasement et de jarrese trouve sur un sceau datant du début du IVe millénaire av. J.-C.provenant du site de Tepe Gawra, au nord de la Mésopotamie,proche de l’ancienne Ninive. La gravure du sceau dans l’argile, quise trouve maintenant à l’University of Pennsylvania Museum,montre deux personnages squelettiques dont les dimensions sontéclipsées par une énorme jarre placée entre eux. Les humains tien-nent des tubes, articulés en leur centre. Un examen attentif de cesceau et, plus tard, de sceaux et de gravures, conjugué à la décou-verte de spécimens de ces tubes provenant de fouilles, a conduit àune hypothèse vraisemblable : les tubes servaient de « pailles »pour aspirer la bière dans la jarre. La paille permettait à un buveurde pénétrer au travers d’une couche de coques de céréales et de le-vure, flottant à la surface, et d’atteindre le breuvage qui se trouvaiten dessous.

[…] Une fois les offrandes de nourriture et de boisson dispo-sées dans une tombe dans le cimetière royal, la porte était scelléeavec de la pierre et de la brique crue. La découverte la plus éton-nante faite par Woolley, cependant, a eu lieu dans les « fossés dela mort » munis de rampes menant aux tombes. Les figures royalesn’étaient pas allées seules jusqu’à leurs tombes. Placés dansd’énormes fosses funéraires creusées dans des alluvions se trou-vaient des chars de bataille tirés par des équidés ressemblant à des

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onagres et pas moins de quatre-vingts humains, dont des musi-ciens avec leurs instruments, des soldats, des domestiques, descourtisans, dont certains portaient des bijoux ornés d’or, d’argentet de pierres semi-précieuses. Un couple de béliers, enduit d’or,d’argent, de lapis-lazuli, de coquille et de pierre calcaire rouge surdu bois recouvert de bitume, figure parmi les œuvres d’art récu-pérées dans le cimetière royal. Chaque bélier est dressé sur sespattes arrière, en train de grignoter un petit arbuste. Les caissesde résonance des lyres à tête de taureau méritent également d’êtresignalées. Leurs plaques marquetées dépeignent des scènes du « Master of Animals » et des créatures fabuleuses, comme cellesde l’épopée de Gilgamesh, qui portent des coupes, des gobelets etdes jarres de boisson (planche couleur 6). Les trésors provenantdu cimetière ont été équitablement répartis entre l’University ofPennsylvania Museum et le British Museum.

Le vin et les grands empires du Proche-Orient antique

Hérodote, le « père de l’Histoire », fait un charmant récit deses voyages en Mésopotamie au Ve siècle av. J.-C. dans le livre I(193-194) de ses Histoires (en grec, l’Enquête). Sa description du

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NAISSANCE DE LA VIGNE ET DU VIN

commerce du vin depuis les sources du Tigre et de l’Euphratejusqu’aux portes de Babylone, bien qu’anecdotique, fortement im-pressionniste et moralisatrice par endroits, semble crédible. Il dé-crit comment les négociants en vin arméniens ont façonné desnavires circulaires en forme de « bouclier » en étirant des peauxd’animaux sur des cadres en saule.

Après avoir rembourré leurs vaisseaux avec de la paille, ilschargeaient leur cargaison. Deux hommes étaient affectés à chaquenavire, chacun avec une rame, l’un pour tirer et l’autre pour pous-ser. Des ânes vivants et, vraisemblablement, des couchages et dela nourriture pour le voyage de plusieurs semaines en aval, com-plétaient les fournitures dans chaque navire, dont certains étaientassez importants et pouvaient transporter un poids de 5 000 talents,soit environ 25 tonnes. Une fois les cargaisons vendues et déchar-gées sur les quais de Babylone, les navires étaient détruits, car ilsétaient incapables de naviguer dans les courants forts pour retour-ner en Arménie. La paille et les membrures en saule étaient vendues au plus offrant, puis les peaux étaient empilées sur lesânes et les marchands commençaient, à pied, leur difficile voyageen amont. De retour chez eux, les peaux pouvaient être utiliséespour fabriquer de nouveaux navires afin d’exporter la prochainevendange.

Un détail important a été omis par Hérodote. Il est dit que lacargaison de vin a été transportée dans des bikos phoinikeiou [s].La plupart des récits sur le vin traduisent cette formulation par « barils en bois de palmier ». Cependant, si des barils étaient uti-lisés par les marchands arméniens pour leur vin, ils auraient dûêtre fabriqués en Transcaucasie, et les palmiers dattiers n’y pous-sent pas. Le mot phoinikeious [s] devrait plutôt se lire comme « phénicien » ou bien « rouge », en référence soit aux amphoresde type phénicien soit aux jarres remplies de vin rouge.

Le vin sur le Tigre et l’Euphrate

La description du commerce du vin en haute Mésopotamie parHérodote peut se situer au début de ce qui est considéré comme l’« histoire scientifique », mais elle ne fournit aucun contexte his-torique à un phénomène vieux de centaines d’années et, également,

laisse de côté des informations essentielles relatives au commerceet à sa propre époque. Il ne dit rien sur les villes ou régions d’Ar-ménie précisément impliquées dans le commerce, mais précise seu-lement que les commerçants « avaient un train de vie plus élevéque les Assyriens ». Comment le vin était-il produit ? À quelle pé-riode de l’année arrivait-il à Babylone ? Quel était son coût ? Heu-reusement, d’importantes archives de textes cunéiformesprovenant de villes de haute Mésopotamie et issues de périodesbeaucoup plus anciennes nous permettent de combler quelques la-cunes, car une fois les réseaux commerciaux en place, il y avait unegrande motivation économique pour les perpétuer.Dans le chapitre 7, de solides arguments ont été avancés pour uncommerce vinicole sur le Tigre et l’Euphrate durant la périoded’Uruk finale, à la fin du IVe millénaire av. J.-C. Douze siècles plustard, le grand roi Hammurabi de Babylone attaquait et incendiaitla ville de Mari, située le long du Moyen Euphrate. Dans les dé-combres du palais de Mari, sur une surface d’environ 2,5 hectares,et intégrant des centaines de jardins et de pièces, des fouilles françaises, dirigées par André Parrot, ont mis à jour plus de 20 000 tablettes cunéiformes. À partir de ce riche ensemble de documents écrits en akkadien, une image détaillée du commercevinicole peut être reconstituée, saisie à un instant dans le temps,aux environs de 1750 av. J.-C.

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Planche couleur 8

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Les vins d’Anatolie et l’empire perdu des Hittites

C’était un tour de force de concevoir des récipients qui res-semblent à une grande grappe de raisins ou à plusieurs grappesmontées autour d’une jarre à bec central. Plusieurs siècles avantles Phrygiens (chapitre 11), la cruche à long bec, avec son anseplacée perpendiculairement afin de boire facilement, existait déjà(planche couleur 8) ; l’« effet de cascade » produit lorsque le breu-vage jaillissait par le bec était souligné ‒ sur un spécimen ‒ parl’incrustation en lignes, le long d’une succession de niveaux sail-lants, d’éclats de pierres rouges, grises et blanches. Des anses depanier permettaient de les plonger dans de plus grands récipients.Les possibilités étaient illimitées pour l’artiste potier innovant quiétait motivé et financé par une civilisation consacrée à la consom-mation de vin, aux cérémonies et aux festins. Si les marchands as-syriens n’appréciaient pas encore le vin qui était servi, versécomme libations et bu dans une telle gamme de récipients spéciauxtout le long des rives du Tigre, ils devaient en avoir emporté aveceux des échantillons et engagé leurs compatriotes dans l’universde la viniculture en Anatolie centrale.

Prix TTC : 25 €Format : 15,5 x 22,5Nb de pages : 256Ouvrage en quadri

Nb d’illustrations : 88Nb de cartes : 7

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