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PAUL HAWKEN ACTES SUD DOMAINE DU POSSIBLE

PAUL HAWKENÉQUIPE directeur du projet, rédacteur en chef, auteur : Paul Hawken conception graphique : Janet Mumford rédaction : Katharine Wilkinson relations publiques : Allison

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PAUL HAWKEN

ACTES SUD DOMAINE DU POSSIBLE

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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Nous savons qu’il nous reste peu de temps pour agir. Un nombre toujours plus important de scientifiques nous mettent en garde dans quelques années, il sera trop tard. Le changement clima-tique menace de défaire le tissu social, de saper les fondations mêmes de la démocratie et de précipiter la disparition de nom-breuses espèces. Dont l’être humain.

Fort de cette urgence, Drawdown propose une feuille de route à l’usage des gouvernements, des territoires, des villes, des en-treprises et de chacun d’entre nous. Plutôt que de baisser les bras, ce livre veut nous aider à surmonter la peur, la confusion et l’apathie, pour passer à l’acte.

Drawdown désigne le point de bascule à partir duquel la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, après avoir atteint un pic, se met à diminuer d’une année sur l’autre.

L’objectif de ce livre est de nous aider à engager cette bascule. Pour y parvenir, Paul Hawken et soixante-dix chercheurs ont élaboré un plan inédit : quatre-vingts solutions pour inverser le cours du changement climatique . En décrivant leurs impacts positifs sur le monde financier, les relations sociales et l’environ-nement, ils nous enjoignent à organiser notre action : commen-cer par ce qui aura le plus d’impact et construire une stratégie globale.

Nous disposons de tous les outils nécessaires, à nous de nous mettre au travail.

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DOMAINE DU POSSIBLE

La crise profonde que connaissent nos sociétés est patente. Dérèglement écologique, ex-clusion sociale, exploitation sans limites des ressources naturelles, recherche acharnée et déshumanisante du profit, creusement des inégalités sont au cœur des problématiques contemporaines.Or, partout dans le monde, des hommes et des femmes s’organisent autour d’initiatives originales et innovantes, en vue d’apporter des per spectives nouvelles pour l’avenir. Des solutions existent, des propositions inédites voient le jour aux quatre coins de la planète, souvent à une petite échelle, mais toujours dans le but d’initier un véritable mouvement de transformation des sociétés.

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DRAWDOWN COMMENT INVERSER

LE COURS DU RÉCHAUFFEMENT PLANÉTAIRE

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ÉQUIPE

directeur du projet, rédacteur en chef, auteur : Paul Hawken

conception graphique : Janet Mumfordrédaction : Katharine Wilkinson

relations publiques : Allison Wol¤site web : Chad Upham

correction : Christian Leahyadjointe à la rédaction : Olivia Ashmoore

directeur de recherche : Chad Frischmannchercheur : Ryan Allardchercheur : Kevin Bayuk

chercheur : João Pedro Gouveiachercheur : Mamta Mehra

chercheur : Eric Toensmeiercoordination des recherches : Crystal Chissell

MEMBRES

Zak AccuardiRaihan Uddin Ahmed

Carolyn AlkireRyan AllardKevin Bayuk

Renilde BecquéErika Boeing

Jvani CabinessJohnnie Chamberlin

Delton ChenLeonardo Covis

Priyanka deSouzaAnna Goldstein

João Pedro GouveiaAlisha GravesKaran Gupta

Zhen HanZeke Hausfather

Yuill HerbertAmanda HongAriel Horowitz

Ryan HottleTroy HottleDavid Jaber

Dattakiran JaguDaniel KaneBecky Xilu Li

Sumedha MalaviyaUrmila Malvadkar

Alison MasonMihir MathurVictor Maxwell

David MeadMamta MehraRuth Metzel

Alex MichalkoIda Midzic

S. Karthik MukkavilliKapil Narula

Demetrios PapaioannouMichelle PedrazaChelsea PetrenkoNoorie RajvanshiGeorge RandolphAbby RubinsonAdrien Salazar

Aven Satre-MeloyChristine Shearer

David SiapKelly Siman

Leena TähkämöEric ToensmeierMelanie Valencia

Ernesto Valero ThomasAndrew WadeMarilyn Waite

Charlotte WheelerChristopher Wally

WrightLiang Emlyn Yang

Daphne YinKenneth Zame

ESSAYISTES

Janine BenyusAnne Biklé

Pape François

Mark HertsgaardDavid Montgomery

Michael Pollan

Bren SmithPeter Wohlleben

Andrea Wulf

CONSEIL D’ADMINISTRATION

Janine BenyusPeter Byck

Pedro Diniz

Lisa GautierPaul HawkenJohn Lanier

Lyn Davis LearPeggy Liu

Craig McCaw (président)

Martin O’MalleyGunhild A. Stordalen

John Wick

NOUS ADRESSONS TOUTE NOTRE RECONNAISSANCE À NOS FONDATEURS, DONATEURS ET SOUTIENS

Ray C. Anderson FoundationTomKat Charitable Trust

Pedro Paulo DinizLear Family Foundation

Dr. Bronner’s Magic SoapsThe Overbrook Foundation

Caldera FoundationInterface Environmental Foundation

Leonard C. and Mildred F. Ferguson FoundationThe Heinz Endowments

Paul HawkenJustin Rosenstein

Russ et Suki MunsellBetter Tomorrow Fund

Famille Gautier

Stephen et Byron Katie MitchellJena and Michael King Foundation

Colin le DucAutodesk

TSE FoundationNicola Pell-Moelter

Jessica RolphJanine BenyusOrganic Valley

Nutiva FoundationSerg Oganesyan

Guayaki Sustainable Rainforest Products Co.The Carbon Neutral Company

Anderson Corporation

Drawdown est un message fondé sur la science ; il témoigne aussi du nombre toujours croissant d’êtres humains qui comprennent l’immensité du défi qui nous attend et sont prêts à consacrer leur vie à créer un avenir bon, sûr, régéné-rateur. La jeune fille de la photo appartient au peuple des Oromos, qui habitent dans la réserve de Nakuprat-Gotu au Kenya. Ce portrait a été notre talisman, nous invitant chaque jour à nous remettre au travail.

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Titre original : Drawdown. The Most Comprehensive Plan Ever Proposed to Reverse Global WarmingÉditeur original : Penguin BooksPenguin Random House llc 375 Hudson StreetNew York, New York 10014www.penguin.com

© Projet Drawdown, 2017Tous droits réservés, dont le droit de reproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sous quelque forme que ce soit.Ouvrage publié avec l’accord de Penguin Books, une branche de Penguin Publishing Group, qui fait partie de Penguin Random House LLC. Tous droits réservés.Crédits des citationsP. 11 : avant-propos de Jonathan Foley. Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.P. 83  : L’Invention de la nature. Les aventures d’Alexander von Humboldt d’Andrea Wulf, traduit par Florence Hertz, Noir sur Blanc, Lausanne, 2017. Édition originale : The Invention of Nature. Alexander von Humboldt’s New World d’Andrea Wulf. © Andrea Wulf, 2015.P. 152  : extrait et adapté de l’essai “Why Bother?” de Michael Pollan, avec sa permission. Paru dans le New York Times le 20 avril 2008. Reproduit avec l’autorisation d’International Creative Management. Tous droits réservés.P. 191 : extraits de The Hidden Half of Nature. The Microbial Roots of Life and Health de David R. Montgomery et Anne Biklé. © David R. Montgomery et Anne Biklé, 2016. Reproduits avec l’autorisation de W. W. Nor-ton & Company.P. 297 : adapté de Hot. Living Through the Next Fifty Years on Earth de Mark Hertsgaard. © Mark Hertsgaard, 2011. Reproduit avec l’autorisation de Houghton Miºin Harcourt Publishing Company. Tous droits réservés.P. 318 : extraits de La Vie secrète des arbres. Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent de Peter Wohlleben, traduit par Corinne Tresca, Les Arènes, Paris, 2017.P. 484 : “Réciprocité” de Janine Benyus. © Janine Benyus. Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.

Conception : Janet Mumford et Paul Hawken

Ouvrage publié sous la direction de Cyril Dion© Actes Sud, 2018isbn 978-2-330-10522-8www.actes-sud.fr

PAUL HAWKEN

Né le 8 février 1946, Paul Hawken est un des écologistes les plus respectés aux États-Unis et un spécialiste du climat. Il est l’auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels Blessed Unrest, The Ecology of Commerce ou The Next Economy. Il vit à San Francisco.Traduit de l’anglais (États-Unis) par Amanda Prat-GiralTitre original : Drawdown. The Most Comprehensive Plan Ever Proposed to Reverse Global WarmingÉditeur original : Penguin Books

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PAUL HAWKEN

DRAWDOWN COMMENT INVERSER

LE COURS DU RÉCHAUFFEMENT PLANÉTAIRE

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Amanda Prat-Giral

DOMAINE DU POSSIBLE ACTES SUD

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SOMMAIRE

——— Avant-propos, par Jonathan Foley 11Préface 15

Origine 19Langage 25Chi¤res 28

ÉNERGIEÉoliennes 34Mini-réseaux 41Géothermie 44Centrales solaires 49Toitures photovoltaïques 53Vagues et marées 58Centrales solaires thermodynamiques 62Biomasse 66Nucléaire 70Cogénération 76Petit éolien 79Alexander von Humboldt 82Digesteurs anaérobies 86Micro-hydroélectricité 89Valorisation énergétique des déchets 92Flexibilité du réseau 98Stockage de l’énergie (fournisseurs) 102Stockage de l’énergie (décentralisée) 106Chau¤e-eau solaires 110

ALIMENTATIONAlimentation riche en végétaux 116Restauration des terres agricoles 122Réduction du gaspillage alimentaire 125Cuisinières propres 130Agroforesterie multistrates 135Riziculture améliorée 139Sylvopastoralisme 144À quoi bon ? 148Agriculture régénératrice 153Gestion des nutriments 158Système d’agroforesterie avec cultures intercalaires 163Agriculture de conservation 166Compostage 170Biochar 174

Arboriculture tropicale de base 179Irrigation des terres agricoles 183“La moitié cachée de la nature” 187Gestion des pâturages 192

FEMMES ET FILLESFemmes à la tête de petites exploitations 202Planification familiale 207Éduquer les filles 211

BÂTIMENTS ET VILLESBâtiments autonomes 218Villes piétonnes 222Infrastructure cycliste 226Toitures végétalisées 230Éclairage aux DEL 235Pompes à chaleur 239Vitrage intelligent 243Thermostats intelligents 247Chauffage urbain 250Valorisation du méthane des décharges 253Isolation 256Rénovation 259Distribution d’eau 263Immotique (automatisation des bâtiments) 266

AFFECTATION DES TERRESProtection des forêts 272Milieux côtiers humides 279Forêts tropicales 283Bambou 289L’homme qui arrêta le désert 291Biomasse pérenne 298Tourbières 301Gestion des terres des peuples autochtones 306Forêts tempérées 312La Vie secrète des arbres 315Boisement 319

TRANSPORTTransports en commun 328Lignes à grande vitesse 332Navires 336Véhicules électriques 340Covoiturage 345Vélos électriques 349Voitures 353Avions 357

Camions 362Téléprésence 366Trains 369

MATÉRIAUXRecyclage des déchets ménagers 374Recyclage des déchets industriels 378Ciments alternatifs 382Fluides frigorigènes 386Recyclage du papier 390Bioplastiques 393Habitations économes en eau 398

BIENTÔT PRÈS DE CHEZ VOUSRepeupler la steppe-toundra 404Élevage en système mixte 409Météorisation augmentée des minéraux 412Permaculture marine 416Sylvopastoralisme intensif 421Feuille artificielle 423Véhicules autonomes 427Énergie houlomotrice par semi-conducteurs 433Bâtiments vivants 435Sur la sauvegarde de la maison commune 439Captage direct de l’air 444Fusion hydrogène-bore 448Autoroutes intelligentes 452Hyperloop 455Agriculture microbienne 459Chanvre industriel 463Cultures pérennes 466Une vache sur la plage 469Fermes marines 472Réseaux intelligents 478Constructions en bois 481Réciprocité 484

Une ouverture 492Méthodologie 497Que nous disent les chi¤res 508Récapitulatif des solutions selon leur rang 512Récapitulatif des solutions par secteurs 518Qui sommes-nous ? La coalition 524

Remerciements 550Index 552Crédits photographiques 570

Nous avons accumulé plus de 5 000 références, citations et sources pendant nos recherches pour la rédac-tion de Drawdown. Elles sont trop nombreuses pour figurer dans ce livre, mais vous pouvez néanmoins les consulter sur le site www.drawdown.org/references.

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AVANT-PROPOS

En tant que spécialiste du climat, je suis découragé par les phénomènes qui ont lieu depuis quelques dizaines d’années dans le monde entier.

Les mises en garde claires et précises que nous, scientifiques, avons for-mulées quant au dérèglement climatique de notre planète se concrétisent conformément à nos prévisions. Les gaz à e¤et de serre piègent la chaleur dans l’atmosphère terrestre : les saisons sont de plus en plus chaudes et le cycle de l’eau s’accélère. En raison des températures en hausse, l’air conserve davantage l’humidité, avec comme résultat une hausse des taux d’évaporation et de précipitation. Les vagues de chaleur historiques, com-binées à des sécheresses extrêmes, créent les conditions idéales à la pro-pagation d’incendies de grande ampleur. Les océans, en se réchau¤ant, renforcent la violence des ouragans, qui s’accompagnent de pluies tor-rentielles et d’ondes de tempête en plus grand nombre. Les phénomènes climatiques extrêmes ne feront que s’accentuer à l’avenir, et entraîneront dans leur sillage une infinité de morts et de lourdes pertes financières.

Quel que soit notre avis sur la question –  que nous choisissions de “croire” ou non à ses fondements scientifiques  –, la réalité du change-ment climatique nous a déjà rattrapés. Il est partout, étendant son ombre non seulement sur les phénomènes météorologiques, les écosystèmes, les calottes glaciaires, les îles, les côtes et les villes aux quatre coins de la pla-nète, mais aussi sur la santé, la sécurité et la sûreté de tout individu en vie et des générations à venir. On observe certains des symptômes dans le monde entier, comme l’acidification de nos océans, qui pourrait bien détruire les récifs coralliens et la vie marine, et la modification de la bio-chimie des végétaux, notamment de cultures vivrières.

Nous savons pertinemment quelles sont les causes de ces bouleverse-ments. Nous les connaissons depuis plus d’un siècle.

Lorsque nous brûlons des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel), fabriquons du ciment, labourons des sols riches et détruisons des forêts, nous libérons dans l’atmosphère du dioxyde de carbone, qui a la faculté de retenir la chaleur. Notre bétail, nos rizières, nos décharges et l’exploitation des gisements de gaz naturel libèrent du méthane, lequel réchau¤e la planète encore davantage. D’autres gaz, notamment l’oxyde d’azote et les gaz fluorés, qui se dégagent de nos terres agricoles, des sites industriels, des systèmes de réfrigération et des zones urbaines, multiplient d’autant l’e¤et de serre. Souvenez-vous que le changement

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climatique compte de nombreuses sources : production énergétique, agri-culture, foresterie, cimenterie et industrie chimique ; par conséquent, c’est de ces sources que les solutions devront émaner.

Outre les dégâts infligés à notre planète, le changement climatique menace de défaire le tissu social et de saper les fondations mêmes de la démocratie. Nous en voyons les e¤ets aux États-Unis notamment, où des services essentiels du gouvernement fédéral remettent en cause les ensei-gnements de la climatologie et s’alignent soigneusement sur l’industrie des combustibles fossiles. Tandis que la majeure partie de la population poursuit son chemin en se bouchant les oreilles, ceux qui ont assimilé les données scientifiques vivent dans la peur, parfois même dans le déses-poir. L’histoire du changement climatique s’est transformée en un récit apocalyptique, et ceux qui l’écoutent la nient, se mettent en colère, ou s’y résignent.

Moi-même, parfois, j’ai fait partie de ces gens-là.Grâce à Drawdown, ma vision des choses a changé. Paul Hawken et

son équipe ont cherché et modélisé les cent moyens les plus eªcaces qui nous permettront d’inverser le cours du réchau¤ement planétaire. Ces solutions, on les trouve dans l’énergie, l’agriculture, les forêts, les indus-tries, les bâtiments, les transports, et dans d’autres domaines encore. Les chercheurs ont aussi mis en exergue des solutions sociales et culturelles essentielles, comme l’autonomisation des filles, la limitation de la crois-sance démographique et l’évolution de nos comportements alimentaires et de nos habitudes de consommation. Ensemble, toutes ces solutions ont la capacité non seulement de ralentir le changement climatique, mais de l’inverser.

Au-delà des panneaux solaires et des ampoules à basse consommation, cet ouvrage montre que les solutions qu’il nous faut vont plus loin que l’énergie propre, et qu’il existe de nombreuses façons eªcaces de lutter contre le réchau¤ement climatique. Drawdown présente le vaste horizon des possibilités, qui passe par exemple par la réduction des émissions de gaz à e¤et de serre dont on parle moins, comme les fluides frigorigènes et le noir de carbone, la limitation des émissions d’oxyde d’azote issues de l’agriculture et l’atténuation des émissions de dioxyde de carbone dues à la déforestation. En outre, Drawdown prouve qu’on peut extraire le dioxyde de carbone atmosphérique en mettant en pratique l’agriculture régénéra-trice, l’agroforesterie ou des techniques novatrices d’a¤ectation des terres.

Plus important encore à mon sens, Drawdown met au jour tout ce qui nous permet de surmonter la peur, la confusion et l’apathie qui planent

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sur la question du changement climatique, et de passer à l’acte en tant qu’individus, voisins, villes, États, provinces, entreprises, sociétés de place-ment et organisations à but non lucratif. Cet ouvrage doit devenir la feuille de route vers un monde écoresponsable. En modélisant des solutions pra-tiques, bien comprises et en plein essor, Drawdown nous indique la voie d’un avenir dans lequel nous pouvons inverser la tendance au réchau¤e-ment et transmettre aux générations à naître un monde meilleur.

Nous croyons que le futur sera diªcile parce que les journaux et les rapports détaillent ce qu’il adviendra si nous ne faisons rien. À l’inverse, Drawdown montre ce que nous pouvons faire. Pour cette raison, j’estime que vous avez entre les mains le livre le plus important jamais écrit sur le changement climatique.

Drawdown m’a aidé à retrouver la foi en l’avenir, et en la capacité des êtres humains à relever d’incroyables défis. Nous disposons de tous les outils nécessaires pour combattre le changement climatique et, grâce à Paul et à son équipe, nous avons dorénavant leur mode d’emploi.

Maintenant, au travail !

jonathan foley

Directeur exécutif de la California Academy of SciencesSan Francisco, octobre 2017

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PRÉFACE

La première fois que j’ai entendu parler de Paul Hawken, c’était en 2008, alors que j’assistais à un week-end de séminaire pour concrètement traver-ser la peur, la colère, la tristesse qu’occasionnent la disparition des espèces, les forêts dévastées, les mers souillées… Il est rare que nous prenions le temps d’entrer en contact, émotionnellement, avec tous ces phénomènes. Ils se produisent loin de nous et ne nous a¤ectent qu’indirectement. Pour-tant, une fois immergés dans des vidéos, des témoignages, des expériences qui les rendaient tangibles, en prenant le temps de les partager avec les per-sonnes qui nous entouraient, nous étions, nous aussi, dévastés, meurtris, révoltés. Notre interdépendance avec les arbres, les poissons, les roches redevenait une réalité. Nous ne pouvions supporter qu’on porte atteinte à la nature car nous faisons intégralement partie de la nature, nous sommes la nature…

C’est une expérience que nous devrions faire plus souvent. Pour prendre nos décisions, notre cerveau donne la priorité à ce que nos sens perçoivent chaque jour. Au confort, à la technologie, à la gratification passagère que nous apporte un achat compulsif. Pas à la vie qui s’éteint, loin de nous. Et lorsque nous sommes confrontés à cette destruction massive, considé-rable, nous nous sentons bien souvent impuissants, minuscules.

Ce séminaire comportait une seconde partie, heureusement. Destinée à nous redonner de l’énergie, à nous “empuissancer1”, comme disent les Québécois. C’est là que Paul Hawken intervenait. Au cours d’une vidéo de six minutes, debout derrière un pupitre, il prononçait un discours que je reproduis ici en partie. Il a fait partie des mots qui m’ont le plus inspiré pour faire ce que je fais aujourd’hui :

Je crois profondément que nous sommes tous part d’un mouvement plus important, plus profond et plus large que ce que chacun d’entre nous peut percevoir. Il évolue sous le radar des médias traditionnels. Il est non violent, vient du terrain, ne possède pas d’armée ni d’hélicoptères ; il n’a pas d’idéologie centrale, un homme vertébré n’est pas à sa tête, ce mouvement anonyme est le plus divers que le monde ait jamais connu. Le mot même de mouvement est trop étriqué pour le définir, personne ne l’a initié, personne ne le dirige,

1. Traduction en français d’empower.

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il n’est pas régi par une orthodoxie, il traverse toutes les classes sociales, est global, inquantifiable, infatigable. Il a émergé spontanément de multiples secteurs économiques, de di¤érentes régions, de di¤érents groupes de per-sonnes. Il se répand dans le monde entier. Il a de nombreuses racines, mais vient principalement des cultures indigènes et des mouvements engagés pour l’écologie et la justice sociale. Ces trois secteurs et leurs subdivisions s’entremêlent, grandissent et se transforment. Il ne s’agit plus simplement des ressources naturelles ou des injustices, il s’agit d’un mouvement pour les droits civiques, les droits humains, un mouvement démocratique, c’est le monde qui vient.

Paul Hawken déroulait ensuite une liste de cent trente mille organisations qui, à travers le monde, étaient engagées dans ces questions de justice sociale et environnementale. Une liste a minima qui pourrait bien être d’un million d’organisations aujourd’hui. Ou plus.

Tous ces noms, qui vous sont sans doute peu familiers, c’est la réponse de la planète. Ce mouvement est partout, il n’a pas de centre, pas de porte-parole, il est dans chaque pays, chaque tribu, chaque culture, chaque ethnie. C’est la première fois dans l’histoire qu’un puissant mouvement, non idéologique, émerge. Tout au long du xxe siècle, les idéologies telles que les religions, le capitalisme, le socialisme, ont cherché à prendre le contrôle de nos esprits, nous promettant que le salut viendrait de la domination d’un seul système. Mais c’est de ce mouvement que le salut pourrait venir. Nous le savons en tant que biologistes, militants, écologistes. Notre salut se tient dans la diver-sité. Ce mouvement est la réponse immunitaire pour résister aux maladies écologiques, à la corruption politique, aux idéologies. C’est désormais à nous de décider qui nous sommes et ce que nous voulons devenir. Il s’agit d’ou-vrir des possibilités, de proposer des solutions, l’humanité sait quoi faire…

Et, aujourd’hui, Paul Hawken revient avec un plan.Alors que Christiana Figueres, vice-présidente de la Convention mon-

diale des maires pour le climat et l’énergie, déclarait en juin 2017, avec de nombreux scientifiques et responsables politiques, dans la revue Nature1 qu’il nous restait à peine trois ans pour drastiquement réduire

1. tempsreel.nouvelobs.com/sciences/20170628.obs1345/rechau¤ement-climatique-il-ne-reste-que-3-ans-pour-inverser-la-tendance.html.

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nos émissions de gaz à e¤et de serre et espérer maintenir la planète sous la barre des 2  degrés de réchau¤ement fatidiques, Paul et soixante-dix scientifiques ont étudié les solutions qui s’o¤raient à nous pour renver-ser la vapeur et les ont classées, de la plus à la moins e¤icace, dans tous les domaines. Certaines sont plus satisfaisantes que d’autres. Le nucléaire y est présenté comme une “solution à regret”, et e¤ectivement nous ne devrions y avoir recours (en France nous y avons malheureusement déjà recours massivement) qu’en dernière instance. Pour la France, il s’agit désormais d’en sortir, dès que possible. Les énergies renouvelables doivent elles aussi opérer leur mue industrielle pour limiter l’impact de leur fabri-cation au minimum, notamment en appliquant les principes de l’écono-mie circulaire, qui va chercher dans nos déchets les matières premières de demain, plutôt que dans des logiques extractives polluantes et asser-vissantes pour d’autres êtres humains. Mais globalement l’essentiel de ce que nous connaissons comme leviers d’action est là. Ces soixante-dix chercheurs se sont attachés à objectivement mesurer les impacts de cha-cun d’entre eux pour que nous puissions les mettre en œuvre de la façon le plus intelligente possible.

J’espère donc que cet ouvrage constituera une véritable feuille de route dont se saisiront les élus, les chefs d’entreprise et chacun d’entre nous. Si, comme le pressent Paul Hawken, nous sommes cet immense mouvement, il est temps de prendre conscience de notre puissance, de nous unir et de nous mettre en route.

cyril dion Écrivain, réalisateur, cofondateur du mouvement Colibris.

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Origine

À l’origine du projet Drawdown, il y a non pas la peur mais la curiosité. En 2001, j’ai commencé à poser à des experts du climat et de l’environne-ment la question suivante : savons-nous ce qu’il faut faire pour stopper le réchau¤ement climatique et inverser la tendance ? Je pensais qu’ils me fourniraient une sorte de liste. Je voulais savoir quelles étaient les solutions les plus eªcaces déjà en place, et les incidences qu’elles pourraient avoir à plus grande échelle. Je m’inquiétais aussi de leur coût. Les personnes contactées m’ont répondu qu’un tel inventaire n’existait pas, mais s’accor-daient à dire qu’il serait très utile, même si chacune, individuellement, n’avait pas les compétences nécessaires pour l’établir. Au bout de quelques années, j’ai arrêté de poser la question : moi-même, je n’étais pas capable de dresser une liste de ce type.

Vint 2013. Plusieurs articles parurent, si inquiétants que l’inconcevable rumeur se mit à circuler : c’était la fin. Fallait-il y croire ? Ou, au contraire, n’était-ce que le commencement ? Où en étions-nous ? C’est alors que j’ai décidé de créer le projet Drawdown. Drawdown désigne le point de bascule à partir duquel la concentration de gaz à e¤et de serre dans l’atmosphère, après avoir atteint un pic, se met à diminuer d’une année sur l’autre. L’ob-jectif du projet serait de recenser, mesurer et modéliser cent solutions conséquentes, afin d’établir un programme à suivre dans les trente années à venir pour parvenir à ce point de bascule.

Le titre de cet ouvrage, Comment inverser le cours du réchau¤ement pla-nétaire, vous paraîtra peut-être ambitieux. Nous l’avons choisi car il n’existe aucune proposition détaillée en ce sens. Certes, il y a eu des accords et des propositions pour ralentir, réduire et stopper les émissions, et il existe des engagements internationaux visant à limiter l’augmenta-tion des températures mondiales à 2 degrés Celsius au-delà des niveaux préindustriels. 195 pays sont parvenus, au prix d’e¤orts remarquables, à reconnaître d’une voix commune que notre civilisation est au seuil d’une crise colossale, et à mettre au point des plans d’action. Le Groupe d’ex-perts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’Onu

Illustration p. 18 : La côte de Big Sur, au Nord de la Californie, à l’heure dorée du coucher

du soleil. Nous voyons ici le système climatique à l’œuvre, avec les interactions constantes entre

l’atmosphère, l’océan, la terre et les organismes vivants.

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a achevé l’étude scientifique la plus importante de l’histoire de l’huma-nité, et s’emploie encore à parfaire la science, approfondir les recherches et améliorer notre compréhension de l’un des systèmes les  plus com-plexes qu’on puisse imaginer. Il n’existe cependant pas encore de feuille de route visant à faire davantage que ralentir ou stopper les émissions de dioxyde de carbone.

Soyons clairs : notre association n’a pas créé ou conçu un plan. Nous n’en avons pas la capacité, nous ne nous attribuons pas cette mission. En revanche, en menant nos recherches, nous avons mis au jour un plan, une charpente préexistante, fruit de la sagesse collective de l’hu-manité, qui se manifeste dans des pratiques directes, sur le terrain, et dans des techniques répandues, économiquement viables et scientifique-ment valables. Paysans, communautés, entreprises et gouvernements

Chouettes tachetées âgées de trois semaines sur une branche moussue de conifère, au Nord de

l’Oregon.

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ont montré que la planète, ses habitants et ses espaces leur tenaient à cœur. Des citoyens du monde engagés font l’extraordinaire. Ce livre est leur histoire.

Pour assurer la crédibilité du projet Drawdown, il fallait à son fondement une coalition de chercheurs et de scientifiques. Forts d’ambitions démesu-rées et d’un tout petit budget, nous avons envoyé des invitations à des étu-diants et universitaires du monde entier, les incitant à rejoindre l’équipe de chercheurs du projet. Les réactions ont été spectaculaires : des hommes et des femmes admirables, tant scientifiques que responsables de politiques publiques, ont répondu à notre appel. Aujourd’hui, les chercheurs du projet Drawdown sont au nombre de 70, et on dénombre 22 nationalités. 40 % sont des femmes, près de la moitié ont un doctorat, les autres au moins un diplôme de troisième cycle universitaire. Tous ont une expérience aca-démique et professionnelle dans certaines des institutions les plus répu-tées du monde.

Ensemble, ils ont établi des listes exhaustives des solutions au réchau¤e-ment climatique et les ont réduites à celles qui avaient le plus de chances de diminuer les émissions ou d’extraire le carbone de l’atmosphère. Nous avons ensuite rassemblé les études portant sur ces solutions et conçu des modèles climatiques et financiers pour chacune d’entre elles. Les analyses qui alimentent ce livre ont alors fait l’objet d’une procédure en trois étapes, comprenant un examen par des experts extérieurs au projet, qui ont éva-lué les intrants, les sources et les calculs. Nous avons mis sur pied un comité consultatif de 120 personnes, une communauté diverse composée de grands géologues, ingénieurs, agronomes, politiciens, écrivains, clima-tologues, biologistes, botanistes, économistes, analystes financiers, archi-tectes et militants, qui ont relu et validé le texte.

Presque toutes les solutions rassemblées et analysées ici donnent lieu à des résultats économiquement régénérateurs : elles sont notamment source de sécurité, créent de l’emploi, améliorent la santé, permettent des écono-mies, facilitent la mobilité, éliminent la faim, réduisent la pollution, res-taurent les sols, nettoient les rivières. Si ces solutions sont conséquentes, elles ne sont pas forcément toutes les meilleures. Une petite poignée d’entre elles, qui figurent dans ce livre, ont des répercussions clairement néfastes pour la santé de l’humanité et de la Terre, et nous nous e¤orçons de le mettre en évidence dans nos descriptions. L’écrasante majorité de ces initia-tives, cependant, sont entièrement positives et seraient même souhaitables indépendamment de leurs e¤ets sur les émissions de carbone et le climat, tant elles profitent à la société et à l’environnement de multiples manières.

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La partie finale de Drawdown s’intitule “Bientôt près de chez vous” et pré-sente vingt solutions qui n’en sont qu’à leurs balbutiements ou sont encore à l’état d’idées. Certaines pourraient être couronnées de succès, d’autres pourraient échouer. Elles fournissent néanmoins un aperçu de l’ingénio-sité et du bon sens dont font preuve des personnes engagées dans la lutte contre le changement climatique. Vous trouverez également dans ce livre des essais de journalistes, d’écrivains et de scientifiques de premier plan (récits, histoires et anecdotes) qui présentent le contexte riche et varié dans lequel s’inscrit le projet.

Nous sommes encore aujourd’hui une communauté en plein apprentis-sage. Notre rôle est de recueillir les informations, de les organiser d’une manière qui soit utile, de les di¤user à tout un chacun, et d’o¤rir à tous la possibilité de compléter, d’amender, de corriger et d’approfondir les données que vous trouverez ici et sur notre site web drawdown.org, où vous pourrez également consulter des rapports techniques et les détails des résultats produits par nos modèles. Pour se projeter sur trente ans, on ne peut que se fonder sur des hypothèses, mais nous estimons que les chi¤res sont à peu près bons et sommes ouverts à vos commentaires et contributions en la matière.

C’est irréfutable : les signaux de détresse sont partout dans la nature et la société, qu’il s’agisse de la sécheresse, de l’élévation du niveau des mers et des hausses inéluctables des températures, ou de la crise des réfu-giés, des conflits et des bouleversements sociaux toujours plus impor-tants. Mais ce n’est pas là toute l’histoire. Nous nous sommes e¤orcés dans Drawdown de montrer que nous sommes nombreux à chercher des solutions, avec ferveur et acharnement. Bien que les émissions de car-bone issues des énergies fossiles et de l’utilisation des terres aient deux cents ans d’avance, nous tentons nos chances. L’accumulation de gaz à e¤et de serre aujourd’hui constatée est le résultat d’une époque où on ne comprenait pas bien le sujet ; nos ancêtres ne sont pas coupables des dégâts qu’ils provoquaient. Nous pouvons être tentés de considérer que le réchau¤ement climatique est quelque chose qui nous tombe dessus, que nous sommes les victimes d’un destin écrit par des actes qui nous préexistent. Si nous modifions notre point de vue, et si nous considérons que le réchau¤ement climatique est une évolution positive, une trans-formation atmosphérique qui nous encourage à changer et à réimaginer tout ce que nous fabriquons, tout ce que nous faisons, alors nous entrons dans un monde di¤érent. Nous en assumons l’entière responsabilité et cessons d’en rejeter la faute sur les autres. Nous voyons le réchau¤ement

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climatique non comme un événement inévitable mais comme une invita-tion à bâtir, à innover, à tout changer ; il nous ouvre la voie de la créati-vité, de la compassion et du génie. Notre programme n’est ni gauchiste, ni conservateur. Il est humain.

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Langage

Selon Confucius, bien nommer les choses est le début de la sagesse. Dans le monde du changement climatique, les noms sont parfois le début des complications. La climatologie possède son propre vocabulaire spécialisé, ses acronymes, sa terminologie, son jargon. C’est une langue fabriquée par les scientifiques et les responsables politiques pour être succincte, précise et utile. Mais en tant que moyen de communication pour le grand public, ces mêmes caractéristiques peuvent être à l’origine d’incompréhension et créer une certaine distance.

“Définissez la loi de Gresham”, m’avait un jour demandé mon profes-seur d’économie ; j’avais ânonné mécaniquement une réponse. Ma défini-tion était exacte, mais il m’avait regardé d’un air mécontent, avant de me dire  : “Maintenant, expliquez-la à votre grand-mère.” Voilà qui s’était révélé plus diªcile. Ma grand-mère n’aurait jamais compris la réponse que j’avais donnée au professeur : c’était du pur jargon. Il en va de même avec le climat et le réchau¤ement planétaire. Bien peu de gens comprennent réellement la climatologie, quand bien même le mécanisme fondamental du réchau¤ement n’a rien de compliqué.

Nous cherchons à rendre Drawdown compréhensible au plus grand nombre de nos lecteurs, quelles que soient leur formation et leurs opinions. Nous nous e¤orçons de combler les lacunes en matière de communica-tion climatique à l’aide des mots que nous employons, des comparaisons que nous évitons, du jargon que nous choisissons d’écarter, et des méta-phores que nous utilisons. Autant que possible, nous essayons de ne pas avoir recours à des acronymes et à des termes peu connus du domaine de

Illustration p. 24 : Le décret gravé sur la pierre de Rosette en Égypte en 196 avant notre ère

est moins connu pour son contenu – l’aªrmation du règne du pharaon Ptolémée V – que pour

sa combinaison unique d’écritures. Le même texte apparaît en alphabet grec, en hiéroglyphes

et en égyptien démotique, correspondant respectivement à la langue royale, la langue sacrée et

la langue usuelle de l’époque. Au xixe siècle, des intellectuels européens ont utilisé la pierre de

Rosette pour déchi¤rer les hiéroglyphes, ouvrant alors la voie à la compréhension de l’Égypte

ancienne. Aujourd’hui, la pierre de Rosette est ce que Richard Parkinson, professeur d’égypto-

logie à Oxford, appelle “une icône de déchi¤rage” et “un symbole de notre désir de compréhen-

sion de l’autre”. Transmettre et comprendre à travers le langage sont au cœur de toute entreprise

humaine.

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la climatologie. Nous écrivons “dioxyde de carbone” au lieu d’utiliser sa formule. Nous préférons “méthane” à CH4.

Prenons un exemple. En novembre 2016, la Maison-Blanche a publié sa  stratégie visant à décarboniser l’atmosphère en profondeur d’ici au milieu de notre siècle. De notre point de vue, “décarbonisation” est un terme qui se rapporte au problème, et non à l’objectif : nous avons décar-bonisé la Terre par l’extraction du carbone, en brûlant charbon, gaz et pétrole, ainsi que par la déforestation et l’adoption de mauvaises pratiques agricoles, puis par la libération de ce même carbone dans l’atmosphère. Mais quand la Maison-Blanche utilise le mot “décarbonisation”, elle parle de remplacer l’énergie fossile par des sources propres d’énergie renouve-lable. Et c’est ce terme, qui n’évoque pas grand-chose et qui risque plutôt de semer la confusion, qui souvent est utilisé pour décrire l’objectif global des mesures de lutte contre le changement climatique.

Les scientifiques utilisent également l’expression “émissions négatives”. Ça ne veut rien dire, dans aucune langue. Imaginez une maison négative, ou un arbre négatif. L’absence de quelque chose, c’est rien. Cette expres-sion se rapporte au captage ou à l’extraction de carbone de l’atmosphère. Nous appelons ce phénomène “captage”, tout simplement. Le bilan car-bone est positif, pas négatif. Là encore, le langage climatique s’est éloi-gné de la langue commune et du bon sens. Notre objectif est de présenter la climatologie et les solutions dans une langue accessible et parlante au plus grand nombre, des élèves de primaire aux étudiants, des plombiers aux agriculteurs.

Nous évitons également le parler militaire. Les arguments et les écrits autour du changement climatique sont souvent violents : déclarer la guerre au carbone, prendre les armes contre le réchau¤ement climatique, mon-ter au front contre les combustibles fossiles. Des articles parlent de s’atta-quer aux émissions comme si nous étions e¤ectivement en guerre. Nous comprenons pourquoi ces termes sont utilisés : ils aident le public à appré-hender la gravité de la situation et la fenêtre de temps toujours plus étroite dont nous disposons pour régler le problème. Cependant, des mots comme “combat”, “bataille” et “croisade” laissent entendre que le changement cli-matique est l’ennemi et qu’il faut l’anéantir. Or le climat est fonction de l’activité biologique de la Terre, et de la physique et de la chimie dans le ciel. Il est une série de conditions météorologiques qui varient au fil du temps. Il change parce qu’il l’a toujours fait et il continuera de le faire ; quant aux variations climatiques, elles sont la source de tout, des saisons à l’évolution. L’objectif est donc de prendre en considération les e¤ets que

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nous avons sur le climat en nous concentrant sur les causes anthropiques du réchau¤ement planétaire, et en réintégrant le carbone chez lui.

Le terme drawdown mérite lui aussi une explication. En anglais, on l’utilise habituellement pour parler de la réduction des e¤ectifs militaires, des prélè-vements dans le domaine de la banque, ou du pompage de l’eau des puits. Ici, nous l’utilisons pour parler de la réduction de la quantité de carbone dans l’atmosphère. Mais nous avons une raison encore plus importante de l’employer : il désigne un objectif qui, jusque-là, a brillé par son absence dans la plupart des conversations sur le climat. S’attaquer aux émissions, les ralentir, voire les arrêter, sont certes nécessaires, mais insuªsants. Si vous vous êtes engagé sur la mauvaise voie, vous aurez beau ralentir, vous conti-nuerez de vous enfoncer dans le mauvais chemin. Le seul objectif logique pour l’humanité est d’inverser le cours du réchau¤ement planétaire.

Enfin, parlons de l’expression global warming, “réchau¤ement planétaire”. Ce concept remonte au xixe siècle, lorsque Eunice Foote (1856) et John Tyn-dall (1859) décrivirent chacun de leur côté la capacité des gaz à piéger la chaleur dans l’atmosphère et les incidences possibles de la modification des concentrations de ces gaz sur le climat. L’expression global warming a été utilisée pour la première fois par le géochimiste Wallace Broecker dans un article publié en 1975 par la revue Science, intitulé “Climatic Change: Are We on the Brink of a Pronounced Global Warming?” (“Changement climatique : sommes-nous à la veille d’un important réchau¤ement pla-nétaire ?”). Avant cet article, on décrivait le phénomène par l’expression inadvertent climate modification, “modification climatique involontaire”. Le réchau¤ement planétaire concerne la température de la surface de la Terre, tandis que le changement climatique désigne les nombreuses évolutions qui surviendront avec l’augmentation des températures et des gaz à e¤et de serre. C’est pourquoi les Nations unies ont appelé leur organe spécia-lisé dans le climat “Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat”, soit GIEC, et non GIRP. Celui-ci se consacre à l’étude exhaustive des incidences du changement climatique sur tous les systèmes vivants. Ce que nous mesurons et modélisons dans Drawdown, ce sont les solutions par lesquelles nous commencerons à réduire la quantité de gaz à e¤et de serre afin d’inverser le cours du réchau¤ement planétaire.

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Chiffres(voir tableau récapitulatif p. 504)

Ce que vous verrez sur la page

Derrière chacune des solutions qui figurent dans ce livre, il y a des cen-taines de pages de recherches et de modèles mathématiques mis au point avec la plus grande rigueur par de brillants scientifiques. Chaque solution comporte une introduction, qui présente l’histoire de la technique, ses fondements scientifiques, des exemples parlants et les données les plus récentes. Chaque description s’appuie sur une évaluation technique détail-lée consultable sur notre site web, si vous souhaitez aller plus loin. Sur chaque page figure également un récapitulatif des résultats des modèles, notamment le rang de la solution dans le classement global, établi en fonc-tion de son potentiel de réduction d’émissions. Nous donnons le nombre de gigatonnes de gaz à e¤et de serre évitées ou extraites de l’atmosphère, le coût di¤érentiel total de la mise en œuvre de la solution, ainsi que son coût net ou (dans la plupart des cas) les économies nettes ainsi réalisées. Pour établir les modèles, les intrants sélectionnés sont des données validées par les scientifiques. Dans certains domaines, comme l’occupation des sols et l’agriculture, on trouve pléthore de faits et de chi¤res empiriques, auxquels nous faisons parfois référence, sans toutefois les inclure dans nos calculs.

À la fin du livre, vous trouverez un récapitulatif présentant l’e¤et com-biné des solutions, rassemblées par secteurs.

Classement des solutions

Il y a plusieurs critères possibles pour classer les solutions : leur rentabi-lité, la rapidité de leur mise en œuvre, les avantages qu’elles apportent à la société. Tous ces critères sont intéressants et constituent des méthodes utiles d’interprétation des résultats. Dans le cadre de notre projet, nous classons les solutions en fonction de la quantité totale de gaz à e¤et de serre qu’elles pourraient soit éviter d’émettre, soit extraire de l’atmo-sphère. Le classement est mondial. L’importance relative d’une solution peut varier selon le lieu, la situation économique ou le secteur d’activité.

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Gigatonnes de dioxyde de carbone en moins

Le dioxyde de carbone fait couler beaucoup d’encre, mais c’est oublier le méthane, l’oxyde d’azote, les gaz fluorés et la vapeur d’eau, qui participent eux aussi à l’e¤et de serre. Chacun de ces gaz a des incidences durables sur les températures mondiales, selon leur quantité dans l’atmosphère, le temps qu’ils y restent et la chaleur qu’ils absorbent ou restituent avant leur dissolution totale. Sur la base de ces facteurs, les scientifiques peuvent calculer leur potentiel de réchau¤ement à l’échelle de la planète en les convertissant en leur équivalent en dioxyde de carbone, ce qui nous permet d’obtenir une sorte de monnaie commune pour les gaz à e¤et de serre.

Chaque solution figurant dans ce livre réduit la quantité de gaz à e¤et de serre, soit parce qu’elle évite d’en émettre, soit parce qu’elle capte le dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère. L’ampleur des réper-cussions d’une solution donnée sur les gaz à e¤et de serre est exprimée en gigatonnes de dioxyde de carbone en moins entre 2020 et 2050. Si l’on additionne les chi¤res de chaque solution, on obtient la réduction totale de gaz à e¤et de serre qui pourrait être atteinte d’ici à 2050 par rapport à un scénario de référence fixe : un monde dans lequel presque rien ne change.

Mais qu’est-ce qu’une gigatonne ? Pour en apprécier le volume, ima-ginez 400 000 bassins olympiques. Ils représentent environ un milliard de tonnes métriques d’eau, soit une gigatonne. Multipliez ça par 36, ce qui nous donne 14 400 000 bassins. 36 gigatonnes : c’est la quantité de dioxyde de carbone émise en 2016.

Coût total net et économies d’exploitation1

Le coût total de chaque solution est le montant nécessaire pour l’acqué-rir, l’installer et la faire fonctionner pendant trente ans. En comparant ce chi¤re à ce qu’on dépenserait pour la nourriture, l’essence pour les voi-tures, le chau¤age et la climatisation de nos domiciles, etc., nous avons déterminé le montant total des coûts ou des économies découlant de l’in-vestissement dans une solution donnée.

La prudence est ici de rigueur. Nous avons donc pris le parti de comp-ter large pour les coûts liés à chaque solution, et de considérer qu’ils res-teraient au même niveau entre 2020 et 2050. En raison de la rapidité

1. Tous les coûts mentionnés dans l’ouvrage sont donnés en dollars US. (N.d.T.)

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des évolutions technologiques, qui ne sera pas la même partout dans le monde, nous prévoyons un coût en réalité plus faible et des économies plus importantes. Mais, même en adoptant une approche prudente, les solutions débouchent pour la plupart sur des économies nettes colossales. Pour certaines, comme la sauvegarde d’une forêt tropicale ou le soutien à l’éducation des filles, il était cependant impossible de faire ce type de calculs.

Combien sommes-nous prêts à dépenser pour atteindre des résultats qui profiteront à l’humanité tout entière ? Dans la dernière partie de cet ouvrage, nous récapitulons les coûts et les économies nets de chaque solu-tion, à des fins de comparaison. Les économies nettes sont estimées sur la base des coûts d’exploitation des solutions après leur mise en œuvre, entre 2020 et 2050. Ces calculs permettent d’obtenir le rapport coût- eªcacité des solutions présentées. Lorsqu’on prend en compte l’ampleur des avan-tages, les profits et les économies possibles, et les investissements néces-saires si les conditions restent les mêmes, les coûts deviennent dérisoires. Le délai de récupération pour la plupart des solutions est relativement court.

Pour en savoir plus

Les solutions proposées ici ne sont qu’un récapitulatif des recherches com-plètes menées pour soutenir nos conclusions. Vous trouverez un exposé plus détaillé de nos méthodes et de nos hypothèses dans la section “Métho-dologie”. Nous fournissons également une description exhaustive de nos recherches sur le site drawdown.org (comment nous avons produit les données, utilisé les ressources et établi nos hypothèses).

Au fil de votre lecture, vous verrez à quel point ces solutions sont sen-sées et valorisantes. Plutôt que de se présenter sous la forme d’un fasti-dieux manuel technique, obscur pour tout le monde hormis les experts qui ont passé leur temps dans les coulisses scientifiques de ces technologies, Drawdown vise à être accessible à tous ceux qui veulent savoir ce que nous pouvons faire collectivement et le rôle que chacun de nous peut endosser.

chad frischmann

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ÉNERGIE

Cette section met en avant les technologies et stratégies qu’on peut substi-tuer aux combustibles fossiles pour produire de l’énergie. Largement sous-estimées dans ce domaine, les nouvelles sources d’énergie, notamment l’éolien et le solaire, ont déjoué toutes les prévisions et concurrencent désormais le charbon, le gaz et le pétrole. D’année en année, les coûts des énergies renouvelables continuent de baisser, tandis que celui des éner-gies fossiles augmentera, car il est toujours plus diªcile d’exploiter de nouveaux filons. Le Canada, la Finlande et quatre autres pays ont interdit le charbon, et d’autres s’apprêtent à faire de même. La volonté politique est une chose fabuleuse, mais son absence ne ralentit pas pour autant la transition énergétique. Ainsi, bien que les États-Unis se soient retirés du protocole de Kyoto en 2001, la croissance de l’industrie des énergies renouvelables n’en a quasiment pas sou¤ert. Si vous passez une année à étudier les données économiques sur l’énergie, comme nous l’avons fait, il n’y a qu’une conclusion vraisemblable : nous sommes, selon les mots de l’écrivain Jeremy Leggett, au beau milieu de la plus grande transition énergétique de l’histoire. L’époque des combustibles fossiles est révolue, et aujourd’hui une seule question se pose : quand entrerons-nous pleine-ment dans la nouvelle ère ? Les chi¤res rendent ce moment inéluctable : l’énergie propre est moins chère.

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Éoliennes

2e au classement et résultats d’ici à 2050 (éolien terrestre)

84,6 gigatonnes 1 230 milliards de dollars 7 400 milliards de dollars

CO2 en moins Coût net Économies nettes

22e au classement et résultats d’ici à 2050 (éolien en mer)

15,2 gigatonnes 545,3 milliards de dollars 762,5 milliards de dollars

CO2 en moins Coût net Économies nettes

Dire que le vent souºe est une erreur de langage. En raison de l’inégale répartition de la chaleur à la surface de la Terre et de la rotation de la pla-nète, des masses d’air sont déplacées entre zones de hautes pressions et zones de basses pressions, se mouvant ensuite sur le relief comme une marée montante d’air : c’est le vent. La transition énergétique tire profit de cette marée : parmi les initiatives visant à remédier au réchau¤ement climatique dans les trente prochaines années, l’énergie éolienne a le vent en poupe, devancée uniquement par la gestion des frigorigènes en termes de répercussions totales.

Prenez les 32 éoliennes en mer installées au large de Liverpool, en Angle-terre, à Burbo Bank Extension (chacune fait deux fois la taille de la statue de la Liberté). Propriété d’une entreprise pour le moins étonnante dans le domaine de l’énergie (Lego, le fabricant de jouets), Burbo est le fruit d’e¤orts internationaux : les pales sont fabriquées sur l’île de Wight au Royaume-Uni par une entreprise japonaise, pour un client danois, Vestas. Chaque éolienne a une puissance de 8 mégawatts. Leurs pales, de 82 mètres de long, forment une hélice de 33 tonnes dont le diamètre est presque équivalent à deux fois la longueur d’un stade de foot. Une seule rotation des pales produit une quantité d’électricité suªsante pour alimenter un foyer pendant une jour-née. L’ensemble de ce parc éolien peut fournir assez d’énergie pour alimen-ter la ville de Liverpool et ses 466 000 habitants.

Aujourd’hui, il existe 314 000  éoliennes en fonctionnement, qui pro-duisent près de 4 % de l’électricité mondiale. Et leur croissance n’est pas près de s’arrêter. En Espagne, elles alimentent déjà 10 millions de foyers. Les investissements dans l’éolien en mer s’élevaient à 29,9 milliards de dollars en 2016, 40 % de plus que l’année précédente.

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Les êtres humains canalisent la puissance du vent depuis des millénaires, utilisant brises, bourrasques et tempêtes pour envoyer sur les rivières et les mers les marins et leurs chargements, ou pour pomper l’eau et moudre le grain. Les premiers moulins à vent dont nous avons une trace furent construits en Perse, entre 500 et 900. Cette technique s’étendit à l’Europe pendant le Moyen Âge, où elle fut perfectionnée des siècles durant, notam-ment par les Hollandais. À la fin du xixe siècle, des inventeurs du monde entier étaient parvenus à transformer l’énergie cinétique du vent en électri-cité. Des prototypes d’éoliennes firent leur apparition à Glasgow (Écosse), en Ohio et au Danemark, et de nombreux fabricants étaient présents à l’Ex-position universelle de 1893 à Chicago pour présenter leurs modèles. Dans

Un athlète nage le long du parc éolien en mer de Sheringham Shoal, au large de Norfolk (Angle-

terre). Ce parc est constitué de 88 éoliennes Siemens d’une puissance de 3,6 mégawatts et ins-

tallées sur 35 kilomètres carrés, à 11 kilomètres de la côte.

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les années 1920 et 1930, des fermes du Midwest des États-Unis se dotèrent d’éoliennes, principales sources d’énergie de leurs exploitations. En 1931, la Russie lança la production d’énergie éolienne à grande échelle, et c’est en 1941, dans le Vermont, que fut mise en service la première éolienne capable de produire 1 mégawatt d’électricité.

Les combustibles fossiles ont maintenu l’éolien sur le banc de touche pen-dant la première moitié du xxe siècle. La crise du pétrole des années 1970 a cependant marqué le regain d’intérêt pour les investissements et les inventions dans ce domaine. Ce renouveau récent a permis au secteur de progresser jusqu’au stade actuel, avec ses turbines toujours plus nom-breuses, ses coûts toujours plus bas et ses performances toujours plus remarquables. En 2015, 63 gigawatts de puissance éolienne ont été ins-tallés dans le monde, un record, et ce malgré la baisse vertigineuse du prix des combustibles fossiles. La Chine à elle seule a installé près de 31 gigawatts de puissance la même année. Au Danemark, plus de 40 % des besoins sont ainsi comblés, et ce chi¤re a dépassé les 15 % en Uru-guay. Un peu partout dans le monde, le vent rivalise aujourd’hui avec les énergies fossiles sur le marché, et coûte parfois même moins.

Aux États-Unis, le potentiel éolien de seulement trois États, le Kansas, le Dakota du Nord et le Texas, suªrait à satisfaire la demande d’électricité de tout le territoire. Les parcs ont besoin de peu de place, n’utilisant géné-ralement pas plus de 1 % du terrain sur lequel les éoliennes sont instal-lées, ce qui permet de poursuivre au même endroit des activités d’élevage, d’agriculture, de loisirs ou de protection de la nature. Les fermes éoliennes peuvent cultiver l’électricité, les agriculteurs leur luzerne et leur maïs. En outre, il faut moins d’un an pour ériger un parc fonctionnel et permettant un rapide retour sur investissement.

L’énergie éolienne n’est pas sans défis. La météo n’est pas partout la même ; en raison de la nature variable du vent, parfois les éoliennes ne tournent pas. Cependant, si on étend davantage sur le territoire la pro-duction intermittente d’énergie éolienne (et de solaire), il est plus aisé de faire face aux fluctuations de l’o¤re et de la demande. Les réseaux interconnectés peuvent transporter l’électricité là où il y a des besoins. Selon leurs détracteurs, les éoliennes sont bruyantes, inesthétiques et parfois mortelles pour les chauves-souris et les oiseaux migrateurs. De nouveaux modèles ont été conçus pour résoudre ces problèmes, avec des pales plus lentes et de meilleures méthodes pour choisir l’empla-cement des turbines, de manière à éviter les routes migratoires. Pour ce qui est de l’argument esthétique en revanche, entendu tant dans la

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campagne anglaise que sur les côtes du Massachusetts, il est diªcile à réfuter.

L’éolien doit faire face à un autre obstacle : l’iniquité des financements publics. Selon les estimations du Fonds monétaire international (FMI), en 2015 l’industrie des combustibles fossiles a reçu 5 300 milliards de dol-lars de subventions directes et indirectes, soit 10  millions par minute, ou encore 6,5  % du PIB mondial. Parmi les indirectes, nous comptons les coûts de santé liés à la pollution de l’air, les dégâts environnemen-taux, la congestion sur les routes et le réchau¤ement climatique : avec les éoliennes, rien de tout cela. En comparaison, l’industrie éolienne améri-caine a reçu 12,3 milliards de dollars en subventions directes depuis 2000. Les subventions démesurées donnent l’impression que les combustibles fossiles sont moins coûteux qu’ils ne le sont en réalité, dissimulant ainsi la compétitivité de l’éolien, et leur procurent un avantage initial qui attire les investisseurs.

Les coûts toujours plus bas feront bientôt de cette énergie la puissance électrique installée la moins chère, et ce peut-être même dans les dix prochaines années. Aujourd’hui, le kilowattheure issu de l’éolien coûte 2,9 cents, celui des centrales à cycle combiné au gaz naturel 3,8 cents, et il faut compter pour le solaire à grande échelle 5,7 cents. Un rapport d’étude publié par Goldman Sachs en juin 2016 aªrmait tout bonne-ment que “le vent est la source nouvelle d’énergie la moins coûteuse”. Son coût, tout comme celui du solaire, comprend les crédits d’impôt pour la production ; cependant, Goldman Sachs considère que la dimi-nution continue de ce coût compensera la suppression progressive de ces crédits en 2023. Dans le cas des parcs construits en 2016, le kilowatt-heure ne s’élève déjà plus qu’à 2,3 cents. Une analyse de la banque Mor-gan Stanley montre que la nouvelle production d’énergie éolienne dans le Midwest représente un tiers du coût des centrales à cycle combiné au gaz naturel. Enfin, l’organisation Bloomberg New Energy Finance calcule que “le coût de l’éolien et du solaire sur toute leur durée de vie est infé-rieur au coût de la construction de nouvelles centrales à combustibles fossiles”. Selon les prévisions de Bloomberg, cette énergie sera la moins chère au monde d’ici à 2030 (et encore, ces calculs ne prennent pas en compte ce que coûtent les combustibles fossiles sur les plans de la qua-lité de l’air, de la santé, de la pollution, des dégâts environnementaux et du réchau¤ement climatique).

Si les coûts diminuent, c’est parce que les turbines sont construites à des altitudes supérieures, ce qui permet d’installer des pales plus longues

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dans des sites où le vent souºe davantage, doublant la puissance d’une éolienne donnée. Les turbines terrestres peuvent être plus grandes car leur assemblage est bien moins diªcile qu’en mer. Des éoliennes capables de produire 20 mégawatts d’électricité, qui dépasseront du bout de leur pale l’Empire State Building, sont aujourd’hui à l’étude.

Les États-Unis pourraient-ils s’approvisionner uniquement en énergie éolienne ? D’après le National Renewable Energy Laboratory (le Labora-toire américain sur les énergies renouvelables), il existe sur le territoire près de 200 millions d’hectares de terrain disponibles pour des facteurs de charge de 40 à 50 %, soit plus du double du facteur de charge moyen d’il y a dix ans. (On considère qu’une éolienne est capable de produire une certaine quantité d’électricité à une vitesse de vent constante donnée, mais le facteur de charge prend aussi en compte la variabilité de la force du vent sur le site réel.) Voilà comment les États-Unis pourront s’a¤ranchir des énergies fossiles et devenir autosuªsants en énergie. Ne manquent la plu-part du temps que la volonté et l’ambition politiques.

Au Congrès, ses détracteurs considèrent l’énergie éolienne comme trop subventionnée, ce qui les mène à croire que le gouvernement fédé-ral jette son argent par les fenêtres. Pourtant, c’est bien le charbon qui coûte cher à la société, compte tenu de ses répercussions sur l’environ-nement. Si on met de côté la di¤érence en matière d’émissions (aucune en ce qui concerne l’éolienne, une sacrée quantité pour les combus-tibles fossiles), l’argument des subventions ne tient pas compte d’une autre di¤érence cruciale, celle de la consommation d’eau. L’éolien en utilise de 98 à 99 % moins que l’électricité produite à partir de com-bustibles fossiles. Aux États-Unis, le charbon, le gaz et le nucléaire consomment des quantités e¤arantes d’eau pour le refroidissement, loin devant l’agriculture : entre 83 000 milliards et 235 000 milliards de litres par an. En général, l’eau utilisée dans l’industrie des combus-tibles fossiles et dans le nucléaire est “gratuite”, car elle est donnée par le gouvernement fédéral ou les États, mais on peut en réalité diªcile-ment la qualifier ainsi ; elle est une subvention déguisée. Qui d’autre, aux États-Unis, peut utiliser des milliers de milliards de litres d’eau sans débourser un centime ?

La montée en puissance de la Chine dans l’éolien montre que, lorsqu’un gouvernement s’y engage fermement à grande échelle, la courbe descen-dante des prix peut fléchir plus rapidement encore, notamment si l’appui des institutions reste sans faille en dépit des variations de la girouette poli-tique. Pour que cette industrie se développe, un contexte sûr est essentiel.

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Par exemple, du côté des décisions politiques, des normes exigeant que la production d’énergie comporte une part de renouvelable peuvent être mises en place. Bourses, prêts et dispositifs d’imposition incitatifs peuvent encourager la construction de davantage de capacité éolienne et stimuler l’innovation continue sur des technologies telles que les systèmes à axe vertical et en mer. Dans les pays où les gouvernements soutiennent e¤ec-tivement l’éolien, comme dans l’Union européenne, l’action politique ne parvient pas à suivre la cadence de la croissance de cette énergie. Ainsi, en 2015 en Allemagne, des goulots d’étranglement dans le réseau ont mené au gâchis de 4 100 kilowattheures d’énergie éolienne – assez pour appro-visionner 1,2 million de foyers. On s’inquiétait naguère de ce que l’éolien ne serait pas capable de produire suªsamment pour alimenter l’Europe ; aujourd’hui, on se demande si l’intégration au réseau, la distribution et les systèmes de stockage d’électricité seront capables de faire face à la demande.

L’énergie éolienne, comme d’autres sources d’énergie, s’inscrit dans un système. Pour qu’elle continue de croître, il faut investir dans le stockage, déployer les infrastructures de distribution et décentraliser la production. Les technologies et les infrastructures destinées à stocker le surplus d’élec-tricité connaissent aujourd’hui un développement rapide. Des lignes élec-triques reliant des parcs éoliens isolés à des zones où la demande est forte

Pales destinées à un parc éolien avant assemblage à Stylida (Grèce).

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sont en cours de construction. Pour le monde, la décision est simple  : investir dans l’avenir, ou stagner dans le passé.

RÉPERCUSSIONS : Augmenter la part de l’éolien terrestre de 2,9 à 21,6 % de

la consommation électrique mondiale d’ici à 2050 pourrait réduire les émis-

sions de 84,6 gigatonnes de dioxyde de carbone. Pour l’éolien en mer, passer

de 0,1 à 4 % permettrait d’éviter 15,2 gigatonnes d’émissions. Pour un coût

total de 1 800 milliards de dollars et sur trente années de fonctionnement, les

éoliennes peuvent déboucher sur des économies nettes de 8 200 milliards de

dollars. Ces estimations sont cependant frileuses. Les coûts baissent d’année

en année et de nouvelles améliorations technologiques sont mises au point,

augmentant la capacité à produire davantage d’électricité pour le même coût

ou pour un coût inférieur.

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Mini-réseaux

78e au classement et résultats d’ici à 2050

Technologie habilitante – son coût et les économies permises sont fonction des éner-gies renouvelables

Le “macro-réseau” est un colossal réseau électrique de sources d’énergie reliant fournisseurs, générateurs, sites de stockage et centres de contrôle qui fonctionnent en continu pour surveiller l’o¤re et la demande. Tout ce qui est branché puise dans le réseau, dont le rôle est de centraliser l’électri-cité produite par de grandes centrales à combustibles fossiles et disponible jour et nuit, qu’il pleuve ou qu’il vente. Ce système avait du sens lorsque la production d’énergie était très centralisée. Aujourd’hui, il freine la tran-sition voulue par la société, d’une énergie sale produite sur quelques sites vers une énergie propre produite en tout lieu.

C’est là qu’entrent en scène les mini-réseaux. Un mini-réseau est un groupement local de sources d’énergie décentralisées, comme le solaire, l’éolien, les micro-turbines hydrauliques ou la biomasse, couplé à un dis-positif de stockage énergétique ou de production de secours et à des outils de gestion de la charge. Les mini-réseaux sont des microcosmes lestes et dynamiques qui s’inspirent du macro-réseau, conçus pour des sources d’énergie variées et à plus petite échelle. En combinant énergies renou-velables et stockage, ils fournissent une électricité fiable qui peut venir s’ajouter au régime centralisé ou bien fonctionner indépendamment, hors réseau, dans les situations d’urgence.

Les mini-réseaux joueront un rôle essentiel dans la transition vers un réseau électrique souple et eªcace. Utiliser l’énergie produite sur place pour satisfaire la demande locale réduit la déperdition d’énergie au cours du transport et de la distribution, améliorant ainsi l’eªcacité de l’approvi-sionnement par rapport à un réseau centralisé. Par comparaison, lorsque du charbon est brûlé pour faire bouillir de l’eau en vue de faire tourner une turbine qui produit alors de l’électricité, il y a une déperdition des deux tiers de l’énergie utilisée, sous la forme de rejets thermiques et de pertes en ligne.

L’installation de mini-réseaux dans des régions raccordées o¤re plu-sieurs avantages fondamentaux. Notre civilisation repose sur l’électricité ; ne plus y avoir accès, en raison de pannes ou de coupures de courant, pré-sente un risque sérieux. Dans les pays développés, les pertes économiques

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dues à ce type de problèmes peuvent s’élever à des milliards de dollars annuels. Des coûts sociaux sont aussi à déplorer  : hausse de la crimi-nalité, défaillances dans les transports et gaspillage de nourriture, sans compter le coût environnemental de l’alimentation de secours au gazole. Selon certaines études, à mesure de l’augmentation de la demande globale d’électricité, notamment pour l’air climatisé et les véhicules électriques, les systèmes d’alimentation actuels se fragiliseront et les coupures se générali-seront. Parce qu’ils sont locaux, les mini-réseaux, eux, sont plus résistants et peuvent être plus réactifs à la demande locale. En cas de perturbation, un mini-réseau peut alimenter en électricité les installations qui doivent assurer un service continu, comme les hôpitaux, et renoncer aux charges moins critiques jusqu’au rétablissement d’un approvisionnement adapté.

Dans les pays à faibles revenus, les avantages sont encore plus appré-ciables. Dans le monde, 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’élec-tricité. Plus de 95 % d’entre elles vivent en Afrique subsaharienne et en Asie, pour la plupart dans des zones rurales où l’éclairage se fait encore

Voici la communauté Solarsiedlung à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne). Composée de 59 foyers,

elle est la première au monde à avoir un bilan énergétique positif, chaque maison générant

5 600 dollars annuels de bénéfices en énergie solaire. Cet exploit a été rendu possible par la

conception de bâtiments extraordinairement économes en énergie, une technique que l’architecte

Rolf Disch appelle PlusEnergy.

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à l’aide de lampes à pétrole, très polluantes, et où l’on cuisine sur des réchauds élémentaires. Si le lien entre électrification et progrès humain a été clairement établi, le coût élevé de l’extension du réseau vers les régions isolées retarde les avancées en la matière. Dans les zones rurales d’Asie et d’Afrique, les populations sont mieux approvisionnées grâce à l’électri-cité des mini-réseaux (et, dans les zones reculées, grâce à des panneaux solaires autonomes).

Établir des mini-réseaux dans des zones rurales pauvres est plus simple que les faire fonctionner dans des régions à hauts revenus et riches en énergie. Dans nombre d’endroits, les modèles de gestion des gros four-nisseurs d’électricité ne sont pas compatibles avec l’énergie et le stockage décentralisés. Ils ont investi dans un système de production et de distribu-tion aujourd’hui obsolète. Le plus gros défi à relever pour les mini-réseaux n’est pas d’ordre technologique, mais idéologique : il leur faut faire face au monopole des gros fournisseurs réticents. Les deux côtés pourraient tirer des leçons de cette situation  : les grands réseaux doivent être plus souples et s’adapter à un monde en évolution, les petits doivent adopter des normes techniques solides pour espérer fonctionner sur le long terme. À une époque de grands bouleversements sur le plan des technologies, œuvrer à ce type de partenariats est tout à fait judicieux.

RÉPERCUSSIONS : Nous prévoyons la croissance des mini-réseaux dans des

zones actuellement sans accès à l’électricité, où seront utilisées des énergies

renouvelables telles que les micro-turbines hydrauliques, le petit éolien, les

toitures photovoltaïques et la biomasse, couplées à une capacité de stockage

de cette énergie décentralisée. Nous estimons que ces systèmes remplacent

l’extension d’un réseau polluant ou l’utilisation continue de générateurs auto-

nomes à pétrole ou diesel. Les incidences en matière d’émissions sont prises

en compte dans les solutions individuelles, ce qui permet d’éviter une double

comptabilisation. Pour les pays plus riches, les avantages à tirer des systèmes

de mini-réseaux sont à retrouver sous l’entrée “Flexibilité du réseau”.

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Géothermie

18e au classement et résultats d’ici à 2050

16,6 gigatonnes – 155,5 milliards de dollars 1 020 milliards de dollars

CO2 en moins Coût net Économies nettes

Notre planète est hyperactive. Un flux continu de chaleur monte vers la croûte terrestre, provoquant le mouvement de la tectonique des plaques et ainsi les séismes, l’activité volcanique et la formation de chaînes de montagnes. Un cinquième environ de la chaleur interne de la Terre est primordiale, c’est-à-dire présente depuis la formation de la planète, il y a 4,6  milliards d’années. L’équilibre du bilan thermique est le fruit de la désintégration radioactive continuelle d’isotopes de potassium, de tho-rium et d’uranium dans la croûte et le manteau. L’énergie géothermique (du grec géo, terre, et thermos, chaleur), équivalente à 100 milliards de fois l’énergie que nous consommons actuellement dans le monde, crée des nappes souterraines d’eau extrêmement chaude. Les geysers du parc natio-nal de Yellowstone sont une preuve éclatante de la marmite géothermique qui frémit sous nos pieds, et qui parfois déborde à l’air libre, de même que les sources d’eau chaude qui ponctuent le paysage de feu et de glace de l’Islande.

L’eau chaude et la vapeur des réservoirs hydrothermaux peuvent être acheminées à la surface pour y actionner des turbines qui produisent de l’électricité. C’est à Larderello, en Italie, que fut réalisé cet exploit pour la première fois, le 15 juillet 1904 : cinq ampoules furent allumées par un dispositif mécanique alimenté par de la vapeur géothermique, inventé par Piero Ginori Conti. Plus d’un siècle plus tard, la centrale de Larderello fonctionne encore, et dans le monde près de 13 gigawatts d’électricité géo-thermique sont générés le long des failles entre les plaques tectoniques, où des corps liquides se sont manifestés sous une forme ou une autre. 22 autres gigawatts de géothermie directe fournissent de la chaleur, par exemple pour le chau¤age, les stations thermales, les serres ou les procé-dés industriels.

L’énergie géothermique est celle de la Terre ; pour arriver à la surface de la croûte terrestre, il lui faut de la chaleur, une nappe souterraine et de l’eau ou de la vapeur. Bien que les conditions géothermiques ne soient optimales que sur moins de 10 % de la planète, les nouvelles technolo-gies permettent d’augmenter radicalement la capacité de production dans

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des zones où on ignorait auparavant l’existence de ressources exploitables. D’ordinaire, la première étape consiste à localiser des bassins hydrother-maux, mais ces recherches de ressources souterraines ne sont guère pré-cises, ce qui limite la production d’énergie géothermique. En e¤et, il est malaisé de repérer avec exactitude l’emplacement des réservoirs et coûteux de forer des puits pour vérifier. Des techniques innovantes de prospection ouvrent cependant la voie à de nouvelles possibilités.

Parmi ces méthodes novatrices figurent les systèmes géothermiques sti-mulés (enhanced geothermal systems ou EGS), capables de détecter les cavi-tés à de très grandes profondeurs et de créer des bassins hydrothermaux là où il n’y en avait pas. Les EGS utilisent l’ingénierie pour tirer profit de sites où il fait très chaud mais où il n’y a pas ou peu d’eau. En injectant de l’eau à très haute pression sous terre, les techniques d’EGS fracturent et brisent la roche chaude, la rendant ainsi plus perméable et accessible.

La centrale géothermique islandaise de Svartsengi (“Champ noir”), sur la péninsule de Reykjanes,

fut la première à être conçue pour à la fois produire de l’électricité et fournir aux foyers alentour

de l’eau chaude pour le chau¤age. Ses six bâtiments produisent 75 mégawattheures d’électri-

cité, soit une quantité suªsante pour alimenter 25 000 foyers. Ses “déchets” d’eau chaude sont

rejetés dans la station thermale du Lagon bleu, qui accueille chaque année 400 000 visiteurs.

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Une fois la roche devenue poreuse, l’eau peut être acheminée par un trou de forage, chau¤ée sous terre, et réacheminée vers la surface par un autre trou. Après avoir été utilisée pour produire de l’électricité, l’eau retourne dans la réserve par des puits d’injection. Dans le cas de la station thermale du Lagon bleu, en Islande, l’eau de la centrale de Svartsengi est réutilisée par les habitants et les touristes qui s’y baignent. Avec la recirculation, c’est reparti pour un tour.

Ces innovations pourraient augmenter considérablement le nombre de sites géothermiques et, dans certaines zones, contribuer à surmonter un obstacle majeur pour les énergies renouvelables : fournir l’énergie de base ou une source d’appoint disponible en tout temps. En e¤et, l’énergie éolienne diminue lorsqu’il n’y a pas de vent  ; quant au solaire, il prend congé à la tombée de la nuit. Grâce à ses ressources souterraines qui ne connaissent pas de répit, la production géothermique, elle, peut avoir lieu à toute heure et dans presque toutes les conditions météorologiques. La géo-thermie est fiable, eªcace, et la source de chaleur elle-même est gratuite.

N’oublions pas cependant que, tandis qu’on cherche à développer plei-nement le potentiel de la géothermie, il faut aussi apprendre à gérer ses inconvénients. Que ce soit à l’état naturel ou par les EGS, l’eau et la vapeur contiennent parfois des gaz dissous, comme le dioxyde de carbone, ainsi que des substances toxiques, comme le mercure, l’arsenic et l’acide borique. Si ses émissions par mégawattheure ne représentent que 5 à 10 % de celles d’une centrale au charbon, la géothermie a tout de même des incidences environnementales. En outre, puiser dans les bassins hydrothermaux peut entraîner l’a¤aissement des sols, tandis que la fracturation hydraulique cause parfois des microséismes. Il existe d’autres sources d’inquiétude, comme le changement d’a¤ectation des terres, qui peut être à l’origine de pollution sonore, de mauvaises odeurs et de transformation du paysage.

24 pays ont décidé de faire face à ces inconvénients car le jeu en vaut la chandelle  : l’énergie géothermique peut fournir une électricité fiable, en grande quantité et à moindre coût, avec des frais de fonctionnement qui restent bas tout au long de la durée de vie de la centrale. Au Salvador et aux Philippines, la géothermie représente un quart de la capacité élec-trique nationale. Dans la sulfureuse Islande, un tiers. Au Kenya, grâce à l’activité sous la vallée du Rift africain, une bonne moitié de la production électrique du pays est géothermique, et cette part ne fait que croître. Et aux États-Unis, bien qu’elles fournissent moins de 0,5 % de l’électricité du pays, les centrales géothermiques sont les plus productives au monde, avec 3,7 gigawatts de puissance installée.

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Avec davantage de vapeur, il est possible de développer la géothermie sur un plus grand nombre de sites. Selon la Geothermal Energy Associa-tion, 39 pays seraient capables de satisfaire entièrement leurs besoins en électricité grâce à la géothermie, mais on ne tire actuellement profit que de 6 à 7 % de son potentiel mondial. Des prévisions théoriques s’appuyant sur des études géologiques en Islande et aux États-Unis indiquent que les ressources géothermiques encore inexploitées pourraient bien fournir 1 à 2 térawatts d’énergie, soit 7 à 13 % de notre consommation actuelle sur la planète. Cependant, si l’on met en facteur les besoins de fonds propres et les autres coûts et contraintes, ce chi¤re diminue considérablement.

Les sites géothermiques qui existent dans le monde sont des avant-postes qui ouvrent la voie à suivre. Ils mettent également en évidence l’importance de la participation du gouvernement dans la production tou-jours croissante d’énergie. Même lorsqu’un site est viable, il peut être très

Un ingénieur de maintenance, vêtu d’une tenue de protection, répare la fuite d’un raccord de

canalisation, qui laisse échapper de la vapeur à 105 degrés Celsius.

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coûteux de mettre en place une centrale géothermique. Les frais à payer d’entrée de jeu sont particulièrement élevés, notamment dans des envi-ronnements moins certains et plus complexes. C’est pourquoi l’inves-tissement public, les cibles nationales de production et les accords qui garantissent l’achat de l’énergie par des entreprises qui développeront sa production ont un rôle-clé à jouer pour généraliser la géothermie. Ces mesures contribuent en e¤et à maîtriser le niveau de risque pour l’inves-tissement. Alors que de nouvelles technologies de pointe telles que les EGS font leur apparition, il est indispensable de continuer à produire de l’éner-gie géothermique selon les techniques traditionnelles, surtout en Indoné-sie, en Amérique centrale et en Afrique orientale, où la planète est la plus active et où la chaleur terrestre ne manque pas.

RÉPERCUSSIONS : Selon nos estimations, la part de la géothermie dans la

production d’électricité mondiale, à 0,66 % aujourd’hui, passera à 4,9 % en

2050. Cette croissance pourrait réduire les émissions de dioxyde de carbone de

16,6 gigatonnes et permettre sur trente ans 1 000 milliards de dollars d’écono-

mies sur le coût de l’énergie, ainsi que 2 100 milliards tout au long de la durée

de vie des infrastructures. En fournissant l’électricité de base, la géothermie

permet également l’expansion d’autres énergies renouvelables.

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Centrales solaires

8e au classement et résultats d’ici à 2050

36,9 gigatonnes – 80,6 milliards de dollars 5 020 milliards de dollars

CO2 en moins Coût net Économies nettes

N’importe quel scénario visant à inverser la tendance au réchau¤ement planétaire fait la part belle à l’intensification du solaire d’ici à 2050. Rien de plus logique ; le soleil brille tous les jours, o¤rant ainsi un carburant presque illimité, propre et gratuit, à un coût qui jamais ne varie. Les petites grappes ici et là de toitures garnies de panneaux solaires sont le signe le plus visible de la révolution des énergies renouvelables par le solaire photo-voltaïque (PV). Ce phénomène se manifeste également sous une forme moins connue : les colossales rangées de centaines, de milliers, voire par-fois de millions de panneaux qui parviennent à produire des dizaines ou des centaines de mégawatts. Ces centrales solaires produisent donc de l’énergie à grande échelle ; si elles ressemblent aux centrales plus conven-tionnelles sur le plan de la quantité d’électricité produite, elles s’en écartent complètement pour ce qui est des émissions. Au long de leur cycle de vie, les centrales solaires émettent 94 % de carbone de moins que les centrales à charbon et ne libèrent pas d’oxyde de soufre et d’azote, de mercure ou de particules. Outre les dégâts qu’elles provoquent sur l’écosystème, ces émis-sions contribuent dans une large mesure à la pollution de l’air ambiant, responsable de 3,7 millions de décès prématurés par an.

Les premières centrales solaires photovoltaïques ont été mises sur pied au début des années 1980. Aujourd’hui, ces installations à grande échelle représentent 65 % de la nouvelle capacité solaire PV dans le monde. On en trouve dans des déserts, des bases militaires, sur les toits des décharges, et même flottant sur des réservoirs, où elles servent aussi à réduire l’évapo-ration. Si les responsables politiques ukrainiens parviennent à leurs fins, Tchernobyl, le site de la colossale catastrophe nucléaire de 1986, deviendra une centrale solaire d’une puissance de 1 gigawatt, l’une des plus grandes au monde. Où qu’elles se trouvent, ces centrales méritent bien le nom de “fermes solaires” qu’on leur donne parfois : ces immenses champs de pan-neaux photovoltaïques sont bel et bien un moyen de cultiver de l’énergie. Les rangées de panneaux en silicium dans le champ récoltent les photons qui, venus du soleil, bombardent la Terre. À l’intérieur du panneau, dans un environnement hermétiquement scellé, les photons transfèrent leur

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énergie aux électrons et créent ainsi un courant électrique, métamorpho-sant la lumière en tension. Pendant ce processus, en dehors des particules, rien ne bouge.

La technologie photovoltaïque a été découverte par accident dans les années 1950, alors qu’était inventé le transistor au silicium, présent de nos jours dans presque tous les appareils électroniques. Ces travaux, réa-lisés sous les auspices des laboratoires Bell, aux États-Unis, prirent rapi-dement de l’ampleur tandis que les chercheurs s’e¤orçaient de trouver des sources d’énergie décentralisée capables de fonctionner dans des lieux chauds, humides ou isolés, en cas de dysfonctionnement des batteries ou de non-raccordement au réseau. Les scientifiques de Bell constatèrent ainsi que le silicium constituait une nette amélioration par rapport au sélénium, couramment utilisé dans les expériences sur les panneaux solaires de la fin du xixe siècle, car il décuplait l’eªcacité de la conversion de la lumière en

Une centrale solaire, propriété du fournisseur d’électricité Sacramento Municipal Utility Dis-

trict, en Californie. Sacramento est la première commune à atteindre les normes fixées par l’État

en matière d’énergie renouvelable. Le fournisseur vend des “parts solaires” à ses abonnés, qui

bénéficient ainsi d’un rendement monétaire grâce à la révolution des énergies renouvelables du

Golden State.

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électricité. En 1954, à l’heure où était lancée la “batterie solaire” de Bell, un minuscule panneau de cellules de silicium alimenta une roue de 50 cen-timètres, puis un émetteur radio. Malgré leur petite taille, ces démonstra-tions firent forte impression sur la presse de l’époque. Le quotidien The New York Times n’hésita pas à proclamer “le début d’une nouvelle ère, qui mènera au bout du compte à la concrétisation de l’un des rêves les plus fous de l’homme – l’exploitation de l’énergie presque inépuisable du soleil au service de la civilisation”.

Le photovoltaïque était alors si coûteux (plus de 1 900 dollars le watt, selon les taux actuels) qu’il ne pouvait décemment être utilisé que dans les satellites. On l’envoya donc dans l’espace, mais presque nulle part ail-leurs. Paradoxalement, la première grosse entreprise à acheter des cellules solaires pour les utiliser sur Terre fut une compagnie pétrolière, qui avait besoin d’une source décentralisée d’énergie pour ses plates-formes et ses activités. Depuis, les investissements publics, les aides fiscales, l’évolu-tion de la technologie et la vigueur de l’industrie ont considérablement réduit les coûts de production du photovoltaïque, qui s’élèvent aujourd’hui à 65 cents le watt. L’e¤ondrement des prix a déjoué toutes les prévisions, et n’est pas près de s’arrêter. Les estimations éclairées sur le coût et la croissance du solaire indiquent qu’il deviendra bientôt l’énergie la moins chère au monde. Le solaire est une solution, et il ne serait pas exagéré de le qualifier aussi de révolution. Construire une centrale solaire est de moins en moins cher, et plus rapide que de bâtir une nouvelle centrale au charbon, au gaz naturel ou nucléaire, par exemple. Dans de nombreuses régions du monde, le solaire photovoltaïque concurrence aujourd’hui aussi les sources classiques, ou coûte parfois moins. Les concepteurs de ces tech-nologies annoncent aujourd’hui des projets qui permettront de facturer le kilowattheure à quelques centimes, ce qui aurait été naguère impensable. Grâce à la chute vertigineuse des coûts, directs et indirects, ainsi qu’à l’ab-sence totale de combustible et à des besoins de maintenance réduits dans le temps, la croissance du solaire à grande échelle a dépassé les attentes les plus optimistes.

Les coûts d’installation des centrales solaires sont moins élevés au watt que ceux des toitures photovoltaïques, et leur eªcacité en termes de trans-formation de la lumière du soleil en électricité (ce qu’on appelle le rende-ment) est meilleure. Lorsque les panneaux tournent sur eux-mêmes pour profiter autant que possible des rayons du soleil, la production peut aug-menter de 40 % ou plus. Cependant, où qu’ils soient placés, les panneaux sont tributaires de la nature diurne et variable des radiations solaires et

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de leur décalage avec la consommation d’électricité, puisque le soleil est à son apogée à midi tandis que la demande est au plus fort quelques heures plus tard. C’est pourquoi le développement de la production du solaire doit s’accompagner de celui d’autres énergies renouvelables complémentaires, soit constantes (comme la géothermie), soit ayant des rythmes di¤érents du soleil (comme le vent, souvent plus fort la nuit). Le stockage de l’éner-gie et la mise au point de réseaux plus souples et intelligents, capables de gérer la variabilité de la production des centrales solaires, seront aussi des facteurs décisifs dans la réussite de cette technologie.

Selon l’Agence internationale de l’énergie renouvelable, le solaire photo-voltaïque nous permet d’ores et déjà d’éviter de 220 à 330  millions de tonnes annuelles d’émissions de dioxyde de carbone, et il ne représente aujourd’hui que 2 % du bouquet énergétique mondial. Le solaire pourrait-il répondre à 20 % de nos besoins en énergie d’ici à 2027, comme l’ont cal-culé certains chercheurs de l’université d’Oxford ? Grâce aux interventions des gouvernements et aux avancées du marché, on constate l’apparition de nombreux signes prometteurs : coûts toujours en baisse atteignant la parité sur le réseau avec les combustibles fossiles, usines de panneaux solaires de base débitant des centaines de mégawatts de capacité solaire chaque année, et panneaux dont la durée de vie atteint facilement vingt-cinq ans, si ce n’est des dizaines d’années de plus. En 2015, le solaire photovoltaïque satisfaisait presque 8 % de la demande énergétique en Italie et plus de 6 % en Allemagne et en Grèce, chefs de file de la révolution solaire. Au fil de son histoire, le pv a souvent dépassé toutes les attentes et déjoué toutes les prévisions dans sa formidable progression. Associé au solaire décentralisé et soutenu par les technologies adaptées, le photovoltaïque nous fait entrer dans la “nouvelle ère” que nous promettait en 1954 The New York Times.

RÉPERCUSSIONS : À l’heure actuelle, le solaire photovoltaïque à grande échelle

constitue 0,4 % de la production d’électricité mondiale ; notre analyse fixe sa

progression à 10 %. Nous estimons le coût de sa mise en œuvre à 1 445 dol-

lars le kilowattheure et la courbe d’apprentissage à 19,2 %, ce qui représente

en matière de mise en œuvre une économie de 81 milliards de dollars par rap-

port aux centrales à combustibles fossiles. La progression prévue pourrait évi-

ter l’émission de 36,9 gigatonnes de dioxyde de carbone, tout en économisant

5 000 milliards de dollars de coûts d’exploitation d’ici à 2050 – voilà les consé-

quences financières de la production d’énergie sans combustible.

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Toitures photovoltaïques

10e au classement et résultats d’ici à 2050

24,6 gigatonnes 453,1 milliards de dollars 3 460 milliards de dollars

CO2 en moins Coût net Économies nettes

C’est en 1884, sur un toit de New York, que la première installation pho-tovoltaïque fit son apparition. Son inventeur, Charles Fritts, l’avait placée là après avoir découvert qu’une fine couche de sélénium sur une plaque de métal pouvait produire un courant électrique au contact de la lumière. Comment la lumière du soleil pouvait-elle allumer les lumières des foyers ? Fritts et ses contemporains, pionniers du solaire, l’ignoraient, car ce méca-nisme resta incompris jusqu’à ce qu’Albert Einstein publie, à l’aube du xxe siècle, entre deux éclairs de génie, ses travaux révolutionnaires sur ce que nous appelons aujourd’hui des photons. Bien que, au temps de Fritts, la science eût établi que l’énergie était produite par la chaleur, lui-même était convaincu que des modules “photoélectriques” finiraient par concur-rencer les centrales au charbon, dont la première avait été mise en service deux années auparavant par Thomas Edison, également à New York.

Aujourd’hui, le solaire s’impose face au charbon ou au gaz naturel. Il remplace les lampes à pétrole et les générateurs diesel là où le raccorde-ment au réseau électrique est diªcile, ce qui est le cas pour plus d’un milliard de personnes sur la planète. Tandis que la société se débat avec d’un côté le manque d’accès à l’électricité et de l’autre la pollution qu’elle occasionne, les vagues et particules mystérieuses de la lumière du soleil continuent de frapper irrémédiablement la surface de la planète avec une énergie dix mille fois supérieure à la consommation mondiale. Les sys-tèmes photovoltaïques à petite échelle, qu’on retrouve souvent sur les toits, jouent un rôle fondamental dans la captation de cette lumière, ressource la plus abondante sur Terre. Les photons, frappant les minces plaques en cristal de silicium dans un panneau solaire sous vide, libèrent les électrons et produisent ainsi un circuit électrique. Ces particules subatomiques sont les seuls éléments mobiles du panneau, qui fonctionne sans combustible.

Si le solaire photovoltaïque (PV) ne fournit actuellement que 2  % de l’électricité mondiale, sa croissance a été exponentielle au cours des dix dernières années. En 2015, les systèmes décentralisés d’une capacité de moins de 100 kilowatts représentaient environ 30 % de la capacité solaire PV installée dans le monde. En Allemagne, pays à la pointe du solaire,

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la majorité de la capacité photovoltaïque, soit 1,5 million de systèmes, se trouve sur les toitures. Au Bangladesh, qui compte 157 millions d’habi-tants, plus de 3,6 millions de systèmes solaires ont été installés chez des particuliers. En Australie, on en trouve dans 16 % des foyers. Transfor-mer un mètre carré de toit en une centrale électrique miniature est la der-nière tendance.

Les modules pour toitures sont de plus en plus en vogue en raison de leur bas prix. Le solaire PV bénéficie d’un cercle vertueux de baisse des coûts, qui s’explique par les mesures incitatives visant à accélérer son déve-loppement et sa mise en œuvre, les économies d’échelle au moment de la fabrication, les dernières avancées dans la technologie des panneaux et les approches innovantes destinées à aider financièrement l’utilisateur final, telles que les accords de propriété entre tiers, qui ont contribué à rendre le solaire plus accessible aux États-Unis. À mesure que la demande croît

Une mère uro et ses deux filles, qui vivent sur l’une des quarante-deux îles flottantes construites

avec du totora, une sorte de roseau, sur le lac Titicaca. Leur joie à la vue du premier panneau

solaire de la famille est communicative. À près de 4 kilomètres au-dessus du niveau de la mer,

le panneau remplacera le pétrole et fournira de l’électricité à la famille pour la toute première

fois. Il a beau être issu d’une haute technologie, il est parfaitement adapté à son nouveau milieu

culturel : le peuple des Uros se surnomme Lupihaques, “fils du Soleil”.

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et que la production s’e¤orce de suivre le rythme, les prix baissent rapide-ment ; et à mesure qu’ils baissent, la demande continue de croître. L’es-sor de la production de PV en Chine a permis de déverser sur le marché mondial un torrent de panneaux bon marché. Mais les coûts directs ne sont qu’un facteur dans l’équation des dépenses ; les coûts indirects d’in-vestissement, d’acquisition, de permis et d’installation peuvent représenter la moitié du prix d’un système sur toiture, et ne connaissent pas la même baisse que les panneaux eux-mêmes. Cette situation explique en partie pourquoi les toitures photovoltaïques sont plus coûteuses que leur parente à grande échelle, la centrale solaire. Mais, tout compte fait, ces systèmes produisent une électricité qui reste moins chère que celle du réseau dans certaines régions des États-Unis, dans nombre de petits États insulaires, et dans des pays tels que l’Allemagne, l’Australie, le Danemark, l’Espagne et l’Italie.

Les avantages des systèmes photovoltaïques sur toiture vont bien au-delà de leur coût. Certes, la production des panneaux, tout comme n’im-porte quel processus de fabrication, suppose des émissions, mais les panneaux eux-mêmes produisent de l’électricité sans émettre le moindre gaz à e¤et de serre ni polluer l’air, utilisant uniquement l’infinie ressource de la lumière du soleil. S’ils sont installés sur un toit raccordé au réseau, ils produisent l’énergie là où elle est consommée, évitant ainsi les pertes inévitables de la distribution par le réseau. Ils peuvent aider les fournis-seurs à satisfaire une demande plus importante en injectant dans le réseau l’électricité non utilisée, notamment en été, lorsque le solaire fonctionne à plein régime et que les besoins en électricité se multiplient. La “facturation nette”, cet accord en vertu duquel le surplus d’électricité produit est vendu aux fournisseurs qui le distribuent via le réseau, peut rendre les panneaux solaires accessibles aux particuliers, en leur permettant de compenser le prix de l’électricité qu’ils doivent acheter lorsque le soleil ne brille pas.

De nombreuses études ont montré que les avantages financiers des toi-tures PV vont dans les deux sens. Avec le solaire dans leur o¤re éner-gétique, les fournisseurs peuvent éviter les dépenses d’investissement initiales de nouvelles centrales à charbon ou au gaz, qui se répercuteraient ensuite sur leurs clients, et la société dans son ensemble n’a pas à subir les incidences qu’elles auraient eues sur l’environnement et la santé publique. Fournir de l’énergie supplémentaire aux heures où la demande en électri-cité est la plus forte peut aussi réduire l’utilisation des générateurs coûteux et polluants, utilisés en heures pleines. Certains fournisseurs rejettent la solution des toitures solaires, aªrmant, et c’est bien contradictoire, que le