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My Destiny (T2) (French Edition) - ekladata.comekladata.com/YDIioiY5EIIc1FSAnzYrNrBv_XM/Ebook_My_Destiny_Tome… · Liste musicale Hans Zimmer – Time Katharine Mcphee - My Destiny

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StefanyThorne

Née à Suresnes en 1980, Stefany Thorne dévore les livres et écrit depuis son plus jeune âge.Mordue de littérature et profondémentromantique,elleressenttrèsvitel’enviedecouchersoussaplumeunehistoired’amour.

Elle donne vie àMelinda Evans&AïdenKyle dansFOREVER et propose son histoire sur la plateforme de lectureWattpad où elleremporteunfrancsuccès.Sonromanestélu«Meilleurscénario–Romance»parleslecteursauxWFTDAWARD2015.

Suiteàcetengouement,elledécidedetentersachanceenselançantdansl’auto-publicationdesonouvrage.Quelquesjoursplustard,ellesigneavecReines-Beauxpour laversionpapierde lasagaFOREVER,cequipermetàson livrededevenirundesbest-sellersde l’année2015.

http://stefanythorne.wix.com/stefanythorne

http://www.facebook.com/stefanythorneauteure

Dumêmeauteur

FOREVER1:Souviens-toiMyDestiny1

FOREVER2:Reviens-moiMyDestiny2

MyDestiny–Penséedusoir(Hors-série)10sinonrien!(2017)JardinsInterdits(2017)

MyDestiny

Tome2

StefanyThorne

PremièreéditionnumériqueparStefanyThorne,Octobre2016©2016,StefanyThornepourlaprésenteédition©2016,ReinesBeauxpourlaversionpapier

©2016,WilliamSalvatorepourl’illustrationdelaprésentecouverture.

Celivreestuneœuvredefiction.Lesnoms,lespersonnages,leslieuxetlesévénementssontlefruitdel’imaginationdel’auteurousontutilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, des établissements d’affaires, des événementsexistantsouayantexistéestentièrementfortuite.

L’auteure reconnaît que les marques déposées mentionnées dans la présente œuvre de fiction appartiennent à leurs propriétairesrespectifs.

LeCode de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation oureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçon,auxtermesdesarticlesL.335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

Avertissement sur lecontenu :cetteœuvredépeintdes scènesd’intimitéentredeuxpersonnesenun langageadulte.Ellevisedoncunpublicavertietneconvientpasauxmineurs.L’auteuredéclinetouteresponsabilitépourlecasoùvosfichiersseraientlusparunpublictropjeune.

CetitreseraégalementdisponibleauformatpapierauxÉditionsReines-Beauxennovembre2016.CollectionAmour

♫Cedeuxième tomevousproposeunenouvelle foisune listemusicale.Écrireenmusiquem’estindispensable ; c’est ainsi que j’arrive àm’évader.Mes personnagesm’ont bouleversée dans cettedernièrepartie, peut-êtreparcequ’ilsm’étaient chers…Chacund’euxaoccupéuneplace spécialedansmavie et ils ont fait demoi la femmeque je suisaujourd’hui. Je vous invitedonc, si vous lesouhaitez, à lire les chapitres avec les musiques qui vous sont proposées. Je vous souhaite unmerveilleuxmomentdelecture.♫

Bienàvous,StefanyThorne

Listemusicale

HansZimmer–TimeKatharineMcphee-MyDestiny

TheCommodores–ThreeTimesALadyChristopherCross–SailingTimbaland-Apologize

RevengeSoundtrack–FarewellFauxmandaSkylarGrey-IKnowYou

JasonWalker-CryMattiaCupelli-HopelessFall

JorgeMendez–FallenSarahMcLachlan-Angel

©auteursetcompositeursrespectifs,informationlégaleindividuelledisponiblesurlaplaylistYouTubedel’auteur:

https://www.youtube.com/playlist?list=PLvhHNsVAthZj2j3k0mOL2xUaBEfdW_foq

Celivreestinspirédefaitsréels…

ÀmesamiesetmesprochesquiétaientprèsdemoipourcetoutdernierchapitredeMyDestiny.

Àprésent,unenouvellevies’offreàmoietjesaisqu’auboutdutunnellalumièrebrilleenfin…

Simavieserésumaitàunechansonceseraitlanôtre,celledeCorneille:

Parcequ’onvientdeloin

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HansZimmer-Time

PortClydeSamedi16mai201514h35

Amy

Parfois, lavieemprunted’étonnantschemins.Quelquefoissemésd’embûches,d’autresdéjà tracésàl’avance. Elle prend des directions auxquelles nous n’aurions jamais songé.Après cette nuit d’amourd’une incroyable intensité, Hope etMatthew n’ont pas suivi cette voie qu’ils s’étaient, peut-être, unefraction de seconde, imaginés. Lequel des deux doit-on blâmer ? Lequel des deux n’a pas été assezcourageux et honnête envers lui-même pour affronter ses peurs, ses doutes ? Pourquoi n’ont-ils pasacceptécecadeauqueleurdestinéeleuroffrait,presque,surunplateau?

Malheureusement,Hopeétaitfragileetmanquaitcruellementdeconfianceenelle.J’imaginequ’elleattendait des mots ou bien ce geste déclencheur qui lui aurait ouvert les portes du bonheur…MaisMatthewaétéincapabledeluiavouerclairementcequ’ilressentaitetcequ’ilsouhaitait…Àdirevrai,je pense que j’aurais réagi de la même manière que cette jeune fille. Les mots peuvent parfois toutchangeretfairebasculertoutevotrevie…

—Oùes-tuMatthew?soufflé-jeenmettantleclignotantàgaucheafind’emprunterlaruequimèneàl’hôpital.

C’est la question qui m’obsède depuis mon départ de la maison de la plage, mais ce n’estmalheureusement pas la seule. D’autres me traversent encore l’esprit embué d’interrogations dontcertainesmesemblentàmille lieuesde toute logique.Matthewest-il encorevivant?Pourquoi l’a-t-ilabandonnée?HopeconfiesurlespremièrespagesdeMyDestinyqu’ellel’attendencoreettoujoursprèsdupharedeMarshallPoint.Pourquoi?

Aufuretàmesurequejem’approchedel’hôpital, lapeurquejesensnaîtreet jaillirdemoncœurprendànouveauledessussurmacapacitéàrestersereineetcalmefaceàlasituation.Jecontemple,une

fractiondesecondeducoindel’œil,laboîteaurubanroseposéeprèsdemoisurlesiège,soucieuseàl’idéededécouvrirquelleseralaréactiondeHopelorsqu’ellemeverratraverserlachambreavecsonsecretentrelesmains.Hope…?Pourquoiemployersonprénom,etnonmaman?Ai-jel’impressionquecesdeuxpersonnesne sont irrémédiablement plus lesmêmes ?Comme simamère avait littéralementchangéenrayantcette jeunefillededix-neufansdesavie.Est-ceunefaçonpourelled’exorcisersonhistoire?Oudeseprotégerdesonpassé?

Jesecouenerveusementlatêtetantmoncerveaunes’arrêteplusderéfléchir.J’aileventrenouéparcettepressionquimonteencored’uncranlorsquejemegaresurleparkingdestinéauxvisiteurs.

14h57

Lesportesdel’hôpitals’ouvrentdevantmoi,etc’estlecœurserréquejepénètredanscetendroitquiestpresquedevenumasecondemaisondepuiscestroisdernièressemaines.J’aibesoind’unboncafé…—Bonjour,Roselyne!salué-jedelamainl’infirmièreàl’accueildesurgences.—Bonjour,Amy!merépond-ellegentimentensecouantlasienne.Jerejoinslamachineàcaféquisetrouveensalled’attente.Malheureusement,c’estleseulespaceoù

il y en a une.De toute façon, jeme suis habituée au bruit des sirènes d’ambulances, aux gens qui seplaignentdedouleuretàceuxquiarriventicidansunétatcritique.Puisilyatoutescespersonnesquiserongent les sangs en attendant des nouvelles de leurs proches.Voilà à quoi ressemble l’ambiance desurgencesdePortClyde.

JeglisseunepiècedanslamachineetsélectionneCafénoirlong.Soudain, lesportesautomatiquess’ouvrentàmadroiteetlescrisd’unefemmeattirentmonattention.

—J’accompagnemonfiancéquevoussoyezd’accordounon!Unejeunefemmeblonde,auventrejolimentarrondi,secramponnetantbienquemalaubrancard.—Vousn’avezpasledroitetencoremoinsdansvotreétat!Vousverrezaveclemédecin,celan’est

pasdemonressort!luirépondl’ambulancier,excédé.L’hommepousse lebrancardoùest allongé son fiancé. Il grimaceen se tenant lebras et a l’airde

souffriratrocement.—Anthony?Est-cequeçava?Dis-moiquelquechose!—Calme-toi,machérie.J’aidûmecasserlebras,net’inquiètepas,gémit-ildedouleur.Un médecin et un infirmier les rejoignent. Ils échangent quelques mots avec l’ambulancier puis

s’approchentdujeunehommeblessé.—Jevaisvousexamineretensuitevouspasserezuneradio.—Bien,docteur.—Puis-jel’accompagner,s’ilvousplaît?insistelajeunefemme,affolée.

—Mademoiselle,vousdevez rester en salled’attente. Jeviendraivouschercher lorsque je l’auraiausculté,refuseledocteur.Allons-y!ordonne-t-ilàl’infirmier.

Ilss’engouffrentrapidementderrièrelesportesquimènentauxsallesdeconsultations.—Anthony!Lajeunefemme,enproieauxlarmes,sedressesurlapointedespiedstoutenregardantàtraversle

petithublotde laporte.Résignée,ellereculeensecouant la tête toutenséchantduboutdesdoigts leslarmesquicoulentsursonvisage.Puisellevientprendreplacesur le fauteuil, le regarddans levide.Ellemefendlecœur…

Jerécupèremoncaféetposelaboîteaurubanrosesurlapetitetablederrièremoi.Jesélectionneunenouvelleboissonchaudeetviensm’assoir auxcôtésde la jeune femmequi se tamponneàprésent lesyeuxavecunmouchoir.

—Bonjour…Unchocolatchaud?proposé-jeenluitendantlegobelet.Surpriseparmaprésence,elleécarquillelesyeuxenposantunregardétonnésurlaboisson,puisme

souritenhochantlatête.—Merci…,dit-ellesimplementd’unepetitevoixenattrapantlechocolatchaud.—C’estlaboissonpréféréedemamère.Lorsqu’elleesttristeouconfuse,jeluienprépareun.—Etçafonctionne?medemande-t-elleensoufflantdoucementsursaboisson.—Presquetoujours,luiconfirmé-jeenreplaçantsescheveuxderrièresonépaule.Elleme sourit chaleureusement et je sens quemon geste l’apaise. Ellem’a l’air plus calme et ses

larmesontcessédecouler.—Jem’appelleAmy,luidis-jeenluitendantmamain.—Etmoi,Kate.Elleserrelamienned’ungestedélicatenmesouriantetmedemande:—Vousaussivousattendezdesnouvellesd’undevosproches?Jebaisse la têteun instantenmemordillant la lèvrenerveusement.Jerelèvemonvisageattristéoù

transparaîtcettedouleurquinemequitteplus.Ilm’est trèsdifficiled’enparler,et jedoismecontenirpournepaspartirencourantafind’éviterlesujet.Jetentederépondreleplussimplementpossiblesansavoirl’airsauvage:

—Ehbien…mamèresetrouvedanscethôpital.Àl’étageau-dessus.Katejetteunœilversleplafondenfronçantlessourcilscommesielletentaitdedevinerpourquel

malmamèresetrouveici.—Elleestatteinted’uncancerenphaseterminale.Voilà,jel’aidit!LeslarmesmemontentaussitôtauxyeuxetjedéviemonregardafindenepascroiserceluideKate

quiseveutcertainementcompatissant.Elleposesamainsurlamienneetmedit:—Jesuisdésolée,Amy.Jepensequevousdevriezluiapporterunchocolatchaud.

Jemeretourneverselle,etKatemesouritenajoutant:—Vousdevriezégalementprofiterdechaqueinstantqu’ilvousresteavecvotremaman.Moi,jevais

attendre des nouvelles d’Anthony et… je ne suis pas seule, me fait-elle remarquer en caressant sonventre.Ilyanotrepetitefille…

—Elleestprévuepourquandcettejolieprincesse?demandé-jeenposantmoncafésurlatable.J’ail’estomacretourné;impossibled’avalerquoiquecesoit…—Pourseptembre,meconfie-t-elleencontinuantdecaresseraffectueusementsonventre.—Jevoussouhaitebeaucoupdebonheur.—Merci,c’esttrèsgentilàvous.—Heureused’avoirfaitvotreconnaissance,Kate.J’espèrequevotrefiancésortiratrèsvited’iciet

qu’iln’ariendegrave,dis-jeenmerelevant.—Mercipourvotresollicitude.Jevoussouhaitebeaucoupdecouragepourl’épreuvequiattendvotre

famille.Jeluisouristendrementetrécupèrelaboîteaurubanrose.—C’esttrèsgentilàvous…Aurevoir!luilancé-jeenlasaluantdelamain.Elleagitelasienne,puislèvesongobeletenmesoufflantduboutdeslèvres:—Merci.

-2-

PortClydeSamedi16mai201515h47

Amy

Lesportesdel’ascenseurs’ouvrentlentementdevantmoi.Aufonddececouloir,setrouvelafemmequim’aurabercéedanssesbras,m’auradonnétoutsonamouretquiauraeu lecouragedequittersonfoyerpournousoffriruneviemeilleure.Jelesaisàprésent…HopeObrienm’asauvélavie.

—Bonjour,Bree!salué-jedelamainl’infirmièreàl’accueil.—Bonjour,Amy.Commentallez-vous?Jem’approcheducomptoirenluisouriantetluirépondstoutenarrangeantlesprospectusmédicaux.—Difficileàdire…Parfois,jemesenssivideet,d’autresfois,heureusequ’ellesoittoujoursparmi

nous.— Vous devez rester forte pour elle et votre famille, dit-elle en posant un instant sa main sur la

mienne.Jebaisselégèrementlatêteenretenantunsanglot,puisplongemonregarddanslesienquiseveutà

présentcompatissant.—Commentva-t-elle,aujourd’hui?demandé-jeenreculantd’unpas.J’ail’impressiond’étoufferici…—Fidèleàelle-même.Elleaencoredemandéàrentrerchezelle,cematin…Puiselles’estplongée

dansl’horizonenécoutantsonéternellemélodie.—Jevois…Merci,Bree.Jevaisallerlarejoindre.—Bonaprès-midi,Amy,dit-elleenattrapantundossiersurlecomptoir.Jem’avancelentementverssachambreetaperçoistanteEmmaquifaitlescentpasdevantlaporte.Je

cacheimmédiatementlaboîteaurubanrosederrièremondos.—Bonjour,tanteEmma.— Te voilà enfin, Amy ! Comment vas-tu, ma chérie ? demande-t-elle enme rejoignant et en me

serrantfortementdanssesbras.Maisquetiens-tulà?Ellemecontourneetjointsesmainssurseslèvresenmedévisageant,l’airapeuréetchoqué.—Tun’auraisjamaisdûapportercetteboîteici,jamais…,dit-elleensecouantdoucementlatête.—JepensaisquetanteRoset’enauraitdéjàparlé?—Rose?m’interroge-t-ellesanscomprendre.—Oui,j’aidécouvertlemanuscrit,cematin…et…—Et…?mecoupe-t-elle,paniquée,enposantsesmainssurmesbrassansmequitterdesyeux.Jefuissonregardquimefusilleettournelégèrementlatêteverslaportedemamère.Oh,monDieu!—Chambre215…,soufflé-jeenlisantlaplaque.—Oui…,murmuretanteEmmaenmerelâchantdoucement.—C’étaitlachambre…—…oùsetrouvaitMatthew,confirme-t-elled’unevoixdésespérée.Àl’époque,tamèreyauraitvu

unsigne,ironise-t-elleenlevantlesépaules.—Etaujourd’hui?lancé-jeprécipitammentenm’approchantdematante.—Aujourd’hui,elles’emmuredanssessouvenirsetneveutplusenentendreparler.—Maispourquoi?Matthewétaitpourtantl’amourdesavie.Ques’est-ilpassé?—Tunesaisdoncrien,Amy…—Ellen’apastoutlu,Emma,nousinterrompttanteRosequisortdelachambre.Ellenousrejointenjetantunregardaffoléàlaboîte.—Jemesuisarrêtéeauchapitre«JOUR–J»…,leurdis-jeenlesobservanttouràtour.—Doncàlapremièrepartie,comprendtanteRosequiposesamainsursapoitrine,commerassurée

quejen’aiepasétéplusloindansmalecture.—Sitamèrel’apprend,jenedonnepascherdesonpauvrecœur,balancetanteEmmaens’effondrant

surunfauteuil.Tante Rose acquiesce d’un signe de tête et s’assoit près d’elle en l’entourant de ses bras pour la

réconforter.—Bonjour,mesdames!JemeretourneetcroiseleregardduDrRoss,l’oncologuequisuitmaman.Ils’approchedenousavec

ledossierdemamèreàlamainqu’ilouvreennousrejoignant.—DrRoss,lesalué-jeenluitendantmamain.J’ai le cœur serré, et l’angoisse se niche peu à peu dansmon ventre. Chaque fois, c’est lemême

rituel…Ilnousdonnedesnouvelles,adaptesontraitementafinqu’ellenesouffrepas,puisrepartavecunsourire compatissant au coin des lèvres. Malheureusement, nous savons tous ici que ma mère nousquitterabientôt…

—Amy,commentvas-tu?medemande-t-ilenmetendantlasienne.—Bien,merci.Commentvamamère,aujourd’hui?

—Ehbien,sonétateststationnaireetelleréagitplutôtbienautraitementquenousluiadministronsdepuissonentréeàl’hôpital.

—Vousvoulezdireque…—Cequejeveuxdire,Amy…,mecoupe-t-ilaussitôt.Ilprendunegrandeinspirationenrefermantledossierqu’ilserrecontrelui,puisreprend:—Bienque le traitement soit très lourd, tamèrene souffre pas.Certes, elle a des difficultés à se

déplacer,cequiestnormaldanssonétat,maiselleesttoujoursparminous.Jebaisselatêteenétouffantunsanglotavecmonpoing.—Amy…Hope va nous quitter et je ne peux rien faire pour empêcher cela,me rappelle-t-il une

nouvellefois.Elleaencoredemandéàquitterl’hôpital.Jerelèvelatêteversluietessuiemeslarmesrageusementdelamain.—Qu’enpensez-vous,docteur?demandé-jed’unevoixtremblante.—Quec’estunetrèsmauvaiseidée!Siellesortd’ici,ellerisquedenousquitterbienplustôtque

prévu.—Oui,maisresterenferméedanscettechambren’estpascequ’ellesouhaite!MonDieu,quedois-je

faire?demandé-jeenm’approchantdelaportedesachambre.Jeglisselentementmesdoigtssurlenumérodelaportetoutenpleurant.—Matthew…Siseulementtupouvaisêtrelà…,soufflé-jeenposantmonfrontcontrecelle-ci.J’entendslespasduDrRossrésonnerdanslecouloirets’éloigner.Luinonplusn’apasderéponsesà

m’apporter…—Amy,mapuce.JemetournelégèrementetcroiseleregardmalheureuxdetanteRosequimeprendaussitôtdansses

brasencaressantavectendressemescheveux.—Tamères’inquiètedenepastevoir…Elleademandéaprèstoi.Jereculeimmédiatement.—Quesepasse-t-ilavecmaman?!demandé-je,paniquéeàl’idéequ’ellesesoitsentiemalparma

faute.— Calme-toi, ma puce, me rassure-t-elle en posant un instant sa main sur ma joue. Tu lui as

simplementmanquécematin,voilà tout.Mais tu laconnais,ellene te reprocherarien,ajoute-t-elleenriantdoucement.

—Oui,tuasraison,dis-jeensouriant.—Quecomptes-tufairedecetteboîte?demande-t-elleenjetantunregardinquietàcelle-ci.Jelacontemplequelquessecondes,puislacaressedélicatementduboutdesdoigtsenluisouriant.—Quelquechoseaufonddemoncœurmecrie,mesuppliepresque,del’apporteràmaman…J’ai

l’étrangesensation,voiremêmelepressentimentquelaclédesonbonheursetrouveici,danscetteboîteaurubanrose.

—JenesaispascommentréagiraHopeenlavoyant,maistoutcequejesaisaujourd’hui,c’estquel’amourqu’elleressentaitautrefoispourMatthewnes’estjamaiséteint.

JeserrematantedansmesbrastoutensouriantàtanteEmmaquim’indiqued’unsignedetêted’allerrejoindremamère.

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PortClydeSamedi16mai201516h17

Hope

Allongéesurmon lit, jemesurprendsàm’imaginerdehors,à rêverqu’ilme resteencoredu tempspourquelecielm’envoietouteslesréponsesàmesprières…

—Ildoitfaireunejournéemerveilleuse…,pensé-jeàvoixhaute.Les rayons du soleil traversent ma fenêtre et réchauffent cette atmosphère pesante et froide dans

laquellejesuisplongéedepuisplusdetroissemaines.Est-ceainsiquej’avaisimaginéfinirmesjours?Emprisonnée dans cette chambre et clouée sur un lit sans l’espoir de revoir une toute dernière foisl’océan,lepharedeMarshallPointetmamaisondelaplage.

—Commej’aimeraisentendrelesmouettescrierdansleciel…Commej’aimeraistraverserlepontduphareetmeplongerdansl’horizon…,soufflé-jeenfermantuninstantlesyeux.

Lamélodiedelapetiteboîteàmusiquedecettevieilledamecontinuedebercermeslonguesjournées.J’aidéjàdûlafaireréparerunebonnedizainedefois,maisAmy,ladanseuse,continueàtournoyersurelle-mêmeaveccettedélicatessequim’atoujoursémerveillée.

EllemerappellecettebaladeàWellsetnosbaiserssurlaplage…Àcetteépoque,Matthewfaisaitencorepartiedemavieetnousavionsencorelechoixdepouvoirresterensemble.Aucundenousdeuxn’asuprendrelaréellemesuredetoutl’amourquenouséprouvionsl’unpourl’autre.Nousaurionspugravir des montagnes à nous deux, traverser des océans pour nous retrouver…Oui, nous aurions pusurmontercetteépreuve…Seulement,à l’âgedevingtans,onpenseavoir tout le tempsderéparerseserreursetderepartiràzéro…Maislesannéespassèrentetnotredestinéenousabandonnaànotretristesort…Lorsque je ferme lesyeux,cesontencoresonsourireenjôleuret l’étincelledesesyeuxque jevois. Je reste viscéralement liée à cette histoire, à cette époque dema vie qui date d’il y a plus dequarante ans déjà. Comment oublier… ? Comment aller de l’avant après avoir connu un amour aussipuissantetaussisincère?

—Matthew, jeme souviens de chaquemoment que nous avons passé ensemble, de chacunede tesparoles,dechacundetesgestesetdechaquebaiseréchangéavecpassionetardeur…Oùes-tu,monbelamour?

Combiendefoisai-jepriélecieldeterameneràmoi?Combiendefoisai-jesuppliélesmouettesdepartiràtarecherche?Combiendefoisai-jehurléaprèsmadestinéeafinqu’ellem’accordeuneultimechancedetecroiser?Jerenverselatêtesurlecôtéenfermantlesyeuxafindemereplongerdansmestroublantssouvenirs,ceuxd’unefemmequin’aurajamaiscesséd’aimersonpremieramour.Levrai,celuiquel’onn’oubliejamais…

—As-tu avancé sur l’histoire que tu écris ? me demandeMatthew enm’apportant un chocolatchaud qu’il pose près de moi sur la table basse. Tu ne m’as jamais confié de quoi elle parlaitexactement.Jem’empourpreaussitôtenmemordillantlalèvretantjen’oseentrerdanslesdétailsdecelle-ci.Il

saitparfaitementbienqu’elleparledemoi…denous…—C’estunehistoired’amour,Matthew.Celled’unejeunefillequiveutencorecroireensesrêves

d’enfantetàl’amour,levéritableamour,réponds-jeencontinuantàmebalancersurlerocking-chairfaceàl’océan.Matthew s’avance lentement et s’agenouille près demoi. Il pose avec tendresse samain sur la

mienneetmeditd’unevoixdouce:—Hope,neperdspasespoir…Lavieestbelle…Jepenchelatêtesurlecôtéafindeplongermesyeuxcontemplatifsdanslessiens.—Tuastoujourssuchoisirlesmotspourmeréconforteretmerendreespoir.Tues…—Jesuis…?mecoupe-t-ilenposant,cettefois,samainsurmajouetoutenlacaressantavecson

pouce.—Toujourslà,pourmoi…Maisensera-t-iltoujoursainsi?—Tantquetuvoudrasdemoiauprèsdetoi,jenetequitteraijamais,merassure-t-ilenposantun

baisersurmonfront.—Matthew…—Chut,Hope…Jedonneraiunefinheureuseàtonlivre…

Jesaisquecelan’aideenrienderessasser lepassé,mais jesuis incapablede l’oublier, incapabled’enaimerunautre.Jemesuisréfugiéeàl’intérieurdemonâme,menourrissantdenossouvenirs,desesparoles.Jen’aijamaisréussiàmedonneràunautre,êtrelematindequelqu’un…Jesuisrestéecaptivedesonéternelsourire.Luim’acertainementoubliéeet rayéedesavie.J’aipasséces trentedernièresannéesàme tortureravec lesmêmesquestions.Pourquoin’est-il jamaisvenumerejoindreauphare?Pourquoim’a-t-ilmenti?Pourquoim’a-t-ilabandonnée?

— Pourquoi, Matthew ? Je t’ai aimé de toute mon âme, comme personne ne t’aimera sans doutejamais…,murmuré-je enpleurant, lespoings serréspar ladouleur lancinantequin’en finitpasdemelacérerlecœur.

—Bonjour,maman.Oh,non!Jesècherapidementmeslarmesetoffreunjolisourireàmafillequiposequelquechosesurlesol,

prèsdemonlit.J’étaistellementplongéedansmessouvenirsquejenel’aipasentendueentrerdansmachambre.

—Est-cequetoutvabien,maman?medemande-t-elleenprenantplacesurleborddulit.Elleattrapemamainetydéposeunbaiserenmesouriantaffectueusement.—Oui.Justeuncoupdebluespassager,maisjevaisdéjàbeaucoupmieux,larassuré-jeenserrantsa

maindanslamienne.—Quem’as-tudoncacheté,cettefois?demandé-jeenfaisantunsignedetêteverslesol.Jemange

trèsbienici.Arrêtedet’enfairepourmoi,veux-tu?—C’est ce que tu dis toujours et ensuite, tu dévores littéralement tous les petits chocolats que je

t’apporte, me fait-elle remarquer en riant. Sans parler des bonbons, cela va de soi, ajoute-t-elle enm’adressantunclind’œilcomplice.

—Unemauvaisehabitude,dis-je,amusée,enhaussantlesépaules.—Jet’aitoujoursconnucettemanie-là,maman.Eh,mince!—Quoidonc,machérie?demandé-je,affolée.— J’ai oublié tes roses dans la voiture ! lance-t-elle en tentant de se relever, mais je la retiens

immédiatementparlamain.—Cen’estpasgrave, lui fais-je savoirensecouant la tête.Cellesque tum’asapportéeshier sont

encoremagnifiques,machérie.Garde-lespourdécorertatabledusoir.Ellejetteunœilauvasedefleursquiornelechevetàmagauche,puissonregardattendris’attardeun

instantsurlaboîteàmusique.— Encore cette douce mélodie…, dit-elle en se rasseyant plus confortablement près de moi. La

fameuseboîteàmusiqueetcettemerveilleusedanseuse…,ajoute-t-elle,émue,commeperduedanssespensées.

—Pourquoidis-tucela?Tulaconnaisdepuisdesannées,demandé-jesanscomprendre.Amysepencheetcaresseduboutdesdoigtsleboisvieillidecelle-ci.—Jen’étais encorequ’une toutepetite fille lorsque tum’as raconté l’histoired’Amy, ladanseuse.

J’avaisquoi?Àpeinesixans…—Tuvenaisd’avoirquatreans,machérie,corrigé-jeenhochantlatête.—Puisnousavonsemménagédanslamaisondelaplageettuétaissiheureuseàl’idéed’ouvrirnos

cartons.Tantdemerveilleuxsouvenirs…

J’inspireprofondément.Celam’estterriblementdifficiledeparlerdenotrepassé.—Jem’ensouvienscommesic’étaithier.Ilyadeschosesquinousmarquentàtoutjamais…C’était

unmatind’été,jemerendaisàlaboutiqueetqu’ellenefutmasurprisedevoirsaphotodanslavitrinedel’agenceimmobilièredeM.Ryan,cellequifaitlecoindelarueHilton.Jesignairapidementlebaildelocationet,plusieursjoursplustard,nousdéménagionsdanslamaisondelaplage,luiconfié-je,émue,unsourireaucoindeslèvres.

—Ettul’asachetéequelquesmoisplustard…Tuétaissiheureuse,maman.Connaissais-tulafamilleàquiappartenaitcettemaisonàl’époque?Moncœurvientdemanquerunbattement!Amysentimmédiatementmonmalaiseetreprendenmesouriant:—Jesaisquec’étaitunevieillebâtisseetquel’ancienpropriétairel’avaitcomplètementretapée.Il

avaitungoûtparfait,tunetrouvespas?demande-t-elleenfronçantlessourcils.Ma fille neme quitte pas des yeux. C’est bienma veine de devoir parler de l’historique de cette

maison,commesimoncœurpouvaitlesupporter...Quedire?Toutcequejesais,c’estqueMatthewlarevendit à une société d’investissements quelques années après avoir quitté Port Clyde. Je tente dereprendreunairdésintéresséetluiréponds:

— Oui… Elle appartenait à… une famille... Tout cela pour te dire que j’ai toujours adorél’architecturedelamaisonetlavuequ’elleoffresurl’océanestjustemagnifique,ajouté-jesimplement,sanstropvouloirendire.

—Jevois…,lâche-t-elle,perplexe.—Jevoulais t’offrirunevieagréableetsereine…Cettemaisonétait l’endroit idéalpourdémarrer

unenouvellevie.—Etj’yaiétéheureuse.Tueslameilleuremamandumondeetjeneteremercieraijamaisassezpour

toutlebonheuretl’amourdonttum’ascomblée.—N’est-cepas ledevoird’unemèrededonner tout sonamourà sonenfant?demandé-je, lavoix

chargéed’émotion.—Tu sais tout commemoique cen’est pas toujours le cas…,me rappelle-t-elle, sansvouloirme

blesser,enfaisantallusionàmatristeenfance.—Parfois,laviepeutnoussemblerinjuste…Maisnousdevonsgarderespoiretallerdel’avant,quoi

qu’ilnousencoûte.Tiens,commentvontlesenfants?changé-jerapidementdeconversationenessuyantleslarmesquiperlentàmesyeux.

Elleattrapesontéléphonedanssavesteetmemontrelaphotodesjumeauxprèsdubacàsablequisetrouvedansmaroseraie.

—MonDieu!Commeilssontmignons…Maisc’est…?—Un château de sable. Pardon, un château de princesse pour grand-mère Hope, rectifie-t-elle en

riant.

—Ehbien,ilestréussi,dis-jeenriantdeboncœuravecmafille.— Tu es si belle… J’adore ton sourire et j’aurais tant aimé le voir fleurir plus souvent sur ton

visage…Oui,j’auraisaimétesavoirplusheureuse,maman.—Jel’aiété,larassuré-jed’unevoixtremblante.Maisqueluiarrive-t-il?Le visage sombré d’une immense tristesse,Amy range son portable dans sa poche, puis se lève et

marchejusqu’àlafenêtredonnantsurl’entréedel’hôpital.Ellem’atoutl’airperduedanssespensées…Jesensbienquequelquechoselatracasse,maisquoi?

—Amy,dis-moicequinevapas,demandé-jed’untoninquietenmeredressantsurmonlit.Amy?insisté-je,encore.

Ellesecouedoucementlatêteetsetourneversmoi,leslarmesauxyeux.—Pourquoipleures-tu,machérie?—Commetu lesais, jesuisalléeà lamaisondelaplage…J’avaisbesoind’égayercettechambre

afinquetut’ysentesunpeumieux,commence-t-elleenregardantautourd’elle.Jepensaisquequelquesobjetspourraientterendrelesourire…

—Et...?Jecontinuetoujourssanscomprendrepourquoiellepleure.Elles’avancedequelquespasversmon

lit,puissebaisseetrécupèrecequ’elleavaitdéposésurlesolenentrantdansmachambre.Oh,monDieu!—Non!m’exclamé-jeenjoignantmesmainssurmabouche.Jesecouelatêtenerveusement,maisAmys’approcheenpleurs.Jelèvelamainpourleluiinterdire:—Jeneveuxpaslavoir!—Maman,j’aibesoindesavoirlavérité,besoindecomprendrecequit’estarrivé…Etpourquelles

raisonsiln’estpasàtescôtés,aujourd’hui,dit-elled’unevoixdésespérée.Aurait-elle…?Non,c’estimpossible!—Iln’yarienàcomprendre,Amy!Ilm’amentietabandonnée!m’écrié-je,apeurée.—Ilt’aimaittellement…,insiste-t-elleenposantlaboîtesurlelit.Ellel’ouvredélicatement,puissèchedureversdelamainseslarmesquinecessentderuisselersur

sonvisage. Je tentede retrouvermoncalme,mais la simplevuedecettepartiedemaviemebrise lecœur. Elle en sort mon manuscrit, ce qui m’arrache un frisson d’effroi. Il m’est insupportable dereplongerdanscettehistoire…

Amys’assoitprèsdemoietmetendmoncahierauxtonsdorés,celui-làmêmequirecèlecettepartiedemaviequejeconserveprécieusementauplusprofonddemoncœur.

—Maman,j’ailulapremièrepartiedeMyDestiny,ettonhistoirem’abouleversée…Jeveuxsavoircequis’estpasséaprès,maisc’estàtoidemeleraconter,dit-elleenmetendantmonmanuscrit.

Jel’attraped’unemaintremblanteetleserretendrementcontremoncœur.

—Amy,tun’auraispasdûapportermaboîte,etencoremoinsMyDestiny…—Toutcela faitpartiede toi,de tonhistoire…Tunepeuxpas fairecommesi rienn’avait existé,

maman.Jecontemplemoncahieravecamourenlisantàvoixbasse:—MyDestiny…PortClyde,1975…HopeObrien…Mafilleattrapelaboîteaurubanroseetlaplacesoigneusementdevantmoi.Jeposemonmanuscrit

surlelitetglissemamainàl’intérieur.—Celafaitdesannéesquejenel’aipasouverte…Desannéesquejenemesuispasreplongéedans

mesécritsde l’époque…Parfois, jemedemandesi jen’aipas rêvé, luiavoué-jeen riantdoucement.Matthewétaitquelqu’und’exceptionnelcommeilenexistepeuencemonde,maisilm’aaussibrisélecœur…

—Maman,jen’ailuquelapremièrepartieet,jusque-là,vousavezeutorttouslesdeux,dit-elleencaressantaffectueusementmonvisage.

—Oui,jen’aipastoujoursfaitlesbonschoix…—Etluinonplus,merappelle-t-elleavecconviction.Soudain,onfrappeàlaporte.Moninfirmièreentreetnousinterrompt:—Amy,jesuisdésolée,maisvotremèredoitsereposeràprésent.—Jevaisbien,nevousinquiétezpas,larassuré-jetoutenrangeantmonmanuscritdanssaboîte.L’infirmièreprendmesconstantesensecouantlatête,l’airinquiet.—Votretensionn’estpasbonneetvousêtespâlecommeunlinge,Hope.Vousdevezvousreposer!

Ordredumédecin!meréprimande-t-elleenposantlespoingssurseshanches.—Àquoi bonme reposer ! râlé-je enm’allongeant. Je devrais être dehors à profiter desderniers

instantsquimerestent.Aulieudecela,jesuisenferméeicicommeunanimalencage!—Vous en parlerez avec lemédecin demain,mais pour lemoment, vous devez vous reposer !me

gronde-t-ellesuruntonsansappel.Jecroiselesbraspourmarquermonmécontentement.Amyselève,sepencheau-dessusdemoietme

déposeunbaisersurlefront:— Je reviendrai demain, maman. En attendant, j’aimerais que tu réfléchisses à tout cela. Tu veux

bien?J’acquiesce de la tête en lui souriant. Elle quitte ma chambre, accompagnée de l’infirmière, me

laissantseulefaceauxfantômesdemonpassé.

Penséesdusoir:

Mevoilààécriremespenséesdusoir,commeilyadesannées…Ilestvraiquej’aicontinuéàle

faire,maispassurunboutdepapierquifileraittoutdroitdansmaboîteàsecrets.Celamerappelletantdemerveilleuxsouvenirs,douloureuxpourcertains,magiquespourd’autres.Aujourd’hui,lorsquejepenseàlui,moncœurs’emballe,lespapillonss’envolentencoreaucreux

demonventre,maisilssontprisaupiègecommejelesuisdepuisdesannées…Jeressenstoujourslemêmeamourici,ancréaufinfonddemonêtre…J’auraispuluipardonnerdem’avoirabandonnée,s’il m’avait exposé la raison pour laquelle il l’a fait. J’aurais pu l’attendre s’il me l’avait toutsimplementdemandé…Combiendechancesavons-nousderencontrernotreâmesœur?Combiendechancesavons-nousdecroiserinlassablementl’amourdenotrevie?Notredestinéenousalâchementabandonnés,etjamaisplusjenereverraisonsijolisourire…Jamaisplusjen’entendraisavoixmemurmurercombienilm’aime…Jamaisplus,noscœursnebattrontàl’unisson…Jemesenssiconfuse,cesoir.Jepense toujoursà lui,mais jerefusedemereplongerdans toute

cette histoire. Son souvenir ne m’a jamais quittée... Relire mon manuscrit va être terriblementdouloureux,maisjeledoisàmafille.Sicen’estpasmoiquileluidis,quilefera?Jenesaispascequ’ilestdevenu,et j’ai tantdequestionssansréponses.J’aimeraiscomprendre, savoircequi s’estpassécettenuit-là…M’a-t-ilréellementaimée?Bonnenuit,Matthew…Oùquetusois…Jepenseencoreàtoi…

-4-

PortClydeSamedi16mai201519h17

Amy

Me voilà devant chezmoi… Je suis complètement perdue. La confusion règne enmoi depuismondépartdel’hôpital.Jemesenscoupabled’avoirapportélaboîteaurubanroseàmamère.Àprésent,ellese retrouve seule à ruminer ses souvenirs.Mais une forceque je nem’expliquepasme conforte dansl’idéequec’était lameilleurechoseàfaire.Peut-êtrequ’unjour, jecomprendrai lesraisonsquim’ontpousséeàlefaire…Siseulementjesavaisoùilsetrouve…Siseulementj’avaislachancedediscuterquelquesminutesavecluiafind’apporterdesréponsesà…Hope.

Jetournelapoignéeetentrechezmoi.—Maman!s’exclamentàl’unissonlesjumeauxenmevoyantpasserlepasdelaporte.Ilscourentaussitôtversmoi.Jem’accroupisafindelesserrerdetoutesmesforcesdansmesbras.—Mesamours…J’aibesoind’ungroscâlin,leursoufflé-je,leslarmesauxyeux.—Tunousasmanqué,maman!s’exclameSamantha.Kevin nous rejoint, un chiffon à la main et un tablier autour de la taille. Il me sourit et me fait

discrètement signe de sécher mes larmes, ce que je fais immédiatement afin de ne pas inquiéter nosenfants.

—Dylan,tuveuxbienmettrelatable?Ettoi,Samantha,jecomptesurtoipourl’aider,leurdemande-t-iltoutens’approchantdemoi.

—Toutdesuite,papa!s’enthousiasmenotrefilsengalopantverslacuisine,suividesasœur.—Essayezdeneriencasser!lancé-jeenriant.Unpeujeunespours’occuperdeça,non?demandé-

je,amusée,àmonmaritoutenmerelevantetenposantmonsacsurlaconsoledel’entrée.—Maisnon,çalesoccupe.Etpuis,tuasbesoind’unénormecâlindetonmariadoré,n’est-cepas?Kevinglissesesmainsautourdematailleetm’enlacetoutenmeserrantcontrelui.—Est-cequetoutvabien?Depuisladécouvertedumanuscritdetamère,tum’asl’airperturbéeet

celam’inquiète.Les enfants viennent jeter un coup d’œil discret, percevant certainement la tension qui règne dans

l’entrée. Je leur souris tendrementafinqu’ilsne remarquentpasma tristesse,puis ils repartentvers lacuisine.

—Perturbée,c’estlecasdeledire…Jesuiscomplètementbouleverséedepuisquej’airemislaboîteàmaman,luiconfié-jeenleserrantplusfortcontremoi.

—Jeteproposequelquechose…,dit-ilenreculantsonvisagepourcaptermonregardmalheureux.—Jet’écoute.— Nous allons dîner et coucher les enfants. Ensuite, je nous ferai couler un bon bain chaud, me

suggère-t-ilenprenantmonvisageencoupe.—C’estuneexcellenteidée,réponds-jeendéposantunbaisersurseslèvres.—Allez,viens,dit-il.Ilpassesonbrasautourdemonépauleetm’entraînevers lacuisineoùnosenfantss’empressentde

mettrelatable.—Tuvois?Lavaisselleestentière!mefait-ilremarquerenriant.—Oui,jevoisça,constaté-jeenéclatantderire.

Aprèsdîner,noussommesmontésborderlesjumeauxetavonseuunediscussionaveceuxàproposdeleurgrand-mère. Ils souhaitent aller lui rendrevisite, et j’aidû leurexpliquerqu’ilsn’étaient,pour lemoment,pasautorisésàlavoir.Malgréleurinsistance,ilsontfiniparcomprendre,maislatristessequitransparaissaitdeleursyeuxnousafendulecœur.

—Tusaisquetun’auraspaslechoix,merappelleKevintoutenprenantplacederrièremoidanslabaignoire.

Jem’allongecontresontorseenattrapantsesmainsafinqu’ilmeserredanssesbras.—Jeneveuxpaslesvoirdanscethôpital.Dumoins,paspourlemoment.—Malheureusement,sitamèredoitresterlà-bas…—Jen’auraipaslechoix…,lecoupé-jeaussitôt.Jedevrailesyemmenerpouruntoutdernieradieuà

leurgrand-mère…—QuepenseleDrRossd’unéventuelretouràlamaisondelaplage?— Que ce n’est pas une bonne idée, compte tenu de son état précaire, réponds-je en secouant

doucementlatête.—Maistusaistoutcommemoiquecen’estpaslesouhaitdetamère…—Jelesaisparfaitement,Kevin…Jeneveuxpasqu’ellenousquitte,dis-jeenéclatantensanglots

entremesmains.

—Là,monamour…Tudoisaccepterunebonnefoispourtoutesquetamère…—Vamourir!prononcé-jeenfincemotquim’arrachelecœur.Mamanvamourir,Kevin!—Oh,monamour…Monmarim’agrippecontrelui,etjelaisseenfinexplosermonchagrinaucreuxdesesbras.Noussommesrestéslàdelonguesminutes,enlacésl’uncontrel’autre,jusqu’àcequel’eausoitfroide,

jusqu’à ce que mes larmes se tarissent. Je sais que je dois accepter de lui dire adieu et la laissers’envoler,maisjesaisaussiquejenelareverraiplusjamais…

PortClydeDimanche17mai201509h17

Leréveilm’asembléunevéritabletorture,cematin.Jen’avaisaucuneenviedemeleveret,enmêmetemps, j’étaisexcitéeà l’idéed’aller rejoindremamèreà l’hôpital.Maintenantque jeme trouvedansl’ascenseurquimèneàsonétage, lecourageque j’avaiscematina totalementdisparu.Comments’estpasséesanuit?Commenta-t-elleréagiendécouvrantlecontenudesaboîte?

—MonDieu,donnez-moilaforced’affrontercettenouvellejournée,prié-je,enposantuninstantmatêtecontrelaparoivitréedel’ascenseur.

Mon téléphone me sort de mes pensées lorsque la sonnerie retentit dans mon sac. Je le sorsimmédiatementetréponds:

—TanteEmma!—Amy,mapuce.Àquelleheurevas-turendrevisiteàtamère,aujourd’hui?medemande-t-elleen

composantlecodedemaboutiquequejereconnais.—Tuesaumagasin?Undimanche?—Oui,jenesavaispassituviendraisetjemesuispermisedevenir.Hier,jen’aipaseuletempsde

mettreenvitrineleservicedeporcelainequiestarrivédeParis.—Jet’ensuisreconnaissante.Jen’aipasvraimentlatêteàçapourlemoment,luiconfié-jeensortant

del’ascenseuretensaluantl’infirmièreaucomptoir.—Bien, alorsne t’inquiètepas...Aujourd’hui, jem’occupede laboutique. J’espère seulementque

Hopevabien…,s’inquiète-t-elle.—Comptetenudesévénementsd’hieretdelaréapparitiondesaboîte,ehbien…Jet’avouequeje

suisangoisséeàl’idéedelavoir,dis-jetoutenprogressantlentementdanslecouloir.J’ail’impressiondemarcheràreculons…—Jenevoudraispastesemblersévère,maistun’auraisjamaisdûapporterMyDestinyà tamère.

C’estlepirequ’ilpouvaitluiarriver.Enfinlepireestdéjàfait,soupire-t-elle,désespérée.

Je serre les dents afin de ne pasm’emporter contrema tante.D’un certain côté, elle a entièrementraison,maisd’unautre,jerestepersuadéequej’aifaitlebonchoix…

—Amy?Je me tourne vers cette voix que je crois reconnaître. J’aperçois Kate, la jeune femme enceinte

rencontréedanslehalldesurgences,danslachambrevoisinedemamère.Ellesetientaupieddulitdesonfiancé,Anthony.Jeluisourisenluiadressantunsignedelatête,maiselleagiteaussitôtlamainpourm’inviteràlesrejoindre.

—TanteEmma,jedoistelaisser.—Bien,mapuce.Onsetientaucourantdel’étatdetamèredanslajournée,c’estd’accord?Surtout,

nemelaissepassansnouvellesdeHope!s’exclame-t-elled’unevoixgravemêléed’inquiétude.—C’estpromis,larassuré-je.Jeraccrocheetrangemonportabledansmonsactoutenentrantdanslachambred’Anthony.Katese

lèveimmédiatementpourm’accueillir.—Amy,commentallez-vous?medemande-t-elleenmeprenantdanssesbras,cequim’étonnedela

partd’uneparfaiteinconnue.Nousavonsàpeineéchangéquelquesmotshiermatin,maissonétreinte,jedoisl’avouer,mefaitun

bienfou.Cetteconversationavecmatantem’achambouléeauplushautpoint.— Mais que faites-vous ici ? Comment va votre fiancé ? demandé-je sans comprendre, en les

dévisageanttouslesdeux.—Bien,dit-elled’unevoixrassurante,enbalayantl’airdelamain.C’estuncostaud,monAnthony,

ajoute-t-elleenriant.—Bonjour!mesalue-t-ild’unsignedetête,unsourireamuséaucoindeslèvres.Amy,c’estça?J’acquiesceenluisouriant.—Ilsontpréférémegarderenobservationétantdonnélevilaincoupàlatêtequej’aireçu.Lebras,

lui,estdansunmagnifiqueplâtre,dit-ilenmelemontrant.Jeposemamainsurmeslèvrestantlesdessinsetpetitsmotsd’amourgriffonnésdessusmedonnent

enviederire.—Ouais,pasterrible,hein?grimace-t-ilenjetantunregardagacéàsafiancéequicroiselesbras.—Jevoulaisapporterunpeudecouleuretd’amouràtonplâtre,voilàtout!peste-t-elleentournant

légèrementlatêtepourmasquersonmécontentement.Nousnousregardonstouslestroisquelquesinstantsetéclatonsderire.—Jeprésumequevousallezrendrevisiteàvotremaman?demandeKatequiserassoitaupieddulit,

unemainposéesursonventre.—Oui,ellesetrouvedanslachambrevoisine.—Jesuisdésolépourvotremère,Amy,meditAnthonyd’unevoixcompatissante.—Jevousremercie…

—Asseyez-vousdoncquelquesinstants,m’inviteKateenmemontrantlefauteuilprèsdulit.J’accepteetprendsplaceauprèsd’eux.Nousfaisonsplusampleconnaissanceetlecourantpassetrès

bien.Cejeunecoupled’amoureuxn’apassuivilestraditions,augranddamdelamèredeKatequivoitsa relationd’un trèsmauvaisœil.Sagrossesseavant leurmariageest tombéecomme l’annonced’uneguerremondialeauseindeleurfamille.Maisétantdonnélecaractèreexplosifdelafuturemaman,rienn’yfit.Elleaccoucherabientôtdeleurpetitefille,et ilssemarierontl’étéprochain.Ilssontadorablestouslesdeux.Kateestbourréed’humouretAnthonyestfouamoureuxd’elle.Cemomentpasséaveceuxmechangeles idéesetmepermetd’évacuerpeuàpeul’angoisseet la tensionquis’étaientnichéesenmoi.

— Je suis heureuse d’avoir passé du temps avec vous deux,mais je dois vous laisser, leur fais-jesavoirenme levant.Bonrétablissement,Anthony.Jevoussouhaiteunbonretourchezvoussinousnenousrevoyonspasd’icilà.

Katemecoupeaussitôtenselevant:— Nous pourrions dîner tous ensemble lorsqu’Anthony se sentira mieux, propose-t-elle, en nous

regardanttoutàtour.—Surtoutlorsquejen’auraipluscevilainplâtre!lance-t-ilenéclatantderire.—Trèsdrôle!leréprimande-t-elleenluitirantlalangue.—Avecplaisir,Kate.Jevouslaissemacarte,dis-jeenouvrantmonsac.—Pasdeçaentrenous!Onsetutoie,d’accord?—Pourquoipas?!réponds-jeenluitendantmacartedevisite.—Maboîteàsouvenirs…AmyObrienHarington,dit-elleenlisantlenomsurlacarte.Tutiensune

boutiqued’antiquitésurPortClyde?demande-t-elle,raviedel’apprendre.—Oui,elleétaitàmafamillelorsquejen’étaisencorequ’unetoutepetitefille,luiréponds-jeavec

émotion.Mes tantesetmamèreme l’ont confiée, ilyadesannéesquandcelle-ci a fait carrièredansl’écriture.

—Maisattends,tamamanc’estdonc…?—HopeObrien,laromancière,confirmé-je,toutefière.—Wouahhh!J’adoreseslivres!—Ouais,maisledernierneverrajamaislejour…,laissé-jetomberd’unevoixdésespéréeententant

deréfrénermeslarmes.Jerefusedem’effondrerdanscethôpital.Simamèreremarquequej’aipleuré,ellerisquedesesentir

fautiveetunvéritablefardeau,commeellemelerépètesisouventdepuiscestroisdernièressemaines.Kates’approchedemoietdéposeunbaisersurmajoueenmesoufflantavectendresse:

—Courageavectamaman,Amy.Profitedechaqueinstantquelaviet’offreencoreauprèsd’elle.—Merci,Kate.Àbientôt ! lancé-je en quittant rapidement la chambre, avant que l’émotionneme

gagnetouteentière.

Jemarche jusqu’à laporte215et appuie sur lapoignée.D’unemain tremblante, j’ouvreetpénètredanssachambre,lecœurbattant,etl’angoisseauventre.Mamèrenemevoitmêmepasentrertantelleest encoreperduedans ses pensées, les yeux rivés vers le ciel. Elle tient un iPod à lamain et a desécouteursdanslesoreilles.Tiens?Maisoùa-t-elledoncbienpudénichercetruc-là?Unefeuilledepapier,pliéeenquatre,attiremonattention.Elleestposéesurlechevetprèsduvasede

roses.Aurait-ellereprisl’écrituredesespenséesdusoir?Àprésent,c’estunsourirenaissant,maistimidequejeremarquesurseslèvres,puisdeslarmesqui

roulentlentementsursonvisage.Ellem’atoutl’airplongéedanscemondequin’appartientqu’àelle…Aujourd’hui,jesaisquecelui-ciaétépartagéavecsonamourdetoujours,Matthew…

-5-

KatharineMcphee-MyDestiny

PortClydeDimanche17mai201510h07

Hope

Jemesouviensdecematin-là…Matthewm’attendaitaveccesourire«stupide»colléauxcoinsdeslèvres.Ilmeproposaalorsdedanseraveclui.Lamusiquenousemportadanscemondequin’appartenaitqu’ànous,etoùpersonned’autren’avaitsaplace…Jepeuxencoresentirsesmainsmecaresseretsesbrasmeserrertoutcontreluitantcetinstantfutfort.Ladouleuretlevidequ’ontlaisséssonabsencenem’ontjamaisquittée,mêmeaprèssestrentedernièresannées.Lorsquejefermelesyeux,jevoisencorel’affectiondesonsourire…Dieu,quemaviemesemblavide,malgrélaprésencedesmiens…L’amournequittajamaismoncœur,monesprit,nimêmemonâme.Jesuisrestéelamêmejeunefillededix-neufans au fond de moi. J’ai l’impression que c’était hier que mon regard croisait le sien pour la toutepremièrefoisauLily’sCoffee.Jemesuissouventposéecettequestion:sij’avaistoutplaqué,sij’avaistrouvélecouragedem’enfuirloindecetteéglise,aurais-jeétéheureuseaveclui?Bienentendu!Jenevois pas comment il aurait pu en être autrement…Dumoins, c’est ce quemon cœur s’entête à croireenversetcontretout.

Allongée surmon lit d’hôpital, dans cette chambre sans vie, sans couleur et sans l’océan pourmepermettredem’évader, jemedemandes’ilest toujoursenvie…Si telest lecas,pense-t-il toujoursàmoi?M’a-t-iloubliédanslesbrasdeBrooke?Jen’aijamaisoséfairedesrecherchespourleretrouver.S’il avait voulume revoir, je suis certaine qu’ilm’aurait rejointe ici, à Port Clyde. C’est pour cetteraisonquejen’aijamaisvoulum’éloignerdecetteville,demessouvenirs,denous…Celam’auraitétéinsupportable.

—Dieuquemamaisonmemanque,notremaison…Lesyeuxplongésdanslecielbleu,jemedemandecequedeviendrontlesmiensaprèsmadisparition.

Combiendetempsmereste-t-ilencore?Vais-jepasserlepeudetempsqu’ilmereste,cloîtréedanscettechambre?Je refusede terminermes jours ici,danscetendroit si impersonnelet si froid.Bienque lepersonnel soignant soitauxpetits soinsavec la fameuseet talentueuse«HopeObrien»,comme ils seplaisent àm’appeler, jeneveuxpasm’éteindre entre cesquatremurs. J’ai eubeaucoupde chancedem’épanouirdans l’écritureetd’enavoir faitmonmétier,mais je suis restée lamême. Je suis toujourscettepetiteHope fragile, sensible, et seule… terriblement seule.Onne se remet jamaisd’uneenfanceentachéedecrisetd’insultes.Onneseremetjamaisnonplusd’unmariageviolent…Tomasaccagémavieetcelled’Amy…J’espèrequelàoùilsetrouve,ilauraputrouverlapaixetlepardon.

QuantàMatthew,c’estavecunregretinfiniquejevaisquittermonhavredepaix,sansjamaisl’avoirrevu…

—Oh,Matthew…Est-celemanquedenousquialimentetoutcetamourquibrûledepuissilongtempsaufinfonddemonêtre?susurré-jeenserrantmabagueauxdouzechapitresdansmamain.

Jesaisquetum’aimes,jelesens…Etjet’attendsencore,mêmeaprèstoutescesannées.Maflammeestencoreallumée,ellecrépitedansmoncœur.Danstesyeux,jevoyaismonmondes’éclairer,mavie,mes certitudes…Jen’ai pas su te dire combien je t’aimais, combien tu comptais pourmoi. Jene t’aijamaiseffacédematête…Commentaurai-jepu,d’ailleurs?

—Maman?Mince!—Amy?chuchoté-jed’unevoixtremblanteencoreenpriseàmessouvenirsetàmesémotions.Elleme rejoint, s’assoit près demoi sur le lit et attrape un demes écouteurs qu’elle porte à son

oreille.PuisellebaisselégèrementlatêteenlasecouantdoucementtoutenécoutantFallin'InLovedeHamiltonJoeFrank&Reynolds.

—Mapetitemaman…,soupire-t-elle,leslarmesauxyeux.J’aimeraislaréconforter,maisjesuisincapabledeprononcerquoiquecesoit.Notreconversationva

fatalementnousmeneràlaboîteaurubanrose,etdoncàMyDestiny…—Tutenourristoujoursdecetteépoqueoùilfaisaitencorepartiedetavie,n’est-cepas?Jamaistu

n’as pu en aimer un autre, maman, comprend-elle en regardant avec perplexité l’iPod que je tiensfermementdansmamain,commesij’étaisaccrochéeàunebouéedesauvetage.

Puiselleremarquelabagueauxdouzechapitresquejeserredansl’autre.—Commentaurais-jepurefairemavie…?réussis-jeenfinàarticulertoutenplongeantmonregard

peinédanslesien.—Jecomprends,maman…Quit’aapportéça?demande-t-elleenfaisantunsignedetêteversl’iPod.Jerisdoucementenhaussantlesépaulestantj’ail’impressiond’êtreunegaminedequinzeansquiva

sefaireréprimander.—Hiersoir,lorsquetuespartie,ehbien…J’aifaitpartàmoninfirmièredemonenviederéécouter

deschansonsdel’époque…

—Ettuasmisçasurlecomptedelanostalgiedetesvingtans,n’est-cepas?dit-elleenéclatantderire, mais elle reprend immédiatement une allure neutre devant mon air offusqué. Pardon, maman…Continue,jet’écoute,ajoute-t-elleencroisantlesbrasetentapantdupiedsurlesolaurythmelachansonLetsSayTogetherdesAlGreen,cequim’arracheunsourireamusé.

—Aprèsluiavoirminutieusementdresséunelistedestitresquej’adorais,moninfirmièreestrentréechezelleaveclapromessedereveniravecunappareilmagiquequimereplongeraitdanslesannées70.Etcematin,commepromis,ellem’aapportél’iPod,m’expliqué-jed’unevoixenjouée.

—Hum…Ilmesembleavoirentenducettechansonquelquepart,non?dit-elleen faisantminederéfléchir.

—Tusaisparfaitementquej’aimetoutesceschansonsdel’époque!Arrêted’essayerdemetirerlesversdunez!rouspété-jegentiment.

—Quinetenteàrienn’arien,lance-t-elleencaressantmajouedureversdelamain.Elleinspireprofondémenttoutencherchantdesonregardscrutateurquelquechoseautourd’elle.—Elleestsouslelit,lâché-jeenlevantlesyeuxauciel.— Tiens donc ! Et pourquoi ça ? demande-t-elle en se relevant et s’accroupissant au sol pour la

récupérer.—Elleatoujoursétésousmonlit…Amyseredresseaveclaboîteentrelesmainsetmelatendenhaussantunsourcildéterminé.—Tunelâcherasrien,hein?demandé-jeengrimaçantdevantsonairdécidé.—Tumeconnais,lorsquej’aiuneidéedanslatête,riennepeutmefairechangerd’avis,merappelle-

t-elleenm’adressantunclind’œilcomplice.Résignée,jeposemabaguesurlelitetl’iPod.J’attrapelaboîteetl’ouvretoutenlançantunregard

désespéréàmafille,espérantqu’elleprennepitiédemoietabandonnel’idéefolledemevoirreplongerdansMyDestiny.

—Nemefaispastesyeuxdechienbattu,çaneprendpas,mefait-elleremarquerenriant.Maisellereprendtoutdesuitesonairsérieuxetajoute:—Lemanuscrit,maman !Allez,MlleObrien ! glousse-t-elle en pointant du doigt l’intérieure de la

boîte.JesorsMyDestinyengrimaçantdeplusbelle,etlecœurbattantlachamadedansmapoitrine.Jele

caresseduboutdesdoigtsenlisantlentementletitre:—MyDestiny…Enlisantcesquelquesmots…jepeuxlesentirlà,toutcontremapeau…commeunfantômerevenude

l’au-delà…Amy prend place auprès de moi, contre la tête de lit, en ajustant mon oreiller afin que je sois

confortablementinstallée.Ensuiteelleouvremonmanuscritettournelespagesjusqu’àladeuxièmepartiedecelui-ci…

—Jeveuxsavoircequis’estpasséaprèstonmariageavecTom…Jeveuxégalementsavoirsitul’asrevu,maman…Maissurtout,j’aibesoindeconnaîtretoutelavérité,medit-elleenattrapantmabagueetenmelatendant.

Jelaglisselentementàmondoigtenluisouriantamoureusementetreprendslalecturedemonhistoire,notrehistoire…

Deuxièmepartie

-I-

TheCommodores–ThreeTimesALady

PortClydeMercredi7mai198009h15

Plusdecinqanssesontécoulésdepuisladernièrefoisoùj’aicroisésonregard.Chaquefoisquejefermelesyeux,jejureraissentirsesmainsglissersurmapeauetentendresavoixrésonnerdansmatête,mais lorsqueje lesouvre, iln’estplus là…Aujourd’huiencore, ilvità travers lesourired’uncoupled’amoureuxsebaladantmaindanslamainsurlaplage,oudanslerired’unenfantàlasortiedel’école,etmêmeparfoisdansmonregard,lorsquemonrefletmerenvoiecetteterribleréalitéauvisage:j’aimetoujourscethomme,maisilnefaitpluspartiedemavie.

Leregardrivéàtraverslavitrine,jesongeàtoutcequej’aipuaccomplirdepuiscescinqdernièresannées.Cela n’a pas toujours été facile,mais chaque jour est un pas en avant vers la liberté. Je suistoujours mariée à Tom, mais, depuis mon départ du Lily’s Coffee , tout me semble plus facile. Nosdisputes se sont estompéesetnousvivonschacunnotrevie.Lui estdevenu legérantdugaraged’Éricdepuisquecelui-ciaprissaretraite.Nousnefaisonsquenouscroiseretcelameconvientparfaitement.Jepensequ’il doit avoir des aventures, vuque jene suisplus sonobsessiondumoment. Il lui arrivemêmedenepasrentrerdelanuit.

—Jetravaillepoursubvenirauxbesoinsdenotrefamille,Hope!hurle-t-ilaprèsmoichaquefoisquejeluienfaislaremarque.

J’aimeraisluidirelefonddemapenséeet toutenvoyervalser,maisenépousesoumise,jemetais.Quelquefois,jemeperdsencoredanssesbras.Lemanquepeut-être?Certainementunbesoinphysique,allezsavoir…

Quelquesjoursaprèsnotremariage,onm’arapportéqueMatthewavaitquittélavilleetlamaisondela plage. À présent la voilà vidée de sa douce présence. Il s’est installé à Portland où il a pris ladirectiond’unedesagencesbancairesdesonpère.Enfindecompte,savoieàluiaussiétaittoutetracée.Jemesenssicoupable…Peut-êtreserait-ilrestéàPortClydesileschosesn’avaientpasétéaussiloin

entrenous.Quedevient-il?Pense-t-iltoujoursàmoi?Est-cequejeluimanqueautantqu’ilmemanque?Moncœurluiappartientencore.Maviesemeurtdenepouvoirs’uniràlasienne.Lemanquedeses

baiserssurmapeaumebrûletantladouleurestencorevive.Puis,nosbalades,noscrisesderireetnossoiréesaucoindufeuégalement.Jeréalisequej’aitoutperdu,tout.Monami,monconfident,mamoitié,l’êtrequicomptaitlepluspourmoi.Lemanque…MonDieu,lemanqueestsidifficileàvivre…Toutmeramèneàluietjen’arrivetoujourspasaprèscinqans,àsuivremapropreroutesanslui.

Mesortantdemespensées,lamusiqueThreeTimesALadydugroupeTheCommodoresenvahitmaboutique,etlesparolesmeplongentdansl’abîmedemestendressouvenirs.—Matthew?Dis-moipourquoij’ailaterriblesensationque,danschaquechanson,quipassesur

lesondes,onmeparledetoi…?pensé-jedansmatêteembuéepartousnossouvenirs.Est-cecesentimentd’inachevéquimetorture?Nousn’avonspasétéauboutdenotrehistoire…Peut-

êtrequesinousl’avionsfait,mavisiondeschosesseraittoutautre.Quandladouleurs’arrêtera-t-elle?Quandpourrai-jeànouveaurenaîtreàlavie?J’ail’impression

demourirchaque jourcommeune fleursanseauni soleil. Jemesenssivide, si seule, sidésemparéedevantceflotd’émotionsquicontinueàmesubmergermalgrélessecondes,lesminutes,lesheures,puislesjours,lessemaines,lesmois,etlesannéesquifilentsansvouloirs’arrêter.Quandtoutcelacessera-t-il enfin ?Rendez-moimon cœur,mon âme,mavie…Rendez-moima raison de vivre, l’amour demavie…Matthew…

Jeretournelapancartequiannoncequelemagasinestouvertetrejoinslecomptoirafind’ouvrirmacaisse.J’airéalisémonrêveenouvrantmapropreboutiqued’antiquitésetmesuisassociéeàmesamiesde toujours,RoseetEmma. Jen’avaispas lesmoyensde le faire seule, et jenevoulaispasnonplusdemander aux parents deTomde financermon projet, au risque de leur être éternellement redevable.Alors les filles se sont proposées pour embarquer dans l’aventure. J’ai travaillé plusieursmois avecM.Woods,maisriendetrèsenrichissant.Enfin,uneboutiqueafermésesportesdanslecentre-villeet,leloyer étant très raisonnable, nous nous sommes lancées. Nous vendons des objets de toutes sortes,certainesavecdemagnifiqueshistoiresetd’autresdegrandevaleur,maiscequejevoulaisréellement,c’était proposer des pièces inestimables, comme la boîte à musique de cette vieille dame que jen’oublieraijamais.

Jecontinueàécriremespenséesdusoir.Ilyapeu,j’aimêmereprisl’écrituredemonhistoire,notrehistoire,surdesfeuillesdepapier.Lecahierauxtonsdorés,queMatthewm’avaitoffertpourmesvingtans,vittoujoursdanssaboîteaurubanrose.Jesuisincapabled’écrirenotrehistoireaupropre.Ilerredanssaboîte,cachéetprotégécommeunsecretquejenevoudraisgarderquepourmoi,maisavecleterriblepressentimentqu’ilneconnaîtrajamaislafinheureusequ’ilm’atantpromiseautrefois.Jeluiaitrouvéuntitrequim’asembléluicorrespondreetchaquefoisquejeleprononce,leslarmesmemontentauxyeux.Si,unjour,jemesensprêteàluidonnervie,cemanuscrits’appellera:MyDestiny.

Ilyadeuxans,lesfillesm’ontpousséeàmelancerdansl’écriture.J’aidoncproposédeuxromances

àunemaisond’éditionet,àmongrandétonnement,j’aiétépubliée.Moi,HopeObrien!Mesromanssevendent très bien etm’apportent cette sécurité financière que j’ai toujours recherchée.Aujourd’hui, jetravaille sur une série de livrespour enfants qui s’appelle :L’hirondelle des tout-petits . Je doismerendredansquelquesmoisàPortlandpoursignermoncontratdepublicationavecmanouvellemaisond’édition.J’aiégalementunagentlittéraireavecquijemesuisliéed’amitiéetquiaaussisaplacedansmabulleprotectrice.Elles’appellePageStevens,c’estunejeunetrentenairequichercheinlassablementl’amour,maisqui,finalement,netombequesurdeshommesintéressésparsonargentousonstatut.Ellefinira,elleaussi,j’ensuisconvaincue,partrouverlapersonnequiluiconvient.

LeLily’sCoffeeest toujoursouvert,mais ilestàprésentconcédéengéranceàunhomme.LilianeaquittéPortClyde pour suivre son fils aprèsmonmariage.Mais, à l’ouverture de la boutique, elle estvenuenoussouhaiterbonnechanceetjenel’aiplusjamaisrevue.JenesaispassiMatthewluiaparlédenous,mais,auvudelatristessequejelisaissursonvisage,jepensequeoui.Jesaiscombienelletenaitàmoi.Peut-êtreaurait-ellesouhaiténousvoirensemble?Tantdequestionssansréponsesquihantentmesnuits. Je les ressasse sans cesse enme rongeant de l’intérieur.M’aimait-il réellement ?Est-ce que jecomptaispourlui?M’a-t-iloubliée?Est-ilavecquelqu’un?

Voilàoùenestmavieaprèscinqans…Jevisprisonnièredesonsouvenirsanspouvoirm’endétacher.Laclochedelaporteretentitmesortantdemarêverie.EmmaetRoseentrentenriantauxéclats,ce

quim’arrache déjà un sourire de bonmatin.Voilà ce quime tient debout chaque jour :mes amies detoujoursetbienentendu,mapetiteAmy…

—MadameestencoresurlaplanèteMatthew!lanceEmmaenéclatantderire,suiviedeRosequiluitapedanslamain.

—Bandedefolles!Jenepensaisabsolumentpasàcejeunehomme,maisplutôtàvous,lescontredis-je,enlevanthautlatêtetoutenlesrejoignant.

—Ahouais?Onveuttoutsavoir!s’exclameEmmaensouriantàRose.Jem’approcheetlesattrapeparlamain.—Jemedisaissimplementquej’avaisbeaucoupdechancedevousavoirrencontrées…Vousêtesles

meilleuresamiesdumonde,etjevousaimedetoutmoncœurmêmesi,parfois,vousêtesinsupportables,gloussé-je,enadressantunclind’œilàRose.Surtouttoi,Emma.

—Ellevanousfairechialer!sanglotedéjàRoseenmeprenantdanssesbras.Emmanousentouredessiensennousdéposantdesdizainesdebaiserssurlesjoues,cequinousfait

riretouteslestrois.

10h49

Lamatinéeestpasséeàuneallurefolle.Nousavonseuàpeineletempsdenettoyerlavitrineettouslesobjetsquis’ytrouvent.EmmatermineaveclastatuettedebronzeetRoseclôturelescomptesdela

semainedernière.Moi,j’airendez-vousavecMarie,lafemmed’Henry.Elledoitm’apporteruntableau.Henrytenaitàmel’offrir,mais,finalement,iln’enaurapaseuletemps.Ilnousaquittésvendredidernieretl’enterrementauralieudemainmatin.Lanouvelledesadisparitionaétéunvéritablechoc.Ilétaitunamicheràmoncœur,àquijepouvaismeconfierlesyeuxfermés.Sesconseilsm’étaientsiprécieuxetl’affectionqu’iléprouvaitpourmoiétaitréciproque.Malheureusement,lapneumonieauraeuraisondelui…

—Tucomptesterendreàl’enterrement,Emma?luidemandé-jeenmettantdel’ordredanslavitrineducomptoir.

—Oui,maisnousdevronsfermerlaboutique,Hope,mesignale-t-elleenjetantunœilàRose.—Jeviendraiaussi…Jel’aimaisbeaucoup,nousdit-elled’unevoixpeinée.—C’étaitunepersonnecommeilyenapeudenosjours.Jesuistrèstouchéequevousveniezdemain.

Ilauraitétéheureuxdesavoirquetantdepersonnesl’aimaientetlerespectaient.Laclocheretentit,interrompantnotreconversation.Impossible!LilianeColeentreets’avanceversnous,unsourirecontenuauxlèvres.—Bonjour,lesfilles!Ehbien?Nerestezpasplantéeslààmeregardercommesij’étaisunebêtede

foire!lance-t-elleennoustendantlesbras.EmmaetRoses’empressentdelarejoindre.Lilianelescomplimented’unebisechaleureuse,puisles

contempledelatêteauxpiedsens’exclamant:—Regardez-vous!Vousêtesmagnifiques,meschéries!—Merci,Liliane.Vousnousavezbeaucoupmanqué.Hope,tunevienspas?s’enthousiasmeEmmaen

mefaisantsignedelamaindevenir.Leslarmesmemontentauxyeux,et jesuis incapabledebougeroudeprononcerlamoindreparole.

Lilianeleremarqueimmédiatementetmesouritenmerejoignant.—Hope,machérie.Quesepasse-t-il?medemande-t-elle,émuedemerevoir.—Li…liane,je…Vousêteslà,maisje…—Hope…Ellemeprendavectendressedanssesbras,etleslarmesquimenaçaients’échappentsurmesjoues.—Jesuissiheureusedeterevoir.Tum’asbeaucoupmanqué,dit-elled’unevoixtremblantetouten

caressantmescheveux.—Vousaussi,Liliane.Jereculeetsèchemeslarmes,depeurqu’unclientn’entreetmevoieenpleurs.—Commentallez-vous?Etquefaites-vousàPortClyde?—Henry…Noussommes làpour l’enterrementdenotrevieilami, répond-elle tristement,affectée,

elleaussi,parsadisparation.—Nous?m’écrié-jeenjoignantmesmainssurmeslèvres.

—Bradleyetmoi,Hope.Rassure-toi,MatthewestrestéàPortland.Ilrefuseobstinémentderemettreunpieddanscettevillequiétaitpourtantsichèreàsoncœur,meconfie-t-elleensecouantlatête,l’airdésemparé.

—Parmafaute,n’est-cepas?demandé-jeenrejoignantlecomptoirdecaisse,maisellemerattrapeaussitôtparlamain.

—Non,machérie.Pasàcausede toi,maisàcausedecequevouséprouvez.Etnemedispas lecontraire!Sinon,tun’auraispaseucetteréactionenmevoyant.

—Jenecomprendspas,Liliane.Dequoivoulez-vousparler?Voussavezpertinemmentquejesuismariée, aujourd’hui !m’emporté-je en tentant de retirermamain,mais elle la serre fortement dans lasiennepourm’obligeràl’écouter.

Lesfilless’approchentdenous,lesyeuxrondscommedesbilles,penduesauxlèvresdeLiliane.Voilàquemonpassémerattrape…

—Matthewnes’estjamaisréellementremisdevotre…histoire.Ilregrettetellementdenepasêtrearrivéàtemps,nousavoue-t-elleensecouantlatête.

—Attendez.Jenecomprendspas…—Ilestvenu te rejoindreà l’église,mais lesportesétaientdéjà fermées.C’était trop tard…,nous

confie-t-elle,leslarmesauxyeux.—Non,maisc’estimpossible!m’exclamé-jeenrelâchantsamain.Jetourneenrondcommeunlionencageàquil’onviendraitd’ouvrirlesportesdelaliberté.—Cejour-là, j’aieffectivemententendusavoiture tournerenville,c’estvrai.Mais iln’est jamais

venumerejoindreàl’église!—C’estpourtantcequis’estpassé!Jetelejure,Hope!insiste-t-elleenattrapantunmouchoirdans

lapochedesavesteafindesécherseslarmes.Eh,merde!—NemeditespasqueMatthews’estrenduàl’églisedePortClyde?—Surlefaire-partdemariage,ilétaitindiquéque…Attends?C’estbienlepèreBernardoquidevait

vousmarier,non?demande-t-elle,confuse,ennousregardanttouràtour.Jesecouelatêteenmemordillantnerveusementlalèvre.Lesfillesretiennentleurslarmesfaceàcette

nouvelleterrible.Ilétaitlà…Ilestvenu…—Oh,non…MonDieu,noooooon!hurlé-jeentombantàgenoux,latêteentrelesmains.Pourquoila

vieest-ellesiinjuste?Emmamerejointaussitôtetmeprenddanssesbrasensebalançantd’avantenarrière,commepour

bercerunenfant.—Là,machérie…,tente-t-elled’apaisermadouleur.— Liliane, Hope ne s’est pas mariée à Port Clyde, mais dans la paroisse du père Andrews, lui

expliqueRosed’unevoixpeinée.LepèreBernardos’étantblessé,iln’apucélébrerleurmariage.

—Vousnem’enaviezpasparlé,lesfilles?— Nous ne voulions pas remuer le couteau dans la plaie, se défend Emma en me caressant les

cheveux.Àl’époque,lesujet«mariage»étaittabou,etvouslesaveztrèsbien.Mesyeuxmebrûlentd’avoirdéjàtantpleuré.JelèveunregarddésespéréversLilianetoutenséchant

rageusementmeslarmesdureversdelamain.—Simonfilsl’apprend,ilnes’enremettrajamais…,s’inquiète-t-elleenmarchantdelongenlarge

danslaboutique.Surtoutmaintenantque…MonDieu,c’estterrible…Jesuisbouleverséeetperdue.Commentvais-jemeremettred’unepareillenouvelle?—Viens,machérie,dit-elleenmetendantsamainpourm’aideràmerelever.—Commentva-t-il?l’interrogé-jeenluisautantdanslesbras.—Ilvabien,machérie…Allez,calme-toi…,meconsole-t-elleenmeserrantdavantagecontreelle.— Je vais nous préparer un bon café. On en a drôlement besoin ! propose Emma en partant dans

l’arrière-boutiqueoùsetrouvelecoin-cuisine.

11h51

Aprèsnousêtreremisesdenosémotions,nousavonsprislecafétoutesensemble.Nousavonsdiscutéde la boutique et demes romans. Lilianem’a avoué les avoir dévorés. J’ai été très touchée et lui aipromisdeluirendrevisitelorsquejeseraiàPortland.J’avouequecelienquimelieencoreàMatthewmeperturbe, et pourtant je reste très attachée à samère.Ellem’a été d’un grand secours et réconfortlorsquej’enavaisleplusbesoin.Nousdevonsnousrevoirdemainmatinàl’églisepourl’enterrementdenotrecheretregrettéHenry.

—Hope ?m’appelle Emma en s’appuyant sur l’embrasure de la porte demon bureau. Tamère aessayédetejoindretoutàl’heure.Jesaisquetuneveuxpasquejetepassesesappels,mais…

—Jelarappellerai!—Hope.—C’estpromis…Unjourquisait.—Commetuveux…Tudéjeunesavecnouscemidi?medemande-t-elle.—Jenesaispas.J’aibesoindemettredel’ordredansmesmanuscritsetjet’avouequej’ailatête

sensdessusdessous.— Tu devrais t’octroyer un moment de calme avant la sortie de l’école, me conseille-t-elle avec

gentillesse.—Sijemeretrouveseulefaceàmesfantômes,jenedonnepascherdemasantémentale,ironisé-je,

enhaussantlesépaules.—Peut-être que tu devrais l’appeler,Hope,me suggère-t-elle en souriant.Histoire de remettre les

chosesauclairetd’avoirtouteslesréponsesàtesquestions…Tusaiscellesquit’empêchentdedormir

lanuit,balance-t-elleenmetirantlalangue.—Tun’esqu’unevilainefille!l’insulté-jegentimentenprenantplacesurmonfauteuil.—Jeneveuxquetonbien.—Jesais,Emma…Maisjen’aipasledroitderevenirdanssavie,commesiderienn’était.Iladéjà

tantsouffertparmafaute.—Tunecroispasquetuexagèresunpeulà?s’immisceRoseenentrantdansmonbureau.— Je me souviens qu’à l’époque, il avait carrément pété un câble au Lily’s Coffee. Jamais je

n’oublierai son regard… Ses yeux tristes et désespérés m’avaient fendu le cœur, leur rappelé-je enfaisanttournermachaise.

— Stop ! crie Rose en attrapant celle-ci par les accoudoirs pour l’arrêter. Regarde-moi, HopeObrien!

J’acquiesced’unsignedetêtesanslaquitterdesyeux.—Tun’yespourrien,etMatthewnonplus!Certes,vousavezdéconné,maisaucundevousdeuxn’a

voulufairedemalàl’autre.Vousvousaimiezàlafolie,etlapreuveestqu’ilatoutfaitpourannulercemariagedemalheur!

—AveccetenfoirédeTom!renchéritEmmaentapantdupied.—Tuparlesdupèredemafille!ledéfends-jeenélevantlavoix.—Ouais…Maisunenfoirétoutdemême!insisteRoseenrelâchantmachaise.Sonregardseradoucit,puisilsevoiledetristesse.Emmas’approchedenousetmedit:—TuasdéjàbeaucoupsouffertetMatthewaussi…Lavienet’accorderapeut-êtrepluslachancede

luidirecombientul’aimes.Unjour,ilreferasavieettun’aurasplusquetesjolisyeuxpourpleurer!—Ilestvenu,Hope.Ilnet’apasabandonnée,commetut’entêtaisàlecroire,ajouteRoseenhochant

latête.—Réfléchis-y,tuveux?Onseretrouvetoutàl’heure,ditEmmaensepenchantpourmedéposerun

baisersurlefront.Ellessortentdemonbureau,melaissantseuleavecmesfantômes,mespeurs,mesincertitudes…Jene

peux pas l’appeler ! Je m’interdis de replonger dans cette histoire qui nous a tant fait souffrir.Aujourd’hui,jesuismariéeàTom,etmêmes’ilnetientpassesengagements…

—Non, je ne pourrai jamais rompremes vœux demariage ! lancé-je en quittant brusquementmachaise.

J’ouvrelaportedel’armoire,derrièremonbureauetensorsmaboîteaurubanrose.—Tuesdoncvenu…Quedois-jefaire?pensé-jeàvoixhautetoutenlaserrantcontremoncœur.

-II-

PortClydeJeudi8mai198014h15

De retour à la boutique, aucune de nous n’a le cœur à travailler. La cérémonie étaitmagnifique etHenryreposeàprésentenpaix.Maries’estexcuséedenepasêtrepasséehier,maiselleapromisdevenir dans l’après-midi pour me déposer le tableau qu’Henry tenait à m’offrir. Je me suis de suiteréfugiée dansmon bureau, espérant évacuer ce quime ronge de l’intérieur par l’écriture. J’ai besoind’épanchersurunboutdepapiercequimetorture…

J’avaisalimenté l’espoirqueMatthewseraitpeut-êtredesnôtres,maispasmême ledécèsd’Henryn’a eu raison de son entêtement. Il a réellement fait une croix sur notre ville, sur moi… Jusqu’à ladernièreminute,jem’attendaisàlevoirtraverserl’égliseetvenirs’assoirprèsdessiens.Jemesenssicoupable…Jel’aifaitsouffrirenm’enallantcettenuit-là.J’auraisdûluifaireconfianceetresterauprèsdelui.Etbienquejesoispartie,ilesttoutdemêmevenumechercherafinquejenecommettepascetteconneriemonumentaled’épouserTom.Notrevieauraitpuêtresibelle,pleined’amouretdefousrires…

—Hope?m’appelleEmma.—Oui?—Marieestlà,machérie!—Cettejournéen’enfiniradoncjamais,râlé-jeàvoixbassetantjesuisdéjààfleurdepeau.Ce tableauvam’arracher des larmes etmevider des dernières forces qu’ilme reste. Je sais qu’il

tenaitàmel’offrirpersonnellement,etsadisparitionm’aterriblementaffectée.Jesorsdemonbureauetlesrejoins.—Hope,madouce,jesuisdésoléedetedérangerpendantquetuécris…—Non,Marie.Toutvabien,nevousinquiétezpas.—Tu as les traits si tirés sur ton si joli visage…On pourrait presque y lire toute la tristesse du

monde,remarque-t-elleavecbeaucoupdepeine.—Jesuisjustefatiguéeetencoresouslecoupdel’émotion,luiavoué-jeensouriantfaiblement.— Voilà le tableau qu’Henry tenait à t’offrir, dit-elle en me le tendant. Je ne sais pas ce qu’il

représente,maisilyamistoutsoncœurafinquetul’aiesàtemps.J’attrape lepaquet, soigneusement emballé, et leposedélicatement à côtéde la caisse. Je retire le

papierquileprotègeetletourneversmoi.—Oh!MonDieu!Henry,non…Vousn’auriezjamaisdûpeindrecetableau…,sangloté-je,enposant

mesmainssurlecomptoirpourmemaintenirdebout.Jebaisselatêteenlasecouantdanstouslessens,pourenévacuertouslessouvenirsetlesimagesqui

m’assaillent.EmmaetRosecontournentimmédiatementlacaissepourjeterunœilàcelui-ci.Ellesrestentsansvoix

toutencaressantmondospourmeconsoler.—Hope,jesuisnavrée…Sij’avaissuquecelatefendraitlecœur,jenetel’auraispasapporté…—Non,Marie,larassuré-jeaussitôtenmeredressantetensecouantlamainpourluiindiquerquetout

vabien.Jesuisjusteencoresouslecoupdel’émotion,ajouté-jeenséchantmeslarmes.Henryétaitunpeintreextraordinaireetilavaitledondenoustoucherenpleincœur.Chaquepeinturenousracontaitunehistoire,etcelle-cimetouchetoutparticulièrement.

Jeposedesyeuxattendrissurletableauensouriantaffectueusement,puislefrôleduboutdesdoigtsensuivantchaquetraitduvisagedeMatthew.

— Je me souviens de ce moment près du phare, comme si c’était hier…Matthew était venu mechercherauLily’sCoffee…Ilfaisaituntempsmagnifiqueetnousavionsdécidéd’allernousbaladersurlepont.Noussommesrestéslààdiscuterpendantdesheures.Nousavonsri,et…

Embarrassée,jelèvedesyeuxintimidésversMarieetlesfillesetpoursuis:—…ànousenlacer.Nousétionssiheureuxtouslesdeux.Henryacaptécemomentetluiapermisde

vivreéternellementàtraverscettepeinture…—Oui,monmariavaitcedon-là,machérie,attesteMaried’unhochementdetête.Letableauestsuperbe.Lesoleilsereflètesurlephareetlesmouettestournoientautour.Matthewet

moisommespenchéssurlarambardeenbois,l’unprèsdel’autre.Matêteestsimplementposéesursonépauleetnouscontemplonsl’horizon,commesilemondes’étaitarrêtédetournerpournouspermettredenousaimer…

15h07

AprèsledépartdeMarie,j’aidemandéàRosedem’aideràaccrocherletableaudansmonbureau.Lavoilà,àprésent,perchéesurl’escabeauàtenterdecentrercelui-cisurlemurprèsdelafenêtre.

—Commeça?demande-t-elleenlemaintenant.—Unpeuplussurladroite,luirecommandé-jeensecouantledoigtdevantelle.—Etlà?—Non,tul’astropbougé!râlé-jeenposantmespoingssurmeshanches.

—Tusaisquecen’estpasunebonneidéedel’accrocherici?intervientEmmaquinousapportedescafés.

Ellelesdéposesurmonbureauets’avanceversmoi.—Ilfautcroirequej’aimesouffrir!ironisé-jeenhaussantlesépaules.—Tuécrisencoremieuxquandtuessousl’effetdelatorturepsychologique,lance-t-elleenposantsa

mainsurmonépaule.—Trèsdrôle,mademoiselle,réponds-jeenriant.—Euh…?Excusez-moidevousdéranger,lesfilles,maisjesuistoujoursperchéesurcetescabeaude

malheuretlesbrasenl’air!rouspèteRoseennousjetantunregarddésespéré.—Ilesttordu!Jedisça,jenedisrien!lataquineEmmaenéclatantderire.— Tu sais quoi, Hope Obrien ? Je vais te laisser te débrouiller toute seule ! braille-t-elle en se

dandinantsurl’escabeau.—Situnetombespasavant!Arrêtedoncdegigoter!Rosemejetteunregardnoir,puiselletenteànouveaudeplacerletableauaucentredumur.—Etlà?—Ahvoilànebougeplus!J’attrapeuncrayonetlarejoinspourdessinerunpetitpointlàoùjesouhaitefaireuntrou.—Super! Ilseramagnifiquesurcemur!dis-jeenapplaudissant,heureuseà l’idéede l’accrocher

pourpouvoirl’admirerchaquefoisquelecœurm’endit.—Tuasgrain,maparole!mefaitremarquerRoseendescendant.—Cen’estpasnouveau!ajouteEmmaenportantsatassedecaféauxlèvres.Je leur tire la langue, commeune gamine écervelée, et retourne derrièremon bureau. Jem’installe

dansmonfauteuilpendantqueRosesecharged’enfoncerunclousurlemur,afind’accrocherletableaud’Henry.

—Voilà!Ehbien,ilrendvraimentbienici,lesfilles.—Jeconfirme!valideEmmaenlevantlepouceenl’air.Il est superbe, touchant, bouleversant… Si j’avais la chance de revenir à cette époque, je ne

commettraiscertainementpas lesmêmeserreurs…Jemeseraisendormiedans sesbras,puis, aupetitmatin,nousaurionsétéfaireunebaladesurlaplageet…aujourd’hui,jeseraisaveclui…

—Hope?—Oui?dis-jeenécarquillantlesyeux.—Encoreperduedanstespensées,n’est-cepas?demandeEmmaens’asseyantsurlecoindemon

bureau.J’acquiescetoutenm’adossantàmonfauteuil.—Tusaisquoi?—Hum?

—JevaisrécupérerAmyàl’écoleetelledîneraavecMikeetmoi,cesoir.Tuasbesoindetereposeretd’avoirunmomentpourtoi,mepropose-t-ellegentimentenposantmoncafédevantmoi.

—Pouralleroù?réponds-jetristement.—Vatebaladerauphare.Oubiensurlaplage…— Elle pourrait tout aussi bien…, intervient Rose, un sourire machiavélique au coin des lèvres,

appelerMatthewetavoiruneconversationaveclui?suggère-t-elleennousrejoignant.Elledécrochelecombinédutéléphoneetmeletendenlevantunsourcildécidé.—Etjeluidiraisquoi?Ah,jesais!Bonjour,Matthew!C’estHopeObrien,tusais,lafillequit’a

laissétomberpourenépouserunautre,celui-làmêmequilevaitlamainsurelle.Oh,maisoui,j’adoraiscela!mimé-jelaconversationenlevantlesyeuxauciel.

— Tu es trop dure avec toi-même, là ! lance Emma en secouant la tête pour marquer sonmécontentement.

—Tu pourrais tout simplement lui dire : bonjour,Matthew ! Je tenais à avoir de tes nouvelles etdiscuterquelquesminutesavectoi?proposeRoseensecouantlecombinésousmonnez.

—Nousnesommespasdansunecomédieromantique,lesfilles.—C’estpresqueça!SansparlerdeMyDestiny! Il feraituncartoncebouquin, je te jure ! ricane

Emma,alorsqueRoses’évertueàmetendrelecombiné.Jel’attrapeengrimaçant,puislereposeenplace.Jeposematêtesurlebureauentapantdoucement

dessusavecmonfront.—Ah,maisquedois-jefaire?marmonné-jeenrelevantlatêteverslesfilles.Rosepointe dudoigt le téléphone, sansdire unmot.Le cœurbattant, je décroche le combiné et le

porteàmonoreille.Puis,d’unemaintremblante,jecomposelenumérodesrenseignementstoutenjetantunœilauxfilles.Ellesontcemêmesourireàlafoisvictorieuxetprovocateurcolléaucoindeslèvres.

—Lesrenseignements,bonjour!—Bonjour,madame.JesouhaitejoindrelabanqueCole&associésàPortland.—Nequittezpas, jevous transfère immédiatement l’appel,mademoiselle. Jevous souhaiteunbon

après-midietàbientôt.—Àvouségalement,réponds-je,enproieàlapanique.Maisqu’est-cequejesuisentraindefaire?!Emmaappuie immédiatement sur l’interphonepournepasperdreunemiettedecet appel.Roseme

rejointets’assoitàl’autreboutdubureauafindesuivrelaconversation.—J’ailatrouille,lesfilles!soufflé-jeenposantuninstantmamainsurlecombinéafinquel’onne

m’entendepas.La sonnerie retentit enfin à l’autre bout du fil. Mon cœur manque un battement lorsqu’une femme

décroche:—BanqueCole&associés,bonjour!

—Euh…Bonjour…—Allo?Quepuis-jefairepourvous,mademoiselle?—Je…—Allez!Parle!râleEmmaensecouantsamaindevantmoipourmeréveiller.—Bonjour,jesouhaiteparleràMatthew.—MatthewCole,voulez-vousdire?mereprendlafemmeàl’autreboutdufil.—Euh…Oui,MatthewCole,merci.—Quidois-jeannoncer?—Qui?Ehbien,euh…,bafouillé-jesansréussiràtrouvermesmots.MonDieu,j’ailecœurquivas’échapperdemapoitrine!Emmalèvelesyeuxaucielentapantsamaincontresonfront,excédéeparmaréaction.—DelapartdeHope…,réussis-jeenfinàprononcer.—Hope?Bien,nequittezpas…Soudain,lacrainteauventreetlatensionàleurparoxysme,jeraccrochelecombinécommeunefurie

enappuyantfortementdessus,depeurqu’ils’échappe.Roseserelèveimmédiatement,bouchebéedevantleregardahurid’Emmaquin’encroitpassesyeux.

—Mais…?Qu’as-tufait?medemandecelle-ci,encoresouslechoc.—J’aipaniqué!—Paniqué?Cettefillen’existepas!brailleEmmaendisparaissantdanslaboutique.—Emma,attends!Rose sort également de mon bureau sans dire un mot, certainement déçue par ma réaction. Je les

rejoinsimmédiatementpourtenterd’apaiserlatensionquis’estinstalléeentrenous.—Lesfilles,j’aieupeur!Jenesavaispasquoiluidireetj’aicruquemoncœurallaitm’exploserau

visagelorsqu’ellem’ademandémonnom!medéfends-jeenposantmamainsurmapoitrine.Levisagedemesamiesseradoucitetelless’avancentversmoipourmeserrerdansleursbras.—Allez,machérie…Toutvabien,tentedemerassurerRose.—Tuvasdevoirprendreunedécision,Hope,meconseilleEmmaendéposantunbaisersurmajoue.

Soit, tu l’oublieset tucontinues tonchemin.Soit, tu l’appelleset tu résousunebonne foispour toutescettehistoire.Maistunepeuxpasresteréternellementcommeça…Tut’empêchesdevivreetd’ouvrirtoncœuràunautre…

—Mais…—…etjet’interdisdemeparlerdeTom!mecoupe-t-elletoutdesuite.Tuneresteraspasaveclui,

j’ensuisconvaincue.Tuasledroitaubonheur,etAmyaussi!Elles reculent enme souriant et repartent travailler chacune de leur côté. Je reste unmoment à les

observer,mais jevoisbienqu’elles sontdéçuesparma réaction. Je saiscombienellesaimeraientmevoir heureuse… Mais, et si mon destin n’était pas de le revoir ? Et si cela s’avérait encore plus

compliqué et plus douloureux pour nous deux ?Malheureusement, aprèsmon comportement de tout àl’heure,jenelesauraisansdoutejamais.18h25

Emmaaeulagentillessed’allerrécupérerAmyàl’école.Ellelaferadîneretj’irailachercherplustarddanslasoirée.Effectivement,j’aibesoindetempsetd’allerfaireunebaladesurlaplage.

J’éteins toutes les lumières et sors de la boutique en refermant la porte. Lorsque soudain, lesbattementsdemoncœurs’accélèrent. Instinctivement, jeposemamainsurmapoitrinecommepourenatténuer les palpitations. J’entends un moteur vrombir dans l’horizon. Étrangement, il me faitimmédiatementpenseràceluidelaMustangdeMatthew.Celamerappellenosbaladesenvoitureettouscesmomentsmerveilleuxquenousavonspartagésensemble.Non,c’esttoutbonnementimpossible…—Allez,Hope…Tu dois absolument te changer les idées, sinon tu vas devenir folle, pensé-je en

fermantlaporteàclé.Lebruitdumoteurs’approchedeplusenplus.Je jetteunœilvers larouteetremarqueunevoiture

bifurquerdanslarueensedirigeantàviveallureversmonmagasin.Non!LaMustangnoiresegarelentementdevantmaboutique.Lechauffeurn’estautrequecethommequi

n’ajamaisquittémoncœuretmespensées:Matthew.Lesmainsposéessurlevolant,ilmecontemplesansosersortirmerejoindre.J’ai lesoufflecoupéet lesmainsmoites… Iln’yarienà faire, je suisaccroàcethomme…Ilbaisselatêteenlasecouantdoucement,puisilrelèveunregardamuséversmoiet sort enfinde savoiture. Il lacontourneetme rejoint, sansmequitterde sesyeux troublantsquimedétaillentdelatêteauxpieds.

Je reculedosà laportevitréeen inspirant fortement, tantma tensionvientdegrimperen flèche. Ils’approchedemoienposantsesmainsdepartetd’autredemonvisage.Marespirationmetrahit,etjen’arrivepasàprononcerlamoindreparole.Ilestlà!Maispourquoi?

—Hope…, souffle-t-il simplement, en approchant ses lèvres desmiennes tout en posant son frontcontrelemien.

-III-

ChristopherCross-Sailing

PortClydeJeudi8mai198018h31

Matthewcaressedoucementmonfrontaveclesien.Sonsoufflechaudquiglissesensuellementsurmeslèvresréveilleunàunlessensquis’étaientéteintsdepuisnotreséparation.Lesimagesdecettenuit-là,aucreuxdesesbras,mereviennentparflashset l’enviequinaîtenmoim’interdisentde lerepousser.N’importequipourraitnousvoir,surtoutTom,maisjeneréagispas…J’aibesoindemenourrirdesachaleur,desapeaucontrelamienneetriennepourraitm’empêcherdem’enivrerdecetendremoment.

—Matthew…Quefais-tuici?— Katherine m’a dit qu’une jeune demoiselle, prénommée Hope, avait tenté de me joindre. J’ai

immédiatementsautédansmavoiture…,dit-ilenreculantsonvisagepourplongersesyeuxbrillantsdanslesmiens.

Jerestelààlecontemplercommesijevoulaisenregistrerchacundesestraitsdansmatête.Iln’apaschangé…Sapeauparfuméedégagelesmêmeseffluvesqu’autrefois…Savoixrauqueesttoujoursaussimélodieuse,chaleureuseetsensuelle.J’aimaistantl’écouter.

—J’avaisbesoindeteparler,Matthew.Besoindeterevoir,avoué-jed’unevoixenpriseàl’émotion.J’avaissimplementbesoind’êtreavectoi.

Ilmesourittendrementetreculetoutenmetendantsamain.—Viensavecmoi,HopeObrien.—Oùça?demandé-jeenregardantautourdemoi,depeurquequelqu’unnousvoie.À cette heure-ci, la plupart des boutiques ont déjà fermé leurs portes. Seuls quelques cafés et

restaurants sont encore ouverts.Ma crainte est queTompuisse nous croiser,même si je sais qu’il vatravaillertardcettenuitetqu’ilnerentreracertainementpasàlamaison.

—Làoùtoutacommencé.Dumoins,làoùjesuistombéamoureuxdetoi.Ilvientdem’avouerqu’ilm’aimeavecuneaisancedéconcertante.Levoilàprêt àmedéclarer son

amoursanslamoindrehésitation.Ilmefaitpeuret,enmêmetemps,ilmerassure…Jem’avanceetluitendsmamain.Matthewm’entraînerapidementverssavoiture,m’ouvrelaportièreetm’inviteàmonterd’unsignedetête.Jem’installesansdireunmot.IlcontournelaMustangetmonteauvolantdecelle-ci.

—Jeneveuxaucunequestion,Hope.Jeveuxsimplementprofiterdumomentprésent,souffle-t-ilenallumantsonautoradio.

Ilsetourneversmoi,sepencheetmedéposeunbaisersurlajoue,sansmequitterdesyeux.—Aucunequestion,insiste-t-il.—Aucune…,répété-jeenhochantdoucementlatête.Ildémarrelavoitureets’engagesurlaroute.

18h51

Depuisnotredépartde laboutique, lesilences’est installéentrenous.Seule lachansonSailing deChristopherCrosstourneenboucledanslavoiture.Elleparled’évasionetdeliberté.Matthewm’al’airperdudans ses pensées et regardedroit devant lui en faisant vrombir lemoteur de sa voiture. Je saiscombien il aimait conduire et se balader à bord de son petit bolide lorsqu’il n’allait pas bien. Jel’observe du coin de l’œil, le cœur serré dansmapoitrine. Puis je lève lamain pour la poser sur lasienne,maisjefaisaussitôtmachinearrière.

Matthewaccélèredeplusbelle,mescotchantauxsiègesdelavoiture.—Tuaspeur,Hope?medemande-t-ild’unevoixgrave.—Non,jamaisavectoi,luiréponds-jeensecouantlatête.Matthewmeregardeuninstant,unsouriretimideauxlèvres,eninspirantprofondément.Puis,sansm’y

attendre,ilposesamainsurlamiennetoutenlacaressant.—Matthew…—Aucunequestion,mapuce,me rappelle-t-il enamenantmamainà ses lèvrespourydéposerun

baiser.Jefermelesyeuxenposantmatêtecontrelesiège.Jeveuxjusteprofiterdumomentprésent,emplir

moncœurdesadouceprésenceàmescôtés.Jesaispertinemmentque,dansquelquesheures,toutseraterminé…

Matthewsegareenfaceduphareenlecontemplantpendantdelonguessecondes.Illaissel’autoradiotournéetlespharesallumésverslepont.Puisilsortdelavoitureetvientm’ouvrirlaportière.

—Simademoiselleveutbiensedonnerlapeinedesortir,dit-ilenmefaisantsignedelerejoindre.—Ilmesemblequevousm’avezdéjàsortilamêmeréplique,jeunehomme,luifais-jeremarqueren

sortant.—Etilmesemblequecelaavaitplutôtbienmarché!dit-ilenéclatantderire.Jeletapeimmédiatementsurlebras.

—Arrêtedet’enflammer,Hope.Jeplaisantaisavectoi,dit-ilensefrottantlebras.Jelèvehautlatêteetluitourneledos,unsourireamuséauxlèvres.Jemarcheverslepont,lecœur

battant,lesyeuxremplisd’étoiles.—Maisattends-moi!s’écrie-t-ilenmerejoignant.Ilm’attrapeparlamainetm’entraîneencourantverslepontdeMarshalPointoùlanuitpercedéjà

dansl’horizon.—Oh,doucement!—Danseavecmoi,Hope!dit-ilenentourantmesépaulesavecsesbras.Jeglissemesmainsautourdesatailleencaressantavecdouceursondos.Matthewmeregarde,me

contemple enme faisant danser au rythmede la chanson.À travers son regardbrûlant, je revois cettemêmeflammecrépiterau fonddesesyeux, je ressensencore tout l’amourquenousavonspartagé.Lapassionnes’estjamaiséteinte;elleestlà,brûlantennous.Ellenousconsume,nousrapprochel’undel’autreetl’enviequinaîtaucreuxdemonventrevamefaireperdrelatête.Certes,nousavonschangé,mûri…mais,cesoir,noussommesànouveauensemble.

Matthewmefaittournoyerplusieursfois,etmeramènetoutcontreluienmeserranttendrement.—J’ailatêtequitourne,Matthew!m’exclamé-jeenposantmamainsurmonfront.—Hope…Tun’aspaschangé…Tuestoujoursdanstabulleetdanscemondequin’appartientqu’à

toi…Tuessibelle,sirayonnanteetlorsquetumesouriscommemaintenant…Intimidée,jefuissonregardetpenchematêtesurlecôté,maisillarelèveimmédiatementencaressant

meslèvresavecsonpouce.—…jen’aiqu’uneenvie…—J’aichangé,Matthew,tenté-jededésamorcerlabombequivaexploserdansquelquessecondes.J’aiuneenviefolledefairel’amouraveclui.Si cet hommem’embrasse, je ne donne pas cher demoi et dema capacité à rester fidèle à Tom.

Chaque fois que mon mari me touche, j’ai l’impression de tromper Matthew. Étrange sensation… Àprésentque jemeretrouvedanssesbras, j’ai l’intimecertituded’êtrechezmoi,d’être revenueàmonportd’attache,dansmonhavredepaix…

—Ahoui?Changé?—Jenesuispluslamême…Jepourraismêmet’étonner!—Réellement?doute-t-ildemoienriant.Jemedétachede sesbras, soulèvema robebleueet lapassepar-dessusma tête,me retrouvanten

sous-vêtementsdevantlui.Jememordillelalèvredevantsonregardlascifquiglisselentementsurmapeau.Ilmereluquesansaucunevergogneens’approchant.

—Non!dis-jeensecouantmondoigtdevantsonneztoutenretirantmeschaussures.— Pardonne-moi, Hope, mais je crois que, pour une fois, je ne tiendrai pas compte de ton avis,

déclare-t-ilens’avançantdangereusementversmoi.

—Le dernier à l’eau est un idiot ! m’écrié-je en courant vers l’océan ce qui prendMatthew audépourvu.

Levoilàquiresteplantécommeunpiquetsurlepontsansréagir.—Ahhhhh!Tuvasperdre!hurlé-jeensautantdansl’eau.Ilsedéshabillerapidement,puiscourtversmoi.—Tuvasmelepayer!—Tuasdéjàperdu!luifais-jeremarquerenriantauxéclats.Ilmerejointetjel’éclabousseententantdeluiéchapper.—Vienslà!—Tunem’attraperaspas!—Unevraiegamine,maparole!Ilm’attrapeparlatailleetmelancedansl’eau.Jeremonteàlasurface,enessuyantmonvisageetmes

yeux.—Maisoùest-il?dis-jeenregardantautourdemoi.Toutàcoup,samainseposesurmondosetdescendaveclenteurjusqu’aubasdemesreins.Matthew

se tient derrière moi et m’agrippe par la taille en serrant son torse contre ma peau mouillée quis’échauffe,malgrélatempératuredel’eau.Ilapprochesonvisagedumienendéposantunbaisersouslecreuxdemonoreille.Jerenverselatêteenarrièreenm’offranttotalementàlui.Ilm’embrassesurlecouenremontantsesmainslelongdemonventrejusqu’àmapoitrinequ’ilserreentresesdoigts.

—Hope,madouceHope…Pourquoi?—Matthew,aucunequestion,letaquiné-jeenriantdoucement.—Neretournepaslasituation,gémit-ilcontremapeau.—C’esttoiqui…—Jet’aime!mecoupe-t-ilaussitôtenmefaisantvirevolterverslui.Ilcollesontorsecontremapoitrineenmeserrantdanssesbras.Jeglisselesmiensautourdesoncou

enluimurmurant:—Jet’aimeaussi,Matthew…J’écrasemeslèvrescontrelessiennesenl’embrassantfougueusement.D’unseulgeste,ilmerelèveen

glissantsesmainssousmesfessesetj’enrouleimmédiatementmesjambesautourdesatailletoutenleserrantcontremoi.

— J’ai besoin de te dire quelque chose, Hope, interrompt-il notre baiser tout en caressant mescheveux.

—Etçanepeutpasattendre?demandé-jeententantdel’embrasserànouveau.—C’estimportant,mapuce,lâche-t-iltristement.Jemedoisd’êtrehonnêteavectoi.Jeneveuxplus

demensongesentrenous,plusjamais.Jebaisselégèrementlesyeux,sentantlaculpabilitémerongerdel’intérieur.

—Quesepasse-t-il?demande-t-il,inquiet.—Moiaussi,jedoist’avouerquelquechose…Inopinément, ilme porte jusqu’à la voiture etme pose sur le sol. Il part rapidement récupérer nos

vêtementsetnoschaussures,quisontsurlepont,etrevientversmoi.—Tiens,nebougepas,medit-ilenmelesdonnant.Ilmesourit,puissedirigeverslecoffrequ’ilouvre.—Retire tessous-vêtementset réchauffe-toiaveccettecouverture,m’ordonne-t-ilgentiment touten

melatendant.—Messous-vêtements?dis-jeenl’attrapantduboutdesdoigts.Jelapassepar-dessusmesépaules,lefeuauxjoues.—Tourne-toialors,bafouillé-je,intimidéeenjouantavecunpetitcaillousousmonpied.—Nefaispascettetête.Cen’estpascommesijenet’avaisjamaisvuetoute…nue,dit-ilensouriant

nerveusement—Ouais,maisnemeregardepas,insisté-jeenluifaisantsignedeseretourner.Matthewlèvelesyeuxaucieletsetourneencroisantlesbras.Jetiensd’unemainlacouvertureautour

demoncouet,del’autre,jeretiremaculotteenlaposantsurlesol.Matthewpenchelégèrementlatêteversmoi.Jeleréprimandeaussitôt:

—Non,non,non,M.Cole!Biententé,maisjevoustiensàl’œil!Ilhausselesépaulesetattendsagementquejeretiremonsoutien-gorge.Jemesècheetpassemarobe.—C’estbon,tupeuxteretourner,luidis-jeenramassantmessous-vêtementssurlesolquejecache

derrièremondos.Sentantmagêne,ilrécupèreunpetitsacenplastiquedanssavoitureetmeletendafinquejelesglisse

àl’intérieur.—Merci,c’estgentilàtoi,murmuré-jeenbaissantlégèrementlesyeux.—Oùestpasséelajeunefemmequiétaitdansl’eau?demande-t-ilencroisantlesbrassursontorse.—Elleesttoujourslà,Matthew.Maistevoirlàen…—Enquoi…?demande-t-ilenjetantunœilàsatenue.Encaleçon?comprend-ilenéclatantderire.—Ouais…—Sicen’estqueça,jevaisleretirerimmédiatementetmerhabiller.Ilbaissesoncaleçonsanstenircomptedufaitquej’ailesyeuxposéssurlui.Hope,tourne-toi!Eh

merde,non!—Jesuischoquée,mademoiselle.Tum’asobligéàmetourner,alorsquetoi,tuterincesl’œil!me

reproche-t-iltoutenserhabillant.—Non,maisjen’aipas…—Jeplaisante,Hope.Ils’approchedemoietmeprenddanssesbras toutenm’embrassantàpleinebouche.Ilquittemes

lèvresetjerestelà,lesyeuxfermésàprofiterdenosderniersinstants.Ilprendmonvisageencoupeetdéposeunbaisersurmonfront,commeil l’a tantfaitautrefois.Jesoulèvelentementmespaupières,etsonsourireenjôleurmefaitfondred’amour.Jedonneraisn’importequoipourpasserlanuitaucreuxdesesbrasetm’endormirtoutcontresoncœur.

—Encorequelquesminutes…—Cen’est pas raisonnable… Il se fait tard et je présumeque tudois rentrer chez toi…Allons-y,

Hope,dit-ilenmeprenantparlamain.Jegémisensecouantlatête.Jerefusedelesuivre.— Je ne veux pas que tu aies des problèmes par ma faute, s’inquiète-t-il en m’entraînant vers la

portièreconducteur.—Ilnerentrepratiquementjamaisdormiràlamaison…Matthewfroncelessourcilsenmedévisageant.— Ne me regarde pas comme ça, lui dis-je d’une voix triste. Je sais ce que tu penses de ma

situation…—Jen’airiendit,Hope.—Tesyeuxontparlépourtoi…C’estlaviequej’aichoisie,n’est-cepas?Sansmêmemerépondre,ilrelâchemamainetmelancelesclésdesavoiture:—Allez,conduis!—Quoi?Maisnon!refusé-jeenlesattrapantauvol.—J’aitoujoursrêvédetevoirauvolant!dit-ilencontournantlaMustang.—Mais…—Magne-toi!s’écrie-t-ilens’installantsurlesiègepassager.J’entre, la frousse auventre, et glisse les clésdans le contact. Je le regardedu coinde l’œil avec

l’espoirqu’ilchanged’avis,maisrienn’yfait.Ilmelanceunregarddéterminéenpointantsondoigtverslevolant.

—Tuasconsciencequenouspouvonsavoirunaccident!Etquejepeuxdétruiretavoiture!tenté-jedésespérémentdeluifaireentendreraison.

—Tutiensautantquemoi,sicen’estplus,àcettevoiture,mapuce.Démarre!s’obstine-t-il.—Pourquoinel’as-tujamaisvendue?demandé-jetoutenmettantlecontact.Tudoisavoirlesmoyens

detepayerunenouvellevoitureàprésent?—Ilm’estimpossibledelavendre…Ellemerappelle,chaquejour,cettejeunefillededix-neufans

dontjesuistombéfollementamoureux…Personnenem’interdiraderouleravec,personne!s’emporte-t-ilenserrantlepoingsursongenou.

—Quesepasse-t-il,Matthew?Son attitude m’inquiète, comme si quelque chose le tracassait. Qui pourrait bien lui interdire de

conduiresavoiture?LilianeatoujoursaimésaMustang.Jerestelààledévisagersanscomprendre.

—Toutvabien…Démarrecettebagnole,Hope!Jeveuxvoircequetuasdansleventre,lance-t-il,amusécettefois,enchangeantdestationderadio.

Jemetsma ceinture de sécurité et fais démarrer la voiture. Le bruit dumoteurm’arrache déjà unsourirequejenepeuxréprimer.

—J’ai l’impressionde rêver !Elle fait unbruit incroyable ! Jamais je n’ai pu l’oublier, dis-je enprenantlaroute.

—J’aitoujoursadmirétacapacitéàreconnaîtremabagnole,merappelle-t-ild’unevoixdouce.Ladernièrefoisqu’ilm’aditcela,c’étaitquelquesjoursavantmonmariage,lorsdenotrerencontre

explosiveauphare.Jemesouviensdenotreviolentedisputeet,encoreaujourd’hui,ellemelaisseungoûtamer.

—Allez,accélère,Hope!—Jenepeuxpas!J’aibientroppeur!luiavoué-jeenaccéléranttimidement.—Allez,encore!insiste-t-ilenposantsamainsurmajambe,pourm’inciteràappuyer.La voiture prend de l’allure et je me laisse enfin aller. Elle est si agréable à conduire et son

vrombissementestjustemagique.—Wouahhh,Matthew!Regarde-moi!Jeconduistavoiture!m’émerveillé-jeenriantauxéclats,toute

excitée.—Tuesmagnifiquelorsquetusouris…J’adoret’entendrerire…J’aimetesavoirheureuse…Ilpassesamainderrièremanuqueenlacaressantduboutdesdoigts,cequimeprovoqueunfrisson

delatêteauxpieds.J’aienviedeleprendredansmesbras,sentirseslèvresseposerànouveausurlesmiennes…Lemanquedesachaleurmegagnetouteentièrelorsqu’ilsepenchepourmedéposerunbaiserdanslecou.Jefreinebrusquementenm’arrêtantdevantunestation-servicefermée.

—Quefais-tu?demande-t-ilendétachantsaceinturetoutenregardantautourdelui.Jecontournelastationetmegarejustederrière,faceàl’océanéclairéparlepharequiillumineleciel

étoilédePortClyde.Jeretirelesclésducontact,sansmêmeluirépondre,puismetourneverslui.—J’aibesoindesavoir…—Pasdequestions,Hope…,dit-ilencontemplantl’horizonpouresquivermonregardinquisiteur.—Jenesupporteraipas,cettefois,unedetesrépliquesàlacon!—Commentça?demande-t-ilenmeregardantenfin.—Parcequec’estcommeça…,réponds-jeenl’imitant.Ouattends,j’enaiuneautre!Tulesaistrès

bien,ajouté-jeenlevantlesyeuxauciel.Ilritenpassantnerveusementlamainsursonvisage.—Pourquoiturigoles?merenfrogné-jeencroisantlesbrascontremapoitrine.—Déjà,parcequetutetrouvesauvolantdemavoitureetquejenepeuxpasm’enfuir.Jeréprimeunsourireamusé,maisjenecomptepaslelaisseresquiverlaconversation.—Etdeuxièmement,cartum’imitesàlaperfection!dit-ilenéclatantderire.

—Tun’esqu’unidiot!Arrêtederire!Matthewtentedereprendresoncalme,maisenvain.Iltapesurlaportièretoutensetenantleventre.—Pardonne-moi,mapuce,c’estnerveux.—J’aibesoindesavoir…Besoindecomprendre…Mavieestdanslechaosleplustotaldepuisque

tuesparti…Etlorsquej’aisuquetuétais…—Quej’étaisquoi?mecoupe-t-ild’unevoixinquièteenretrouvantsonsérieux.—Que tuétaisvenuà l’église,Matthew ! lâché-je en fermantun instant lesyeux,depeurqu’ilne

s’emporteaprèsmoi.—Maisquit’a…?Jesuismalàl’aiseetjeneveuxpastrahirsamère,mêmesijesuispersuadéequepeudegensdoivent

êtreaucourantdecequis’estproduitcejour-là.—C’estsansimportance…J’aimerdé,voilàtout…,souffle-t-ilenbaissantlatête.—Non,Matthew ! La vérité est tout autre…Lemariage n’a pas eu lieu dans la paroisse du père

Bernardo.Ilrelèvelesyeuxversmoietsonregardperçantmefaitfroiddansledos.—Tupeuxmerépéterça?lâche-t-ilsévèrement.—LepèreBernardos’estblesséquelquesjoursavantlacérémonie…—Et…?Hope,parle-moi!Jesecouelatêtenerveusementenéclatantensanglotsentremesmains.—LacérémonieaeulieudanslaparoissedupèreAndrews,finis-jeparlâcherd’unevoixeffrayée.—Putain,Hope!Mapuce…Pardon,jesuisdésolé…,s’excuse-t-ilenmeprenantdanssesbras.Ilresserresonétreinteendéposantunbaisersurlehautdematête.—C’estinjuste!—Ledestin,mapuce.Onnepeutrienychanger…Onvadevoirl’accepter.Je relèvemon visage décomposé par la douleur en posantmamain sur sa joue et lui souffle dans

l’espoirqu’ilmerépondeenfin:—Queveux-tu,Matthew?Qu’attends-tudemoi?—Tulesaistrèsbien…—Cen’estpasuneréponse,murmuré-jeenplongeantmesyeuxamoureuxdanslessiens.Ilposesonfrontcontrelemienetmesouffle:—C’estlaseulechosequejesuisenmesuredetedonner…Tusaisparfaitementcequejeveux…tu

l’astoujourssu.Mais,aujourd’hui,jesuissiperdu…Quelquechoseletracasse,jelesensbien.Jecroisesonregardmalheureuxetluisouristendrement.—Jet’aime,MatthewCole.—Etmoiencoreplusqueça.Ilm’embrassesurlamagnifiquechansonSailingdeChristopherCrossquipasserégulièrementsurles

ondesencemoment.Cettemêmemusiquequ’ilécouteenboucledepuissonarrivéeenville…—Jevaistefairel’amourcommeunfoufurieux.—Çaaussitumel’asdéjàsorti,memoqué-jegentimentdelui.—Etçaaussi,çaadéjàfonctionné,dit-ilenmedécochantunclind’œilaguicheur.—Tumefaiscomplètementcraquer,luiavoué-jeenposantmamainsursontorse.Jelecaresselentement,endescendantjusqu’àsonventrefinementdessiné.Puisj’attrapesontee-shirt

quejepassepar-dessussatête.Ilfaitdemêmeavecmarobe,cequim’empourpre,vuquejeneporteplusrienendessous.Ilselècheleslèvresenm’admirantetmefaitsigned’allerderrière.

—Toid’abord,dis-jeencroisantmesbrassurmapoitrine.—Sérieux?Jeluilanceunregardnoir,etillèveaussitôtlesmainsensignedereddition.Ils’assoitsurlessièges

arrièreetretiresonbermuda.—Viens,mapuce,mesouffle-t-ilenmetendantsamain.Jelerejoinsenm’asseyantsurluitoutenl’embrassant.—Hope?—Net’inquiètepas…Jeprendslapilule.Cettesimpleréplique,quim’estfamilière,m’arracheunegrimace…Délicatement,ilseglisseenmoi,danscemondequin’appartientqu’ànous.Jebougelentementafinde

medélecterduplaisirqu’ilm’offre.Sesmainsquiglissentànouveausurmoncorpsbrûlantetseslèvresquiparcourentmapeaufontmonterrapidementleplaisirenmoi.Ilnetardepasàexploseraucreuxdemonventre.

—Oh,Matthew…—Hope…Jenevaispastenirlongtemps.—Peum’importe,monamour…

Penséesdusoir:

Sil’onm’avaitditquejelereverraisunjour,jenel’auraispascru…Etpourtant,c’estbiencequis’estpassé.J’aiànouveaupusentirsesmainsmetoucher,mecaresseretsijefermelesyeux,jesuiscertainedelessentirencoreparcourirmoncorps.Jesaisquej’aicommisuneerreurimpardonnableenrompantmesvœuxdemariage…Cesoir,ma

consciencemetorture,maisjesaisaussiqu’ilm’étaitimpossiblederésisteràl’appeldesoncorps.Lemanquequejeressentaisdepuiscettefameusenuitaucreuxdesesbrasn’afaitquecroîtreaucoursdecesquatredernièresannées…Noussommesliés,mêmesicelaresteunlourdsecretàporter…J’auraisaiméluiposerlesquestionsquimerongent…J’auraisaimécomprendrepourquoinousen

sommesarrivéslà,touslesdeux.Lorsqu’ilm’araccompagnéeàlaboutiqueetqu’ilm’adéposésontoutdernierbaisersurleslèvres,j’aicruquemoncœurallaitlâcher…J’aipeurdeneplusjamaislerevoir.J’aipeurqu’ilnereviennepasdemainaprès-midicommeilmel’apromis.J’aipeurquetoutcelanesoitqu’unrêve…Cesoir,jeveuxencorecroireennotredestinée…J’espèrequecettefois,ellenenousabandonnera

pas…Bonnenuit,Matthew…Oùquetusois,jepenseencoreàtoi…

-IV-

PortClydeVendredi9mai198007h15

LejourselèvesurPortClydeet,unefoisdeplus,jesuisseuledansmonlit.Tomn’estpasrentrédela nuit, comme je l’avais déjà prédit hier soir en rentrant avec ma fille. Cet homme a décidémentbeaucoupdetravail.Enfin,c’estcequ’ilveutmefairecroire.Ilacertainementuneaventure…Quandjepensequej’aisacrifiémonhistoired’amouravecMatthewetmaviepourunhommetelquelui.J’aiétéstupidedecroirequ’ilpourraitchangeretmerendreuntantsoitpeuheureuse.

— Allez, Hope ! Debout ! dis-je à voix haute en poussant la couverture avec mes pieds tout enm’étirant.

La seule chose quimemotive àme lever, c’est de savoir queMatthewviendrame chercher aprèsdéjeuner.Ildoitpasserlamatinéeavecsesparentsavantqu’ilsnequittentlaville,etjenesaispass’ilaoséparlerdenotrepetiteescapaded’hiersoiràsamère.Celle-ciadûtrouvercelatrèssuspectqu’ilsoitde retour, étant donné qu’il ne voulait plus entendre parler de Port Clyde. J’avoue que celam’embarrasserait fortement qu’elle sacheque je suis la raisonde son soudain regaind’intérêt pour laville.Jesuisetresteunefemmemariéeetmoncomportementnemeressembleabsolumentpas.Jevaisdevoirlivrerunebataillesansfaillesàmamauvaiseconscience,maissoit!

—Maman!Maman!Mamaaaaaaannnn!—Noooooon!Jen’aiaucuneenviedeme lever ! râlé-jeenattrapantmoncoussinpourmecacher

dessous.—Maman!C’estl’heure!lanceAmyàl’autreboutducouloir.Jel’entendsdéjàcourirjusqu’àmachambretoutenhurlantmonnom.Ellevamerendrecinglée,cette

petite!Unevraiepileélectrique!Ellen’apassalanguedanssapoche,c’estlemoinsquel’onpuissedire.Ellevientd’avoirquatreansetparledéjàcommeunegrandefille.Elleadesconversationsquinouslaissentébahies,sestantesetmoi.Elleestmaraisondevivre,maplusbellehistoired’amour…

—Maman!Debouuuuuuuuuut!continue-t-elledehurlertoutencourantàtraverslecouloir.—Necourspassivite,Amy!Turisquesdetomber!

Elleentredansmachambreetsautesurmonlitens’asseyantsurmoitoutententantdem’arracherlecoussin.

—Tudoistelever,maman!C’estl’heure!—Bouuuuuu!crié-jetoutenretirantlecoussinpourluifairepeur.—Mêmepaspeur!dit-elleencroisantlesbrasdevantelle.—C’estbiendommage,lancé-jeenéclatantderire.—Jetesignalequejedoisarriveràl’heure,cematin!—Ahouietpourquoiça?demandé-jed’unairétonné,toutenréprimantunsourireamusé.—Ehbien…Aujourd’hui,nousallons…Non,jen’aipasledroitdeteledire!—Alors…tunemelaissespaslechoix!Jelachatouillesouslesbrasetsurleventreafinqu’ellemeréponde.Ellesetortilledanstouslessens

enriantauxéclatsettombeàlarenversesurlelit.—C’estuncadeaupourtoi!serésigne-t-elleàmerépondretoutententantdeselibérer.J’arrêteimmédiatementenlaprenantdansmesbras.—Ahoui ?Mais pourquoi ?Mon anniversaire était la semaine dernière, et tum’as déjà offert un

magnifiquecollierdepâtes!luirappelé-je.—C’estpourlafêtedesMères,maman.—J’adorecettefête-là!—Mais je ne peux pas te dire ce que c’est, sinon ça ne serait plus une surprise, dit-elle d’un ton

sérieuxtoutenjouantavecmescheveuxqu’elleenrouleentresesdoigts.—Promis,jeneteposeraiaucunequestion.Motusetbouchecousue!mimé-jeavecmamainsurmes

lèvres.Jemelèveetpassemonpeignoirafind’allerpréparerlepetit-déjeuner.Amysautedulitetouvrela

petiteboîteàmusiquequi se trouvesurmonchevet.Ellepeut resterdesheuresàcontempler lapetitedanseusetournoyersurelle-même.Parfois,illuiarrivemêmedel’imiter.

—Maman?J’aimeraisbeaucoupavoirlamêmeboîtedansmachambre.Jemerassoissurmonlitetlaprendssurmesgenouxtoutencaressanttendrementsescheveux.—Malheureusement,cen’estpaspossible.Cetobjetestunique,maisjevaisteracontersonhistoire.

Tuesunegrandefilleàprésent.Ellehochelatêteenmeregardantavecdegrandsyeuxcurieux.—Cettepetiteboîteestaussivieille,sicen’estplus,quetouslesobjetsprésentsdansmaboutique.—C’estvrai?s’étonne-t-elleenluijetantuncoupd’œil.—Oui…Elle appartenait à une vieille dame. Sonmari la lui a offerte après la guerre et elle l’a

gardée de longues années. Un jour, alors que je visitais Wells, une petite ville connue pour sesmerveilleuses boutiques d’antiquités, je l’ai rencontrée. Elle voulait vendre sa petite boîte,mais ellem’enafaitcadeau.

—Maispourquoisiellesouhaitaitlavendre?demande-t-elleperplexe.Futée,maprincesse!Quevais-jeluirépondreàprésentsansluimentir?—Àl’époque…Lavoilàsuspendueàmeslèvres,labouchegrandeouverte,attendantlafindemonrécit.—Ehbien…elleapenséquejepourraisprendresoind’Amyladanseuse.—Maismoiaussijem’appelleAmy,maman!—Ehoui!réponds-jeenluisouriant.—Jesensbienquetumecachesquelquechoooose…,dit-elleensecouantsonpetitdoigtdevantson

neztoutenfermantunœil.—Pasdutout,c’estlastrictevérité,attesté-jeenhochantlatête,amusée.—AlorspourquoitonnezvientdegrandiiiircommeceluidePinocchio?—Monquoi?Allez,mademoisellelafarceuse!Vadonct’habillersinonnousrisquonsd’arriveren

retardàl’école!Elleposeunbaiser surma joueetdescenddemesgenoux.Elle traversemachambreencourantet

rejointrapidementlasiennepours’habiller:—Jet’aime,mamaaaaaaaaaaaaan!crie-t-elleàl’autreboutducouloir.—Jet’aimeaussi!Jedescends.Rejoins-moilorsquetuserasprête!—Oui,maman!

07h55

—Allez,finistonboldelait,luidemandé-jeenluipréparantunetartinedepainbeurrée.—Oui,maman.C’esttoiquiviensmecherchercesoir?medemande-t-elle.—Je…Non,tanteEmmapasserateprendre,maistupourraisvenirmerejoindreàlaboutiqueaprès

tongoûter?luiproposé-jeenluiadressantunclind’œilcomplice.—D’accord,dit-elleenhaussantlesépaules.Lebruit d’unevoiture attire immédiatementnotre attention.Cedoit êtreTomqui sedécide enfinà

rentrer…J’entendslesclésglisserdanslaserrureetlaported’entrées’ouvrir.—Salut,lesfilles!lance-t-iltoutenlaclaquantderrièrelui.Il nous rejoint dans la cuisine sans prêter attention à notre fille, ce qui me fait grimacer. Quel

salopard! Il attrapeunebièredans le réfrigérateur, la décapsule et la porte à ses lèvres tout ennousdévisageant.

—Quoi?demande-t-ilsèchement.—Rien!réponds-jeendonnantlatartineàAmy.Mange,machérie.—Merci,maman,répond-elled’unevoixtimidesansoserregardersonpère.Jemesersunetassedecafétoutenobservantmonmariducoindel’œil.

—Tudoisêtrefatigué,Tom?Tudevraispeut-êtreallertecoucher?Àcetrain-là,tunetiendraspaslongtemps!luifais-jeremarquerenfeignantdem’inquiéter.

Vusonregardmauvais,ill’abiencompris.—Net’inquiètepas,jesuisenpleineforme,lance-t-ilenmedécochantunclind’œildiabolique.En

toutcas,c’estcequ’onm’adit,cettenuit!Sa réponsemeglace le sang, et je nepeux réprimerplus longtempsmondégoût. Il n’adonc aucun

respectpoursafilleetsurtoutpourmoi?Commentpuis-jerestermariéeàunêtreaussiméprisablequelui?Quandjepensequejemesenscoupabled’avoirrevuMatthew…Ilnememériteabsolumentpas,etjedoisimpérativementfaireleménagedansmavie,encommençantparlui.

—Tu as quelque chose à dire, peut-être ? demande-t-il d’une voix grave en posant sa bière videdevantmoi.

—C’estàmoidelajeter,n’est-cepas?—Tuesmafemme;c’esttondevoirdet’occuperdemoi.Dumoinsdecettemaison,carentrenous,à

ceniveau-là,tunemesersplusàrien,vocifère-t-ilenm’agrippantpéniblementunefesse.Je regarde du coin de l’œilma fille en lui souriant afin qu’elle ne panique pas.Hors de question

qu’elle assiste, une nouvelle fois, à une crise d’hystérie de son père. Ses yeux apeurésme fendent lecœur.

—Jedoisyaller,Tom,lerepoussé-jesèchementententantdem’extirperdesarudeétreinte.Ilmerelâchetoutenmedéposantunbaisersurleslèvres.Jedétourneimmédiatementmonvisageafin

d’ymettreunterme.J’ailanauséechaquefoisqu’ilmetouche.Jesaispertinemmentqu’ilapassélanuitavecunedesesconquêtes.Commentose-t-il encoreposer lamainsurmoiaprèscequ’ilvientdemebalancerdevantnotrefille?

—Amy,soissageàl’école!luilance-t-ilenattrapantunepommedanslacorbeilleàfruit.Àbientôt!Ilsortdelacuisineetclaqueànouveaulaported’entréederrièrelui.Nousrestonslàsansdireunmot

toutenattendantqu’ildémarresavoitureets’enaille.Amyalesyeuxhumidesetsonairjovialalaisséplaceàdelatristessemêléeàdelapeur.

—Amy!Jevaisimmédiatementlarejoindreetm’accroupisfaceàelle.—Regarde-moi,machérie,luidemandé-jeenprenantsonvisageencoupe.Cen’estpastafaute.Ton

pèreestsimplementfatigué,tucomprends?tenté-jedeledéfendreencore.Amyopinefaiblementdelatêtesansdireunmot.Jeneveuxpasqu’elleaituneimageaussinégative

desonpèrequecellequej’aidumien.Celaneluipermettrapasdegrandirnides’épanouir.Ellerisquede se sentir fautive ou pire, de perdre totalement confiance en elle… Je refuse qu’elle devienne uneenfantfragile,commej’aipul’êtreàsonâge.Jelaserredansmesbrastoutencaressantsondosafindelaconsoler.

—Unjour,nousseronsheureuses…Jet’enfaislapromesse…

—Jet’aime,maman.—Etmoiencoreplusqueça…

14h15

Lamatinéeestpasséeavecunelenteurdéconcertante…Jen’arrêtepasdevérifierl’heureàl’horlogequi trônesur lebuffetdelaboutique.Deplus, j’étaisseulecematinétantdonnéquelesfillesont leurmatinée.J’aidonceuletempsderessassertoutcequis’estpasséhier,etderéfléchiràlaréactiondeTomlorsqu’ilapprendraqueMatthewestderetourenville,maiscequimefaitlepluspeurestl’avenirdemafille.Monmariestunevéritablebombeàretardement,etlepeud’amourqu’ilnousporten’arrangerien.Jesaisqu’ilseraitcapabledeleverànouveaulamainsurmoi…Macraintelaplusprofondeseraitqu’ils’enprenneàAmyparpurevengeance.Jevaisdevoirvivreaveccesecret,aveccettevoixdansmatêtequime répète sanscessequecacher lavériténe faitqu’empirer leschoses. Jedoisprotégermonenfant,protégerlepeuquenousavons,mêmesiceladoitpasserparlesacrificedeperdrel’amourdemavie.

—Unechoseàlafois,Hope…,pensé-je,enm’approchantdelavitrine.Aujourd’hui,lecielestgrisetlapluiemenacedetomber.Jenesaispasoùvamemenercettenouvelle

rencontreavecMatthew.J’aitantdequestionsrestéesensuspens,tantdechosesquej’aimeraiséclairciraveclui.Mais,etsicelavenaitgâchercettemerveilleusejournéequ’ilsouhaitepartageravecmoi?Parlepassé,c’estcequinousaéloignés,puisséparés…Maislemanquedecommunicationnousaaussifaitcommettred’impardonnableserreurs,commecelledemonmariage.Jedoisprofiterdumomentprésent,etavancerpasàpas.Sesparolesrésonnentdansmatête…

«Lavieestbelle,Hope…Neperdspasespoir…»

Ellesme rappellent que je dois continuer à y croire et ne pas abandonner l’idée d’être à nouveauheureuse.Etquisait,peut-êtreauxcôtésdel’hommequej’aitoujoursaimé?

Emmasortdechezelle,accompagnéedeRose.Pratiquedevivreenfacedesonlieudetravail.Ellesmefontunsignedelamainettraversentlarueafindemerejoindre.

—Salut!lancent-ellesenouvrantlaporte.—Bonjour,lesfilles,réponds-jesimplementd’unepetitevoixtoutenregagnantlacaisse.Jefaisminederemettredel’ordredansnospapierstoutenlesscrutantducoindel’œil.—Qu’as-tu fait de beau alors hier ? m’interroge Emma tout en accrochant sa veste sur le porte-

manteauàl’entrée.— J’ai simplement été me balader, réponds-je sans m’attarder sur la question. Dis-moi, Emma ?

Pourrais-tuallerchercherAmyàl’écoleetlafairegoûter?Jedoism’absentercetaprès-midi.

—Euh…oui,maisoùvas-tu?Tuasrendez-vousavecdesclients?demande-t-elleenattrapantunchiffondansl’entrée.

—Jetiendrailaboutiquelesfilles,déclareRose.—Alors,oùvas-tu?insisteEmma.Jebaisselégèrementlatête…Siellesremarquentmonsourirestupide,colléaucoindeslèvres,elles

vontmecuisinerjusqu’àcequemorts’ensuive.Rosemerejointetposelesbordereauxdebanquedevantmoi.

—J’aiétéàlabanque,cematin.Toutestenordreetj’enaiprofitépourcommanderdeschéquiers,dit-elle.

—Tuasbien fait.Uneclientedoitnotammentpasser lasemaineprochainepournousproposerdesobjetshéritésdesagrand-mère.

—J’aihâtededécouvrircequ’ellevanousapporter,s’enthousiasme-t-elleensefrottantlesmains.Parcontre,j’aieul’étrangeimpressiond’avoirvuunevoituresemblableàcellede…

—Dequi?lanceEmmaens’approchantdenous.—Ehbien…ElleressemblaitétrangementàcelledeMatthew.Rosem’al’airterriblementembarrassée,cequin’échappepasànotreamiequiladévisageenposant

sespoingssurleshanchestoutenformantun«O»parfaitavecsabouche.—Quoi?demandeRoseennousobservanttouteslesdeux,sanscomprendre.—Figure-toiqueMlleObrien est restée fort évasive sur sabaladenocturned’hier soir. Impossible

d’entirerquoiquecesoit.—Etalors,oùestleproblème?ditRosequicontinuesanscomprendre.—Elleaprétexténerienvouloirdiredevantlapetite,commesic’étaitunsecretd’État!Etpuis,elle

avaitcemêmepetitsourireauxlèvres,explique-t-elleenmepointantdudoigt.—Quelsourire?feins-jeenhaussantlesépaules.Jenevoisabsolumentpasdequoituveuxparler…J’attrapelesbordereauxenfaisantminedeleslire.—Hope?—Hum…—Hope!—Quoiencore?râlé-jeenposantmesmainssurlecomptoirtoutenlesdévisageant.—Tunouscachesquelquechose,toi!s’exclameRosed’untonsoupçonneux.—Je…Soudain, j’entends le vrombissement de laMustang deMatthew rugir plus haut dans la rue. Bien

entendu,jesuiscertainequec’estlui…Jevaispasseruninterrogatoiremusclédèsmonretour.Ilsegaredevantlaboutiquesanssortirdesavoiture.Jetentedegardermoncalmeafinqu’ellesneremarquentpassaprésence.

—Bien,jevaisdevoirvouslaisser…

—Ahoui,déjà?demandeEmma.Toutàcoup,Matthewfaitvrombirànouveausavoiture, cequiattire immédiatement leurattention.

Ellessetournent,l’aperçoiventetcourentprécipitammentàlavitrineenagitantleursmainsdanstouslessens.MonDieu,ellessontincorrigibles!Matthewéclatederireetleursouritenlessaluantégalement.

—Jemesauve!Je traverse rapidement la boutique sans dire un mot. J’ouvre la porte, mais Emma m’attrape

immédiatementparlebras:—Faisattentionàtoi,machérie…Nelaissepasfilercettedernièrechanced’êtreheureuseauxcôtés

decethomme,meconseille-t-ellegentiment.—Jenesaispasoùj’ensuis,maisunechoseestsûre,c’estquej’aibesoind’êtreaveclui…Roseacquiescetoutencaressanttendrementmonvisagedureversdelamainenmesoufflant:—Va,mabelle!Sauve-toi!Je sors enm’avançant droit vers la voiture tout en lui souriant affectueusement. Ilme fait signe de

monter.Jemehâteafindenepasattirerl’attentionsurnous.

-V-

PortClydeVendredi9mai198014h35

Matthewporteuncostumenoiretunechemiseblanche.Ilestterriblementcraquantcommeça…Jenepeuxm’empêcherdeledévorerdesyeuxetdehumerl’odeurdesonparfumquiéveilleenmoil’envieirrépressibledeluisauterdessus.Respire,Hope…C’estunetrèsmauvaiseidée!Ilsetourneetattrapeunerosesurlessiègesarrièrequ’ilmetendenmesouriant:

—C’estpourtoi,mapuce.—Merci,dis-jetimidementenlaprenant.Jelaporteàmonneztoutenfermantuninstantlesyeux.—Jevoudraisquetum’accompagnesquelquepart…—Oùça?demandé-je.— Je regrette de ne pas avoir été présent… Je voudrais allerme recueillir sur la tombe d’Henry,

déclare-t-ilenpassantnerveusementsamainsursonvisage.Ilétaitmonamietjen’étaispaslà…Jenesaispas si je supporteraide levoir sous terre…Jevisdéjà trèsmal sadisparition,mêmesi jene lemontrepas,meconfie-t-il.

Jeposelamiennesursonépauleetluimurmureavectendresse:—Onyvaalors…Iln’estjamaistroptardpourréparerseserreurs.—Jel’espère,murmure-t-il.Ilglissesesyeuxtroublantssurmoienparcourantmoncorpssensuellement.—Jeresteraiàtescôtés,luipromets-je.Matthewacquiesced’unsignedetêteets’engagefinalementsurlaroute.

14h51

Jesaiscombienilvaluiêtredifficiled’allersurlatombedenotrevieilami.Jeluimontredudoigtoùellesetrouveetnoustraversonslecimetièresansdireunmot.

—Làvoilà,dis-jeenposantmonpoingsurmabouchepourétoufferunsanglot.

—Vienslà,mapuce.Matthewmeprenddanssesbrasetnousrestonsquelquesminutesàregardercetasdeterre.Ilyades

dizainesdebouquetsetdecouronnesdefleursétendussursatombe.Onytrouvemêmedespetitsmotsaffectueuxetdesobjets-souvenirsquireprésententlepharedePortClydedontilétaitencorelasemainedernièrel’heureuxgardien.Plusjamaisleschosesneserontcommeavant,etjem’inquiètepourlephare.Qui enprendra soin?Surtout queMarie a décidé de quitter lesÉtats-Unis pour partir se ressourcerquelquesmoisdansleurpaysnatal.Ellevaterriblementmemanquer…

—Regarde,Hope.Nousfinironstousenterreunjour…Àcemoment-là,ilseratroptardpourreveniren arrière, nous mourrons alors avec nos regrets… Je ne veux pas que cela nous arrive…, dit-il enresserrantsonétreinteautourdemoi.

Jeposematêtecontresontorsetoutencaressantsondos.—Jeneveuxpasêtreenterrée,jamais!Rienquel’idéed’êtreenferméedansuneboîteenboisetsous

terremeglacelesang,luiavoué-je.Ilreculesatêteenfronçantlessourcilstoutenmesondantd’unregardeffaré:—Mapuce,tuvivrastrèslongtempsetjedisparaîtraisbienavanttoi.Laseulechosequimefaitpeur,

c’estdetelaisserseuledanscemondesanspouvoircontinueràteprotéger.Jeteprometsquejeleferaistoujours,peuimportel’endroitoùjemetrouve.

— On ne sait pas de quoi est fait demain, Matthew. La vie est si courte et si je devais venir àdisparaître,jevoudraisterminermonvoyagedansl’océan,faceaupharedeMarshallPoint.

Matthewopinedelatêteetmerelâchedoucement.Ilsedirigeverslatombed’Henryets’accroupitenposantsamainsurlesol.

—Salut,monvieilami.Jesuisdésolédenepasavoirétélàpourtedireuntoutdernieradieu,maistumeconnais…Jesuisunhommeplutôtbuté.Jeneprendspastoujourslesbonnesdécisions.Exprimermessentimentsserévèleparfoisbiendifficile.Tuvasbeaucoupmemanquer…,dit-ild’unevoixtremblante.

J’étouffeunsanglot.J’ail’impressionquemoncœurvalâchertantlatensionetladouleurl’enserrent.Jem’approchedeluietposemamainsursonépaulepourluiapportertoutmonsoutien.L’amourc’estaussiêtrelàpourl’autredanslesbonscommedanslesmauvaismoments.

—Tiens,maisqu’est-cequec’est?—Quoidonc?demandé-jeenmepenchant.Merde!—C’est ledessind’unepetitefille…Tuasvu?Ilyamêmeunphare,enfinjecrois,pense-t-ilen

riant. Là, ça doit être Henry et ici, ce doit être elle… C’est écrit « Amy » là, dit-il en se tournantlégèrementversmoipourmemontrerledessinquin’estautrequeceluidemafille.Commentluiavouerquejesuisdevenuemaman?—IlestmagnifiqueMatthew,sangloté-jeenséchantdureversdelamainmeslarmes.Matthewremetledessinàsaplaceetserelèveaussitôt.Ilm’enlacedanssesbrastoutenmeberçant.

—Là,mapuce…Calme-toi…Sij’avaissu,jenet’auraispasemmenéici.—Oh,Matthew…Jesuissidésolée,monamour,gémis-jededouleuraucreuxdesesbras.—Jelesuisaussi…—Non,tunecomprendspas!m’écrié-jeenrelevantmesyeuxmalheureuxverslui.Je…—Quoi?demande-t-ild’untoninquiettoutenséchantmeslarmesduboutdesdoigts.Jesaisquetu

n’aspasfaitlesbonschoix,maislavieestainsifaite…—Non,tunem’aspascompris!Jecachemonvisageaucreuxdesoncoupourpleurertoutmonsoûl.Jenepeuxpas…Commentlui

direquemavieestsensdessusdessousdepuisqu’ilaquitténotreville?Commentluiavouerlaterriblevérité?

—Allez,viens…Jet’emmènequelquepart,dit-ilenpassantsonbrasautourdemesépaules.Ilm’entraîneverslasortietoutendéposantunbaisersurlehautdematête.Deretouràlavoiture,il

m’ouvrelaportièreenjetantunderniercoupd’œilaucimetière.—Adieu,Henry…—Oùva-t-on?demandé-je.—Dansnotrehavredepaix,répond-ilsimplement.

-VI-

TheCommodores-ThreeTimesALady

PortClydeVendredi9mai198015h35

Lamaisondelaplagesedessinedansl’horizon,commeunrêvequideviendraitréalité.LamusiqueThreeTimesALadydugroupeTheCommodoresbercecetémouvantmoment.Celafaitdesannéesquejen’yaipasremislespieds.Jesuisbienvenueplusieursfoismebaladersurlaplage,maisjamaisjen’aioséemprunterlesmarchespourl’approcherdeplusprès.Matthewremontelapetitealléedegravillonsquicrépitentsouslespneus,commeautrefois.Ilsegaredevantl’entréeetretirelesclésducontact.Uneatmosphère pesante s’est installée dans la voiture.Nous voilà à présent intimidés. J’aimon cœur quis’affoleetmarespirationquimetrahit.Jen’oseposermesyeuxsurluietjesaisqueleschosesvontsecompliquerdèsquenousauronsfranchilepasdelaporte.

—Ehmerde!lance-t-ilensepenchantversmoi.Ilprendmonvisageencoupeetm’embrassefougueusementenléchantvoluptueusementmeslèvres.Il

traceunelignedebaisersjusqu’àmoncouenglissantsesmainslelongdemesbrasqu’ilpresseentresesdoigts. Son souffle chaud qui file sur ma peaum’embrase entièrement et je ne lui résisterai pas trèslongtemps.

—Hope,madouceHope…,gémit-ilenécrasantànouveauseslèvressurlesmiennes.Jedéboutonnelentementsachemiseetglissemesmainsàl’intérieurpourcaressersontorse.—J’aitellementenviedetoi,mesouffle-t-ilenposantsamainsurmapoitrine.—Matthew!leréprimandé-jegentimentd’unepetitevoixpourletaquiner.Jesenssonsourirenaîtresurmapeau.Ilreculesonvisageetplongesonregardardentdanslemien.—Arrête de t’enflammer. Ce n’est que le début, je te réserve bien pire,me prévient-il à bout de

souffle.—Tucomptesmefaireencore l’amour ici?demandé-jeen faisantunsignede têtevers lessièges

arrière.

— Certainement pas ! déclare-t-il, déterminé. Je vais te porter jusqu’à notre chambre, ensuite jet’allongeraitoutdoucementsurlelitàbaldaquinetjeteferail’amourcomme…

—…unfoufurieux,terminé-jesaphraseenéclatantderire.Ilposeànouveausesmainsencoupesurmonvisageenmecontemplantcommesij’étaislahuitième

merveilledumonde.—Je…—Tuquoi…?chuchoté-jeenpenchantlégèrementlatête.—Tumerendsfou…Jesuisperduetpourtantjesaiscequejeveux…Putain…Levoilàànouveaun’allantpasauboutdesapenséeetcelacommenceréellementàm’inquiéter.—Qu’est-cequitetracasseautant?—Onyva!lance-t-ilsansvouloirmerépondre.Ilsortdelavoitureetvientm’ouvrirlaportière.Jelerejoinstoutenmefrottantlesbras.Ilcommence

àfairefroidetleventselève.—Attends,metsçasurledos,dit-ilenretirantsaveste.Illaposesurmesépaulespourmeprotégerdelapluiequicommenceàtomber,etnouscouronsvers

lamaison.

—Toutestrestéfidèleàmessouvenirs,remarqué-jeenentrantdanslesalon.Matthewmerejointets’empressed’allumerunfeudecheminée.—Ilfaitunfroiddecanardici,seplaint-ilensefrottantlesmainspourseréchauffer.Tun’espastrop

frigorifiée?demande-t-ild’untoninquietenattrapantdesbrindillesdebois.—Non,çava.Tavestemetientchaud.Parcontre,toi,tudoisavoirfroidmaintenant.—Net’inquiètepaspourmoi.Jevaisjusqu’àlafenêtrequidonnesurlaterrasseetl’océan,etremarquelerocking-chairenproieau

ventetàlapluie.Lesvaguess’abattentdéjàavecviolencesurlaplage.J’ouvrerapidementlabaievitréeetparslerécupérerafindelemettreàl’abri.

—Quefais-tu?demandeMatthew.—Leboisrisquedes’abîmer…Tunedevraispaslelaisserdehorslorsquetun’espasàlamaison!

rouspété-jeenleposantprèsducanapé.—Àlamaison?répète-t-il,unsourireauxlèvres.—Oui,réponds-jeenrefermantlafenêtre.—Viensparlà,dit-ilenmetendantsamain.Jem’approchedoucementenglissantmesyeuxsursapeauquiscintillesouslalumièredesflammes.

Sansdireunmot,ilmeretiresavesteetlaposesurlefauteuilderrièrelui.

—Assieds-toisurletapis.—Là,toutdesuite?demandé-jeenjetantunœilàcelui-ci.—Ouais, comme au bonvieux temps où nous passions des heures à contempler le plafond tout en

mangeantdesmarshmallows,merappelle-t-il,unsourireauxlèvres.Attendsunepetiteminute,tuveux?ajoute-t-ilenquittantprécipitammentlesalon.

Jem’avanceverslacheminéeetremarquequelesphotosdeBrookenesontpluslà.Seulescellesdesafamilleornentencorelemanteaudebois,cequimerassure.J’ajouteunebûcheetmedécideenfinàm’assoirsurletapisenattendantsonretour.

Soudain,jel’entendschantonnerdanslacuisine.—Maisquepeut-ilbienfaire?pensé-jeàvoixhautetoutenmeréchauffantlesmainsdevantlefeu

quicommenceàprendre.—Joyeuxanniversaire!Joyeuxanniversaire,Hope!Joyeuxanniversaire!Matthewentredanslesalonavecundesesgâteauxauchocolatdontjeraffolaistantàl’époque.Une

bougiescintilleégalementetdespetitscœursensucrerosesontéparpilléssurleglaçage.—Maiscen’estpasmonanniversaire?—C’était la semaine dernière, je sais…Mais comme je sais aussi que tu n’aimes pas le fêter, eh

bien…Allezfaisunvœu,Hope,dit-ilenposant legâteausur la tablebasseprèsdemoi,sansvouloirs’épanchersurlesujet.

Jefermelesyeuxensouhaitantquelebonheurfrappeenfinànotreporte,etlesrouvreensoufflantmabougie.Ilapplaudittoutfierdeluietmecoupeunepartqu’ilmetend.

—Mangedoucement,maismange!m’ordonne-t-ilenfronçantlessourcils.Tuasterriblementmaigri,etjen’aimepastevoirainsi.

—J’ailaligneetjesuissvelteàprésent,objecté-jeenlevanthautlatête.Matthewéclatederiretoutenseservantunepart.—Merci,c’estsympa!—Non,maisjerepensesimplementàtouteslespâtisseriesquetuingurgitaisàl’époque.Tuétaisplus

facileàroulerqu’àporter,continue-t-ilàriredeplusbelle.Jelèvelesyeuxauciel…Cethommevamerendrecinglée,c’estcertain!—C’étaittafaute,jetesignale!

Aprèsavoiravalédeuxpartsdegâteauetunbonchocolatchaud,Matthewaalluméquelquesbougiespour une ambiance plus feutrée et a pris le soin d’apporter une couverture sous laquelle nous noussommes emmitouflés l’un près de l’autre. Allongés sur le tapis, nous contemplons le plafond tout endiscutantdetoutetderien,commeautrefois.Leboiscrépitedanslacheminéeetilfaitdéjàmeilleurdans

lapièce.—Jepourraisrestercommeçatoutemavie…,soufflé-jeensouriantbêtement.—Quoi?Surletapisdusalon?demande-t-ilensemoquantdemoi.—Maisnon,idiot!legrondé-jeenluiflanquantuncoupdecoude.Ilattrapeimmédiatementmamainenlaserranttendrementdanslasienne.—Ceque jeveuxdire,c’estqu’àchaquefoisque jemeretrouve ici, j’ai l’impressiond’êtrechez

moi,tucomprends?—Jevoisparfaitementcequetuveuxdire…Jenousimaginebienvivreicitouslesdeux.—Ahoui?—Ouais…Jequitterais toutpourvenir te rejoindreetm’installer avec toi.Onpasserait toutnotre

tempsensembleetl'onnesequitteraitplusjamais.—Tuasconsciencequel’onnepourrapasvivred’amouretd’eaufraîche?luirappelé-jeenriant.—Jeretaperaidevieillesbaraques,commejel’aifaitavecnotre…,cettemaison.—Etmoi,jeferaiquoi?—Toi,mapuce,tuauraisletempsd’écriredeshistoiresd’amourlesunesplusfantastiquesqueles

autres.Jevoueraimavieàterendreheureuse…Jeleregardeducoindel’œilenretenantmeslarmes.Cethommearriveencoreàmesurprendre.Ila

toujourseulesmotspourmetoucheretmedonnerl’impressiond’êtreunique.— Nous aurons deux enfants. Une fille d’abord et ensuite un garçon, dit-il sûr de lui. Elle te

ressemblerait…Elleauraittonmerveilleuxsourire…—Etelleauraitdesyeuxauxcouleursdel’automneaveccettemagnifiquenuancedevert,toutcomme

lestiens…Puis,tonsensdel’humour…Elleseraitcourageuse,aimanteetbienveillante…Notrefils,lui,piqueraittavoiture.

Nousrionstouslesdeux,àl’idéedelaviequenouspourrionsavoirensemble.—Etlesoir…,reprend-il.Lorsqu’ilsseseraientendormis,oniraitcourirsurlaplageàpoil,ajoute-t-

ilenriantdeplusbelle.—Ehbien,çat’amarqué!—Marqué?J’aiadoré,tuveuxdire!Combiendechancesyavait-ilpourquetuteretrouvesàpoil

devantmoi?Jet’assure,jesuisrestésurlecul!J’éclatederireenmetournantverslui,unemainsouslatêtepourleregarder.—Jen’étaispastoutenue,dumoinspasàcemoment-là,m’empourpré-jeencaressantsontorse.—J’adorecettemaison,Hope.Ellecomptebeaucouppourmoi,etjamaisjenem’enséparerai,dit-il

enposantsamainsurlamienne.Ilpenchesatêteversmoienmecontemplantdesesyeuxamoureux.—Qu’as-tufaitducahierauxtonsdorés?medemande-t-iltoutàcoup.Mon cœur manque un battement. Parler de cette histoire et de mes pensées du soir m’est encore

terriblementdouloureux…J’adoreécrire,maiscettepartiedemoique jeconfieàcesboutsdepapierm’estsipersonnelle,siintime.Sijeluilivrelamoitiédecequej’écris,ilrisqueraitdeprendrepeur…Jel’aimed’unamourinconditionnel,etiln’yapasunjouroùjenem’épanchepassurunefeuillepourlecrierhautetfort.

—Hope,insiste-t-ilenposantunbaisersurmamainpourm’inciteràluirépondre.—Ehbien…J’écristoujours,sic’estcequetudésiressavoir…—Tonhistoireoudevrais-jeplutôtdirenotrehistoire?— Je n’ai pas encore osé la coucher sur le papier…Mais j’ai repris il y a peu l’écriture deMy

Destiny.—MyDestiny?C’estletitrequetuluiasdonné?s’enthousiasme-t-il.Sonsourireauxlèvresmetoucheprofondémentetmeprouveàquelpointcelaluifaitplaisir.—Unjour,lorsquejemesentiraiprête,j’écrirainotrehistoiresurtoncahier.—Promets-moiquetuleferas!Promets-moique,quoiqu’ilarrive,tuirasauboutdecettehistoire.—Maiscommentyarriverai-jesijen’aipasdefinàluidonner?Jesuisauborddeslarmeset,sinousnechangeonspasdeconversationrapidement,jevaisterminer

enpleurs.Jeneveuxpasgâcherlepeudetempsquelavienousaccorde.—Hope,regarde-moi,medemande-t-ilenrelevantmonvisageverslui.Jedonneraiunefinheureuseà

tonlivre.Ilmedéposeunbaisersurleslèvres,puisunautresansmequitterdesyeux.—Jetelepromets,répète-t-il,lavoixchargéed’émotions.—Jet’aimetellement!soufflé-jetendrement.—Etmoiencoreplusqueça.J’allonge ma tête sur son épaule en posant ma main sur son ventre tout en le caressant. Tant de

questionsmepassentparlatête,maiscommentm’yprendre?— Mon mariage est une cage dorée dans laquelle j’ai perdu la liberté de t’aimer, lui avoué-je

tristement.—Hope,nedisplusrien…—Cinq ans se sont écoulésdepuis la dernière fois oùnousnous sommes retrouvés ici…Qu’es-tu

devenu?As-tuquelqu’undanstavie?Jesupposequenon,sinontuneseraispaslà…Matthewmeserredanssesbrasenposantunbaisersurmonfront.—Personneneprendrajamaistaplace,Hope.Tuesuniqueàmesyeux,n’endoutejamais.Je veux le croire de toutesmes forces,mais je ne peux oublier ce qu’ilm’a fait vivre : son refus

obstinéderépondreàmesquestionsetlalâchetédontilafaitpreuveparlepassé.Etmêmes’ilestvenumerejoindreàl’église,ilétaittroptard.Ilm’atantfaitsouffrircettenuit-làquej’engardeencoreungoûtamer.Jevenaisdemedonnercorpsetâmeàluiet,mêmeaprèscetacted’amouretdeconfiance,ilaétéincapabled’exprimersessentimentsetcequ’ildésiraitpournousdeux.

—Pourquoinem’as-tujamaisavouétessentimentsetcequetuespéraisréellementdenotrerelation,Matthew?Pourquoies-tuvenumerejoindreàl’église?demandé-jeenrelevantbrusquementlatête.

—Parcequec’estcommeça,répond-ilsimplement.—Pourquoinem’as-turienditàl’époque?—Et toi, pourquoi n’as-tu rien fait ?C’est tout demême toi qui en as épousé un autre, pasmoi !

s’emporte-t-ilen repoussant lacouverture.Moi, j’avaisquittéBrookeetmêmeaprèsma rupture, tuasfoncétêtebaisséedanstonprojetfou!Toutçapourquoi?Pourentendrecequetusavaisdéjà!Voilàlavérité!

Ilserelèveetmarchedelongenlargedanslesalonententantdegardersoncalme.Jelerejoinsetmeplacedevantluipourl’empêcherdebouger.

—Jesuisheureusequetusoisrevenu,heureusequetusoisprèsdemoi,maisjesuismariéeàunautrehomme.Nousavonscommisdeserreurstouslesdeux,c’estvrai,maisàl’époque,j’étaissiperdue,siseule…J’avaistantbesoinquetumeparlesetquetumerassures.Tum’asditunefoisqueseulslesactesvalaient.Laisse-moiterappelerque,cettenuit-là,tun’asrienfaitpourm’empêcherdepartir.

Matthewrestelààmedévisagersansunmot.—Jetereconnaisbienlà,constaté-je,enreculant,unenouvellefoisdéçueparsoncomportement.Tu

vasunenouvellefoist’enfermerdanslesilence.Nousavonstantperdupartonmanquedecommunicationetd’honnêteté.Situesrevenupourça,ehbien,tupeuxrepartir…

Jetraverselesalon,lesnerfsàvifetleslarmesauxyeux.—Hope,attends!—Tuévitesunenouvellefoislesujet!hurlé-je,enouvrantlaportedel’entrée.Jedescendslesmarchessousunepluiebattante.—Hooooope!hurle-t-ilderrièremoi.

-VII-

Timbaland-Apologize

PortClydeVendredi9mai198017h35

Jedoisquittercetendroit,m’éloignerde luietneplus jamaisremettre lespiedsdanscettemaison.C’estlapromessequejem’étaisdéjàfaiteilyacinqans.Commentai-jepuimagineruneseulesecondequ’il aurait changé, mûri et tiré les leçons de ses erreurs ? Certes, il est différent et exprime plusfacilementsessentimentsqu’àl’époque,maisdèsqu’ils’agitdeprendredesdécisionsetd’exprimercesdésirs, c’est une tout autre histoire ! Je ne peuxme reposer sur lui. Je ne peux pas non plus attendreindéfinimentqu’ilmedisecequ’ilsouhaiteréellement.Jedoispenseràmoi,etsurtoutàAmy…Jenesuisplusseuleaujourd’hui,etj’aidesresponsabilitésentantquemère.Horsdequestiondedétruiretoutcepourquoijemesuisbattuecesdernièresannées!

Jetraverselaruesousunepluiebattanteendirectiondelaville.Larouteestdéserteetleciels’estassombri.Quiauraitl’idéedesebaladerdehorsparuntempspareil!Jevaismettreuntempsinfiniàrejoindrelaboutique.Jesuisdéjàtrempéeetjegrelottetantjemeursdefroid.Mescheveuxdégoulinentdansmondoset jedois ressembleràunevéritablefurie.Leventsoufflesi fortque jesuisobligéedem’arrêterafindetenterdemeprotégeravecmesbras.Jesuisencolère,déçue…Jeneveuxplusjamaislerevoir!

—Vaaudiable,Matthew!hurlé-jeenmetournantverslamaisonquidisparaîtauloin.Toutàcoup,j’entendslemoteurdesavoiturequis’approcheetjem’empressederemonterlaroute

afinderegagnerauplusvitePortClyde.LaMustangarriveàviveallureets’arrêteàmahauteur.Jenecomptepasluiaccorderunregardniuneparole.

—Hope,montedanslavoiture!dit-iltoutenroulantaupasprèsdemoi.Jerefused’unsignedetêteencroisantlesbrascontremapoitrine.—Monte!Nefaispasl’idiote!s’écrie-t-ilenfaisantvrombirlemoteur.—Certainementpas!Va-t’en!refusé-jeencontinuantdemarcher.

—Tuvasattraperlacrève!—Commesicelapouvaitt’inquiéter!lancé-jesuruntonironiquesansleregarder.Matthewaccélèreetfreinedevantmoienmebarrantlepassageplusloin,surlebas-côté.Jem’arrête

immédiatement,paniquée,medemandantquefaire.Ilsortdelavoiture,l’airmenaçant,excédéparmonentêtement.Toutefois,j’ailafermeintentiondenepasmelaisseramadouer.

—Viensavecmoi!m’ordonne-t-il.Jereculedequelquespas,maisilm’agrippeparlataillefermement:—Tunousfaisquoi,là?Tuasperdulatête!—Tun’esqu’unconnardetjetedéteste!Jeneveuxplusjamaisterevoir!hurlé-jeenlefrappantsur

letorse.—Calme-toi!Putain,Hope,jet’aime,espèced’idiote!—Nem’insultepas!crié-jeenlegiflantviolemment.Jeneveuxplust’entendre!craché-je,furieuse,

enpleuranttoutesleslarmesdemoncorps.J’ailecœurbriséetéparpilléenmilliersdemorceaux.—Jamais,tum’entends?Jamais,tantqu’ici,dansmoncœur,jesentiraicetteflammebrûlerpourtoi!

refuse-t-ilenattrapantmonvisageencoupe.—Jetedéteste…,soufflé-je,àboutdeforces.J’enaiassezdemebattre,Matthew…—Qu’est-cequetuveux?demande-t-ilpluscalmement.—Sauve-moi,Matthew…Sauve-moietemmène-moiloind’ici…—Siseulementtum’avaisappeléplustôt…Jerestelàsanscomprendreenledévisageant,lapeurauventre.—Jeveuxvivreavectoi,Matthew.Jeleveuxplusquetout,maisj’attendsquetutebattespourmoi,

pournous!Dis-moiunebonnefoispourtoutescequetuveuxréellement?—Jeteveux,Hope,commejen’aijamaisdésiréquiquecesoit,lâche-t-ilenécrasantseslèvressur

lesmiennes.Matthewmesoulèveetj’entoureimmédiatementsatailledemesjambes.Ilmeportejusqu’àunarbre

surleborddelarouteoùilm’adossetoutenm’embrassantavecfougue.Ilesthorsdelui;jamaisilnem’avait embrassée avec une telle hargne. Ilme fait peur, et ilme pousse une nouvelle fois dansmesretranchements.Sa façondeme serrer dans sesbrasmeprouve àquel point il ne tient pas àmevoirquittersavie.J’ai l’impressiond’êtreunebouéedesauvetageà laquelle il s’agrippeavec la forcedudésespoir.Ilmeplaqueplusfortementcontrel’arbreenfaufilantsesmainssousmarobe.Inopinément,ils’immiscedoucementsousmaculottejusquelà.Iltrembledetoutsonêtresansmeregardernimeparler.

—Hope…Matthewglisseseslèvreshumidesetchaudesjusquedansmoncoutoutenattrapantmaculotteentre

sesdoigts.D’uncoupsec,illadéchireetlalancesurlesol.—Matthew,gémis-jeenrenversantlatêteenarrière.

—Nebougepas,Hope!Jet’interdisdemequitter.Pascommeça!mesomme-t-ild’unevoixgraveengoûtantdélicatementàmapoitrine.

J’ailecœurquis’emballeetjenesuisplusmaîtredemoi-même.Jesuisdansunétatsecondcommeen transe.Mes sens sont perdus dans un tourbillon d’émotions et de sentiments.Ma raison livre unebatailleimpitoyableàmoncœur,maisjesaisdéjàquecelui-ciperdrasoncombat.J’aiuneenviefolledemedonneràluietdemeperdredanssesbras,mêmesic’estpourlatoutedernièrefois.

—J’aienviedetoi,Hope.Enviedetefairemienne,icietmaintenant,souffle-t-il.—J’enaienvieaussi,luiavoué-jeenmeserrantdavantagecontrelui.Matthewrelèvesonvisageversmoipourcaptermonregardtoutenglissantsesdoigtsjustelà.—Jeveuxtevoirprendreduplaisir…Jedévieimmédiatementmonregarddusien.—Putain!Regarde-moi!s’écrie-t-ilenlesnichantplusprofondémentenmoi.Je memordille la lèvre tant ma tension vient demonter d’un cran encore. Je sens déjà le plaisir

familiermonter,etjenetarderaipasàm’abandonnerauxplaisirsdelachair.—Regarde-moi,s’ilteplaît,monamour,susurre-t-ilpluscalmement.Jelèvemesyeuxbrûlantsverslessiens.Monsouffles’affolelorsqu’ilappuieplusfortementafinde

mefaireatteindreleseptièmeciel.—Oh,Matthew!J’exploseenrenversantlatêteenarrière,parcouruedespasmeslesunspluspuissantsquelesautres.—Hope…Matthewretireaveclenteursamainetouvresabraguette.—Jevaistefairemienne,etpersonnenepourram’enempêcher.Rienàfoutredetoutcebordelqui

nousentoure!Il senicheenmoiavecdélicatesse touten faisantdesva-et-vientdeplusenplus rapidesen tenant

fermementmeshanchesentresesdoigtspourmemaintenir.—Matthew,plusfort!—Jenevaispastenirlongtemps,Hope…,dit-il,amusécettefois,ensecouantlatête.—Çaaussi,tumel’asdéjàdit!gémis-jeensouriantbêtement.Ilmesourittoutenmefaisantl’amour.Seslèvresseposentdoucementsurlesmiennesetparcourent

mapeaujusquedanslecreuxdemoncou.Soudain,Matthewaugmentelacadenceetsoncorpssemetàtrembler.

—Tuessibelle…Tumefaisuneffetterrible,mapuce.Putain!Ilsefigetoutenmeserrantdavantagecontrelui,puisilrelâchelapressiontoutenposantsatêtesur

monépaule.—Hope,madouceHope…

18h35

Après être retournés à la maison de la plage et nous être séchés, nous avons repris la route endirectionde laville. Il se fait tard et jedois rentrer.Un silencedemort s’est installédans lavoiturejusqu’àcequenousatteignionsmaboutique.Noussommesaussibouleversésl’unquel’autre…Matthewa l’air perdu dans ses pensées et je n’ose entamer la conversation. Nous avons fait l’amour commejamais,maisjesaisquecelanerésoudraabsolumentrien.

—Noussommesarrivés,dit-iltoutensegarantdevantlaboutique.Jejetteunœilàl’intérieurdepeurquequelqu’unnousvoie.RoseestseuleetEmman’estpasencore

là,cequilanceunventdepaniquedansmatête.Jen’aipasencoreoséentamerlesujet«Amy»aveclui.Enfait,jenecroispasquecelachangeraitquoicesoitànotresituation.Jepréfèrequeleschosesrestenten l’état…Dumoins, tant que je neme sens pas prête à lui en parler. Lâcheté dema part ? Instinctmaternelexacerbé?Égoïsme?Allezsavoir…

—JedoispartirpourPortland,sedécide-t-ilenfinàmedire.—Quand?demandé-jed’unevoixfaible.Ils’enva…—Demain… J’ai des affaires urgentes à traiter et ça ne peut attendre, répond-il sansmême oser

croisermonregard.Ilpassenerveusementsamainsursonvisageeninspirantbruyamment.—Jevois…—Non, tunevois rien,Hope!objecte-t-ilenmefaisant face.Necommencepasà teposer36000

questions,carcelan’arienàvoiravectoi.Jedoissimplementrésoudreuneaffaire…,dit-ilenbaissantlatête,sansvouloirm’endiredavantage.

Levoilàquiseréfugieànouveaudanssonmutisme,leregardfuyant.— Cela nous laissera le temps de réfléchir…, soufflé-je, les larmes aux yeux en entortillant mes

doigts.—Commentça?demande-t-ilensetournantversmoi,inquiet.— Ta situation est peut-être compliquée, mais tu oublies que la mienne l’est aussi, si ce n’est

davantage.—Ça,c’estcequetucrois!Jeneveuxpast’inquiéter…Tuasbiend’autressoucisàrégler,lâche-t-il

sèchementsansvouloirm’endireplus.Soudain, j’aperçoisEmmaquisortdeson immeubleaccompagnéed’Amyquisautillesur le trottoir

toutenluitenantlamain.Jedoisabsolumentsortirdecettevoitureauplusvite!—Euh…Jedoistelaisser,Matthew!dis-jed’unevoixpaniquéetoutensurveillantducoindel’œil

mafillequis’approche.—Qu’est-cequ’ilya?demande-t-ilensuivantmonregardaffolé.

Ehmerde!Matthewpointesondoigtverselletoutendemandant:—QuiestcettepetitefilleavecEmma?Jesorsprécipitammentdelavoituresansluirépondre.Jerejoinsletrottoir,suiviedeMatthewquine

sesoucieguèrequequelqu’unnousvoit.—Mamaaaaaaannnn!crieAmylorsqu’ellemevoitdevantlaboutique.Emmaluilâchelamainpourluipermettredemerejoindre,maislorsqu’ellecroiseleregardchoqué

deMatthew elle en perd son sourire.Amy court dansma direction en levant les bras devant elle. Jem’accroupisaussitôtenluiouvrantlesmiens.

—Tuesenfinrentrée!s’enthousiasme-t-elleenmeserrantcontreelle.—Tum’asbeaucoupmanqué,Amy.Jemerelèveenlaprenantparlamain.Matthews’avancelentementversnous,lesyeuxgroscomme

desbillesennousdévisageanttouteslesdeux.—Bonjour,lasalue-t-ild’unsignedemain.Amysecacheimmédiatementderrièremoi,intimidée.—Bahalors,machérie?dis-jeenluicaressantlehautdelatête.Matthews’accroupitfaceànouspourseplaceràsahauteur.—Tusais,jenevaispastemanger?dit-ilenluisouriant.—C’estvrai?répond-elletimidementenpenchantlatêtepourleregarder.Matthew opine de la tête. Amy me relâche et s’avance dans sa direction en me jetant un regard

interrogateur. Je lui adresse un signe de tête pour l’autoriser à l’approcher.Mes larmesmenacent decouler,maisjenepeuxpasmemontrerfaibledevantelle.Ellenecomprendraitpasmaréaction…

-VIII-

RevengeSoundtrack–FarewellFauxmanda

PortClydeVendredi9mai1980

Matthewattrapedélicatementsespetitesmainscommesielleétaitencoreunpetitêtre fragile. Il laregardeavectantdetendressequejesuisobligéed’étoufferunsanglotavecmamain.Combienyavait-ildechancesqu’unjourilspuissentenfinserencontrer?

—Commenttut’appelles?—Jem’appelleMatthew.EttoiAmy,c’estbiença?dit-ilenmeguettantducoindel’œil.—Oui,dit-elleenhochantlatête.Tuesunamidemamaman?—Oui,jesuis…unvieilamidetamaman,confirme-t-ilavecunsourireauxlèvres.—Alors,pourquoijenet’aijamaisvuavant?Matthewsecouelatêted’unairgênéetàlafoisamusé.Emmas’approcheenriantdoucementtantma

petitefilleestperspicace.—Çava,Hope?—Oui, ne t’inquiète pas, lui soufflé-je discrètement.Regarde-les comme ils sontmignons tous les

deux.—Oui,machérie…Ilssontadorables,confirme-t-elleenposantuninstantsatêtecontrelamienne.Lapluieacessédetomber,lesoleilperceànouveaulesnuagescommesilanaturevoulaitrendrele

tableaudeleurrencontreencoreplusmagique.Envoilàunqu’Henryauraitbienpupeindre…—Carj’habiteloind’icietque…j’aibeaucoupdetravail,luiexplique-t-ilvaguement.—Oùça?—ÀPortland…Jetiensunebanque.—Amy,laissedoncMatthewtranquille.Deplus,ildoits’enaller,n’est-cepas,Matthew?interviens-

jedansl’espoirdemettrefinàcetteconversationquirisquedecompliquerconsidérablementleschoses.Moncœurn’ensupporterapasdavantage…—Jenesuispaspressé,s’obstine-t-ilenmedécochantunclind’œilquim’empourpre.Tuesvraiment

trèsjolie,tusais?Tuaslesmêmescheveuxsoyeuxetbrillantsquetamaman,maistesyeux…Laisse-moilesadmirerdeplusprès…

Amypenchelentementsapetitetêteverslui.—Tuas lesyeuxauxcouleursde l’automne,mais ilyadesnuancesdeverts…Ausoleil, ils sont

encoreplusmagnifiques…—C’estvrai,tutrouves?dit-elle,charmée.Matthewacquiescesansdireunmot.Ilestblanccommeunlingeetsonregardtroubléquiseposeà

présentsurlemien,mefaitpeur.—JenemesouvienspasqueTomait lesyeuxdecettecouleur?medemande-t-il.Et toinonplus,

d’ailleurs.—Magrand-mère,lâché-je.Amy,ilsefaittardettuasécoledemain,tenté-jedecoupercourtàcette

conversationquim’embarrasseauplushautpoint.—Maman?Est-cequeMatthewpeutresterdîneravecnous?—Jenepensepasquecesoitunebonneidée,machérie,luiréponds-jeprécipitamment.Matthewdoit

rentreràPortlandtrèstôtdemainmatin.—Oh, commec’est dommage !TanteEmmaetmoi avons fait ungâteau au chocolat.Tu aimes les

gâteaux,Matthew?—J’adoreça,etpar-dessustoutceuxauchocolat.Tamamanaussi,d’ailleurs!dit-ilenriant.— Je vais te dire un secret, chuchote-t-elle en approchant sa bouche de son oreille.Maman a des

pouvoirsmagiques…—Ahbon?s’étonne-t-il.—Elleestcapablededévorerdesdizainesdegâteaux!Jemedemandeoùellelescache,semoque-t-

ellegentimentdemoi,cequimefaitrireàmontour.—Tuasunsensdel’humourincroyablepourtonâge!remarque-t-ilenriantdeboncœuravecelle.—Mamanadorequandjelafaisrireet…—Amy,jeterejoinscheztanteEmmadansquelquesminutes,lacoupé-jeaussitôtdanssalancéeavant

qu’ellen’endisetrop.—Allezviens,mapuce,luidit-elleenluitendantsamain.—J’espèrequetuviendrasbientôtàlamaison.Matthewpose tendrement samainsur sonvisageet lui répond touten luidéposantunbaiser sur le

front:—Jel’espèreaussi,machérie.IlserelèveenluisouriantetAmyrejointsatante.—Amy?l’appelle-t-ilprécipitamment.—Oui?répond-elleensetournantverslui.—Quelâgeas-tu,machérie?

—Jeviensd’avoirquatreans.Aurevoir!Matthewluiadresseunsignedelamain,puisellestraversentlarouteetpénètrentdansl’immeuble.Je

respireànouveau…J’aibiencrumourirsurplace!—Pourquoi nem’as-tu jamais dit que tu avais une fille ?Et…qui s’appelleAmyd’autant plus ?

demande-t-ilens’approchantdemoi,lesyeuxtroublésparlarage.—Oùestleproblème?J’aitoujoursaiméceprénom.—Netefousdemagueule,Hope!C’était leprénomdeladanseusede lapetiteboîteàmusique!

Cettenuit-là,tum’asditquesinousavionsunefille,tuaimeraisluidonnersonnom!—J’adoreceprénom!J’ailedroitd’appelermafillecommebonmesemble!lancé-je,excédée,en

rejoignantmaboutique.Sedisputerenpleinmilieudelaruenenousavanceraàrien.Jepousselaporteetcroiseleregard

affolédeRose.Matthewmesuitàl’intérieurencontinuantàmeharcelerdequestions.—Là,c’esttoiquiteposes36000questions!Laisse-moitranquille!crié-jeenrejoignantmacaisse.—Bonjour,Matthew,bafouilleRosequisedemandecommentréagir.—Rose,sorsd’iciimmédiatement!hurle-t-ilenlatraînantparlebrasjusqu’àlasortie.—Maisqu’est-cequiteprend?Tun’esqu’ungoujat!peste-t-elleensortantdehors.—Tum’envoisravi!Aurevoir!crache-t-ilsèchementenrefermantlaporte.Illaverrouilleavecleloquetettournelapancartepourindiquerquenoussommesfermés.Puisiljette

unœilàlarueetsetourneversmoi.—Ànousdeux,MlleObrien!Jereculedequelquespasetrejoinsrapidementmonbureauafinquelespassantsn’entendentpasnotre

dispute.Matthewesthorsdelui…Sonapparencemerenvoieàlafoisoùilvenaitd’apprendrequejequittaisleLily’sCoffee…Ils’étaitemportéaprèsmoidevanttouslesclientsducafédeLiliane.S’ilosemerejouerlascène,alorsqu’aujourd’hui,toutlemondemeconnaitcommelafemmedeTom,jenedonnepascherdemavieet,quisait,mêmedelasienne.

—Oùvas-tucommeça?!—Dansmonbureau!J’aiencoreledroitd’allerlàoùjeveux!—Pourquoinem’as-turiendit?demande-t-ilenmesuivantàl’intérieur.—Jen’enaipaseul’occasion,voilàtout!Matthew s’avance rapidement vers moi et je me retrouve dos au mur, sans pouvoir faire un

mouvement.—C’est de ça que tu voulaisme parler l’autre soir au phare ?Qu’est-ce que tu t’efforces deme

cacherdepuisquejesuisrevenuenville?Il pose samain sur lemur près demon visage et ses yeux perçantsm’effraient à tel point que les

larmesmemontentauxyeux.—Jenesavaispascommentaborderlesujet…

—Displutôtquetunevoulaispasquejel’apprenne!Dumoins,paspourlemoment,hein?Ilinspireprofondémentpourtenterderecouvrersoncalme,etreculedequelquespas.—C’estellequiafaitcedessinpourHenry,n’est-cepas?comprend-ilenpassantsesmainssurson

visage.J’opinedelatêteentremblantdelatêteauxpieds.— Je vais te poser la question une seule et unique fois… Je te préviens que je ne te pardonnerai

jamaisdem’avoirmenti!Jeposemamainsurmeslèvrestoutenpleurant.Jesaiscequ’ilvamedemander…—Hope, ma douce Hope…, commence-t-il, les yeux humides. Est-ce que cette petite fille là-bas

dehors…auxyeuxverts…estnotrefille?dit-ilenlaissantcoulerseslarmes.Je revois la naissance d’Amy… Je revois son si joli sourire s’éveiller devant moi… Je pourrais

presque entendre sa voixme souffler combien ellem’aime…Mais jeme souviens également de cettenuit-là,lorsquejevenaisd’apprendrequejeportaissapetitevie…

—Commentest-ilpossiblequetusoisenceinte,Hope?mehurleTomentournantenronddanslesalon.—Jenesaispas…Tuasentendulemédecincommemoi!Letraitementantibiotiquequejeprenais

acertainementannulél’effetdemapilule,luirappelé-jeententantdegarderunedistancephysiqueentrenous.—Celafaisaitdessemainesquenousn’avionspascouchéensemble!Lesjoursquiontsuivinotre

mariage,tut’esrefuséeobstinémentàmoi!Pourquoi?!—J’étaismalade…Jenemesentaispasbien…Ils’avancerapidementenlevantlepoingenl’air.—Nemefrappepas,s’ilteplaît!Penseaubébé,Tom,lesupplié-jetoutenmetenantleventre

pourprotégermonenfant.—Écoute-moibien,salepetitegarce!Sij’apprendsquecette…chosequetuportesn’estpasde

moi,jetetue!crache-t-ilenm’attrapantparlecou.—Tom,tuesleseul…,gémis-je,paniquée,leslarmesauxyeux.—Je te tuerai,Hope,répète-t-ilenmefoudroyantdesonregardhaineuxen tendantversmoiun

indexmenaçant.Tuentends?Effrayée, j’opine faiblement de la tête. Il me relâche enme poussant violemment contre lemur.

Puis,sanslamoindresemonce,ilmegifleetmegifleencorejusqu’àcequejem’effondresurlesol.—Jetetueraietl’enfantaussi!

—Non!lâché-jeenéclatantensanglots.—Celapourraittoutchanger,Hope.Tout…

—Tutetrompes,Matthew.Celanechangeraitabsolumentrien,ceseraitpire…—Qu’est-cequipourraitpousserunefemmehonnêteetsincèretellequetoiàmementir,aurisquede

sacrifierl’amourdesavie…?laisse-t-iltombercommel’annonced’unefinentrenous.—Va-t’en!—Quoi?—Jeveuxquetut’enailles!hurlé-jesanslequitterdesyeux.— Si je sors d’ici, dit-il en me montrant la porte. Je ne reviendrai plus, Hope. Plus jamais, tu

m’entends?meprévient-ilenfrappantsurmonbureau,furieuxaprèsmoi.Lavoixdemapetitefillerésonnedansmatête…

«Mamaaaaaaannnn,jet’aime!Etmoiencoreplusqueça,maprincesse…»

Jelèvehautlatêteetluirépondssansdétour:—Sors!Il se redresse enmedévisageant avec froideur et traverse la pièce.Lorsque soudain, il s’arrête en

remarquantletableaud’Henry.—QuandHenrya-t-ilpeintcetableau?demande-t-ild’unevoixchargéedepeine.—Quelquessemainesavantdenousquitter…—C’esttriste…—Pourquoidis-tuça?demandé-jesanscomprendreenessuyantmeslarmes.—Ilvoulaitfairepasserunmessageàtraverssapeinture,maistuastoutgâché.—C’esttoiquiasdétruitnosvies!Matthewmedévisaged’uneminedéconfite,certainementblesséparmespropos,etquittemonbureau

sansrienajouter.—Pardon!Jenevoulaispasdire…Je m’avance aussitôt, mais abandonne l’idée de le retenir… À quoi bon ? J’entends sa voiture

démarrerets’enalleràgrandevitesse.Jamaisjenelereverrai…Aujourd’hui,j’ensuispersuadée…—Maisqu’est-cequejeviensdefaire!hurlé-jeenmelaissant tombersur lesol.Nooooooon!Je

veuxmouriiiiiiiiiiiiiiiiiir!

-IX-

9moisplustardPortClydeSamedi07février1981

Le soleil brille et,malgré les températures négatives, la brise est agréable en cette fin de journée.J’avaisbesoind’allermebaladersurlaplageavantlegranddépartpourPortland.Lundi,jequitteraiPortClydepourunelonguesemaine.Jedoissignermoncontratdepublicationetrencontrerledessinateurdemapetitehirondellevoyageuse.Maisvoilà,savoirmapetitefilleàdescentainesdekilomètresdemoimebriselecœur.Jesaisqu’elleserabienentouréeetentredebonnesmains,vuquejelaconfieàsestantes.Tométant«tropoccupé»,lechoixs’estimposéàmoi,etjepréfèredeloinqu’ilenailleainsi.Jen’aiaucuneconfianceenluietAmyn’aimepasresterseuleensacompagnie.Ilestdevenuunvéritableétranger au seinmême de notre famille. J’ai le projet fou de lui demander le divorce,mais quand enaurai-jelecourage?

DepuisledépartdeMatthew,jevischaquejourl’unaprèsl’autre,sansautreambitionquedelemenerjusqu’aubout.Notredisputeetcettenouvelleséparationm’ontanéantie,etjenecroisplusenrien.Celase ressent à travers lesquelques lignesque j’ai réussi à écrire cesdernières semaines. Impossiblededonnervieàunenouvelleromance…Autantdirequej’aiperdul’inspiration.Pire!L’espoir…

Mabaladememènetoutdroitàlamaisondelaplage.Ironiedusort…Lesvoletsbleussonttoujoursfermésetlerocking-chairestenpiteuxétat.Quelgâchis…

—Commenta-t-ilpuabandonnersamaison?pensé-jeàvoixhautetoutenlacontemplanttristement.Jemonte lesmarches quimènent à la roseraie, et remarque qu’elle est protégée par des voilages

hivernauxposéssurdegrandscadresenbois,commesiquelqu’uncontinuaitàenprendresoin.—Étrange…,soufflé-jeenregardantautourdemoi.—Bonjour!Jemetourneetposemamainencasquettesurmonfrontpourmeprotégerdusoleil.Unhomme,en

costumeetunemallettesouslebras,merejointenmesouriant.—Bonjour!lesalué-jed’unsignedetête.—Elleestmagnifique,n’est-cepas?dit-ilenregardantlamaison.

—Oui, très. J’ai toujoursbeaucoupaimécetendroit.Maisquelle tristessede lavoirvidéedesonâme…

—Veuillezm’excuser,jemanqueàtoutesmespolitesses.Jem’appelleBillyKent,agentimmobilier.Jeviensd’arriverdePortland,seprésente-t-ilenmetendantsamain.

—Portland?demandé-je,sanscomprendre,enluitendantlamienne.—Oui.Jesuisvenuestimercettemaison,m’explique-t-ilensortantundossierdesamallette.Jetentedejeterunœilàcelui-ci,maisrienn’estindiquésurlacouverture.—Ellevaêtrevendue?m’inquiété-jeenm’avançantverslaterrasseoùsetrouvelerocking-chair.Jemontelesmarchesenbois,suiviedeprèsparM.Kentquiprenddesnotessurunefeuilledepapier.— Cela se pourrait bien, en effet, me répond-il en vérifiant l’état de la rambarde en bois. Les

propriétaires souhaitent avoir une idée du prix qu’ils pourraient en tirer s’ils la vendaientmaintenant.Mais,vulesconditionsactuellesdumarché, ilsrisquentd’opterpour la location.Àmoinsqu’ilsaientuneoffrequineserefusepas,conclut-ilenrejoignantlaported’entrée.

—Lespropriétaires?Jelesuisafind’enapprendreunpeuplussureux.Cequejenecomprendspas,estpourquoielleleur

appartient.Matthewnecomptaitpaslavendre.—Cette serrure devra être changée, dit-il en ouvrant la porte qui donne sur le hall d’entrée de la

maison.J’entreetrejoinsimmédiatementlesalonquidonnesurl’océan,nonloindelacheminéeoùnousavons

passédesitendresmoments.—Toutesttellementvideetmonotone…,murmuré-jeentournantsurmoi-mêmeetenregardantautour

demoi.Ill’acomplètementrayéedesavie,parmafaute…M.Kententredanslapièceetsemetàvérifierl’étatdespeintures,puisdesbaiesvitrées.Soudain,

sonregards’attardesurmoi.Jebaisselégèrementlesyeux,intimidéeparsaprésenceetterriblementmalàl’aise.Ildoitmeprendrepourunecinglée!

—Ellevousplaîtbeaucoup,n’est-cepas?medemande-t-il.—Jevenaissouventici…Maisc’étaitdansuneautrevie,dis-jeenhaussantlesépaules.—Avez-vousconnul’ancienpropriétaire?—L’ancien?— Oui, elle appartient à présent à un jeune couple qui détient une société d’investissements, me

répond-ilrapidement,sansvouloirs’épanchersurlesujet.Ilnemeditpastoutetjesensbienquelesujetl’embarrasse.Jefaisminedenepasprêterattentionà

saréponseenmedirigeantverslacheminée.—Doncl’ancienpropriétaireauraitvendusamaisonàcejeunecouple?demandé-jeencroisantson

regardinquisiteur.—Vousleconnaissiez?insiste-t-ilenfronçantlessourcils,sansrépondreàmaquestion.

Troublant…—J’aisimplementtravaillépoursafamille…—Sivousl’aimeztantqueça…—Quiça…?!lecoupé-jeenreculantd’unpas,depeurqu’ilnedevinemonlienavecMatthew.—Lamaison!Vousdevriezlalouer,voirefaireunepropositionpourl’acheter,mepropose-t-iltout

enouvrantlabaievitrée.—Moi?Non,jen’enaimalheureusementpaslesmoyens,refusé-jeenriantnerveusement.—C’estbiendommage…Jesaisquemonclientauraitétéheureuxdesavoirqu’unepersonne telle

quevouspuissel’acquériretenprendresoin.—C’estgentil,maisjenepeuxm’offrircettemerveille.—Ilaimaittantcettemaison,maissonépousedétestecettevilleetcommevouslesavez,lesfemmes

onttoujourslederniermot.—Pastoutes,jevousassure…Bien,jedoism’enaller.Jevoussouhaiteunebonnevisite,dis-jeen

repartantversl’entréetoutenlesaluantdelamain.Ah!Encoreunechose…—Oui?—Vousdevriezrentrerlerocking-chairdanslamaison.Ilseraitdommagequeleboispourrisse,lui

conseillé-jegentiment.Ilregardecelui-cienhochantlatête.—Merci,jevaism’enoccuperdesuite.—Bien.Aurevoir!—Attendez!Vousnem’avezpasdonnévotrenom?Jesorsdelamaisonsansluirépondre.Jedévalelesmarchesquidonnentsurl’alléedegravillons,et

meretournepourlacontemplerunedernièrefois.—Alors, commeça, tu asvendu lamaisonde laplage àune sociétéd’investissement ?Tu savais

pertinemmentquetudétruiraissonâme…As-tuvoulumepunir?Oualors,onnem’apastoutdit…

-X-

PortlandLundi9février198110h29

ArrivéeàPortland,latensionquejeressentaiss’estatténuéeaufuretàmesurequejem’engouffraisenville.Jesaisquej’aipromisàLilianedeluirendrevisitelorsquejeserai là,maismoncœurm’enempêche. Je neveuxpas tomber sur son fils, je ne le supporterai pas…Malgré tout, je suis heureused’être enfin arrivée. J’attends impatiemment ce rendez-vous depuis des mois et signer ce contrat meréjouit.Lasériede livresvaenfinvoir le jour,et jesaisqu’Amyva lesadorer.J’aidéjàen têted’enoffrirauxécolesdePortClydeafinquelesenfantsaientdenouveauxouvrages.

L’histoire de cette petite hirondellem’a beaucoup plu. Elle a été si rafraîchissante à écrire. Je nevoulais pas donner vie, encore une fois, à un roman où des êtres torturés se séparent pour enfin seretrouver.J’avaisbesoindequelquechosedepluslégeretdetoucherunjeunepublic,commemafille.Cepetitoiseauvavoyageretrencontrerdesenfantsavecquiilvaselierd’amitiétoutendécouvrantlemonde.Bienévidemment,ilyatoujoursunemoraleàlafinetc’estcequim’aleplustouchée,enfindecompte.J’espèrequ’elleplairaauxpetitslecteursenherbe…

Je me gare devant la maison d’édition et sors de ma voiture. J’attrape sur les sièges arrière mamalletteenprenantunegrandeinspiration.

—Allez,c’esttonjour,aujourd’hui,Hope…Jemonteaupremierétagedel’immeubleetcroiseàl’accueilmonagentetamiequim’attenddéjà,un

sourireauxlèvres.—Hope!s’exclame-t-elleenmerejoignant.—Bonjour,Page.Commentvas-tu?Ellemeserredanssesbrasetmecomplimented’unebisechaleureuse.PageStevens,grandeblonde

auxyeuxvertsetauxjambesinterminables.Lescheveuxtoujourstirésenarrièredansunchignon,presquetrop parfait. Elle est d’une allure sans défauts et vêtue de tailleurs hors de prix. Malgré son côtéB.C.B.G., elle est d’une simplicité incroyable et d’uneprofondegentillesse.Nousnous entendons trèsbien,quecesoitprofessionnellementoupersonnellement.

—Viens.Onnousattendensallederéunion.Toutestprêtpour lasignatureducontratet toutaétérédigé dans les termes que nous souhaitions. C’est une super offre, autant pour eux que pour toi, meconfirme-t-elleenm’entraînantdanslecouloir,unemainposéesurmonépaule.

—Etledessinateurestlà?Est-cequel’hirondellecorrespondàmadescription?luidemandé-je.—Oui, tous lesdessinssontmagnifiques.Tuvasadorer,m’assure-t-elleenposantsa têtecontre la

mienne.

12h39

Unefoislecontratsigné,nousallonsfêtercelaaurestaurantquisetrouveaucoindelarue.Commeàsonhabitude,Pagearéservéunendroithorsdeprix.Jemesenstrèsmalàl’aiseetimaginerpassercettesemaineàmangertouslesjoursdanscetypederestaurant,vam’êtreinsupportable.

Je prends place à table, attrape ma serviette que je pose délicatement sur mes jambes, et souristimidement au serveur qui vient nous apporter la carte. Page entrevoit ma gêne et me soufflediscrètement:

—Jesaisquetun’aimespasdéjeunerdanscetyped’établissement,maisjevoulaist’inviterdansunendroitplus…classe.

—Plusclassequequoi?rétorqué-jeaussitôt.—Ehbien…plusclassequelespetitsrestaurantsdePortClyde.C’estungrandjourpourtoi,Hope

Obrien.Unecarrièreprometteuset’attend,majolie,donchabitue-toi.—Certainementpas ! Jeneveuxaucunementchangermeshabitudes.PortClydeestet resterapour

moi,l’endroitleplusbeauaumonde.—Permets-moid’endouter,mecontredit-elleenportantsonverredevinàseslèvres.—Ehbien,lorsquetuviendras,jesuiscertainequetuchangerastavisiondeschoses,insisté-jeenlui

adressantunsourirecontenu.—Jesuisdéjàvenue,mesignale-t-elle.—Tum’assimplementapportédesdocumentsàsigner,ettuesrepartiepresqueaussitôt,luirappelé-

jeàmontour,déçuequ’ellenesoitpasrestéequelquesjoursavecnous.— Comment vont les choses entre Tom et toi ? As-tu enfin pris une décision ? change-t-elle

radicalementdesujet,cequialedondem’agacer.Leserveurinterromptnotreconversationpourprendrenotrecommandeetmesauvedecettequestion

quejeredoutaistantetàlaquellejen’aitoujourspastrouvéderéponse.Lesilences’installedenouveauà table.Pagese racle lagorgecommepourm’encouragerà lui répondre. Jeme tortillesurmachaise,fortement embarrassée, mais sachant qu’elle ne lâchera pas le morceau. Je me résous donc à luirépondre:

—Jesaisquejedoisprendreunedécision.J’enaiconscience,tusais!Maiscequ’ilyaici,aufond

demoncœuretdematête,n’estpastrèsclair...—Tuplaisantes,j’espère?s’exclame-t-elle,exaspéréeparmonindécision.Lespersonnessetrouvantànotredroitesetournentaussitôtversnous.Pages’excuseauprèsd’euxet

revientàmoienchuchotant:—Jenetecomprendspas?Tunel’aimesplusetDieusaitcombienils’estmontrérépugnantenvers

toi.Et,excuse-moi,ill’estencoreparfois.—C’estrare…—Arrêtedeledéfendre!s’indigne-t-elle,ensepenchantversmoi.Ellealesyeuxquivontluisortirdelatêtetantsahaineenversl’hommeméprisablequej’aiépouséla

pousseàchaquefoishorsd’elle.—Tuasraison,etj’enaibienconscience.Peut-êtrequej’attendsledéclic.—Queldéclic?Celuique tuaurasquand tu te retrouverasà l’hôpitaldéfiguréeàvieoupeut-être

pire,àlamorgue.Unfrissond’effroimeparcourtdela têteauxpieds.Ellearaison…Maissesdernièresannées, les

crisesd’hystériedont ila faitpreuvepar lepassésesontatténuées.Peut-êtreest-cedûàmafaçondefaireetderéagir?Jenevaisplusàl’encontredeseschoixoudesesdires.Jelaissepasserl’orageenm’éloignantetenm’enfermantdansmaboutiqueoudansmesécrits.Amypassebeaucoupdetempsavecsestantesetmoi.Nousavonsnotrepetitcocon,notrebulle,etTomn’yaplussaplace.Difficilepourmapetitefilledecomprendreetd’accepterquesonpèresoittelqu’ilest.Elleestlapreuvequejen’aipasfait lesbonschoix,maiselle restemaraisondevivre. Jemebattrai indéfinimentpourelleafinde luioffrircequ’ilyademieux.

—Hope?Pagemesortdemespensées.Leslarmesauxyeux, jeregardeautourdemoi, tentantderéprimerla

blessurequisaigneencoreaufonddemoncœur.Lassedemebattredepuisdesmois,jeluiréponds:—Tuasraison.JedoisdemanderledivorceetquittercettemaisonavecAmy.Pageposesamaintendrementsurlamienneetmeditd’unevoixdouce:—Jesuissifièredetoi.Tuvastrouverlebonheuretjesuiscertainequetuvast’ensortir.Tun’aspas

besoin de lui.Tout ce que tu as construit, tu ne le dois qu’à toi-même,Hope. Je sais queMatthew temanque toujours, surtout depuis que tu l’as revu. Effectivement, ça n’a pas arrangé les choses, je leconçois,maisquevas-tufaire?Resterlààattendrequ’uncoupdudestinvousramènel’unversl’autre?Tunepeuxpasattendrequetaprétenduedestinéefassequelquechosepourvous.Ilfautconjurerlesortetprendre une décision, une bonne fois pour toutes ! Et puis… tu pourrais éditer ce cahier que tudissimules…

—Jamais!Ettusaistrèsbienpourquoi,luifais-jeremarquerenretirantmamain.—Tupeuxtoutàfaitécrireunefinheureusetoi-mêmeoubien…—Ou bien quoi… ? lui demandé-je, en levant un sourcil suspicieux, car je devine le fond de sa

pensée.—Valerejoindreetécrivez-laensemble,merépond-elleenportantsonverredevinauxlèvres.—Maisoui,biensûr,suis-jebête?!dis-jeenlevantlesyeuxauciel.—Très,jet’assure,confirme-t-elleenm’adressantunclind’œil.—Jesuissiperdue…Situsavaiscombienilmemanque…C’estterribledevivretouteunevieavec

cevideensoi…—Mesdemoiselles.Leserveurapportenosplatsetnoussouhaitebonappétit.Pageattrapesescouvertsetmedemande

d’unevoixpluscalme:—Bien,parlonsd’autrechose.Commentvontlesfilles?—Ehbien,EmmaetMikepartentencroisièred’iciquelquessemaines.Tucommencesàlaconnaître,

doncjetelaisseimaginersajoiedequitterPortClyde.J’espèrequ’elleneselasserapasdeluiaussivitequedudernier.

—Pourquoidis-tuça?—Jel’aimebien,cejeunehomme.Illuitienttêteetelleaimeleshommesavecducaractère.Deplus,

ilestbourréd’humour!Franchement,ilsformentuntrèsjolicouple.Pagemeressertunverredevinetjelaremercied’unsignedetête.—EtRose?Ladernièrefoisquejel’aieueautéléphone,Bryansignaitlebailpoursonmagasin.Ila

ouvertdanslestemps?— Oui. Il est super heureux. C’était son rêve d’ouvrir une boutique d’instruments de musique.

Néanmoins,ilcontinueàdonnerdescoursdepiano.Ilm’al’aircomblé.—Ettoi,vas-tucontinueràtenir latienne?Lasériedelivresvateprendrebeaucoupdetemps, tu

sais?mefait-elleremarquer.—Jenepensepasm’éloignerdemaboutiqued’antiquités.Lesfillessonttrèscompréhensivesavec

moietsontlespremièresàmepousserdansmonbureaupourécrire.Jesuisvraimentépanouieetjeneveuxpasquecelachange.

— Bien, je comprends. Dis-moi, je t’ai déjà parlé de ce jeune homme que je fréquente depuisquelquessemaines?

—Oui,pourquoi?Toutvabien,j’espère?—Oui,onnepeutmieux,dit-elleenbalayantl’airdelamain,sûred’elle.Jeudisoir,nousallonsdîner

danscettenouvellepizzeriatoutàfaitcharmanteettrèsfamiliale.Jelèveimmédiatementunsourcilsuspicieux.Horsdequestionqu’ellemetraîneencoredansundeces

cinqétoiles.—Hope,c’estunpetitrestaurant,toutcequ’ilyadeplussimple,m’assure-t-elle.—Ettuveuxquejet’accompagne,c’estbiença?Ellesepencheenavantetmesoufflediscrètement:

—JesouhaiteavoirtonavissurFilip.Jepensequejenesuisplustrès…—Objective?—Je crois bienqueoui,m’avoue-t-elle, désemparée, lamoueboudeuse.Tuveuxbienvenir dîner

avecnous?—Jenesaispastrop…Tusais trèsbienquejemesensmalà l’aiseaveclespersonnesquejene

connaispaset,quiplusest,avecunhomme.Elleseredresseetmefaitremarquerd’unairmalicieux:—Tudoist’ouvrirunpeuplusauxautres,Hope.Etpuis,restercloîtréedanstachambred’hôtelest

ridicule.Allez,profitedoncunpeudetonséjouràPortland,ajoute-t-elleenm’adressantunclind’œildeconspiratrice.

—Ohnon,non,non,MlleStevens!refusé-jeensecouantmondoigtdevantelle.N’allezpascroirequevousallezm’embobinercommeça,gloussé-je,amusée,parsessous-entendus.

Après déjeuner, Page m’a raccompagnée jusqu’à l’immeuble où se trouve ma nouvelle maisond’édition. Ellem’a promis deme recontacter au plus tardmercredi, afin deme confirmer l’heure dudîner.Jesuistoutdemêmecurieusederencontrercenouveaupetitamiauquelelleal’airdebeaucouptenir. Espérons que cette relation ne lui cause pas autant de souffrance que la dernière qui a été unvéritablefiasco.

J’aipassélerestedelajournéeàtravailleravecmonéditeurafindefinalisercertainsdétailsrestésensuspens. Je m’entends à merveille avec ma nouvelle équipe. Le résultat ne peut qu’en être meilleur.L’illustrateurestarrivéenfindejournéeetnousavonspupeaufinersespremierscroquis.Unejournéetrèsenrichissante,maisquim’aépuisée.CetteconversationavecPage,ausujetdeTom,m’atrottéentêtetoutaulongdel’après-midi.Jedoisprendreunedécisionauplusvite.Ressasserlesmêmeschosesnem’aiderapasàavancer.

Une fois de retour à mon l’hôtel, j’ai sauté sur le téléphone pour appeler Amy. La savoir à descentaines de kilomètres de moi m’angoisse, mais j’ai la certitude qu’avec ses tantes, tout se passetoujours très bien. Après ça, j’ai pris un bon bain chaud et ai dîné dansma chambre. La journée dedemain promet d’être riche en émotions. Nous allons faire la mise en page du n° 1 de la sérieL’hirondelle découvre Paris . Ma vie prend un nouveau tournant et j’aurais tant voulu partager cebonheuravecMatthew,maisiln’estpluslà.

Penséesdusoir:

Aujourd’hui, j’ai entamé l’écriture des chapitres de la deuxième partie de mon histoire…Moncahierauxtonsdoréscommenceàprendreduvolume…Bienqu’ilmesoittrèsdifficilederevenirsurtousmes souvenirs, ilmepermet égalementde tourner lentement lapage surMatthew.Nousavonspassédemerveilleuxmoments lorsqu’ilestrevenuàPortClydeet lorsque jerelismesnotesetmespenséesdusoirde l’époque, jeréalisequ’ilm’aimaitsincèrement…J’aiétédureavec lui.J’auraispeut-êtredûluilaisserletempsdemeprouverqu’ilpouvaitmerendreheureuse.Malheureusement, le mutisme dans lequel il s’est à nouveau plongé m’a fait perdre la tête, me

rappelant combien cette attitude nous avait été fatale par le passé.Mais ce qui a fait lourdementpencherlabalanceaétésarencontreavecAmy…J’aieusipeur.J’étaisdésespéréeàl’idéededevoirlaprotégerdelafureurdeTom…Jenepensepasqu’unjourjepublieraicelivre…Jesaisquejemenourrisdenossouvenirs,etque,

cefaisant,j’alimenteégalementlemanque.Àtraversmesécrits,j’entretienssamémoirepourgardernotreamouràjamaisvivantdansmoncœurafinquelavaguedutempsnepuisseeffacerlestracesdenotre trop court chemin commun sur le sable…MyDestiny est condamnéà rester enfermédans saboîtecommeunsecretprécieux.S’ilvenaitàêtrepublié,toutlemondesauraitalorsl’enfantfragilequej’aiétéetcequej’aitraverséauxcôtésdeTom.Ilrisqueraitdegâchermavieetplusencorecelled’Amy.Jenesuispasprêteàaffronterlesgensetàmemettreànu.Peut-êtrequ’unjour,jeressentiraile

besoindelefaire,mais,pourlemoment,jeveuxjustecouchersousmaplumenotrehistoireafindelarendreéternelle…Bonnenuit,Matthew…Oùquetusois,jepenseencoreàtoi…

-XI-

PortlandJeudi12février198119h29

MesjournéessontpasséesàlavitessegrandV.J’aidéjeunétoutelasemainesurlepouceettravailléjusqu’à tard dans la soirée. Quand je pense que la série de livres comportera une bonne dizaine denuméros ! Bien que tout cela soit excitant et enrichissant, il me tarde de rentrer à Port Clyde et deretrouvermapetitefilleetmesamies.Cettevillemedonneletourniset,àchaquefoisquejetraverseunerue,maplusgrandepeurestdetombernezànezavecMatthew.Grâceauciel,celan’estjamaisarrivé.

Jejetteunœilàmamontre.PagenedevraitplustarderetjesuiscurieusederencontrersonpetitamiFilip.

—Hope!Pageagitesamaindel’autrecôtédelarueettraversepourmerejoindre.Elleporteunevesteencuir

noir,au-dessusd’unechemiseblancheetd’unsimplejean.Sescheveuxsontdétachésettombentjolimentsursesépaules.Celookdécontractéluivaàravir.

—Page,maistuessuperbecommeça!lacomplimenté-jeenluifaisantlabise.—Merci,machérie.Ettoi,tuesmerveilleuse!—Tuparlesd’unetenue,dis-jeenmeregardant.J’aipassécequej’avaissouslamain,luiconfié-je

englissantmonbrassouslesien.— Filip a dû arriver. Sa voiture est garée de l’autre côté de la rue, dit-elle enm’entraînant vers

l’entréedurestaurant.Ilestaccompagnédesoncousin,m’annonce-t-elleàlatoutedernièreminute.J’écarquille les yeux tout en secouant la tête. C’est bien ma veine de me retrouver face à deux

étrangers.Lasoiréevaêtrelongueetennuyeuseàmourir,jelesensbien.—Nemeregardepascommeça!C’estunjeunemarié.Aucunrisque,dit-elleenm’adressantunclin

d’œil.—Jetesignalequejelesuisaussi.—Paspourlongtemps,j’ensuiscertaine.Parcontre,sonmariageestlesujetàévitercesoir,dit-elle.—Maistuasditqu’ilétaitjeunemarié?

Alorslà,jenecomprendsplusrien.—Filipm’aconfiéquesoncousins’estmariéilyatroissemainesetqu’ilestmalheureuxcommeles

pierres.Safemmeseraitunedecessorcièresmachiavéliquesquel’onvoitdanslesdessinsanimés.Uneblondesnobinardequitehérisselespoilsàchaquefoisqu’elleouvrelabouche,dit-elleenriant.

—Lepauvre!—Jenetelefaispasdire!Filipluiaproposécematindedîneravecnous,histoiredeluichangerles

idées.Nemedemandepascommentilest,jeneleconnaispas.—Jenemesentaisdéjàpastrèsàl’aise,maislà,c’estlepompon,dis-jeenentrantdanslerestaurant.Lecadreestassezsympathique,cequimerassure.Desimplestablesenboisetunedécorationplutôt

familiale avec des photos de l’Italie. Dans le fond sont installés des billards, des baby-foot et desflippers.De lamusique provenant d’un vieux jukebox rythme agréablement l’ambiance etme rappelleavecnostalgieleLily’sCoffee.

—Tuvois?Jet’avaisbienditquec’étaitunrestauranttoutcequ’ilyadeplussimple,merassure-t-elleentraversantlasalle.Filipestlà-bas,dit-elleenlepointantdiscrètementdudoigt.

Sonpetitamisetientfaceàunhommeencostumenoir.Dèsqu’ilnousaperçoit,ilnousfaitsignedelesrejoindre.

—Jesuiscertainequetuvasl’adorer,dit-elle,enthousiasteàl’idéedemeleprésenter.Nousrejoignonsnotretable.Filipselèveaussitôtpournousaccueillir.Jeresteenretrait,terriblement

intimidée.Jen’auraisjamaisdûvenir…—Page,tuesravissante,cesoir,lacomplimenteFilipendéposantunbaiserchastesurseslèvres.—Merci.Tun’espasmalnonplus,luirépond-elle.Bonjour,jem’appellePageStevensettudoisêtre

lecousindeFilip?lesalue-t-elleenluitendantlamain.Celui-ciselèveetleseffluvesdesonparfummesonttoutàcoupsifamiliers.—Bonjour,Page.JesuisMatthewCole.Heureuxdefairetaconnaissance.Non!Jem’agrippeàlachaisederrièremoi.J’ailatêtequitourneetjen’arrivepasàcroirequ’ilest

là,justedevantmoi.Pageestenétatdechoc.Ellerestelàànousdévisagersansdireunmot.Matthewsetourneversmoietsesyeuxseplongentimmédiatementdanslesmiens.Surpris,ilmecontempledelatêteauxpieds,sidéréparmaprésence.

—Bonsoir,lâche-t-ilsimplement.Jecontournela table, incapablededireunmot.Sijem’attendaisàcela! Jeguettediscrètementsa

mainetmesyeuxseposentimmédiatementsursonalliance.Mavievientdeprendrefin…Alorscommeça tu t’es marié… Je relève mon regard larmoyant vers le sien qui se veut compatissant. Il glisserapidementsamaindanssapoche,percevantcertainementledésespoirdanslequeljeviensdeplonger.

— Dites-moi ? J’ai vraiment l’impression d’avoir loupé un épisode, là ? déclare Filip en nousobservanttouràtour.

Ils’assoitauxcôtésdesoncousinendévisageantPagequicontinuesansdireunmot.Jemerésousà

prendreplaceauprèsd’elleetfaceàMatthewquis’estréfugiédanslemutisme.—Alors?insisteFilipenespérantquequelqu’unluiréponde.Matthewbalancesaserviettesurlatableetpassesamainsursonvisage.—Filip,jeteprésenteHope,lâche-t-ilsèchementenserrantnerveusementlepoingsurlatableoùson

alliancecontinueàmetorturer.—Hopequi?TaHope?demande-t-ilenécarquillantlesyeux.—Ouais,celle-làmême,confirme-t-ilencroisantmonregardattristé.MonDieu,illuiaparlédemoi!Filipmesouritfaiblementetattrapesabièrequ’ilvided’untrait.—Wouahhh!Ehbien,lasoirées’annonce…—Ferme-la!répliqueaussitôtMatthewenbuvantlasiennesansmequitterdesesyeuxperçants.La tensionmonte tout au longdudîner et,mêmesi j’essayede rester impassible etneutre, ilm’est

insupportable d’être assise à la même table que lui. Heureusement, Page et Filip alimentent laconversationenparlantdeleurjournéeetdeleurtravail,étantdonnéqueMatthewetmoinedécochonspasunmot.Sonallianceetcemariageendeviennentunevéritableobsession,etjedoismecontenirafinde ne pas lui balancerma bière au visage. J’essaie deme raisonner : il neme doit plus rien. Sa vieappartient à présent à une autre. Le portrait quem’a dressé Page en arrivant au restaurant ressemblesingulièrement à cettepimbêchedeBrooke,mais jene suispas sûrequece soit elle.Matthew l’avaitquittéeavantmonmariage,maisilatrèsbienpuluitomberànouveaudanslesbras.

Filipseraclelagorgeetoseenfins’adresseràmoi:—Alorscommeça, tuesécrivain?dit-ilenguettant la réactiondesoncousinqui,perdudansses

pensées,joueavecsescouverts.Ilaàpeinetouchéàsonassietteetlorsquejevérifielamienne,jem’aperçoisquejenesuispasen

reste.—Hope?m’interpellePageafinquejerépondeàsonpetitami.—Oui,c’estexact!Jetienségalementuneboutiqued’antiquitésàPortClyde,maisjeprésumeque

ça,tulesavaisdéjà,réponds-jeensouriantexagérément.J’ensuisàmatroisièmebièreetlatêtecommenceàmetourner.Sijenem’arrêtepastoutdesuite,je

vaistermineraffaléesurlatableou,pireencore,sortiruneconneriemonumentale.—Etqu’est-cequetuécrisdebeau?medemande-t-ilenposantsesmainssoussonmenton.—Delaromance…Deshistoiresd’amour,situpréfères.—Destrucsdefilles,quoi!dit-ilenadressantunclind’œilàPage.—Ohnon !Beaucoupd’hommes sont extrêmementdouéspour raconterdemerveilleuseshistoires,

lancé-jeengrimaçantàMatthewquivientdereleverdesyeuxfurieuxsurmoi.Tiens!Mangeça,jolicœur!Embarrassé,Matthewpassesesmainsdanssescheveuxetretiresavestequ’ilposesurledossierde

sachaise.Sarespirationbruyanteetlesgouttesdesueurquiperlentsursonfrontprouventquelatension

estencoremontéed’uncran.Ildéboutonnerapidementlespremiersboutonsdesachemiseetcommandeuneautrebièreauserveur.JeréprimemonamusementtoutensouriantbêtementàPagequimefaitdegrosyeux.

—Unbillard,çavousdit?change-t-elledeconversationafind’allégerl’ambianceplusqu’électrique.—Trèsbonneidée!s’exclameFilipenposantsamainsurl’épauledesoncousin.Tuviens,mec?Matthewacquiesced’unsignedetêtetoutenselevant.—Page?ditFilipenquittantsonsiège.—Non,allez-yentremecs.Onrestelààpapoterentrefilles,etàvoussoutenirmoralement!dit-elle

enlevantlesbrasenl’air,enthousiasteàl’idéedelesencourager.—Allezviens,mec!Jevaistemettreunenouvelledérouillée!sevanteFilipenrejoignantlatablede

billard.Matthewmefusilleduregard,puissedécideàallerlerejoindre.Pagesepencheaussitôtversmoien

mesoufflantdiscrètement:—Ilneressembleenrienaucharmantgarçonquetum’asdécrit.Ilm’aplutôtl’air…—Antipathique,distantet…terriblementdifférent,c’estlemoinsquel’onpuissedire,remarqué-je,

tristement.—Filipm’a racontécombiensonmariageestunevéritablemascarade.Sa femmeestquelqu’unde

froid etMatthew seplie à lamoindrede ses exigences.Apriori, il serait associé avec elle dansunebanquede…

—C’estdoncBrooke…,lacoupé-je,lecœurauborddeslèvres.Ilaépousécettesorcière!craché-jeenterminantrapidementmabière.

—Ilpassetoutsontempsàl’agencepouréviterderentrerchezlui.Unsoir,Filipamêmedûallerlechercherdansunbar.Etl’autrejour,ill’aretrouvéàdéambulerdanslesrues.Matthewfiledumauvaiscoton,Hope.

—Non,tuplaisantes!Matthewn’auraitjamaisfaitunetellechose!refusé-jedelacroire.—Letienpeut-êtrepas,maisceluiquisetrouvelà-basdevantnous,oui,dit-elleenfaisantunsignede

têteverslui.CettefameuseBrooke,jenel’aimaisdéjàpasbeaucoup,maisquandjevoiscequ’elleafaitdelui,encoremoins.Siseulementj’avaisposélesbonnesquestionsàFilip.Jamaisjen’auraiimaginéquesoncousinpuisseêtreMatthew.Jesuisdésolée,Hope.

—Cen’estpasfaute,maislasienne!Matthewestassezgrandpourprendresespropresdécisions!—Ilmefaitdelapeine…,déclare-t-elletristement.—Pasàmoi!lancé-jepéniblement.Serveur!Lejeunehommes’approcheensepenchantversmoi:—Oui,mademoiselle?—Apportez-nouslamêmechose!—Tunesupportespasl’alcool!Tuesdevenuefolle,maparole!s’inquiètePage.

—Pasencore,maisçanesauraittarder…JerestelààcontemplerMatthewducoindel’œil.Commentest-ilpossibledechangerdutoutautout

en si peu de temps ? Était-il déjà avec elle lorsqu’il est venume rejoindre à Port Clyde ? L’affaireurgenteàrégler,était-cetoutsimplement«BrookeReese»?!

—Jesuisleplusbalaise!s’écrieFilipenlevantlesbras,heureuxd’avoirremportélapartie.Matthewsouritenfinet,lorsquesonregardcroiselemien,uneimpressiond’étouffementmeparalyse.

Je reste là à le regarder tout en glissant des yeux fascinés sur sa peau. Sa chemise est légèremententrouverte,laissantapercevoirsontorse.Desimagesdenoussouslapluieàfairel’amourcontrel’arbremesubmergent,etjenepeuxmevoilerpluslongtempslaface:j’aimeencorecethommeàlafolie.

Les garçons nous rejoignent. Filip est heureux comme un pacha et nemanque pas de nous le fairesavoir:

—Allez,mec,nesoispasdégoûté!lance-t-ilenriant.—Laprochainefois,jetebattrai!leprévientMatthewenrevenant,unebièreàlamain.Jamaisiln’avaitautantbu…Celadit, jesuisentraindeviderlestockdebièreàmoitouteseule.

L’effetdel’alcoolm’apaiseet,mêmesijeterminelasoiréelatêtedanslacuvettedesW.C.,celam’auraévitédemeprendrelatête.Jeressenstantdehaine,decolèreetsurtoutdedéception…Commentenest-onarrivélà?J’ail’impressionquejenecompteplusdutoutpourlui.Jesuistransparenteàsesyeux!Mespenséess’embrouillent…Toutceflotd’émotionsmefaitperdrelaraison.Cettemisérablealliancequiscintilledevantmesyeuxassombrisparlahainenefaitqu’accroîtrelaragequis’élèveauxcreuxdemonventre.J’avaleunelampéedebièreenlefusillantduregard.J’aitellementmal…

—Serveur!Apportez-moilamêmechose!demandé-jeenlevantdifficilementlebras.—Etmoi,unverredevinrouge…J’enaibienbesoin,soupirePageenposantlamainsursonfront.—Hope,c’estunetrèsmauvaiseidée!megrondeMatthewsévèrement.Tiens?Ildaigneenfinm’adresserlaparole!Jeplantemesyeuxfousderagedanslessiensetme

pencheverslui:—Jen’aipasd’ordreàrecevoirdetoi!—Bien,commetuveux!s’incline-t-ilenlevantlesmains.Leserveurapportemabière,maisMatthews’interposeencore:—Donnez-moiça!—Certainementpas!objecté-je.—Donc,jefaisquoi?demandeleserveur,complètementperduennousregardanttouràtourtousles

deux.—Jenesuisplusuneenfant!Donnez-moimabouteille,râlé-jeenluiarrachantdesmains.Page et Filip se font tous petits devant la guerre qui vient officiellement d’éclater sous leurs yeux.

Matthewportesabouteilleauxlèvresensecouantlatête,exaspéréparmoncomportement.Soudain,lacolèreàsonparoxysme,jeluicrached’unevoixdédaigneuse:

—Alors,commeça,tuasépousécettesalopedeBrooke?Matthewrecracheimmédiatementsabièresurlatable.—Tun’aspasperdudetemps,disdonc?continué-jeàlemassacrersansmâchermesmots.Pages’interposeimmédiatement:—Hope,s’ilteplaît!—Non, laisse-laparler…J’adoreraisentendrecequ’elleaàdire,dit-ilens’adossantàsachaise,

toutencroisantlesbrascontresontorse.—Ils’estpasséquoi…?—Neufmoisexactement,termine-t-ilmaphrase.Dis-moi,tucomptesm’assassinerencorelongtemps

devanttoutlemonde?—Non,malheureusement lemeurtre est un luxe que je ne peux pasme permettre très cher. C’est

commeçaquel’onparledanstonmonde,n’est-cepas?demandé-jeenbattantexagérémentdescils.—Hope!meréprimandePagequiquittebrusquementsachaise.Jevaisteraccompagneràtonhôtel,

dit-elleenmetendantsamain.— Non, laisse ! On ne va pas vous gâcher plus longtemps votre soirée en amoureux, intervient

Matthewenselevant.Jevaislaraccompagner…J’éclateimmédiatementderireentapantsurlatable.Matthewal’airsidéréparmaréaction.—Tucomptesmesortir legrandjeu?Non,attends!dis-jeenlevant ledoigt toutencontinuantde

rire.Tucomptesmesauteràl’arrièredetavoiture!—Çanet’avaitpasdérangéladernièrefois…Jemesouviensquetuenredemandais,lance-t-ilenme

décochantunclind’œilprétentieux.Monsangnefaitqu’untour.—Vaaudiable!hurlé-jeenluibalançantleverredevindePageàlafigure.—Ehmerde!râle-t-ilensecouantsachemise.—Oh!Ila tachésa joliechemisehorsdeprix!Tasorcièredefemmeira l’apporteraupressing!

pesté-je,horsdemoi,enmelevant.—HopeObrien,lajalousievousvaàravir!continue-t-ilàmechercher.—Page,jevaisrentrerseule.J’ailanausée…Cemecmesortparlesyeux!—Jetesignalequejesuislà!—Oups!dis-jeenposantlamainsurmeslèvres.Filip,raviedet’avoirrencontréetnavréepour…—Net’inquiètepas…J’aiadorévoirlafesséequetuviensdeluicoller!déclare-t-ilenriant.—Quant à toi, si l’onne se revoit pas, je te souhaited’êtreheureux,oubienmalheureux. Jem’en

contrefiche!—Jenepensepasquel’onsereverraunjour.Jenecommettraipasdeuxfoislamêmeerreur.Cela

m’avalubienassezdedéceptionsparlepassé.Aurevoir,Hope!Ilvientdemeplanterunpoignardenpleincœur.Laméchancetéoularancunequejelisdanssesyeux

enterrelepeud’espoirqu’ilmerestaitencore.—Oùestdoncpassél’hommemerveilleuxquej’aiaimé?—Ilestmort…—Jetedéteste!Jetraverselerestaurantententantdeconservermadignité,cequin’estpasaisé,vumonétat.Jene

supporteraipasderesteruneminutedeplus ici. J’ai la têtequi tourneetmalaucœur. Jem’agrippecommejepeuxauxtablesafindegagnerlasortiesansmeretrouverlesfessesparterre.

22h55

Jecroise lesbrascontremapoitrinepourmeprotégerdu froid toutenmarchant lentementdans lesruesdePortland.Monhôteln’estqu’àdixminutesàpiedetl’airfraismefaitleplusgrandbien…J’ailes joues en feu d’avoir tant bu. Je vais avoir la gueule de bois demainmatin enme réveillant, c’estcertain ! J’ai l’impression que mon cœur est éparpillé en des milliers de morceaux que je piétine àchaquefoisquejerepenseàlascènedetoutàl’heure.Ilatellementchangé.Autrefois,iln’auraitjamaisosémeparlerdelasorte.

—Celadit,jenel’aipasvolé,pensé-jeàvoixbasse,satisfaited’avoirpuluidirecequej’avaissurlecœur.Mevoilààparlertouteseulecommeunedemeurée…Unevoitureralentitàmahauteur.C’estunegrosseberlinenoire,flambantneuve,auxvitresteintées.Je

laguetteducoindel’œil,latrouilleauventre.Ilesttrèstardetjesuisseuleàerrercommeuneâmeenpeineenpleineville. J’accélère lepas,maismonmaldecrâneet lanauséem’empêchentd’allerplusvite.

—Hope?Jem’arrêteinstantanément,comprenantqueleconducteurn’estautrequeMatthew.—Qu’est-cequetuveux?demandé-jeenm’approchantdoucement.—Monte.Jeteraccompagne!—Monhôteln’estplustrèsloin.Etjet’avouequemonterdanscettevoitureàlaplacedeBrookene

m’enchanteguère,avoué-jetristement.—Peut-être,maisilesttardetc’estdangereux,dit-ild’unevoixmielleusequim’arracheunfrisson.Je secoue la tête pour refuser demonter. Il inspire profondément enme contemplant de son regard

mélancolique,puisserésoutàsegarer. Ilsortdesavoitureetmerejoint.Jerecule instinctivementdepeur qu’il me touche. S’il pose ses mains sur moi, je risque de replonger. Cet homme me colleirrémédiablementàlapeau,commeunvirusduquelonneguéritpas…Ilnem’enfaudraitpasbeaucouppourcraquerànouveau.Noussommesàprésentmariéstouslesdeux,etmêmesimonmariagefiniratôtoutardparvolerenéclats,jen’aipasledroitdebriserlesien.

—Jevaisteraccompagneràpieddanscecas.Tun’espasenmesurederentrerseule,memurmure-t-ilens’approchantencore.

—Arrêtedemeprotéger!—Jamais!Jet’enaifaitlapromesse…Tutesouviens?demande-t-ilenmefaisantface.Jeplongemesyeuxembuésdelarmesdanslessiens.Ilm’al’airterriblementembarrasséetdistant,

commes’ilvoulaitimposerdesbarrièresentrenous.Mais,enmêmetemps,jeperçoissonenviedemetoucheretdemeprendredanssesbras.Sesyeuxtristesnememententpas:jeluimanque.Celadit,lasituationestloind’êtreconfortable.

— Tu m’as fait beaucoup de promesses, Matthew… Mais tu ne pourras pas toutes les tenir, luirappelé-jetristement.C’estdupassé…C’estderrièrenous…Untendreetmagnifiquesouvenirquenousgarderonsàjamaissecrètementconservédansnoscœurs.

Matthewattrapelentementmonvisageencoupe.—Hope…Jescrutedemesyeuxaveugléspartoutl’amourquejeluivoueencore,seslèvres,sapeau,sonregard

troublant… Sa douce chaleur qui m’enveloppe comme un cocon dans lequel j’aimerais resteréternellementconfinée,estundouxremèdeaumanquequejetraversedepuisneufmois.J’ail’impressiond’êtreunmaladeendésintoxicationquivientdes’enfilersadose.C’est terribledevoir leschosesdecettemanière,maisc’estmalheureusementainsiquemoncorpsetmonespritleressententàcettesecondeprécise.

—Matthew,unefoisquetuaurascommisl’impardonnableavecmoi,tunepourrasplusjamaisrevenirenarrière…etjesaisdequoijeparle.

—Avectoi,c’estdifférent…— Je le sais, mais tu esmarié, à présent, lui rappelé-je en ravalant mes larmes qui menacent de

déborderàtoutmoment.Ilmerelâchedoucementetattrapemamaintendrementdanslasienne.—Allons-y,Hope.J’opinedelatêteetnousmarchonsendirectiondemonhôtelquin’estplusqu’àquelquesmètresde

là.Unsilencepesants’estinstalléentrenous.Jemesensvraimentstupided’avoirautantbu.Jemesuis

carrémentridiculiséedevantPageetFilip.Deplus, j’aigâchéleursoirée.SansparlerdeMatthewquidoitmeprendrepourunedéséquilibrée.Jen’oubliepasnonpluscequ’ilm’ajetéauvisage,etce,devanttoutlemonde.Jeleguetteducoindel’œiletprendsmoncourageàdeuxmains:

—Jetenaisàm’excuserpourlascènedetoutàl’heure…— Je vaismettre cela sur le compte de l’alcool,me rassure-t-il en resserrant tendrement samain

autourdelamienne.Moiaussi,jedoisteprésenterdesexcuses.C’estmochecequejet’aidit…—Onestquittealors,lancé-jeenhaussantlesépaulestoutenluisouriant.

—Situveux…,répond-il,amusé,enmemettantunpetitcoupd’épaulesurlebras.—Jetetrouvesidifférent,Matthew.Jevaisêtresincèreavectoi!—Vas-y, je t’écoute. Après la soirée que nous venons de passer, je peux tout entendre, dit-il en

éclatantderire.Enfin,tevoilàderetour,monamour…Jesecouelatêtepourreprendremesespritsetluiréponds:—J’ail’impressionquetut’eséteint…Jetetrouveguindé,jediraismême…coincé!Matthewexplosederireensetenantleventre.—Sil'onm’avaitditunjourquel’onmetrouveraitcoincé,jenel’auraispascru,continue-t-ilderire

toutens’approchantdemonhôtel.— Je suis désolée, mais c’est mon ressenti de ce soir. Non, mais regarde-toi ! m’exclamé-je en

m’arrêtant devant l’entrée de mon hôtel. Tu es engoncé dans ce costume snobinard avec cette coupeaffreuse…Attends!

Je lâche sa main et passe les miennes dans ses cheveux afin de les ébouriffer. Quelques mèchesretombentàprésentsensuellementsursonfront.

—C’estdéjàbeaucoupmieux…,soufflé-jeencaressantsonvisagedureversdelamain.Matthewmedévorelittéralementduregardenguettantmeslèvres.Jereculelentement,afindemettre

deladistanceentrenousavantquejenecommettel’irréparable.—Est-cequetusavaisquejeviendraiscesoir?luidemandé-je,curieuse.—Non,répond-ilsansdétour.—Sic’étaitlecas,serais-tuvenu?Ilprendquelquesinstantsavantdemerépondre:—Pourquoias-tutoujoursledondeposerdesquestions…bizarres?demande-t-il,amusé.—Et toi, pourquoi as-tu le don de ne jamais y répondre ? demandé-je àmon tour, en haussant un

sourcilmalicieux.—Parcequec’estcommeça…—Tiens,celle-cim’avaitpresquemanqué!lancé-jeenriant.Matthewpassesamainsursonvisageetréduitl’espacequinoussépareens’approchantdemoi.—Bien.Mevoilàarrivée…,tenté-jedecalmerlejeu.Mercidem’avoirraccompagnée.—C’estnormal.—J’aiétéheureusedeterevoir,MatthewCole.—Moiaussi,HopeObrien,dit-ilenm’adressantsonplusbeausourire.Dieu,donnez-moilaforcedenepascraquer!Je placemesmains derrièremon dos etme penche pour lui déposer un baiser sur la joue tout en

plongeantmesyeuxdanslessiens.Ilouvresaboucheetsonsoufflechaleureuxcaressemonvisage.Jem’attardequelquessecondessursapeau,puisreculed’unpas.

Jet’aime…—Jedoisyaller,dis-jed’unevoixétranglée,lecœurserré.Hope,remontedanstachambresanstarder!—Bonsoir…Jemetournesansluilaisserletempsdemerépondreetm’avancejusqu’auxportesdel’hôtel.Jen’ai

pasledroitdem’immiscerdanssavie.SurtoutpasaprèslaterribledisputequenousavonseueàPortClyde.C’esttoutdemêmemoiquiluiaidemandédepartir.

—Hope?—Oui?dis-jeenmetournantverslui.—J’aimeraisbeaucoup t’inviter àdînerdemain soir, avantque tune repartespourPortClyde,me

propose-t-il,lespoingsserréscontreseshanches,commes’ilselivraitunebatailleàlui-même.Jefaisminedenepasl’avoirremarquéetluiréponds:—Jenesuispassûrequecesoitunetrèsbonneidée…—Ensouvenirdubonvieuxtemps,s’ilteplaît,insiste-t-ilenmefaisantlesyeuxdoux,cequimefait

sourire.—Jenesaispas…J’ai trèsenviededîneraveclui,maispourrons-noussupporterd’être l’unprèsdel’autresansnous

toucher?Cesoirencore,ilm’atenulamain,commesisonbesoindemesentirprèsdeluiétaitplusfortquelaraison.Jeconnaiscesentimentd’appartenance,cebesoindetoucherl’autre…Jeleressenschaquefoisquejesuisensaprésence.MaislespectredeBrookemehanteetplaneau-dessusdenostêtes.Cettefemmeestsournoise,malveillanteetcapabledetout.

—Comme deux vieux amis, Hope. Accepte de dîner avecmoi, s’il te plaît, ajoute-t-il tristement,commesisaviedépendaitdemaréponse.

—Unsimpledîner,dis-tu?Ilopinerapidementdelatête.—Entredeuxvieuxamis?—Ouais…Matthews’avanceversmoienseplongeantdansmonregard.—C’estd’accord…Undînerentredeuxvieuxcopains,luirappelé-je.— Je passe te prendre demain soir à 19 h 30 !Couvre-toi bien ! Les nuits sont fraîches par ici !

s’enthousiasme-t-ilenreculantrapidementsansremarquerlepoteauquisetrouvederrièrelui.—Attention,Matthew!—Ehmerde!gémit-ildedouleurensecognantlatêtedessus.Àdemain,Hope!—Àdemain,jolicœur!Lesyeuxpleinsd’étoiles,jelesaluedelamaintoutenriant,etregagnemonhôtel…

-XII-

PortlandVendredi13février198118h29

J’aividél’armoireetrappeléPageàcinqreprises.Jetourneenrondtoutenmetorturantl’esprit.Jene saispasquoimettre ! Jem’effondre sur le lit sans savoir quoi porter. Je contemple le plafond enréfléchissantàhautevoix:

—Jevaisdevoirsuivremoninstinct.D’une,ilfaitfroidetdedeux,jenevaispasmepomponnerpourunhommequiestàprésentmarié.Parconséquent…jevaisopterpourquelquechosedeclasse,maisdeconfortable,pensé-jeenénumérantlespossibilitésqu’ilmereste.

Jemeredresseetattrapemachemiserosepoudréquigîtsurmonlit.—Allez,çaferal’affaire!J’attrapeunpantalonnoirdansl’armoire,desbottinesdemêmecouleuretposemavesteencuirnoir

fourréesurlelit.—Ouais,pasmaldutout…!Jemeprépareenprenantsoindedétachermescheveux.Jesaiscombienilpréfèremevoircoifféede

cettefaçon.J’appliqueunecouchedefonddeteintlégerpouruneffetbonnemine,etunpeudepoudresurlesjoues.Dumascaraetjetraceuntraitaucrayonmarronsousmesyeux.Jemelaisseaussitenterpardubrillant à lèvres. Je me trouve plutôt jolie et je sais que Matthew n’aime pas les femmes pleinesd’artifices.Jen’oubliepasquec’estmasimplicitéquil’afaitcraquer.Cesoir,jeveuxrestermoi-même.JenecompteabsolumentpasressembleràBrooke;celanememèneraitnullepart.

19h27

Jesorsde l’ascenseur, lecœurbattant. J’aisoudainement l’impressiond’alleràunpremier rendez-vousamoureux.Jemedandined’unpiedsur l’autreenscrutant l’entréepourvoirsiMatthewm’attenddéjàdehors.Jetraverselehalld’accueiletpasselesportes-tambours.

Matthewestbienlà,appuyécontresaMustangquiscintillesousleslumièresdel’hôtel.Ilestvenuavec!Sijem’écoutais,jesautilleraissurplace,excitéeàl’idéed’yprendreplace.Ilaopté,luiaussi,

pourunlookunpeuplusdécontractéqu’hiersoir,etj’avouequecelamefaitplaisir.Ilseredresseenmesouriantetfaitunsignedetêteendirectiondesavoiture,commepourmemontrerqu’elleestlà.Jerisetlerejoinsimmédiatement.

—Jevoisquetuassortil’artillerielourde,dis-moi?demandé-jeenposantavecdouceurmamainsurlecapot.

JelecaressetoutdoucementenpensantauxmerveilleuxmomentspassésavecMatthew.— Je voulais mettre toutes les chances de mon côté, lance-t-il en me décochant un clin d’œil

aguicheur.—Trèsdrôle,jolicœur,luiréponds-jeenletapantgentimentsurlebras.—Net’enflammepas,Hope.Jenevoulaispasveniraveclavoiturede«filsàpapa»…Jeprends

beaucoupplusdeplaisir à conduiremonpetit bolide,me fait-il remarquer en le contemplant, heureuxcommeunenfantàquil'onviendraitderendresonjouet.

—Alorspourquoias-tuprisl’autrehiersoir?—Brooken’aimepasmevoirauvolantdemaMustang…Jefaisminedenepascomprendreoùilveutenvenir.—Elleditqu’elleluirappellelegarçoninsouciantetimmaturequej’étaisavantdel’épouser.J’éclatederireenmemaintenantàlavoiture.Jelèveledoigtpourdirequelquechose,maisjesuis

prised’unfouriremonumental.—Pourquoi rigoles-tu comme ça ? Tu trouves ça drôle, toi ? J’ai encore le droit de conduirema

putaindebagnole!dit-ilententantdecachertantbienquemalsonamusement.—Ellen’ajamaisétéaussiprèsdelavérité,continué-jederireenposantmamainsursonépaule.—Sinousétionsprèsduphare,jetebalanceraisàlaflotte,tiens!—Ahoui?Etpourquoiça?dis-jeententantderetrouveruntantsoitpeudesérieux.Jesècheduboutdesdoigtsmeslarmesdejoieenleregardantd’unairamusé.—Jet’embrasseraisàpleinebouchepourtefairetaireetensuite…—Stop!dis-jeenallant jusqu’à laportièrepassagerafindem’installerà l’intérieur.Je teconnais

MatthewCole.Tuveuxm’embarrasser,mais tun’yarriveraspas,cettefois, lepréviens-jeensecouantmondoigtdevantsonnez.

Ilm’ouvrelaportièreetmechuchoteàl’oreilleavantdemelaisserentrer:—Lepremierquicraqueestunidiot.Jerestebouchebéedevanttantd’immaturitédesapart,etrétorqueaussitôt:—Undînercommedeuxvieuxamis,luirappelé-jeenlevantunsourcildéterminé.—Lepremier…,insiste-t-ilavecunsourireprovocateur.—Jenecraqueraipas,luisoufflé-jesensuellement.—Tesyeuxviennentdemeprouverlecontraire,déclare-t-ilenmefaisantsignedemonter.Jem’installe en inspirant profondément. S’ilme touche où s’il continue à jouer avecmoi, je vais

fondre comme neige au soleil… J’ai beau tenter de rester impassible, mais même avec toute ladétermination dumonde, je ne suis pas certaine de lui résister.Dieu, donnez-moi la force de ne pascraquer!Voilàunephrasequejeréciteraicommeunmantratoutelasoirée!

20h15

LavilledeWellsesttoutsimplementmagiqueenpleinenuit.Lesboutiquesd’antiquairessonttoutesilluminéesetcertainesuniquementàlalueurdesbougies.

—Quelspectacleincroyable!m’émerveillé-je.—Tuaimes?medemandeMatthewheureuxàl’idéedem’emmenerdînerici.—Sij’aime?C’estpeudire,jesuisauxanges,Matthew!—Lerestaurantn’estplusqu’àquelquesmètres,medit-ilenmelemontrantdudoigt.Jesuisémerveilléeparladécorationdesrues,commeunenfantàlaveilledeNoël.—Regardecommec’estmagique!Ilyamêmedescœurspartout,regarde!—C’estnormal…,dit-ilenlevantlesyeuxauciel.—Pourquoi?—C’estlaSaint-Valentindemain,Hope,—Ahoui,c’estvrai…Nousseronsle14…—Dansexactementquatreheures,confirme-t-ilenregardantsamontre.—J’aitellementétéoccupéetoutelasemainequejen’yaipaspensé,dis-jeengrimaçant.Bontume

diras,jen’aijamaisprêtéattentionàlafêtedesamoureux,avoué-jetristement.—Pourtant,tuesunegranderomantiqueettuécrisdelaromance,relève-t-il,amusé.—Oui,mais…Tometmoinesommespastrèsportéssurlachose,tuvois?Onseparleàpeineetje

nemevoisabsolumentpasfairequoiquecesoit…,m’empourpré-jesansvouloirallerplusloin.—Est-cequeTomlèveencore…—Non,Matthew.Tomnelèvepluslamainsurmoi.Ilestbientropoccupéàcouriraprèslesautres

femmes.—Etvousne…—Nonplus…Ladernièrefoisquej’ai…C’étaitavectoi,soufflé-je,intimidée.—Wouahhh,je…—Jeprésumequ’avecBrookecedoitêtredifférent.Tuesunhommeetvousneréagissezpasdela

mêmefaçonquenouslesfemmes,soupiré-jetristement.—Jenevaispastementir,maisouinous…—Jecomprends.Tun’aspasàtejustifier.Aprèstout,vousêtesmariés.Quisuis-jepourtedemander

descomptes?—Ce que je ressentais lorsque j’étais au creux de tes bras n’est comparable avec aucune autre…

Hope,tuétais…Jebaisselesyeux.Levoilàquiparledemoiaupassé...Matthewfreinebrusquementetsegaresurle

bas-côté.—Regarde-moi,Hope!Jelèvelesyeuxversluietcroisesonregarddésemparé:—Tueslaseulequim’afaitvibrer,trembler…Laseulequim’arenduvivant,meilleurettellement

heureux.Jamaisjen’aiéprouvéunepassionaussienivrantequecellequej’aipartagéeavectoi.—Lapassionfinitpars’éteindre,Matthew.Elleestéphémère,nedurequ’untemps…—Maiselledevientamourlorsquecelui-cis’avèreêtrepuretsincère.—C’estdupasséàprésent…Jesorsdelavoitureavantquelaconversationnedevienneplusembarrassantequ’ellenel’estdéjà.Il

merejointimmédiatementenmetendantsonbras:—Jesuisdésolé.Jenevoulaispasteblesser,s’excuse-t-il.—Cen’estrien.Net’inquiètepas,lerassuré-jeenluisourianttimidementtoutenacceptantdeglisser

monbrassouslesien.—Allez,viens.Allonsdîner,mepropose-t-ilenm’indiquantdelamainunpetitrestaurantaucoinde

larue.

22h45

Ledîner était parfait.Unendroit très romantique simplement éclairé à la lueurdes chandelles. Il achoisiunetableprèsdelacheminéeetleboisquicrépitaitrendaitl’ambianceextrêmementagréableetfeutrée.Ellemerappelaitcelledelamaisondelaplage.JepensequeMatthewatoutfaitafindemefairecomprendrequ’iln’avaitpasoublié touscesmomentspassésensemble.Nousavonsdînécommedeuxvieuxamispourraientlefaire.Nousavonsparlédesontravailetdumien.Ilesttrèsfierdesavoirquej’aipubliédeuxromancesetquejem’ensorscommeunegrande.J’aioséluidemandersiBrookeétaitaucourantpournotrepetiteescapadeàWells,maisils’estmontrétrèsévasifàcesujet.Jen’aipasinsistédepeurderuinernotresoiréeavecmesfameuses36.000questions.

—Ledînerétaitdélicieux,Matthew,leremercié-jeensortantdurestauranttoutenposantuninstantmamainsursonbras.

Ill’attrapeetlaserredanslasiennetendrementtoutenregardantautourdelui.Jelaretiredoucementafin de ne pasme laisser submerger par l’émotion.Mes sentiments pour lui neme permettent pas degarderassezdedistance.Ilresteencoreaujourd’huimaplusgrandefaiblesse.

—C’estmagnifique…,dit-ilenadmirantlaruecomplètementilluminée.—Très,réponds-je,émerveillée.—Celatedirait-ildeprolongerlasoiréeavecmoi?Onpourraitallersebaladeretprofiterqueles

boutiquessontouvertescesoir,mepropose-t-il.J’inspire profondément en regardant autour demoi pour esquiver son regard de chien battu. Jeme

tourneverslui,latêtesensdessusdessous.Jefaisquoi?—S’ilteplaît,insiste-t-ilensemordillantlalèvre.—D’accord…Allons-y, luidis-jeenm’avançant toutenglissantmesmainsdanslespochesdema

veste.Nousnousbaladonsl’unprèsdel’autre.Nouscraquonssurlamoitiédesobjetsprésentésenvitrine

avecl’espoirdetombersurlaperlerarequiiraitrejoindremaboutique.Ilyapasmaldemonde,malgréle froid.Matthew semontre très respectueux,même si parfois je le surprends àme contempler d’unregardambigu.L’amourest encore là, je le senschaque foisquemoncorps frôle le sien.L’électricitépalpableinondetoujoursmessensquis’éveillentpeuàpeuaucoursdelasoirée.Jen’oubliepaspourautantquejedoisquitterPortlanddemainsoir,etquenousseronsànouveauséparés.Pourtant,j’aimeraistantquenouspuissionsdiscuterensemble,remettreleschosesàplat.Etquisait,peut-êtreréussirenfinàtournerlapagesurnotrehistoire…

Arrivésdevantlemagasinoùnousavionsàl’époquerencontrélavieilledameàlaboîteàmusique,jeprendsmoncourageàdeuxmainsetluidemande:

—J’aiunequestionàteposer.Matthewopinedelatête.—Jet’écoute.—LorsquetuesvenumerejoindreàPort-Clyde,est-cequeBrookeettoi…?—Oui, j’étais déjà en couple avecBrooke.Nous venions de nous fiancer lorsque tum’as appelé,

m’avoue-t-il,gêné.Jelesavais…—Etest-cequetuesheureux?Maconsciencesemetàgenouxensuppliantqu’ilsoitmalheureuxcommelespierres.Jesecouelatête

afindedissipermaréactionégoïste,maisbienréelle,àmagrandehonte.—Jenesuispasmalheureux…,répond-ild’unevoixtendue.—Oui,jevoiscequetuveuxdire…—Ettoi?Es-tuheureuse?medemande-t-ilàsontourenpassantsesmainsderrièresondos.—Moi,ehbien…Jenesuispasmalheureuse,etpuisj’aimapetitefilleàprésent.—Amy…Commentva-t-elle?demande-t-il,unpeutendu.—Ellevabien,merci.Elledemandesouventaprèstoi.—C’estunepetitefilleadorableet…—Pourquoi,Matthew?demandé-jesanstenircomptedetoutesleschosesquejem’étaispromisde

respecter.Jem’arrêteetm’avanceverslui.Devantmonairdésemparé,ilm’entraînegentimentparlebrasvers

unepetiteimpassesurnotregauche,afindenepasbloquerletrottoir.—Jenecomprendspas?demande-t-ilenfouillantmonregardcommes’ilvoulaitlireenmoi.—Pourquoin’avons-nouspaspuêtreheureuxtouslesdeux?Est-cequetoutcelaétaitvrai?Parfois,

j’ail’impressionquec’étaitunrêve…—Pourmoi,c’étaitsérieux.Jesuistombéamoureuxdetoidèslepremierjour,Hope.Lorsquetuas

épouséTom,monmondes’estécroulé…J’aiperdutousmesrepères.J’aidûquitterlavilletantjemerendaismalade.TropdesouvenirsàPortClydem’enchaînaientàtoietpuisj’avaispeurdetecroiseraubrasdeton…

—DeTom,Matthew…Tom,insisté-je.Jenesupportepasquel’onmerappellequejesuismariéeàunêtreaussiméprisablequelui.Surtout

delabouchedel’hommequej’aimetoujours.—Dis-le-moi?Dis-moicequetusouhaitaisréellement?Allez,jouonscartessurtable!Onadéjà

tantperduparmanquedecommunication…,luirappelé-jeenluifaisantface.—J’enaibienconscience…—J’aibesoindesavoir,s’ilteplaît…,insisté-je,leslarmesauxyeux.Matthews’ouvreenfinàmoi,maisj’aiencoretantdequestionssansréponses.J’espèrequ’ilpourra

enfinm’aideràtournerlapage…—Jevoulaisqueturestesavecmoi…,commence-t-ilenposantsamainsursontorse.Maisjevoulais

quetulefassesparcequec’étaitréellementcequetusouhaitais.J’avais,moiaussi,besoindet’entendredirequetuallaislequitterpourmoi.Tun’étaispaslaseuleàteposerdesquestionsetàsouffrir.Jetevoyaistouslesjoursrentrercheztoi,sachantquetuallaisdormiravecunautre.Tuavaisl’airheureusejusqu’aujouroùj’aiapprisqu’iltebattait.

—Oui,c’étaitterriblepourmoi…Lorsquetuasvulesmarquessurmapeau,j’aieutellementhonte…—Hope?Tuesrestéeaveclui…ettul’asépousé.Imaginecequej’aipuressentir…Jesaisquetu

étaisfragileetperdue,maisjel’étaisaussi,mapuce.Pardon,jen’auraispasdû…—Non,j’adorequandtum’appellescommeça,luisoufflé-jeenposantmamainsursajoue.—Tesouviens-tudetouscesmerveilleuxmomentsquenousavonspartagés?medemande-t-ild’une

voixnostalgique.—Commentaurais-jepulesoublier?Jemesouviensdetout,Matthew…Leschosesvontsecompliquer…Prisedepanique,jeremarqueunmarchanddeglaceetdebarbepapadel’autrecôtédelarueeten

profitepourm’échapper.Jetraverselaroute,abandonnantMatthewsurletrottoir.Jedoisremettredeladistancesinonjenedonnepascherdemadétermination.

—Maisqu’est-cequetufais?!demande-t-ilenmerejoignant.—J’aienvied’uneglace!dis-jeensautillantsurplace,commeunepetitefilleàquil'onenapromis

une.

—Tuasvu le froidqu’il fait?Prendsplutôtunebarbeàpapa?mepropose-t-ilense frottant lesmains.

—Non!refusé-jeenmetournantverslemarchand.Monsieur,jevoudraisuneglaceauchocolat,s’ilvousplaît!

—Bien,joliedemoiselle.Jevousprépareçatoutdesuite.Etvous,jeunehomme?Matthewlèvelesyeuxaucieletrépondenhaussantlesépaules:—Vapourlamêmechose.—Youpiiiiiiie!crié-jeenluisautantaucouetenl’embrassantsurleslèvres.Ohpardon!dis-jeenle

relâchant.Mevoilàmortedehonteetlesjouesenfeu.Matthewrestesilencieuxetimmobile.Ilm’atoutl’airen

étatdechoc.—Çava?demandé-jeenpassantmamaindevantsesyeux.—Ouais…,répond-ilsimplement.C’estjustequejenem’yattendaispas…,ajoute-t-ilenébouriffant

sescheveux,terriblementgêné.Maistuviensdecommettreuneénormebêtiiiiiiise!—Quoidonc?demandé-jeenclignantdespaupières,sanscomprendre.—Tuasperduuuuuuuuuu!Tuasétélapremièreàcraquer!chantonne-t-ilendansantlesbrasenl’air

enpleinmilieudelarue.Jecroiselesbras,ledévisageantavecunemoueboudeuse.—Ahl’amour!Profitez-en,lesjeunes.Laviepasseàuneallurefolle!nousconseillelemarchand

quimetendmaglace.JeleremercietoutenguettantMatthewquiattrapelasienne.—Jemevengerai!lepréviens-jeenluitirantlalangue.—J’aipeur ! J’en frissonne,HopeObrien ! semoque-t-ildemoienmedécochantunde sesclins

d’œilaguicheurs.NouspartonsetlemarchandnoussouhaiteunemerveilleuseSaint-Valentin,cequinousfaitglousser

étantdonnélescirconstances.Nousnousbaladonscommedeuxamoureux tout enmangeantnosglaces. Je saisqu’ilm’observeet

celam’embarrasse.Jen’oseposermesyeuxsurlui.Unmalaises’estinstalléentrenous.Moncœurbatlachamadedansmapoitrineet j’ai l’impressionqu’ilva imploser. Je suis tellement stresséeque j’enaidéjàmalauventre.J’ail’impressiondetomberànouveauamoureuseetd’avoirperdutoutemavolonté.Mais quelle sotte j’ai été ! Craquer alors que jem’étais promise de gardermes distances.Bravo, ladéterminationetmoi,çafaitdeux!

—Hope?—Oui?dis-jeenleguettantducoindel’œil.Matthew s’avance vers moi et je recule immédiatement de peur qu’il ne commette une connerie

monumentale.Jeterminemacoursedosàlavitrined’unebijouterie.

—Maisqu’est-cequetufous?!paniqué-jeendéviantmonvisagedusienquis’approche.—Attends, tu as de la glace… juste ici, souffle-t-il en attrapant unemèche de cheveux qu’il fait

glisserlentemententresesdoigts.Non,maisquelleidiote!—Voilà…Iln’yaplusrien,ajoute-t-il,unsouriredeconspirateuraucoindeslèvres.Il passemamèche derrièremonoreille tout enme caressant le lobe. Jememordille les lèvres en

guettantlessiennesquis’approchentlentement.Jefaisquoimaintenant?Ilsepencheversmoiet…toutàcoup,j’écrasemaglacecontresonnezenexplosantderire.

—Putain,Hope!Maisquelâgeas-tu?dit-ilenattrapantunmouchoirdanssapochepoursenettoyerlenez.

— Je ne sais pas, à toi de me dire ? Je t’avais dit que je me vengerais ! ricané-je en léchantsensuellementmaglace.

—Nefaispasça,Hope!Tujouesaveclefeuettuvasirrémédiablementt’ybrûler!mehurlemaconsciencequejeremiseauplacard.

Nousvoilàderetouravecnoscinqansd’âgemental.Matthews’avanceprécipitammentversmoietposesamainsurlavitrineprèsdemonvisage.

—Quoi?murmuré-jeenluifaisantlesyeuxdoux.—Ne serais-tu pas en train demedraguer,HopeObrien ? demande-t-il en approchant encore son

visagedumien.—Moi?Illâchesaglaceetlamiennevaimmédiatementlarejoindresurlesol.—Nejouepasavecmoi,Hope.Tusaisparfaitementcequejeressenspourtoi…—Etqu’est-cequetu…Matthew attrapemon visage en coupe etm’embrasse à pleine bouche sansme laisser le temps de

reprendremonsouffle.Ildescendsesmainslelongdemesbrasetm’agrippeparlataillepourdonnerplusde forceànotrebaiser. Jepasse lesmiensautourdesoncou toutenglissantmesdoigtsdanssescheveux.Jemefrotteàlui,sentantsonmembresedressercontremoi.L’envieirrépressiblequejesensnaîtreaucreuxdemonventreestinsupportable.Desmois,bientôtuneannéequejen’avaispassentisesbaisersparcourirmapeau.Uneannéeoùjeluisuisrestéefidèle,commeunejeunefemmeendeuilléeparlapertedel’amourdesavie…Nousvoilàlibérésdescordesquinousenchaînaientànosmariages.Maispourcombiendetemps?

—Putain,Hope…Tumefaisperdre la tête,murmure-t-ilcontremes lèvres,gonfléespar lebaiserdémentielqu’ilvientdem’offrir.

—J’aichaudtoutàcoup…,lâché-jestupidementenplantantmesyeuxbrillantsdanslessiens.—Hope,je…Toutàcoup,sansterminersaphrase,Matthewsepencheverslavitrinequisetrouvederrièremoi.

—Quoi?demandé-jeenmeretournant.Jecherchecequipeutattirersonattention,maisnesaisispastoutdesuitedequoiils’agit.Puis,près

delastatuettedupetitange,deuxalliancesauxchiffresromainssontposéesl’uneprèsdel’autre.—Jepariequeturegardescesalliances-là,luimontré-jedudoigt.—Ellesme touchent tellementetmefontpenserà l’horlogequise trouvaitauLily’sCoffee .Tu te

souviens?—Oui,celleenboisquiornaitlemur.Jem’ensouviensparfaitement,confirmé-je.Matthewm’entouredesesbras,commeillefaisaitàl’époqueetmesouffleàl’oreille:—Ondiraitleschapitresd’unlivre…Celuid’unemagnifiquehistoired’amour…Jesouris,amusée,tantilestpresqueaussiromantiquequemoi.—Tusaisquoi?dit-il.Jesecouelatête.—Onvas’achetercesalliancesetonengarderaunechacun.Jemetourneimmédiatementversluienécarquillantlesyeux.—Tuasdécidémentperdulatête!Quelleexcusebidonvas-tutrouverpourexpliquerquetuportes

uneautrealliance?—Pasencore…,lâche-t-ilenm’attrapantparlamainpourm’entraînerrapidementdanslabijouterie.

00h35

Nousnousdépêchonsderegagnerlavoiture.L’oragegrondeauloinet lapluiemenacedetomberàtoutmoment.Jem’arrêtequelquesinstants,impatienteàl’idéededécouvrirnosbijoux.J’ouvrelapetiteboîterougeetcontemplenosbaguesavecamour.Jenepeuxm’empêcherderelirelamagnifiquegravurequi se trouve à présent à l’intérieur de la mienne :Matthew Port Clyde 1975 . Matthew me sourittendrement.Ilrécupèrelasiennequiportel’inscription:HopePortClyde1975.Illaglisseàsondoigtetmemontresamaindroite.Malheureusement,jenepeuxm’empêcherderegardersonalliance,cellequimerappellequecethommeestmariéàuneautrefemme.

—Excuse-moi.Jenesuisqu’uncrétin,dit-ilenlaretirantcequimefendlecœur.Sansm’yattendrel’espaced’uneminute,ilenlèvesonallianceetlaglissedanssapoche.Etc’estla

nôtrequiprendàprésentsaplacesousmesyeuxébahis.—Mais?—C’estbeaucoupmieux.Tunetrouvespas?demande-t-ilenrécupérantmabaguedanssaboîteque

jen’aipasencoreoséenfiler.Sansmequitterdesyeux,illaglisselentementàmondoigtenmemurmurant:—Àjamais…—Àjamais,répété-je,émue.

Seuleslesvaguesdel’océanquis’abattentsurlaplagedeWellssonttémoinsdecemomentunique.Matthewcontemplemamainetydéposeunbaiser.Toutàcoup,ilmarqueuntempsd’arrêtetréalise

quejeneporteplusmabaguedefiançaillesnimonalliance.—Jelesairetiréesilyaplusieursmois.Enfait,peudetempsaprèsquetusoisparti,luiavoué-jeen

baissantlégèrementlesyeux.—Pourquoi?—Jenelessupportaisplus…Tometmoin’avonsplusderelationsphysiquesdepuisdesannées.Pour

êtretoutàfaitfrancheavectoi,nousfaisonsmêmedepuispeuchambreàpart.—Allons-y,Hope.Lapluienevapastarderàtomber,déclare-t-il,sansposerdequestions.Nousregagnonssavoiture,maindanslamain.Jesaisquelasoiréetouchemalheureusementàsafin…

Elleétaitmerveilleuse,maisellen’étaitqu’unedouce illusionpourapaisermomentanément lemanquequenousressentons.Jenevoispascommentnouspourrionsencorealimenterl’espoird’êtreunvéritablecouplequin’auraitplusbesoindesecacher.

—Queva-t-onfaireàprésent?demandé-jeenmedirigeantverslaportière.—Jenesaispas…,répond-iltristement.—Tul’aimes?—Quoi?—Est-cequetuaimestafemme?—Oui,jetiensàelle,mais…—Maisquoi?demandé-jeenlefoudroyantduregardtantjesouffreauxtréfondsdemonêtre.—C’esttristecequejevaistedire…Jel’aimebien,maistoijet’aimetoutsimplementd’unamour

sans demi-mesure. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne. Je t’adore, ma puce, et tu le saisparfaitementbien!

—Non, jen’en sais rien !Tunemedis rien ! J’aibesoinde savoiroùonva ! Je refused’être tamaîtresse,Matthew!Jeneveuxpasêtrecellequibrisera tonmariage, tucomprends?Jeneveuxpasavoircetteétiquettecolléesurlefrontjusqu’àlafindenosjours!

—Sijelarejoinscettenuit,c’esttoiquejevaistrahir,etnonelle!C’esttoiquej’aime,Hope…—Jeneveuxpasêtretamaîtresse!répété-je,désespérée.—TuesHope,maHope. Jamais jenepourrais teconsidérercommemamaîtresse !Noussommes

beaucoupplusquedesimplesamants.Nousnousaimonssincèrement,profondément,etce,depuisdesannées.Nousavonstraversétantd’épreuvestouslesdeuxetnoussommesencorelà.

—Nousfinissonstoujoursparnousséparer!Àquoibon,Matthew?—Mapuce,regarde-moi.Cen’estpasunhasardsinousnoussommesretrouvésàcedîner:c’était

notredestinée…—Trèsbien.Tudisquenotredestinéeyestpourquelquechose, soit !Ellenousa ramenés l’unà

l’autre,maisellenousaégalementséparés.Quinousditqu’ellen’essayepasdenousfairecomprendre

quenousnesommespasfaitspourêtreensemble?Regarde-nous!Onfinittoujoursparseséparerquoiquenousdécidionsdefaire!

—Jesuispersuadéquetuesl’amourdemavie.Lecontraireestinconcevable,affirme-t-il,suruntonsansappel.

—Regardeoù toutcelanousamenés.Tantde souffrances, cesdernièresannées…Ellesontété siéprouvantes.Etplus le tempspasse,plusnousnouséloignons l’unde l’autre, constaté-je,bienmalgrémoi.

—Nedispasça,Hope.Jet’ensupplie,neperdspasespoir…Jebaisse les yeuxpour cachermes larmesqui coulent à présent, laissant place à l’infinie tristesse

danslaquellejeplongeànouveau.—J’aiperduespoir,Matthew.J’aiperdul’espoirqu’unjourtoietmoipuissionsêtretoutsimplement

un«nous»…—Vienslà,mapuce,dit-ilenprenantdanssesbras.Jerefusedet’excluredemavieetdeteperdre

encore…

-XIII-

SkylarGrey-IKnowYou

PortlandSamedi14février198101h49

Matthewa tenuàmeraccompagner jusqu’àmachambre.Jen’aipas l’intentionde le laisserentrer.Tantquenousn’auronspaseuunebonnediscussionetprisunedécision,jen’iraispasplusloin.J’aidéjàtantsouffert…Moncœurnesupporteraitpasunenouvelleséparation.Cettefois,jeveuxfaireleschosesdansl’ordre…Arrivésdevantmaporte,jeglisselaclédanslaserrureetl’ouvre.Jemetournefaceàluietsesyeuxdésespérésmefendentlecœur.Jedoisteniretnepasvacillercettefois.

—Mercidem’avoirraccompagnée.Bonnenuit,Matthew,luisouhaité-jeendéposantunbaiserchastesurseslèvres.

—Hope,je…—EnrentrantàPortClyde,jedemanderailedivorce.Ilestgrandtempsquejereprennemavieen

main,luiannoncé-jed’untondéterminé.—T’attends-tuàcequejefasselamêmechose?medemande-t-ilens’approchantdemoi,maisje

reculed’unpas.—Non,Matthew. Je te dis simplement que je ne resterai pas avecTom.D’une, parce que je suis

malheureuse…—Etdedeux?mecoupe-t-ilaussitôt,penduàmeslèvres.—Dedeux,parcequejeneveuxpasliermavieàunautre,carjesaisoùestmonâmesœur…Ilest

déjàtrèstard,Matthew.Tusaisoùmetrouver…,luidis-jeenentrantdansmachambre.Jefermelaporteetm’adosseàelleenposantmatêtedessus.Jesensencoresadouceprésencede

l’autrecôté.J’aienviequ’ilparte,enviequ’ilreste…Jesuissiperdue.Enmêmetemps,j’ailacertitudequecethommem’appartientinconditionnellement.Jemetourneenposantmonfrontcontreleboisfroidpourmerapprocherdesonsoufflequej’entendss’affoler.

—Hope,madouceHope…Je l’entendsmurmurermonnom, le répéter encoreet encore, commes’il était emprisonnédansune

cageetqu’ilattendaitque jevienne le sauver. Jeveux luiouvrir laporte,mais je saisaussiquenouscommettrionsuneerreurirréparable.Cettenuit,jeneveuxplusdepromessessanslendemain.Jeveuxdesdécisions suiviesd’effets. J’admiremabague auxXII chapitres…Les larmesmemontent aussitôt auxyeux.Jamaisjenepourraioubliercettesoirée.

—Jet’aimetellement…,chuchoté-jedepeurqu’ilm’entende.Toutàcoup,Matthewfrappedoucementàmaporte.Moncœur,plusfortquemaraison,mepousseàle

laisser entrer… Vaincue, je l’entrebâille lentement. Je penche ma tête dans l’ouverture et capteimmédiatementsonregardmalheureuxquifouillelemienenquêtederéponse.Ilhausselesépaulessanssavoirquedire,unsourireaucoindeslèvres.

—J’ignorecommentinterprétercenouveaucoupdudestin,dit-ilencherchantsesmots.Maiscequejesais,c’estquejeneveuxpasrentrerchezmoi.

Ilposesatêtesurl’embrasuredelaporteetcaressemeslèvresduboutdudoigt.—Si je te laisse entrer, c’estpourneplus jamaismequitter ! lepréviens-je enarquantun sourcil

déterminé.—C’estaussicequejeveux.—Jeneveuxpasêtretonamieetjeneveuxplusêtretameilleureamie.Jeveuxsimplementêtrela

femmequipartagetavie.—Etmoi,jeveuxquetusoiscellequejevoischaquematinlorsquej’ouvrelesyeux.Jeveuxquetu

sois celle avec qui je ris, avec qui je cours sur la plage à poil en pleine nuit, lâche-t-il en riantdoucement.

—Etmoicellequit’apporteraunpeudematurité…Entrenous,tuasencorebeaucoupàapprendre!—Ahoui?Tiensdonc!dit-ilenéclatantderire.—Chut…!Tuvasfinirparréveillertoutl’étage,legrondé-je.Jeposemamainsurmabouche,depeurderireàmontour.Matthewreprendsonsérieux.Sesyeux

s’attardentsurmeslèvres,surmapeau,surmoi…Ilinspireprofondémentetmesouffle:—Mapuce,jeveuxsimplementquetusoiscellequej’aitoujoursaimée…Cettejeunefillededix-

neufans,sensible,sincèreetadorable.Tuesl’amourdemavie,etjeneveuxpluspasseruneminuteloindetoi.

—Alors,nemelaissepluspartir…Plusjamais…—Jet’enfaislapromesse,dit-ilenposantsamainsurlaporteafinquejelelaisseentrer.Touchéeparlasincéritédesesmots,j’ouvrecomplètementlaporteenluisouriant.Matthewentreet

mesoulèveenmeportantdanssesbras.Jefaufilelesmiensautourdesoncou.Ilrefermelaporteàl’aidedesonpiedetmeportelentementjusqu’aumilieudelachambre. Il plonge ses yeux troublants dans lesmiensetnousfaitdansersurplacecommes’ilvoulaitmebercer.

L’oragegronde et la foudre s’abat de toute sapuissance surPortland.NotreDestinée a-t-elle enfindécidéde levercemauvaissort?Allons-nous finalementavoirnotre finheureuse?Jeveuxencore le

croire…Matthewmedévoredesonregardlascifquiglissesensuellementsurmapeau.—Tum’astellementmanqué…,soufflé-je.Sansdireunmot,ilm’embrassetendrementencontinuantànousfairedanser.Ilgémitlégèrementet

mabouches’ouvre tant lachaleurquim’envahitmeconsume. Je serre sanuqueentremesdoigtspourdonnerplusd’intensitéànotrebaiser.

—Hope,susurre-t-ilàboutdesouffle,enreplongeantsesyeuxdanslesmiens.—Fais-moil’amour…Ilmesourittendrementenfrottantsonnezaumienetmedit:—Àvosordres,MmeMatthewCole.—Nedispasça…—Jet’aime,Hope.Jemesuistubientroplongtemps.Maintenantquetuesenfinàmoi,jenecompte

paspasserunseuljoursanstedireàquelpointjesuisfouamoureuxdetoi.J’écrasemes lèvres sur les siennes en tentant de resserrer encoremon étreinte. Jem’agrippe à lui

commeàunebouéede sauvetagequime ramènerait enfin sur la terre ferme.Cethommem’a sauvé lavie…Cethommem’arenduevivante…Cesoir,plusriennepeutm’arrêter.Jevaisenfincéderàcettetentationquejemesuistantinterdite.

Matthew s’approche du lit et m’y dépose lentement sans quitter mes lèvres. Il s’allonge sur moi,s’accoudantdepartetd’autredematêteenlatenantentresesmainstremblantes.Ilreculelégèrementsonvisageencaressantlemienduboutdesdoigts.

—Encorehierj’étaisàladérivecommeunbateauperduenpleinemer…Aujourd’hui,j’airetrouvémonchemin.Hope,tum’asàtontoursauvélavie,medéclare-t-il,lavoixchargéed’émotion.

Jememets à pleurer tant je suis touchée et émue par ses paroles. Tous sesmotsme bouleversentprofondément…J’aiattendutantd’annéesavantdedécouvrircequ’ilyavaitvéritablementaufonddesoncœur.

—Jeveuxmenourrirdechaqueparcelledetoncorpsetm’endormiraucreuxdetesbras.Reviensdansmabulleetn’ensorsplusjamais,luidis-jeenmenoyantdanssesyeuxamoureux.

—Plusjamais,jenetelaisseraipartir,mepromet-ilensepenchantpourm’embrasser.Matthewdéboutonnepetitàpetitmonchemisieretglissesamainàl’intérieur.Ilcaresselentementma

poitrine,descendversmonventreetmeshanchesqu’ilpressedoucemententresesdoigts.Ilm’aideàmeredressersurlelitafindemeretireravecdélicatessemavesteetmachemise.Puisildescenddulitenmecontemplantdehautenbastoutensedéshabillantcomplètement.Jem’empourpreaussitôtentournantlégèrementmonvisage.

—Tuesadorable,HopeObrien,dit-ilenmerejoignantànouveau.—Jevaisprendreçapouruncompliment,marmonné-je,embarrassée.Matthew s’agenouille et se pencheversmoi. Il passe ses doigts sous les bretelles demon soutien-

gorgeenlesglissantlentementsurmesbrasetledégrafeenleposantsurlelit.J’ailecœurquibatlachamadedansmapoitrineetmarespirations’affole.Jemeursd’enviedemeperdredanssesbras,maiscegarçonaledondem’intimiderauplushautpoint.

—Hope…Je lèvemonregardenflammévers luienmeplongeantdans le sien.Lentement, sansmequitterdes

yeux,ilposesesmainssurmesseinsenpressantlégèrementmestétonsquisedressentdéjà.Sesdoigtsparcourent ma peau jusqu’à mes lèvres, puis se faufilent dans mes cheveux pour les faire tomber encascadesurmesépaules.

—Tuessibelle…Jeresteaphone…Jen’arriveplusàprononcerlemoindremottantmarespirationestsaccadéeparle

plaisirqu’iléveilleenmoi.Matthewm’allongedélicatementencontinuantdemedévorerdesonregardbrûlant.Ledésirquejevoisbrûleraufonddesesyeuxmeprovoquedesdéchargesélectriquesjusquelà.Commentpeut-onsurvivreàunamouraussipuissantquelenôtre?J’ail’impressiondemeconsumersurplacechaquefoisqu’ilposesesyeuxenfiévréssurmoi.

—J’aitellementenviedetoi,Hope.Je l’écouteenm’enivrantdechacunedesesparolescommesiellesétaientun remèdeà toutesmes

souffrances.Jen’osedireunseulmot,justeprofiterdel’instantprésent.Laviem’aapprisqu’ellepeutparfoisserévélerbieninjuste.

Ildéboutonnemon jean,descend lentement le zipet leglisse jusqu’àmespieds.Celui-ci rejoint lerestedemesvêtementssurlelit.

—Tuesàmoi,n’est-cepas?demandé-jed’unevoixtremblante.J’aisipeur,Matthew…—Jesuisàtoidepuislejouroùtut’esvautréesurlepontduphare,semoque-t-ildemoi.—Alorsça,c’estvraimenttrèspetit,dis-jeenséchantleslarmesquiperlentàmesyeux.—Cejour-là, j’aiaperçudanstesyeuxcemondesiparticulierdanslequeltuteréfugies,et jesuis

tombéfouamoureuxdetoi…Jet’aime,Hope,dit-ilens’allongeantsurmoi.Matthewcaressedureversdelamainmonvisageetmedéposeunbaiserchastesurleslèvres.L’autre

se faufile jusqu’àmonbas ventre et à l’intérieur de la dentelle légère qui couvremon intimité. Jemecambreaussitôtsousleplaisirqu’ilm’offre.

—Oh,Matthew.—Hope…Ilaccélère lemouvementdesesdoigts toutenm’embrassant fougueusement.Jeme tortillesousson

corpsbrûlantquisetendfermementsurmapeauquis’échauffe.—Oh,Matthew!répété-jeenrenversantlatêteenarrièresousleplaisirquiexploseaucreuxdemon

ventre.Ilquittemoncorps,etretireavecdélicatessemaculotteenlafaisantglisserlentementsansmequitter

des yeux. Il se place au-dessus demoi et se niche dans cemonde qui n’appartient qu’à nous. Puis il

s’allongedetoutsonpoidssurmoietexercedesva-et-vientlentsafinquemoncorpss’habitueànouveauausien.

—Est-cequeçava?demande-t-ilenposantsesmainsdepartetd’autredemonvisage.—Jevaisbien…—Alors,pourquoipleures-tu?— C’est si puissant, si fort, si intense que j’ai les larmes qui me montent aux yeux… Je suis

désolée…,sangloté-jeenm’ouvrantunpeuplusàlui.—Tun’aspasàl’être,mapuce.Je passemes bras autour de son cou en pressant sa nuque avecmes doigts que je faufile dans ses

cheveux.Matthewaccélèrelacadenceenappuyantplusforttoutens’enfonçantdavantageenmoi.Jesensleplaisirfamiliermonter.J’enroulemesjambesautourdesatailleenappuyantavecmespiedssursesfessesafindeluiintimerlerythmequimeferaatteindreleplaisirultime.Lavaguemesubmergeenfinetje renverse la tête en arrière, le corps parcouru de spasmes puissants. Matthew ne tarde pas à merejoindre…

—Matthew,jet’aime…—Etmoi,encoreplusqueça.

Penséedusoir:

Je viens de passer un moment magique et je ne pense pas que l’on puisse être plus heureux.L’intensitéavec laquelle ilm’a fait l’amoura laissédes traces indélébilesau fin fonddemonêtre.Cettenuitresteragravéedansmoncœurpourl’éternité.Jesuisamoureusedeluidepuislepremierjour,mêmesiàl’époquejerefusaisdel’admettre.Ila

toujourssuavoirlesmotspourmetoucherenpleincœurcommeuneflèchedeCupidonleferait.Jesuissurunpetitnuageetj’aimeraisnejamaisenredescendre.Le voilààprésent endormi tout prèsdemoi et de le voir dormir si paisiblement,me fait fondre

d’amour. J’ai toujours su que c’était lui, mais jamais je n’avais imaginé qu’on puisse être aussiheureuxensemble.Ilm’apromisdeparleràBrooke.Moi,jevaisdevoirlivrerunebatailledesplusterribles.Tomne

me laissera pas partir aussi facilement…Sauf queMatthew nem’abandonnera pas non plus à sesgriffes,cettefois.Ilm’abattu,menti,trompéetilnememériteabsolumentpas.Jevaisluidemanderledivorceunebonnefoispourtoutes!Jerefusedetournerledosaubonheuretd’avoirpeur.JeferaitoutpourqueMatthewetmoipuissionsêtreenfinlibresdenousaimer.Demain,unenouvellevies’ouvreenfinàmoietc’estavecMatthewquejevaislapartager.Bonnenuit,monbelamour…Cettefois,tuesprèsdemoi…

-XIV-

PortlandSamedi14février198110h49

Jesoulèvemespaupièresenm’étirant.JechercheduboutdesdoigtslecorpschauddeMatthew,maisnetrouvepersonne.

—Matthew!crié-jeenproieàlapanique.—Jesuislà,mapuce,dit-ilenmerejoignantsurleborddulit.—Mais?—Bonjour,monamour,souffle-t-ilenm’embrassanttendrement.—Bonjour…Pendantuneseconde,j’aipenséquetu…—Jet’aifaitlapromessequejeseraislààtonréveil,ettuvois,jesuislà,dit-ileneffleurantmajoue

avecsonnez.Sesyeuxamoureuxmedévorentetjen’aiqu’uneenviequ’ilsefaufileànouveausouslesdrapsavec

moi.—Oùétais-tu?demandé-jeenjetantunœilàlachambre.Toutàcoup,j’aperçoismoncahierauxtonsdorésposésurlefauteuil,faceaulit.—Tul’aslu?demandé-je,affolée,enmeredressant.—Jen’aipas terminé, j’arriveà ladeuxièmepartie.J’aiaussi lu tadernièrepenséedusoiret j’ai

décidé de la garder avec moi, décide-t-il en m’adressant un clin d’œil. En tout cas,My Destiny estmagnifique…Attends,jevaisteliremonpassagepréféré,dit-ilenselevant.

Ilattrapemoncahieretprendplacesurlefauteuil.Jem’effondreaussitôtsurlelit,rassuréequ’iln’aitétéplusloindanssalecture,maisterriblementembarrasséequ’illelisedevantmoi.

— Non, je ne veux pas t’entendre lire mes propres mots…, confié-je en me cachant sous lescouvertures.

—Nedispasdebêtises.Alors,oùc’étaitdéjà…,dit-ilentournantlespages.Ah,levoilà!Matthewmelitsonpassagepréféré,etjem’enfonceplusprofondémentsouslescouvertures,rougede

honte.

« Je sens tout son désir se déployer contre ma peau. Sa respiration saccadée et sa bouche quis’entrouvreenmecontemplantprouventquelefeuquil’animeleconsumetoutentier.Samainquitteleniddouilletdanslequelilvientdeprépareruneplacequin’appartientdésormaisqu’àlui.Jesuisprêteetjesaisque,cettefois,laseulesensationquejeressentiraiseraleplaisirqu’ilm’offrira.—Tuprendsquelquechose?s’assure-t-ilavant.—Oui…viens,s’ilteplaît,demandé-jeenl’embrassantetenpassantmesmainssursondosqui

glissentverssesfessesmusclées.Je les presse en appuyant légèrement pour l’inciter à se nicher en moi. Il se positionne en me

guettantcommes’ilavaitbesoind’unsignepours’inviteraucreuxdemonêtre.Jefermeuninstantlesyeuxpourluiconfirmerquejememeursdegoûterauplaisirdélicieuxdemeperdreaveclui.Matthews’approchelentementetseglissetendrementenmoi,sansmequitterdesyeux.Sonsouffle

caressesuavementmeslèvres.Jemecambreparleplaisirquecelameprocuredéjà.Ils’allongedetout son poids surmoi et entame un va-et-vient tout en douceur dont je ne soupçonnaismême pasl’existence.C’estdonccelafairel’amour?Àprésent,jeleressensenfin,ceplaisirquigranditenmoietquiremontejusqu’aucreuxdemonventre.Mathewaccélèrelerythmeetjem’ouvreunpeuplusàluiafindel’accueillirdanscemondeoùila

toutesaplace.Jerenversematêteenarrièreenmelaissantallerauplaisirqu’ilmeprocureet luisouffle:—Jet’aime,Matthew…—Etmoi,tun’imaginesmêmepascombien…,dit-ilensenichantplusprofondémentenmoi.—Dis-le-moi…Répète-le-moi,encoreetencore…—Lesmots n’ont aucune valeur, ma puce…,me souffle-t-il au creux de l’oreille.Mais, oui, je

t’aime…Tulesaistrèsbien…Mapuce…Sesdoucesparolesmetouchentprofondément…Jesenslachaleurm’envahir.Jemetortillesoussoncorpsquinemelaissedésormaisplusaucun

répit.Ilappuieplusfortetmelanceàboutdesouffle:—Jetedésiretellement,Hope…Soussesmots,leplaisirexploseenmoietleslarmesmemontentauxyeuxtantc’estfortetintense.

C’est la première fois que je le ressens dans les bras d’un homme. C’est incroyable, puissant etdévastateur.Sesbaisersardentss’intensifient.Matthewaugmenteencorelacadenceenenroulantmescheveuxentresesdoigts.Ilrelèvelatêteetplantesesyeuxténébreuxdanslesmiens.Il fouinedansmonregardcommeilapourhabitudedelefaireafind’entrerdansmonmondesiparticulier.Puisilgémitd’unevoixrauque:—Jedonneraiunefinheureuseàtonlivre,ànotrehistoire…Ilnepeutenêtreautrement…»

—J’aiadorélepassagedes«fessesmusclées»,dit-ilenéclatantderire.Jesoulèvelescouverturesetlefusilleduregard.—Commentpeux-tutransformerunpassagesiromantiqueenquelquechosedesi…—Desiquoi?Ilestmagnifique,maismereplongerdanscettenuitaréveilléenmoiuneenviefolle

detefairel’amour,déclare-t-ilenselevanttoutenreposantMyDestinysurlechevet.—Ahoui?Etquevas-tumefaire,cettefois?demandé-jeenglissantmesyeuxcontemplatifssurson

corpsfièrementdressé.—Jevaistelemontrertoutdesuite,mapuce…

12h15

Après avoir enflamméune nouvelle fois les draps, nous avons terminé notre deuxième roundde lamatinéesousladouche.J’ensorsetattrapeuneserviettepourm’enroulerdedans.Jem’appuiecontrelemeuble-vasqueàreluquerdemesyeuxgourmandsMatthewquiterminedeselaver.

—Lavueteplaît?—Beaucoup,réponds-jeenluisouriantmalicieusement.Tout à coup, la réalité me rattrape et je ne peux m’empêcher de penser à la réaction de Brooke

lorsqu’elleapprendraqueMatthewdésiremettreuntermeàleurrécentmariage.—Commentva-t-elleleprendre?m’inquiété-jeenamenantmondoigtàlabouche.Jevaisfinirparmerongertouslesonglestantjesuisstressée.—Mapuce,jeneveuxpasquetut’inquiètes,d’accord?Nousallonsavoiruneconversationcomme

deuxadultes.Ellesaitparfaitementquenotremariagen’estpasbasésurl’amouroùjenesaisquelautresentimentqu’elleveutbienmefaireavaler.

—Tul’astoutdemêmeépousée,luisignalé-je.—Brooke est une femme forte. Elle s’en remettra… Je n’en doute pas une seconde ! Tant qu’elle

garderasaplaceauseindel’entrepriseetsonargent,elleseracomblée,affirme-t-il,sansétatd’âme.—Jen’arrivepasàcomprendrecommentlesgenspeuventêtreheureuxsansamouretsansrecevoirla

moindreaffection…Celamedépasse.—Tuparstoujourscesoir?medemande-t-ilensortantdeladouche.—Oui,jen’aipaslechoix…JedoisavoiruneconversationavecTom…Matthew attrape une serviette et la passe autour de sa taille. Elle lui glisse sensuellement sur les

hanchesetjenepeuxm’empêcherd’admirersoncorps.—Jepréféraisêtrelà,remet-ilsurletapis.—Impossible!Jen’oseimaginersaréactions’iltevoyait…—Etmoi,jen’oseimaginerlamiennes’iltetoucheunenouvellefois,grogne-t-ilens’approchantde

moi.

Ilposesamainsurmajoueencaressantmeslèvresavecsonpouce.—Tuesl’amourdemavie.S’ilt’arrivequoiquecesoitje…—Chut…Ilnem’arriverarien…,lerassuré-je.—Jesaisqu’unelonguebataillenousattend,maisjesuisaussiconvaincuquelebonheurfrappeenfin

ànotreporte,déclare-t-il.Matthewm’embrassetendrementetmeserredanssesbras.Jereculeafind’allermepréparer.—Jevaism’habiller,tuviens?demandé-jeensortantdelasalledebains.—Jeterejoinsdansuninstant,dit-il.Jetraverselachambreetattrapemessous-vêtementsdanslacommode.—Oùveux-tuallerdéjeuner?demande-t-il.—Où tu veux, peu importe… J’avoue que je n’ai pas très faim. Tant que tu n’auras pas parlé à

Brooke,jepensequecenœudquimecomprimel’estomacnepermettrapasd’avalergrand-chose.J’aiunebouled’angoissequinemequitteplusdepuismonréveil.Touscessoucismerendentdingue,

sansparlerdeceuxquim’attendentàPortClyde.J’aipeurdelaréactiondeTom,peurqu’ilexplosedecolère aprèsmoi… Je ne veux pas inquiéterMatthew,mais cette conversation tournera forcément audrame.

Soudain,letéléphoneretentitetmesortdemespensées.Jemepencheverslechevetetdécroche.—Oui?—Bonjour,MlleObrien.PageStevenschercheàvousjoindre,m’informeleréceptionniste.—Bonjour.Oui,merci.—Bonnejournée,mademoiselle.—Merci,àvouségalement.—Hope?—Page,machérie.Commentvas-tu?demandé-jeenguettantMatthewquiseprépare.—Matthewest-ilencoreavectoi?chuchote-t-elleàl’autreboutdufil.—Oui,pourquoi?—Dieusoitloué,dit-elled’untonsoucieux.—Maisquesepasse-t-il?demandé-je,inquièteàmontour.—Filipvientdem’appeler…Apriori,vendredi,MatthewseseraitdisputéviolemmentavecBrooke

àlabanque.Hope,ilacarrémentpétéunplombdevantlesclientsdesonagence!Ensuite,ilauraitquittésonbureauetàcequejevois,iln’estpasrentrédelanuit.

—Ilnem’arienditàcesujet…,chuchoté-jetoutenleguettantducoindel’œil.Matthewest restétrèsévasif,hiersoir.J’aimisçasurlecomptedesonéternellepropensionàrépondreàmesquestions,ironisé-jeenlevantlesyeuxauciel.

Matthewme rejoint enfindans la chambre. Il s’approchedemoi etmeprenddans sesbras tout enm’embrassantfougueusementdanslecou.

—Quiest-ce?chuchote-t-ilàmonoreille.—C’estPage,luiréponds-jed’unevoixfaible.—Quesepasse-t-il?s’inquiète-t-ilenfronçantlessourcils.—Hope,passe-le-moi,s’ilteplaît,medemande-t-elled’untonhésitant.—Toutdesuite…C’estpourtoi,luidis-jeenluitendantlecombiné.Matthew leporteàsonoreille toutenm’observant. Jesensbienquequelquechoseclocheet il l’a

biencompris.—Oui,Page?Pardon?Matthewdevientblanccommeunlingeetajouted’unevoixtremblante:—Dis-luiquej’arrive…Ilraccroched’unaireffaréparcequ’ilvientd’apprendre.—Quesepasse-t-il?demandé-jeàmontourinquiète,enm’avançantverslui.—C’estBrooke.Ellevientd’êtreadmiseàl’hôpital,lâche-t-ilenm’agrippantdanssesbras.

Nous arrivons enfin devant les urgences de Portland. Matthew me prend par la main afin que jel’accompagne,maisjelaretireimmédiatementenm’arrêtant.

—Quoi?demande-t-il.—Tuferaismieuxd’yallerseul,Matthew.Cen’estnil’endroitnilemomentdeprovoqueruneguerre

mondiale.Tunesaispascequ’elleaetje…Jenepeuxpasentreràtonbras,commesij’étaistapetite-amie.Tuesencoremarié,luirappelé-jetristement.

—Simamémoireestbonne,noussommesuncoupledepuishiersoir.Ons’estpromisdetoutaffronterensembleet…

—Elle n’est au courant de rien ! Tu ne peux pasme demander de t’accompagner ! Tu vas devoiraffrontercelatoutseul…J’espèresincèrementqu’ellevabien,soupiré-jeendéposantunbaisersursajoue.Allez,va…

Résigné,Matthewacquiesceetentreenfindansl’hôpital.Queva-t-ilencorenousarriver?

Je tourne en rond depuis plus d’une heure etMatthew nem’a toujours pas donné de nouvelles. Jem’appuiecontresavoitureenguettantlesportesautomatiquesdel’hôpital.Jemedemandecequiabienpuluiarriver…Soudain,jelevoisrevenir,laminedéconfite.Ilglisselesmainsdanssescheveuxenlesébouriffantnerveusement.

—Alors?demandé-jeencourantlerejoindre.—Viensavecmoi,dit-il,soucieux,enmeprenantparlamain.

—Tum’inquiètes!Quesepasse-t-il?insisté-jeenluifaisantface.—Elledoitresterenobservationjusqu’àdemain…—Et?—Illuifautbeaucoupderepos…Notredisputed’hiern’aenrienarrangésonétat…—Sonétat?Toutàcoup,j’ailanauséequimemonteàlagorge.—Jen’aipassupportéqu’ellemetraitecommeunmoinsquerienet…jevoulaisêtreavectoi.Ellea

faitunmalaiseetlesmédecinsontfaitunbilan.Elleest…UnemontéedelarmesmesubmergelorsqueMatthewplongedesyeuxdésespérésdanslesmiens,sans

pouvoirallerauboutdesonrécit.Jesecouelatêteenposantmamainsurmeslèvres.Jeneveuxrienentendre!

—Brookeestenceinte,lâche-t-ilenfinens’approchantdemoi.Jelerepoussegentimentdelamainenlevantledoigtpourqu’ilmelaissequelquesminutesafinde

digérerlanouvelle.—N’osemêmepasmedemanderderetournerlavoir!—Comment?m’emporté-jeenledévisageant,choquéeparsespropos.Elleportetonenfantetelle

risquedeleperdreàtoutmoment.Situneretournespaslà-basetqu’illuiarrivequelquechose…Jen’ose terminermaphrase.C’estunvéritablecauchemar! Jevais finirparmeréveiller,etnous

seronstouslesdeuxdansnotrelitàl’hôtel…—Hope,destasdeparentsseséparenttouslesjours!Jenevaispasresteravecunefemmequeje

n’aimepas!Jeverraimonenfantautantquejelesouhaite.—Tunecomprendsdoncrien!Commentpeux-tul’abandonnerdanssonétat?C’esttafemmeetc’est

votreenfantqu’elleessayedesauver!—Tudevraisêtrelapremièreàmeconseillerdelaquitter!—Etpourquoi?Parcequejet’aimeetquejeveuxquenoussoyonsensemble?—Non,Hope.Parcequetoiaussi,tuasgrandiauseind’unefamillesansamour.Tesparentspassaient

leurtempsàsedisputerettoi,petitefillefragile,tusubissaistoutcela.C’estcequevivramonenfantsijeresteavecsamère,dit-ilenlevantsamainendirectiondel’hôpital.

—Si tu l’abandonnes, je ne pourrai jamaisme le pardonner. Je ne veux pas que tu sois ce genred’hommeetencoremoinscegenredepère…

—Tuveuxquejemesacrifiepourunefemmequivientdemelafaireàl’envers!s’écrie-t-il,fouderage.

—Dequoiparles-tu?demandé-jesanscomprendre.—Nousn’avonsjamaisparléd’avoirdesenfantsetencoremoinsaussirapidement.Elleétaitcensée

prendresapilule,maismadameasoi-disantoublié!Ellevientdemepasserunenouvellefoislacordeaucoupourm’empêcherdepartir!mime-t-ilenserrantsamainautour.Voilàavecquelgenredefemme

tuveuxquejereste?!As-tupenséàtoi?Ànous?— Elle reste ta femme, Matthew. Et, que tu le veuilles ou non, tu vas devoir prendre tes

responsabilitésetacceptercetenfant.—J’aimeraidetoutmoncœurmonenfant,maisjeneresteraipasavecelle!J'auraistantpréférél'avoiravectoi…

—Nedispasça!Matthewtourneenrondensepassantnerveusementlamainsurlevisage.Jedoisrentreràmonhôtel

afindefairemesvalises.Jeneveuxpasresteruneminutedeplusici.J’ailecœurbrisé.Jesavaisbienquetoutcelaétait tropbeaupourêtrevrai.Commed’habitude,nousallonsànouveauêtreséparésparcettedestinéedemalheuràlabienveillancedelaquellejenecroisplusuneseconde.

—Jevoisdéjàd’iciletableaufantastiquedenotrevie:M.Colequittesafemmeenceinteaprèstroissemaines demariage pour rejoindre une femmemariée,m’emporté-je en explosant en sanglots. As-tupenséuneseulesecondeàcequevaressentirtonenfantlorsqu’ilapprendralavérité?

—Unefoisdeplus,tubaisseslesbras…—Neretournepaslasituationcontremoi!Rejoins,tafemme.Elleabesoindetoi,luiordonné-jeen

partantencourant,levisagenoyédelarmes.—Hope,jet’ensupplie,nemequittepas!Hooooope!

-XV-

4joursplustardPortClydeMercredi18février1981

Quatrejoursquej’aiquittéPortland,laissantlà-basmonseuletvéritablegrandamour.J’aibesoinderéfléchiretderemettremesidéesauclair.Cen’estpasuneminceaffairequed’avoiràchoisirentresaconscienceetsoncœur.Lesfillespensentquejenedevraismêmepasavoird’étatd’âmeensachantlapestequ’estBrooke.Mais, aubeaumilieudecechaos, se trouveunpetit êtrequin’a riendemandéàpersonne.Matthewaessayédemejoindreàdiversesreprisesetbienentenduj’airefusédeluiparler.Jenemesenspasencoreprêteàentendre le sondesavoixquime ferait sansaucundoutevaciller. J’aiencoretantdechosesàréglerdemoncôtéetjesuistellementperduedevantlamontagnededécisionsquis’entassentlourdementdansmatête.

Cesoir,jecomptemerendreaugaragedeTometavoiruneconversationaveclui.Malheureusement,jenepeuxrepousserl’inévitable…

—Oh,Matthew…Si tu savais combien tumemanques, soufflé-je en contemplantmamain où setrouvetoujourslabagueauXIIchapitres.

—Hooooope!m’appelleRosedanslaboutique.—Oui?réponds-jeenmelevant.Sic’estencorelui,jenedonnepascherdemasantémentale!Rosemerejointdansmonbureauetentreavecuncolisentrelesmains.—Tiens,çavientd’arriverpourtoi.Elleleposedevantmoietjemepenchepourvérifiersonexpéditeur.—ÇavientdePortland,constaté-jeentirantsurlerubanadhésifafind’ouvrirlecolis.Certainement,

mamaisond’édition.J’ouvrelaboîteetretirelepapierdesoie.—Non?—Quoidonc?demande-t-elleens’approchant.Uneboîtedechocolats? remarque-t-elleen levant

desyeuxétonnésversmoi.Quipeutbient’envoyerça?

—Jenesaispas…Regarde,ilyaunepetitecartelà,dis-jeenl’attrapantetenladécachetant.Jel’ouvreetdécouvresoncontenu.Jereconnaisimmédiatementsonécritureetleslarmesmemontent

aussitôtauxyeux.C’estunepetitecarteduLily’sCoffee,commeautrefois…

«CoucouPrincesse,Jeviensdelire tesmotsquim’ontunefoisdeplustouché…Commetulesaisbien, jen’aipasuneaussibelleplumequetoi,maisjevaisessayertoutdemêmepournous.Jeprendsconscienceàchaqueinstantquimetientéloignédetoiquenotreamourestbeauetbienréel…Tumemanquesunpeuplusdejourenjour.J’ai terriblementenviedetesentirprèsdemoi.Jedonneraiune finheureuseà tonlivre…»

—Ildoitfaireallusionàmespenséesdusoir,cellesqu’ilavoulugarderl’autrematin,comprends-jeenjetantencoreunœilàlacarte.

Jelaserretoutcontremoncœurenmelaissantsubmergerpartoutl’amourquejeluiporte.Sesmotsmetouchenttellement.J’yperçoistantdetristesse.Luiaussidoitêtreterriblementmalheureux,etc’estàcausedemoi,unefoisdeplus.

—C’estlui,n’est-cepas?demandeRoseenentourantmesépaulesavecsonbraspourmeconsoler.Jepeuxlalire?

J’opinedelatêteetluitends.Ellelaprendets’assoitsurleborddemonbureau.Jem’effondresurmonsiège,latêteprêteàexploser.Jesuissibouleversée…siperdue.

Rose lit plusieurs fois son contenu en inspirant profondément. La voilà, elle aussi, troublée parl’intensitédesesmots.

—C’estmagnifique,Hope,dit-elletristementensecouantlatêtetoutenmerendantlacarte.Ilmefaitbeaucoupdepeine…C’estterriblecequ’ilvousarrive,machérie.

J’acquiescesansriendire.Quepourrais-jebienajouterdetoutemanière?Jesuisfaceàundestinquiadécidédemetorturer.Maispourcombiendetempsencore?Jecroisquebeaucoupauraientdéjàjetél’éponge…Matthewn’apasl’airprêtàm’abandonner.Ilresteindéfectiblementattachéàmoi,ànous…

—Quecomptes-tufaire?medemande-t-elle.—Jenesaispas…Jenesaisplus,Rose…—Iln’arrêtepasd’appeleraumagasin,Hope.Jepensequetudevraisavoiruneconversationavec

lui.Fuirnetemèneraàrienetturisquesdeleblesser,meconseille-t-ellegentimentenmesouriant.—Jeleferai…Unjour…Mais,pourlemoment,jenemesenspasprêteàlefaire.Etpuis,jet’avoue

quejenesauraismêmepasquoiluidire,detoutefaçon.—Jecomprends…—JevaisrejoindreTomaugaragecetaprès-midi.Jedoisabsolumentavoiruneconversationavec

lui.

—Jet’accompagne!lance-t-elleimmédiatementenselevant.—Iln’apprécierapas.Celacompliqueraitleschoses,tenté-jedelaraisonner.Bienévidemment,ellenel’entendpasdecetteoreilleetrépliqueaussitôt:—J’attendraidel’autrecôtédelaruedansmavoiture.Sivotreconversationtourneauvinaigre,au

moins,tuneseraspasseule.—D’accord…—Bien…Tuvasécrireaujourd’hui?medemande-t-elle,soucieuse.—Jesuisincapabled’yrépondre,soupiré-jed’untonlas.Ducôtédemesromans,c’estlatraverséedudésert.Jevaisdevoirmesecouerlespuces,carjedois

rendre len°2de lasériede l’hirondelleauplus tard lemoisprochain.Autantdirequec’est trèsmalparti.Des semaines,desmoisque jen’aipasécrit lemoindrechapitre.La seulechoseque j’arriveàmettreparécritcesontmessentimentssurmespenséesdusoir.Jepensequetantquejen’auraipasmislepointfinalàmonmanuscritMyDestiny,jeseraiincapabled’écrirequoiquesoitd’autre.

17h15

MevoilàgaréedevantlegaragedeTom.Jem’agrippefortementauvolanttoutenguettantl’entrée.Jesuismortedepeuràl’idéedeluiparler.Maissijeveuxretrouverunsemblantd’existenceetdémarrerunenouvellevie,l’annoncedemondépartavecAmyestincontournable.JesorsdemavoitureenjetantunœilàcelledeRose,garéedel’autrecôtédelarue.Discrètement,jeluifaisunsignedetêteetrejoinsl’entréedugarage.

J’entendsdesbruitsdeclésmétalliquestombersurlesol.Ilestlà…Jem’avancelentementetpénètreenfinàl’intérieur.Tomalatêtesousuncapotdevoiture.Desannéesquejen’avaispasremislespiedsici.

—Bonjour,Tom.Tomseredresseimmédiatementausondemavoixetsetourneenmedévisageant,étonnédemevoir

débarquerdanssongarage.Ilsefrottelesmainsàsonbleudetravail,attrapeunchiffonets’appuiesurlavoiture.

—Qu’est-cequetufaislà?medemande-t-il.Matensionestmontéed’uncranetj’ailesjambesquitremblent.Commentaborderlesujet?Comment

va-t-illeprendre?—J’aibesoind’avoiruneconversationavectoi,luiannoncé-jeencroisantlesbrassurmapoitrine.—Etçanepouvaitpasattendrecesoir?—Tusaistoutcommemoiquetunerentrespassouventdormiràlamaison.—Àquoibon,Hope?Nousdormonsdansdeschambresséparéesdepuisdesmoisetregarde-toi!Tu

neportesmêmeplustonalliance,mefait-ilremarquerenpointantmamaindudoigt.

— Notre mariage est un véritable fiasco. Ça fait bien longtemps qu’il est terminé, et tu en asparfaitementconscience,déclaré-jed’untonferme.

—C’esttoiquiastoutdétruit,Hope.—Pardon!?m’offusqué-jefaceàtantd’hypocrisie.—Tunem’as jamaisréellementappartenu…Jenesaismêmepassi tum'asvéritablementaiméun

jour,lâche-t-ilenbaissantlatêteetenbalançantsonchiffonsurl’établi.Jem’approchedoucementetluidis:—Jet’aiaimé,Tom.Àuneépoque,nousavonsétésiheureux,maislorsquemesparentssontpartistu

ascomplètementchangé,luirappelé-jegentimentsansvouloirl’énerver.— Je sais que j’ai merdé, reconnaît-il en relevant ses yeux malheureux vers moi. Je me suis

lamentablementplanté,Hope,maistun’espasenreste.—Tom,jesuislà,carjevoudraisquenousprenionscettedécisionensemble…—Tuveuxmequitter,c’estça?comprend-il.Cequimesembletoutàfaitétrangeestlecalmeaveclequelilprendlanouvelle.Aurait-ilcompriset

acceptédevoirleschosesenface?—Jeveuxdivorceretjeveuxbienentendulagarded’Amy,luiannoncé-je,sansdétour.Il semordille les lèvres et se relève. Je recule aussitôt pourmettre une distance respectable entre

nous.Jen’oubliepaslabombeàretardementquereprésentecethomme.Jesuisparfaitementconscientequ’ilpeutexploseràtoutmoment.Ils’appuiesurl’établi,lesmainsàplat,toutenmetournantledos.

—Oùcomptes-tualler?demande-t-il,sansosermeregarder.—JecompteresteràPortClyde,sic’estcequi t’inquiète,mais jevaisaussipartirquelques jours

avecnotre fille.Nousavonsbesoindenouschanger les idéeset surtoutdenous reposer.Cesderniersmoisontétééprouvantspourellecommepourmoi.

—Tuveuxgarderlamaison?—Non!réponds-jed’untondéterminé.Jeneveuxpasresterdanscettemaison.—Tropdemauvaissouvenirs…Jecomprends…LaréactiondeTomestsuspecte,maisilm’asurtoutl’airenétatdechoc,commes’ilneprenaitpas

toutelamesuredecequiestentraind’arriver.—Jevaisgardermaboutiqueettoi,tuaurastongarage.Jeneveuxpasquel’onsefasselaguerresur

lespartsde l’unoude l’autre.Lamaison, je te la laisse, ainsique tout lemobilier. Jeneveux rien !L’uniquechosequejesouhaiteestavoirlagardedenotrefille.Toutlerestem’importepeu.Jeneveuxpasnonplusdetonpatrimoine,nimêmedel’argentdesWoods.Jemettraitoutcelanoirsurblancbienentendu.

—Je sais que tu n’as jamais été avecmoi pourmonhéritage familial.C’est ce qui fait de toi unefemmehonnêteetrespectable,dit-ilensetournantversmoi,lesyeuxrougis.

—Merci,çametouchebeaucoupdel’entendre,luidis-je.

—Hope?Pourquoimaintenant?Ques’est-ilpassépourquetuveuillessoudaindivorcer?demande-t-il en sondant mon regard, comme s’il cherchait à comprendre la détermination avec laquelle jem’adresseàluiaujourd’hui.

—Jeveuxsimplementêtreheureuse,Tom.Jeveuxdémarrerunenouvellevie.—Tul’asrevu,c’estça?C’estMatthew?demande-t-ilengrimaçant.—Tom,jedemandeledivorce,parcequejenet’aimeplus.Tum’asmenti,trompée,battueettraitée

commeunemoinsquerien.Jeveuxdivorcer,cartunememéritespas!Enfin,j’airéussiàcrachercequej’aisurlecœurdepuisdesannées.—Jen’aipasétélemariformidablequeturêvaisd’avoir.J’enaimalheureusementconscience,dit-il

enopinantdelatête.J’acceptedesignertouslespapiersquetumeprésenteras,maisàunecondition,dit-ilenlevantledoigt.

—Laquelle?demandé-jeenarquantunsourcildéterminé.—Quetumelaissesvoirmafillequandjelesouhaite,mêmesic’estentaprésence.—J’accepte,maisjevaisdemandersagardeexclusive,ettusaisparfaitementpourquoi.—Jesuisd’accord,sesoumet-ilsansm’imposerd’autrecondition.Nousavonsencorediscutéquelquesminutesetavonsdécidédenousretrouvertrèsbientôtpourmettre

nosconditionsnoirsurblancdevantunavocat.Dèsdemain, jem’occuperaide lancer laprocédurededivorce.Ainsi,Amyetmoipourronspartirquelquesjourspourrechargernosbatteries.QuantàMatthew,notrehistoireou,dumoins,cequ’ilenrestedevraencoreattendre.

-XVI-

PortClydeJeudi19février198115h49

Matthew m’a, une nouvelle fois, harcelée tout au long de la journée. Cinq jours que ce satanétéléphonedemalheurn’arrêtepasderetentiràlaboutique.J’aifiniparledébrancherpendantl’heuredudéjeuner.Mais queme veut-il à la fin ? Il sait parfaitement ce que je pense de cette situation, et j’aibesoindetempspourréfléchiràtoutcela.BesoindeprendredesdécisionsimportantespourAmyetmoi.

Tomaplutôtbienprislanouvelle,hiersoir.Lesfillesn’ycroientpasuneseuleminute,maisjeveuxlui laisser lebénéficedudoute.De toutemanière, jene reviendraipas surmadécision. Jevaispartirquelquesjoursavecmafilleet,enrentrantdenotrevoyage,Emmaestprêteànousaccueillirchezelle.Dèsquej’enaurailesmoyens,jetrouveraiunpetitappartementàlouer.J’aimaviesensdessusdessous,etmêmesiMatthewmemanque, jedois tenirmesengagements.Lasemaineprochaine,auplus tard, jequitteraimondomicile.

—Hope, ma chérie. Tu devrais aller te balader sur la plage. Ne reste pas là à ruminer dans tonbureau,meditgentimentEmmaquimerejoint.

Elles’assoitprèsdemoienattendantquejeréagisseenfin.—Jen’aimepastesavoirsitriste…—Cen’estrien…C’estjustequemaviepartdanstouslessensdepuisplusieursjours.Situsavais

combienj’aimeraisparfoisdisparaîtred’ici…—Ettuiraisoù?dit-elleencroisantlesbras.—Loin,maisalorstrèstrèsloin,lancé-jeenluisouriant.Tiens!Suruneîledéserteavecl’océanà

pertedevue!—EtAmy?—QuoiAmy?demandé-jesanscomprendre.Elleviendraitavecmoi.Onseprélasseraitsurlaplage

etsouslescocotiers,dis-jeenrêvanttouteéveillée.—Nousnesommespasdansundesesdessinsanimés,machérie,mesignale-t-elleenriant.—Hope?m’appelleRose.

—Oui?—Téléphone!Nemedemandepasquic’est,tuconnaisdéjàlaréponse!—Ahhhhh,maisilmesortparlestrousdenez!râlé-jeenquittantmonfauteuil.Jem’approchedelapeintured’Henry,lesyeuxrougisd’avoirtantpleurécesderniersjours.Jesuis

épuiséeet jenedorspresqueplus.Lorsque je trouveenfin lesommeil,c’estMatthewquivienthantermesnuits.Jen’enpeuxplus,cettesituationn’aquetropduré!

—Hope?Pourquoin’acceptes-tupasdeluiparler?Écouteaumoinscequ’ilaàtedire,meconseilleEmma.

—Pourqu’ilmedisequ’ilm’aimeetqu’ilveutresteravecmoi?—C’estcequetuastoujoursdésiré,merappelle-t-elle.—Aujourd’hui, leschoses sontbiendifférentes…Brookeporte sonbébéet jen’aipas ledroitde

briserlaviedecettefamille,m’obstiné-jedansl’idéequec’estcequ’ilyademieuxàfaire.—Tum’asditunjourquetuauraispréféréquetesparentsseséparent.Quetonenfanceaétébrisée

parleursdisputes,leursguerresincessantesetparlaviolencedetonpère…Matthewn’acertainementpasenvied’offrircegenredevieàsonbébé.

—Matthewn’estpasmonpère!—Tusaisquoi?Jepensesavoircequiteronge…Jemetourneaussitôtverselleenladévisageant:—Quoidonc?— Tu réagis de la même manière que Matthew l’a fait à l’époque… Tu ne veux pas prendre la

responsabilité de leur séparation.C’est trop dur à porter, n’est-ce pas ? demande-t-elle en arquant unsourcilinquisiteur.

—J’aibesoindeprendrel’air!Jevaissuivretonconseiletallermebaladersurlaplageoubienauphare!esquivé-jecetteconversationenquittantcebureaudemalheuroùlasonnerieretentitànouveau.

—Hope,reviens!

17h49

Sij’étaisrestéeuneminutedeplusdanscebureauàécouterEmma,jeluiauraisvolédanslesplumes.D’uncertaincôté,ellen’apastoutàfaittort,maisdel’autrejesaiscequeressentmoncœuretcequemedictemaconscience.Jen’aipasledroitdem’immiscerdansleurcoupleetderetirerlachanceàcebébéd’avoirsonpapaauprèsdelui.Jepeuxl’aimerdetoutmoncœur,jen’acceptepaspourautantdefairepassermesintérêtsavantceuxd’unenfant.Iln’apasdemandéàveniraumonde.Iln’apasdemandénonplusànaîtreauseind’unefamilledéchiréeparleserreursqu’ontcommisessonpèreetsamaîtresse.Carc’estcommecelaquel’onmeverra:l’amantedeMatthew…Cesimplenommedéclenchelanausée.Jesaisquejereprésentebeaucoupplusqueçaàsesyeux,maislesautresneleverrontpassouscejour-là.

Jedoismerésigneràl’idéequej’ailaisséfilermaplaceetquejenepourraiplusréparermeserreurs.Jeneveuxplusentendreparlerdedestinéeoujenesaisquoid’autre.Noussommeslesseulsfautifsdanscettehistoire…

Jelongelaroutequimèneauphare,enprofitantdelabrisemarinequicaressedoucementmonvisage.J’aibesoindeprendreunbonbold’airavantderetourneràlaboutique.Besoinderesterseuleafindefaire levidedansma tête.Lechoixqui s’imposeàmoiestdifficile. Je saisquec’est injustepour luid’êtrecontraintderesteravecelle,surtouts’ilnel’aimepas.Personnenedevraitresterprisonnierd’unmariagesansamour,maisjesaisaussiquec’estmald’abandonnerBrookealorsqu’elleessayedesauverleurenfant.

— Non, je dois suivre ma propre route et passer à autre chose ! pensé-je en me plongeant dansl’horizon.

«Lavieestbelle…Neperdspasespoir…Nebaissepaslesbras…Nemequittepas…»

Ses paroles continuent à résonner dans ma tête… Je ferme un instant les yeux… Son visagem’apparaît, ses mains me touchent à nouveau, ses baisers se meurent sur ma peau.Dieu que tu memanques…Commentvais-jesurvivreà tonabsence?Nousvenionsdenousretrouver,denousavouertant de choses… Finalement, tu avais apporté des réponses à toutes mes questions de ces dernièresannées…Etpuis,tum’asétéenlevéunefoisdeplus…

—Matthew…,murmuré-jeàlabriselégèrequieffleuremapeau.Toutàcoup,unmoteurvrombitdanslelointain.Jem’arrêteinstantanémentenposantmamainsurmon

cœur.Non,impossible!Lavoitures’approcheàgrandevitesseetj’accélèrelepasafinderegagnerauplusvitelamienne.Elleralentitenarrivantàmahauteur,etjesaisàcemomentprécisquel’hommequisetrouveauvolantn’estautrequel’amourdemavie.

—Hope?Jememordslajoueafindenepasm’emporteraprèslui.Jeneveuxpasluisemblervindicativeou

méchante.Jem’arrêteetmetourneverslui.Ilestàtomber…Unemainposéesurlevolantetl’autresurla portière, il m’observe derrière ses lunettes de soleil. Il a les cheveux légèrement humides qui luiretombentsensuellementsur le front. Ilporteunblousonencuirnoiretun tee-shirtblancqui luicollescandaleusementàlapeau.Jepeuxsentird’icisonparfumquiflottedansl’air.Bienentendu,ilarboresonéternelsourireenjôleuràdamnerunesainte.

—Hope,respire!Netombepasdanslepiègequ’ilestentraindeteposerlà,justedevanttesyeuxamoureux et aveugles ! me hurle ma conscience pour faire taire mes hormones qui, elles, sont enébullition.

Jem’avancejusqu’àsaportièreencroisantlesbras,etluidit:

—Laisse-moideviner?Tupassaisparlàtoutàfaitparhasardettum’asaperçueauloin?demandé-jeenhaussantunsourcilinterrogateurtoutentapotantavecmondoigtsurmeslèvres.Àcemoment-là,tut’esdit:Tiens,c’estHope!memoqué-jegentimentdelui.

—Non!répond-il,amusé,sansbouger.—Alors,tupassaisparlàet…—Nonplus!Effacecettepartiedel’histoire,lance-t-ilendémarrantrapidementetsegarantunpeu

plusloindevantmoi.Jeresteaphone,sansbouger,labouchegrandeouverte.Maisilmefaitquoiencore?Matthewsortde

savoiture,refermelaportièreets’appuiedessus.Jelerejoinstimidementenlefixantduregard,toutententantdedevinercequivasortirdesamagnifiquebouche.Jem’arrêteàquelquespasdececorpsquiestunvéritableappelausexe…Etc’estmoiquidisça!?

—Labonneversiondel’histoireestplutôtcelle-ci,dit-ilenretirantlentementseslunettesqu’iljettesurlesiège.

Ils’avanceversmoienmedévorantdesesyeuxgourmands. Ilpasseunemaindanssescheveuxetmon cœur manque un battement en remarquant à son doigt notre bague aux XII chapitres, et non sonalliance.Ilnel’apasretirée…

—Je…,tenté-jedeprononcerquelquechose,maisaucunmotneveutsortirdemabouche.—Lavraieversionesttoutautre,mapuce,reprend-ilenposantsamainsurmajoue.Jepenchelégèrementlatêteafindesentirtoutesachaleurm’enivrer.—J’aisautédansmavoiturepourrejoindre lafemmedemavie.Pour luidemanderdepartiravec

moietd’emmenerAmy…,souffle-t-ilencaressantmeslèvresavecsonpouce.—Mais…—Jen’aipasfini,HopeObrien,megronde-t-ilenriant.Brookeamenti,ellen’estpasenceinte.Elle

ajouélacomédiepourmeteniréloignédetoi,maiselleaperdu.Cequ’ellen’avaitpascalculédanssondernierplanmachiavélique,c’estquesonmédecinpuisseappeleràl’agence.

—Etalors?demandé-jeprécipitamment,lecœurserrédansmapoitrine.—Ilm’aconseillédeprendresoind’elleetdelaménager.Sonsurplusdetravailpourraitprovoquer

ànouveauunmalaiseetunechutedetension.Elleaétémaligne,maispasassezprudente,monamour.Jen’aipasmanquédeleluifairesavoiretdelaquitter.

Meslarmescoulentsurmonvisageetjenepeuxréprimerpluslongtempsmajoied’apprendrequ’ellen’attendpasd’enfant.

—Tuestristedenepasdevenirpapa?—Jesuistristequ’ellesoitencoreparvenueàtefairetantdemal…Voilàpourquoijesuistristeet

terriblementdésolé,dit-ilenposantsonfrontcontrelemien.—Etquecomptes-tufairedemoiàprésent?—T’emmener loind’ici.Dumoins,pourquelquessemaines…Le tempsquenouspuissionspanser

nosblessures…Maistoutça,tulesauraissituavaisdaignérépondreàmesappels,meréprimande-t-ilànouveau.

Je ris tout en pleurant, me trouvant stupide d’avoir tant souffert, alors que ces quelques parolesauraientsuffiàapaisermadouleur.

—J’ailouéunemaisonàWells,faceàl’océan.Onvayêtresiheureux,susurre-t-iltendrementcontremeslèvres.

Jefermelesyeux…JenousimaginetouslestroismarchantsurlaplageetallantnousbaladerdanslesruesdeWellsàlarecherched’objetsmagiques.Monrêvedevientenfinréalité…

—J’aitellementdechosesàtedire,Matthew.Etl’uned’entreellesrisquebiendechangernotrevieàtoutjamais…

— Nous avons à présent toute la vie devant nous. Demain, à 21 h 00, au coucher du soleil, jet’attendraiicisurlepontduphare.Lepremierarrivéattendral’autre,c’estd’accord?medemande-t-ilenmefixantdesesyeuxaimants.

—Jetelepromets.Jeserailà,monamour…—Avantça,jedoisretourneràPortlandafind’organisermesdossiersavantmondépartdel’agence.J’opine de la tête en lui souriant tendrement. Matthew m’entoure de ses bras et m’embrasse

fougueusement.Jevaisenfinconnaîtremafinheureuse…

Unefoisrentréechezmoi,j’aipréparéàdîner.Amyetmoiavonsparlédenotrepetitvoyage.Jeluiaiexpliquéquenousavionsbesoindeprendrequelquesjourspournousressourcer.Jepensequecequil’asurtout rendueheureuseétaitqu’elleallaitmanquer l’écolependantquelquessemaines.Ensuite, je l’aibordéeenluipromettantquenousallionsenfinêtreheureuses…SurtoutloindeTom.

J’avoue que j’étais rentrée à reculons… Matthew était très inquiet lorsque je lui ai confié laconversationquej’avaiseueavecTomhiersoir.Ilatrouvésaréactiontrèssuspecte,carunhommetelque lui aurait dûexploser.Accepterdevoirpartir sa femme, alorsqu’il a toujours eubesoindecetteemprisemalsainesurelle,estplutôtlouche.Jenepeuxlenier,maisdemainàcetteheure-ci,jeseraidansmavoitureetnousquitteronslavilleafindedémarrerunenouvellevie.

Jedescends les escaliers afind’allermepréparerunbonchocolat chaud,mais sursaute aussitôt enentendantlebruitd’unmoteur.Jecoursàlafenêtre,quidonnesurl’allée,etaperçoisTomquisortdesavoiture,unebouteilled’alcoolàlamain.

—Oh,monDieu!m’écrié-jeenjoignantmesmainssurmeslèvres.Jecoursjusqu’àmontéléphoneetcomposed’undoigttremblantlenumérod’Emma.—Emma!C’estmoi!—Hoooooooope!Ramènetapeauici,salegarce!hurleTomàl’extérieur.

—Nemedispasque…,dit-elled’unevoixeffrayée.—J’aisipeur…Emma,je…—J’arrive!Enferme-toietneluiouvresousaucunprétexte!Tum’entends,HopeObrien?—Oui…,bégayé-je,lapeurauventre.Je raccroche lecombinéetmonteà l’étagepour fermer laportede lachambred’Amy,afinqu’elle

n’entenderien.Jeredescendsrapidementetcoursausalon.—Jedoisbloquerlaporte!paniqué-jeenobservanttouràtourlecanapéetlaported’entrée.—Tunevasrienbloquerdutout!crachefurieusementTomderrièremoi.Jemetourneettombefaceàfaceaveclui.Ilavaleunegrosselampéedesabouteilleetlalancecontre

lemur. Celle-ci se brise dans un bruit assourdissantme renvoyant l’image de cette nuit-là où j’avaisdécidé de le quitter. À l’époque, j’étais terrifiée, mais, cette fois-ci, je ne reviendrai pas sur madécision!

—Non,Tom!—J’airéfléchiàtapropositiond’hiersoir…Aprèsenavoirdiscutéavecmamère,j’aidécidédete

laisserpartir, salepute !Parcontre,mafillenesortirapasdecettemaison,meprévient-il,unsouriresardoniqueaucoindeslèvres.

—IlesthorsdequestionquetugardesAmy!Elleapeurdetoi!hurlé-jeaprèslui.—Ferme-la!Jedoisgagnerdutemps…Emmanevapastarderàmerejoindre.Onestàmoinsdedixminutesde

chezelle.—Tom,calme-toi.Onvaparlertouslesdeux…,luidis-jepluscalmement.—Tagueule,jet’aidit!Tun’esqu’unetraînée!s’emporte-t-ilenserrantlepoingdevantlui.Jereculeensecouantlatête.J’ailecœurquivamesortirdelapoitrine,tellementj’aipeurdecequ’il

peutmefaire.—Tuvasallerlerejoindre?Tucroisquej’ignorequetumetrompes?—Quoi?—Tu ne couches plus avecmoi depuis des années ! Je suis obligé deme taper des putes et des

salopesafind’assouvirmesbesoins!—Je…—Tagueule!hurle-t-ildeplusbelleens’approchantdangereusementdemoi.Jeguetteducoindel’œillacuisineetcoursjusqu’auprésentoirenboisoùsetrouventlescouteauxde

cuisine.Tomsejettesurmoi,mebousculeetenattrapeunlepremier.Jereculeetmeprécipitejusqu’aucanapéenlecontournantafindemeprotéger.

—C’est ça que tu cherches, bébé ? demande-t-il en caressant la lame du bout des doigts tout ens’avançantversmoi.

—Oh,monDieu!Non,Tom!crié-jeencourantversl’entréepourm’échapper.Amy…,soufflé-jeen

metournantversl’escalier.—Turêves,bébé.Amynebougerapasd’ici…Tupeuxpartir,maisçaserasanselle…Oubientu

peuxrester,maistudevrastemontrergentilleettrèsdocile,uneépouseirréprochable,etce,danstouslesdomaines,dit-ilenmemontrantlecouteau.

Jedéglutisavecdifficultétantjesuisterrifiée,maisjenecomptepaspourautantabandonnermapetitefille.

—Tun’esqu’unsalopard!—Hummm…Continueàm’insulter.Jesaisàquelpointtupeuxterévélerunevéritabletigressequand

tut’emportes.Je reculeetme retrouveadosséeaumurprèsde laported’entrée.Quelquespasmeséparentde la

liberté,maislevisagedemapetitefillem’empêchedepartir.—Jenepartiraipassanselle,lâché-jeenfondantenlarmes.—Etmoi, je ne te laisserai pas partir avec elle !Nous avons là un sacré problème,mais onpeut

s’arranger…Toms’approcheetposeunemaincontrelemurprèsdematête.Puisildirigelecouteauversmoien

jouantaveclalamesurmonvisage.—Tuessûrequetuveuxvraimentmequitter?demande-t-ilenseléchantleslèvres.Il sepencheetm’embrasseàpleinebouche. Je tentede le repousser,mais samainm’agrippe sans

douceurparlataille.—J’aienviedetoi,Hope.Jevaistemontrercequetuvasperdresitupars…,gémit-ilenglissantsa

mainsousmontee-shirttoutenmemenaçantdesoncouteau.—Nefaispasça,Tom,lesupplié-jeenpleurs.—Quoi?Tuneveuxpasluiêtreinfidèle?Comments’appelletonprincecharmant?JetrembledelatêteauxpiedsetjerefusedeluidonnerlenomdeMatthew,parpeurqu’ils’enprenne

àlui.—Allez,dis-moiquisetapemafemmeadorée?continue-t-ilàm’interrogerenattrapantundemes

seinsfermementdanssamain.Ilmelèchelevisage,puismordmalèvrejusqu’àcequejegémissededouleur.Emma,oùes-tu?—Dis-moiquisait!hurle-t-ildeplusbelleenposantlecouteausousmagorge.Jesecouelatête.—Jevaisentermineravectoi,poufiasse!—Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan!TomsetourneimmédiatementversAmyquiestenétatdechocsurlesescaliers,assistantàlascène

quisedéroulesoussesyeuxapeurés.—Amyva-t’en!Sauve-toi!hurlé-jeenluifaisantsignedelamainderemonter.Tout à coup, la porte d’entrée s’ouvre etEmmaentre, choquéepar ce qu’elle voit.Tomm’agrippe

aussitôt par derrière enm’entourant de son bras. Ilme fait reculer enmaintenant le couteau sousmagorge.

—Sorsd’icioujelatue!hurle-t-ilentremblant.—Tom,jet’enprie…Relâche-moi…J’ailatêtequitourneetjesensquemafinestproche.Ilvam’égorgerdevantmaproprefille.Jecroise

sonregardchoquéetluiadresseunsourireenluichuchotant:—Jet’aime…—Tom,relâche-la.Nefaispasdeconneries,tentedeleraisonnerEmmaquis’approchedoucement.Jesecouelatêtepourluiinterdiredem’approcher.—Dégage!hurleTom,complètementhystérique.Jevaislasaigner!Personnenel’aura!Personne!

menace-t-iltoutenmeserrantavecforceafinquejenebougepas.Soudain,Amysemetàhurlerdetoutessesforces,cequiprendTomaudépourvu.Ilmerelâche.Je

m’effondredouloureusementsurlesolenmerecroquevillantsurmoi-même,apeurée.Paniqué,Tomjettesoncouteauets’enfuitversl’extérieur.Savoituredémarreetlebruitdumoteurdisparaîtauloin.Emmareferme immédiatement la porte à double tour et rejointAmyqui tremble commeune feuille, les yeuxfixéssurmoi.

Moncorpsesttétanisé,maisjefaisdeseffortssurhumainspourallerconsolermapetitefille.Jemetraînedifficilementsurlesoljusqu’àl’escalierenlevantlamainverselle.

—Machérie…—Mamaaaaaaaaaaan!Ellemerejointaussitôtetmeprenddanssesbrasenpleurant.—Mapetitemaman…,sanglote-t-elle.—Jesuislà,machérie.Calme-toi,tenté-jedelaconsoler.

Penséesdusoir:

Cesoir,j’aicrumourirsouslalameducouteauqueTommaintenaitsousmoncou.J’aivumaviedéfilerdevantmesyeux,maiscequim’a leplusbouleverséeétait levisagedécomposédema fille.Comment a-t-il pu en arriver là ? Au point de tenter deme tuer devant notre propre enfant ? Cethomme estmalade et terriblement dangereux. Jamais plus je ne l’autoriserai à nous approcher. Jecomptebiendemanderlagardeexclusived’Amyafindelaprotégerdecetêtreméprisable.Demain,Amyetmoiseronsloind’ici…Riennepourram’empêcherd’allerrejoindreMatthewau

phareetdepartiraveclui.Unenouvellevienousattendetjesuisconvaincuequenousauronsenfinnotrefinheureuse.Oui,demainà21h00jeseraiauphare,làoùtoutacommencé…Bonnenuit,Matthew…Demain,jeseraienfinauprèsdetoipourtoujours…

-XVII-

JasonWalker-Cry

PortClydeJeudi19février198117h15

Enmelevantcematin, lecielbleunem’ajamaissembléaussimagnifique.Unsourirestupides’estinstallésurmeslèvres.Jesuisfolledejoieàl’idéed’allerleretrouver.Jem’interdisdemeplierauxexigencesdeTometd’avoirpeur.Terminé!DèsquejeseraiàWells,j’iraiàPortlandetdemanderailedivorce…Pageconnaîtuntrèsbonavocatetjesaisquejepeuxcomptersurellepourm’aiderdansmesdémarches.

Hiersoir,j’aipassélasoiréeàconsolermapetitefilleaprèsqu’elleaitassistéàcettescèneterribleet traumatisante. J’espèrequeson jeuneâge luipermettrad’enfouirdansuncoindesa têteces imagesd’uneviolencesansprécédent.ElleneveutplusqueToml’approcheet,chaquefoisqu’elleentendunevoiture,elleesttétaniséeàl’idéedelevoirpasserlepasdelaporte.

C’est terrible ce que je vais dire,mais j’ai toujours su qu’un jour, il commettrait l’irréparable.Lepointdenon-retouraété franchihier soir. J’aiéchappédepeuà lamortet jevaisdevoirpansermesblessures…OublierlevisagedeTometcettelamequim’aeffleurée.Non,jeneresteraipasunenuitdeplusdanscettemaison,etnotremariageestdéfinitivementterminé,enterré.Voilàoùnousontmenésmesmauvaischoix…Jadis,jepensaisqu’ilmeseraitplusfacilederesteraveclui.Lavievientdemedonneruneleçonmagistrale.Affrontersespeursestunactedecourage…Jevaisreprendremalibertéetoffriruneviesereineàmonenfant.

Lesfillessontsiheureusesetrassuréesdemevoirpartirquelquetemps,maistristesdenoussavoirsiloin. Je leuraiproposédevenirpasserquelques joursavecnousàWells.Matthewavraimenteuuneexcellenteidéeenlouantcettemaisonlà-bas.C’estunendroitmagnifiqueetcesquelquessemainesnoussontnécessairesafindenousprépareràaffrontercequinousattendencore:nosdivorces.MatthewetAmyvontdevoirapprendreàseconnaîtreetmoi,mereconstruire…JesaisquemaplaceatoujoursétéauxcôtésdeMatthewet,aujourd’hui,riennepourraitm’empêcherdepartiraveclui.

Lamaisondelaplagevadevoirégalementattendrequenousrentrionsdenotrevoyage.J’aieubeaulecuisiner pour savoir qui étaient les nouveaux propriétaires, il a tenu à en garder le secret. Il m’asimplementrépondudenepasm’inquiéteretm’apromis:

«Unjour,nousyvivronsheureuxavecnosenfantsetnospetits-enfants…»

Jel’aieue,mafinheureuse…Jevaispouvoirterminerl’histoiredemonlivreettournerlapagepourendémarrerunetoutenouvelleàsescôtés…

—Maman!crieAmydansl’entrée.Elle est enfin rentrée de sa balade à la plage…Emma a tenu à l’emmener afin qu’elle puisse se

changerlesidéesetmepermettredefairenosbagagesplustranquillement.Étantdonnélaterriblesoiréed’hiersoiretnotredépartprécipitépourquitterlaville, jen’aipassouhaitéqu’elleailleàl’école.Etpuis,lesWoodsseraientparfaitementcapablesdecommettrel’irréparableafinderécupérerleurpetite-fille.Maplus grandehantise depuis hier soir est qu’ils la kidnappent avec leurmaladede fils.Je nepréfèremêmepasypenser!

—J’arrive,machérie!Jebouclemadernièrevaliseetdescendslarejoindreausalon.EmmaetRosesontlàaussi,unsourire

émuauxlèvres.—Ahnon,jeneveuxpasvousvoirpleurer!rouspété-jeensecouantlatête.Ilyadéjàeuassezde

larmesdanscettefamillepourunegénérationentière,dis-jeenriant.Jeposemavalisesurlesol,prèsdesautres,etlesrejoins.—Allez,venezparicimefaireungroscâlin!lancé-jeenlesprenantdansmesbras.Elles me serrent fortement contre elles tout en sanglotant. Je ne peux retenir plus longtemps mes

larmes…L’émotionestàsonparoxysmeet jesaiscombienellessontheureusesdemevoirquittercetendroitoùlesfantômesdupassémehantentcontinuellement.Tantdemauvaissouvenirs…Si lesmurspouvaientparler,ilssaigneraient…

—Bien…Qui à la gentillesse dem’aider à déposermes valises dans la voiture ? demandé-je enséchantmeslarmes.

—Jem’enoccupe!seproposeRosequilesattrapeenquittantlesalon.—Merci,machérie.Amy,jevoudraisquetuaillesdanstachambreetquetuvérifiesquejen’airien

oublié.—Ilnefautsurtoutpasoubliermonlapin!panique-t-elletoutàcoup,encourantversl’escalierpour

rejoindresachambre.—Bien…Est-cequetoutestenordre?Jet’interdisderemettrelespiedsiciaprèsavoirquittécette

maisondemalheur!s’inquièteEmmaenjetantunœilausalon.

—Oui,jen’ailaisséquequelquesbricolessansgrandeimportance.Detoutefaçon,jeneveuxrienemporterquipuissemerappelerTom.Tiensd’ailleurs,jevaisluilaisserunsouvenir…Jefouilledanslapochedemonjeanetensorsmabaguedefiançaillesetmonalliance.

Jelesobservequelquessecondes,lecœurserrédansmapoitrine.Quelgâchis!Tantdesouffrancespour en arriver là… Je me penche vers la table basse et les dépose dans le cendrier afin qu’il lesrécupère.Jeneveuxpaslesjeter,nimêmelesvendre…Jepréfèrelesluirendre…Mêmeaprèstoutlemalqu’ilm’afait,jeneressensaucunerancune,simplementdesregretsetbeaucoupdepeine.Magrand-mèremedisaittoujoursqu’ilfallaitapprendreàpardonnerafindetrouverlapaix…Jecomptem’ytenirencoreunefois…

18h35

Aprèsavoirditaurevoirauxfilles,etavoirversébiendeslarmes,j’aifaitcoulerunbainàmafille.Quandjepensequej’aipassélajournéeàvérifierl’heureàmamontre…Dieu,queletempsm’asemblélong!Jetrépigned’impatienceàl’idéed’allerrejoindreMatthewetdequittercetteville.Lecheminverslebonheurseraunelongueépreuvedeplusàpasser,maisjesaisaussiqu’auboutdutunnellalumièrebrilleraenfin.Amyavaitl’airunpeuperduequandelleasuquel’onpartaitplustôtqueprévu,maisafiniparcomprendre. Jen’aipasvouluentrerdans lesdétails,mais je luiaiexpliquéquenousallionsfaireunlongvoyageafindenousreposer.Matthewatenuàluiannoncerquelevieilamidesamamanlesaccompagnerasurcelongchemindereconstruction.Ilatoujourstrouvélesmotspourapaisermespeurs.Je suis certaine qu’il saura les trouver une nouvelle fois pour lui parler… Et puis, j’ai une grandenouvelleàluiannoncer…

—Maman?ditAmytoutenjouantavecsoncanarddansl’eau.—Oui,machérie,dis-jeensortantdemespensées.Jem’accroupisfaceàlabaignoireetcroisemesbrasdessus.—Onnereviendrapluscheznous?—Non…— Nous allons avoir une nouvelle maison ? demande-t-elle en me montrant son canard plein de

mousse.—Tusaisquepapaetmoi,nousnepouvonsplusresterensemble.Ellelèvesespetitsyeuxattristésversmoi:—Parcequ’ilestméchant?—Parcequenousnenousaimonsplusetqueparfoislesgrandespersonnessontobligéesdesuivre

chacuneleurroute…Malheureusement,nousn’avonsguèrelechoix…,tenté-jedeluifairecomprendre.—D’accord,maman…,souffle-t-elleenjouantaveclamousse.J’inspireprofondémentetluidis:

—Jevaisteraconterunehistoire…—Oui!s’enthousiasme-t-elle.—Ilétaitune foisune reinequiétaitenferméedanssa tour…Elleavaitunepetite fillequin’était

autrequelaprincessedumondeenchanté.Laprincesseavaitdespouvoirsmagiquesetrendaittouslesgens qui l’approchaient heureux… Elle était gentille, bienveillante et très très courageuse.Malheureusement,leroin’étaitpasgentilet…

—Pourquoiiln’étaitpasgentil?—Ehbien,c’étaitunméchantroi…Ilneriaitpassouventetilavaitunvisagetouttriste…Lareinea

bienessayédeluirendrelesourireetlaprincesseutilisaàdiversesreprisessespouvoirsmagiquessurlui,maisrienn’yfit…Leroiétaitnécommeçaetmêmetoutl’amourdumondenepouvaitlesauver…

—C’esttriste,maman.—Ehoui,jesaisbien…—Etaprès?—Après,lareineetlaprincessedécidèrentdequitterlechâteau,mais,pourcela,illeurfallaitêtre

trèscourageuses.—Ellesontraison!Jen’aimepasleméchantroi!lanceAmyencroisantlesbrasdevantelle,lamoue

boudeuse.—C’estcequejepenseaussi…Unjourd’hiver,alorsqueleroyaumeétaitsouslaneige,unamidela

reinetraversalaforêt,gravitlesmontagnesensorcelées,etfranchitlesrivièresgeléesafindeleslibérertouteslesdeux.

—Unprincecharmant!Ouiii!s’écrie-t-elleenlevantlesbras.—C’estça!confirmé-jeenriant.Leprinceleslibéraetleurrenditleurliberté…—Etilsontfaitpleinpleinpleindebébés!lance-t-elle,folledejoie.Siseulementtoutpouvaitêtreaussisimple…Jeluisourisaffectueusementetluiréponds:—Jenesaispas,machérie…Entoutcas,ilsvécurenttoustrèsheureux.—Etnous,maman?—Très,moncœur…Nousallonsêtretrèstrèstrèsheureuses…Toutàcoup,unbruitassourdissant,provenantdurez-de-chaussée,attirenotreattention.Amysursaute

aussitôtensetournantverslaporte.Jetentedegardermoncalmeetmelèvedoucement.—Nebougepasd’ici,tum’entends?Paniquée,elleopinedelatêtesansdireunmot.Jesorsdelasalledebainsettraverselecouloirtout

enjetantunœilpar-dessuslarambardequidonnesurlesalon.Personne…J’entredansmachambreenregardantautourdemoi,maisnevoisrien.

—Tiens?Ilmesemblaitavoirposémonsacàmainsurlacommode?Moncahierauxtonsdorésestposéprèsdeluiavecmadernièrepenséedusoir.Jerécupèreletoutet

lerangerapidementdansmonsacentremblant.Maisquesepasse-t-ilici?

—Hope,tuasbesoindevacances…Tuperdslatête,maparole!pensé-jeàhautevoix.Toutàcoup,Amysemetàhurleràl’autreboutducouloir:—Mamaaaaaaannnn!Jecoursimmédiatementàlasalledebainscommeunefollefurieuse:—Tuvasbien?demandé-je,paniquée.—Maisoui.J’aifroid,dit-elleengrelottant.C’estquoilebruit,maman?—Jenesaispas…Uncourantd’airpeut-être?tenté-jedelarassurerenattrapantuneserviette.Allez

viens,nousallonsdîneretensuite,nousquitteronscettemaison.

21h05

J’arriveenfinaupharedeMarshallPointStationaveccinqbonnesminutesderetard.Cettemauditerouem’aurarenduchèvre.HeureusementqueM.Ross,notrevoisin,était làpourm’aiderà lachanger,sinon je ne serais pas encore arrivée.C’est bienmaveined’avoir retrouvémonpneu à plat avant dequitter la maison ! Je ne vois pas la voiture de Matthew… Je sais qu’il ne va pas tarder à nousrejoindre.Peut-êtrea-t-ilgarélasienneunpeuplusloin,afindenepasattirerl’attentionsurnous?

Labouleauventre,jemegareprécipitammentdevantlepont.Jeretirelesclésducontactetmetourneversmafillequitientfortementsonlapinenpeluchecontreelle.

— Amy, je reviens tout de suite. Ne sors pas de la voiture et couvre-toi avec la couverture, luirecommandé-jeenlaluimontrantdudoigt.

—Maistuvasoù?demande-t-elleenjetantunœilàl’anciennemaisondeMarieetHenry.—Jereviens.Nebougepasdelà!Tum’asbiencomprise,machérie,insisté-jefermement.Elleopinede la tête et attrape la couverture.Lanuit, lepontdupharepeut se révéler terriblement

dangereuxpourunenfant,etilfaitbeaucouptropfroiddehors.Jesorsdemavoitureetfermemaportièreenjetantunregardcirculaire.—Oùes-tu,Matthew?soufflé-jeenm’avançantverslepont.Jevérifiel’heureàmamontre…21h11.Iladûêtreretardé…Jesaisqu’ilaquittél’agenceplustard

quedecoutumeafindetoutlaisserenordre.Jen’aipasoséluiavouercequis’estproduithiersoir,depeurqu’ilveuilleréglersoncompteàTom.Bienquel’idéenem’auraitpasfranchementdéplu…Nousnoussommespromisquelepremierarrivéattendraitl’autre.Jenecomptepasm’enallerd’icisanslui…J’aiattendutantd’annéespourenfinvivreàsescôtés.Ilvaarriver,Hope…Respire!

Les larmesmemontent auxyeuxàchaque foisque je regardemamontreetque l’espoirde levoirarriver s’amenuise peu à peu.Une angoisse terrible se niche au creux demonventre et une sensationd’étouffementmecompresselapoitrine.J’aidesboufféesdechaleuretlevisageenfeu…J’aidumalàrespireretlanauséememonteàlagorge.Jetentedereprendremoncalmeenposantmesmainssurlarambardeenboisquejeserrefortemententremesdoigts,maisrienn’yfait…

—21h47…,soufflé-jeenconsultantunefoisdeplusmamontre.Jedoismerendreàl’évidence:Matthewneviendrapas…Jereculedequelquespasenposantma

main tremblante sur mes lèvres. Je secoue la tête nerveusement refusant d’admettre que le pire desscénariosestentraindesejouer.

—Matthew…Pourquoi… ? bégayé-je en tombant à genoux sur le pont froid et humide. Je t’aimetellement…Regarde,monamour,jesuisvenueterejoindre…

JeposemesmainssurlesolenlaissantéclatermonchagrinsouslecielétoilédePortClyde…Danscetendroitoùtoutacommencéetoùtoutvientdeseterminer.

—Mattheeeeew!Nem’abandonnepas !hurlé-jede toutesmes forcesen serrant lespoings tant ladouleurmelacèrelecœur.

Jelèvemesyeuxmalheureuxverslecielencherchantmesmots,etunetoutedernièreprièreafinquenotredestinéem’entende:

—Pourquoit’acharnes-tuautantcontremoi?Pourquoim’as-tupermisd’effleurerlebonheurduboutdesdoigts,sic’estpourmel’arracherencoreunefois?crié-jeaprèselleenpleurantdouloureusement.

Soudain, j’entends la portière dema voiture s’ouvrir et se refermer tout doucement. Ses petits pasrésonnentsur lepontenboisoùjedéversetoutematristesseetmadouleur.Nousdevionsrejoindrelaville de Wells, mais, malheureusement, le rêve et l’espoir de retrouver une vie heureuse auprès del’hommequej’aimeviennentdes’envoleràtoutjamais.

—Maman,j’aifroid,souffleAmyd’unepetitevoixenposantsamainsurmonépaule.Jeposema tête sur ses petits doigts tremblants et y déposeunbaiser en levantmesyeuxnoyésde

larmesverselle.—Onvayaller,machérie…,continué-jeàsangloter,lecœurbrisé.—Où,maman?demande-t-elleenregardantautourd’elle.—Jenesaispas…Jenesaisplus…—Pourquoitupleures,maman?Ellea l’air si triste, siperdue.C’estma faute…Comment ai-jepu l’embarquer là-dedans ? Jeme

tourneetm’agenouilledevantelletoutenprenantsonvisageentremesmains.—Terminéleslarmes,terminéd’avoirpeur…,dis-jeententantderecouvrermoncalme.Amy,nous

allons démarrer une nouvelle vie toutes les deux. Nous allons enfin être heureuses… Je t’en fais lapromesse,machérie.

Elle m’offre un merveilleux sourire qui me remplit de bonheur, atténuant la douleur aiguë que jeressensaufinfonddemonêtre.Sesyeuxauxcouleursd’automnemerappellentcombiennoussommesliéspourl’éternité…

—Jet’aime,maman,dit-elleencontinuantàmesourireaffectueusement.—Etmoi,encoreplusqueça!Amyme prend immédiatement dans ses bras.Nous restons quelquesminutes enlacées l’une contre

l’autreàcontemplerlecielétoilé…J’aiespoirdetrouver,unjour,unsensàmavie…Pourlemoment,jevaisvouermavieàmafille,Amy…

Penséedusoir:

Doit-oncroireauxâmes sœurs?A-t-on seulement ledroitd’y songerne serait-cequ’une infimeseconde?Jecommenceàpenserquetoutcelaestpeut-êtrebienvrai.Mathéorieafaitsonpetitboutdechemindansmatête,etlemanqueoubienledésespoir,appelez-lecommevouslesouhaitez,m’ontenfinouvertlesyeux…Lorsque les âmes sœurs sont séparées l’une de l’autre, elles souffrent, pleurent, se perdent, se

cherchentéternellementet,quelquefois,uneseulepersonnepeutréussiràleslibérerducerclesansfindans lequel elles se trouvent prisonnières. Malheureusement, la plupart du temps, l’égoïsme et lemanque de courage ne permettent pas de reprendre le cours des choses et de recréer la chaîneparfaite.Touteslesréponsesétaientpourtantlà,sousmesyeuxaveuglésparlatristesseetlapeur.Lapeur

demetrompersurlessentimentsdeMatthew,deperdreuneviesocialeetposée,duregarddesautres,des coups et des insultes deTomqui sont devenus terriblement difficiles à gérer.Alors, j’ai décidéd’emprunter cette route, sans Matthew. Je vivrai à jamais avec le regret d’être passée à côté dubonheur.Aujourd’hui, il y a des femmes, peut-être en connaissez-vous une, toutes classes sociales

confondues, qui vivent dans la terreur, dans la violence verbale et physique, et dans l’humiliation,l’incertitude,l’angoisse,etl’isolementleplustotal.J’aivécutoutcelaavecTom.Pourtant,jepensaisquecelanem’arriveraitjamais,maisjemesuistrompée.Celam’acausébeaucoupdechagrinetdedouleur.Àcausedetoutesmescraintes,jen’aipaseulecouraged’affrontercethommequi,touslesjours,mefaisaitgoûteràlamorsuredesescoups.Au départ, j’ai bien essayé de le quitter,mais les coups sont devenus si violents que jeme suis

renferméesurmoi-même.Aprèsluiavoirannoncéquejedésiraispartiretrefairemavie,ilmedonnalecoupdegrâce.Jesuisdevenueunchienapeuré,uneâmevideetsolitaire,unmaladeisolédansunechambre,lafemmeparfaitementsoumiseetjemesuiséteinteàpetitfeu.Jesuisdevenueunpetitêtrevulnérable, recroquevillé sur lui-même.À causede lui, j’ai souffert, jouraprès jour, de lapertedel’êtrequej’aimais.J’aimillefoisvoulufuir,maisj’étaisparalyséeparlapeur…Deux âmes sœurs bloquées par une âme errante qui n’a pas encore trouvé la sienne et qui, par

dépit,prendenotagelaviedesautresetlatransformeenenfersurterre!J’aimanquédeconfianceen moi, et surtout en Matthew. Je sais que j’aurais dû aller le retrouver plus tôt… Peut-êtrequ’aujourd’hui,nousserionsensemble…Malheureusement, ilest troptardpourm’apitoyersurmon

sort.J’aiattenduencorequelquesminutesauphare,puisj’airejointEmmachezellequim’aaccueillie

lesbrasgrandsouverts.Matthewn’apas essayédeme joindreuneunique fois. J’ai doncprésuméqu’il avait fait le choix de rebrousser chemin.Peut-être a-t-il préféré rester aux côtés deBrooke ?Celaluiapparaissaitcertainementplusfacile…Jevaisdevoirapprendreàvivresanslui,emprunterunetoutautrerouteetl’oublierafindepouvoir,unjour,retrouvergoûtàlavie…Amyesttoutcequ’ilmeresteaumondeetjecompteconsacrermavieàlarendreheureuse.Jenesaispasdequoiserafaitdemain,maisjeveuxcroirequenousseronsenfinheureuses…Leschagrinsd’amournousrendentvivants,plus forts…Ladouleurnousassaille,puisellenous

grandit…EtmêmesiMatthewm’auraétéarraché,jepréfèreavoirconnul’amour,levéritableamour,quedemourirsansjamaisavoireulachancedel’aimer…Adieu,Matthew…

Dernièrepartie

CettedernièrepartiedemavieaétébercéeparlachansondeDido:

WhiteFlag

-1-

MattiaCupelli–HopelessFall

PortClydeDimanche17mai201520h19

Amy

Jerefermelaportedelachambred’hôpitaldemamèreetm’yadosse.Jesuiseffondrée.Jefermeuninstantlesyeuxetinspireprofondémenttoutenserrantcontremoncœurcettelettrequim’acomplètementbouleversée, faisant vaciller toutesmes certitudes. Je sais que je n’aurais pas dû l’ouvrir,mais, tropcurieuse,j’enailulecontenupendantquemamères’estendormietoutprèsdemoi.Pourquoil’a-t-ellelaisséesursonchevetauregarddetous?Va-t-ellenousquitterplustôtqueprévu?

L’après-midiaétéricheenémotions,et jesaiscombienelleétaitépuisée.Cettedernièrepenséedusoirainsiquetouteslesautressonttellementprofondesquejen’arrivepasàlesassimiler.Pourtant,j’aibienconsciencequ’ellesfonttoutespartiedesonhistoire,maisellesmefendentlecœur.LeDestins’estacharné inlassablement contremamère. J’aimerais tant pouvoir lui offrir cette fin heureuse qu’elle aattenduedésespérémenttoutesavie.Jerepliesoigneusementlalettredemamèreenquatre,commeellel’avaitfait,puislaglissedansmonsacavecl’espoirqu’ellepuisseluiapportertouteslesréponsesàsesprières.

RoseetEmmasontassisesl’uneprèsdel’autre,setenantparlamaindevantcettepièceoùsetrouvelapersonnequiabercénosexistencesparsabonnehumeuretcettepaixintérieurequilacaractérisetant.Jeleursouris,m’avanceetm’accroupisfaceàelles.Leurvisageestdévastéparlechagrin.JeposemamainsurlegenoudeRoseetlesquestionne,unenouvellefois,avecl’espoird’obtenirenfinlesréponsesàtoutesmesquestions:

—Dites-moi,unechose.Uneseule…,leurdemandé-jeenlesdévisageanttouràtour.Ellesseregardent.EmmahausselesépaulesetRoseacquiescedelatêtecommepourm’accorderune

chanced’ensavoirplus.

—Qu’as-tubesoindesavoir,Amy?medemandeRoseenposantsamainsurlamienne.—Oùest-il?Jesaistoutelavérité,etj’aibesoindeleretrouver,luiréponds-jeàvoixbasse,depeur

quemamèreentendenotreconversation.Les larmes montent aux jolis yeux verts de Rose qui sort un mouchoir de son sac. Elle sèche

discrètement son visage et resserre plus fort sa main sur la mienne en me répondant d’une voixtremblante:

—Amy,jen’aiaucuneidéedel’endroitoùsetrouveMatthewnimêmes’ilesttoujoursenvie.Jesuisdésolée,maisnousavionsreçul’interdictionformelledeprononcersonnomdepuislejouroùilnes’estpasrenduauphare.

—C’estlastrictevérité,ajouteEmma,auborddeslarmes,elleaussi.—Maisalors?Commentvais-jepouvoir…?Incapabledeterminermaphrase,j’étouffeunsanglotavecmonpoingenmerelevant.—Mamann’aplusquenous…Regardezautourdevous.Voyez-voussonfrèreetsafamille?Non!

Mesgrands-parentsontétédesincapablesetnousontquittéessansjamaisêtrevenusnousvoir.Uneseuleetuniquefois,celaauraitétélamoindredeschoses!Maisnon,ilsétaientbientropégoïstes!

—Calme-toi,Amy.Tamèreaeuavectoilafamilledontelleatoujoursrêvé,machérie,attesteRosed’unsignedetête.

Encolèreetdépasséeparmesémotions, je fais lescentpasdevant lachambredemamèrequigîtcommeuneâmeenpeinedanscettepiècefroideethostile.Horsdequestionqu’ellepasseunenuitdeplusici!Jem’arrêteetleurannonced’unevoixclaireetsansdétour:

—J’approuvesonchoixet,dèsdemain,jemetsfinàtoutcela!—Dequoiparles-tu?medemandeRose,inquiète,enserelevant.—Maman veut quitter cette chambre d’hôpital afin de profiter du peu de temps qui lui est encore

allouésansêtredroguéeauxmédicamentsetjenesaisquelautretraitementquineferaitquelafragiliserdavantage.Elleestenferméedepuisbientroplongtempsiciàattendrequelamortviennelachercher.

Emma se lève à son tour et me prend dans ses bras en pleurant. Quant à Rose, elle s’approchelentementdelaportedemamèreetseretourneversnousennouslançantd’unevoixgrave:

—Safamilledétenaitàl’époquelabanqueCole&Reese.AprèsavoirfermécelledePortClyde,etquelquesannéesplustard,lecafé,ilssonttouspartispourPortland.Jesaisquelasociétéexistetoujours,maisjenesaispassiMatthewenaprisladirection.Amy,retrouve-le!Etramène-leàtamère,dit-elleenlevantlatêtebienhaut.

Roseouvre laporteetentredans lachambreennousadressantunsourire.Puis, la refermesurcesdernièresparolesquim’ontrenduforceetespoir.Emmaposesesmainssurmesépaulesetmedévisageenancrantunregarddésespéréaumien:

—Va!Dis-luicombienellel’aaimé,combienellel’aattendu,maisqu’illuiaaussibrisélecœur.Àmoinsqu’ilaiteuunebonneraisondenepasêtrevenuaurendez-vous,ehbien…neleramènepas.Je

suis mitigée face à tout cet imbroglio. Je sais seulement qu’il l’aimait profondément. Retrouve-le.Discutez-enensemble,cartoiaussi,tuasbesoindetournerlapageetd’enouvrirunetoutenouvelle.Quisait…?meconfie-t-elleensouriant.

Jelaprendsdansmesbrasetlaremerciepoursonsoutien.Jedoisàmamèrelaviemerveilleusequej’aieueetquej’aiconstruiteauxcôtésdemonmarietdenosjumeaux.Jamais,jen’auraisétéuneenfantaussi épanouie si elle n’avait pas tout quitté pourme permettre d’être heureuse.Elle a fait demoi lafemmequejesuisdésormaisgrâceàsoncourage,àsaforceetàsavolontésansfaille.

Avantdepartir,jepasseparlachambred’Antony.Kates’estendormieàsonchevetsurlefauteuil,unemainposéesursonjoliventrearrondi.J’entresansfairedebruit,etattrapelacouverturepliéeaufonddulit. Je la couvredélicatement, un sourire attendri aux lèvres.Comme ils sontmignons, tous les deux.Bientôt,ilspourrontquittercelieusordideetrepartiràPortlandoùuneviebienremplielesattend.Jesuisheureused’avoirfaitsaconnaissanceetellem’aapportéunpeudejoiedevivredepuisqu’ilssontici.

—Salut,toi,chuchoteAntonyquijetteunregardémuàsafiancée.—Désolée,jenevoulaispasteréveiller,maisjepassaisparlà,alors…,chuchoté-je,enhaussantles

épaules,embarrassée.—Tuasbienfait.Ellen’apasvoulurentrerà l’hôtel.Demain,elleseplaindradesondosetm’en

voudraunebonnepartiedelajournée,marmonne-t-il,amusé.—Oui,c’esttoutelle,ça,attesté-jeenluisouriant.JeposeunbaisersurlehautdelatêtedeKateet,d’unsignedelamain,jedisaurevoiràAntony.Je

refermedélicatementlaportedelachambreettraverselecouloirquimèneauxascenseursensouhaitantunebonnenuit aux infirmièresqui tournent à tourde rôle au chevet demamèredepuisdes semaines.Demainsoir,mamèrequitteracetendroitetreviendraàsaplace,auprèsdessiens.

Àfleurdepeauetlecœurbattant,jesorsdel’hôpitaletm’avancelentementjusqu’àmavoiture.Puisjejetteunœilverslafenêtredelachambredemamèreetremarquequelalumièreestallumée.Lesfillesdoiventêtreàsonchevet.Jequittecetendroitavecl’étrangesensationquejem’approchedelavérité.Cettelettrem’aprofondémentémueetsoncontenus’estrévélécommeuneévidencepourmoi,presqueunsoulagement…

Lanuit étoiléeme rappelle tous cesmomentsqu’ilsontpassés ensemble. Ils étaient faits l’un pourl’autre, c’est incontestable… J’ai la certitude que leur Destinée ne les a pas abandonnés. C’estimpossible…Pourquoi tantdesouffrances,sicen’étaitpourdonnerunefinheureuseà leurhistoire?Matthewl’aprofondémentaiméeetjesuiscertainequ’ilavaitunebonneraisondenepasserendre,cesoir-là,aupharedeMarshallPoint.Jedoisendécouvrirlacause,etensuite,jeleramèneraiauchevetdecellequifutsiennetoutesavie,Hope.

Enarrivantàlamaison,Kévinm’attendsurlecanapédusalon,unlivreàlamain.Enm’apercevant,illedéposesurlatablebasseetvientmerejoindredanslevestibule.Jeposemonsacsurlaconsoledel’entréeetm’approchedoucementdelui.Sonregardemplidetendressemerappellecombienj’aieulachancederencontrermonmari.Jeleserredansmesbras,toutcontremoncœuretluisusurretendrement,nichéeaucreuxdesoncou:

—Jet’aime,Kevin.Tuesl’amourdemavie…—Ettoi,lemien,machérie.Jerelèvelatêtepourcontemplersonvisageetsesyeuxremplisd’amour.Jepassemesdoigtsdansses

cheveuxetglissemamaindélicatementsursanuque.Ilmedéposeunbaisersurleslèvresenmeserrantfortementdanssesbras.Jepeuxsentirtoutsonamour,toutesonaffectionetcettepassionenivrantequedécrivait sibienmamèredans sespenséesdu soir.Kevinestmonhavredepaix, et, à ses côtés, j’aitrouvémaplace,cellequim’étaitdestinée…

Une larme perle au coin demonœil ; je recule afin de reprendremes esprits. Je suis submergéed’émotionsquejen’arrivepasàcanalisercesoir.C’étaitunejournéeéprouvantepournoustous,etj’aibesoindemeretrouverseule.Jeprendslamaindemonmaritendrementdanslamienneetluidis:

—Monchéri,j’aibesoinquetuveillessurlesjumeauxcesoir.J’aiunemissionàaccomplirettantquejen’auraipastrouvélemoyendelaréaliser,jeneseraipasenpaixavecmoi-même.

Monmarifaitminedenepascomprendreetmedemandeàvoixbasse:—Quevas-tufaire?Puis-jet’apportermonaide?Tusaisquetupeuxcomptersurmoi,n’est-cepas?Jeluisourisenrelâchantavecdouceursamainetattrapemonsac.J’ensorslalettredemamèreetla

luitendsd’unemaintremblante,tantsesmotssontencoreimprégnésdansmatête.Perplexe,Kevinhausselessourcilsets’assoitsurlefauteuildecouleurlinquisetrouveprèsdela

console.Ilprendconnaissanceducontenudelalettreenmejetant,detempsàautre,unregardinterloquéensecouantnerveusementlatête.Puisilserelève,tourneenrond,sepasselesmainsdanslescheveux,etmerejoint.Ilmelarend,lesyeuxnoyésdelarmesetmedemande:

—Mais…Amy,jesuis…MonDieu,tuterendscomptequetoutetavieprendunnouveausens?Quetun’espas…?

Sanspouvoirterminersaphrase,ilm’agrippeaucreuxdesesbrasenmeserrantcontrelui.J’éclateensanglots,submergéepartoutceflotd’émotionscontenudepuisdesheuresaufonddemoncœur.Oui,cettenouvellem’abouleversée,etellerisquedechangermavie,àtoutjamais…

-2-

PortClydeLundi18mai201508h21

Amy

Aprèsavoirpasséunebonnepartiede lanuità fouiner sur lenet, jen’aiaucunepiste sérieusesurl’endroitoùsetrouveréellementMatthew.J’aidécouvertdesdizainesdeMatthewColesurlesréseauxsociaux,maisaucunn’avaitl’airdecorrespondreàl’hommemerveilleuxquejerecherche.

Le sitedeCole&Reesem’a, tout demême, apporté quelques informations.BrookeReese est auxcommandesde l’entreprisedepuis ledécèsdeBradleyCole, lepèredeMatthew. Il estmort en1995d’unecrisecardiaquedontilauraitétévictimeunsoirdanssonbureau.Uneplaquecommémorativeavecsonportrait orne l’entréede l’entreprise, enhommage à son fondateur.Peut-être devrais-je appeler lestandard et demander à parler à cetteBrooke ?Elle était la femmedeMatthew, à l’époque.Peut-êtreaurait-ellel’amabilitédemerépondreauvudescirconstances.Mamanladécrivaitcommeunepersonnemanipulatrice, froide et insensible aux autres. Qui sait ? Peut-être s’est-elle adoucie, ces dernièresannées?Jeneveuxpasinterférerdansleurvie,justeapporterdesréponsesàmamèremourante.

J’appuiesurleboutondelamachineafindemefairecouleruncafécorsé.Jesensquelajournéevaêtre très longue, et cela fait déjà plusieurs jours que je n’ai pasmis un pied à la boutique.Rosem’ademandé des dizaines de fois de la laisser à nouveau travailler,mais j’ai refusé catégoriquement. Jepréfèrelasavoirauprèsdemamère,surtoutdepuisquelemanuscritestréapparudanssavie.Lesenfantsétantàl’école, j’aidonctoutelajournéedevantmoipourpoursuivremesrecherches.Kevinadéplacéquelquesrendez-vousaucabinet,etsonassociéiracetaprès-midiplaiderlesaffairesàsaplace.Ainsi,ilpourrarécupérerlesjumeauxàlasortiedel’écoleetmoi,m’occuperdemamère.Jevienstechercher,maman,ett’emmenerbienloindecetendroitsordide.Jedoisavouer,toutdemême,quelepersonneldel’hôpitalestauxpetitssoinsavecelle,maislavoir

passerlepeudetempsquiluiresteentrelesquatremursdecettechambreestunevéritabletorture.Je

veuxqu’ellerevienneàlamaisondelaplageet,aprèsenavoirdiscutéhiersoiravecKevin,nousallonsypasserlesprochainessemaines.Lesvacancesd’étéapprochentàgrandspasetlesenfantsadorentcetendroit.J’espèrequelavienouspermettradepassercedernierététousensemble.

09h05

Jesorsdemavoiture,lecœurserré.Jenesaispassic’estdel’angoisse,maisunebouledenerfsseformeetgranditdansmonventre.Plusjem’approchedel’hôpital,etplusellemecomprimel’estomac.

Lesportes automatiques s’ouvrentgranddevantmoi et je remarquemanouvelle amie, accoudéeaucomptoirdessorties.Discuterquelquesminutesavecellemesoulagerapeut-êtrede toutecette tensionaccumuléeenmoi.Jeprendsuncaféàlamachineetlarejoins.Kateremplitdespapiersetdiscuteavecuneinfirmière.Jem’approcheetposemamainsursonépaule.

—Bonjour!Elleseretourneaussitôtversmoiets’exclameenmecomplimentantd’unebiseaffectueuse:—Bonjour,Amy.Commentvas-tu?—Bien,ettoi?—Moi ? Antony m’a laissée dormir sur ce fauteuil inconfortable sans penser une minute que je

souffriraisd’unterriblemaldedosauréveil.Non,maistuterendscomptedesonirresponsabilité,alorsquejesuisenceinte?!râle-t-elleenposantsespoingssurseshanches.

Le ventre joliment arrondi, pointé droit vers moi, et son air désemparé me font aussitôt glousser.Mécontentedemaréaction,ellemefaitdegrosyeuxronds.

—Quoi?luidemandé-je,unsourirecontenuauxlèvres.—Tutefichesdemoi!dit-elleencroisantsesbrascontresapoitrine.—Moi?Paslemoinsdumonde!Ellemedévisage,lamoueboudeuse.Jelèveunsourcilscrutateur,carjediscernedéjàunsourireàla

commissuredeseslèvres.Katemetirelalangueetnousexplosonsderiretouteslesdeux,accompagnéesde l’infirmière.Unmédecinnous rejoint.Jene crois pas l’avoir déjà croisédans cet hôpital. Il doitavoirnotreâgeetsedirigeversKateenluiadressantunsourireravageurquil’empourpreaussitôt.

—Kate!Commentvas-tu,matoutebelle?—Carter?Maisquefais-tuici?JetecroyaisenAfrique!— Je suis rentré la semaine dernière. J’assiste leDrCallaghan dans une opération à cœur ouvert,

aujourd’hui.Ettoi,quefais-tuici?Toutvabienaveclebébé,j’espère?luidemande-t-ilenposantsamainsurleventredeKate.

—Oui,net’inquiètepas.Elleestenpleineformeetjepensequ’elleaimeraautantlefootballquesonpère,dit-elleenéclatantderire.

Ilremarquemaprésenceetsetourneversmoi.

—Pardonnez-moi, jemanque à toutes les politesses. Bonjour,mademoiselle… ?me demande-t-il,confus,entendantsamainpourmesaluer.

—Non,madame…MmeObrienHarington,réponds-jeenluitendantlamienne.—Bonjour.JesuisleDrBenjaminCarter.Heureuxdefairevotreconnaissance.—Moidemême,dis-je,enluisouriant.Ilm’al’airtoutàfaitcharmantettrèsagréable.Ilattrapeundossiersurlecomptoirdel’accueiletse

tourneànouveauversKate:—Commentvonttesparents?Brookeest-elletoujoursaussidélicieuse?Quoi?—Neparlepasainsidemaman,Carter!—Excuse-moi,maiscettefemmemeglacelesangchaquefoisquenouséchangeonsuneconversation.—Oui,maisellerestemamère.Avecsesdéfauts,certes,maismamère,luirépond-elle,mécontente.—CommentvatonpèredepuislasuccessiondeCole&Reese?Jemanquedem’étrangleravecmoncaféqui tombeauralentisur lesol,éclaboussantmarobe.Les

motsrésonnentencoredansmatêteetmefontperdrepied:

«Brooke…Cole&Reese…»

Jeprendsappuicontrelecomptoir.Kateaccourtaussitôtversmoietm’attrapeparlamain.Mavisionest troublée. J’ai la tête qui tourne et je n’arrive pas à reprendre mon souffle. J’ai l’impression demanquerd’airetmoncœurs’est serrédansmapoitrine.L’angoisseque je ressentaisaucreuxdemonventreestàsonparoxysme.

—Amy!Quesepasse-t-il?J’entendsàpeine lavoixdeKateetduDrCartermerappeleràeux.Je revoisdéfiler laviedema

mèredevantmesyeuxhébétés,etjeprendsconsciencequetouteslesréponsesàmesquestionsétaientlà,devantmoi,depuisplusieursjours.JemeredressedifficilementetserrelamaindeKateenluidemandantd’unevoixheurtée:

—Comment…s’appelletonpère,Kate?Jet’ensupplie…,réponds-moi,luidemandé-jeenpleurs.—Papa?—Réponds-moi!—Matthew…Ils’appelleMatthewCole.Moncœurvientdelâcher.Jenesensplusmesmembres,etmesjambessedérobentsousmespieds.Le

DrCartermerattrapedanssesbrasavantquejenem’effondresurlesol.JeserrelamaindeKate,dansungestededésespoir.Complètementabasourdie,ellemeregarde,désemparée,sanssavoirquefaireouquedire.Jetentedemeredresser,avecl’aideduDrCarteretluisouffleàboutdeforces:

—J’aiquelquechosedetrèsimportantàteraconter…

-3-

JorgeMendez–Fallen

Wells,MoodyBeachLundi18mai201513h07

Amy

Wells,cettepetitevillequemamanadoraittant…Jamaisjen’auraisimaginéqu’ilviendraitvivreici,dans cet endroit qui lui rappelle tant demerveilleuxmoments. L’a-t-il fait pour se rapprocher demamère?Toutcommeelledelui,avecl’acquisitiondelamaisondelaplageauxvoletsbleus.Ilssesontcherchéstouteleurvieenrestantattachésàleurssouvenirs.

Auvolantdesavoiture,Katetourneàdroite,puislongelaplagedeMoodyBeachoùdesomptueusesvillas aux plages privées se dessinent dans l’horizon. Quelques mètres plus loin, elle saisit unetélécommandeetappuieendirectiond’unportailblancquis’ouvregranddevantnous.Puiselleemprunteunealléeenpavésets’arrêtedevantlesescaliersenpierre.Jedécouvrealorsunemaisonquiressembleétrangement à celle de mon enfance, par sa couleur blanche et ses volets bleus. Je la contemple,émerveillée par tant de beauté. Elle dégage quelque chose de particulier que je suis pour l’instantincapabled’identifier.

Kateattrapemamainet,commesiellelisaitenmoi,meconfirmed’unevoixpleined’affection:—IlvoulaitunemaisonquiressembleàcelledePortClyde.Aprèsavoirapprisqu’unefemmeavait

louécelledelaplage,ilaimmédiatementsouhaitélamettreenvente.Monpèrem’aracontéquemamèreavaitcriéauxaboistouteunesoiréedurant.Ilestvraiqu’ill’avaitvenduepourunebouchéedepainàcettefemme.C’étaitdonctamère…,comprendKate.

Jelaregarde,stupéfaite, lagorgéeserrée.Ilasommetoutecontinuéà laprotéger.Pourquoin’est-ilpasvenularejoindrealors,sachantqu’elles’étaitenfinlibéréedeTom?Certainementparcequ’ilavaitdéjàfondésaproprefamille…

Submergéeparl’émotion,Kateretiresesclésducontact,admiresamaisond’enfanceetajouted’une

voixtremblante:—Après ledivorcedemesparents, ilyacinqans, jepensaisquemavien’avaitplusaucunsens,

maisc’étaitfaux.Lorsd’unesoiréeprèsd’unfeudecheminée,alorsquenousbrûlionsdesmarshmallowscommenousavionspourhabitudedelefaire,papameconfiaunehistoire.Celledecettejeunefilledontiltombaéperdumentamoureuxetquiluibrisalecœurennevenantjamaislerejoindreauphare.

—Quoi?—Laisse-moiterminer,Amy,medemande-t-ellegentiment.J’opinedelatête,lespoingsserrés.Ellereprend:—Malheureusement,jen’aijamaissuquielleétait.C’unsecretqu'ilnevoulaitgarderquepourlui…

Aprèscettesoirée-là,jeprisconsciencequ’ilavaittoujoursétéfouamoureuxd’uneautre,etquemamèrenecorrespondaitabsolumentpasàl’hommemerveilleuxqu’ilétait.PuisellepritladirectiondeCole&Reese, et devint encore plus distante, froide et égoïste. Papa s’emmura alors en se réfugiant ici, dansnotremaison,medit-elle,émueauxlarmessanslaquitterdesyeux.

—Jenecomprendspas?Matthewestvenu…?Jem’interrompsuninstant.Impossible!?Monsangnefaitqu’untour,etjesorsaussitôtdemesgonds

enajoutantd’unevoixcourroucée:—Ilestvenu,cesoir-là?!luirépété-je,stupéfaiteparsesdiresqu’elleconfirmed’unsignedetête.

Jenecomprendspas…—Un homme l’attendait sur le pont du phare, une cigarette à la main. Le conjoint de cette jeune

femme.—Quoi?!Alors,c’estdoncluiquiestpasséàlamaison!Ehmerde!m’exclamé-jeenposantma

main tremblante surmes lèvres. Le cahier et la lettre demaman étaient posés sur le lit…Tom auraitméritéque…

Katemecoupedansmalancéeetresserresamaindanslamienneenappuyantsonregardcompatissantdanslemien.

—Calme-toi,Amy. Je comprends ta colère,mais nous ne serions pas là, aujourd’hui, ensemble etréunies,me fait-elle remarquer avec cette douceur dans la voix quime rappelle tant celle que décritmamandanssonlivre.

Jebaisselatête,etsècherageusementdureversdelamainmeslarmesquiruissellentsurmonvisage.Tantdesouffrance,tantd’injustice…Suis-jecapabledetraversercettealléeetd’alleràlarencontredemondestin?Puis-jechangerleschosesetréparerleserreursdupasséafindelesréunirànouveau?

—Ce soir-là, maman et moi sommes bien allées rejoindreMatthew au phare. Après avoir passéplusieursminutesàchangercettemauditeroue,nousavonsenfinprislaroute.Arrivéesauphare,iln’yavaitpersonne.Mamanpensequ’iln’estjamaisvenu…,éclaté-jeensanglotsdanslesbrasdeKatequimeserrecontresoncœur.

—Papam’aditqueTomestvenu,cesoir-là.IlluiaditqueHopenedésiraitpluslequitteretqu’elle

avait choisi de rester auprès de lui… Je comprendsmieux ce qui s’est passé, à présent. Son acte estterribleetimpardonnable,medit-elle,toutenresserrantsonétreinte.

Surpriseparunmouvement,jem’éloigne.Katecaressesonventretendrement,puismesouritetattrapemamainqu’elleposedélicatementdessus.

—Tulasens?medemande-t-elle,folledejoie.—Oui…Ellebouge…J’adoraiscettesensationdansmonventre.Maiselleétaitmultipliéepardeux,

dis-jeenéclatantderire,suiviedeKatequisetientleventretantnousrionsauxéclats.Nousnousregardons,leslarmesauxyeuxennoussouriant.Jesuistellementheureused’avoircroisé

sonchemin.C’étaitmaDestinée,lanôtre.Danslavie,toutauneraisond’être,etj’apprendschaquejourquipasseàl’accepter,mêmesiquelquefoisjepeineàcomprendrelesinjusticesquinousentourent.Notreexistence sur cette terren’est qu’un court passage, et nousdevonsprofiter de chaque instant queDieunousaccorde.Nousrestonslesuniquesresponsablesdeschoixquenoussommesamenésàprendrepournous ou pour nos familles. Aimons ce que nous avons, choyons les personnes qui nous sont chères,apprenonsàaccordernotreconfiance,àavancermaindanslamainetàgarderespoirencemondequinousréservebiendessurprisesparfois.Lamiennesetientlà,justedevantmoi…

—Tuveuxquejet’accompagne?medemandeKate.—Merci,maisjedoisyallerseule,dis-jeencontemplantlamaison.Jeluidéposeunbaisersurlajoueetcaressesonvisage,puissonventre.Je sors de la voiture en inspirant profondément l’airmarin, et referme la portière derrièremoi. Je

traverse l’allée, gravis les escaliers de pierre, qui mènent à l’entrée, et sonne à la porte. Quelquesinstantsplustard,jemeretourneverslavoitureetlèvelesmainsversKate,pourluifairecomprendrequ’iln’yapersonne.Ellemefaitsignedudoigtdefaireletourdelamaison.J’acquiescedelatêteetcontournelapropriétéendécouvrantunpaysagefantastique.Ilyauneimmenseterrasseavecunepiscinepanoramiqueetlavuesurl’océanestépoustouflante.

C’estunemerveilleuse journée, le soleilbrilleet lecielestdégagé.Touta l’air sipaisible ici.Lebruitdesvaguesquis’échouentsurlesableetlecridesmouettesm’apaisent.Ilsm’apportentcecalmedont j’avais tant besoin. Je posemamain surmon front pourme protéger du soleil et jette un regardcirculaireàlaplage.Jediscerneauloin,unhommeassissurunechaisequicontemplel’horizonsansfin.Iltientunlivreàlamainetm’atoutl’airperdudanssespensées.Est-celui…?

Jedescendslesescaliersquimènentauxdunesettraverselechemindebois.Jem’approchelentementde lui, en contournant la chaise. Il a le regard perdu dans le vide, et ne daigne pas me regarder. Jem’accroupisprèsdelui,lesgenouxsurlesablefin,etplacedélicatementmamainsurlasienne,quiestposée sur l’accoudoir enbois.Stupéfaite, jedécouvrequ’il tientdans lesmainsundes romansdemamère,qu’ilserrefortementcontresoncœur.

Unelarmeroulesursonvisage.Ilmeregardeenfin,mecontemple,mesondedesonregardtroublantetbouleversant.Sesyeuxcouleurdel’automnebrillentdemillefeux,etj’yaperçoislesnotesdevertque

mamandécrivait dans sonmanuscrit.Celam’arracheun souriremaladroit. Jene saisquedire, paroùcommencer?Meprenantaudépourvu,ilmurmured’unevoixchaleureuse:

—Amy…Jeluisouris.Deslarmesdejoiesemettentalorsàcoulersurmesjoues;jenepeuxlesretenirtant

monbonheurestgrand.Ilm’areconnue!Ilsesouvientdemoi,demonvisage,decettepetitefillequej’étaisetqu’iln’acertainement jamaisoubliée.L’intensitéet la forcede l’amourque je luiportedéjàsontincommensurables.Lesliensdusangsontindéfectibles,etjelecomprendsaujourd’hui.Jemelaisseporterparl’émotiondecemomentmagiqueetluisoufflesimplementd’unevoixbriséeparl’émotion:

—Papa…Matthewestsurpris,maislebonheurintenseetlafiertéquil’inondentsoudainselisentsursonvisage.

Ilestfierd’êtremonpère,etmoid’êtrelafilled’unhommesibienveillant,sitendreetsibon.Jeglissemamaindansmonsacetensorslalettredemaman.

—Elleestpourtoi,papa.Lis-la…etviensavecmoi.Jelaluitendsetill’attrapeenhaussantunsourcilinterrogateur.Puisilladéplielentement,lesmains

agitéesd’unlégertremblement,etseplongeàcœurperdudanslesdernièrespenséesdusoirquesaHopeluiaécrites…

PortClyde,Mai2015

Penséedusoir:

Àtoi,Matthew,MonDieu,que tumemanques…!Toutescesdernièresannées, jen’aicesséde t’attendresurce

pontquimèneauphare.Pourquoin’es-tujamaisvenum’yretrouver?Pourquoim’avoirabandonnée?Jet’aitoujoursaimémalgréletempsquifilaitentremesdoigts.Tuasgardécetteplaceaufondde

moncœurquepersonnen’ajamaispueffacer.Sais-tuàquelpointjet’aiaimé?Jamaistonsourirenes’effaçademamémoire.Jelegardeprécieusementcommeuneempreinteindélébileancréedansmonâme.Tatendresseettonaffectionmanquèrentàchaqueobstaclequelaviedressadevantmoi,maisjelesaivaincus,grâceàtonauraquim’enveloppaetm’aidaàsurmontertouteslesépreuves.Matthew, je t’aimais tellement…Plus quemoi-même. Tu étais toutema vie. Jamais, je n’aurais

imaginé que l’on puisse aimer avec autant de passion et de force par-delà les années. Commentaurais-jepudonnermoncœuràunautre?Toiquichangeasmavieàtoutjamaisenouvrantmacageet enme rendant ma liberté. Tum’as offert le plus beau des cadeaux, notre fille, Amy… Ses yeuxemplisdetendresse,l’humourdébordantetsonindéfectiblejoiedevivremerappellenttousnosfousriresinsouciants.Oui,elleteressemble,monamour.Elleestcourageuse,bienveillanteetattentionnée,toutcommetul’étaisàl’époque.

Oùes-tu?Penses-tuencoreàmoi,ànosmomentsprivilégiéssouslalueurduphareetdesétoiles?J’attendsdepuistoujourscettefinheureusequetum’astantpromise.Jem’interdisdebaisserlesbrasetd’arrêterdecroireennotredestinée.Tumereviendrasunjour.Quand?Jel’ignore,mais,cejour-là, jecourraivers toi,etpersonnenepourranousempêcherd’êtreenfinheureux jusqu’àceque lalumières’éteignepourmoi…Écrirecettehistoire,notrehistoire,c’étaitinsufflervieàmessouvenirs…Tepermettredecontinuer

àvivreàtraversmesmotsettegarderdansmoncœur.Tomm’adétruite.Ilasaccagémesrêvesd’enfantetdérobémoninnocence.Toi,tum’assauvéla

vie… Jamais, je ne pourrai l’oublier. Je vais bientôtm’éteindre,mon amour, et j’aimerais que tonvisageillumineencoreuninstantmoncœuravantlegranddépart.Jet’aime,Matthew.Tuvisdansmoncœuràtoutjamais…Va,petitemouettedeMarshallPoint!Parsàsarencontreetapporte-luicetoutderniermessage…

Jegardel’espoirdelevoir,avantdesombrerdanslesommeildontonneseréveillepas…HopeObrien

Sansmeregarder,monpèreserelève,marcheendirectiondesvaguesetlèvelesbrasverslecielensecouantlalettre.

—Nooooooon!Pourquoivousacharnez-vouscontreelle?!Paselle,noooooon!MonDieu,pasmaHopeadorée,hurle-t-ilverslecielentombantàgenouxsurlesablefin.

Il souffre de tout son être, dévasté par la terrible nouvelle. Je me relève et vais le rejoindre.Accroupieprèsdelui,jeleprendsdansmesbrasetnouspleuronstoutnotredésespoir.Puisjel’aideàserelever.Monpèreplied’unemain tremblante la lettredemamanqu’ilglissedans sapochearrière. Ilreprendsesesprits,inspireprofondémentetmedemanded’unevoixécorchée:

—Oùest-elle?—Elledoitsortirdel’hôpitalcesoirafinde…Jemeretourneetposemesmainssurmabouchetantladouleurestvive.Ellevanousquitter…Mon

pèrepassesesbrasautourdemesépaulesetmeserrecontreluienmemurmuranttendrementàl’oreille:—Allonscherchermaman,machérie.Elleaunefinheureuseàécrire,etjeveuxêtreàsescôtés…Nousrestonsunmomentl’unprèsdel’autre,commesinousnousconnaissionsdepuistoujours.Jene

suispas la filled’unbourreau,maisd’unhonnêtehommequi auraitdonné saviepour la femmequ’ilaime.Lamêmepersonnequisauvamavielorsquej’avaisàpeinequatreans…

-4-

JasonWalker-Cry

HôpitaldePortClydeLundi18mai201517h37

Hope

Monsouffles’accélère,quesepasse-t-il?Moncœurbatsifortetsivitequejenepeuxencontrôlerlespalpitations. J’ai l’impressionque toutmoncorps revientà lavie.Cettedoucechaleur remontedemespiedsjusquedansmonventre.Jesecouenerveusementlatête,etmeredressesurmonlit.C’estunemerveilleuse journée et les rayons du soleil qui traversent les petits carreaux dema fenêtre caressenttendrementmonvisage.Jemesurprendsàsourireàunemouettequivientdeseposersurleborddelafenêtreetquimecontemple.

Je repousse les couvertures etme lèved’unpas instable. Jedoism’aiderde la cannequ’Amym’aapportéeafindepouvoirmedéplacer,sansmeretrouverlesfessesparterre.Jegrimaceenmesouvenantdecejouroùj’aieul’impressiond’êtreunevieillefemmelorsquemafillemel’atendue..Maisilestvraiquej’enaiparfoisbesoinpourmetenirenéquilibreetdéambulerdanscettechambre.

Jem’approchedelafenêtre.Lamouetteadécidédem’accorderquelquesminutesdesacompagnie.Jeposemonfrontcontrelavitreréchaufféesouslesrayonsdusoleiletmonregardcroiseceluidecepetitoiseau.EllemerappellelesmouettesdupharedeMarshallPoint…Est-ellelàpourmefairecomprendrequelque chose ? A-t-elle un message en retour à me délivrer ? Je penche la tête et lui sourischaleureusement.

—Bonjour toi,petitêtrede lumière.Commentvas-tu?Il faitbeauaujourd’hui, tune trouvespas?C’estunemerveilleuse journéeet j’aimerais tantallermebalader sur lepontafinde tevoir t’envoleravectescompagnons.J’aitoujoursaiméentendrevoscriss’éleverdanslecieletDieusaitcombiendefoisilsontapaisémespeurs…As-tureçumesdernièrespenséesdusoir?L’as-turetrouvé,majolie?

Ellerestelà,àmedévisageravecsespetitsyeuxronds.Lorsquesoudain,onfrappeàlaporte.Jeme

retourne.Moncœur tambourinedansmapoitrineetmacannes’agite sous le tremblementdemamain.Quem’arrive-t-il?

Onfrappeunenouvellefoisàlaporte,cettefoisavecplusd’entrain.—En…trez…,dis-jed’unevoixsaccadée.Laportes’ouvrelentementdevantmoi.Non!C’estimpossible!Jelaissetomberlacanneausol,etjoinsmesmainssurmabouche.LevisagedeMatthewm’apparaît

souslesrefletsdusoleil.—Jedoisrêver…Tuesunmiragequivientd’apparaîtrelà,devantmoi…Matthew?C’estbientoi?Les larmesmemontent aux yeux et je ne peux contrôler l’émotion qui s’empare de toutmon être.

Matthewrestesurlepasdelaporte,àmesouriretimidement.Puisillarefermederrièreluiets’avancelentementversmoi,unemaincachéederrière sondoset l’autrequ’il tenddroitdevant lui commes’ilvoulaitmetoucherduboutdesesdoigts.

—Hope…MaHopeadorée…Monamour,tum’asattendutoutcetemps…—Matthew…J’attrapesamain.Nousnouscherchonsencoreaprèsquaranteans.Nosdoigtss’entrelacentetjesens

encorecetteélectricitépasserentrenous.Toutl’amourquenouséprouvionsl’unpourl’autren’acessédecroîtrecesdernièresannéesetvoilàenfinlefruitdenotreinterminablepatience,notreamourestbeauetbienréel…Ilnenousajamaisquittés…

Laportede lachambres’ouvre lentementetmesamiesde toujours,RoseetEmmaentrentdansmachambre, suivies d’Amy et d’une jeune femme enceinte. Elles se tiennent par la main et se sourientaffectueusement.Sansfairelemoindrebruit,ellesrestenttouteslesquatreàl’écartànouscontempler.

—Ilssonttropmignons…,chuchoteEmmaquigloussecommeunecollégienne.Jelèvelesyeuxaucieltantelleesttoujourscettejeunefilleécerveléedevingt-ansmalgrésonâge.

Matthewmetendunbouquetdefleursqu’ildissimulaitderrièresondos.—Tun’aspaschangé…,dis-jeenriant,intimidéedevanttantdegalanteriedesapart.Toujoursaussisurprenantetincroyablementromantique.Cesontdesrosesblanchesetrosesquej’ai

égalementdansmaroseraie.Jelesattrape,etlesapprochedemonvisage.Leurparfumestenivrant…Jefermelesyeuxpourleshumerdetoutmonêtre.

— Elles viennent de mon jardin, ma puce. J’espère qu’elles te plaisent ? me demande-t-il ens’approchantdemoi.

—Oui,ellessontmagnifiques,réponds-jeàboutdesouffle.JeremarqueimmédiatementlabagueauxXIIchapitresquiscintilleencoreàsondoigt.—MonDieu…Matthew…Jenesuisplusmaîtredemonproprecorpsenalertedevantcethommequej’aiattendutoutemavie.

Jadis,jesentaisexactementlesmêmessensationsàsoncontact.Lespapillonsdansleventre,lesjambes

quitremblaient,mabouchequin’arrivaitplusàprononcerunseulmot…Aujourd’huiencore,ilremueenmoidesémotionsquejen’arrivepasàdécrire,tantellessontfortes.Sesyeuxontcettemêmelueuretseslèvressoyeusesmerappellentnosbaiserstorridessurleperrondesamaison,notremaison.Certes,sescheveuxsontgrisésparl’âgeetsapeaumarquéeparlesannées,maisilestrestélebelhommequej’airencontréàl’âgededix-neufans.Grand,fort,ettoujoursaussiattirantetcharmant.

—Tuesmagnifique…Tun’aspaschangé,mesusurre-t-iltendrementens’approchantencore.—Oh,arrête…Jesuisvieilleetridée.Regarde-moi,dis-jeenluimontrantdelamainmonvisage.Meprenantaudépourvu,commeilsavaittantlefaire,Matthewéclatederire,unemainposéesurle

ventre.Jerestedéconcertéeparsasoudaineattitude,sanssavoirquedire.—Excuse-moi,Hope.Maislorsquetuavaisvingtansettoutestesdents…Jeletapeaussitôtdelamainsursonbrasenfronçantlabouche.Jedoismecontenir,carilm’arrache

déjàunsourire.Matthewseraclelagorge,etajouted’unevoixmielleuse:—Bref,toutçapourtedirequ’àvingtans,tunetetrouvaispasjolienonplus.—Etc’étaitvrai!Jen’étaispaslegenredefillesquetu…—Tues laplusbelle femmequ’ilm’aitétédonnéde rencontrerdansmavie,Hope,mecoupe-t-il

aussitôtd’unevoixpleinedesensualité.Matthewattrapeunemèchedecheveuxqu’ilglissetendrementderrièremonoreille.Ilmecontemple

etmesondedesonregardtroublant,étincelant.Jepeuxsentirtoutesonaffectionettoutsonamourdanscesimplesourire.

—Hope…Intimidée, je reculed’unpasetdépose les fleurs sur lepetitbureauqui se trouveàmadroite. J’ai

besoindequelquesinstantspourmeremettredemesémotions.Face à la fenêtre, je me rends compte que la mouette est toujours là, spectatrice muette de nos

retrouvailles après plus de trente ans.Matthew s’approchedemoi etm’entourede ses bras comme ilavaitpourhabitudedelefaireàl’époque.Ilpenchesonvisageverslemienetmesouffletendrementàl’oreille:

—Jet’avaispromisdetedonnerunefinheureuse,monamour…—Ettuviensdelefaire…Lamouetteprendsonenvoldanslecielbleudecemoisdemai.Nouslaregardonsdéployersesailes

et son cri harmonieux nous rappelle tant de merveilleux souvenirs. Elle rejoint certainement sescompagnonsderouteprèsduphare,etjen’attendraipasuneminutedeplusdanscettechambre.Maplaceestàlamaisondelaplageavecmafamille,cellequej’aiconstruiteavecMatthew.

—Regarde-moi,Hope.Laisse-moiànouveauentrerdanscemondebienàtoi.Jemeretournefaceàlui.Soncorpsfrôledélicatementlemien.Serrésl’uncontrel’autre,nousnous

regardonsdansleblancdesyeux,toutennoussouriant,heureuxdenousêtreenfinretrouvés.

—Je t’aime,HopeObrien. Je t’ai toujours aimée, et ce, tout au longdemavie. Jamais jen’ai puoublier cette jeune fille de dix-neuf ans qui a bouleversé mon existence pour toujours. Tu es restéeinlassablementici,dansmoncœur.Ettuleresteraspourl’éternité…

—Ilt’aurafalluquaranteanspouroserm’avouercombientunepeuxtepasserdemoi,memoqué-jegentimentdelui.

—Ouais…,dit-ilsimplement.—Jet’aimeaussi…—Etmoi,encoreplusqueça,ajoutenotrefille.Quanddespersonnesonttellementcomptépournous,ilslaissentcetteempreinteindélébiledansnotre

existence.Jepensequelasiennelerestera,àtoutjamais…Matthewmesouritetdéposeunbaisersurmeslèvres,puisunautreetunautreencore.Sesbaisersm’onttellementmanqué.Jamaisaucunautren’apuleségaler.Ilaétél’uniquehommeàmefairesentiraussivivanteetunique.Ilestmatendremoitié,monâmesœur.Et,aujourd’hui,j’ailacertitudequ’ilétaitmadestinée…

Épilogue

-ÀHOPE-

SarahMcLachlan–Angel

PortClydeMercredi23septembre2015

Matthew

J‘ai cherché toutemavie à vivre une histoire d’amour digne de celle que j’avais vécue avec elle.Maiscommentcelaétait-ilpossible?Nousnepouvonsvivredeuxfois,unehistoireaussiintenseetaussiprofondeque lanôtre.Chaque instantpasséensembleétaitunpurbonheuretunebénédictionduCiel.Chacund’euxm’agrandi,nourriet rendumeilleur. Jen’aipas toujours fait lesbonschoixavecHope,maislorsquenoussommesjeunes,nouspensonsavoirtoutelaviedevantnous.Pourtant,ellefilesiviteentrenosdoigts,qu’unmatin,nousnous réveillons trenteansplus tardet sans l’êtreaiméànoscôtés.Dieu,quemonréveilaétébrutallorsquemafilleestvenuemeretrouveraveccettelettrequimelibéra,maisquimebrisaaussitôtlecœur.Hopeallaitnousquitteràtoutjamais.Commentsurvivreàlapertedel’amourdesavie?

Hopedisaitquej’étaiscapabledecernerenellecequ’elle-mêmeétaitincapabledevoir.Maissavait-elleaumoinscombienelleabouleversé,elleaussi,monexistence?Jel’aicherchéeetcroiséetoutemavie, sans jamaispouvoir lagarderauprèsdemoi.Luiai-jeassezditetprouvé tout l’amourque je luiportais ?Dieu nous a permis d’être enfin réunis, et je suis persuadé qu’elle étaitma destinée depuistoujours.Hopeetmoiétionsliésetfaitspournousretrouverendépitdutempsquipassait.

Lesmédecinsnousavaientditqu’aucunmiraclen’étaitpossibledanssonétat.C’estpourtantcequiseproduisit.Hopevécutencoreplusieurssemainesànoscôtés.J’aiessayéderéaliserchacundesesrêvesd’enfant.Lepremieraétéd’échangernosbaguesauxdouzechapitresdevantlePèreBernardo.Elleétaitunangedanssarobedesoieblanche,lorsque,aidéedenotrefille,elleaempruntél’alléedenotreéglise.LedeuxièmeaétédepubliersonlivreMyDestiny.Dieuqu’elleétaitheureuselorsqu’elleaputeniretserrersonouvragecontresoncœurcommesiunepagesetournait!Elleatenuàcequetouslesbénéficessoientversésàuneassociationappelée:HopeObrien.Ellepermetauxfemmesdetrouverunfoyeretun

refugelorsquecesdernièressontvictimesdemaltraitancephysiqueetpsychologique.Hopeétaitsifièred’elleetrespiraitlajoiedevivre.Elleabeaucoupri,beaucouppleuréaussi,puis

s’estéteinteunenuitd’étéoùlabrisecaressaitsondouxvisage.Là,oùdansmesbras,blottiecontremoncœur,lesiencessadebattreàtoutjamais.Elleestpartieenpaixavecelle-même,heureused’avoirenfintrouvélebonheur.

Noscorps,nosâmesperduesont finipar se retrouver aprèsun longvoyagequi les a séparés àdenombreuses reprises.Mais leDestin, lui,nous ramena inlassablement l’unvers l’autre.Monamour, jet’aidonnécettefinheureusequejet’aitantpromise.Jesuissifieretsiheureuxd’avoireulachancedeterencontrer,d’avoirpartagéavectoicecourt,délicieuxetintensemomentquinousfutfinalementalloué.Tuvasterriblementmemanquer,maisjesaisqu’unjour,nousnousretrouverons.

J’emprunte le petit sentier qui mène sous le phare. Le soleil brille de tout son éclat. C’est unemerveilleuse journée pour lui dire un tout dernier au revoir jusqu’à ce que nous nous retrouvions ànouveau,un jour. Jemarche sur les rochers jusqu’à l’eauenme remémorantnosmomentsdebonheur,notreamouretcetespoirquenousavonstoujoursgardéaufinfonddenoscœurs.

—Jet’avaispromisunedernièrechose,ilyadeçaquelquesjours.Tuvois,j’aitenumapromesse…,dis-jeenouvrantl’urneauxcouleursdel’océan.

Jemepencheafindeversersescendresdansl’eau.Ici,danscetendroitquiluiétaitsicher,jesaisquesonâmepourracontinuersonvoyageenpaix.

Jet’aime,Hope.Jet’aiaiméeetjet’aimeraitoujours.Àbientôt,mondouxamour…Attends-moiàtontour,là-haut,danslescieuxparmilesanges…

MatthewCole,tonmariquit’aime…

-Stefany-

SarahMcLachlan–Angel

ParisSeptembre2016

Madernièrepenséedusoir:

Malgrétoutescesannées,jecontinueàpenseràtoi,ànous…Mais,aujourd’hui,tunefaispluspartiedemavie.Néanmoins,jeresteaccrochéeàtonsouvenir.Jepenseque«l'amour»quivitencoreaufonddemoncœurestsimplementl'affectiond'undouxsouvenird'autrefois...Jel’aifait…J’aitenumapromesseenpubliantnotrehistoire…Lorsquej’airetrouvéMyDestiny

aufondd’untiroir,untourbillondesentimentsm’ahappéedel’intérieur…C’étaittoutl’amourquenousavionspartagéensemblequifaisaitencoredessiennes…Tudois tedemanderpourquoi j'aidonnémoi-mêmeune finheureuseàmon livre?Tudisaisque

nousnousretrouverionsun jour,mêmesic’étaità l’âgede90ans…Mais l’attentemeconsumaitàpetitfeu,etilm’étaitvitaldecontinueràsuivremaroute,mêmesic’étaitsanstoi…J’airetrouvélalumièreetl’espoir.Jesuisheureuseauprèsdesmiens,maisjetenaisàteremercierdem’avoirsauvélavieetdem’avoirpermisd’aimeravecautantdesincéritéetdepassion.Combiendepersonnesontlachancederencontrerunjourleurâmesœur?Mesfidèleslecteurscomprendront:—MonDieu,c’étaitdoncelle!Ehoui,Hopeetmoisommesuneseuleetmêmepersonne.Oupresque…JetenaisàajouterqueMyDestinyaétéromancé,retravailléàpartirdemonmanuscritoriginal

afindedonnerunefinheureuseàmonhistoire.Jeneveuxpasquel’ons’apitoiesurmonsortouquel’on éprouve de la peine à mon égard. Je ne permettrai à personne de soulever une quelconquecritique…Ilestbientropfaciledeporterunjugementsurquelqu’unlorsquenousn’avonsjamaisétéàsaplace.Bienmalheureusement, jenesuispas laseule femmeaumondeàavoirvécudeschosesaussi terrifiantes. Il en reste beaucoup d’autres qui meurent encore sous les coups de leurscompagnons.Ilfautquecelacesse!Heureusement,j’airetrouvélapaixetjesuisàprésentheureuse.

J’airetrouvél’espoirquimefaisaittantdéfautaprèslapertedeMatthew…Vousmedemanderezalors:—Est-cequetouslesmomentsmerveilleuxqu’ilsontpartagéssontvrais?Jevousrépondraisimplementceci:—Monmanuscrita été romancédemanièreà luidonnercette finheureusequ’ilattendaitdans

l’obscuritéd’untiroirdepuisdelonguesannées…Lavérité,seulmoncœurlaconnaît…Jeveuxlaisserplanerunepartdemystèreet imaginerque

Hope&Matthewpuissentréellementavoireuleurfinheureuse…J’espèrequeMyDestinyvousauratouchéetouvertlesyeux…Lavieestbelle,neperdezjamaisespoir!QuantàtoiMatthew,sachequej’aiachevénotrehistoireafinquejepuisseenfinretrouverlapaix

intérieure et ainsi refermer définitivement mon cahier aux tons dorés… J’espère que là où tu tetrouves,tuconnaisenfinlebonheur…Jamaisjenet’oublierai…

Oùquetusois,jepenseraitoujoursàtoi…

Stefany,taHopeadorée…

-Fin-

Remerciements

Jetenaisàremerciertouteslespersonnesquimesontchères,toutescellesquim’ontsoutenuelorsdelaréécrituredeladeuxièmepartiedeMyDestiny.Celan’apasétéfacile,maisjesuisarrivéeauboutducheminquejem’étaisfixé:tournerlapageetsuivremaroute.Un grandmerci à Daria, mon attachée de presse et amie qui me soutient envers et contre tout

depuisplusd’unan.Jet’aimemadouce.ÀmatitinedéjantéeetmaMaïtéd’amourquionttoujoursune pensée amicale et pleine de tendresse pour moi lorsque mon cœur vacille. Je vous aime, mesamoureuses!ÀSonia,malivrothérapie,uneamiechèreàmoncœuretquiarejointnotreéquipededéjantées!Iloveyou!Àmamaisond’éditionReines-Beauxquimesoutientetmerenouvellechaquejoursaconfiance.ÀAnne,macorrectriceavecquij’aiprisénormémentdeplaisiràretravaillerpourcederniertomedeMyDestiny.Àmafamilleetsurtoutàmonmari(jet’aime!)quiontcomprisetrespectéunenouvellefoismon

choixetcebesoinquej’aieudepubliermesécritsainsiquemonhistoire.Àmeslecteursquej’embrassebienfortetquisontunpiliersolidedansmacarrièred’écrivain…

La«Hope»quihabitemoncœuràjamaisn’auraitjamaisimaginéqu’unjour,ellepuissevivredesapassion…JevousaimeetjevousdoisTOUT♥Je tenais à laisser ici unmessage tout particulier àmon amie d’enfance,mamoitié,mon demi-

cerveau:CélineLangenove.Elleaétémonroccesdernièresannées,présenteàchaquemomenttristecommeheureuxquej’aiputraverser.Grâceàelle,j’aiétéauboutdemonprojetfoudepubliercettehistoire…Enhommageà notre amitié et à tout l’amour que je lui porte, je tenais à partager avecvous,afinqu’ilresteàjamaisgravésurmonlivre, le toutderniermessagequ’ellem’aenvoyé.Elleétait si heureuse de savoir que j’avais enfin pu tourner la dernière page de mon cahier aux tonsdorés…Jenevouscachepascombiensonmessagem’abouleversé…

«Tu y es arrivéema chérie, tu l’as fait.MyDestiny a été écrit. Toi qui avais peur de ne pas yarriver,denepaspouvoirtereplongerdedans…Lepremiertomeaétépubliéetlesecondvavoirlejourdanspeudetemps.Tun’imaginesmêmepascombienjesuisfièredetoi,detonparcours,detoncourage, de ta détermination, pour t’être battue pour retrouver la joie de vivre et avoir trouvé lebonheurauprèsdestiens.Aujourd’hui, pour avoir surpassé toutes tes angoisses, toutes tes questions, tes doutes et

particulièrementpouravoirétéauboutdeceprojetquetunepensaispaspouvoiraccomplir,jesuisfièreetheureused’avoirétéetd’êtrelàauprèsdetoichaquejourdepuisplusd’unan…Etlorsquetudouterasencoredetoi(car,soyonsréaliste,ilt’arriveraencoredenepascroireentoi,n’est-cepas?)

ehbien,jeserailàpourteredonnerducourage,pourtedireàquelpointtesécritssontmerveilleuxetàquelpointj’aimeterelire.Surtoutnosfousriressurcertainescorrections…Toutçapourconclureque je suisvraiment,maisalorsextrêmement fièrede toi.Fièred’être ton

amie,etce,depuisquoi?Non,finalementnousn’allonspascompterhein?(Rires…)Etfièredefairepartiedecettefolleaventuredanslaquelletum’asentraînéeavectoi,detavie.Toutcommetoiquifaispartiedelamienne…Jet’aime,madouce…Soisheureuse,c’est toutceque je tesouhaite…Tondemi-cerveau,Céline

Langenove…»

Jevousdisàtrèsbientôt!

StefanyThorne

Prochainement

10sinonrien!

Dumêmeauteur

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