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Etudes sur la personnalité autoritaire

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  • Etudes sur la personnalit autoritaire

  • DU MME AUTEUR AUX DITIONS ALLIA

    Le Caractre ftiche dans la musique

    Sur Walter Benjamin

    THEODOR W. ADORNO

    Etudes sur la personnalit autoritaire

    Traduit de langlais parHLNE FRAPPAT

    EDITIONS ALLIA

    , RUE CHARLEMAGNE, PARIS IV e

  • TITRE ORIGINAL

    Studies in the Authoritarian Personality

    Les Etudes sur la personnalit autoritaitre ont t publies dans : Theodor W.

    Adorno, Gesammelte Schriften II, d. Rolf Tiedemann assist de Gretel

    Adorno, Susan Buck-Morss et Klaus Schultz, Bd. ..

    Ce texte fait partie de : T. W. Adorno, Else Frenkel-Brunswik, Daniel J.

    Levinson et R. Nevitt Sanford, The Authoritarian personality, vol. , extrait

    de Studies in Prejudice, dit par Max Horkheimer et Samuel H. Flower-

    mann (Studies Series : publication n III). New York, Harper and Bro-

    thers, . Seuls apparaisent ici les chapitres crits par Adorno, seul ou

    en collaboration.

    Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, .

    Editions Allia, Paris, pour la traduction franaise.

    CHAPITRE I

    INTRODUCTION

    A. LE PROBLME

    LA recherche laquelle nous nous rfrons dans ce volume at guide par lhypothse principale suivante : les convictionspolitiques, conomiques et sociales dun individu formentsouvent un modle vaste et cohrent, comme si elles taientrelies par une mentalit ou un esprit, et ce modle estlexpression de tendances profondes dans sa personnalit.Nous nous sommes principalement occup de lindividu

    potentiellement fasciste, cest--dire dun individu dont la struc-ture est propre le rendre particulirement rceptif la pro-pagande antidmocratique. Nous disons potentiellementparce que nous navons pas tudi dindividus qui taientouvertement fascistes, ou qui appartenaient des organisa-tions fascistes connues. A lpoque o nous avons recueilli laplupart de nos donnes, le fascisme venait de perdre la guerreet, par consquent, nous ne pouvions pas nous attendre ren-contrer des sujets qui sy seraient ouvertement identifis ;cependant nous nemes pas de difficult trouver des sujetsdont la vision du monde tait de nature indiquer quilsauraient t prts accepter le fascisme au cas o il seraitdevenu un mouvement social puissant ou respectable.En nous concentrant sur le fasciste potentiel, nous navonspas lintention daffirmer que dautres modles de personna-lit et didologie ne pourraient pas tre tudis avec profitde la mme manire. Nanmoins, notre opinion est quau-cun courant politico-social ne reprsente une plus gravemenace pour nos valeurs et nos institutions traditionnellesque le fascisme, et que la connaissance des forces de la per-sonnalit qui favorisent son acceptation peut, en dernireanalyse, se rvler utile pour le combattre. On pourrait sedemander pourquoi, si nous dsirons explorer de nouveauxmoyens de lutte contre le fascisme, nous naccordons pasune gale attention lanti-fasciste potentiel. Notre

  • rentes chez des individus diffrents, et les mmes besoinspersonnels peuvent sexprimer travers des tendancesidologiques diffrentes.Le terme idologie est utilis dans ce livre au sens com-mun que lui confre la littrature courante, autrement dit ildsigne une organisation dopinions, dattitudes et devaleurs une manire de penser concernant lhomme et lasocit. Il est possible de parler de lidologie totale dunindividu ou de son idologie par rapport diffrentessphres de la vie sociale : politique, conomie, religion,groupes de minorits, etc. Les idologies ont une existenceindpendante de lindividu singulier, et les idologies exis-tant une poque donne sont le rsultat la fois de pro-cessus historiques et dvnements sociaux contemporains.Ces idologies prsentent, pour des individus diffrents,des degrs diffrents dattraction, variables selon lesbesoins individuels et le degr selon lequel ces besoins ontt satisfaits ou frustrs.Il existe sans aucun doute des individus qui accueillentdes ides provenant de plus dun systme idologique exis-tant, et qui les brassent lintrieur de modles leur appar-tenant plus ou moins en propre. Toutefois, il est possibledaffirmer que lorsquon tudie les opinions, les attitudes etles valeurs dun grand nombre dindividus, on dcouvre desmodles communs. Ces modles pourront ne pas corres-pondre dans tous les cas aux idologies familires, cou-rantes, mais elles rempliront la dfinition de lidologiedonne plus haut et, dans chaque cas, elles auront une fonc-tion au sein du processus gnral dadaptation de lindividu.Dans la prsente recherche sur la nature de lindividupotentiellement fasciste, nous avons commenc par concen-trer notre attention sur lantismitisme. Les auteurs, enaccord avec la plupart des chercheurs en sciences sociales,considrent que lantismitisme se fonde plus largement surdes facteurs inhrents lindividu et sa situation totale quesur des caractristiques relles des Juifs, et quil est possiblede rechercher les lments dterminants des opinions et desattitudes antismites lintrieur des personnes qui les expri-ment. Dans la mesure o cet accent mis sur la personnalit

    rponse est que nous tudions, certes, les tendances quisopposent au fascisme, mais sans considrer quelles consti-tuent un modle unitaire. Lun des rsultats fondamentauxde la prsente tude est que les individus qui se rvlentextrmement sensibles la propagande fasciste ont beau-coup de choses en commun. (Ils tmoignent de nombreusescaractristiques qui, prises ensemble, forment un syn-drome, mme si lon peut distinguer des variations typiques lintrieur de ce modle principal.) Les individus qui sesituent lextrme oppos sont bien plus diffrencis. Latche consistant diagnostiquer le fascisme potentiel et tudier ses dterminants exigeait des techniques conuesspcifiquement dans ce but ; on ne pouvait pas sattendre ce quelles soient pareillement utilisables sur dautresmodles varis. Nanmoins, il tait possible de distinguerplusieurs types de structure de la personnalit qui sem-blaient particulirement rsistantes aux ides antidmocra-tiques, et nous leur accordons notre attention dans leschapitres suivants.Si un individu potentiellement fasciste existe, quoi, pr-cisment, ressemble-t-il ? Quest-ce qui contribue formerla pense antidmocratique ? Quelles sont les forces orga-nisatrices lintrieur de la personne ? Si une telle per-sonne existe, dans quelles proportions existe-t-elle dansnotre socit ? Et si une telle personne existe, quels en ontt les facteurs dterminants et quel a t le cours de sondveloppement ?Telles sont les questions que la prsente tude sest pro-pose dlucider. Bien que lide selon laquelle lindividupotentiellement antidmocratique est une totalit puissetre accepte comme une hypothse plausible, elle requiertune analyse initiale. Dans la plupart des approches du pro-blme des types politiques, on peut distinguer deuxconceptions essentielles : la conception de lidologie et laconception des besoins sous-jacents de la personne. Mmesi lon peut concevoir ces deux conceptions comme for-mant une totalit organise lintrieur de lindividu, ellespeuvent cependant tre tudies sparment. Les mmestendances idologiques peuvent avoir des origines diff-

    INTRODUCTION TUDES SUR LA PERSONNALIT AUTORITAIRE

  • examiner, sur une priode de temps raisonnable, les nom-breuses attitudes et ides qui forment une idologie ? Il estvident quil faut oprer une certaine slection. Le cher-cheur doit se limiter ce qui est le plus significatif, et lonne peut en juger que sur la base dune thorie.Les thories qui ont guid la prsente recherche serontprsentes par la suite dans le contexte appropri. Bien queles considrations thoriques aient eu leur importance chaque tape du travail, il nous fallait commencer parltude objective des opinions, des attitudes et des valeursles plus observables et relativement spcifiques.Les opinions, les attitudes et les valeurs, au sens o nousles concevons, sont traduites plus ou moins ouvertement enmots. Psychologiquement elles sont situes la surface. Ilfaut cependant reconnatre que lorsquon aborde des ques-tions forte charge motive comme celles qui concernentles minorits et les problmes politiques actuels, le degrdouverture avec lequel une personne sexprime dpendrade la situation dans laquelle elle se trouve. Il peut y avoirune divergence entre ce que cette personne dit une occa-sion particulire et ce quelle pense rellement. Bienentendu elle peut exprimer ce quelle pense rellement loccasion dune discussion confidentielle avec ses amisintimes. Tout cela, qui est encore relativement superficieldun point de vue psychologique, peut tre observ directe-ment par le psychologue sil utilise des techniques appro-pries ce que nous nous sommes proposs de faire.On doit nanmoins admettre que lindividu peut avoirdes penses secrtes quil ne rvlera en aucun cas per-sonne sil peut lviter ; il peut avoir des penses quil neveut pas admettre ses propres yeux, et il peut avoir despenses quil nexprime pas parce quelles sont si vagues etinformes quil ne peut les traduire en mots. Laccs cestendances plus profondes est particulirement important,car cest l, prcisment, que peut rsider le potentiel delindividu pour la pense dmocratique ou antidmocra-tique dans des situations cruciales.Ce que disent les gens et, un moindre degr, ce quilspensent rellement dpend trs largement du climat dopi-

    exigeait de concentrer notre attention sur la psychologie aulieu de la sociologie ou de lhistoire bien quen dernireanalyse ces trois aspects ne puissent tre spars quartificiel-lement il ntait pas possible dexpliquer lexistence didesantismites au sein de notre socit. Nous nous sommesdonc plutt pos la question suivante : comment se fait-ilque certains individus acceptent ces ides, et dautres non ?Et puisque, ds le dbut, notre recherche tait guide par leshypothses nonces plus haut, nous avons suppos () quelantismitisme nest probablement pas un phnomne sp-cifique ou isol mais quil fait partie dun schma idolo-gique plus vaste, et () que la rceptivit dun individu cette idologie dpend avant tout de ses besoins psycholo-giques.Les intuitions et les hypothses propos de lindividu anti-dmocratique que lon entend souvent formuler dans notreclimat culturel gnral doivent tre soutenues par un grandnombre dobservations prcises, et dans de nombreux caspar la quantification, si lon veut quelles aient une valeurconclusive. Comment peut-on affirmer avec certitude queles nombreuses opinions, attitudes et valeurs exprimes parun individu forment rellement un modle cohrent ou unetotalit organise ? Il semble ncessaire de mener lenqutela plus pousse possible sur cet individu. Comment peut-onaffirmer que les opinions, les attitudes et les valeurs rencon-tres chez des groupes de gens sassemblent pour former desmodles, certains dentre eux tant plus communs que dau-tres ? Lunique manire adquate de procder consiste mesurer rellement, au sein des populations, une largevarit de contenus de pense et dterminer, au moyen demthodes statistiques, lesquels sont associs.Aux yeux de nombreux psychologues sociaux, ltudescientifique de lidologie, telle quelle a t dfinie, sembleune entreprise dsespre. Mesurer avec la prcision ad-quate une attitude singulire, spcifique, isole impliqueune dmarche longue et ardue autant pour le sujet quepour lexprimentateur. (On soutient frquemment qumoins que lattitude ne soit spcifique et isole, on ne peutpas du tout la mesurer.) Comment, ds lors, peut-on esprer

    INTRODUCTION TUDES SUR LA PERSONNALIT AUTORITAIRE

  • Il y a apparemment peu de raisons de douter que lidolo-gie en tant que disposition (la rceptivit idologique) etlidologie exprime en mots et en actes sont essentiellementla mme chose. La description de lidologie totale dunindividu doit reflter non seulement lorganisation chacunde ses niveaux mais aussi lorganisation parmi ses niveaux.Ce que dit constamment lindividu en public, ce quil ditlorsquil se sent labri de la critique, ce quil pense mais nedit pas du tout, ce quil pense mais ne veut pas admettrepour lui-mme, ce quil est dispos penser ou fairelorsquon ly incite de diverses manires tous ces phno-mnes peuvent tre conus comme constituant une struc-ture unique. La structure peut ne pas tre intgre, elle peutcontenir des contradictions ou des incohrences, mais elleest organise au sens o les parties qui la constituent sont cor-rles dune faon psychologiquement significative.Une thorie de la personnalit totale est ncessaire si lonveut comprendre une telle structure. Selon la thorie qui aguid la prsente recherche, la personnalit est une organi-sation plus ou moins stable de forces inhrentes lindi-vidu. Ces forces persistantes de la personnalit contribuent dterminer la rponse dans des situations varies, et cestdonc en grande partie ces forces que lon doit attribuer lacohrence verbale ou physique du comportement. Maisle comportement, mme cohrent, diffre de la personna-lit ; la personnalit rside derrire le comportement et lintrieur de lindividu. Les forces de la personnalit nesont pas des rponses mais une disposition la rponse ;quune disposition se manifeste ou non en expressionexplicite dpend non seulement de la situation du momentmais des autres dispositions qui sopposent elle. Lesforces de la personnalit inhibes se trouvent un niveauplus profond que celles qui sexpriment de manire imm-diate et cohrente travers un comportement manifeste.Quelles sont les forces de la personnalit et travers quelsprocessus sont-elles organises ? Pour la thorie concernantla structure de la personnalit nous nous sommes surtoutappuy sur Freud, tandis que pour une formulation plus oumoins systmatique des aspects plus directement observa-

    nions dans lequel ils vivent ; mais lorsque ce climat change,certains individus sadaptent eux-mmes beaucoup plus viteque dautres. En cas dune intensification marque de la pro-pagande antidmocratique, nous pouvons nous attendre ceque certaines personnes lacceptent et la rptent aussitt,dautres sy soumettant partir du moment o tout lemonde y croit, et dautres encore y demeurant totalementinsensibles. En dautres termes, les individus diffrent dansleur rceptivit la propagande antidmocratique, dans leurdisponibilit exhiber des tendances antidmocratiques. Ilsemble ncessaire dtudier lidologie ce niveau de dispo-nibilit pour pouvoir mesurer avec prcision le potentiel defascisme dans ce pays. Les observateurs ont not que laquantit dantismitisme dclar dans lAllemagne pr-hitl-rienne tait infrieure celle qui est prsente actuellementdans ce pays, mais on ne peut le dterminer qu travers unerecherche trs pousse, travers lanalyse dtaille de ce quise trouve la surface et lexploration prcise de ce qui setrouve en dessous.On peut se demander quel est le degr de connexion entrelidologie et laction. Si un individu se livre une propa-gande antidmocratique ou des attaques ouvertes contredes membres dune minorit, on considre gnralement queses opinions, attitudes et valeurs sont cohrentes avec sesactes ; mais on se console parfois en pensant que bien quunautre individu exprime des ides antidmocratiques enparoles, il ne les traduit pas ouvertement en actes, et nestpeut-tre pas dispos le faire. Nous retrouvons ici nouveaula question de la potentialit. Laction explicite, tout commelexpression verbale ouverte, dpend en une large mesure dela situation du moment que lon peut dcrire de manireplus adquate en termes socio-conomiques et politiques ,mais les individus sont trs diffrents en ce qui concerne leurdisposition tre pousss agir. Ltude de ce potentiel faitpartie de ltude de lidologie gnrale de lindividu ; laconnaissance des types et des intensits de croyance, des atti-tudes et des valeurs qui peuvent conduire laction, et laconnaissance des forces internes lindividu qui servent inhiber laction sont de la plus grande importance pratique.

    INTRODUCTION TUDES SUR LA PERSONNALIT AUTORITAIRE

  • giques oprant dans le pass de lindividu quils conti-nuent ou non agir dans le prsent. Afin dexpliquer cescorrlations, nous avons tudi les relations entre lidologieet la personnalit, lapproche gnrale considrant la person-nalit comme un facteur de mdiation des influences sociolo-giques sur lidologie. Une fois clarifi le rle de lapersonnalit, il devrait tre possible de mieux comprendrequels facteurs sociologiques sont le plus cruciaux et dequelle manire ils parviennent produire leur effet.Bien que la personnalit soit le produit de lenvironnementsocial du pass, elle nest pas, une fois son dveloppementatteint, un simple objet de lenvironnement contemporain.Le rsultat de son dveloppement est une structure lint-rieur de lindividu, capable dauto-initier une action sur len-vironnement social et de faire une slection par rapport auxstimuli varis engags dans ce processus, une structure qui,tout en tant toujours modifiable, est souvent trs rsistante un changement fondamental. Cette conception est nces-saire pour expliquer la cohrence du comportement dansdes situations extrmement varies, ainsi que la persistancede tendances idologiques face des faits contradictoires etdes conditions sociales radicalement altres ; elle permet decomprendre pourquoi des gens, dans la mme situationsociologique, ont des points de vue diffrents, voire opposs,sur des problmes sociaux, et pourquoi des gens dont lecomportement a t modifi par une manipulation psycho-logique retombent dans leurs vieilles attitudes, peine lesagents de la manipulation sont-ils supprims.La conception de la structure de la personnalit est lemeilleur moyen de se prvenir contre linclination attri-buer les tendances persistantes de lindividu un lmentinn, ou fondamental ou racial en lui. Lassertionnazie selon laquelle les caractristiques naturelles, biolo-giques dcident de ltre total dune personne naurait paseu, en tant quinstrument politique, un tel succs sil navaitpas t possible dindiquer de nombreux exemples dunerelative fixit du comportement humain, et de contredireavec succs ceux qui pensaient les expliquer sur une autrebase que la biologie. Sans la conception de la personnalit

    bles et mesurables de la personnalit nous nous sommesinspir avant tout de la psychologie acadmique. Les forcesde la personnalit sont originellement des besoins (pulsions,dsirs, impulsions motives) variables dun individu unautre en qualit, intensit, modes de gratification et objetsde leur attachement, et qui interagissent avec dautresbesoins selon des modles harmonieux ou conflictuels. Ilexiste des besoins motionnels primitifs, des besoins dvi-ter la punition et de conserver les bonnes grces du groupesocial, il existe des besoins de maintenir lharmonie et lin-tgration lintrieur du soi.Ds lors quon admet que les opinions, attitudes et valeursdpendent des besoins humains, et que la personnalit estessentiellement une organisation de moyens, alors la person-nalit peut tre considre comme un dterminant des prf-rences idologiques. Cependant on ne doit pas hypostasier lapersonnalit en tant que dterminant ultime. Loin dtre unedonne initiale qui demeure fixe et agit sur le monde environ-nant, la personnalit se dveloppe sous linfluence de lenvi-ronnement social et ne peut jamais tre isole de la totalitsociale lintrieur de laquelle elle se manifeste. Selon la pr-sente thorie, les effets des forces de lenvironnement sur laconstitution de la personnalit sont, en gnral, dautant plusprofonds quelles exercent trs tt leur influence sur lhistoirede la vie de lindividu. Les influences principales sur le dve-loppement de la personnalit surgissent au cours de lduca-tion de lenfant, dans lambiance de la vie familiale. Ce qui seproduit alors est profondment influenc par les facteurs co-nomiques et sociaux. Non seulement chaque famille qui tentedlever ses enfants se conforme aux modes des groupessociaux, ethniques et religieux auxquels elle appartient, maisdes facteurs brutalement conomiques affectent en outredirectement le comportement des parents lgard de leurenfant. Cela signifie que de vastes changements affectant lesconditions sociales et les institutions auront une influencedirecte sur les types de personnalits qui se dveloppent lintrieur dune socit.La prsente recherche se propose de dcouvrir les corr-lations qui existent entre lidologie et les facteurs sociolo-

    INTRODUCTION TUDES SUR LA PERSONNALIT AUTORITAIRE

  • dispositions se conduire dune certaine manire, le com-portement qui se produit dans la ralit dpendra toujoursde la situation objective. Lorsquil sagit denquter sur lestendances antidmocratiques, une description des condi-tions de lexpression individuelle exige une comprhensionde lorganisation totale de la socit.Nous avons tabli que la structure de la personnalit peuttre de nature rendre lindividu sensible la propagandeantidmocratique. Il faut maintenant se demander quellessont les conditions dans lesquelles une propagande de cetype pourrait augmenter en ton et en volume, et en arriver dominer la presse et la radio, lexclusion des stimuliidologiques contraires, si bien que ce qui est aujourdhuipur potentiel se manifesterait activement. Il faut chercherla rponse cette question non pas dans une personnalitsingulire, ni dans des facteurs de personnalit qui se ren-contrent dans la masse de la population, mais dans des pro-cessus luvre au sein de la socit elle-mme. Il apparataujourdhui clairement que la propagande antidmocra-tique ne deviendra une force dominante dans ce pays quesi les intrts conomiques les plus puissants le dcident,selon quils fassent, consciemment ou non, usage de cetinstrument pour maintenir leur tat de domination. Surcette question la grande majorit de la population a peu devoix au chapitre.La prsente recherche, de par sa limitation aux aspectspsychologiques du fascisme jusqu prsent largementngligs, ne sintresse pas la production de la propa-gande. Elle concentre plutt son attention sur le consom-mateur, lindividu auquel la propagande sadresse. De cettemanire elle se propose de prendre en compte non seule-ment la structure psychologique de lindividu, mais gale-ment la situation objective totale dans laquelle il vit. Ellepart du prsuppos que les gens en gnral ont tendance accepter les programmes politiques et sociaux dont ilscroient quils serviront leurs intrts conomiques. Lanature de ces intrts dpend dans chaque cas de la posi-tion de lindividu dans la socit, telle que lconomie et lasociologie la dfinissent. Par consquent, une part impor-

    en tant que structure, les chercheurs dont lapproche reposesur lassomption dune infinie flexibilit et ractivit deltre humain la situation sociale du moment nont certespas contribu rsoudre le problme en attribuant les ten-dances persistantes quils dsapprouvaient la confusionou la psychose, ou des lments ngatifs, quel que soitle nom quils leur donnaient. Bien entendu les raisons nemanquent pas pour dcrire comme pathologiques lesmodles de comportement qui ne se conforment pas auxrponses les plus communes, et apparemment les plus lgi-times, aux stimuli du moment. Mais il sagit dun usage duterme pathologique au sens trs troit de dviation par rap-port la moyenne, que lon rencontre dans un contexte par-ticulier et, ce qui est pire, il suggre que tout, dans lastructure de la personnalit, doit tre rfr cette catgo-rie gnrale. En ralit, la personnalit comprend des varia-bles qui existent largement au sein de la population et quisont connectes rciproquement par des relations rgu-lires. Les modles de la personnalit qui ont t rejetscomme pathologiques, parce quils ne se conformaientpas aux tendances manifestes les plus communes ou auxidaux les plus dominants lintrieur dune socit, se sontrvls, aprs une analyse plus prcise, ntre rien dautreque des exagrations de ce qui tait quasiment universel endessous de la surface de cette socit. Ce qui est patholo-gique aujourdhui peut devenir, avec le changement desconditions sociales, la tendance dominante de demain.Il parat clair quune approche adquate des problmesqui se posent nous doit prendre en compte la fois lafixit et la flexibilit ; elle doit considrer ces deux aspectsnon comme des catgories sexcluant mutuellement, maiscomme les deux extrmes dun mme continuum le longduquel les caractristiques humaines se situent, et elle doitfournir une base pour la comprhension des conditionsfavorisant lun ou lautre extrme. Le concept de personna-lit est li une relative permanence. Mais il faut encoresouligner que la personnalit est fondamentalement unpotentiel ; cest une disposition au comportement plusquun comportement en soi ; bien quelle consiste en des

    INTRODUCTION TUDES SUR LA PERSONNALIT AUTORITAIRE