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Penser l'entreprise autrement

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DU MÊME AUTEUR:

N E CHÔMONS PLUS... I N V E N T O N S ! Édi t ions Résiac, F 53150 Montsûrs , 1987

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. Jacques-Jean Caubet I n g é n i e u r E.C.P.

Penser L'ENTREPRISE

autrement

P r é f a c e d ' A l a i n DELEU

ÉDITIONS AXEL NOËL

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@ Éditions Axel Noel 30, rue Madame 75006 Paris

Tous droits réservés pour tous pays. ISBN 2 909071-08-1 ISSN 1164-6241 Collection « Entreprendre corps et âme ».

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Je dédie cet essai à la mémoire du Père Alphonse Zimmerman, missionnaire Rédemptoriste au Chili, venu mourir d'épuisement à Saint- Étienne, qui m'initia au tho- misme; à mon épouse Lau- rence, femme de foi et psy- chothérapeute; aux 320 hommes et femmes qui ont fait l'entreprise dont ce livre veut dire l'esprit.

Je remercie les amis qui ont accepté bravement, le crayon à la main, d'amender, de critiquer et d'enrichir le manuscrit: Patrick Chalmel, le Père Paul Dupont, Pierre Janton, Gilbert Payan, Phi- lippe Saint-Raymond et Xavier Sallantin; ils ne sont pas responsables de certains refus de corriger dus à mon seul entêtement.

Ma gratitude va à ma col- laboratrice, Éliane Martin, dont la patience inlassable et souriante a tapé certaines pages de sept à soixante-dix- sept fois.

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Sommaire

Introduction Une révolution à faire 15 Réalisme ou idéalisme 25 Pourquoi choisir le Réel thomiste 39

I. LES RACINES SPIRITUELLES DE L'ACTION ET DE LA CONNAISSANCE

Le terreau thomiste où s'enracinent ces concepts qui nous structurent 49

Culture et type de comportement induits par le Réel thomiste Les trois réflexes 67

L'Homme 67 Le vouloir 68 La raison de VHomme 70

Portrait-robot 71 Le libre-faire 72 L'éthique 75 L'usage de la raison 79 Les lois naturelles 83 Changer de dimension 85 L'émerveillement 88 Le partage de la connaissance 89 Le Premier Né 91

Les limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

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La mise à l ' écar t de la scolast ique et son néces- saire renouveau

La fin de l'école médiévale 94

Les legs de la scolastique 97 Les concepts 97 Les lois naturelles formalisables 98 L'histoire discursive du progrès 99 La socialisation de la science 106

La Révolution culturelle 108

L 'acte d ' e n t r e p r e n d r e ou « l ' homme faisant son â m e tou t au long de ses j o u r s » Les fondements spirituels de l'acte d'entreprendre 112

La parabole fondatrice 112 D'Israël à Jean-Paul II 116 Pour un kibboutz chrétien 120

Les outils de l'acte d'entreprendre 122 La liberté d'entreprise 122 Le droit culturel 124 Le droit à la propriété 126 Le droit au pouvoir 130 Le droit au jardin 137 Le droit au vouloir 142

Les finalités de l'acte d'entreprendre 145 L'achèvement du monde 145 La construction de la conscience de chacun 148

L'existentiel, le Réel, le rationnel dans l'acte d'entre- prendre 157

L'entreprise thomiste est existentielle 157 L'entreprise thomiste est réaliste 165 L'entreprise thomiste est rationnelle 171

II. L'ENTREPRISE CITOYENNE

L 'en t repr i se ci toyenne exilée dans son contexte idéal is te 179

Le refus du jugement par les faits 181 Quand on cherche la vérité dans les idées 181

Le refus de l'éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

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Nos grandes entreprises ou l'imitation du colbertisme 185 Nos petites entreprises ou l'imitation capitaliste . . . . 188 Limitation chrétienne de la lutte des classes 190

Le refus de l'unité de l'être 194 L'action politique et l'opinion 194 Le corps et le diplôme 197 L'école qui n'éduque plus 200

Le refus de toute finalité 203 L'impuissance politique 204

L 'en t repr i se ci toyenne face au réal isme de ses responsabi l i tés 206 Aider à la conquête de la liberté intérieure 207

Apprendre à communiquer 209 Apprendre à regarder 211 Respecter la subjectivité des autres 212 Aider chacun à harmoniser sa tâche avec son caractère 213 La psychologie dans l'entreprise 216 L'archétype 217

Aider à la conquête de l'unité intérieure 221 Le contact du Réel 222 La créativité en groupe 223

Bâtir une collectivité harmonieuse . . . . . . . . . . . . . . 231

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

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Préface

J'ai la joie, en tant que responsable national d'une organisation syndicale de salariés, de pouvoir acquiescer aux grandes lignes d'un ouvrage écrit par un chef d'entreprise.

Il est vrai que la CFTC n'est pas n'importe quelle cen- trale syndicale, puisqu'elle fonde résolument son action au service des travailleurs sur les principes de la morale sociale chrétienne. Il est vrai également que Jacques-Jean Caubet est un patron chrétien, et que cet ouvrage, que le lecteur va avoir la chance de découvrir, est un ouvrage de prospective sur l'avenir du travail et des relations sociales dans l'entreprise de demain, et qu'à ce titre, il ne peut laisser indifférent un responsable syndical. Mais l'expli- cation n'est pas suffisante. Il faut ajouter que Jacques- Jean Caubet ayant adhéré à la CFTC en 1947 est toujours demeuré adhérent à la Confédération Française des Tra- vailleurs Chrétiens, alors même qu'il créait sa propre société et devenait de ce fait chef d'entreprise, ce qui représente un témoignage peu banal de fidélité et de soli- darité avec les salariés de ce pays.

L'expérience elle-même de J.J. Caubet patron, ce qu'il a fait de son entreprise, et ce livre qui en est comme le

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fruit longuement mûri à l'épreuve des faits - d'où son approche résolument thomiste - ont particulièrement de quoi retenir l'attention. Ils constituent la preuve expéri- mentale que la conception du travail et des relations sociales inspirée de la doctrine sociale chrétienne, c'est-à- dire d'une philosophie réaliste de la personne, sont à la fois source de satisfaction pour les hommes et les femmes au travail, et gage de succès pour l'entreprise.

Non point que j'approuve tout ce qui est écrit dans cet essai car on y trouvera, certes, bien des choses que j'aurais dites autrement.

Le livre de J.J. Caubet n'est pas tendre parfois pour ce contexte qu'il juge idéaliste et trop souvent hostile par principe à l'entreprise. Je ne saurais l'approuver d'être parfois aussi sévère, mais j'apprécie qu'au-delà de l'entre- prise elle-même il lance à tout le contexte un appel à « entreprendre » autrement où que l'on soit et à tous les niveaux.

En tant que militant syndicaliste, j'apprécie beaucoup également qu'une entreprise soit à ce livre ce que le hard est au soft, car c'est une société industrielle de 320 per- sonnes, technologiquement en pointe et prospère, qui porte témoignage que les valeurs prônées dans le livre peuvent s'ancrer « dans le réel existant » cher à tous les thomistes. Dans cette société, le Centre Stéphanois de Recherches Mécaniques HEF, le capital est détenu à 63 % par le personnel, un salarié sur quatre participe effective- ment aux différents Conseils d'administration, comité d'entreprise, comité d'hygiène et de sécurité, etc.

Je suis heureux que cet essai ait mis en relief beaucoup des finalités de l'entreprise auxquelles croit profondé- ment un militant syndicaliste comme moi : e sa vocation libératrice et son souci de permettre à

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l'homme qui travaille en son sein d'exercer des responsa- bilités à sa mesure et d'œuvrer en toute connaissance de cause à une tâche commune; il est sain d'entendre un patron répéter que c'est l'entreprise qui est faite pour l'homme et non pas l'homme pour l'entreprise

e sa vocation éducatrice et formatrice offrant à chacun, dans une totale liberté de choix, les moyens de se perfec- tionner dans son métier, d'apprendre une langue étran- gère, de s'initier à la psychologie de groupe, à la créati- vité, etc., ramenant sans cesse par la voie du dialogue à une appréciation objective des situations

,u sa solidarité avec tout ce qui est extérieur à l'entreprise, l'école, l'université, les collectivités locales, introduisant ainsi ce concept auquel nous tenons tous beaucoup d'« entreprise citoyenne »

e son souci d'être un laboratoire humain où, dans le res- pect de la dignité et de l'autonomie de la personne, toutes les expériences peuvent être tentées, soumises à l'épreuve des faits et non plus de l'idéologie.

Jacques-Jean Caubet a compris que des conditions de travail qui respectent véritablement les personnes reposent sur un certain climat d'entreprise, à perfection- ner sans cesse, et que définissent bien les lignes suivantes empruntées au livret d'accueil de HEF :

« Nous avons commencé à acquérir un esprit qui, peu à peu, par la grâce de l'amitié, est devenu le nôtre à tous maintenant que nous sommes plus de 320. Il se résume en trois mots-clés : • le respect du réel, • la solidarité des Hommes, • la part du rêve.

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(...) Les hommes doivent être formés, et nous ne cesse- rons pas d'essayer toujours plus avant la formation interne, les groupes de créativité, les cercles de qualité et toutes les possibilités de formation, intellectuelle ou psy- chologique, qui peuvent apporter un " plus " à la compré- hension d'autrui.

La part de rêve à laquelle nous avons toujours tenu n'est ni illusion, ni vanité, mais confiance dans nos possi- bilités, désir de mettre la barre toujours plus haut, volonté d'acquérir toujours plus de technologies et de créer toujours plus d'emplois. »

Je concluerai donc en formant le vœu que grâce à ce nouveau livre de Jacques-Jean Caubet, un tel esprit séduise de nombreux chefs d'entreprise, cadres, représen- tants du personnel et salariés, et pénètre davantage dans nos entreprises françaises.

Alain DELEU

Secrétaire général de la CFTC (Confédération Française

des Travailleurs Chrétiens)

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INTRODUCTION

Une révolution à fa i re

Notre génération achève la première phase de sa révo- lution culturelle : elle admet l'entreprise comme une part authentique de la vie nationale, elle s'est convaincue que la politique économique ne peut être faite simplement par un État idéologue, mais qu'elle exprime l'élan culturel de tout un peuple.

La production de richesses forme le socle sur lequel s'édifie toute l'économie d'un pays. Du salaire de l'instituteur ou de l'infirmière au kilomètre d'auto- route, de la défense nationale à la recherche et à la santé publique, tout repose sur cette seule et unique pierre.

Le niveau de vie est basé uniquement sur la production de biens consommables, éventuellement exportables, et sur la productivité.

Que surgisse un déséquilibre de quelques points dans la balance du commerce extérieur et voici l'indépendance nationale mise rapidement en question. Et ces quelques

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points sont faits de créativité, de productivité, d'investisse- ments, de formation, autrement dit d'enthousiasme \

Tout ceci fait maintenant l'unanimité de l'opinion. Pourtant la tâche de notre génération est à peine commen- cée et la vraie révolution reste à faire ; l'entreprise est bien autre chose qu'un phénomène économique et elle atteint l'humain dans toutes ses dimensions, spirituelles comprises; car outre que la liberté d'entreprise tire der- rière elle toutes les autres libertés, outre que l'expérience a montré cent fois dans le monde que toutes les libertés s'occultent aussitôt que ne brille plus la liberté d'entre- prendre, la manufacture suscite le progrès technologique, encourage la recherche scientifique, tandis que la concur- rence offre à l'homme qui veut s'ancrer dans le réel une échelle empirique à l'aune de laquelle il peut quantifier sa créativité et son courage.

L'entreprise baigne dans tout un contexte, chargé aussi bien d'assurer la formation des techniciens que d'apporter la science, les inventions, les technologies, contexte égale- ment responsable de la stabilité de la monnaie comme de la libre circulation des matières premières. Sa pugnacité à l'exportation ne dépend donc pas que d'elle mais s'imbrique avec toutes les autres fonctions du corps natio- nal ; de sorte que la compétitivité dans l'art de produire est aujourd'hui un signe de la santé morale d'un pays.

Produire est le fruit d'une éthique, l'éthique de l'échange, du respect du contrat, de la qualité, du prix, du délai, de la parole donnée, acceptation de la concurrence qui exalte la créativité, du risque, de l'imagination, sans

1. Louis Pasteur disait que « enthousiasme » - du grec en-théos, Dieu en nous - était le plus beau mot de la langue française.

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compter le refus du monopole qui ressemble trop à un pil- lage.

Produire implique une convivialité entre des personnes ou des équipes, entre diplômés, manuels, intellectuels, hommes et femmes ; et si l'on prononce des mots comme « santé morale », « éthique », « convivialité », « culture », alors par le Produire, n'en doutons plus, l'homme se relie, aussi bien aux autres qu'à son moi profond.

Une première grande question surgit : le chômage, le manque de compétitivité, ne serait-il pas un phénomène religieux, l'aspect négatif d'une société où les hommes ne savent plus se relier?

Et les pauvres? Leur nombre s'accroît exponentiellement. L'aide au

développement des nations qui sont en retard sur nous devient une ardente obligation. Pour l'instant nous nous abritons derrière des impossibilités théoriques : leur culture, disons-nous, les rend inaptes à comprendre notre société industrielle et marchande; mais alors l'échec de nos essais charitables ne vient-il pas de notre propre inca- pacité à analyser, à comprendre de quel tréfond culturel, historique, religieux, a surgi cette vague de progrès tech- nologiques qui nous porte en avant?

Et hors de l'entreprise? Le développement implique également que l'adminis-

tration change ses méthodes en fonction des progrès de l'informatique ou de la psychologie, que l'école enseigne autrement à l'ère de la télévision et du magnétoscope, que l'agriculture devienne un réservoir de matières premières industrielles, que la dépollution déploie des trésors de science... Bref une troisième question affleure : pourquoi

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limiter à la manufacture l'ambition d'innover, de créer, de moderniser? Et s'il s'agissait plus fondamentalement de l'acte d'entreprendre à tous les niveaux de la vie sociale, du besoin d'entreprendre? D'où vient-il, comment naît-il en nous?

Je pense qu'aujourd'hui nous ne savons plus répondre à ces questions, à cause de nos méthodes de pensée et d'action qui se sont déconnectées de toute transcendance, de nos politiques coupées de l'éthique, de notre difficulté à agir ensemble, main dans la main. Qu'est-ce qui s'est brisé en nous?

Pendant deux générations nous avons craint le triomphe du mode marxiste d'entreprendre. Nous assis- tons aujourd'hui à son échec, mais nous n'analysons pas ce qui est dû à une idéologie, la lutte des classes, et à une tech- nique, le capitalisme d'État; sinon nous serions amenés à réfléchir au parallèle évident entre ce dernier qui vient à l'Est de s'avouer battu, et notre tradition colbertiste de la nationalisation.

D'autres qui aujourd'hui se veulent modernes prônent le retour au libéralisme sans frein. Mais pourquoi cet amalgame entre l'économie de marché, le capitalisme, qui sont des techniques et des structures, et le libéralisme économique, qui est, comme la lutte des classes, une idéo- logie ?

Qu'y a-t-il de réaliste dans tout ceci?

Les nouveaux héros ne sont plus comme autrefois ceux qui débarquent sur un terrain vague et en font surgir, en une vie de labeur et de risque, des emplois de haute tech- nologie, mais les financiers qui font et défont les groupes, lancent des OPA et rabaissent cette merveille humaine

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inventent, ouvrent des chemins nouveaux, mais les habiles qui trafiquent, jouent et spéculent, vendant à l'encan le fruit de décennies d'efforts et de dévouement, sans un regard pour le serf qui change de mains avec la glèbe.

L'imitation chrétienne de la lutte des classes

Les différentes Actions Catholiques groupant ceux qui sont engagés dans l'action économique, comme l'Action Catholique Ouvrière, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens ou le Centre Français du Patronat Chrétien, les AC Cadres indépendants, etc. devraient dialoguer entre eux.

Ce serait cela l'unité du Royaume. Chaque groupe, non point issu d'une division en classe mais exprimant plus concrètement différentes finalités sociales, serait un des composants de la communauté ; celle-ci tirerait son unité de la somme de toutes les sensibilités, de toutes les expé- riences faites ensemble.

A partir du moment où, à l'intérieur même de l'Église, les représentants des différentes forces économiques sont séparés, isolés les uns des autres, alors c'est que le Royaume a été divisé par des artifices.

Nous tournons le dos au thomisme, en refusant le contact du réel et les tâtonnements essayés ensemble fra- ternellement. Et nous allons vers ce qui devrait nous être le plus étranger : l'idéel, le théorique, le non vérifié, l'attitude gratuite.

Nous ne devrions pas oublier que l'Église est le dernier endroit où les hommes ont le droit d'expérimenter frater- nellement sur eux-mêmes. C'est donc nous qui sommes

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les mieux armés pour découvrir empiriquement et définir par tâtonnements les formes d'entreprise les mieux adap- tées à chaque aire culturelle.

Tout avait bien commencé lorsque l'Église de France, inquiète d'une certaine déchristianisation, avait accepté sinon suscité la vocation particulière des prêtres ouvriers.

Des centaines et des centaines de jeunes hommes, prêtres au grand cœur et d'infini dévouement, furent lan- cés dans cette reconquête. Il est encore bien tôt pour faire l'analyse des résultats qu'ils ont obtenus, et de toute façon ils se sont tant dévoués et ils ont tant espéré que le bilan ne doit être fait qu'avec timidité et pudeur. Pourtant trois erreurs sont déjà apparentes et il devrait être facile de les corriger pour repartir de l'avant :

• Le mouvement social de l'Église, à partir des années 1950, a cru revivre les heures exaltantes des ordres Men- diants, lorsqu'au xine siècle ils entreprirent la démolition de la féodalité. Mais dominicains et franciscains l'avait simplement jugée non conforme à l'Évangile ; car fondé sur le servage, l'état féodal s'était réfugié de plus en plus, pour se justifier et se perpétuer, dans des a priori idéolo- giques en contradiction avec la vérité du terrain. Les moines avaient beau jeu de citer Aristote : « On ne peut attendre de l'esclave les vertus de l'homme libre. »

Et c'est pourquoi, légitimement, les Mendiants ne vou- laient plus d'esclaves. La féodalité fut donc éjectée sans qu'il ait été jamais besoin de brandir une idéologie.

Mais à partir du moment où, croyant les imiter, le mouvement social de l'Église entreprit de s'attaquer à