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Perception et prise en compte des demandes de la société envers l’élevage de porcs par des responsables de groupements de producteurs Christine ROGUET (1), Elsa DELANOUE (1), Alizée CHOUTTEAU (2), Guillaume DUFFET (2), Valentine LE VELLY (2), Céline WACHET (2), Catherine DISENHAUS (2) (1) IFIPinstitut du porc, la Motte au Vicomte, BP 35104, 35651 Le Rheu Cedex, France (2) AGROCAMPUS OUEST, 65 rue de SaintBrieuc, CS 84215, 35042 Rennes, France [email protected] Perception and taking into account of societal demands regarding pig production by leaders of producer groups In a context of social questioning of pig production methods, four AGROCAMPUSOuest students conducted interviews with leaders of seven producer groups representing 70% of national pig production, and who were invited to answer two questions: i) How do economic actors perceive the questioning of pig production by society? ii) What actions are they taking to address them? The environment was cited by 10 of the 11 leaders interviewed as being society’s primary concern, before animal welfare; the third concern of society was the reduction in antibiotic use. Social representation of associations that support these claims is disputed. Faced with these demands, the profession highlights its compliance with regulations, developing innovations to reduce the environmental impact or the use of antibiotics, or to improve animal welfare. Communication is considered to be strategic. The questioning of intensive production is not considered, nor the expansion of differentiated products. A proactive and collective strategy to respond to societal demands is not mentioned, although this route has been selected in some other countries. INTRODUCTION Confrontée à des défis techniques et socioéconomiques, la filière porcine française doit aussi faire face à de nombreuses remises en cause par la société. Elles concernent notamment le mode de production qui s’est imposé (bâtiment, caillebotis, faible lien au sol, concentration géographique et structurelle) et ses conséquences sur l’environnement, les conditions de vie des animaux et la gestion sanitaire (Delanoue et al., 2014). Au delà, le débat actuel sur le statut juridique de l’animal traduit une évolution de la société, lourde dans sa signification et ses conséquences potentielles sur les élevages (Lesage, 2013). Dans ce contexte, l’IFIP a confié à quatre étudiants d’AGROCAMPUSOuest la réalisation d’une enquête pour éclairer les deux questions suivantes : (1) Comment les acteurs économiques de la filière porcine perçoiventils les remises en cause de la production par la société ? (2) Quelles actions ou stratégies mettentils en œuvre pour y répondre ? 1. MATERIEL ET METHODES Des entretiens ont été réalisés fin 2013 auprès de dirigeants (6 présidents, 3 directeurs, 1 responsable communication et 1 responsable environnement) des sept plus importants groupements de producteurs du pays (6 dans le grand ouest et 1 dans le centre), représentant 70% de la production porcine nationale. Ils ont été invités à s’exprimer sur (1) leur connaissance et leur perception des attentes de la société envers l’élevage de porcs, (2) les actions mises en œuvre par leur structure pour répondre à ces attentes et (3) leur vision sur l’évolution de ces attentes et les actions qu’ils envisagent. 2. RESULTATS 2.1. Perception des critiques et demandes de la société 2.1.1. L’impact environnemental : « ça pue donc ça pollue » Parmi les préoccupations de la société qu’ils identifient, 10 des 11 responsables rencontrés mettent l’environnement au premier rang, avant le bienêtre animal qui n'est cité spontanément que par 7 des 11 interlocuteurs. Ils attribuent ces revendications aux odeurs (« ça pue donc ça pollue »). Argumentant sur le fait que la production porcine ne serait pas seule responsable de la dégradation de l’environnement, tous soulignent les efforts et investissements importants faits par les élevages porcins sous l’effet de la réglementation. Les relations avec les associations environnementales sont jugées difficiles et les discussions « stériles » pour six des sept groupements. Ils se désolent de la méconnaissance des problèmes et de la fermeture d'esprit de responsables d’associations environnementales, « déconnectés de la réalité, de l'emploi et de l'économie ». Les relations s’améliorent lorsque ces derniers « parlent avec passion mais en gardant la raison ». Mais pour ces professionnels, aucun gros conflit ne peut être résolu car « c'est ce qui fait vivre les associations ». Ils réfutent la représentativité sociale des associations, ne comprenant pas la place qu’elles prennent dans les débats. 2.1.2. Le bienêtre animal : oui, mais… Le bienêtre animal n’est cité en premier qu’une fois comme préoccupation de la société française sur l’élevage. La France est vue comme « un pays latin » où « [le bienêtre animal] n’est pas vraiment une préoccupation » et « les 2015. Journées Recherche Porcine, 47, 225-226. 225

Perception et prise en compte des demandes de la société ...€¦ · il est pourtant la plus forte préoccupation des jeunes adultes, selon une enquête réalisée en 2014 (Roguet

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Page 1: Perception et prise en compte des demandes de la société ...€¦ · il est pourtant la plus forte préoccupation des jeunes adultes, selon une enquête réalisée en 2014 (Roguet

Perception et prise en compte des demandes de la société envers l’élevage de porcs par des responsables  

de groupements de producteurs Christine ROGUET (1), Elsa DELANOUE (1), Alizée CHOUTTEAU (2), Guillaume DUFFET (2), Valentine LE VELLY (2),  

Céline WACHET (2), Catherine DISENHAUS (2) 

(1) IFIP‐institut du porc, la Motte au Vicomte, BP 35104, 35651 Le Rheu Cedex, France (2) AGROCAMPUS OUEST, 65 rue de Saint‐Brieuc, CS 84215, 35042 Rennes, France 

[email protected] 

Perception and taking into account of societal demands regarding pig production by leaders of producer groups  

In  a  context  of  social  questioning  of  pig  production methods,  four  AGROCAMPUS‐Ouest  students  conducted  interviews with leaders of seven producer groups representing 70% of national pig production, and who were  invited to answer two questions: i) How do economic actors perceive the questioning of pig production by society? ii) What actions are they taking to address them? The environment was cited by 10 of  the 11  leaders  interviewed as being society’s primary concern, before animal welfare;  the third  concern  of  society was  the  reduction  in  antibiotic use.  Social  representation of  associations  that  support  these  claims  is disputed. Faced with these demands, the profession highlights its compliance with regulations, developing innovations to reduce the environmental impact or the use of antibiotics, or to improve animal welfare. Communication is considered to be strategic. The questioning of  intensive production  is not  considered, nor  the expansion of differentiated products. A proactive and  collective strategy to respond to societal demands is not mentioned, although this route has been selected in some other countries. 

 INTRODUCTION 

Confrontée  à  des  défis  techniques  et  socioéconomiques,  la filière porcine française doit aussi faire face à de nombreuses remises en cause par  la société. Elles concernent notamment le mode de production qui s’est imposé (bâtiment, caillebotis, faible  lien au sol, concentration géographique et structurelle) et ses conséquences sur l’environnement, les conditions de vie des animaux et la gestion sanitaire (Delanoue et al., 2014). Au delà,  le débat actuel sur  le statut  juridique de  l’animal traduit une évolution de la société, lourde dans sa signification et ses conséquences  potentielles  sur  les  élevages  (Lesage,  2013). Dans  ce  contexte,  l’IFIP  a  confié  à  quatre  étudiants d’AGROCAMPUS‐Ouest  la  réalisation  d’une  enquête  pour éclairer les deux questions suivantes : (1) Comment les acteurs économiques de la filière porcine perçoivent‐ils les remises en cause de  la production par  la société ?  (2) Quelles actions ou stratégies mettent‐ils en œuvre pour y répondre ?  

1. MATERIEL ET METHODES 

Des entretiens ont été  réalisés  fin 2013 auprès de dirigeants (6 présidents,  3  directeurs,  1  responsable  communication  et 1 responsable  environnement)  des  sept  plus  importants groupements de producteurs du pays (6 dans le grand ouest et 1 dans  le centre),  représentant 70% de  la production porcine nationale.  Ils  ont  été  invités  à  s’exprimer  sur  (1)  leur connaissance  et  leur  perception  des  attentes  de  la  société envers  l’élevage de porcs,  (2)  les actions mises en œuvre par leur  structure pour  répondre à  ces attentes et  (3)  leur vision sur l’évolution de ces attentes et les actions qu’ils envisagent. 

2. RESULTATS 2.1. Perception des critiques et demandes de la société 

2.1.1. L’impact environnemental : « ça pue donc ça pollue » Parmi les préoccupations de la société qu’ils identifient, 10 des 11  responsables  rencontrés  mettent  l’environnement  au premier  rang,  avant  le  bien‐être  animal  qui  n'est  cité spontanément que par 7 des 11  interlocuteurs.  Ils attribuent ces  revendications  aux  odeurs  (« ça  pue  donc  ça  pollue »). Argumentant sur le fait que la production porcine ne serait pas seule responsable de  la dégradation de  l’environnement, tous soulignent  les  efforts  et  investissements  importants  faits par les élevages porcins sous l’effet de la réglementation.    Les  relations  avec  les  associations  environnementales  sont jugées difficiles et  les discussions « stériles » pour six des sept groupements.  Ils  se  désolent  de  la  méconnaissance  des problèmes  et  de  la  fermeture  d'esprit  de  responsables d’associations environnementales, « déconnectés de la réalité, de  l'emploi  et  de  l'économie ».  Les  relations  s’améliorent lorsque ces derniers « parlent avec passion mais en gardant la raison ». Mais pour  ces professionnels,  aucun  gros  conflit ne peut être résolu car « c'est ce qui  fait vivre  les associations ». Ils  réfutent  la  représentativité  sociale  des  associations,  ne comprenant pas la place qu’elles prennent dans les débats. 2.1.2. Le bien‐être animal : oui, mais… Le bien‐être animal n’est cité en premier qu’une  fois comme préoccupation de  la société  française sur  l’élevage. La France est  vue  comme  « un  pays  latin »  où  « [le  bien‐être  animal] n’est  pas  vraiment  une  préoccupation »  et  « les 

2015. Journées Recherche Porcine, 47, 225-226.

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consommateurs  veulent  avant  tout  une  viande  de  qualité  et surtout  bon marché ». Mais  le  sujet  est  perçu  comme  « très dangereux »  car  les  populations  ignorent  l’existence  de certaines pratiques controversées (castration, caudectomie…). La  définition  du  bien‐être  et  son  évaluation  objective  sont jugées  difficiles  par  les  groupements  qui  déplorent  une approche  souvent  anthropomorphique.  Ils  justifient  les pratiques  douloureuses  comme  ‘un  mal  pour  un  bien’ : « contre  l'élevage  sur  caillebotis,  la  castration,  la  coupe  des dents et de  la queue et  la densité,  il n'y a pas grand chose à faire.  Il  existe  des  raisons pour  lesquelles  on  le  fait.  Si  on  ne coupe pas les queues, le cannibalisme se développe et ce n'est pas  ce  qu'on  peut  appeler  le  bien‐être ».  Ils  soulignent  la contradiction entre  la baisse de production qu’induiraient  les exigences  de  bien‐être  animal  (surcoûts,  désintérêt  des éleveurs)  et  le  rôle  de  l’élevage  pour  l’approvisionnement alimentaire et l’emploi en France. 2.1.3. Les antibiotiques en élevage La  troisième  préoccupation  de  la  société  perçue  par  les responsables de groupements est l’usage des antibiotiques en élevage. Sur ce point,  ils  soulignent que « de gros efforts ont été faits » et se poursuivent. 

2.2. Actions mises en œuvre ou envisagées 

2.2.1.  « On respecte les normes » Le premier argument des groupements est celui du respect de la  réglementation qui conduit à  faire évoluer  les pratiques et offre  un  haut  niveau  de  garantie  pour  le  consommateur. Les  acteurs  rencontrés  estiment  que  la  production  porcine française a atteint une  très bonne maîtrise de  la gestion des impacts  environnementaux  grâce  aux  nombreuses  solutions aujourd’hui  disponibles :  traitement  des  déjections,  racleurs, lavage  d’air,  enfouissement  du  lisier  lors  de  l’épandage, insertion paysagère des bâtiments, diagnostic  énergie… Mais ils craignent que l'usage des meilleures techniques disponibles ne devienne obligatoire et pénalise les petits producteurs.  2.2.2. Démédication Face à  la demande de  réduction de  l’usage des antibiotiques en élevage, très cohérente avec  le raisonnement économique des  élevages,  la  filière  a  pris  des mesures :  biosécurité,  plan écoantibio et démédication (travail important des vétérinaires sur  la prévention). Tous soulignent  la nécessité de recherches sur  les  vaccins  et  les  alternatives  aux  antibiotiques.  Un groupement développe un label « porc sans antibiotique ». 2.2.3. Communication La  reconnaissance  d'erreurs  passées  comme  "des comportements  négatifs  dans  les  années  90,  mêlant  des procédés non démocratiques, de  l'arrogance, des menaces  et une  tendance  à  croire  que  tout  était  permis"  traduit  un changement  de mentalité.  Depuis  quelques  années,  reniant l'adage  « vivons  heureux,  vivons  cachés »,  la  filière  a  pris  en main sa communication, souvent de manière collective par ses 

organisations représentatives. Les éleveurs, pièce maîtresse de cette  reconquête  d’image,  sont  formés  à  la  communication.  Des  portes  ouvertes  en  élevage  sont  organisées  pour  faire connaître  la réalité de  l’activité même si « elles n’attirent que les  convaincus »  ou  donnent  « l’impression  de  vider  la  mer avec  un  dé  à  coudre ».  Cependant,  les  visiteurs  « sont agréablement  surpris  des  conditions  de  vie  des  animaux » selon les enquêtes effectuées. 2.2.4. Pratiques en élevage : jusqu’où communiquer ? La population étant  jugée peu  informée,  la communication sur des pratiques d’élevage plus respectueuses du bien‐être animal fait craindre d’éveiller surtout des oppositions. Deux stratégies opposées  sont  évoquées :  faire  profil  bas,  « ne  pas  faire  de vagues »  ou,  au  contraire,  informer  le  consommateur  pour prévenir les crises. Des entretiens, ressort la conscience qu’il ne faut  pas  reproduire  la mauvaise  gestion  de  la  problématique environnementale qui a conduit à une perte de crédibilité. 2.2.5. Un seul modèle gagnant, donc pas de segmentation ? Si tous les groupements s'accordent sur la nécessité d'indiquer l’origine française de la viande (par le logo « le porc français »), ils  divergent  sur  l’intérêt  des  productions  différenciées  pour améliorer  l’image  de  la  production  dans  l’opinion  publique. Globalement, ils n’envisagent pas de croissance des ventes de porcs biologiques ou  sous  labels  car « le porc est une  viande peu  chère,  de  tous  les  jours,  les  consommateurs  ne  sont  pas prêts  à  payer  plus ».  Certains  sont  catégoriques :  « un  seul modèle  est  gagnant :  le  système  productif,  qui  permet  de nourrir  les  gens  à  grande  échelle.  Les  autres  sont  des  niches réservées aux bourgeois bohèmes ».  

CONCLUSION 

Les  responsables  rencontrés  ressentent  un  décalage  entre  la vision  de  la  société  et  la  réalité  des  élevages.  S’ils  semblent percevoir que ce qui est rejeté et démonté « pièce par pièce » par  les  associations  est  le  mode  intensif  et  industriel  de production, ils n’envisagent pas sa remise en cause. L’enjeu que représente le bien‐être animal semble sous‐estimé par certains ; il est pourtant  la plus  forte préoccupation des  jeunes  adultes, selon  une  enquête  réalisée  en  2014  (Roguet  et  al.,  2015).  La  filière apparaît craintive dans ses  initiatives,  face au risque d’exacerber  la compétition entre groupements ou de dévoiler certaines  pratiques  d’élevage,  et  plutôt  attentiste.  Une stratégie  proactive  et  collective  de  réponse  aux  attentes sociétales ne se dessine pas, contrairement à ce qui s’observe dans d’autres pays (Roguet et Rieu, 2014). 

REMERCIEMENTS 

Ce  travail  a  bénéficié  du  soutien  financier  du  GIS  Elevages Demain et du programme national de développement agricole et rural du Ministère de l’Agriculture.  Les  auteurs  remercient  vivement  les  personnes  rencontrées pour leur accueil et leurs témoignages. 

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 

• Delanoue E., Roguet C., Selmi A., 2014. Contestation sociale de  l’élevage porcin en France : regards croisés de professionnels de  la filière et d’association. Journées Rech. Porcine, 46, 235‐240. 

• Lesage M., 2013.  Statut et droits de  l’animal d’élevage en  France  : évolution, enjeux et perspectives. Centre d’études et de prospective. Analyse N° 58 ‐ Juillet 2013, 4 pages. 

• Roguet C., Rieu M., 2014. La filière porcine allemande face aux demandes de société : des labels privés à l’initiative collective. Les Cahiers de l’IFIP, 1(1), 1‐12. 

• Roguet C., Delanoue E., Disenhaus C., Le Cozler Y., 2015. Perception de  l’élevage par des  jeunes adultes en France en 2014. Journées Rech. Porcine, 47, 227‐228. 

2015. Journées Recherche Porcine, 47.

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