Perron, N. (2003) Le Chantier des histoires régionales et la Public History

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    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Normand PerronRevue d'histoire de l'Amrique franaise, vol. 57, n 1, 2003, p. 23-32.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/008350ar

    DOI: 10.7202/008350ar

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    Le Chantier des histoiresrgionales et la Public History

    normand perronINRS-Urbanisation, Culture et Socit

    Le Chantier des histoires rgionales de lInstitut qubcois derecherche sur la culture (IQRC), lequel a t intgr lInstitutnational de la recherche scientifique (INRS) en 1994, a dbut en 1980sous la gouverne de Fernand Harvey. Depuis octobre 1991, jen assumela direction. Il sagit dun ambitieux projet dont le premier objectif est lapublication dune synthse historique de chacune des rgions duQubec. Il visait ds le dbut doter la collectivit qubcoise de travauxqui fassent connatre les particularits des milieux rgionaux et qui

    permettent de nuancer les hypothses et les conclusions des ouvragesgnraux sur lhistoire sociale, conomique et culturelle du Qubec. Cessynthses, tout en rpondant aux normes de rigueur scientifique, seveulent accessibles au grand public.

    Le Chantier des histoires rgionales est toujours en cours de ra-lisation, ce qui en fait certes lun des plus anciens projets de recherche enactivit dans le domaine des sciences sociales au Qubec. Depuis 1981,seize synthses ont t publies dans la collection Les rgions du Qu-

    bec (ditions de lIQRC/Presses de lUniversit Laval)1

    . Les travaux se1. Histoire de la Gaspsie (1981, 1999), Histoire du SaguenayLac-Saint-Jean (1989), Histoire des

    Laurentides (1989), Histoire de la Cte-du-Sud (1993), Histoire du Bas-Saint-Laurent(1993), Histoire delOutaouais (1994), Histoire de lAbitibi-Tmiscamingue (1995), Histoire de Lvis-Lotbinire (1996),

    RHAF, vol. 57, no 1, t 2003

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    poursuivent pour les huit dernires rgions : Mauricie, Centre-du-Qubec, Qubec, Lanaudire, Montral, Laval, Baie-James, Nunavik. Latlsrie Les Pays du Qubec (1989-1994)2, la publication de brves

    histoires sur les rgions depuis 19993

    et louverture du site Encyclobec4

    en 2003 largissent lventail de diffusion lintention du grand public.Prsentons maintenant diverses observations concernant ce vaste

    Chantier qui dure depuis plus de vingt ans en regard de la problmatiquede laPublic History. O se situe ce Chantier dans le cadre de lmergenceet du dveloppement de lhistoire publique ? Quelles sont les relationsquil entretient avec les milieux rgionaux ? Rpond-il la fois auxattentes des historiens du milieu universitaire et celles du public ?

    Dans les annes 1970, des changements dans la pratique de lhistoiresont perceptibles. Des spcialistes en histoire commencent produire endehors de linstitution universitaire des ouvrages destins au grandpublic. Des travaux sur des tablissements denseignement et de santsont, entre autres, confis des historiens professionnels. Ces derniersfont aussi ds cette poque sentir leur prsence dans dautres crneaux

    jusque-l souvent domins par des historiens amateurs. Lon pense iciaux revues dhistoire rgionale de diverses socits dhistoire. La pr-

    sence dhistoriens en rgion, certes favorise par le rseau des consti-tuantes rgionales de lUniversit du Qubec, avait cr un contextefavorable ce changement.

    Si le Chantier des histoires rgionales est clairement identifi lex-IQRC, il nen trouve pas moins son origine dans lintention de la Socithistorique de la Gaspsie de doter sa rgion dune synthse historique.Le projet dune histoire de la Gaspsie est finalement le projet de Gas-psiens, le projet de gens du milieu qui ont confi des historiens de

    mtier le soin de donner la rgion une vritable premire synthse5. Ce

    Histoire de la Cte-Nord (1996), Histoire des Cantons-de-lEst (1998), Histoire du Pimont-des-Appalaches (1999), Histoire du Haut-Saint-Laurent (2000), Histoire de Charlevoix (2000), Histoire du

    RichelieuYamaskaRive-Sud (2001), Histoire des les-de-la-Madeleine (2003) et Histoire de Beauce-Etchemin-Amiante (2003).

    2. Cette srie de documentaires de 30 minutes, sous la direction scientifique de FernandHarvey, produite par Synercom Tlproductions et qui a t diffuse par Tl-Qubec, en plusdtre disponible aux PUL sous forme de vidocassettes, a t ralise avec la collaboration dediffrents chercheurs rattachs au projet des histoires rgionales de lIQRC.

    3. Ces brves synth

    ses sont publi

    es aux

    ditions de l

    IQRC dans la collection

    Les r

    gionsdu Qubechistoire en Bref que dirigent Lo Jacques et Normand Perron.

    4. Encyclobec (www.encyclobec.ca) a t conu par Normand Perron et Jrme Coutard.5. Jules Blanger, Marc Desjardins, Yves Frenette, avec la collaboration de Pierre Dansereau,

    Histoire de la Gaspsie (Montral, Boral Express/Institut qubcois de recherche sur la culture,[1981]), voir les pages 8 et 9 de lavant-propos.

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    milieu veut alors davantage que les modestes histoires locales rappelant

    la vie des anctres et veillant lattachement au pass ; il veut une histoirequi permette de mieux comprendre la rgion actuelle et de sidentifier

    celle-ci. Il se rapproche dune rflexion de Mgr

    Albert Tessier qui, en1929, tout en soulignant limportance dencourager la production de

    biographies et de monographies de paroisse par les amateurs quegroupe la Socit dHistoire rgionale trifluvienne, crivait que lesindispensables synthses venir sur sa rgion seraient luvre de matres en histoire6.

    La finalisation de ce projet sous la direction de lIQRC mnera lacration du Chantier des histoires rgionales. Ainsi nat un chantier dont

    les principaux paramtres de fonctionnement trouvent leurs originesdans le projet dune publication destine la fois aux chercheurs et augrand public, produite par une quipe de chercheurs professionnels sousla direction de Marc Laterreur, un historien originaire de la Gaspsie etprofesseur lUniversit Laval. Le succs de librairie de cet ouvragelaisse par ailleurs croire quil rpondait aux attentes dun large public enqute dun savoir sur une rgion et son histoire. Aborder lhistoire souslangle de la rgion, de la synthse et du transfert des connaissances, en

    partenariat scientifique et financier avec le milieu, voil ce qui allaitcaractriser le Chantier des histoires rgionales.

    Au dbut des annes 1980, le Chantier des histoires rgionales ne faitpas explicitement rfrence la notion amricaine de Public History,mme si le projet vhiculait des proccupations analogues en ce quiconcerne la participation humaine et financire du milieu rgional etlaccessibilit un vaste public au-del des seuls spcialistes. Ce Chantier,note Marc Riopel7 dans une rflexion rcente sur lhistoire applique, se

    rapprochait ds lors de la Public History en vogue aux tats-Unis, o deshistoriens et universitaires publiaient lintention du grand public. Il estpar ailleurs instructif de compiler les principaux objectifs que les quipesde chercheurs ont fixs leurs travaux. En bref, ils souhaitent produireune synthse utile aux chercheurs, aux dcideurs, aux enseignants, touten voulant tre accessible au public dsireux de mieux connatre une ou

    6. Albert Tessier, Rveil rgionaliste, Almanach de la langue franaise (Montral, Librairie

    dAction canadienne-franaise, 1929), 102-103. Voir aussi Fernand Harvey, Lhistoriographiergionaliste des annes 1920 et 1930 au Qubec , Les Cahiers des Dix, 55 (2001): 53-102.

    7. Marc Riopel, Lhistorien et le milieu. Rflexions sur lapplication de lhistoire : la publi-cation dune synthse historique sur le Tmiscamingue , thse de Ph.D. (histoire), UniversitLaval, 2001, vii-550 f. Voir son article dans ce numro.

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    les rgions qui composent le Qubec. Il sagissait donc de rendre dis-ponibles des matriaux pour de multiples usages8.

    Labsence de statut universitaire de lIQRC et sa particularit de ne pas

    tre identifi un centre de recherche tabli dans une ville ou dans unergion spcifique9 ont probablement facilit le dveloppement de parte-nariats avec les diverses rgions du Qubec. Plutt que de miserseulement sur des chercheurs et sur des organisations particulires pourla ralisation dun projet, le Chantier des histoires rgionales a privilgila formule dun partenariat o sont reprsents les milieux sociaux,conomiques, culturels et politiques dune rgion.

    Des liens troits ont alors t tisss autour dun projet rassembleur

    avec la mise en place de comits nomms Comit dhonneur et Comitde financement. Ces deux comits, qui ont servi dinterlocuteurs auChantier des histoires rgionales dans les rgions et qui ont donn chaque projet une lgitimit, regroupent diverses instances du milieu:administrateurs dinstitutions financires, dlgus des universits et descgeps, dirigeants dinstitutions religieuses, gens du milieu des affaires,intervenants dans les milieux culturels, prfets de municipalits rgio-nales de comt et autres. Certains membres proviennent du milieu

    priv, dautres du milieu public, y compris des lus de la population.Leurs rles, outre de donner leur aval un projet dhistoire rgionale,peuvent tre en bref ainsi dfinis : le Comit dhonneur a comme man-dat de parrainer le projet de synthse dans son milieu, tandis que leComit de financement prend sa charge la collecte des fonds nces-saires la ralisation dun projet.

    Cet engagement des instances rgionales reflte certes la proccu-pation dun institut de recherche collaborer avec les principaux dci-

    deurs des rgions. Rappelons que le Chantier des histoires rgionalesnat une poque o diffrents intervenants de la socit qubcoisecommencent sintresser davantage aux ralits sociales et culturellespropres chacune des rgions. Les limites des plans de croissance co-nomique des annes 1960 ont laiss parfois un got amer. Se dveloppeun besoin de mieux connatre les rgions et leur histoire, de saisir leurdynamisme, leurs particularits et leur volution, cette tendance tant

    8. Voir Fernand Harvey, Le chantier sur lhistoire des rgions du Qubec , dans Roch Ctet Michel Venne, dir., Lannuaire du Qubec 2003 (Montral, Fides, 2002), 351-353.

    9. Mme aprs son intgration lINRS en 1994, le Chantier des histoires rgionales acontinu de bnficier du mme avantage caractre suprargional.

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    peut-tre aussi favorise par la perte de sens danciennes rfrences terri-toriales, comme le diocse, et lapparition de nouvelles rfrences,comme la rgion administrative. Bref, on sintresse lespace vcu dans

    ses dimensions dmographiques, sociales, conomiques et culturelles.Les attentes et les besoins des rgionaux quant la signification desespaces rgionaux voluent alors rapidement et les tudes historiquestrouvent une utilit nouvelle. Comme dautres spcialistes, les pro-fessionnels de lhistoire taient maintenant convis sur la place publique.

    Cest peut-tre cette fonction utilitaire de lhistoire que les prin-cipaux partenaires rgionaux sont les plus sensibles, les rsultats destravaux mens pouvant tre utiles la dfense de dossiers spcifiques. Ils

    se sont montrs, en particulier, proccups lorsque les limites desespaces rgionaux taient discutes, ce qui indique galement que largion ne relve pas seulement dune construction des chercheurs, maistout autant de la perception que les habitants sen font. Il est mmepossible dy observer diffrents effets du dmantlement et de la restruc-turation des espaces rgionaux depuis les annes 1960. Rgions admi-nistratives, municipalits rgionales de comt, conseils rgionaux dedveloppement contribuent remodeler les espaces rgionaux, sans

    compter lhritage plus ou moins gomm des diocses catholiques. Cesstructures rcentes appartiennent de plus en plus au vcu des habitantsdun territoire et font sentir peu peu leur influence sur le dcoupagedes espaces rgionaux. Selon leurs proccupations et selon la conceptionque chacun se fait de lhistoire, les intervenants rgionaux sidentifientplus ou moins ces nouveaux espaces. Ajoutons que le sentiment dap-partenance rgionale est fort variable suivant les caractristiques admi-nistratives, gographiques, socio-conomiques et culturelles des rgions

    et que la synthse dhistoire rgionale peut apparatre comme un outilpour forger cette appartenance la rgion et en affirmer lexistence, sanspour autant faire lunanimit.

    Aux membres des comits qui sinquitent de la nature dune syn-thse dhistoire, il faut en expliquer la signification. ce sujet, il estintressant de noter quau cours des annes de dmarrage du chantier,son directeur prouvait souvent des difficults faire comprendre auxhistoriens locaux, aux amateurs dhistoire et autres intervenants quune

    synthse dhistoire rgionale ntait pas la somme dhistoires localesjuxtaposes, mais bien une chelle plus large dobservation et danalyse, savoir le cadre rgional. De tels exemples de synthses rgionales rali-ses par des historiens professionnels ou universitaires taient peu prs

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    inexistants au Qubec avant les annes 1980, ce qui ajoutait la diffi-cult. Les choses ont certes chang, mais le genre douvrage que cons-titue la synthse exige toujours une mise au point.

    Il faut aussi expliquer aux intervenants du milieu comment une syn-thse dhistoire rgionale peut permettre lindividu et sa collectivitde se situer par rapport des ensembles plus grands, comme ltat, et des enjeux particuliers, comme le pouvoir politique, la mondialisation de

    lconomie, en somme, par rapport aux visions du monde qui trans-forment tous les milieux humains, y compris les espaces rgionaux. Siles vritables synthses, plus analytiques que descriptives, devaient treluvre de matres , il nen demeure pas moins quelles continuent de

    rpondre un besoin de mmoire, de savoir, de comprendre.Les discussions avec les partenaires rgionaux rvlent des proc-

    cupations qui peuvent tre relies des enjeux politiques, conomiques,sociaux et culturels. Elles sont indicatrices de lintrt de lhistoire et dela porte de la synthse dhistoire, indpendamment du contenu. Ellessont en plus rvlatrices de limportance de conserver une distance entreles quipes de chercheurs et les partenaires rgionaux.

    Do les questions cruciales : qui crit la synthse dhistoire rgionale

    et quentend-on par partenariat scientifique ? Ces questions nous am-nent dabord traiter de la constitution des quipes de recherche. Cestun processus qui implique assez peu les intervenants de la rgion, mmesil faut tenir compte des inquitudes manifestes par le milieu proposdes aptitudes professionnelles, de la disponibilit et des intrts fort diff-rents des chercheurs face au projet propos, sans oublier les situationsconflictuelles personnelles. Il revient surtout au Chantier des histoires

    rgionales de former les quipes de recherche, recrutant des chercheurs

    qui, souvent, exercent dans la rgion dtude et pratiquent dans lesconditions les plus varies. Chercheurs de diverses disciplineset nonseulement des historiensdes milieux universitaires, enseignants dansles cgeps, certains professionnels lemploi des socits dhistoire etdautres faisant carrire comme travailleur autonome composent eneffet les quipes que dirige, dans la plupart des cas, un chercheur tablien milieu universitaire.

    Le choix des chercheurs nest par ailleurs quun aspect de lorgani-

    sation scientifique dun projet et de la mise en place dun partenariat.Ainsi, la participation de certains chercheurs un projet peut ncessiterla ngociation dententes formelles avec les universits, collges et autrescentres de recherche tablis en rgion afin dobtenir laccord des

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    tablissements auxquels sont rattachs les chercheurs et afin dtablir lescots financiers de leur collaboration.

    Le Chantier des histoires rgionales tient galement compte de la pr-

    sence dautres intervenants rgionaux comme partenaires scientifiques. Ilinvite spcialement les socits dhistoire collaborer et soutenir laralisation des projets. Ces socits dhistoire, en contact beaucoup plusintime avec le grand public que ne pouvaient ltre, par exemple, lesinstitutions universitaires, ont appuy les diffrents projets, exprimantparfois le regret que la tche ne leur soit pas confie et craignant en outreque les travaux mens par des quipes scientifiques ne laissent plus beau-coup de place aux historiens amateurs. La collaboration des socits dhis-

    toire et autres organisations semblables a t essentielle au bon fonc-tionnement et mme la ralisation des projets dont elles ntaient pasles matres duvre, rendant accessibles des fonds de documents et desfonds iconographiques patiemment constitus au fil des ans.

    Suit la dlicate question de lautonomie des quipes de recherche. Ilest rapidement tabli avec les diffrents intervenants que le contenu delouvrage ne scrirait pas autour dune table de concertation, les histo-riens des institutions universitaires ntant, en plus, gure rceptifs

    lide de ngocier leur libert de chercheurs. Aucun des deux comitsmis en place pour la ralisation des projets ntait, par ailleurs, constituavec lintention den faire des comits de lecture. Soulignons nanmoinsque des membres de comits rgionaux ont parfois comment enprofondeur les chapitres de certaines synthses. Ce fut notamment le casde la synthse dhistoire de la Cte-du-Sud, un projet dont les rdacteursexeraient, pour la majorit, lextrieur du milieu universitaire.

    Par contre, si les quipes de chercheurs conservent jalousement leurs

    prrogatives sur les orientations de leur recherche et les interprtationsde leurs donnes, cela ne veut pas dire quelles se sont isoles totalementdes gens du milieu. Nombre dquipes de recherche ont t en effetsensibles des changes avec des organismes rgionaux et mme avecdes chercheurs amateurs dont les connaissances historiques sur les per-

    sonnages, les municipalits et les institutions pouvaient tre utiles. Danscertains projets, la participation du milieu a t aussi sollicite sous dau-tres formes, les chercheurs travaillant avec des intervenants afin de

    mieux connatre leurs attentes et dchanger sur la perception de leurrgion et de son avenir.

    Le Chantier des histoires rgionales a donc opt pour un mode defonctionnement o des instances de la rgion taient reprsentes, mais

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    o ses directeurs ont dfendu le principe de non-ingrence dans la rdac-tion de la synthse. Ce principe de non-ingrence a t galementdfendu face aux partenaires qui contribuaient financirement la rali-

    sation des projets, repoussant la tentation pour les souscripteurs auxcampagnes de financement de demander aux quipes de chercheurs descomptes sur le contenu. Par contre, la participation dun nombre impor-tant de chercheurs provenant ou rsidant dans les rgions a eu pour effetde crer un rapport privilgi entre les comits rgionaux et les quipesde recherche et de rendre plus acceptable la non-intervention dans la

    rdaction. Sil tait impossible pour les quipes de chercheurs de prvoirles diverses utilisations de leurs travaux, elles en matrisaient tout le

    moins le contenu.Une fois convenu que le plan de louvrage et lcriture relvent de

    lquipe de chercheurs, une certaine inquitude plane sur le niveau delangage utilis et la facilit de lecture des textes.

    Pour les chercheurs universitaires qui participent la ralisation dunesynthse dhistoire rgionale et qui tentent de concilier les exigencesscientifiques de leurs pairs et la production dun ouvrage accessible augrand public, le dfi reste considrable. Pour y parvenir, les chercheurs

    ont conserv certaines composantes des travaux scientifiques pendantque dautres ont t dlaisses, comme les chapitres relevant de lamthodologie. Cela aura dailleurs valu quelques mauvaises notes dansles comptes rendus parus dans des revues scientifiques, les synthsestant traites comme des ouvrages produits pour des universitaires sansgard au fait quelles taient galement destines au grand public.

    Dautres compromis sont bientt apparus invitables, le vocabulairedes spcialistes, les tableaux trop longs et dune trop grande complexit,

    lintgration de cartes et autres documents peu utiles la majorit deslecteurs ne trouvant gure leur place dans des ouvrages destins augrand public. Le chercheur doit donc mettre au rancart diverses habile-

    ts purement acadmiques sil veut communiquer adquatement sonsavoir. Il doit par contre en acqurir dautres. Lutilisation de documentsiconographiques, comme complment au texte, est un exemple de cetteadaptation, tout en nayant rien voir avec les livres dillustration.

    La synthse peut bien tre laffaire de matres en histoire, mais

    ceux-ci ne sont pas ncessairement des spcialistes de la communicationet le transfert des connaissances ne constitue pas toujours une de leurs

    priorits. Cest peut-tre mme ce chapitre que se situe le principalcart entre les ouvrages lintention des universitaires et ceux destins

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    au grand public. Lobjectif de communication nest tout simplement pasle mme. En dpit de cette proccupation en matire de transfert dusavoir que lon remarque en particulier dans les annes 1990 chez les

    historiens en gnral, la diffusion douvrages scientifiques lintentiondu grand public reste un objectif difficile atteindre, un constat qui vautdailleurs pour les synthses dhistoire rgionale.

    Aussi, les directeurs du Chantier des histoires rgionales ont-ils com-pris, vers la fin des annes 1980 et le dbut des annes 1990, que ladiffusion des connaissances pouvait aller bien au-del de la publicationde synthses. Ils croyaient en la possibilit datteindre un plus vastepublic en dveloppant divers produits , tel la srie tlviseLes pays du

    Qubec, la collection Les rgions du Qubec histoire en bref et lesite Internet Encyclobec. Le projet Encyclobec vise en outre lexploita-tion de lnorme potentiel offert par les nouvelles technologies enmatire de transfert de connaissances vers le grand public et vers lacommunaut scientifique. La structuration de son contenu reflte uneproccupation de diffusion adapte diffrentes catgories dutilisateurs,tout en laissant la possibilit au grand public daccder des sections dusite qui sadressent davantage des professionnels de la recherche.

    Lapport du Chantier des histoires rgionales aux milieux rgionauxstend par ailleurs au-del de la seule production dune synthse histo-rique et autres produits drivs. Un bon nombre de projets ont donnlieu la publication dune bibliographie rgionale. De plus, la colla-

    boration avec le Chantier des histoires rgionales aura t pour le milieuloccasion dun enrichissement sur le plan de la constitution des archiveset du regroupement du matriel de recherche. Des dossiers de rechercheont t cds des partenaires rgionaux, parmi lesquels les socits

    dhistoire et les centres des archives nationales en rgion. Ces cessions defonds rendent disponible du matriel utile dautres recherches. Depuisle milieu des annes 1990, lutilisation plus intensive de linformatique apermis la constitution de dossiers dont la diffusion par le biais dInternetfacilitera laccs aux historiens amateurs et professionnels. Cest l uneautre contribution dhistoriens de formation universitaire la dmo-cratisation du savoir.

    * * *O se situe le Chantier des histoires rgionales dans la sphre de lhis-toire publique ? Cest, dune part, un Chantier qui ralise ses projets enpartenariat avec le milieu, ce qui a contribu son succs. Cest, dautre

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    part, un Chantier dont les chercheurs exploitent les mthodes de lhis-toire dite scientifique et dont la production est la fois destine auxspcialistes de lhistoire et au grand public. Le compromis entre les deux

    publics naura pas t sans dsavantages. Les premiers reprochent cer-tains silences par rapport lhistoire universitaire, par exemple en ce quia trait au peu de place accorde la critique des sources et la mtho-dologie. Les autres considrent la lecture parfois trop difficile, ce qui met

    bien en vidence le dfi dcriture que pose la Public History pour lhis-torien professionnel. En fait, le souci de communiquer des rsultats derecherches scientifiques dans un langage accessible au grand public nestpas lquivalent dune simple vulgarisation scientifique. Les synthses

    dhistoire rgionale sont plutt des ouvrages dont la forme de commu-nication se situe entre celle qui est propre lexpos savant des connais-sances scientifiques et celle quexige le grand souci daccessibilit delouvrage de vulgarisation.

    Il est toutefois illusoire de croire que les synthses dhistoire rgionalepuissent attirer les divers publics qui composent un large auditoire. Pour

    cette raison, dans le cadre des travaux du Chantier des histoires rgio-nales, la volont de diffusion de la recherche et de transfert des connais-

    sances lintention du grand public a pris des formes multiples avec ledveloppement de produits drivs des travaux raliss sur les rgionsdu Qubec. Plutt que de viser de multiples objectifs comme cest le caspour les synthses dhistoire rgionale, ces produits drivs, en largis-sant le faisceau de diffusion, tmoignent dune proccupation de trans-fert des connaissances qui rpondent plus spcifiquement au simple gotde connatre ou au plaisir de dcouvrir du lecteur, du tlspectateur etde linternaute. Ces nouvelles activits de diffusion largissent du mme

    coup lutilisation des connaissances historiques pour diverses fins, entreautres pour rpondre aux besoins du tourisme culturel.

    Enfin, le vcu du Chantier des histoires rgionales montre lexistencede proccupations trs diverses envers lhistoire, allant dun besoinculturel celui de la promotion de causes pour des fins de revendication.Puisquil en est ainsi, mieux vaut viter autant que possible les faussetset les demi-vrits, ce qui est dj suffisant pour inciter le chercheuruniversitaire participer aux dbats et mettre les choses en perspective.