Personnage Roman 19eme

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Théorie littéraire à l'usage des étudiants préparant le CAPES de lettres modernes

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  • Yvan Leclerc Le personnage de roman au XIXe sicle

    Confrence pour les enseignants de lyce 30 janvier 2008

    INTRODUCTION

    Le XIXe sicle est celui du roman, de sa monte en puissance. Ce genre sans lettres de noblesse ni lgitimit (absent de la Potique dAristote, et presque absent de lArt potique de Boileau), devient la grande forme littraire totalisante. Attention nanmoins prendre en compte une certaine myopie des spcialistes dun seul sicle qui peut nous inviter relativiser certaines affirmations (cf. notamment la confrence de Stphanie Genand sur le XVIIIe s.). Trois remarques sur le document officiel du nouveau programme 2007 : 1) visions de lhomme et du monde . Ambigut de lexpression visions de lhomme , avec un gnitif objectif et subjectif. Exemple latin : la peur des ennemis. Le personnage reprsente-t-il lhomme qui voit (subjectif) ou permet-il au lecteur de voir lhomme ? La suite et du monde oriente plutt vers le sens objectif (nous voyons lhomme et nous voyons le monde), mais ambigut fconde du terme vision , qui engage la catgorie narratologique du mode : qui voit dans le roman ? Le personnage est li la focalisation. Lhomme et le monde : le singulier pose problme, parce que le XIXe sicle reprsente non pas lhomme mais des hommes, dans la diversit de leurs conditions et de leurs situations. Le personnage nappartient plus une essence, une nature humaine fixe, au sens o La Bruyre pouvait crire des Caractres. Le monde : on prend conscience de la pluralit des mondes, pas au sens de Fontenelle, mais au sens o le monde est ma reprsentation, o il y a autant de mondes que de catgories de personnages. Lobjectivit du monde unique est multiplie par la diversit des subjectivits. On voit comment sont lis les deux pluriels : cest parce quil y a des hommes quil y a des mondes. On ne joue pas sur les mots : cest le fondement mme du ralisme, et du ralisme subjectif . Le singulier est du ct dune conception idaliste de lhomme, du monde, alors que le pluriel convient au ralisme. 2) Dpasser le stade de lidentification psychologique au personnage . On tombera aisment daccord sur la diffrence entre la personne et le personnage, les tres de papier qui habitent la fiction et les tres de chair et dos que nous sommes, mais quand on a trac la frontire indispensable pour nos lves ou pour nos tudiants, on na encore rien dit de ce que Vincent Jouve appelle, dans un livre qui porte ce titre, leffet-personnage dans le roman , savoir que le roman, et singulirement le personnage dans le roman, ne peut se passer dune illusion rfrentielle minimale (p. 9). Pour fonctionner, le personnage doit faire croire quil existe en dehors du papier. Nous sommes dans le comme si , mais sans comme si , il ny a pas de fiction. Nous ne sommes pas au stade de lidentification psychologique au personnage , mais dans la croyance qui nest pas lidentification : je peux croire lexistence dun personnage avec lequel je nai pas envie de midentifier. Lauteur russit-il me faire croire la fiction ? Cette croyance nest pas de la crdulit (sinon cela devient du bovarysme !). Le lecteur nest pas dupe. Il pratique ce que Samuel Taylor Coleridge,

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  • pote et critique anglais (1772-1834) appelle la suspension of disbelief , la suspension de lincroyance. Le personnage est le vecteur principal de cette croyance une ralit hors texte, plus que les autres lments du roman : laction peut mtre trangre, le lieu lointain, le temps inconnu : cest par le personnage que le lecteur entre dans lunivers de la fiction. 3) La notion de personnage, en tant quelle a pu se fonder sur une conception humaniste de la psychologie humaine, a t remise en cause au XXe sicle dans ses fondements mmes, depuis la naissance de la psychanalyse jusquau Nouveau Roman. Certes Marx, Nietzsche, Freud ne nous ont gure laiss dillusions sur notre libert intrieure, sur notre matrise consciente des forces du dedans et du dehors, mais on ne les a pas attendus pour remettre en cause la conception humaniste de la psychologie humaine . Aucun personnage romanesque du XIXe sicle ne relve de cette conception humaniste , dont on aimerait quon nous explique ce quelle est : que lhomme est bon, quil obit au cur et la raison, quil se montre vertueux, charitable, etc. Peut-tre est-ce vrai pour les personnages de George Sand ?

    Gnralits sur le personnage au XIXe sicle Existe-t-il un personnage type au XIXe sicle ? Gracq, LettrinesCorti, 1967, p. 35-36. Fiche signaltique des personnages de mes romans Epoque: quaternaire rcent. Lieu de naissance: non prcis. Date de naissance: inconnue. Nationalit: frontalire. Parents: loigns. Etat civil: clibataires. Enfants charge: nant. Profession: sans. Activits: en vacances. Situation militaire: marginale. Moyens d'existence: hypothtiques. Domicile: n'habitent jamais chez eux. Rsidences secondaires: mer et fort. Voiture: modle propulsion secrte. Yacht: gondole, ou canonnire. Sports pratiqus: rve veill, noctambulisme. Les rponses sont humoristiques, mais les catgories srieuses. Cette Fiche et sa mention tat civil font penser Balzac : faire concurrence lEtat-Civil , expression qui se trouve dans l Avant-propos de la Comdie humaine (1842) :

    N'est-il pas vritablement plus difficile de faire concurrence l'Etat-Civil avec Daphnis et Chlo, Roland, Amadis, Panurge, Don Quichotte, Manon Lescaut, Clarisse, Lovelace, Robinson Cruso, Gilblas, Ossian, Julie d'Etanges, mon oncle Tobie, Werther, Ren, Corinne, Adolphe, Paul et Virginie, Jeanie Dean, Claverhouse, Ivanho, Manfred, Mignon, que de mettre en ordre les faits peu prs les mmes chez toutes

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  • les nations, de rechercher l'esprit de lois tombes en dsutude, de rdiger des thories qui garent les peuples, ou, comme certains mtaphysiciens, d'expliquer ce qui est? D'abord, presque toujours ces personnages, dont l'existence devient plus longue, plus authentique que celle des gnrations au milieu desquelles on les fait natre, ne vivent qu' la condition d'tre une grande image du prsent. Conus dans les entrailles de leur sicle, tout le coeur humain se remue sous leur enveloppe, il s'y cache souvent toute une philosophie.

    Pour Balzac, ce dfi de la littrature est plus difficile relever que ceux qui attendent lhistorien, le juriste, le philosophe ou le mtaphysicien. Quest-ce que cela suppose pour le personnage ? Quil ait une identit, personnelle et collective, quil soit dfini compltement par toutes les dterminations qui figurent sur un tat civil (passeport de Flaubert, 1840 : profession, lieu de naissance, lieu de rsidence, ge, taille, cheveux, front, sourcils, yeux, nez, bouche, barbe, menton, visage, teint, signes particuliers (voir les 3 passeports de Flaubert accessibles depuis cette page : http://flaubert.univ-rouen.fr/biographie/ ), quil ait une lgitimit, une lgalit comme celle que donne ltat-civil. Ces dtails descriptifs sexpliquent par labsence de la photographie didentit. On peut lui demander : personnage, vos papiers ! Cette concurrence ltat-civil dfinit le personnage raliste, comme si son existence tait atteste, hors fiction, par un document officiel, administratif. En crivant cette expression, et en lopposant au travail de lhistorien qui doit mettre en ordre des faits , lit-on dans la mme phrase de l Avant-propos de la Comdie humaine, Balzac place au centre du roman, non pas le rcit, mais le personnage. Do la grande majorit des romans qui ont pour titre le nom du personnage ponyme. Le roman se prsente comme la biographie du personnage principal, de sa naissance sa mort, ou du moins depuis lvnement qui noue lintrigue, ce qui prcde (les antcdents, les enfances, la gnalogie) tant pris en charge par un rcit rtrospectif. * Lpoque : Le premier renseignement de la fiche tablie par Gracq concerne lpoque (rponse de Gracq : Quaternaire rcent . Parole de gographe, pour qui lchelle de temps est gologique). Pour les personnages du XIXe sicle : leur poque. Le XIXe sicle a invent le roman historique (Balzac, Hugo se rfrent Walter Scott (ND : pour un complment sur le roman historique et la contribution de Walter Scott, on peut consulter le site du CRDP du Gers : http://www.crdp-toulouse.fr/docenligne/spip.php?article22 ), roman o se ctoient personnages rels et fictifs, avec pour effet de crdibiliser les personnages fictifs qui vivent dans le mme monde que les personnages rfrentiels (Hamon, Pour un statut smiologique du personnage ) : pensons Hugo, Notre-Dame de Paris. 1482, Vigny, Cinq-Mars (Louis XIII), les romans de Dumas, les romans antiques (Gautier, Le roman de la Momie ; Flaubert, Salammb). Mais surtout, le XIXe invente le roman du prsent. Les notions de ralisme et de naturalisme sont insparables de la reprsentation de la ralit immdiate. Il sensuit que les personnages sont les contemporains des lecteurs, quils vivent dans leur monde. Mme les grands romans historiques du XIXe sicle situent laction dans un pass proche, ou dans un pass dans on na pas fini de sentir les effets : la Rvolution pour Les Chouans de Balzac, Le Chevalier des Touches de Barbey, Quatre-ving-treize de Hugo. Peut-on considrer Lducation sentimentale comme roman historique ? Oui, puisque cest un roman sur et pendant les journes de 1848, mais le rcit se termine au prsent de narration (dernier chapitre : Vers le commencement de cet hiver, Frdric et Deslauriers causaient au coin du feu . Cet hiver : le dictique renvoie au temps actuel, 1869, vingt ans aprs les faits principaux, anne de la publication du roman. Les personnages vivent ou survivent encore au moment o le rcit sachve : cela implique une proximit et une familiarit du personnage. Si jcris un roman dont laction se passe en mai 68,

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  • est-ce un roman historique ? Oui, les faits se sont passs il y a 40 ans, non si je poursuis le rcit jusqu aujourdhui avec des personnages sexagnaires. Autre indice de familiarit ou de reconnaissance : le nom propre du personnage. On ne trouve plus de prnoms tels quAstre ou Cladon, mais des prnoms et des noms dtat civil, attests, quon peut trouver dans lannuaire ou dans les almanachs. Bref, les noms propres sont des noms communs. Bien entendu, le nom propre nest pas un signifiant insignifiant, et les analyses de Philippe Hamon restent pertinentes : le romancier travaille motiver larbitraire du patronyme ; le nom propre vaut autant et plus par ce quil connote que par ce quil dsigne. Un nom signe souvent un destin. Voir le dbut de Z. Marcas (VIII, 829) :

    Il existait une certaine harmonie entre la personne et le nom. Ce Z qui prcdait Marcas [], cette dernire lettre de lalphabet offrait lesprit je ne sais quoi de fatal. MARCAS ! Rptez-vous vous-mme ce nom compos de deux syllabes, ny trouvez-vous pas une sinistre signifiance ? Je ne voudrais pas prendre sur moi daffirmer que les noms nexercent aucune influence sur la destine. Entre les faits de la vie et le nom des hommes, il est de secrtes et dinexplicables concordances ou des dsaccords visibles qui surprennent .

    Dernire lettre de lalphabet que Balzac possde au milieu de son nom. Dune manire gnrale, les personnages des romans du XIXe sicle sappellent comme nous. Anecdote rvlatrice : dans le roman de Zola, Pot-Bouille, se trouve un personnage nomm Duverdy, avou la cour dappel rsidant rue de Choiseul. Or, un monsieur Duverdy, avocat la cour dappel et rsidant place Boieldieu, prs de la rue de Choiseul, trouve des analogies avec sa personne et il intente un procs Zola en lui demandant de retirer son nom du roman. Finalement, Zola sera condamn. Dans la fiche de Gracq, il manque les signes particuliers, rubrique qui figure en gros caractres sur les passeports : en labsence de la photo, ces signes particuliers sont videmment trs individualisants, trs distinctifs. Ce sont souvent des dtails : pour le passeport de Flaubert, il sagit dune cicatrice et dune brlure la main. (voir les 3 passeports de Flaubert accessibles depuis cette page : http://flaubert.univ-rouen.fr/biographie/ ) Avant le XIXe sicle, les portraits taient idaliss : Princesse de Clves : Il parut alors une beaut la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et lon doit croire que ctait une beaut parfaite, puisquelle donna de ladmiration dans un lieu o lon tait si accoutum voir de belles personnes . Sont prsents trois fois les mots belle ou beaut : la perfection ne se dcrit pas ; elle se donne en gros et non en dtails. La description raliste sera faite de dtails. Il ny a pas de beaut si parfaite quon ne puisse la dcrire dans le dtail, et en la dcrivant dans le dtail, on y dcouvre des imperfections. Lun des signes particuliers qui pourrait tre emblmatique du portrait physique raliste, cest la petite vrole, les cicatrices que laisse la variole. Portrait du pre Grandet : Au physique, Grandet tait un homme de cinq pieds, trapu, carr, ayant des mollets de douze pouces de circonfrence, des rotules noueuses et de larges paules ; son visage tait rond, tann, marqu de petite vrole ; son menton tait droit, ses lvres noffraient aucune sinuosit, et ses dents taient blanches; ses yeux avaient l'expression calme et dvoratrice que le peuple accorde au basilic; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubrances significatives; ses cheveux jauntres et grisonnants taient blanc et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravit d'une plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout, supportait une loupe veine que le vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonait une finesse

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  • dangereuse, une probit sans chaleur, l'gosme d'un homme habitu concentrer ses sentiments dans la jouissance de l'avarice et sur le seul tre qui lui ft rellement de quelque chose, sa fille Eugnie, sa seule hritire. Attitude, manires, dmarche, tout en lui, d'ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l'habitude d'avoir toujours russi dans ses entreprises. Aussi, quoique de murs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait-il un caractre de bronze. Toujours vtu de la mme manire, qui le voyait aujourd'hui le voyait tel qu'il tait depuis 1791. Ses forts souliers se nouaient avec des cordons de cuir, il portait en tout temps des bas de laine draps, une culotte courte de gros drap marron boucles d'argent, un gilet de velours raies alternativement jaunes et puces, boutonn carrment, un large habit marron grands pans, une cravate noire et un chapeau de quaker. Ses gants, aussi solides que ceux des gendarmes, lui duraient vingt mois, et, pour les conserver propres, il les posait sur le bord de son chapeau la mme place, par un geste mthodique. Saumur ne savait rien de plus sur ce personnage. (Pliade, III, 1035-1036). Portrait dHomais : Un homme en pantoufles de peau verte, quelque peu marqu de petite vrole et coiff d'un bonnet de velours gland d'or, se chauffait le dos contre la chemine. Sa figure n'exprimait rien que la satisfaction de soi-mme, et il avait l'air aussi calme dans la vie que le chardonneret suspendu au-dessus de sa tte, dans une cage d'osier : c'tait le pharmacien. La vrole est une marque dhyperralit. La tte parfaite nest pas absolument ressemblante. Cela tait dj vrai dans lesthtique de Diderot : Mais que lartiste me fasse apercevoir au front de cette tte une cicatrice lgre, une verrue lune de ses tempes, une coupure imperceptible la lvre infrieure et didale quelle tait, linstant la tte devient un portrait ; une marque de petite vrole au coin de lil ou ct du nez, et ce visage de femme plus celui de Vnus ; cest le portrait de quelquune de mes voisines. Je dirai donc nos conteurs historiques : vos figures sont belles, si vous voulez ; mais il y manque la verrue la temps, la coupure la lvre, la marque de petite vrole ct du nez qui les rendraient vraies ; et comme disait mon ami Caillot : Un peu de poussire sur mes souliers, et je ne sors pas de ma loge, je reviens de la campagne Diderot, Les amis de Bourbonne (postface). * La langue : Le personnage raliste parle comme nous. Mais ce nous nest pas unifi dans la langue. La langue standard est une abstraction : les personnages se dfinissent non seulement par ce quils disent mais aussi par leur niveau de langue, par leur sociolecte . Philippe Dufour, La Pense romanesque du langage, Seuil, 2004. Le roman du XIXe sicle reprsente laffrontement des sociolectes (p. 19). Au XIXe, merge un nouveau sujet de lhistoire, le Peuple, qui est la fois objet de reprsentation, destinataire de luvre (le Peuple salphabtise, se met lire), personnage collectif (les foules de Germinal) et locuteur : il est une parole reprsenter. Le roman qui va le plus loin dans lexprimentation linguistique, cest sans doute LAssommoir. Prface de Zola :

    On sest fch contre les mots. Mon crime est davoir eu la curiosit littraire de ramasser et de couler dans un moule trs travaill la langue du peuple. [] personne na entrevu que ma volont tait de faire un travail purement philologique, que je crois dun vif intrt historique et social (Pliade, II, 373).

    Cest le scientifique qui parle, le linguiste. Mais un linguiste romancier : la langue du peuple est un matriau travailler. Ce qui a choqu aussi et peut-tre surtout, cest la contamination du rcit par les discours, de la langue du narrateur par la langue des personnages, comme si le narrateur ne se contentait pas de rapporter des paroles au style direct en utilisant largot : lui-mme parle argot.

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  • * Personnage reparaissant On doit au XIXe sicle et Balzac une autre ide de gnie pour rapprocher le personnage de la ralit du lecteur, cest linvention en 1835 avec Le Pre Goriot du retour des personnages. Cela accentue le ralisme des personnages reparaissants parce quils continuent vivre entre deux romans, dans linterstice, comme nous entre deux histoires. Ils ne sont pas enferms dans une seule uvre, mais ils circulent dans le corps social tout entier. Mme effet produit par le personnage de roman-feuilleton, invention de la presse du XIXe sicle : le personnage vit dans la dure, selon un rythme quotidien ou hebdomadaire, qui est aussi celui du lecteur. Le personnage reparaissant trouvera une modulation dans les 20 romans des Rougon-Macquart : Histoire dune famille sur quatre gnrations. Zola publie larbre gnalogique dans le t. VIII des RM, Une page damour. (NDE : la note liminaire de Zola et larbre gnalogique sont visibles ici : http://fr.wikisource.org/wiki/Une_page_d%E2%80%99amour ; tlcharger larbre gnalogique en format image (jpg) : http://lettres.ac-rouen.fr/francais/prog_lyc_fic/persrom/zolarbgen.jpg ) Mais ce qui est diffrent chez Zola, cest quil sintresse lhrdit. Toutefois, son ambition est identique : celle de crer un monde, avec des personnages qui unifient les uvres spares, qui sont les pices dun ensemble plus vaste. * Le modle scientifique A propos dhrdit, il convient de parler ici des relations entre sciences et littrature au XIXe sicle, en considrant lincidence sur le personnage. Le modle scientifique est surtout revendiqu par le naturalisme : le mot naturalisme nest pas form sur nature , mais sur ladjectif naturel dans lexpression sciences naturelles. Le Roman exprimental, est un titre inspir de Claude Bernard, La Mdecine exprimentale (1865). La posture du romancier est celle du savant. Cela est dj vrai chez Balzac : l Avant-propos commence par un rappel de la querelle entre Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire, entre les thories fixiste et volutionniste : pour Geoffroy Saint-Hilaire, les espces se sont diffrencies au fil du temps suivant les contraires du milieu. Balzac reprend cette ide dune unit de composition et dune diffrenciation opre par les milieux sociaux : Je vis que la Socit ressemblait la Nature. La Socit ne fait-elle pas de lhomme, suivant les milieux o son action se dploie, autant dhommes diffrents quil y a de varits en zoologie ? [] Il a donc exist, il existera donc de tout temps des Espces sociales comme il y a Espces zoologiques (Pliade, I, p. 8). Les espces sont ce que Balzac appelle des types , dont il estime le nombre trois ou quatre mille personnages dans une Socit. La Comdie humaine compte environ 2 200 personnages, y compris les personnes relles. Milieu : le matre-mot, de Balzac jusqu Zola, en passant par le relais de Taine, qui thorise les trois facteurs qui expliquent luvre dun crivain, mais on voit que ces catgories peuvent galement sappliquer aux personnages : la race ( dispositions innes et hrditaires ), le milieu, le moment. Le lien entre le personnage et le milieu prend la forme de la rciprocit, dont la formulation la plus claire se trouve dans la description de Mme Vauquer et de sa pension : toute sa personne explique la pension, comme la pension implique sa personne (Pliade, III, 54). Balzac tablit une correspondance potique entre le personnage et son habitat (lun est la mtaphore de lautre)

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  • et un rapport logique, intellectuel : explication et implication. : lun ne se comprend pas ou nexiste pas sans lautre. Ce lien va se transformer en une causalit dans les romans de la deuxime moiti du sicle : il sagira moins de rciprocit que de causalit sens unique, le milieu exerant une pression sur le personnage qui est entirement dtermin : Nana ne choisit pas son destin, elle est dtermine par la double cause de lhrdit (fille de Gervaise et de Coupeau) et par le milieu dans lequel elle a grandi (la Goutte dor), puis par celui dans lequel elle volue (le thtre). Lune des consquences de cette action du milieu, cest que le personnage a perdu sa libert ( comparer avec le hros stendhalien). La science a remplac le fatum antique par le dterminisme. * Portrait physique et moral Le lien entre le dedans et le dehors, tabli par la science, ne concerne pas seulement la vie du personnage et son milieu, mais galement, dans le personnage lui-mme, le rapport entre dehors et dedans, le portrait physique et le portrait moral, la prosopographie et lthope. Le romancier peut jouer sur lantithse (Quasimodo) et plus souvent sur la similitude, lanalogie, par la mtaphore. Voir le portrait de Grandet : son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubrances significatives ; ses cheveux jauntres et grisonnants taient blanc et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravit dune plaisanterie faite sur M. Grandet (Pliade, III, 1036). Protubrances significatives : bosse de lavarice. Gall et Lavater (cits dans l Avant-propos ), inventeurs de la phrnologie et de la physiognomonie. Il y a un principe de cohrence, de rapport entre tous les lments du rcit. On fonde lunit du personnage sur un discours scientifique (ou pseudo-scientifique, qui cesse de fonctionner au milieu du XIXe sicle) qui permet des correspondances potiques. * Incidences de la science sur le personnage : * profession : de Balzac Zola, continuit du personnage du mdecin (de Bianchon au docteur Pascal), en passant par les mdecins de Madame Bovary. La mdecine, comme science dominante, connat les secrets de la vie et de la mort. Cest le mdecin qui peut tenir un discours crdible sur lhomme et sur le monde. * la psychologie du personnage dpend de sa physiologie. Les personnages ont un corps. Le XIXe est le sicle de lincarnation du personnage, au sens o le ralisme puis le naturalisme, par la description dtaille en particulier, lui donnent un poids, une paisseur physique. * le romancier lui-mme regarde ses personnages avec un il mdical. Clbre clausule de larticle de Sainte-Beuve sur Madame Bovary : Car en bien des endroits et sous des formes diverses, je crois reconnatre des signes littraires nouveaux : science, esprit dobservation, maturit, force, un peu de duret. Ce sont les caractres que semblent affecter les chefs de file des gnrations nouvelles. Fils et frre de mdecins distingus, M. Gustave Flaubert tient la plume comme dautres le scalpel. Anatomistes et physiologistes, je vous retrouve partout ! (NDE : pour lire lensemble de cet article de Sainte-Beuve : http://flaubert.univ-rouen.fr/etudes/madame_bovary/mb_sai.htm )

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  • Voir aussi la clbre caricature de Lemot (1869) : Flaubert brandissant comme un trophe victorieux le cur sanglant dEmma au bout dun scalpel qui ressemble plutt un couteau de boucher.

    * Personnage et romancier * Romans la premire personne : le contrat de lecture repose sur une illusion didentit entre lauteur, le narrateur et le personnage. * Mesurer la distance entre le narrateur et ses personnages : un cart qui va croissant. Le narrateur du Rouge et le Noir appelle Julien Sorel notre hros , notre ami , il instaure un rapport de connivence, de complicit trois, avec le lecteur. Il y a rupture de complicit dans la seconde moiti du sicle avec le principe de limpersonnalit qui proscrit les interventions dauteur, quelles soient idologiques ou techniques. Les contemporains de Madame Bovary ont t frapps par linsensibilit, lindiffrence, limpassibilit du narrateur (confondu avec lauteur) vis--vis de ses personnages. Dclaration de Flaubert Louise Colet : Ce sera, je crois, la premire fois que lon verra un livre qui se moque de sa jeune premire et de son jeune premier (9 octobre 1852, propos du premier dialogue entre Emma et Lon, Corr., Pliade, II, 172). * Impersonnalit que lon peut traduire en termes de focalisation : qui voit le personnage ? que voit le personnage ? On constate une volution dans le sens dun dsengagement du narrateur, qui dlgue au personnage la vision par focalisation interne. Le lecteur voit ce que voit le personnage. Noter la diffrence entre les descriptions de la bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme et dans Les Misrables. Dans le premier cas, on ne voit rien parce que Fabrice ne voit rien ; dans le second, on voit tout parce que le narrateur se fait historien panoramique.

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  • Voir dans Le Roman , en prface Pierre et Jean, la distinction opre par Maupassant entre le roman danalyse pure et le roman objectif (NDE : on peut lire cette prface ici : http://www.ac-orleans-tours.fr/lettres/coin_prof/realisme/preface_de_pierre_et_jean.htm ) * Utilisation du style indirect libre : mixe de voix entre la pense ou la parole intrieure du personnage et le narrateur, souvent imperceptiblement ironique. Procd que Flaubert na pas invent (exemples chez La Fontaine) mais quil a utilis massivement, et qui sera repris et amplifi par Zola. Procd qui nexistait pas dans les grammaires : il ne sera nomm qu la fin du XIXe ou au dbut du XXe. * Madame Bovary, cest moi. : La citation "Madame Bovary, c'est moi" ne se trouve ni dans la Correspondance ni dans les oeuvres de Flaubert. Elle figure en note du livre de Ren Descharmes, Flaubert. Sa vie, son caractre et ses ides avant 1857, Ferroud, 1919, p.103 :

    Une personne qui a connu trs intimement Mlle Amlie Bosquet, la correspondante de Flaubert, me racontait dernirement que Mlle Bosquet ayant demand au romancier d'o il avait tir le personnage de Mme Bovary, il aurait rpondu trs nettement, et plusieurs fois rpt:"Mme Bovary, c'est moi! - D'aprs moi".

    La "personne" dont il est question serait M. E. de Launay, 31, rue Bellechasse, d'aprs une note manuscrite de Ren Descharmes (BNF, N.A.F., 23.839, f342). Trajets du XIXe

    * du hros lindividu, lhomme sans qualit : Comment passe-t-on du hros inspir par lpope napolonienne (romans de lnergie, chez Balzac et Stendhal) aux individus de la fin du sicle (qui ne sont mme pas des antihros) ? Relire ce sujet les chapitre 3 des Confessions dun enfant du sicle de Musset. Il y a une dissolution du personnage : par la mcanisation (Bouvard et Pcuchet), par le flux de conscience du monologue intrieur (Edouard Dujardin, Les lauriers sont coups), dans un sujet collectif, chez Zola : le Ventre de Paris, la Mine, limmeuble dans Pot-Bouille. De plus, surgit une ambigut morale : est-il bon ? est-il mchant ? (de cette ambigut naissent les procs) : pas de jugement moral sr. Cf. le hros problmatique (Lukacs, Thorie du roman).

    Question Yvan Leclerc Question : quel est le lien entre romans et fait divers ? Pourquoi Flaubert refuse-t-il le lien entre Mme Delamare et Emma Bovary ? Y. Leclerc : Ce lien est trs proche, notamment cause de la publication des romans en feuilletons. Par ailleurs, les crivains lisent tous la gazette des tribunaux ( lorigine du Rouge et le Noir : laffaire Berthet (NDE : La Gazette des Tribunaux. Numros des 28, 29, 30 et 31 dcembre 1827). Il existe cette poque une fascination pour lexistence des monstres moraux ; les limites de lhumanit sont recherches dans les faits divers. Flaubert a connu laffaire Delamare (lettre Maxime Du Camp), mais il sen dfend car il ne veut pas tre accus de ralisme, ce qui amoindrirait le statut duvre dart ; cest le style qui lintresse (il relit en mme temps Homre : il veut faire une pope partir de tout ce qui est le plus commun.). La famille Delamare connaissait la famille Flaubert (Eugne

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  • Delamare est un ancien lve du pre de Flaubert et les Delamare taient dbiteurs des Flaubert. Flaubert veut parvenir crier une uvre dart partir de ce qui est le plus banal. Question : Maupassant est parfois rpertori comme crivain naturaliste. Il a particip aux soires de Mdan, certes, mais quen est-il de cette classification ? Y. Leclerc : Cest tout le problme des tiquettes : les crivains eux-mmes sen sont dfendu ; cela dit, pour llve, cest peut-tre plus simple et moins faux (car Boule de Suif est parue dans les soires de Mdan) que sil ne retient rien du tout. Les critiques de lpoque ont confondu sans cesse Maupassant avec les naturalistes : il faut montrer que Maupassant les a accompagns en ayant ses particularits. Tout dpend aussi de la dfinition du naturalisme que lon adopte : si on le restreint au modle scientifique, Maupassant nen fait pas partie (car il ny a pas denqute prliminaire et il ne se prsente pas comme un savant). F. Didier : il est effectivement opportun de ne pas se focaliser sur les tiquettes , qui sont presque toujours dfinies a posteriori.

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    Gnralits sur le personnage au XIXe sicle