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Perspectives de l'éducation littéraire

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G Y O R G Y M. VAJDA

PERSPECTIVES DE L'I~DUCATION LITTI~RAIRE

Au terme de plusieurs d6cennies d'enseignement de la litt& rature on est en droit de se poser certaines questions: est-ce que cette activit6 contribue r6ellement ~t former des individus d'une qualit6 sup6rieure, est-ce que les lettres sont vraiment aptes ~ 61ever le niveau moral de l'ensemble de rhumanit6 et des hommes qui la composent. La rencontre avec la litt6rature de valeur ~ l'6cole - depuis le primaire jusqu'~t l'universit6 - est-elle A m~me d'exercer un impact favorable sur l'6closion de la personnalit6, peut-elle avoir une influence salutaire sur l 'homme? N'est-ce pas chim~rique de poser des questions de ce genre de nos jours, ~t une 6poque ott la culture litt6raire a cess6 de constituer le noyau de la culture humaine, pour c~der la place aux sciences naturelles, 616merits de base de notre monde technologique. Que reste-t-il des perspectives de l'enseignement de la litt6rature? Ne faudrait-il pas adapter l'6ducation litt6- raire aux nouvelles exigences qu'impose un monde technolo- gique moderne ? Et si oui, sous quelles formes cette adaptation devrait-elle avoir lieu ?

Que Jacques Voisine me permette de placer ces questions en t6te de cette petite &ude ~crite en son honneur. Car il me semble qu'avee route sa profonde 6rudition, ses ouvrages de grande envergure, son importante activit~ scientifique et organisatrice internationale, il est rest6 un 6ducateur, un professeur dans le sens 6tymologique du mot profiteri, soit ~ d6clarer hautement, reconnaitre publiquement. }> I1 a &6 et il est demeur6 un homme de principes qui n'a jamais dissimul6 son opinion d'6rudit sage et cultiv6e, qui n'a jamais cess6 de s'int6resser h la cause de la

Neohelicon 12/1 Akaddmlai Kiad6, Budapest John Ben]amins B. V., Amsterdam

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communaut6, e t a travaill6 avec conviction pour la paix et la compr6hension entre les hommes. Nous avons b6n6fici6 de ses enseignements, il nous a servi de mod6le, C'est ~t lui que je d6die ces quelques id6es relatives ~t l'aVenir de l'6ducation litt6- rake, id6es modestes mais qui me pr6occupent depuis un cer- tain temps.

1. Je voudrais partir d'un fait observ6 par les statisticiens, par les organisateurs de l'6ducation et par les sociologues qui sont unanimes ~t affirmer que par rapport ~t ce qu'on avait connu dans la premi6re moiti6 du XX ~ si~cle, le niveau de la culture litt6raire et l'int6rat port6 h la litt6rature ont baiss6 dans le monde entier. Le hombre des 6coles a augmentS, celui des analphab~tes a diminu6 m~me dans les pays du tiers monde, mais la croissance quantitative des institutions p6dagogiques n'a ~ pas entrain6 une perfection qualitative de l'enseignement. Dans beaucoup de pays et cela vaut 6galement pour les pays industriels d6velopp6s - l'enseignernent primaire n'est pas ~t marne de fournir aux 61~ves une connaissance sore de l'6criture et de la lecture, condition premi6re de route culture litt6raire. Des jeunes qui dans des pays jadis c61~bres pour leur culture litt6raire et linguistique, sortent des 6coles secondaires et entrent aux universit6s ne possbdent trbs souvent pas de connaissances grammaticales et orthographiques sores, et beaucoup d'ensei- gnants universitaires se plaignent de ce que nombre de leurs 6tu- diants ne sont pas capables de lire et de comprendre tout seuls un ouvrage litt6raire, un livre ou une 6rude de la litt6rature sp6- cialis6e. Une partie non n6gligeable d'entre eux n'a m~me pas acquis une technique de lecture qui corresponde aux normes de Funiversit6.1

La baisse du niveau de Ia culture litt6raire n'est qu'un des sympt0mes de la baisse g6n6rale de la culture humaniste. Ce

1 Theodor W. Adorno dans le livre Erziehun# zur Milndiykeit (Frank- furt/M: Suhrkamp Verlag, 1970. passim) dans lequel on a r6uni ses con- f6rences et conversations tenues darts le Hessische Rundfunk parle de ces probl6mes et des probl6mes pareils.

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problbme a 6t6 amplement trait6 par beaucoup d'auteurs de sorte qu'il me semble inutile de m'y 6tendre ici. Je me bornerai donc ~t citer quelques-uns d'entre eux qui font autorit6.

Arnold Toynbee, c6lbbre analyste de notre 6poque et de notre demain, trouve l'explication dans la sp6cialisation excessive. Autrefois - et jusqu'au tournant m~me du XIX ~ et XX e sibcles - la civilisation europ6enne aussi bien que la civilisation chinoise, la plus grande parmi celles d'Extr~me-Orient, 6talent caract6ris6es par le fait que la notion de culture 6tait 6quiva- lente h la connaissance des auteurs grecs et latins de l'Antiquit6 ou des auteurs confuc6ens, respectivement. Toute en repr6sen- rant une variante de la sp6cialisation, cette conception de la

culture n'en permettait pas moins une connaissance g6n6rale du monde. Partant de l'hypothbse que le sp6cialiste est en mesure de conna~tre son domaine particulier jusque dans ses moindres d6tails, notre 6poque nous impose une autre sp6cialisation. En tant qu'historien, Toynbee se rangeait parmi les ~ g6n6ralistes ~. En accord avec Karl Marx, tout comme avec Albert Einstein ou Albert Schweitzer, il affirmait que la sp6cialisation excessive d6forme l'image qu'on se fait de la r6alit6, qu'elle dissimule les vrais rapports et, en dernier ressort, emp~che l 'homme d'agir correctement. De m~me - d~clare Toynbee - si les sp6cialistes ne savent 6crire de faqon intelligible que pour les Coll~gues tra- vaillant dans le m~me domaine, ils discr6ditent la science et ils la r6duisent ~t un r61e absurde. Le vrai travail cr6ateur a une valeur sociale. ~ Creative work will be barren if it does not produce some valuable social effect. ~z

Adorno d6duit la baisse g6n6rale du niveau de la culture de l'appauvrissement de la mati~re scolaire. I1 faudrait examiner - dit-il - ce que la g6n6ration grandissante ne regoit pas dans la famille de plus en plus vou~e ~ la d6sint~gration et ne revolt pas non plus ~t l'6cole. Son fonds d'images (Bilderschatz) d~cro]t et l'ensemble de son mode d'expression se ternit. ~

2 A. Toynbee, Surviving the Future (London: Oxfort University Press, 1971) pp. 81--82.

3Op. cit. p. 117.

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Un sociologue et ~ futurologue ~) am6ricain invoque l'exemple des Etats Unis o~a le niveau des Standard Achievement Tests a accus6 un s6rieux recul en 1975 par rapport ~ 1963. L'exten- sion des services culturels n'a pas 6t6 suivie d'une 616vation du niveau culturel. Parmi les causes de ce d6clin il d6signe en pre- mier lieu l 'augmentation spectaculaire des heures pass6es devant la t616vision (Toynbee et Adorno en parlent 6galement); en effet ceUe-ci occupe beaucoup de temps et s'empare pour ainsi dire de tout le loisir des gens - et en particulier des jeunes - qui par cons6quent se d6sintdressent des autres formes de la culture. Quant aux autres causes, il signale aussi, ~ propos de l'6cole, les tentatives d'innovation m6thodologiques des ann6es 60 qui (surtout ~t un 6chelon inf6rieur) ont favoris6 les cours caract~re t~ cr6atif ~) au d6triment des cours destin6s ~ former l'aptitude (skill), comme la grammaire ou les math6matiques. I1 signale ensuite le rel~chement des liens familiaux, l 'emploi des femmes, le nombre 61ev6 des divorces; enfin, ~ l'en croire, les syndicats des p6dagogues seraient 6galement responsables de la baisse de l'intensit6 de l'enseignement. (Ses conclusions sont bas6es sur des statistiques des Etats Unis, et il nous avertit que ses constatations ne sont pas, ou du moins pas de la m~me mani~re, valables pour les autres pays 6tudi6s, soit I 'URSS, la Chine, l 'Inde et la Nig6rie.) 4

La critique est bien entendu justifi6e, et le pessimisme a 6gale- ment sa raison d'Stre. I1 y a plus d 'un ph6nom~ne qui semble indiquer que la civilisation dite ~ europ6enne ~) dans les tradi- tions de laquelle nous avons grandi et dans le cadre de laquelle nous continuons ~t vivre malgr6 tous le s changements, est en plein d6clin et disparaitra, je pense, dans quelques si~cles au profit d 'une autre esp~ce de civilisation. C'est ce qu'indiquent 6galement les modifications survenues dans l'enseignement et l'6ducation, dont il a 6t6 question plus haut.

a Robert U. Ayres, Uncertain Futures. Challen#esfor Decision-Makers (New York, etc.: J. Wiley & Sons, 1979) pp. 224--231.

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Cependant il ne faut pas oublier que le XX e sibcle est l'6poque qui a vu non seulement des r6volutions et des contre-r6volutions politiques, mais aussi la propagation de la civilisation dire europ6enne, qui s'est aussi - n6cessairement - m~16e aux tra- ditions d'autres civilisations de par le monde entier. Et je parle ici moins de ph6nom~nes ext6rieurs, tels que l'habillement dont la variante ~ am~ricanis6e ~ s'est indubitablement impos6e partout, ou de la musique h grande diffusion - la Gebrauchs- musik - qui a re~u dans le monde entier ses impulsions de la musique pl6b6ienne d'Europe et surtout des traditions musicales des gens de couleur, habitant les deux Am6riques, que des formes de la pens6e scientifique et sociale d'origine europ6enne et - surtout pour la premiere - des formes d6velopp6es aux Etats Unis. Le nora et les doctrines sociales de Karl Marx sont connus clans le monde entier - ils sont accept6s ou rejet6s, appliqu6s ou combattus. Mais ind6pendamment du syst~me politique ou social dans lequel ils vivent, ind6pendamment aussi de l'id6ologie qu'ils repr6sentent, les dirigeants politiques, comme les intellectuels ne pourraient pas les ignorer et ~ beaucoup d'endroits marne les larges masses du peuple les connaissent. La technologic, r6sultat pratique de la pens6e scientifique, est 6gale- ment introduite dans tous les pays du monde qui, mat6rielle- ment, peuvent se permettre de l'utiliser - malheureusement non seulement pour construire et pour apporter des facilit6s ~t la vie humaine, mais aussi aux fins de la destruction et m~me de l'autodestruction de la race humaine.

Ce sont l~t des fairs connus et souvent r6p6t6s. Sije les 6voque ici, c'est parce que je voudrais souligner qu'~t mort avis les deux formes fondamentales de la pens6e darts le monde actuel sont la pens6e sociale et la pens6e scientifique. Les acquis et les objec- tivations de ces deux modes de penser exercent une influence sur routes les civilisations sans 6gard ~t leur syst~me religieux, /t leurs traditions populaires et ~t leur r6gime socio-politique.

2. Ils exercent 6galement de l'ascendant sur la litt6rature elle-m~me, sur les recherches litt6raires et sur l'enseignement de la litt6rature. En ce qui suit, je voudrais illustrer cette affirma-

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tion par l'exemple des nouvelles litt6ratures et de la recherche litt6raire europdenne et am~ricaine, et je me propose aussi de soulever quelques id6es concernant l'avenir de l'enseignement de la litt~rature.

a. Les plus jeunes des litt~ratures du monde sont sans aucun doute celles qui sont n~es, dans ces derni~res d6cennies, en Afrique, au sud du Sahara. Elles sont les plus jeunes dans ce sens qu'elles viennent d'occuper une place parmi les litt6ratures reconnus dans le monde, encore que, de par leur pass6, plus exactement leur passk oral, elles ne soient pas plus jeunes que nos litt6ratures europ6ennes. C'est en rapport avec leur appa- rition que l'attention de la critique litt6raire s'est dirig6e une lois de plus vers les probl6mes de la po~sie orale et c'est en partie ~ ce fait qu'on doit p.e. le livre r6cent de Paul Zumthor sur la po6tique de l'oralit6)

Pour le moment les nouvelles litt6ratures africaines se font entendre toutefois en anglais, en franqais, en portugais et non dans la langue de leur stade oral, et ce n'est que tout derni~re- ment qu'elles ont produit des oeuvres dans l'une ou l'autre des langues africaines majeures. Et a v e c l a langue, <~ mati~re premiere ~) de la litt6rature, eUes ont adopt6 les formes et genres nSs dans la tradition europ6enne, en premier lieu le roman et le th6fitre, qu'elles ont d'ailleurs alli6s de fa~on int6ressante aux traditions orales autochtones, enrichissant ainsi de nouvelles couleurs la palette de la litt6rature mondiale. En ce qui concerne le contenu, la nouvelle litt6rature africaine t6moignant un grand int~rat aux ph6nom~nes sociaux s'efforce de representer la r6alit6, ce qui n'est que trop naturel, vu que la plupart de ces pays devenus ind6pendants apr~s une longue p6riode coloniale doivent faire face ~ des probl~mes d'ordre social qu'ils cherchent

r6soudre aussi ~ l'aide de la litt6rature. L'int6r~t pour les pro- blSmes sociaux et historiques est une caract6ristique de la litt6- rature de tousles peuples qui veulent accomplir ou accomplis-

P. Zumthor, Introduction d la po~sie orale (Paris: Seuil, 1983).

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sent leur renouvellement ou bien attendent le moment de con- qu6rir leur ind6pendance et leur liberts Ceci vaut 6galement pour' les litt6ratures africaines de nos jours qui expriment avec plus de force peut-~tre que n'importe quelle autre litt6rature la pens6e sociale de notre 6poque.

b. C'est, par contre, la pens6e scientifique qui a marqu6 la recherche en mati~re de litt6rature, que nous h6sitons de moins en moins h appeler ~ science ~ litt6raire. La recherche litt6raire moderne, comme nous le savons bien, s'appuie sur les m6thodes des sciences naturelles. Une partie de cette discipline s'efforce d'6tablir,/t l'instar des sciences naturelles th6oriques, des prin- cipes de base universels et proc~de/t des g6n6ralisations appli- cables h tousles ph6nom~nes - fairs et objets - qui tombent sous le coup de la recherche en litt6rature. Les m6thodes de cybern6tique, la comput6risation, l'emploi des m&a-langues et surtout les techniques de la communication des informations et l'application de la th6orie de la communication sont des pro- c6d6s utilis6s aujourd'hui tant par les sciences naturelles que par les sciences litt6raires.

L'influence que les sciences naturelles exercent sur les sciences historiques et la critique litt6raire, portant 6galement sur l'his- Wire de la litt6rature, remonte au XVIII e si~cle, aux th6ories de Vico et de Herder qui ont d6crit les processus de la vie des nations, des civilisations et au sein de celles-ci l'histoire de la litt6rature en les modelant sur le processus du d6veloppement de l'organisme vivant. On peut invoquer des analogies biologiques /t propos des types litt6raires de Balzac, des analogies physiolo- giques toujours/t propos de Balzac, et plus consciemment encore chez Zola et les naturalistes, et c'est dans cet esprit que l'histo- riographie et la science litt6raire positivistes ont admis la stricte causalit6 que m~me la physique qui en fut pourtant le berceau n'admet plus sans restriction.

Une partie de la science litt6raire moderne toutefois d6passe les analogies des sciences naturelles m~mes pour emprunter aux sciences exactes leur approche th6orique. Tout comme les sciences naturelles, la science litt6raire s'int6resse de nos jours

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bien davantage aux modules et aux lois (pour peu qu'il y e n ait, qu 'on puisse les d6couvrir) qu'aux faits, aux donn6es, aux 6v6nements et aux processus historiques. Les th6ories - 6crit Robert de Beaugrande, th6oricien texan de la science - ne se discutent pas quant ~t leur v6racit6, puisqu'elles ne peuvent ~tre ni justifi6es ni r6fut6es en elles-m~mes: ce qui importe c'est leur fonctionnement, le nombre des ph6nom~nes qu'elles peuvent ex- pliquer. Pour employer la propre expression de Robert de Beau- grande: il s'agit de savoir si elles r6pondent au standard de la diversification fonctionnelle. 6 (Des principes analogues ont 6t6 avanc6s d6j~ par les 6coles n6o-positivistes et logistiques, n6es dans les premieres d6cennies du XX e si6cle.) Les repr6sentants des sciences humaines ont emprunt6 autrefois des analogies et des concepts aux sciences naturelles descriptives, tandis que la partie de la sciences litt6raire moderne qui se veut exacte ou - pour employer le terme de S. J. Schmidt - empirique cherche ~t utiliser les m6thodes de la science naturelle de nos jours. ~ Humanists look to scientists to explore the means of cumula- tive, concerted research methodologies which nonetheless do not impoverish the domain of inquiry. ~

La nouvelle approche de la litt6rature d6crite par Robert de Beaugrande puise abondamment ~ la th6orie de la communica- tion et en 61argit la forme habituelle par un nouvel 616ment. EUe parle non seulement du producteur du texte (text producer), du m6diateur du texte (text mediator), du r6cepteur du texte (text receiver), mais admet 6galement un second producteur de texte (text post-processor) qui r6agit au texte et dont la r6action produit un nouveau texte; tel est par exemple le critique faisant 6cho au texte (c'est-~-dire/t l'0euvre litt6raire).

c. Et voilg que nous arrivons h la question de l'enseignement de la litt6rature, domaine og la th6orie de la communication

6 R. de Beaugrande, ~ Empirical Rationalism in Literary Studies ;>. Etude d'introduction ~t l'6dition anglaise de l'ouvrage de langue allemande de S. J. Schmidt, Foundation for the Empirical Study of Literature (Ham- burg: Helmut Buske Verlag, 1982) p. 3.

7 Ibidem.

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s'applique parfaitement. Ici en effet le texte du producteur est transmis par le professeur au ~ public ~) scolaire, l'6tudiant en l'occurrence, qui est le r6cepteur du texte et remplit en m~me temps le r61e du ~ post-processor ~, lorsque par exemple il 6crit une composition sur le texte h partir de ce qu'il a lu et de ce qu'il a entendu de la bouche du professeur. Le professeur peut toutefois &re remplae6 par un autre m6diateur, comme en g~n6ral la m6diation peut s'effectuer non seulement orale- ment ou h l'aide de caractbres 6crits ou imprim6s, mais aussi par des moyens ~ la lois acoustiques et visuels (th6~tre, film, t616vision) ou des techniques purement acoustiques (disques et radio).

A notre 6poque qui est celle de la ~ reproductibilit6 technique de l'art ~, le texte, c'est-fi dire l'0euvre litt6raire peut donc par- venir au r6cepteur de manibres diff6rentes, notamment par l'interm6diaire de diff6rents m6diateurs.

Ces diff6rents m6diateurs modifient le texte. Adapt6 ~ l'6cran, au petit 6cran, ~ la radio, le texte, c'est-h-dire l'0euvre litt6raire, passe par les mains de l'auteur du sc6nario, du r6alisateur, du monteur et d'autres sp6cialistes qui respectent bien moins la nature et les imp~ratifs du texte original que ceux des mass- media qui les v6hiculent. Les modifications du texte original sont par cons6quent dues non seulement ~ la m~diation de la techno- logie, mais aussi h l'intervention des sp6cialistes qui en font usage. Du point de vue psychologique, ces modifications d6- pendent de l'&at (et des processus) de la conscience des sp6cia- listes m6diateurs, alors que du point de vue esth6tique elles refl6tent leur gofit, leur culture, leur jugement et non en dernier lieu leur intention, soit le but qu'ils d~siraient atteindre par la transmission de l'ceuvre, le ~ message ~) qu'ils lui confient, leur jugement sur les exigences du public vis6.

Dans le proeessus m6diateur des mass-media, la m6diation, second ~l~ment de la communication, se constitue donc de deux facteurs qui se distinguent nettement: un facteur humain et un facteur technique (m6canique). Le premier est non seulement m6diateur mais en m~me temps r6cepteur, car pour devenir

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m6diateur il doit d'abord ~tre r6cepteur, et si l 'on consid~re que pour l 'adaptation il doit produire un nouveau texte, il d6ploie une activit6 qui fait de lui un second producteur de texte. Avec l'intervention des mass-media, la transmission du texte original (c'est-/~-dire de l'ceuvre litt~raire) au public devient un processus tr~s complexe, bien plus complexe que l'activit6 de l'6diteur-imprimerie-diffusion qui vient s'interposer entre le producteur du texte original et le lecteur r6cepteur. I1 serait int6ressant d'6tudier la question de la m6diation par des moyens techniques qui semble plus nuanc6e qu'on ne le croyait jusqu'ici, mais cette fois-ci nous n'en avons pas la possibilit6.

Une conclusion ne s'en impose pas moins en ce qui concerne l'avenir de l'enseignement de la litt6rature. La (~galaxie Gutenberg ~ a fini en ce sens que, compar6 au pass6, la trans- mission de la litt6rature se fait par un grand nombre de moyens nouveaux, autres que les caract~res imprim6s ou la transmission directe par la voie acoustique ou visuelle.

C'est l~t un fait dont il faut (faudrait) tenir compte dans l'6du- cation litt~raire et l'enseignement de la litt6rature. I1 faut (faudrait) envisager s6rieusement les possibilit6s d'y introduire la technique. On ne doit pas consid6rer la transmission tech- nique de la litt6rature comme un ~ moyen auxiliaire ~) ou une mati~re ~t enseigner ind6pendamment de la litt~rature (par exemple (~ esth6tique du film ~)), mais il faut (faudrait) recon- na~tre enfin - sans tenir compte de l'opinion bonne ou mauvaise que l'on a des mass-media et de leur r61e - que ceux-ci consti- tuent de nos jours des m6diateurs extr~mement importants de la littdrature.

Certes, cette reconnaissance n'est qu'un premier pas. Mais la perspective veut que les (~ textes ~) v6hicul6s pas les mass-media soient r6guli~rement trait6s par I'enseignement de la litt6rature et par l'6ducation litt6raire. Puisque en g6n6ral la jeunesse s'in- t~resse visiblement davantage aux mass'media qu'aux livres, il est vraisemblable qu'une 6ducation litt6raire, capable de s'adap- ter aux imp6ratifs du jour, deviendra efficace et le restera m~me dans un avenir technologique impr6visible. La notion de litt6-

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rature universelle renfermera aussi la litt~rature v6hicul6e par les mass-media, et la litt6rature compar6e se verra assigner la t~che honorable d'6tudier et de syst6matiser les formes de la com- munication et de la r6ception de la litt6rature m6diatis6e par des moyens modernes.