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Document de travail ERRAPHIS [Tapez un texte] 1 Perspectivisme et multinaturalisme dans l’Amérique indigène Par Eduardo Viveiros de Castro in « A inconstancia da alma selvagem », Sao Paulo, 2002) La relativité de l’espace et du temps a été imaginée comme si elle dépendait du choix d’un observateur. Il est parfaitement légitime d’inclure l’observateur, s’il facilite les explications. Mais ce dont on a besoin c’est de son corps et non pas de son esprit. A. N. Whitehead Ainsi, la réciprocité de perspectives, que j’ai repérée comme la caractéristique propre de la pensée mythique, peut revendiquer un domaine d’application beaucoup plus large. C. Lévi-Strauss Introduction 1 Cet essai a pour objet cet aspect de la pensée amérindienne qui manifeste sa « qualité perspective » (Arhem 1993) ou « relativité perspective » (Gray 1996) : il s’agit de la conception, commune à plusieurs peuples du continent, selon laquelle le monde est habité par différentes espèces de sujets ou personnes, humaines et non-humaines, qui l’appréhendent 1 Les pages qui suivent ont leur origine dans un dialogue avec Tânia Stolze Lima. La première version de l’essentiel des articles ici refondus (Viveiros de Castro > 1996 c) a été rédigée et publiée en même temps que l’étude de Tânia sur le perspectivisme juruna, auquel je renvoie le lecteur (Lima 1996). L’essai de Latour (1991) sur la notion de modernité a été une source indirecte, et pourtant décisive, d’inspiration pour cette première version. Quelques mois après voir publié l’article de 1996, j’ai lu un vieux texte de Fritz Krause (1931 ; cité par Boelscher 1989 : 212 n.10) où j’ai trouvé des idées bizarrement convergentes avec certaines de celles qui sont ici exposées ; elles seront discutées à une autre occasion. Néanmoins, la réelle convergence ignorée dans l’article de 1996 est celle entretenue avec la théorie développée par Roy Wagner dans The invention of culture, livre que j’avais lu quinze ans auparavant (en 1981, année de sa deuxième édition), mais que j’avais complètement effacé de ma mémoire, certainement parce qu’il était au-dessus de ma capacité de compréhension. Je me suis rendu compte, le relisant en 1998, que j’en avais assimilé quelque chose, puisque certains pas cruciaux de l’argument de Wagner avaient été réinventés (ceci deviendra plus clair dans le chap. 8 infra). Peter Gow, Aparecida Vilaça, Phiippe Descola et Michael Houseman ont contribué, comme toujours, par leurs suggestions et commentaires, aux différentes étapes de l’élaboration du texte. Enfin, les développements actuels (em curso) des thèses ici exposées (Viveiros de Castro en préparation) doivent, pour l’instant, aux lumières de Bruno Latour et de Marilyn Strathern beaucoup plus qu’il est possible d’en rendre compte.

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Perspectivisme et multinaturalisme dans l’Amérique indigène

Par Eduardo Viveiros de Castro

in « A inconstancia da alma selvagem », Sao Paulo, 2002)

La relativité de l’espace et du temps a été imaginée comme si elle dépendait du choix d’un observateur. Il est parfaitement légitime d’inclure l’observateur, s’il facilite les explications. Mais ce dont on a besoin c’est de son corps et non pas de son esprit.

A. N. Whitehead

Ainsi, la réciprocité de perspectives, que j’ai repérée comme la caractéristique propre de la pensée mythique, peut revendiquer un domaine d’application beaucoup plus large.

C. Lévi-Strauss

Introduction1

Cet essai a pour objet cet aspect de la pensée amérindienne qui manifeste sa « qualité

perspective » (Arhem 1993) ou « relativité perspective » (Gray 1996) : il s’agit de la

conception, commune à plusieurs peuples du continent, selon laquelle le monde est habité par

différentes espèces de sujets ou personnes, humaines et non-humaines, qui l’appréhendent 1 Les pages qui suivent ont leur origine dans un dialogue avec Tânia Stolze Lima. La première version de l’essentiel des articles ici refondus (Viveiros de Castro > 1996 c) a été rédigée et publiée en même temps que l’étude de Tânia sur le perspectivisme juruna, auquel je renvoie le lecteur (Lima 1996). L’essai de Latour (1991) sur la notion de modernité a été une source indirecte, et pourtant décisive, d’inspiration pour cette première version. Quelques mois après voir publié l’article de 1996, j’ai lu un vieux texte de Fritz Krause (1931 ; cité par Boelscher 1989 : 212 n.10) où j’ai trouvé des idées bizarrement convergentes avec certaines de celles qui sont ici exposées ; elles seront discutées à une autre occasion. Néanmoins, la réelle convergence ignorée dans l’article de 1996 est celle entretenue avec la théorie développée par Roy Wagner dans The invention of culture, livre que j’avais lu quinze ans auparavant (en 1981, année de sa deuxième édition), mais que j’avais complètement effacé de ma mémoire, certainement parce qu’il était au-dessus de ma capacité de compréhension. Je me suis rendu compte, le relisant en 1998, que j’en avais assimilé quelque chose, puisque certains pas cruciaux de l’argument de Wagner avaient été réinventés (ceci deviendra plus clair dans le chap. 8 infra). Peter Gow, Aparecida Vilaça, Phiippe Descola et Michael Houseman ont contribué, comme toujours, par leurs suggestions et commentaires, aux différentes étapes de l’élaboration du texte. Enfin, les développements actuels (em curso) des thèses ici exposées (Viveiros de Castro en préparation) doivent, pour l’instant, aux lumières de Bruno Latour et de Marilyn Strathern beaucoup plus qu’il est possible d’en rendre compte.

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d’après des points de vue distincts. Les présupposés et les conséquences de cette idée sont

irréductibles (comme l’a bien montré Lima 1995 : 425-38) à notre concept courant de

relativisme, même s’ils semblent l’évoquer au premier abord. Ils se disposent, en vérité, de

manière exactement orthogonale par rapport à l’opposition entre le relativisme et

l’universalisme. Une telle résistance du perspectivisme amérindien aux termes de nos débats

épistémologiques met en doute la robustesse et la transportabilité des partitions ontologiques

qui les nourrissent. En particulier, ainsi que beaucoup d’autres anthropologues l’ont déjà

conclu (quoique pour d’autres motifs), la distinction classique entre Nature et Culture ne peut

être utilisée pour décrire des dimensions ou domaines internes aux cosmologies non

occidentales sans passer préalablement par une critique ethnologique rigoureuse.

Une telle critique, dans le cas présent, exige la dissociation et la redistribution des

prédicats subsumés sous les deux séries paradigmatiques qui s’opposent traditionnellement

sous les labels de Nature et Culture : universel et particulier, objectif et subjectif, physique et

moral, fait et valeur, donné et construit, nécessité et spontanéité, immanence et transcendance,

corps et esprit, animalité et humanité, et bien d’autres. Ce nouveau battage des cartes

conceptuelles me fait suggérer le terme multinaturalisme pour marquer un des traits

contrastifs de la pensée amérindienne par rapport aux cosmologies « multiculturalistes »

modernes. Tandis que celles-ci s’appuient sur l’implication mutuelle entre l’unicité de la

nature et la multiplicité des cultures – la première étant garantie par l’universalité objective

des corps et de la substance, la deuxième étant engendrée par la particularité subjective des

esprits et du signifié2 –, la conception amérindienne supposerait, en revanche, une unité de

l’esprit et une diversité des corps. La culture ou le sujet seraient ici la forme de l’universel ; la

nature ou l’objet, la forme du particulier.

Cette inversion, peut-être assez symétrique pour être plus que spéculative, doit se

déplier dans une interprétation phénoménologiquement riche des notions cosmologiques

amérindiennes, et capable de déterminer les conditions de constitution des contextes que l’on

pourrait appeler « nature » et « culture ». Recombiner, donc, pour ensuite désubstantialiser,

2 « Telle est la logique d’un discours, normalement connu comme ‘occidental’, dont le fondement ontologique consiste en une séparation des domaines subjectif et objectif, le premier étant conçu comme le monde intérieur de l’esprit et du signifié, le second, comme le monde extérieur de la matière et de la substance » (Ingold 1991 :35).

Florencia Rodriguez Giles
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car les catégories de Nature et Culture, dans la pensée amérindienne, non seulement ne

subsument pas les mêmes contenus, mais ne possèdent pas non plus le même statut que les

catégories occidentales analogues ; elles ne marquent pas des régions de l’être, mais plutôt des

configurations relationnelles, perspectives mouvantes, bref – points de vue.

D’après ce qui vient d’être mis en lumière, je pense que la distinction nature/culture

doit être critiquée, mais non pas aux fins de conclure qu’une telle chose n’existe pas (il y a

déjà pas mal de choses qui n’existent pas). La « valeur surtout méthodologique » que Lévi-

Strauss (1962b :327) a pu lui attribuer sera ici comprise comme valeur surtout comparative.

L’industrie florissante de la critique du caractère occidentalisant de tous les dualismes plaide

en faveur de l’abandon de notre héritage intellectuel dichotomique ; le problème est tout à fait

réel, mais les contre-propositions ethnologiquement motivées se laissent résumer, jusqu’à

présent, à des souhaits post-binaires bien plus verbaux que proprement conceptuels. En ce qui

me concerne, je préfère, en attendant, mettre en perspective nos contrastes, en les faisant

contraster avec les distinctions effectivement opératoires dans les cosmologies amérindiennes.

Perspectivisme

Le stimulus initial pour cette réflexion a résidé dans les nombreuses références, faites

par l’ethnographie amazonienne, à une conception indigène d’après laquelle la manière dont

les êtres humains voient les animaux et autres subjectivités qui peuplent l’univers – dieux,

esprits, morts, habitants d’autres niveaux cosmiques, plantes, phénomènes météorologiques,

accidents géographiques, objets et artefacts – est profondément différente de la manière par

laquelle ces êtres voient les humains et se voient à eux-mêmes.

Caractéristiquement, les humains voient, dans des conditions normales, les humains

en tant qu’humain et les animaux en tant qu’animaux ; en ce qui concerne les esprits, le fait de

voir ces êtres, normalement invisibles, est bien un indice de ceci que les « conditions » ne sont

pas normales. Néanmoins, les animaux prédateurs et les esprits voient les humains en tant

qu’animaux de proie, tandis que les animaux de proie voient les humains en tant qu’esprits ou

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animaux prédateurs : « L’être humain se voit soi-même en tant que tel. La lune, le serpent, le

jaguar et la Mère de la variole le voient en tant qu’un tapir ou un pécari qu’ils tuent »,

remarque Baer à propos des Machiguenga (1994 : 224). En nous voyant comme non-humains,

c’est eux-mêmes que les animaux et les esprits voient en tant qu’humains. Ils se comprennent

comme, ou deviennent, anthropomorphes quand ils sont chez eux, à la maison ou dans un

village, et ils font l’expérience de leurs propres habitudes et caractéristique sous l’espèce de la

culture : ils voient leur aliment en tant qu’aliment humain (les jaguars voient le sang comme

cauim3, les morts voient les grillons en tant que poissons, les vautours voient les vers de la

viande gâtée en tant que poisson rôti, etc.), leurs attributs corporels (pelage, plumes, griffes,

bec, etc.) en tant qu’ornements ou outils culturels, leur système social organisé identiquement

aux institutions humaines (avec des chefs, des chamanes, rites, règles de mariage, etc.). Ce

« voir en tant que » fait littéralement référence à des percepts, et non pas analogiquement à

des concepts, quoiqu’on force l’accent, dans certains cas, plutôt sur l’aspect catégoriel du

phénomène que sur son aspect sensoriel ; de toute manière, les chamanes, maîtres du

schématisme cosmique (Taussig 1987 :462-63) dévoués à communiquer et à administrer les

perspectives croisées, sont toujours là pour rendre sensibles les concepts ou intelligibles les

intuitions.

Bref, les animaux sont des personnes ou se voient en tant que personnes. Telle

conception est presque toujours associée à l’idée que la forme manifeste de chaque espèce est

un revêtement (un « vêtement ») qui cache une forme interne humaine, normalement visible

seulement aux yeux de l’espèce même ou de certains êtres interspécifiques, comme les

chamanes4. Cette forme interne est l’esprit de l’animal : une intentionnalité ou subjectivité

formellement identiques à la conscience humaine, matérialisable, pour ainsi dire, dans un

schéma corporel humain caché sous le masque d’animal. Nous aurions, donc, de prime abord,

une distinction entre une essence anthropomorphe de type spirituelle, commune aux êtres

animés, et une apparence corporelle variable, caractéristique de chaque espèce, qui ne saurait

être un attribut fixe, mais un vêtement interchangeable et retournable. La notion de

« vêtement » est, en effet, une des expressions privilégiées de la métamorphose – des esprits, 3 En langue tupi, kauín, bière de manioc (Note du traducteur). 4 Quand ils sont rassemblés dans leurs villages, dans la forêt, par exemple, les animaux se déshabillent et prennent leur figure humaine. Dans d’autres cas, le vêtement serait pour ainsi dire transparent aux yeux de l’espèce même et des chamanes humains.

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morts et chamans qui prennent des formes animales, des bêtes qu’ont vu d’autres bêtes, des

humains qui sont, par inadvertance, transformés en animaux – processus omniprésent dans le

« monde très transformationnel » (Rivière 1994) proposé par les cultures amazoniennes5.

Ces conceptions sont consignées dans plusieurs ethnographies sud-américaines, mais

elles ont fait, en règle générale, l’objet de rapports succincts et semblent être élaborées et de

façons assez diverses par les cosmologies en question6. Elles se présentent aussi, et avec une

valeur qui y est encore plus prégnante, dans les cultures de la zone septentrionale de

l’Amérique du Nord et de l’Asie, et plus rarement parmi quelques chasseurs-cueilleurs

tropicaux d’autres continents7. Dans l’Amérique du Sud, les sociétés du nord-ouest amazonien

exhibent des développements plus complets (voir Arhem 1993 et 1996, chez qui la

caractérisation dont il a été question plus haut s’est largement inspirée ; Reichel-Dolmatoff

1985 ; S. Hugh-Jones 1996a). Néanmoins, ce sont les ethnographies de Vilaça (1992) sur le

cannibalisme wari’ et de Lima (1995) sur l’épistémologie juruna qui apportent les

contributions les plus directement en affinité avec ce présent travail, car elles relient la

question des points de vue non-humains et de la nature relationnelle des catégories

cosmologiques au cadre plus large des manifestions d’une économie générale de l’altérité

(Viveiros de Castro 1993a, 1996a)8.

5 La notion de « vêtement » corporel a été attribuée, parmi d’autres, aux Makuna (Arhem 1993), aux Yagua (Chaumeil 1983 : 125-27), aux Piro (Gow com.pess.), aux Trio (Rivière 1994) ou aux Alto-Xinguanos (Gregor 1977 :322 ; Viveiros de Castro 1977 : 182). Elle est probablement panaméricaine, trouvant un grand profit, par exemple, dans la cosmologie kwakiutl (Goldman 1975 : 62-63, 124-25, 182-86, 227-28). 6 Cf., quelques exemples : Baer 1994 : 102, 119-224 (Machiguenga) ; Grenand 1980 : 42 (Wayãpi) ; Jara 1996 : 68-73 (Akuryio) ; Osborn 1990 : 151 (U’wa) ; Viveiros de Castro 1992a : 68 (Araweté); Weiss 1969 : 158 (Campa). 7 Cf., par ex., Saladin d’Anglure 1990, Fienup-Riordan 1994 (Esquimaux) ; Nelson 1983, McDonnell 1984 (Koyukon, Kaska) ; Tanner 1979, Scott 1989, Brigthman 1993 (Cree) ; Hallowell 1960 (Ojibwa) ; Goldman 1975 (Kwakiutl) ; Guédon 1984 (Tsimshian) ; Boelscher 1989 (Haida). Pour la Sibérie, cf. Hamayon 1990. Cf., enfin, Howell 1984, 1996 et Karim 1981, pour les Chewong et Ma’ Betisék de la Malaisie. L’étude de Howell 1984 a été une des premières qui s’est attachée au sujet. Des conceptions semblables ont été également rapportées dans une cosmologie mélanésienne, celle des Kaluli (Schiefflin 1976 : cap.5). 8 Cf. chapitres 2 et 4, supra. Les notions de perspective et de point de vue ont un rôle décisif dans des textes que j’ai écrit auparavant, mais la dynamique intra-humaine, le cannibalisme tupi en particulier, et son sens presque toujours analytique et abstrait, y était son noyau d’application principal (Viveiros de Castro 1992a : 248-51, 256-59 ; 1996a [chap. 4 supra]). Les études de Vilaça et, surtout, celui de Lima m’ont montré qu’il était possible de généraliser ces notions. (N.B. La référence à la notion de perspective dans les dernières lignes du chap.1 du présent livre n’apparaitrait pas dans les versions originales des articles qui y sont fondu).

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Quelques explications initiales sont nécessaires. D’abord, le perspectivisme s’applique

rarement en extension à tous les animaux (indépendamment du fait qu’il englobe d’autres

êtres) ; il donne l’impression de concerner plus souvent les espèces telles que les grands

prédateurs et charognards, comme le jaguar, l’anaconda, les vautours ou la harpie, ainsi que

les proies typiques des humains, tels que le pécari, les singes, les poissons, les cervidés ou le

tapir. C’est que l’une des dimensions fondamentales, peut-être même la dimension

constitutive, des inversions perspectivistes concerne les statuts relatifs et relationnels du

prédateur et de la proie9. L’ontologie amazonienne de la prédation est un contexte

pragmatique et théorique très propice au perspectivisme.

Deuxièmement, la « personnité » et la « perspectivité » – la capacité à occuper un

point de vue – sont un problème de degré et de situation, plutôt que des propriétés diacritiques

fixes d’une ou d’autre espèce. Quelques non-humains actualisent ces potentialités de manière

plus complète que d’autres ; d’ailleurs, quelques uns parmi eux les manifestent avec une

intensité supérieure à celle de notre propre espèce et, en ce sens-là, ils sont « plus personnes »

que les humains (Hallowell 1960 :69). En outre, la question possède une qualité a posteriori

fondamentale. La possibilité qu’un être, jusque-là insignifiant, s’avère comme un agent

prosopomorphique capable d’affecter les affaires humaines est toujours ouverte ; l’expérience

personnelle, propre ou celle d’autrui, est plus décisive que n’importe quel dogme

cosmologique substantif.

En plus, âme ou subjectivité ne sont pas toujours attribuées aux représentants

individuels, empiriques, des espèces vivantes ; il y a des exemples de cosmologies qui

refusent à tous les animaux post-mythiques la capacité de conscience, ou quelque autre

prédicat spirituel10. Néanmoins, la notion d’esprits « maîtres » des animaux (« Mère de la

chasse », « Maîtres des queixadas », etc.) est, comme on le sait, de grande diffusion dans le

continent. Ces esprits-maîtres, invariablement doués d’une intentionnalité analogue à celle de

l’humain, fonctionnent comme des hypostases des espèces animales auxquelles ils sont

associés, de sorte qu’un champ intersubjectif humain-animal soit crée à l’endroit même où les

animaux ne sont pas spiritualisés. Il faut ajouter que la distinction entre les animaux vus sous

9 Cf. Renard-Casevitz 1991 : 10-11, 20-31 ; Vilaça 1992 :49-51 ; Arhem 1993 :11-12 ; Howell 1996 :133. 10 Overing 1985 :249-ss ; 1986 :245-46 ; Viveiros de Castro 1992a :73-74 ; Baer 1994 :89.

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leur aspect-âme et les esprit-maîtres des espèces n’est pas toujours claire ou pertinente

(Alexiades 1999 :194) ; du reste, il est toujours possible que, à l’occasion d’une rencontre

forestière, ce qui semblait être seulement un animal se révèle être le déguisement d’un esprit,

de nature tout à fait différente.

Rappelons, enfin et surtout, le fait que s’il y a une notion virtuellement universelle

dans la pensée amérindienne, c’est celle d’un état originaire d’indifférenciation entre les

humains et les animaux, décrit par la mythologie :

[Qu’est-ce qu’un mythe ?] – Si vous demandez à un indigène américain, il est assez

probable qu’il vous réponde : c’est une histoire du temps dans lequel les hommes et les

animaux ne se distinguaient pas encore. Cette définition me semble beaucoup profonde

(Lévi-Strauss & Eribon 1988 :193).

Les récits mythiques sont peuplés d’êtres dont forme, nom et comportement mélangent

inextricablement attributs humains et non-humains, dans un contexte commun

d’intercommunicabilité identique à celui qui défini le monde intra-humain actuel. Le

perspectivisme amérindien fait donc du mythe un lieu, pour ainsi dire géométrique, où la

différence entre les points de vue est en même temps annulée et exacerbée. Dans ce discours

absolu, chaque espèce d’être apparait aux autres êtres comme elle apparait à elle-même –

c’est-à-dire, comme humaine – et, pourtant, elle agit (355) comme si elle manifestait déjà sa

nature distinctive et définitive d’animal, de plante ou d’esprit. D’une certaine façon, tous les

personnages qui peuplent la mythologie sont des chamanes, ce qui est, d’ailleurs, affirmé par

quelques cultures amazoniennes (Guss 1989 :52). Discours sans sujet, a dit Lévi-Strauss à

propos du mythe (1964 :19) ; discours « seulement sujet », pourrait-on également dire, cette

fois-ci en faisant référence non pas à l’énonciation du discours, mais à son énoncé. Point de

fuite universel du perspectivisme, le mythe parle d’un état de l’être dans lequel les corps et les

noms, les âmes et les actions, le moi et l’autre s’interpénètrent, plongés dans un même milieu

pré-subjectif et pré-objectif. Milieu que la mythologie a précisément pour but de raconter.

Cette fin – dans le sens aussi de finalité – est, comme on le sait, cette différenciation

entre culture et nature analysée dans la monumentale tétralogie de Lévi-Strauss (1964, 1966,

1967, 1971). Pourtant, et ce point a été relativement peu remarqué, ce processus ne parle pas

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d’une différenciation de l’humain à partir de l’animal, comme c’est le cas dans notre

mythologie évolutionniste moderne. La condition originelle commune aux humains et aux

animaux n’est pas l’animalité, mais l’humanité. La grande division mythique montre moins la

culture se distinguant de la nature que la nature s’éloignant de la culture : les mythes racontent

comment les animaux ont perdu les attributs hérités ou préservés par les humains (Lévi-

Strauss 1985 :14, 190 ; Brightman 1993 :40,160). Les humains sont ceux qui sont restés

pareils à eux-mêmes : les animaux sont des ex-humains et non pas les humains des ex-

animaux.11

(356) On trouve, dans quelques ethnographies amazoniennes, clairement formulées,

l’idée que l’humanité est la matière du plenum primordial, ou la forme originaire du

virtuellement tout, non pas seulement des animaux :

La mythologie des Campa est amplement l’histoire de comment, un à un, les Campa

primordiaux furent, de manière irréversible, transformés en les premiers

représentants de plusieurs espèces d’animaux et de plantes, ainsi que de corps

célestes ou d’accidents géographiques. […] Le développement de l’univers fut, donc,

un processus de diversification, et l’humanité est la substance première à partir de

laquelle surgirent plusieurs sinon toutes les catégories d’êtres et de choses dans

l’univers ; les Campa d’aujourd’hui sont les descendants des Campas ancestraux qui

échappèrent à la transformation (Weiss 1972 :169-70).

Ainsi, si notre anthropologie voit l’humanité échafaudée à partir des animaux comme

fondation, normalement cachée par la culture – ayant été jadis « complètement » animale, et

demeurant, « en son fond », animale –, la pensée indigène conclut, en revanche, que, ayant été

11 L’idée selon laquelle ce qui distingue le sujet – les hommes, les indigènes, mon groupe – serait le terme historiquement stable de la distinction entre le « moi » et l’autre – les animaux, les blancs, les autres indigènes – apparait aussi bien dans le cas de la différenciation interspécifique que dans le cas de la séparation intra-spécifique, comme on peut le remarquer dans les différents mythes amérindiens sur l’origine des Blancs (cf., par ex., DaMatta 970,1973 ;S. Hugh-Jones 1988 ; Lévi-Strauss 1991 ; cf. aussi chap. 3 supra, et Viveiros de Castro 2000). Les autres ont été ce que nous sommes, et non pas, comme pour nous, sont ce que nous étions. On perçoit ainsi comment peut être pertinente la notion de « sociétés froides » : l’histoire existe, oui, mais c’est quelque chose qui arrive seulement aux autres, ou en raison d’eux.

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jadis humains, les animaux et d’autres êtres du cosmos continuent à être humains, quoique de

manière non évidente.

Bref, pour les amérindiens, « le référentiel commun à tous les êtres de la nature n’est

pas l’homme en tant qu’espèce, mais l’humanité en tant que condition » (Descola 1986 :120).

Cette distinction entre l’espèce et la condition humaines doit être soulignée. Elle présente une

connexion évidente avec l’idée que les vêtements animaux cachent une « essence » humaine-

spirituelle commune, et avec le problème du sens général du perspectivisme.

Chamanisme

Le perspectivisme amérindien se trouve associé à deux caractéristiques récurrentes en

Amazonie : la valorisation symbolique de la chasse et l’importance du chamanisme12. En ce

qui concerne la chasse, on remarque qu’il s’agit d’une résonance symbolique et non pas d’une

dépendance écologique : les horticulteurs laborieux, comme les Tukano ou les Juruna – qui

sont, par ailleurs, principalement pêcheurs –, ne se distinguent pas assez des grands chasseurs

du Canada ou du Alaska du point de vue de l’importance attribuée à la prédation animale

(chasse ou pêche), de la subjectivation spirituelle des animaux et de la théorie selon laquelle

l’univers est rempli d’intentionnalités extrahumaines douées de perspectives propres13. Ainsi,

la spiritualisation des plantes, météores et outils pourrait peut-être être vue comme secondaire

ou dérivée vis-à-vis à la spiritualisation des animaux : l’animal semble être le prototype

extrahumain de l’Autre, en soutenant un rapport privilégié avec d’autres figures prototypiques

de l’altérité, comme les affins14.

12 Le rapport entre le chamanisme et la chasse est une question classique. Cf. Chaumeil 1983 :231-32 et Crocker 1985 :17-25. 13 Dans des sociétés dont l’économie se trouve fondée dans l’horticulture et dans la pêche plutôt que dans la chasse, l’importance de la relation venatorio-chamanistique avec le monde animal suscite des problèmes intéressants pour l’histoire culturelle de l’Amazonie (Viveiros de Castro 1996b – cf. chap. 6 supra). 14 Cf. Erikson 1984 :110-12 ; Descola1986 :317-30 ; Arhem 1996. Néanmoins, remarquons que, dans les cultures de l’Amazonie occidentale, surtout celles qui font l’usage des hallucinogènes, la personnification des plantes semble être au moins aussi importante que celle des animaux, et que, dans des régions comme le Alto Xingu, la spiritualisation des outils exerce un important rôle cosmologique.

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Idéologie de chasseurs, elle est aussi et surtout une idéologie de chamanes. Que les

non-humains actuels possèdent un coté prosopomorphique invisible, cette notion est un

présupposé fondamental de plusieurs dimensions de la pratique indigène ; mais elle place au

premier plan, dans un contexte particulier, le chamanisme. Le chamanisme amazonien peut

être défini comme l’habileté que manifestent certains individus à franchir délibérément les

barrières corporelles et à adopter la perspective de subjectivités allo-spécifiques, de manière à

devenir capable d’administrer les rapports entre celles-ci et les humains. Voyant les êtres non-

humains comme ceux-ci se voient (comme humains), les chamanes sont capables d’assumer

le rôle d’interlocuteurs actifs dans le dialogue trans-spécifique ; et surtout, ils sont capables de

revenir pour en raconter l’histoire, ce que peut difficilement faire un laïc. La rencontre ou

l’échange de perspectives est un processus dangereux et un art politique – une diplomatie. Si

le « multiculturalisme » occidental est un relativisme en tant que politique publique, le

perspectivisme chamanique amérindien est un multinaturalisme en tant que politique

cosmique.

Le chamanisme est un mode d’agir qui implique un mode de connaître, ou plutôt un

certain idéal de connaissance. Un tel idéal est, sous divers aspects, l’opposé polaire de

l’épistémologie objectiviste favorisée par la modernité occidentale. Dans celle-ci, la catégorie

de l’objet fournit le telos : connaître, c’est objectiver ; c’est pouvoir distinguer dans l’objet ce

qui lui est intrinsèque de ce qui appartient au sujet connaissant et qui a été, en tant que tel,

indûment et/ou inévitablement projeté dans l’objet. Ainsi, connaître, c’est désubjectiver, c’est

expliciter la part du sujet présente dans l’objet, de manière à la réduire à un minimum idéal.

Aussi bien les sujets que les objets sont vus comme la résultante de processus

d’objectivation : le sujet se constitue ou se reconnait lui-même dans les objets qu’il produit ;

et se connait objectivement quand il parvient à se voir « du dehors », comme un « ça ». Notre

jeu épistémologique a pour nom objectivation ; ce qui n’a pas été objectivé demeure irréel et

abstrait. La forme de l’Autre est la chose.

Le chamanisme amérindien semble être orienté vers l’idéal inverse. Connaître, c’est

personnifier, prendre le point de vue de ce qui doit être connu - de cela, ou mieux, de celui ;

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car la connaissance chamanique envisage un « quelque chose » qui est « quelqu’un », un autre

sujet ou agent. La forme de l’Autre est la personne.15

Faisant usage d’un vocabulaire qui est en vogue, je dirais que la personnification ou

subjectivation chamaniques reflètent un penchant à universaliser l’« attitude intentionnelle »

tel que le souligne Dennet (1978) et d’autres philosophes modernes de l’esprit (NDT : mind).

Pour être plus précis – vu que les indigènes sont parfaitement capables d’adopter les attitudes

« physique » et « fonctionnelle » (op.cit.) dans leur vie quotidienne – je dirais qu’on est face à

un idéal épistémologique qui, loin de chercher à réduire « l’intentionnalité ambiante » à zéro

afin d’atteindre une représentation absolument objective du monde, prend la décision

opposée : la connaissance vraie vise à la révélation d’un maximum d’intentionnalité, par la

voie d’un processus d’« abduction de puissance d’agir » (Gell 1998) systématique et délibéré.

J’ai dit plus haut que le chamanisme était un art politique. Ce que je suis en train de dire,

maintenant, c’est que c’est est un art politique.16 Car la bonne interprétation chamanique est

celle qui parvient à saisir chaque événement comme étant, en vérité, l’action, l’expression

d’états ou prédicats intentionnels d’un certain agent (id. : 16-18). Le succès interprétatif est

directement proportionnel à l’ordre d’intentionnalité que l’on parvient à attribuer à l’objet ou

noème.17 Un étant ou un état de choses qui ne se prête pas à la subjectivation, c’est-à-dire, à la

détermination de son rapport social avec celui qui connait, est chamanistiquement insignifiant

– un résidu épistémique, un « facteur impersonnel » qui résiste à une connaissance précise.

15 Je note que cette façon d’exprimer le contraste n’est pas seulement semblable à la célèbre opposition entre « don » et « marchandise ». J’entends par là qu’il s’agit du même contraste, formulé en termes non-économicistes : « si, dans une économie mercantile, les choses et les personnes prennent la forme sociale de la chose, alors dans une économie du don elles assument la forme de la personne » (Strathern 1988 :134 ; cf. Gregory 1982 :41). 16 La définition théorique-anthropologique de l’« art » en tant qu’enveloppant le processus d’abduction de puissance d’agir est remarquablement exposée par Alfred Gell dans Art and agency (1998). 17 Je fais référence ici au concept de Dennett sur la n-ordinalité des systèmes intentionnels. Un système intentionnel de deuxième ordre est celui où l’observateur attribue non seulement croyances, désirs et d’autres intentions à l’objet, mais aussi bien croyance etc. sur les autres croyances etc. La thèse cognitiviste la plus acceptée veut que seul l’homo sapiens fasse preuve d’une intentionnalité d’un ordre égal ou supérieur à deux. Il faut remarquer que mon principe chamanistique de l’« abduction d’un maximum de puissance d’agir (agency) » se heurte, bien évidement, aux dogmes de la psychologie physicaliste : « Les psychologues ont souvent fait usage du principe connu sous le nom de ‘‘loi de parcimonie de Lloyd Morgan’’, qui peut être vu comme un cas particulier du rasoir d’Occam. Ce principe détermine qu’il faut attribuer à un organisme un minimum d’intelligence, ou de conscience, ou de rationalité suffisantes pour rendre compte de son comportement » (Dennett op.cit. : 274). En effet, le grelot du chaman est un instrument d’un genre complètement différent du rasoir d’Occam ; celui-ci peut servir à la rédaction d’articles de logique, mais il ne sert à rien quand il s’agit, par exemple, de récupérer des âmes perdues.

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Notre épistémologie objectiviste, on peut le dire, a pris une autre direction : elle considère

l’attitude intentionnelle du sens commun comme une simple fiction commode, quelque chose

qu’on adopte lorsque le comportement de l’objet-cible est assez compliqué pour être

décomposé en processus physiques élémentaires. Une explication scientifique exhaustive du

monde doit pouvoir réduire toute action à une chaîne d’événements causaux et, ceux-ci à des

interactions matériellement denses (pas d’« action » à distance).

Bref, si dans le monde naturaliste de la modernité un sujet est un objet insuffisamment

analysé, la convention interprétative amérindienne suit le principe inverse : un objet est un

sujet incomplètement interprété. Il faut ici savoir personnifier, parce qu’il est nécessaire de

personnifier pour savoir. L’objet de l’interprétation est la contre-interprétation de l’objet18.

Car, celui-ci doit ou bien être étendu jusqu’à ce qu’il atteigne sa forme intentionnelle pleine –

d’esprit, d’animal sous ses traits humains –, ou, au moins, avoir rapport avec un sujet

démontré, autrement dit, il doit être déterminé comme quelque chose qui existe « dans

l’entourage » d’un agent (Gell op.cit.). En ce qui concerne cette deuxième possibilité, l’idée

selon laquelle les agents non-humains se perçoivent eux-mêmes ainsi que leur comportement

sous la forme de la culture humaine, prend un rôle crucial. La traduction de la « culture » pour

les mondes des subjectivités extra-humaines a comme corolaire la redéfinition de plusieurs

événements et objets « naturels » comme étant des indices à partir desquels la puissance

d’agir sociale peut être abductionnée. Le cas le plus répandu consiste dans la transformation

de quelque chose, qui est un simple fait ordinaire pour les humains en un artefact ou un

comportement hautement civilisé du point de vue de l’autre espèce : ce que nous appelons

« sang » est la « bière » du jaguar ; ce que nous prenons pour une argile boueuse, le tapir le

prend pour une grande maison de cérémonie, et ainsi de suite. Les artefacts possèdent cette

ontologie intéressante et ambigüe ; ce sont des objets, mais ils renvoient nécessairement à un

sujet, car ils sont comme des actions figées, incarnation matérielle d’une intentionnalité non-

matérielle (Gell 1998 : 16-18, 67). Et, ainsi, ce que les uns appellent « nature » peut bien être

18 Comme le note Marilyn Strathern, à propos d’un régime épistémologique comme l’amérindien : « [Cette] convention postule que les objets d’interprétation – humains ou pas – soient compris comme d’autres personnes ; en effet, l’acte même d’interprétation suppose la « personnité » [personhood] de ce qui est en train d’être interprété. […] Ce qui est, donc, trouvé lorsque l’on fait des interprétations, ce sont toujours des contre-interprétations… » (1999 :239).

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la « culture » des autres. Voilà une leçon dont l’anthropologie pourrait bien faire quelque

profit19.

[…]

Traduction par Cleber Lambert

Relecture : Norman Ajari

19 Wagner (1981) a été un des seuls qu’ont su le faire.