Pétain en vérité - Marc Ferro.pdf

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  • MARC FERROAvec la participation de Serge de Sampigny

    PTAIN EN VRIT

    TALLANDIER

  • ditions Tallandier 2, rue Rotrou 7 5006 Paris

    www.tallandier.com

    ditions Tallandier, 201 3

    Ce document numrique a t ralis par Nord Compo

    EAN : 97 9-1 0-21 0-01 31 -2

  • Ddi Paul Blondel

  • OUVERTURE

    Alors qu lautomne 1945 il tait incarcr la citadelledu Portalet, dans les Pyrnes, le marchal Ptain reut lavisite de son avocat, matre Jacques Isorni. Le saluant, celui-cilui dit demble : Monsieur le Marchal, jai vu Mella. LeMarchal plit, ma rapport Isorni, et linterrogeabrusquement : Croit-elle que je suis un tratre ?

    Mella, la seule personne dont le jugement comptait encorepour lui

    Elle avait t son grand amour avant 1914, un amourpartag mais platonique car la famille de la jeune femmenavait pas voulu quelle pouse un militaire. Il jura de luirester fidle.

    Nanmoins il continua vivre avec celle quil aimaitcharnellement, Eugnie, dite Annie ou Nini, nergique, ettaille en athlte. Ctait elle la femme aux bottines de lalgende, celle avec qui Ptain se trouvait la nuit lorsqueSerrigny chercha son chef pour lui annoncer quil venait dtrenomm sur le front de Verdun. Il eut lide de faire les tagesdes htels et, reconnaissant les bottines de Nini qui setrouvaient la porte, rveilla le gnral pour lui faire connatresa nouvelle affectation.

    Au lendemain de la victoire, en 1918, Eugnie nentenditpas quil la lche pour la jeune Mella devenue veuve. Au cours

  • dune scne tumultueuse que Ptain raconta Serrigny, ellealla chercher son revolver dans un tiroir et le braqua sur lui : Ce sera moi ou une balle dans la peau.

    Le Marchal aurait alors capitul sous la menace et ilcrivit sa dulcine : Tout est cass, tout est fini, je vous doisune explication. Connaissant la vrit, la gracile et pudiqueMella lui dit, en souriant : Philippe, vous tes un livre.

    Leur amour secret et platonique dura nanmoins plus devingt ans, tandis quavec Eugnie les distances saccrurentmme sil convola avec elle en 1920. Vichy, sil se rapprochadelle, sa pense tait pour Mella, discrtement venue yrsider et, qu la promenade, Ptain saluait de loin.

    Cest de Mella, delle seule, qu 89 ans, le vieil homme,condamn mort avec commutation de peine, attendait lejugement qui seul comptait pour lui : Croit-elle que je suis untratre ?

    Cet essai permettra au lecteur den juger. On y rpondraaux questions de Serge de Sampigny.

  • CHAPITRE 1

    POURQUOI (RE)PARLER DE PTAIN ?

    Il y a prs de trente ans, en 1987, vous avez crit la biographiede rfrence sur Ptain. Pourquoi reparler de Ptain aujourdhui ?

    Ptain est toujours vivant car chacun dentre nous a uneopinion sur lui. Aussi bien les personnes dun certain ge, quiont vcu lOccupation, que des jeunes, souvent plus hostiles,mais qui rpondent sans hsitation quand on les questionne.A-t-on seulement une opinion sur le marchal Foch ? Oumme sur Valry Giscard dEstaing, qui a rgn sept ans etdont laction sur les murs a t relle ?

    La lgende rose dbute en mars 1916, quand le journalLIllustration lui consacre une page entire pour clbrer sagloire : Verdun ! La lgende noire commence, elle, ds 1941aux tats-Unis, o un livre fort rpandu, celui du dramaturgeHenri Bernstein (Portrait dun dfaitiste) excute le marchalPtain. Il est suivi en 1944 par celui dAndr Schwob, LAffairePtain, qui met un doute sur sa responsabilit dans la victoire Verdun, et soulve lide dun complot de Ptain pourprendre le pouvoir en 1940.

    Aprs la lgende rose, la lgende noire, et le procs en1945, Ptain est enterr en 1951, sans fanfare, Port-

  • Joinville, lle dYeu.Les annes qui suivent sont pleines des querelles autour

    de la collaboration, des excs de la Rsistance1 et du rle deVichy mais, peu peu, Ptain est comme effac de lhistoire.

    Son nom disparat des rues. Au Vsinet, par exemple, enbanlieue ouest de Paris, une petite rue portait avant-guerre lenom du gnral Gallieni. Elle est devenue entre 1940 et 1944 rue du Marchal-Ptain avant de se transformer en ruedu Marchal-Leclerc . En 1958 Ptain disparat galement dumanuel que tous les enfants ont eu en main, LHistoire deFrance de Lavisse. Verdun, des membres du syndicatdinitiative et de la municipalit ont mme envisag derebaptiser la ville Dun-sur-Meuse pour expulser Ptain de lammoire officielle.

    Avec la guerre dAlgrie (1954-1962), la figure duMarchal refait surface pour la premire fois dans lesconsciences collectives. Oran, la veille du conflit, lesplacards indiquant Votez Roger de Saivre, cest voterPtain ! ntaient pas des affiches de provocationcommuniste comme je lai dabord cru, mais bien celles ducandidat qui obtnt 20 % des voix. Surtout, lorsque de Gaulleentreprit la dcolonisation de lAlgrie, la population la plushostile, bientt cratrice de lOAS (Organisation armesecrte), sest dfinie sous le drapeau de Ptain mme sibeaucoup de ses membres avaient appartenu la France libre.

    Un trait significatif : en 1966, ayant ralis un film sur laGrande Guerre, le ministre des Anciens combattants JeanSainteny ma confi la charge dun muse pour commmorerVerdun. Mais, dmissionn par de Gaulle, il fut remplac parAlexandre Sanguinetti, un ancien militant de lAction franaise,partisan de lAlgrie franaise. Homme de gauche, je me suisdit : Sanguinetti, jamais ! Je ne voulais pas travailler avecun ancien barbouze dAlgrie et de lui signifier monrefus. Cest alors cette rencontre quil me prvient : Vous

  • tes libre de faire ce que vous voulez. Mais je ne veux pas voirPtain dans ce muse ! Sa raction ma laiss pantois

    La deuxime mort de Philippe Ptain survient en Mai 68.Comme la senti ce matre en drision, lcrivain BernardFrank, le mouvement gnral des jeunes sest constitu enopposition aux mots dordre qui avaient t ceux duMarchal : Ni travail, ni famille, ni patrie ! Depuis cettedate, les controverses autour de ces valeurs renvoient toujours Ptain. Mai 1968 fut bien sa rpudiation, sans pour autantlexpliciter.

    Puis ce fut le choc : luvre cinmatographique de MarcelOphls, Le Chagrin et la Piti (1969), et les ouvrages de deuxhistoriens, lAllemand Eberhard Jaeckel et lAmricain RobertPaxton, qui, aprs le Franais Henri Michel, dmontrent avecforce le mythe dune collaboration impose Ptain, toutautant que celui du double jeu , une vulgate qui dominaitdepuis le livre de Robert Aron en 1954 : Histoire de Vichy.

    Depuis ce tournant des annes 1970, le fantme de Ptainfait couramment irruption dans lactualit : ce fut le cas lorsdes procs Leguay (1978), Barbie (1987), Touvier (1994) etPapon (1997-1998), qui ont mis en valeur les noirceurs durgime de Vichy ; ce fut aussi la consquence de gestescontroverss, comme celui du prsident Franois Mitterrandfaisant dposer des fleurs sur la tombe du Marchal plusieurs reprises le 11 novembre. Rappelons au passage,comme son biographe Pierre Pan la tabli en 1994, queMitterrand avait eu des responsabilits Vichy au sein duCommissariat aux prisonniers de guerre et fut pour celadcor de la francisque en 1943.

    Mais qui se souvient de lopuscule de Franois MitterrandLes Prisonniers de guerre devant la politique datant du dbut de1945, publi par les ditions du Rond-Point, un livrequasiment disparu ? Franois Mitterrand y glorifiait les

  • prisonniers vads : Rawa-Ruska, en mars 1942, est aumme titre que Bir-Hakeim le nom dune victoire franaise. Il gardait un vrai silence sur le rle des Rsistants delintrieur

    Son pass et ces jugements rendent-ils compte de sonrefus furieux et catgorique de parler de cet ouvrage lmission Histoire parallle , en 1995 sur Arte, laquelle jelavais convi ? Mais o lavez-vous trouv ce livre ? , ma-t-il dit.

    Le spectre de Ptain rde toujours. Le Premier ministrePierre Mauroy en eut bien conscience lorsquen 1981, aprsavoir propos pour les chmeurs une activit de secours, ledfrichement des forts, le dput Vivien scria : Marchalnous voil ! , en souvenir des Chantiers de jeunesse.

    Dans le champ politique, il a rapparu travers lesorganisations politiques de droite plus ou moins hritires duGRECE (Groupement de recherche et dtudes pour lacivilisation europenne) fond par Alain de Benoist en 1967. LeFront national puise chez lui une partie de son identit et saflamme reste toujours quelque part allume. Qui, danslhistoire, a laiss une telle empreinte dans la socit ?

    On ne compte plus les ouvrages, les articles, les documentaires,les films sur le rgime de Vichy. Avons-nous encore quelque chose dcouvrir sur la personne de Philippe Ptain ?

    Il y a trente ans, je navais pas ralis quel pointlexistence de Ptain a oscill entre lamertume et la gloire.Rappelons-nous : en 1914, on lui fait savoir quil ne deviendrajamais gnral. la fin de lanne 1916, Joffre lui explique quele vainqueur de Verdun, ce nest pas lui, mais Nivelle. En 1918,Foch et Weygand, en signant larmistice, lui soufflent la

  • victoire quil comptait sceller en franchissant le Rhin. En 1935,une campagne de presse ( laquelle il tait tranger) cherche le faire appeler au pouvoir. Mais les lections de 1936, avec lavictoire du Front populaire, mettent fin ses illusions.

    Enfin, arriv au pouvoir en 1940, il voit Laval sesubstituer lui pour appliquer une politique qui est aussi lasienne. Certes, sous lOccupation, les bains de foule lergnrent et le revivifient. Cest son oxygne. Et pourtant, en1944, que de tourments supplmentaires na-t-il pas subis

    Ce qui me frappe aussi aujourdhui, cest qu la diffrencede beaucoup dhommes dtat, Ptain a toujours eu un regardinquiet sur son comportement. Son vieux compagnon, lecolonel Bonhomme, notait sur son carnet, un jour de 1941 : Ah ! que nous avons t lches aujourdhui. Ptain ne cessedtre taraud par cette question Jai trop cd, beaucouptrop cd , dit-il Walter Stucki, le reprsentant de la Suisse Vichy. Une autre fois, en 1944, il interroge un de sesconvives : Ai-je t un bon Franais ? Surtout, aprsnovembre 1942, une fois, deux fois, dix fois il se demande sison devoir net pas t de partir en Afrique du Nord. Puis ilse ravise.

    En 1941, Ptain a cd quand il naurait pas voulu cder,notamment face Pucheu, le secrtaire dtat lIntrieur, encondamnant les attentats commis contre les Allemandsquelques jours plus tt. Il cde encore en ne ripostant pas loccupation de la zone libre en novembre 1942. Il cde aussien lchant Weygand, ou en mettant fin au procs de Riom surpression des Allemands Il cde encore aux Allemands entenant des discours hostiles aux rsistants de lintrieur cequi ne veut pas dire quils le soutenaient.

    Ces concessions, reconnues, quelquefois regrettes,quont-elles pes dans lopinion des Franais ? Le regard que

  • nous portons sur Ptain na en ralit jamais cess de semodifier. Les gnrations se succdant, les plus gs ont puchanger dopinion mais dans quel sens ? Alors que les plusjeunes, qui ne disposent pas de la mme exprience, sont lesplus intransigeants vis--vis de son comportement.

    Reste que cette interrogation sur soi et sur son action estun trait peu commun chez les dirigeants. Rfugi en Suisse,Ptain dcide en 1945 de se livrer la frontire franaise pourdfendre son honneur. Voil une dcision courageuse. Il estjug alors que de Gaulle stait arrang pour que le procs aitlieu par contumace.

    Les archives vous ont-elles rvl des faits dont les Franaisnont pas eu connaissance ?

    Jai retrouv au moins deux documents, que javaisexposs dans mon livre de 1987 et auxquels on na pas prtattention depuis, or ils me semblent toujours aussiimportants. Il sagit de deux tlgrammes qui tmoignent delisolement dans lequel se trouvait Ptain sous lOccupation,mais aussi de labsence de confiance entre les trois principauxpersonnages de ltat : Ptain, Laval et Darlan.

    Le premier est un tlgramme adress par Darlan auxAmricains, le 23 avril 1942, peu aprs le retour de Laval aupouvoir. Je dis bien le 23 avril 1942, alors quon a toujoursrpt que son retournement datait de novembre 1942 :

    Si Lav al obtenait le dessus, lui, Darlan, commettrait un actepublic qui le ferait reconnatre des Amricains, dans le cas o Ptainnaurait plus le contrle des affaires face Lav al. Darlan sen irait auxcolonies. Stop.

    Ds le mois davril 1942, contrairement ce que lon atoujours cru, Darlan tait donc prt rejoindre le camp alli,

  • soit sept mois avant le dbarquement en Afrique du Nord denovembre 1942. Ptain neut jamais connaissance de cetlgramme.

    Un autre vnement rend compte de la guerrepermanente qui se jouait entre Laval et Ptain au sommet deltat. Il sagit du tlgramme ultrasecret 7 606 dat du3 dcembre 1943, adress par lAllemand Otto Abetz sonreprsentant Vichy :

    Le dpart du Marchal Ptain a maintenant ouv ert un champlibre la v raie France lorigine de son dpart, il y a la tragdiepersonnelle dun v tran

    Ce texte, qui prit la forme dun placard, tait le fruit duncomplot entre Abetz et Laval pour se dbarrasser duMarchal. Les deux hommes taient convaincus que Ptainallait rejeter les exigences exorbitantes que le Fhrer venaitdadresser au gouvernement de Vichy et donner sa dmission.Or, il les a acceptes Dautres documents inditsrenouvellent les donnes de cette histoire2

    Autre observation : Ptain, mme la tte de ltat, najamais compris la spcificit du rgime nazi. Pour lui, les nazisntaient que des Allemands, les ennemis de toujours, une nation de sauvages . Il na pas ralis que le nazisme taitavant tout une idologie raciste. Il faut prciser que le mot race en 1940 navait pas le mme sens quaujourdhui. lpoque, race tait un mot banal et tout le mondeconsidrait que, si la France avait remport la guerre de 14-18, cest parce que, la race franaise tait une racepaysanne qui tenait mieux dans les tranches que lesAllemands, une race de citadins .

    videmment ce mot avait aussi une connotationbiologique, mais seulement pour une minorit informe. Etmme cette minorit nimaginait pas que le programme raciste

  • pouvait aller jusqu lextermination de populations entires,les Juifs en premier.

    Ptain na donc jamais compris ce quentendait faireHitler. Tout au long de la guerre, il a cru quil tait possible dediscuter avec lui, voire de sentendre. Or, en octobre 1940, Montoire, les deux hommes neurent pas grand-chose sedire Ensuite, Ptain sortit du champ : en 1942-1943, aprs ladfaite de Stalingrad, la France ntait plus au cur desproblmatiques de Hitler. Quand Ptain a cru quenrencontrant une nouvelle fois le Fhrer, son pass allait peser,il saveugle compltement.

    Vichy, Ptain fut donc persuad jusquau bout, tort,quil tait en mesure de ngocier et dinfluencer la politique duIIIe Reich. Navement, le Marchal pensait quentre ancienscombattants , on finit toujours par se comprendre. Il ignoraiten outre quel point Hitler mprisait les militaires !

    Cette erreur de jugement a pes lourd sur le destin de laFrance.

    Depuis les annes 1930, les Franais ont entendu tout et soncontraire sur Ptain. Le Marchal est le meilleur des Franais ; Ptain est un tratre ; Ptain est une victime ; Ptain est lecomplice de Hitler la sortie de votre livre en 1987, certainsvous ont trouv plutt moins svre que dautres O doit-onplacer le curseur quand on parle de Ptain ?

    En 1987, javais conclu mon livre en considrant quentre 1940 et 1944, la logique du sacrifice avait sauv desbiens matriels et des vies humaines, mais que le prix en avaitt souvent lhonneur de la nation. Tragique destine pourcelui qui se voulait le chef moral des Franais .

    Depuis, les jugements sur laction de Ptain nont cess

  • dtre de plus en plus svres mesure que lon a prisconnaissance des archives. On navait pas ide, par exemple,du degr dhostilit que Ptain prouvait lencontre desmaquis, des terroristes , mme si, une fois ou deux, il avaitexprim sa compassion envers les rsistants excuts par lesAllemands.

    De mme, on navait pas toujours pris la mesure de saduplicit lorsque, oubliant dessein ses initiativesdoctobre 1940 sur llaboration du statut des Juifs, il crivaiten 1945, en vue de son procs, quil avait toujours dfendules Juifs .

    Plusieurs rajustements manent donc de la connaissancedes archives ouvertes ces dernires dcennies. Et il en estquelques-unes qui tmoignent inversement dune reprise enmain de son honneur par Ptain lextrme fin de sa vie.

    Par ailleurs, depuis 1940, il y a plus de soixante-dix ans, lejugement port par les Franais sur Ptain a toujours tcontrast sauf quand ils lui furent favorables quasiunanimement aprs la signature de larmistice en juin 1940.Notons que ce sont souvent des vnements qui nont rien voir avec Vichy (guerre dAlgrie, Mais 68) qui ont ranimles querelles et modifi les frontires entre les pour et les contre .

    Aujourdhui, le recours sa mmoire ralimente, commeon la dit, une partie de lextrme droite, comme si ce quilincarnait senracinait assez profondment dans lhistoire dupays. En juin 2013, au moment de la mort de Clment Mric,ce jeune militant antifasciste tu lors dune bagarre avec ungroupe de skinheads, les journalistes ont redcouvert cesgroupuscules dextrme droite nostalgiques du ptainisme.

    Ajoutons quun des points dancrage de la permanence desconflits autour de la politique de Ptain dcoule dunvnement que personne en 1940 navait pu imaginer : dun

  • armistice, qui paraissait inluctable en juin 1940, avait surgiun rgime nouveau qui allait violenter les principes de laRpublique.

    Nul nimaginait non plus que la politique de collaborationserait suivie de tout un ensemble de violences et de cruauts.Pour preuve, on se rappelle lenthousiasme avec lequel on aaccueilli Ptain Marseille ou Toulouse, quelques semainesseulement aprs sa rencontre avec Hitler, en octobre 1940, Montoire Personne ne pensait non plus que cette politiqueouvrirait une voie deau une droitisation extrme puis une fascisation du rgime.

    Pendant la guerre, au moins ses dbuts, limage dePtain tait tout autre, celle de pre de la nation . Et si,avec les annes, la politique de Vichy a pris son vrai visage,lide prvalait que Ptain faisait ce quil pouvait pour freinerles exigences des Allemands et que Laval tait son mauvaisgnie.

    Au maquis du Vercors, en juillet 1944, avec mescamarades du 6e bataillon de chasseurs alpins, on honnissait lechef de la Milice Joseph Darnand, ainsi que Pierre Laval, lechef du gouvernement. Mais on sabstenait de parler dePhilippe Ptain, pour viter toute friction entre nous, certainsjugeant quil ntait pas hostile notre action.

    Le problme Ptain a explos la Libration, lorsqueles Franais sortaient plus diviss que jamais de quatre annesdOccupation et que lon sinterrogeait sur les responsables dela dfaite et des drames que le pays avait connus en perdantsuccessivement ses prisonniers, son empire, sa flotte, sonexistence sans parler des victimes des perscutions raciales.Pour sr, lAllemand en tait la source. Mais le rgime nenavait-il pas t co-responsable ?

    Cest cette question qui taraude notre histoire, le syndrome de Ptain, pour reprendre le titre du bel

  • ouvrage dHenry Rousso, Le Syndrome de Vichy (1987). Maislenvers de ce syndrome se rvle aussi lorsque force derepentance ou de sarcasme sur la Rsistance, on finit paroublier la part des bourreaux. tudiant la mmoire de cettepoque tragique depuis 1944 et les jugements quon a portssur elle aprs coup, dans le bilan dHenry Rousso on nyrencontre plus dAllemands : ni Abetz, ni Goering, ni Himmler,ni Sauckel, ni Heydrich, ni Renthe-Fink, mais seulementBarbie, pour autant quil passe en jugement bien aprs la fin dela guerre.

    De nombreux films sur cette priode voquent avecpertinence les dilemmes auxquels les Franais ont d faireface. Mais je ne peux voir quun seul long mtrage sur descentaines, Le Vieux Fusil, qui dcrit la terreur nazie en action etla peur quelle a suscite chez les Franais. On ne veut nivoquer ni savoir. En 1943, la peur, si lgitime, avait gagn lepays de haut en bas, et ceux qui avaient t capables de lasurmonter, les rsistants de lintrieur, se retrouvrentsouvent les mal-aims de la victoire.

    Inversement, par une sorte dexorcisme, combien y a-t-ilde films qui, la rigolade, ridiculisent le vainqueur, telle LaGrande Vadrouille ? Une nation qui a souffert dune humiliationsans prcdent, dune souffrance indite, na pas russidemble y voir clair sur la faon dont elle avait tgouverne. Elle sest par la suite galement divise pour jugerla manire dont elle-mme stait comporte.

    Juger Ptain nest-ce pas aussi un peu se juger soi-mme ?

    1 . 1 0 822 v i cti mes montr er P. N ov i ck (p. 31 8-31 9), et non 1 20 000 ou 1 1 2 000 comme onl av ai t annonc en 1 945.

    2. Voi r Ptai n, Kl ei n-Fer r o, ai nsi que C. Despr ai r i es et M. Coi ntet.

  • CHAPITRE 2

    LHOMME DE VERDUN

    Toute sa vie, Ptain a t prsent comme le vainqueur deVerdun , ce qui lui a assur le soutien de nombreux Franais,jusqu sa mort, et mme aprs. Nest-ce pas un mythe ?

    Qui a gagn Verdun ? Pour tout le monde, aujourdhui,cest Ptain. Pourtant, au lendemain de la bataille, Joffre luiassure : Vous aurez beau faire, il en sera toujours ainsi, vousserez le battu, et Nivelle sera le vainqueur de Verdun.

    De fait, en 1917, aprs la victoire, cest bien Nivelle qui adroit tous les honneurs : un message de lAcadmie franaise,une rue Tulle, do il est originaire, et mme une chanson, la Nivelette . Le mrite de Ptain est rduit sa portioncongrue dans le communiqu de victoire du marchal Joffre :

    Si lhistoire me reconnat le droit de juger les gnraux quioprent sous mes ordres, je tiens affirmer que le v rai v ainqueur deVerdun fut Niv elle, heureusement second par Mangin.

    Le gnral Ptain, arriv Verdun au moment de larorganisation du commandement dont il hritait, a remis de lordreav ec laide dun tat-major bien compos, et au moy en de troupesfraches qui affluaient. Ce fut l son mrite dont je ne mconnais pas lagrandeur.

    Voil le point de vue du commandant en chef des armes

  • franaises. Est-ce quitable ?

    Pour les soldats passs Verdun, soit 259 bataillonsdinfanterie sur 360, le chef reconnu, lincarnation de labataille, est bien Ptain. Cette certitude sans quivoque aperdur plus de vingt ans jusqu simposer peu peu aumonde des dirigeants. En 1940, lorsque le prsident du ConseilPaul Reynaud appelle le marchal Ptain au gouvernement, laChambre des dputs entire se lve pour acclamer lanomination du vainqueur de Verdun . De la droite lagauche, de Louis Marin Lon Blum et Pierre Cot.

    Depuis, nous avons assist un retour de flamme.Certains historiens pensent que cest Ptain lui-mme qui sestforg cette image de hros de la Premire Guerre mondiale etque Vichy la popularise. Quen penser ?

    Nous sommes en fvrier 1916. Depuis la victoire de laMarne, en septembre 1914, les Franais et les Britanniquescherchent repousser lennemi, prsent de Reims Arras. Lessoldats sont enterrs dans des tranches et ni les uns ni lesautres ne parviennent en sortir. Je les grignote , expliqueJoffre, le vainqueur de la Marne. Mais, comme le note Liddell-Hart, le grand critique militaire de la Premire Guerremondiale, les attaques ntaient que le grignotement duncoffre-fort dacier par une souris. Et les dents qui sy usaienttaient les forces vives de la France.

    Lanne 1915 avait t celle des offensives vaines, tant enArtois quen Champagne. Elles ont cot la France400 000 morts et prisonniers, et 1 million dvacus pourblessures. Les pertes britanniques furent tout aussimonstrueuses. Il faut changer de tactique. Les gnraux Fochet Haig prparent une puissante offensive sur la Somme. Cestalors que les devanant, dbut fvrier 1916, le gnralallemand Falkenhayn attaque Verdun, cinq contre deux. Son

  • but ? Saigner blanc larme franaise. Le 25 fvrier 1916,le gnral Ptain est nomm Verdun.

    Pourquoi la-t-on nomm ? Comment est-il considr par lesgrands chefs militaires ?

    Ptain ne sera jamais gnral , avait affirm en 1914 legnral Guillaumat au gnral Franchet dEsperey. Le colonelPtain tait alors deux ans de la retraite et comme il lejugeait lui-mme : Jai mauvaise presse au ministre.

    lcole de guerre, o il dtenait la chaire dinfanterietactique, on avait remarqu son talent de pdagogue. Mais iljouait les insubordonns. Il contestait le principe militaire dutir group, considrant quil fallait laisser chacun, une foislordre de tir donn, la capacit de dcider de la cible. Ilsopposait galement au choix de loffensive tout prix quiprvalait depuis la dfaite de 1870. Attaquons, attaquonscons comme la lune ! plaisantait-il. Mais l-dessus, ltat-major ne plaisantait pas du tout.

    Dautres ides manaient de son caractre indisciplin. Ilrptait partout : Le feu tue , voulant dire par l quaveclartillerie, lpoque des attaques la baonnette tait rvolue.Malgr ces ides, ou peut-tre cause delles, les militairesjugeaient que sa carrire serait banale.

    On lappelait Ptain le sec , on le trouvait froid etpince-sans-rire. Certes, son camarade Fayolle, gnral avantlui, le jugeait trs intelligent . Mais beaucoup de militairestrouvaient quant eux que Fayolle tait un imbcile ! Et laplupart dentre eux navaient pas une grande estime pourPtain. En vingt-deux annes de carrire, il ntait que colonel.Seul lun de ses lves, Charles de Gaulle, avait su notercertaines de ses profondes qualits.

  • La guerre qui commenait tait celle de la revanche.Quelle revanche ? Contre lAllemagne ? Sans doute. Mais aussicelle des militaires contre les civils. Larme attendait cemoment depuis les avanies quelle avait subies lpoque deBoulanger (1889), gnral qui rata son putsch, et de laffaireDreyfus (1894) o lhonneur de la justice militaire fut mis encause. Ce serait la Revanche. La vraie.

    Lorsque les hostilits dbutent, le prsident de laRpublique Raymond Poincar ignore le nom des gnraux quicommandent ses diffrentes armes. Il ne peut pasaccompagner Joffre en Alsace et napprend que tardivement ladfaite de Charleroi, tout comme le chiffre des pertes subies.Les autorits militaires nomment prfets et juges. Cesderniers ne peuvent pas prendre au tlphone leurs ministressans leur autorisation.

    Prsident du Conseil, Viviani prend connaissance par safleuriste, dont le mari est chauffeur dans larme, que le GrandQuartier Gnral (GQG) sapprte quitter Chantilly Cenest pas agrable pour un Premier ministre , confesse-t-il auConseil.

    Comme cest lusage, au sein de cette rivalit entreministres et militaires, Ptain, devenu gnral en 1914, netient pas de propos politiques. Toutefois, trs vite, il multiplieles jrmiades contre le gouvernement quil juge incapable. Auprsident de la Rpublique Poincar, il nhsite pas claironner quun dictateur serait une bonne solution pourdiriger les oprations militaires !

    En ralit, la plupart des militaires nourrissaient desopinions voisines. Franchet dEsperey tait dextrme droite,Foch aussi, Lyautey galement, et Castelnau, le capucin , nepouvait tre nomm la tte des armes en raison de sesopinions royalistes. Le gnral Sarrail, comme franc-maon,fut trs vite expdi sur le front de Salonique. Seul Joffre

  • incarnait une rpublique sans arrire-pense. Ptain navaitdailleurs gure destime pour lui.

    Sur laffaire Dreyfus, point dancrage des relations entrelarme et le rgime, Ptain avait manifest avec discrtion sessentiments avant la guerre. Comme officier, il rptait quil nepouvait pas donner tort aux tribunaux militaires qui avaientcondamn le capitaine. Oui, il croyait linnocence de Dreyfus, mais pourquoi cet animal-l sest-il si mal dfendu ? .

    Le capitaine Ptain refusa tout de mme la promotionexceptionnelle que des suprieurs proches des dreyfusardsauraient pu lui attribuer : Je ne voulais pas devoir mapromotion des agents les plus en vue de laffaire Dreyfus. Cela laurait marqu.

    Quand, lors dune parade, le gnral Andr, trs engagdans la reconnaissance de linnocence de Dreyfus, lui tendit lamain pour le saluer, il ne la prit pas. Au fond, il taitantidreyfusard, mais ne le claironnait pas. En 1941, quandmourut la veuve de Drumont, auteur de La France juive etpre de lantismitisme franais, Ptain lui fit verser500 francs de ses uvres personnelles1

    Ptain participe ainsi lhumeur gnrale de mpris pourle gouvernement. Certains de ses penchants ractionnairessuintent dans son comportement. Fin 1915, avant dtrenomm Verdun, et malgr quelques succs en Artois, Ptainnest pas en odeur de saintet au sein du gouvernement : onsait quil ne cesse den faire le procs. Lorsque le prsidentRaymond Poincar lui demande ce quil pense de la situation, ilrpond, insolent : Pas grand-chose Nos malheurs sont dusau fait que nous ne sommes pas commands, ni gouverns. Et il ajoute : Notre systme de gouvernement nest pas apte gagner une guerre. Une autre fois, alors que Poincar visitele front et salue les poilus dun Merci, Messieurs ! , Ptainsexclame :

  • Vous v oy ez, Messieurs, le Prsident na rien v ous dire ! Prenez la responsabilit de coordonner leffort de dfense, lui

    assne encore Ptain. Mais, gnral, rpond Poincar, la Constitution, quest-ce que

    v ous en faites ? Moi, la Constitution, je men fous !

    Malgr tout, Ptain nest-il pas lun des gnraux les plusintressants de larme franaise de par son indpendance desprit ?Il a dj remport plusieurs batailles en appliquant ses thories

    En 1914, Ptain est inventif dans le domaine de latactique. Il nest encore rien dans la hirarchie militaire, mais ilse situe contre-courant, il est iconoclaste et indpendant. Oril va gravir tous les chelons du commandement jusqudevenir gnral en chef des armes franaises en 1917.

    Lors du combat de Guise, en 1914, il est le seul remporter une bataille de rsistance. Son succs est apprci,mais on ne veut pas le survaluer aprs coup. La grandevictoire est celle de Joffre lors de la bataille de la Marne oucelle de Gallieni pour y amener des troupes fraches.

    Ptain, lui, mise sur lartillerie. Il met des propos pleinsde bon sens, comme lorsquil explique quil faut disposer dedeux lignes de tranches, les doublonner. Il est lun desmeilleurs tacticiens, et de Gaulle la compris. Pourtant il estdevenu gnral par dfaut, le Haut Commandement ayant mis la retraite un certain nombre de gnraux considrs commedpasss, ce dont il profita en 1914.

    Une fois nomm Verdun, certains sont rassurs : Il vamettre de lordre, vite fait. On reconnat ses qualitsdorganisation et de prcision, dautant que la situation sur lefront semble obscure. Joffre a multipli ordres et contrordres.Les gnraux Langle de Cary et Herr ont dmantel les canons

  • des forts autour de Verdun. Ayant en tte de revenir uneguerre de mouvement, ltat-major voulait les rendre mobilespour suppler au manque de canons sur les autres fronts.

    Au moment o le gnral allemand Falkenhayn attaqueVerdun, les forteresses nont donc plus tous leurs canons et laplace forte ressemble un chantier. Ptain va remettre delordre. Ce quon retient pourtant de son arrive Verdun,cest cette phrase : Sil le faut, on vacuera la rive droite dela Meuse. Or, on comptait justement sur lui pour tenir lesdeux rives, droite et gauche.

    Ds le premier jour, Ptain est accus de dfaitisme. Ilrpugne attaquer. Certains diront, comme le prsident duConseil Alexandre Ribot en 1917, que le besoin chez Ptaindtre htrodoxe lemporte sur ses qualits. Le gnralMangin, dans ses Mmoires, crit cinq ou six fois que Ptainveut reculer. Cela devient sa marque. En fait, il sagit chez luidune tactique : il faut savoir, quand la situation lexige,prendre le large. Elle sera dailleurs applique par le gnralallemand Hindenburg un an plus tard, avec succs, lors de labataille du Chemin des Dames.

    Enfer ds le premier jour, la bataille de Verdun est uneimprovisation permanente : les premires lignes enfonces,aucun rseau de boyaux ou de tranches navait t prvupour supporter le choc du deuxime assaut. Bientt, il ny aplus de front, mais un miettement inextricable de positionsquon tente en vain de raccorder les unes aux autres. Isole,bombarde, parfois par sa propre artillerie, chaque unit estlivre elle-mme, et ne connat plus quune consigne : tenir .

    Chacune a la conviction que le sort de la bataille dpenddelle ; jamais tant dhommes ne furent ainsi anims dunepareille certitude ; jamais tant dhommes nassumrent cetteresponsabilit collective avec un tel renoncement. Ayant

  • support le deuxime choc, les soldats permettent aucommandement de reconstituer un ordre de bataille, de sytenir et de lemporter.

    Sur le champ dcompos de cette immense bataille, lesordres se faufilent grce aux coureurs , constamment sur labrche. Aux hommes bombards, mitraills, assaillis par lesnappes de gaz, ne sachant o aller ni que faire, dmunis oudfaits, ils apportent, mieux que la vie, la fin de lincertitude.Car rien nest pire Verdun que lattente obsdante de laliaison avec les vivants. Et toujours cette rponse : il fautencore tenir et attendre Quoi ? La fin du bombardement,lheure de lattaque ennemie, espre fivreusement, pourquitter cette tranche improvise et souvent mourir.

    Avec ses avances, ses lots, ses digues et ses verrousforms de charniers, nul champ de bataille na connu une tellepromiscuit entre les vivants et les morts. Ds la relve,lhorreur prend la gorge, signalant chacun limplacabledestin : vivant, sensevelir dans le sol pour le dfendre, mort,le dfendre encore et y demeurer jamais. La dure dusacrifice varie selon les bataillons. Mais quune part de leffectifsoit hors de combat, lheure arrive dtre relev son tour.Seule certitude : de toi, ou moi, camarade, lun doit mourir, oules deux.

    Quelles sont les ides de Ptain Verdun ? Comme lorsdes batailles de lanne 1915, il sait que larme franaisedispose de moins de canons que larme allemande. Il jugedonc quil faut multiplier les tranches pour se rapprocher leplus possible de lennemi. Il ne sagit pas de lattaquer, mais delempcher dutiliser les canons.

    Cette tactique est nouvelle, elle est celle de Ptain. On luireproche alors de vouloir gagner la guerre non par desavances mais par des combats de tranches. Pourtant il sait

  • trouver les mots qui stimulent les combattants : On lesaura !

    Avec le gnral Mangin, Ptain a aussi trouv lide dubarrage roulant : lattaque de tirs est prcde de canonslgers, puis on progresse jusquau point dimpact des obus, lo les canons ont tir, mais pas plus loin. Lartillerie y esttransporte, et on recommence Pour Mangin, cest se battre la franaise , un peu comme on part la chasse, fusil aupoing

    Ptain sait aussi quil faut soccuper en priorit desrenforts. Il fait pour cela restaurer la seule ligne de chemin defer, une voie, qui relie Verdun larrire, et reconstituercette route quon appellera la Voie sacre.

    On lui doit galement le tourniquet des combattants ; lessoldats ne doivent pas rester trop longtemps en premire oudeuxime ligne ; il faut une relve. Lorsque 50 pour cent descombattants en premire ligne sont tus, lensemble dubataillon est remplac.

    Ptain veut aussi multiplier les rseaux de boyaux pourpouvoir passer dune tranche lautre dans les deux sens, cequi permet une activit beaucoup plus organise. Un repli esttoujours prvu.

    Pour que les soldats sachent quon pense eux, ildemande que les ordres dattaque ne soient pas lancs sanstenir compte de leur tat physique : pas de deuxime attaqueavant un dlai de quatre heures. Mais les autres gnrauxcomme Mangin sopposent cette mesure considrant quilfaut pouvoir rattaquer tout de suite. Au final, le dlai sera dedeux heures et demie entre les attaques.

    Ptain rclame aussi que les units de premire lignesoient privilgies dans lobtention dune permission pour voirleur famille. Il veille ce que les soldats soient nourris avecsoin. Il va goter la soupe (il est film en 1917 dans ce rle) et

  • obtient que la nourriture livre ne soit pas pour les porcs. Auxyeux des soldats, il est devenu le vrai gnral en chef.

    En avril 1916, Ptain avertit Poincar que la bataille a djcaus la mort de 12 000 soldats et fait 68 000 blesss, dont11 000 en une semaine. Il affirme son historien HenryBordeaux : On trouve que je suis un grand mangeurdhommes, pourtant je les pargne tant que je peux.

    En effet, Joffre et Poincar jugent que Ptain demandetrop de renforts. Mais il faut admettre quils sont parfaitementlgitimes : en mars les Allemands se battent cinq contredeux !

    Ptain est remplac assez vite, nomm ds juin 1916 une direction suprieure, celle de la rgion. Nivelle et Mangindeviennent les chefs directs de la bataille de Verdun et sontcrdits de la victoire. Cest pourtant grce Ptain que le fortde Douaumont, la pice matresse de la dfense autour deVerdun, a t repris. Mais pour ltat-major, la vraie victoireeut consist chasser les Allemands.

    Verdun est devenu la bataille de larme entire, lagrande preuve nationale laquelle seuls trois ou quatrebataillons de troupes coloniales, contre dix-huit sur la Somme,ont particip et sans laide des Anglais.

    Verdun est la victoire de la race . Quelle diffrenceavec la Somme, en aot 1916, quand lemportrent les canonset les chars, ou encore la premire bataille de la Marne, enseptembre 1914, qui fut une victoire du commandement !

    Henry Bordeaux dcrit Ptain, durant cette priode,comme une extraordinaire force calme qui a remis delordre . Mais il nuance : Son action se borne rsister.Naurait-il pas pu, avec tant de troupes mises sa disposition,tenter une offensive gnrale, avant que les Allemands

  • eussent fait des travaux considrables ? Il doute de lui et napas de gnie. Cest un homme de caractre, dautorit, il asauv Verdun mais il na pas la victoire.

    Compltons ce tableau par un commentaire du gnralMangin : Ptain est vraiment par trop dfensif. Il a perdubeaucoup dinfluence et il ne fera jamais quune guerre debouts de tranches.

    Ce que Mangin veut signifier par-l, cest que rien nestpire Verdun que linaction car alors ce sont lesbombardements qui tuent. Mieux vaut attaquer que resterinactif ou se dfendre puis contre-attaquer.

    Quen conclure ? Ptain est-il, oui ou non, le vainqueur deVerdun ?

    Ptain est le vainqueur de Verdun car pour les Franaislenjeu consistait ne pas perdre la place. Les Allemands, eux,voulaient saigner larme franaise. Or larme allemandela t tout autant. Par ailleurs, ni la rive droite de la Meuse nila cit nont t vacues malgr la disproportion des forces enprsence.

    Certes, le coup de boutoir de Nivelle et de Mangin a misun coup final aux entreprises allemandes Verdun. Mais cettevictoire aurait-elle t possible sans le soin port par Ptainaux conditions de vie des soldats, lorganisation dun systmede communication performant ou la mise en uvre dideslongtemps juges htrodoxes ?

    Durant la suite de la guerre, Ptain reste commehypnotis par Verdun. En 1917, quand il est question dunenouvelle offensive, il assne, devant Nivelle et le prsident duConseil Ribot : Je ne crois pas du tout au succs duneoffensive mene fond. La seule tactique possible est de

  • fatiguer lennemi par des attaques rptes et des coups depoing qui laffaibliront peu peu.

    Commence alors un dbat pour savoir sil faut confier Nivelle le soin de mettre en uvre la prochaine attaque. Celui-ci semble tre lhomme de la situation, mais des doutesslvent sur la possibilit dune offensive succs auprintemps 1917. Le nouveau prsident du Conseil PaulPainlev est assez sceptique. Il a davantage confiance enPtain. Franchet dEsperey et Castelnau sont galement peuconvaincus.

    Lors dune runion en avril 1917, Ptain argumente : Nous avons des forces suffisantes pour la perce, mais paspour lexploitation. Nivelle donne alors sa dmission, qui estrefuse, car tout le monde se rcrie. Mais Ptain enfonce leclou : Jai donn un avis dfavorable loffensive et legouvernement est pass outre. Cest donc lui quappartientcette responsabilit. Il persiste mettre toutes les fautes surle dos du gouvernement, jamais sur les commandants darme.

    Lors de la bataille du Chemin des Dames qui suit, legnral allemand Hindenburg applique la tactique du repli.Lartillerie franaise tire dans le vide Un bon camarade deMangin, le gnral Micheler, explique que ce nest pas Nivellequi a chou, mais Mangin lui-mme, lequel est relev de sesfonctions le 1er mai 1917. Une ignominie entre gnraux, qui nespargnent pas Nivelle a peut-tre t intelligent,brillant , mais il cde le commandement en chef de larmefranaise Ptain le 15 mai.

    ** *

    En 1917 clatent les mutineries. On sent un besoin chez Ptainde sadresser aux soldats. Il prend la plume au mois de juin et publiedans de nombreux journaux une tribune expliquant pourquoi nous

  • nous battons Mais il rprime aussi les mutins. A-t-il t lhommede la situation ?

    Le mouvement des mutineries sexplique non par le refusde dfendre son pays, mais par la multiplication des offensivesvaines. Prs de 40 000 soldats se rvoltent en 1917 contre lamanire de faire la guerre. Quelques lettres disent bien laralit des choses : Nous avons refus de marcher, non pouramener une rvolution qui serait invitable si nous avionscontinu le mouvement, mais nous avons au contrairemanifest pour montrer que nous tions des hommes, et nonpas des btes quon mne labattoir.

    Certaines manifestations exceptionnelles, au coursdesquelles les soldats chantent LInternationale et crient Paris ! , font croire au commandement quil sagit demanifestations pacifistes. Des gnraux, comme FranchetdEsperey, crivent Ptain que les espions allemands,agissant sur les syndicats et les instituteurs, contaminent lespermissionnaires et les units. Lhistorien Guy Pedroncini abien montr en 1967 quil ny a jamais eu le moindreinstituteur parmi les meneurs, et que les mutineries eurentlieu aprs des attaques rates.

    Verdun dj des rebellions avaient clat quand semultipliaient les attaques vaines.

    Plus largement, au printemps 1917, sexprime une volontsourde : celle que la guerre prenne fin.

    Ptain est en dsaccord avec largumentaire de FranchetdEsperey. Il juge que les mutineries sont dues lpuisementgnral, que les soldats nen peuvent plus, que lesresponsables sont ceux qui lancent des offensives voues lchec et mal conues, tel Nivelle. Cela ne lempche pas destigmatiser aussi laction pacifiste des instituteurs.

    Les tmoignages de cette poque nous disent que lanourriture est infecte, quil ny a pas de priode de repos,

  • quon fait excuter des tches pnibles des soldats quiviennent de faire vingt kilomtres pied, comme nettoyer laboue sur les mitrailleuses. On stigmatise aussi les ministres quiviennent inspecter les tranches en costume trois pices

    Les mutineries clatent aprs la nomination de Ptain le15 mai 1917 comme commandant en chef de larme franaise.Elles dcoulent de lchec de loffensive Nivelle. On na pas faitappel Ptain pour calmer larme, mais sa nomination y acontribu car les soldats savaient depuis Verdun que Ptainpargne le sang des hommes.

    Au sein du commandement, tout le monde pressentaitque larrive de Ptain impliquerait la fin des offensives. Ds le19 mai, Ptain dclare quil faut dsormais fixer lennemipour lui enlever sa libert daction. Aux yeux des soldats, celane signifie pas la fin de loffensive Nivelle mais dultimesmesures pour rtablir un front dfendable.

    Ptain multiplie les visites au contact des combattants.Nen concluons pas pour autant quil fut dbonnaire. Il amaintes fois manifest sa duret en cas dindiscipline. En 1914,il avait voulu fusiller 35 soldats qui staient tir une balle dansla main pour ne pas aller au front. Il y avait finalementrenonc, mais avait fait ligoter ces hommes et les avaitabandonns dans la tranche la plus proche de lennemi.

    Contrairement sa demi-lgende, Ptain nest pasconciliant en 1917. Citons un de ses ordres du jour du mois dejuin qui prconise de faire de lindividuel, plus que ducollectif : Comment faut-il procder ? Il faut donner quelques mauvaises ttes un ordre excuter. En cas de refus,ces hommes sont arrts immdiatement et remis entre lesmains de la justice qui devra suivre son cours le plus rapide.

    Ptain a-t-il t quitable ? Il a voulu que la rpressionsoit limite mais impitoyable. Il rclame que certains accuss

  • soient traduits devant le conseil de guerre sans une instructionpralable. Toutes les fois o la gravit dun crime est reconnue,et que les preuves sont suffisantes, le chtiment doit treexemplaire. Ptain supprime les recours en rvision desprocs et autorise mme les gnraux faire excuter lescondamns sans transmettre les recours en grce.

    Ce traitement trs svre est malgr tout circonscrit : surles 40 000 mutins identifis, 554 sont condamns mort, 49sont excuts sur ordre des tribunaux, et 7 sur ordre dePtain lui-mme.

    Que signifient ces chiffres ? Ils sont toujours sujets discussion. On peut penser que la rpression a t bnigne.Mais en Grande-Bretagne, quatre mutins seulement ont texcuts Les excutions de 1917 soulvent lopprobre,notamment depuis lintervention du Premier ministre LionelJospin en 1998. Mais on a aussi dcouvert que des excutionsbeaucoup plus nombreuses eurent lieu ailleurs et autrement.

    En 1914, 324 soldats furent condamns mort et 200excuts, soit quatre fois plus quen 1917. En 1915, 648 soldatsfurent condamns mort et 392 excuts. En 1916, 890furent condamns, 156 excuts. En 1917, 132 soldats furentexcuts sur 883 condamns.

    Quiconque a particip la lutte arme sait bien quondispose dautres moyens que dun tribunal militaire poursanctionner les indisciplins, qui peuvent par exemple treenvoys dans une mission risque, dont on sait quils nereviendront sans doute pas. Je lai vrifi, dans le Vercors, en1944, quand me dclarant volontaire pour porter secours ungroupe en difficult, le lieutenant ma retenu par le col et madit : Toi, tu restes.

    Durant lentre-deux-guerres, Le Canard enchan a rvlque, dans une unit qui avait refus de se battre, on retenaitun soldat sur dix pour tre excut. Nous savons depuis quecette dcimation ntait quun mythe.

  • Au total, le nombre dexcutions, suite aux mutineries de1917, peuvent tre considres comme relativementmodres, par rapport ce quelles auraient t sans doute siFranchet dEsperey ou Mangin avaient t commandants enchef. Ptain a apais les soldats qui sortaient de loffensiverate du Chemin des Dames, et sest montr relativementclment pour lpoque, dans un temps o le commandement neltait pas.

    Par la suite, Ptain fit souvent rfrence la question desmutins. En 1918, il confia au gnral britannique Haig quiltait particulirement fier dy avoir mis fin. Bien plus tard,dans son discours du Vent mauvais , prononc en pleineOccupation, le 12 aot 1941, au lendemain des premiersattentats commis contre des soldats allemands, il rappelaencore cet pisode Mais il sagissait cette fois dvoquer larpression quil a su animer plus que de rappeler unequelconque clmence.

    ** *

    Lors du dfil de la victoire, le 14 juillet 1919, Philippe Ptain,devenu marchal de France, apparat aux Parisiens sur son chevalblanc, comme un nouvel Henri IV Quelle est la part qua prisePtain dans la victoire finale ?

    Lantagonisme qui a oppos Ptain, dabord simplecolonel, au commandement militaire sur la manire deconduire la guerre ( offensive ou dfensive ) fut pendantquatre ans le nerf de toute discussion militaire. Le dbat estrest cadenass dans cette opposition, un peu comme celle deshommes politiques aujourdhui qui senferment dans les

  • notions de gauche ou de droite. Tel est le cadre mental quiprvaut jusquen 1918.

    Or, en 1917, de grands vnements modifient la carte deguerre : la rvolution russe et lentre des tats-Unis dans leconflit. peine les Amricains entrent-ils en guerre, enavril 1917, que Ptain dclare : Jattends les chars et lesAmricains , une phrase quil ne cesse de rpter. Larvolution russe, quant elle, clate en mars 1917. Leshommes politiques commencent par vouloir croire quil sagitdune rvolution patriotique qui va mettre fin de supposesngociations du pouvoir tsariste avec lAllemagne. Mais aufond le prsident du Conseil Alexandre Ribot et le Premierministre britannique Lloyd George sont convaincus que cettervolution peut dsintgrer larme russe.

    Face cette nouvelle donne, Foch et Ptain sopposentune nouvelle fois. Ptain veut attendre les chars et lesAmricains pour attaquer et se dfendre en attendant. MaisFoch estime au contraire quattendre est une erreur car lesAllemands risquent de ramener leurs troupes du front russeau plus vite, sans attendre les Amricains.

    Or ce nest pas ce qui se passe : on compte 72 divisionsallemandes en Russie en mars 1917, 75 en avril et 78 en juin !Les Allemands ont cru eux aussi une rvolution patriotique,estimant que les Russes allaient se battre avec plus dardeur une offensive russe sera dailleurs dclenche fin juin.

    Foch a donc tort : il ny a pas de retour des forcesallemandes vers louest avant lt. Mais Ptain sest tromplui aussi, linquitant retour des troupes allemandes sur lefront ouest ayant t report, ce qui rduisait ses argumentscontre lide dune offensive celle de Foch.

    Aprs la dfaite italienne de Caporetto en octobre 1917,Foch est envoy au secours des Italiens avec quelquesdivisions franaises. La Roumanie, de son ct, demande la

  • paix Pour Ptain, promu commandant en chef de larmefranaise, la situation nest gure favorable : les Amricains nesont pas encore prts au combat ; les Italiens sont hors course,tout comme les Roumains. On se contente donc, dans le campfranais, dattendre la grande offensive allemande.

    cette occasion, Ptain manifeste pour la premire foisdes opinions politiques claires. Il soppose, en tant que chef desarmes, ce que le gouvernement Ribot accorde despasseports une dlgation de socialistes franais pour serendre en 1917 Stockholm o se tient une confrence pour lapaix organise par des socialistes russes et neutres.

    Autre inquitude de Ptain : que les militaires perdentleur ascendant sur les civils. Joffre, qui a gagn la bataille de laMarne mais pas la guerre, a t limog en 1916, remplac parNivelle. Foch na pas remport la bataille de la Somme, malgrles normes moyens dont il a dispos, et na pas effectu laperce tant attendue. Nivelle, de son ct, a perdu la batailledu Chemin des Dames, tout en tant premptoire dans sescertitudes. Ptain, lui, a sauv Verdun, certes, mais il na pasnon plus gagn la guerre

    Tous les gnraux, dont Ptain, sont quelque peudiscrdits. Certes, Painlev, le nouveau prsident du Conseil,a approuv la tactique de Ptain et la nomm, comme on lavu, gnralissime des armes franaises. Ce savant, modr,jugeait quil ne fallait pas lcher la bride de Foch ou de Mangin.Mais en novembre 1917, Painlev est remplac parClemenceau.

    cette date, il ne sest rien pass dessentiel depuis lemois de mai On assiste la formation dune sorte dallianceentre Foch et Clemenceau pour mettre fin cette stagnation.Lide est de confier Foch une rserve de troupes, la rserve stratgique , pour attaquer les lignes allemandeslors des grandes offensives. Mais le gnral Haig, qui

  • commande larme britannique, ne veut pas, pas plus quePtain, quon lui retire des troupes pour constituer cetterserve. Ptain et Haig se montrent donc solidaires contreClemenceau et Foch. Et lide de la rserve choue.

    cette nouvelle, Foch, furieux, pique une colre devantClemenceau qui lui ordonne de se taire. Le prsident duConseil lui garde toutefois sa confiance, plus qu Ptain

    En mars 1918, quelques jours avant la grande attaqueallemande, voici le portrait que dresse Clemenceau de Ptain :

    Il na pas dides, il na pas de cur, il est toujours sombre sur lesv nements, sv re sans rmission dans ses jugements sur sescamarades et sur ses subordonns. Sa v aleur militaire est loin dtreexceptionnelle, il a dans laction une certaine timidit, un certainmanque de cran.

    Mais il a su se pencher sur le sort de la troupe, il a compris lamentalit du soldat, il a t loy al v is--v is de moi, il a t correct dansses rapports av ec les Allis. Il a de bonnes manires, de civ il plus que degnral. Il naime gure les intrigues et sait se faire obir. Il prend sesprcautions et reste attentif aux dtails. Cest un administrateur plusquun chef. dautres, limagination et la fougue. Il est bien sa placesi, au-dessus de lui, se trouv ent des hommes pour dcider en cas grav e.

    La grande offensive allemande a lieu le 21 mars 1918,dans un contexte trs dlicat pour les Allis. Depuis un mois,Ptain demande au gnral Haig dtendre les positionsbritanniques de quatre-vingts kilomtres car lui-mme naplus de rserves. Mais Haig refuse. Les deux allis en rfrentalors au Premier ministre Lloyd George. On ngocie et Haigfinit par largir sa zone de 30 kilomtres. Cest un petit geste.

    En France, Clemenceau juge que ces ngociations sontdangereuses et songe llaboration dun commandementmilitaire unique. Painlev avait soutenu Ptain, Clemenceausoutient Foch Si lhomme de la rue ignore ces dissensionsdans le camp franais, beaucoup de chefs militaires, au sein deltat-major, sont au courant. Les Allemands aussi sont alerts

  • car ces discordes suintent dans la presse franaise.Quand lAllemagne passe loffensive, avec 65 divisions,

    elle choisit prcisment dattaquer la jonction entre les armesfranaise et anglaise, dans la rgion de Saint-Quentin. Lesarmes britanniques se retrouvent vite enveloppes, craseset appellent Ptain au secours. Celui-ci accepte mais, tel unpaysan franais prs de ses sous, nenvoie que deux divisions.Ce nest pas assez. Le gnral anglais Gough doit se repliervers la mer.

    Ds lors, faut-il aider les Britanniques pour viter quils nerembarquent et reformer la jonction avec eux, comme lepensent Foch et Clemenceau ?

    Ou bien, devant la menace de lcroulement anglais, faut-il se replier pour sauver Paris ?

    votre avis, que propose Ptain ? Sauver Paris ! AuxBritanniques, il prtend quen choisissant cette option, il ne faitquobir aux ordres du gouvernement. Pourtant nous navonsjamais trouv trace dun tel ordre.

    Ptain se replie sur Noyon. Une coalition sorganise contrelui pour substituer son commandement un gnralissimealli, Foch, la tte des deux armes. Cette dcision est prisele 26 mars 1918, la confrence de Doullens (Somme). Mais laquestion reste entire car Foch estime que cest Amiens quidoit reprsenter le point de jonction des deux armes, tandisque Ptain persiste vouloir dfendre Noyon Legnralissime alli et le chef de larme franaise entrent enconflit direct.

    Daprs Clemenceau, Ptain est alors trs pessimiste : Les Allemands battront les Anglais en rase campagne, etaprs ils nous battront aussi. Il nest plus sr de lui ; legnral Anthoine dsobit ses ordres. Auparavant, il enimposait par son calme, mais depuis quon lui a prfr Foch, ilsemble dstabilis.

    la dernire attaque allemande, fin mai 1918, sous les

  • ordres de Foch, Ptain parvient bien tenir les deux mles deReims et de Soissons : il sait grer les dfensives multipleschelons. Le 3 juillet, les Allemands lancent une nouvelleoffensive et, comme lavait prdit Ptain, avancent sur laChampagne.

    Il y organise une dfense la Ptain : reculer dslattaque pour passer ensuite la contre-offensive. Cette fois,contrairement Verdun, une bataille de mouvementsengage : les Franais font semblant de dfendre du terrainsur quatre kilomtres et les Allemands tombent sur du vide.Cest une deuxime bataille de la Marne, avec tanks etaviation, une bataille moderne qui annonce celles de 1940.

    Ptain gre le tempo de cet affrontement gagn parMangin. Les tanks franais, cachs dans la fort deVillers-Cotterts, surgissent au moment o les Allemandsavancent sans protection de leurs canons. Cest une grandevictoire.

    Le 8 aot 1918, une journe de deuil de larmeallemande est proclame outre-Rhin. Les imagescinmatographiques montrent des milliers de prisonniers faitspar les Franais. Cest bien la tactique de Ptain qui a temploye ; mais il nest pas crdit de la victoire qui dans lesesprits reste celle de Foch et de Mangin !

    Jusquen octobre 1918, les Allemands reculent sur tous lesfronts. En septembre, Ludendorff et Hindenburg veulentdemander larmistice. Dsormais, les Amricains sontnombreux se battre. Ptain manque de troupes et souhaiteles intgrer dans son arme. Mais le gnral amricainPershing dsire commander ses propres soldats. Foch, lui, estpartag : il ne veut pas renforcer Ptain ils se hassent mais il entend resserrer les rangs. Un compromis estfinalement trouv : une partie des Amricains obira Ptain,lautre Pershing.

    En octobre, quand, aprs la Double Monarchie et les

  • Bulgares, les Allemands demandent larmistice et que les Allisprogressent en Lorraine, dultimes divergences se font jourdans le commandement. Une grande offensive verslAllemagne avait t prvue pour le 15 novembre. Ptainlattend impatiemment. Mais Foch juge que la guerre estdores et dj gagne, et prfre signer larmistice. LeBritannique Douglas Haig est daccord avec lui. Cest que Fochne tient pas ce que la victoire revienne Ptain, quifranchirait le Rhin et foulerait triomphalement le sol allemand.

    Le 9 novembre 1918, les deux hommes se rencontrent.Leur entrevue est pathtique. Ptain racontera : Jaiexpliqu Foch limmense diffrence quil y avait entre uneguerre termine dun commun accord et une victoireclatante, nettement franaise, remporte en Allemagne. Jecomprends trs bien que Lloyd George et Wilson ne veuillentpas dune victoire franaise trop clatante, mais Clemenceau,quen pense-t-il au fond de lui-mme ?

    Ptain est frustr de la victoire que Foch lui souffle. En1931 encore, dans son discours de rception lAcadmiefranaise, il reviendra sur cet pisode douloureux.

    Ptain a donc t priv de la victoire de Verdun, il na pasobtenu le titre de gnralissime des armes allies, il a tfrustr en bonne part de son rle durant la deuxime bataillede la Marne, puis par loffensive du 15 novembre 1918. Ptain qui avait toujours voulu pargner le sang des hommeset qui lance dsormais : Attaquons, attaquons ! , Fochrtorque : Il y a eu trop de morts comme cela. On arrte.

    Au final, le rle de Ptain pendant la Grande Guerre a-t-il t,selon vous, plutt positif ou ngatif ?

    Ptain a toujours su valuer, mieux que les autres

  • gnraux, ltat rel des situations. cette lucidit, il a associune pratique qui, mme si elle tait juste, apparaissait commelexpression dune prudence suspecte de dfaitisme. Au fond,sa stratgie a abouti lorsque sa tactique dfensive a permis laprparation dune grande offensive dont il a finalement tpriv.

    La plupart des gnraux ont t trs rservs surlattitude de Ptain. La plupart, lexception de Mangin,ntaient pas des hommes de terrain. Et dans cette guerre quise voulait une revanche, la position dfensive ne leur semblaitpas assez glorieuse. Le capitaine de Gaulle fut lun des seulsmilitaires juger que le vrai stratge de la Grande Guerreavait t Ptain. Et pour la majorit des combattants, aucundoute : Ptain a incarn la dfense du pays.

    Je pense galement quil a t le meilleur stratge de 14-18 mais quil na pas su valoriser ses ides. Il na pas manifestle calme olympien de Joffre, reculant de la Belgique jusqu laMarne. Il na pas non plus montr lardeur de Foch, cecharisme qui rvle laudace dun vrai chef.

    Mais en pargnant le sang de ses hommes pour que lavictoire ne soit pas leur tombeau, les soldats lont reconnu etlhistoire aussi comme celui qui sest rvl tre le gardiende la terre.

    1 . Voi r G. Kauf fmann, douard Drumont, Per r i n, 201 1 , p. 460.

  • CHAPITRE 3

    EN RSERVE DE LA NATION

    On est tent, partir de la fin de la Premire Guerre mondiale,dopposer les trajectoires de Charles de Gaulle et de PhilippePtain. Lun aurait eu tout juste, lautre tout faux. Cest oublier queles deux hommes ont t trs proches

    Les deux hommes sont proches mais de faonparadoxale car cest le jeune de Gaulle, lve lcole deguerre, qui, toute sa vie, a exerc un ascendant sur le vainqueur de Verdun . Au dpart, de Gaulle admire sonmatre Ptain pour son anticonformisme. Il sait que, dans lesannes 1900, au cours dune enqute pour savoir quels sontles officiers qui se rendent la messe, Ptain a rpondu : Metenant au premier rang, je nai pas lhabitude de meretourner.

    Une autre fois, cest Ptain qui admire sa repartie. En1913, un jour o il avait fait tirer au sort pour mauvaise tenueun des chefs de section, de Gaulle fut dsign pour quatrejours darrt de rigueur. Le lendemain, Ptain convoqua deGaulle et lui dit : Jai dcid de lever vos arrts. Et deGaulle de rpondre : Jai trop destime pour votre jugement,mon colonel, pour considrer juste une punition que vous jugezdevoir retirer. Plus tard, de Gaulle a su que cette rplique

  • avait plu au colonel.Pendant la guerre, de Gaulle est bless Verdun et

    dcor, puis fait prisonnier en 1916. Au lendemain du conflit,ses chefs le punissent pour arrogance et laffectent lintendance Mayence. Il est sauv par Ptain qui lappelle son cabinet car il na pas oubli les talents du jeune sous-lieutenant devenu capitaine.

    De Gaulle expliquera plus tard : Jtais trs port sur lesfemmes, Ptain aussi, et en Allemagne comme Varsovie [lorsde leurs missions ltranger], cela nous rapprochait. Lanne daprs, lorsque de Gaulle eut un fils, il lappelaPhilippe, le prnom de Ptain. Au-dessus de son lit figurait unephoto du Marchal avec en ddicace : mon jeune amiPhilippe de Gaulle, en lui souhaitant de russir dans la vie avectoutes les qualits et les dons de son pre. Affectueusement,Philippe Ptain .

    Une affection rciproque lie les deux hommes. Nousavions, au fond, les mmes valeurs , dclara Ptain en 1943. Nous avions peu prs les mmes ides , dit de son ct deGaulle lors dun entretien avec Paul-Marie de la Gorce bienplus tard.

    En ralit, ils navaient pas les mmes ides en matire destratgie : le tout-dfensif de Ptain ne convenait gure lhumeur guerrire du capitaine de Gaulle. Mais sur le fond,leur accord portait sur lattitude quun chef militaire doitadopter en Rpublique. Le chef, explique de Gaulle dans LeFil de lpe, doit avoir du prestige. Et ce prestige ne peut allersans mystre. Car on rvre peu celui quon connat bien Lasobrit du discours, le relief de lattitude, rien ne rehaussemieux lautorit que le silence. Le chef cre le calme etlattention pourvu quil se taise. Pour chacun, il sagissait ldu portrait de Ptain le sec .

    Les deux hommes taient galement daccord sur lavenirde la France quils jugeaient sombre, et lon ne saurait dire si

  • les phrases qui suivent sont de lun ou de lautre. Ainsi le25 juin 1919 : Voici donc la paix signe, il reste la faireexcuter par lennemi, car tel que nous le connaissons, il nefera rien, il ne cdera rien, il ne paiera rien quon ne lecontraigne faire ou cder, moins dutiliser la force avec ladernire brutalit.

    Qui a crit cela ? Cest de Gaulle.Quelques annes plus tard, en septembre 1934 Meaux,

    Ptain sexprime dans un discours que les actualits Path ontconserv : LAllemagne a, par excellence et dans le trfondsde sa race, non seulement cette vertu guerrire qui fait savaleur sur les champs de bataille, mais encore le got et leculte de la force, ainsi quune constante propension brandirses armes pour appuyer sa politique.

    Cest le seul discours que sur un tel thme un marchal aitos prononcer devant les camras dans lentre-deux-guerres,et que la France entire ait pu entendre : un appel lavigilance.

    Sur le statut dun militaire dans une rpublique, Ptain etson jeune compagnon diffrent des autres grands marchauxcontemporains : le monarchiste Lyautey souhaitait renverserla Rpublique ; Franchet dEsperey avait peu prs lesmmes opinions que Lyautey tout comme le marchal Foch.Seul Joffre adhrait lidal rpublicain, respectueux de lasupriorit du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. LorsquePtain fut fait marchal de France, le 8 dcembre 1918, cestlui qui invita Joffre dans son train priv car la Rpublique avaitomis de le convier ses frais la crmonie.

    Lors de la crmonie, le prsident Poincar dclara : Vous avez obtenu du soldat franais tout ce que vous luidemandiez. Vous lavez compris, vous lavez aim, et il arpondu par son obissance et sa dvotion toute la sollicitudeet toute laffection que vous lui donniez. Mais il ne

  • pronona pas un mot sur ses autres mrites.

    Durant une dizaine dannes, le capitaine de Gaulle fut lecompagnon du marchal Ptain. Lorsquen 1934, GastonDoumergue devint prsident du Conseil et nomma Ptain auministre de la Guerre, celui-ci voulut prendre son ami commedirecteur de cabinet. Mais le gnral Laure, ancien compagnonde Ptain et son laudateur attitr, lavait prvenu : Cest luiou moi. Et Ptain a choisi le laudateur

    cette poque, de Gaulle est encore une personnalit endevenir. La carrire de Ptain, elle, semble son firmament. A-t-ilencore une influence dans larme ?

    Aprs la Premire Guerre mondiale, Ptain a droit ungrand nombre dhonneurs et de nominations. Entre 1920et 1934, date laquelle clate la grande crise du rgime avecles meutes du 6 fvrier contre le gouvernement Daladier, iloccupe huit fonctions :

    1920 : prsident du Conseil suprieur de la guerre,commandant les armes franaises en temps de guerre (avecles autres marchaux).

    1922 : inspecteur gnral de larme, ce qui confirmeson autorit sur ltat-major.

    1920-1931 : il sige au Conseil suprieur de la dfensenationale, instance consultative.

    1931 : mis la retraite, il accepte, sans entrain, dtreinspecteur gnral de la dfense arienne.

    1934 : il est nomm ministre de la Guerre, mais ne faitplus partie du Haut Comit de la dfense nationale. Il proposela cration dun ministre de la Dfense et devient membrepermanent du Conseil suprieur de la dfense nationale et duHaut Comit militaire. En tant que marchal, il est encore

  • membre du Conseil suprieur de la guerre.

    Ptain est donc omniprsent et nhsite pas prendre despositions publiques. La principale question, au sortir de laGrande Guerre, porte sur le statut de la Rhnanie. Lemarchal Foch, les gnraux Grard et Weygand soutiennentle sparatisme rhnan. dfaut, Clemenceau souhaite aumoins une dmilitarisation de la rive gauche du Rhin, ce que luiconcdent les Britanniques qui veulent se limiter unegarantie de soutien la France si elle est de nouveau attaque.

    Sollicit, Ptain rpond que tout cela est du ressort dugouvernement . Une attitude purement rpublicaine ou lerefus de sengager ?

    Cest aussi durant ces annes, avant que nclate la criseconomique de 1929, que le marchal Ptain est invit intervenir au Maroc, dans la guerre du Rif (1925). Dans untexte fameux, et selon des propos rpts, de Gaulle a jugindigne que le marchal Ptain ait accept sur proposition dugouvernement de prendre la relve du marchal Lyauteypour combattre aux cts des Espagnols la Rpublique rifainedAbdelkrim.

    Certes, les deux marchaux navaient aucune estime lunpour lautre. Un marchal nobit pas un ordre dugouvernement comme sil tait un marchal des logis , lanaLyautey Ptain quand il apprit que celui-ci avait accept lamission.

    Moi, je suis devenu marchal parce que jai toujours obiau gouvernement, lui rpondit Ptain.

    Et moi, cest parce que je lui ai toujours dsobi ,rtorqua Lyautey.

    Lalgarade est connue. Ce qui lest moins, cest que cenest quen 1940 et non en 1926 comme il la prtendu quede Gaulle a jug que le marchal Ptain tait mort enacceptant de remplacer Lyautey. En 1932, de Gaulle lui avait

  • ddicac Le Fil de lpe dans ces termes : Cet essai,Monsieur le Marchal, ne saurait tre ddi qu vous, car rienne montre mieux que votre gloire, quelle vertu laction peuttirer des lumires de la pense.

    La guerre du Rif tait-elle la dernire rvolte dun peuplecontre la colonisation ou bien la premire lutte dun peuplecolonis pour lindpendance ? De fait, Abdelkrim, qui seproclame chef de la rpublique du Rif, se veut rpublicain,disciple dAtatrk, et revendique lautonomie de ce territoiredu Nord marocain contre loccupant espagnol qui est bienttcras.

    la bataille dAnoual, le gnral Silvestre perd18 000 hommes. Ce dsastre est en partie lorigine delarrive au pouvoir en Espagne de Primo de Rivera, et dunappel laide de la part de Madrid au marchal Lyautey, alorsgouverneur du Maroc.

    Paris, o lon connat les opinions dextrme droite deLyautey, on craint davoir affaire un nouveau gnralBoulanger, ce ministre de la Guerre qui fut accus en 1889davoir voulu renverser le rgime. Ptain accepte alors deprendre la relve, mais choisit de soutenir les Espagnols dugnral Franco plutt que dpargner Abdelkrim, comme levoulait Lyautey.

    Avec 325 000 hommes et 100 000 Espagnols, il craseles Rifains qui nont pour soutien que la IIIe Internationale Moscou, et Jacques Doriot, alors leader du Parti communistefranais.

    Lordre militaire naccorda pas au Marchal larcompense symbolique quil aurait pu en attendre, et cettevictoire de Ptain neut pas un grand cho en France. Mais elleenracina chez lui la haine des communistes.

    Outre ces deux interventions, sur la Rhnanie et le Rif, quelle

  • action eut Ptain pour la dfense de la France en cas de nouvelleguerre ? Et par l mme, comment peut-on valuer sa responsabilitdans limprparation quon a constate en 1940 ?

    Avant 1914, le colonel Ptain avait des vues peuorthodoxes sur la guerre qui se prparait, et critiquait ceux quise rfraient la guerre de 1870. Aprs 1918, il na de cesse deprendre en exemple sa propre action lors de la guerre de 14-18.

    En juillet 1947, alors quil est en prison lle dYeu, ilrpond une enqute mene par une commissionparlementaire. Il a 91 ans et a perdu une partie de sa lucidit.Mais de ses aveux mmes, aprs 1918, sur le terrain de lastratgie, il ntait dj plus que lombre de lui-mme :

    Question1 : Quelles taient v os opinions dans lentre-deux-guerres au sujet de lorganisation militaire et de la conduite v entuelledes oprations ?

    Ptain : Celle de 1 4-1 8, je lai connue puisque que jai eu lacharge de mener toutes les affaires. Jy tais prpar, je lav aisprpare depuis longtemps. Quant lautre, je ne sais absolumentrien, je ne sais plus du tout comment cela a t prpar.

    Question : Vous faisiez partie du Conseil suprieur de la guerre,v ous av ez t ministre, av ez-v ous pris position ?

    Ptain : Jai eu des difficults av ec le Conseil des ministres.Alors que Daladier a t ministre plusieurs fois, je nai pas pu faireprv aloir mes v ues.

    Question : Quelles v ues ? Ptain : Cela ma dcourag, personne ne prenait garde mes

    projets. Question : Prcisez Ptain : Je ne pouv ais pas prendre la parole [] Il ne ma pas

    t donn de faire tout ce que jav ais faire en 1 4-1 8. Je nai pas eu moccuper de la dernire guerre. [] Ces runions taient dsagrablespour moi. On ne me demandait pas mon av is.

    Question : tiez-v ous partisan des div isions blindes ? Ptain : Je nai pas eu faire usage des div isions blindes. Cela

    a t aprs mon passage et puis [] Et puis je ntais plus rien []

  • partir de la guerre de 1 4-1 8, cest fini, mon cerv eau militaire sestferm.

    Quand Ptain prend position, cest pour souligner que laleon de 14-18 conduit organiser la dfensive, mais avec unepuissance de feu suprieure. Lide est celle dune ligne dedfense continue et souterraine qui pargne les soldats. Cestla ligne Maginot . Painlev, ce dfensif qui a toujourssoutenu Ptain, en a lanc lide. Mais une ligne souterraine deBle Dunkerque risque de coter bien trop cher.

    Deux solutions sont avances. Ptain souhaite que la lignene soit pas continue, mais constitue de fortins souterrains.Lautre solution consiste la rendre continue, maisuniquement de la Suisse Longwy, cest--dire jusqu lafrontire belge.

    Pourquoi ?Cest une question que je me suis pose avec mes

    camarades de classe lge de 14 ans. Je savais comme tout lemonde que la France tait toujours envahie depuis la Belgique,que ce soit sous Louis XIV, sous la Rvolution franaise, Waterloo, pendant la guerre de 14 Les ennemis arriventtoujours par l ! Je me disais : cest quand mme curieux, onmet des fortifications face au Rhin, alors que le fleuve constituedj une barrire, mais pas sur la Belgique.

    Ltat-major craignait que la Belgique, allie de la France,juge cette ligne comme un dsaveu : la France ne se porteraitpas son secours en cas dattaque sur son territoire. Toutchange en 1936, lorsque la Belgique dclare quelle seraneutre. Les Allemands peuvent passer par un pays neutre, ilslont dj fait ! Il faut donc rallonger la ligne Maginot jusqu lamer. Ptain constate dailleurs en 1940, mais bien trop tard : On aurait pu pousser la ligne jusqu la mer.

    En 1936, ceux qui sont opposs la ligne Maginot fontvaloir que si tout largent passe dans les fortifications, il nyaura plus de budget pour aider les allis, notamment les

  • Tchcoslovaques et les Polonais. Il faut galement des canons,des chars, des avions

    Deux ans plus tard, en 1938, au moment de la confrencede Munich, quand lAllemagne menace justement doccupertoute la Tchcoslovaquie, Ptain dclare au gnralissimefranais Gamelin : Jespre que vous nenvahirez pas laBelgique. Je crains dy tre oblig , lui rpond Gamelin.Ptain a compris que la France nest pas quipe pour aller au-devant des panzers. Il craint quon ne puisse pas les arrter.

    La ligne Maginot, en fin de compte, ne servira rien etPtain, comme Weygand ou Gamelin, y a sa part deresponsabilit. De Gaulle, lui aussi, est contre la ligne Maginot,jugeant quune telle ligne nous immobilise et nous rend passifs.Il prne la constitution de divisions blindes. Il veut une forcede frappe. Ltat-major estime lui aussi quil faut plus dechars, comme en 1918. Le gnral Estienne, de Gaulle etlAnglais Liddell Hart prconisent de faire ce que les Allemandsvont accomplir : crer des divisions blindes qui peuvent toutenfoncer.

    La plupart des gnraux veulent plus de tanks, mais pourles utiliser comme en 1918 : telles des armures pour lesfantassins qui progressent derrire eux.

    Dautre part, de Gaulle fait valoir qu partir du momento une arme mcanise est prconise, il faut la fairefonctionner avec des techniciens. Ce nest pas lancien poilutout juste mobilis qui pourra tre utile dans cetteconfiguration. Il faut donc constituer une arme de mtier. DeGaulle, de ce fait, est immdiatement identifi un militairequi prpare un coup dtat. Cest notamment la position deLon Blum (par ailleurs favorable aux thses de Charles deGaulle sur la faon dutiliser les tanks).

    Larme, ce doit tre la nation arme, tel est le credorpublicain.

    Dans ces dbats, Ptain nintervient quau sujet de

  • laviation quil veut puissante. Mais il estime quelle doit tresubordonne linfanterie qui les tanks ouvrent la route.Ptain reste un fantassin. Il ne veut pas quon diminue lescrdits de linfanterie. Il aura raison plus tard de souligner quilavait demand davantage davions, mais il sagissait davionsdaccompagnement, pas de bombardement ou de rupture. Ildemeure, parmi bien dautres, un gnral dinfanterie, polarissur ses vues de 14-18, peine modernises.

    Considrer que si on lavait cout, la France aurait tmieux dfendue, est illusoire. On ne lcoutait pas il navaitrien dire.

    La comparaison peut paratre artificielle, mais il existeune certaine similitude entre la paralysie du pouvoir sur ladfinition dune stratgie en 1939 et celle daujourdhui sur leterrain conomique. Devant la dchance conomique, ni lagauche, ni la droite nont plus dargumentaire.

    Avec le sentiment, hier comme aujourdhui, quon disposede moins en moins de moyens pour affronter les nouvellespuissances militaires ou conomiques.

    Il est tentant, quand on connat la fin de lhistoire, de chercherles prmices de Vichy chez Ptain ds lentre-deux-guerres.Dimaginer quil tait dj dextrme droite, et que chez luipointaient dj les germes de la Rvolution nationale. Est-ce sisimple ?

    Ptain ne cesse de rpter quil ne fait pas de politique. Enmatire militaire, il laisse la responsabilit des choix augouvernement. Mais il nintervient pas non plus sur le terrainde la stratgie. Il obit. Sa thorie, pour autant quil en ait une,consiste respecter le lgalisme rpublicain, comme de Gaulledailleurs. En 1924, le marchal Lyautey, candidat laprsidence de la Rpublique, se concerte avec Franchet

  • dEsperey et Fayolle dans la perspective de cette lection.Lyautey pose la question Ptain de son ventuellecandidature. Ptain reste de marbre.

    Vous me dsapprouv ez, dit Ly autey . Parfaitement, rpond Ptain. Si demain, je tentais de renv oy er le gouv ernement av ec

    lapprobation de larme et que Herriot, prsident de lAssemblenationale, fasse appel v ous, que faites-v ous ? demande Ly autey .

    Japporte mon concours Herriot qui reprsente le pouv oirlgal.

    Le 6 fvrier 1934, ce sont les anciens combattants,manifestant contre la gabegie du rgime, qui font appel Ptain. Sollicit cette fois par Franchet dEsperey, Lyautey etWeygand, Ptain se rserve : il ne veut pas sengager afinde pouvoir ensuite reculer. Il aime tre sollicit, mais nemontre jamais quel intrt il y porte.

    Ptain a donc refus de participer la conjuration de ladroite et cela le rend populaire aprs le putsch rat. Onapprcie sa visite auprs des policiers blesss mais aussi desmeutiers, souvent danciens combattants. Il justifie ainsi sonentre au gouvernement Doumergue le 9 fvrier 1934 : Leprsident ma dit quon avait besoin de moi. Je ne me suis pasdrob. Mais je nai jamais fait de politique et je ne veux pas enfaire. Du Ptain en mdaillon, type !

    Aprs la chute du gouvernement Doumergue ennovembre 1934, il demande figurer dans le nouveaugouvernement comme ministre de la Dfense nationale, unposte qui combinerait la guerre et larmement sans succs.

    ses yeux, larme est la gardienne de toutes les vertus.Malgr leurs diffrends, il garde une certaine admiration pourLyautey, cause de son livre Le Rle social de lofficier. PourPtain, les officiers sont comme les prtres de la Rpublique, la diffrence des instituteurs : Nous ne demandons pas nosinstituteurs de faire de nos enfants des savants. Nous leur

  • demandons den faire des hommes et des Franais. Depuisles mutineries de 1917, cest un leitmotiv. Il juge quelenseignement lcole primaire fabrique des socialistes. Lesinstituteurs sont laques, larme non.

    Depuis son passage au gouvernement, Ptain se veut le marchal rpublicain . Il prconise cet gard de retirer ledroit de vote aux militaires pour quils ne soient ni de droite nide gauche. Des meetings politiques au sein des bataillons ? Ilne veut pas en entendre parler. Il est ce titre en oppositionavec Painlev, qui juge que les soldats sont des citoyenscomme les autres. Maginot, bien que trs droite, estgalement en faveur du vote des soldats.

    Ses opinions politiques ? Endiguer lAllemagne, cest labase. Se mfier de lAngleterre, en raison de l gosme dontelle a fait preuve en 1918. Il souscrit totalement au lieucommun qui veut que la France soit un cheval men par uncavalier : lAngleterre. LAngleterre nous conduit labme ,pense Ptain. Elle empche la France dexiger des rparationsde lAllemagne.

    En ce qui concerne lItalie, Ptain est persuad quil fautlempcher de trop se rapprocher de lAllemagne. cet gard,le comportement de Laval, prsident du conseil lors de laguerre dthiopie en 1935, qui soutient Mussolini contrelAngleterre, ne lui dplat pas.

    Ptain pense que le fonctionnement de la Rpubliquedpend trop de la dcision des partis. Lintrt national ne syretrouve pas car leurs bureaux concoctent les majorits et fontet dfont les gouvernements. Cest ce que de Gaulle appellerale rgime des partis . Ni de Gaulle ni Ptain ne sont opposs leur existence. Mais ils dnoncent le pouvoir exagr duBureau de ces partis, qui dcident la place des lus.

    Aprs le trouble des journes de 1934 (trois

  • gouvernements se succdent en quelques semaines), souvreune priode de scandales et de violente instabilitparlementaire : Tous pourris ! dit-on devant le spectacledes affaires Stavisky, Oustric, et Hanin. On a le sentiment quergne le dsordre, contrairement lItalie de Mussolini ou lAllemagne de Hitler. Lide dun homme providentiel quisauverait la France merge.

    Celui qui passe pour le plus intelligent droite est lecolonel de la Rocque, le chevalier patriote , dont Ptain feralloge. Il y a aussi Tardieu qui rclame un chef pour la France,un Boulanger qui ne reculera pas devant le pouvoir et quichangera la constitution il ne se saisira pas finalement dupouvoir en 1934 quand il en aura eu loccasion. La Rocque, quilui aussi rclame un chef, cale galement. Le troisimehomme pourrait-il tre le bon Doumergue ? Tout le mondelaime, cest un bon ppre du Sud-Ouest. En 1930, lorsdes inondations, il sest immerg dans la France qui souffre, il aconsol les gens, on navait jamais vu cela. Le contraire dunBoulanger, dun sabreur

    On pense aussi Ptain comme bon pre pour lapatrie . Et voil justement quun quotidien de droite, Le PetitJournal, organise en novembre 1934 un rfrendum auprs deses lecteurs, en posant la question : La dictature est-elle lordre du jour ? Mais qui ? 194 785 lecteurs rpondent. EtPtain arrive en tte avec 38 561 voix, suivi de Laval (31 403voix), Doumergue (23 864 voix) Herriot (13 000 voix),Tardieu (10 083 voix), La Rocque (6 400 voix), Weygand(3 700 voix) et le prfet de police Chiappe (3 600 voix). Deuxpersonnalits sont trangement absentes : Charles Maurras etLon Daudet, les chantres de lextrme droite, dont on namme pas les scores.

    Quand on regarde ce sondage avec les yeux daujourdhui,quelle bombe ! Mais il na pas eu tellement deffet lpoque.Une bombe blanc Ce qui a marqu, en revanche, cest

  • lappel de lhomme politique Gustave Herv dans son journalLa Victoire : Cest Ptain quil nous faut. Cet anciensocialiste pacifiste, antimilitariste, tait devenu chauvinpendant la guerre de 14-18. Sa notorit reposaitessentiellement sur ce retournement spectaculaire.

    Ptain ntait pas tellement satisfait dtre soutenu par untel personnage et il ne rpondra en rien cet appel. MaisHerv, qui tait un insoumis, connat son Ptain par cur.Pour le pousser, il crit : Quand la nation le demandera,Ptain marchera. Il ajoute : Le pays agonise sous ltreinteet de la franc-maonnerie et de linfecte rgimeparlementaire. Herv exprime tout haut ce que Ptain pensetout bas.

    Linitiative de Gustave Herv a ouvert la brche. Dans lejournal Le Jour, qui appartient la bonne droite classique, LonBailby affirme que ce sont des hommes comme Ptain et desgnraux qui doivent gouverner la France. Lon Daudet,lami de Maurras, dclare de son ct quil faut donner lespleins pouvoirs Ptain, lhomme au cur puissant . Mmele journal de gauche Vu estime que seul Ptain, le marchalrpublicain , est capable dabattre les ligues, cest--dire lesCroix-de-feu, les Francistes, la Solidarit franaise, etc.

    Quand on linterroge, Ptain rpond quil faut en Franceun rassemblement national, car moi je ne fais pas depolitique . Puis il se tait. Laval, qui a lil sur lui, lui propose,par journaux interposs, dtre candidat la prsidence de laRpublique. Ptain refuse car ce poste est bon pour lesgnraux vaincus il pense au marchal Hindenburg enAllemagne. Il sait quil sagit dun pouvoir fictif, il ne veut pasinaugurer les chrysanthmes. Il a vu le prsident Lebrun semettre genoux devant lui en pleurant pour quil accepte leposte de ministre dans le gouvernement Flandin. Alors

    Ptain commence raliser quil est devenu un symbole.

  • Sur le ton de la plaisanterie, il a cette phrase : Oui, je suis ladernire cartouche de la Rpublique. Et il ajoute : Je suisdispos accepter la responsabilit du pouvoir si loccasion seprsente moi.

    Or, au moment o il est au fate de sa gloire, la fatalit lefrappe : en 1936, le Front populaire gagne les lections. Cest lafoudre qui sabat sur son ambition secrte. Ptain va le gardersur le cur.

    ** *

    Il souhaite donc le pouvoir, sans y prtendre. Mais pour quoifaire ? Au milieu des annes 1930, prouve-t-il la tentation fasciste,comme tant dautres droite ?

    Non, pas du tout. Il nest pas attir par le fascisme. Jamaisen France, lexception de quelques groupuscules, nest venu lesprit dun homme politique dimiter un rgime tranger et surtout pas italien, un pays rcemment unifi qui na pasle pass de la nation franaise. De lItalie, Ptain apprcielordre et lefficacit du rgime. Il admire aussi le prodigieuxredressement que Hitler a su impulser lAllemagne.

    Mais cette admiration nest pas lie la nature du rgime.Comme Ptain lindique lors dune interview au sujet desCroix-de-feu, en avril 1936, entre les deux tours des lectionslgislatives, il souhaite instaurer un rgime dordre que seulelarme peut garantir. Larme cautionnera le gouvernement derassemblement national. Elle doit encadrer la vie politique dupays. Ptain reste un militaire pour qui le pouvoir pyramidalau sein de larme constitue le modle de la bonne directiondun pays : le chef, les sous-chefs, les sous-sous-chefs, commele montre cette interview :

  • mon av is, explique Ptain, tout ce qui est international estnfaste. Tout ce qui est national est utile et fcond. Les Croix-de-feureprsentent lun des lments les plus sains de ce pay s. Ils v eulentdfendre la famille, lui garantir des conditions indispensablesdexistence. Japprouv e cela. Tout part delle.

    La famille franaise a t exproprie, frappe de droitsexorbitants. On dirait que nos lgislateurs nont eu dautres buts quede rompre la chane de leffort et de dcourager le pre de trav aillerpour ses enfants. Je v ois que les Croix-de-feu se proccupent aussi duperfectionnement moral et spirituel de la jeunesse. On ne peut rienfaire dune nation qui manque dme.

    Monsieur le marchal, le peuple franais est all v oterdimanche dernier et il y retournera dimanche prochain. Jauraisv oulu recueillir v otre mot dordre.

    Non, rpond Ptain, car ce serait de la politique. [] Alors ditesceci. Dites que la France est moins malheureuse que lAllemagne,moins malheureuse que lItalie. La question du pain se pose chez nousmoins quailleurs. Pourtant ni lAllemagne ni lItalie ne doutent. Nous,nous doutons. Cest que la crise chez nous nest pas une crise matrielle.Nous av ons perdu foi dans nos destines, v oil tout. Nous sommescomme des marins sans pilote, sans gouv ernail. Cest contre cela quilfaut lutter. Cest cela quil faut retrouv er : une my stique.

    Si v ous av iez rsumer v otre pense, en un mot, monsieur lemarchal ?

    RASSEMBLEMENT NATIONAL.

    En 1936 donc, avec le succs du Front populaire, le solseffondre sous ses pas. Ptain accepte peu aprs ce que deGaulle lui reprochera le poste dambassadeur de France enEspagne. Tout le monde est indign quon envoie le grandhomme de la France au gouvernement criminel de Franco ! gauche, Pierre Cot et Lon Blum protestent. droite aussi.Mais Ptain est assez lucide pour comprendre quil na pasdavenir sous le Front populaire. Il part pour Madrid. On lahonor en le nommant. Cest son moteur. Il sy rend dautantplus confiant quil connat Franco depuis la guerre du Rif.

    Or, il est mal reu. La IIIe Rpublique avait tantifranquiste et stait mise du ct des rpublicains. Ptain

  • crit son amie Mme Pardee : Comment regagner laconfiance des Espagnols ? Nous payons les fautes dugouvernement. Notons au passage lapparition de cetteexpression : payer les fautes , toujours celles dungouvernement, cette fois celles du Front populaire.

    Arriv le 24 mars 1939, il nest reu que le 3 aot parFranco. Deux mois plus tard, la France entre en guerre. Leministre espagnol de lIntrieur, Serrano Suner lavertit : Cest une erreur, le pays y tant hostile. Ptain qui luidemande quelle sera lattitude de lEspagne, Suner rpond que lEspagne serait aussi sincrement non-interventionnisteque la France la t pendant la guerre civile

    Ces propos peu rassurants conduisent Ptain multiplierles bonnes manires envers les Espagnols, mais aussi lesreprsentants de lAllemagne Burgos puis Madrid,choquant au passage les diplomates franais sur place.

    En fit-il trop ? En tout cas, il obtint des rsultats, commela libration des prisonniers franais volontaires des Brigadesinternationales, parmi lesquels le communiste Charles Tillon.

    Surtout, sur ses conseils, la France renvoya lEspagnelor des rpublicains, dsormais vaincus, et que rclamaitFranco. Ce geste amliora considrablement les rapportsfranco-espagnols, plutt froids jusque-l.

    Paralllement sa mission, Ptain recevait messages etvisites lui faisant part de la campagne qui se droulait enFrance pour quil accde au pouvoir. Laval, Lmery, Vallat,Loustanau-Lacau taient aux manettes.

    Je suis trop vieux, trop fatigu. Quirais-je faire danscette galre , rpondait le Marchal. Mais il se verrait bien auConseil de la dfense national pour y contrer Gamelin etdonc Daladier, son mentor.

  • 1 . Ptain, 201 1 , p. 1 60 et sui v antes.

  • CHAPITRE 4

    LA RPUBLIQUE, ASSASSINAT OU ABDICATION ?

    En septembre 1939, la guerre est dclare contre lAllemagne.Mais la vraie preuve des combats ne commence que le 10 mai1940. Devant les graves revers franais, Ptain est appel larescousse par Paul Reynaud le 18 mai et il entre au gouvernement.Est-ce la guerre qui permet Ptain darriver ses fins ?

    Daladier, ds la fin 1939, en pleine drle de guerre , ademand Ptain dentrer au gouvernement. Ce quil a refusparce que ce gouver