Petit Manuel d’Humanité Cahier 05-Les Eaux du Fleuve

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  • 7/28/2019 Petit Manuel dHumanit Cahier 05-Les Eaux du Fleuve

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    Jacques Henri PREVOST

    Petit Manuel dHumanit

    CAHIER 5 Les Eaux du Fleuve

    MANUSCRIT ORIGINAL

    Tous droits rservs

    N 00035434

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    Les Eaux du Fleuve.

    es Eaux du Fleuve.

    La Vie, parce quelle est monte de conscience,ne pouvait continuer avancer indfiniment dans sa lignesans se transformer en profondeur.Elle devait, comme toute croissance au Monde,devenir diffrente pour rester elle-mme.(P.Teilhard de Chardin - Hymne de lUnivers).

    De royaume en royaume, lHomme a progress

    jusqu atteindre ltat de crature intelligente doue de raison,oublieuse des formes antrieures de pense.(Jalaluddin Rumi - Soufi).

    Or donc, lorsque son temps fut venu, lHomme occupa la Terre.Quatre ou cinq millions dannes, lhorloge des temps gologiques, cest extrmement rcent, mais notremesure biologique humaine cela se situe dans un pass trs lointain. Nous allons nous pencher un momentsur ce qui sest probablement produit depuis cet avnement, mais dans cette dmarche nous allons progresseravec une certaine prudence. Au fur et mesure que lhomme sintellectualise, il utilise, dans sa dmarcheraisonnable, des reprsentations mentales quil place dans un large environnement de concepts complexes etsynthtiques. Elles sont des recrations intrieures artificielles images, effectues partir de

    lexprimentation qui a t faite du Monde. Au fur et mesure que ltendue de celle-ci saccrot, les hypo-thses se prcisent et se modifient. Puisque le cerveau est une trs petite partie du Monde, la connaissancequil construit nest jamais complte ni dfinitive. Lorsque cette reconstruction est effectue avec des mat-riaux incertains, rcuprs sans examen attentif, assembls dans une imagerie simpliste, conformiste, ou

    banale, elle peut tre dommageable. Nous devons toujours nous efforcer de vrifier soigneusement la coh-rence des donnes que nous utilisons. Cest finalement par rapport cela que chacun de nous rgle son com-

    portement, prend ses dcisions, et btit sa vie.

    Il est donc tout fait utile de rpter ici que les perspectives scientifiques que nous exposons sont des tho-ries actuelles et provisoires. Rappelons-nous que Stephen W. Hawking, lun des plus grands cosmologistesactuels, dfinit rgulirement ce que sont les hypothses scientifiques, au fil des pages de ses ouvrages. Nous devons bien comprendre ce quest une thorie scientifique. Dans une telle thorie, lopinion banalevoit un modle reprsentatif de lunivers, ou celui dune partie limite de lunivers, associ un ensemble de

    rgles mettant en relation des quantits issues la fois de ce modle imag et des observations exprimenta-les. Cela est une opinion bien nave. La thorie nexiste que dans notre esprit et ne peut avoir dautre ralit,quelle quen soit la signification. Les thories physiques sont toujours provisoires. Elles ne sont que deshypothses. Personne ne pourra jamais prouver une thorie physique, parce que personne ne pourra jamaistre certain que la prochaine observation, quel qu'en soit le nombre dj effectu, ne mettra pas cette thorieen chec .

    Voyons aussi ce que nous en dit J.Krisnamurti, ce grand visionnaire spiritualiste auquel je fais rfrence detemps en temps.Psychologiquement, intrieurement, si ardent que soit notre dsir, il nest point de certitude,point de permanence, pas plus dans notre relation avec autrui que dans nos croyances ou les dieux de notre

    cerveau. Le dsir intense de certitude, dune certaine permanence, et le fait que celle-ci nexiste absolument

    pas, telle est lessence du conflit, lillusion face la ralit. Il est infiniment plus important de comprendre

    notre pouvoir de crer lillusion que de comprendre la ralit. ( Le 2/9/1961 - Gstaad. Suisse ). Observateurattentif, Krisnamurti conte aussi cette anecdote quil estime remarquable. Une fillette hindoue joue ensappuyant sur un bton. Elle arrive au bord du fleuve, regarde un instant leau, et lance son bton par-dessus

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    Petit Manuel dHumanit.

    la berge. Puis elle sadosse un arbre et contemple le courant. Ce fleuve, dit-il, cest linconnu. Le pass ettout ce que nous savons doit tre abandonn comme cette fillette lance son bton par-dessus la berge. (Le

    9/1/1962 - Delhi. Inde)

    Venons-en au sujet de ce chapitre qui raconte lhistoire des dbuts de lHomme. Il est maintenant gnrale-ment admis quil nest pas trop audacieux dimaginer que lvolution de lespce humaine prend son origine

    lpoque tertiaire. Elle semble ensuite stre poursuivie notre poque quaternaire, cest dire pendant leshuit ou neuf cent mille ans qui nous sparent du dbut de cette priode. Dans les derniers temps de lretertiaire, le climat tait chaud et humide, et il lest rest tout au dbut du quaternaire. Dans nos rgions euro-

    pennes tempres, la flore luxuriante revtait des caractres subtropicaux assez analogues ce que lonobserve de nos jours dans la Californie, lAbyssinie, le Brsil ou lAustralie. A cot des anctres des espces

    provenales feuilles coriaces, on rencontrait alors en Europe des plantes qui ont migr depuis sous lestropiques et sont devenues exotiques. La vgtation tait exubrante. Des prairies herbeuses stendaient surles flancs levs des montagnes. Les vastes plaines dAllemagne et de Pologne taient recouvertesdimmenses lacs deau douce et de marcages, et ces rgions ressemblaient fort lestuaire actuel du Missis-sippi.

    Dans lhmisphre nord, cependant, un refroidissement gnral tait amorc. Il se traduisait par une relativeet lente volution de la flore, favorisant lapparition de nombreuses espces plus proches de la vgtation

    actuelle, et entranant la rgression des varits subtropicales. Celle-ci tait constate par la rarfaction pro-gressive des palmiers dans toute lEurope. Petit petit les grandes forts reculaient et faisaient de nouveau

    place dimmenses prairies de gramines et de crales. Les savanes stendaient dans le monde entier, lesforts de conifres et les steppes rapparaissaient en Europe, en Asie, et en Amrique.

    La Mditerrane navait pas du tout laspect actuel. Elle tait reste longtemps relie au continent africain enplusieurs points. Puis une rupture se produisit qui donna naissance au dtroit de Gibraltar et ouvrit le passageaux eaux de lOcan. Un large pont de terre subsistait encore. Il runissait lItalie, la Corse, la Sardaigne, etla Sicile, la Tunisie. Une autre grande mer intrieure existait galement lest des Balkans, jusquaux bas-ses valles de la Volga et du Danube, dbordant largement les zones dans lesquelles subsistent actuellementquelques-uns de ses vestiges. Ce sont la Mer Noire, la Caspienne, la Mer dAral, et la Mer dAzov. En Afri-que, le Sahara humide et bois, verdoyait. Le Japon et la Malaisie taient relis lAsie. Seule lAustralie,

    jointe la Nouvelle Guine, formait un continent spar. En France, ctait lpoque des grandes ruptionsvolcaniques du Cantal et du Mont Dore, gigantesques volcans dont les coules de lave et de boue atteignaient

    parfois mille mtres dpaisseur, puis celles plus modres de la chane des Puys et du Velay. Elles ne pren-dront fin quau cours du quaternaire. Les Iles Britanniques taient encore relies au continent. On voit com-

    bien la distribution des terres de ce Monde, dun pass bien proche, restait relativement confuse et diffraitlocalement de ce que nous connaissons aujourdhui.

    En raison des liaisons qui faisaient communiquer lEurope et lAfrique, la faune ressemblait celle qui peu-ple actuellement les rgions tropicales. On peut citer lElphant mridional, lElphant antique, le Rhinoc-ros trusque, le grand Hippopotame, ainsi que le Mastodonte arverne. On y trouvait galement la Panthre,le Lion des cavernes, lHyne, le Chacal, lOurs et le Tapir. De nombreux herbivores peuplaient la savaneeuropenne tels que les Buffles, les Cochons et les Cerfs. En provenance dAmrique du Nord, et par uneliaison amricano-asiatique existant au niveau du dtroit de Behring, divers quids, proches des chevaux, se

    rpandirent dans toute lEurope.

    Telle tait la situation la fin de lre Tertiaire, au Pliocne. Cest cette poque et dans ce typedenvironnement quon peut placer lessentiel de lvolution des dbuts de lhumanit. On estime quelleavait alors dj dur quatre millions dannes. Lorsque commena la nouvelle re, le Quaternaire, il y a plusde six cent mille ans, au Plistocne, lHomme archaque, qui stait largement rpandu sur la plante, taitdj un homme mais ne nous ressemblait pas encore beaucoup. Le vieux mot Quaternaire sapplique la

    phase la plus courte et la plus rcente de lhistoire de la Terre. Elle est essentiellement caractrise parlapparition de lHomme et par la succession de priodes glaciaires spares par les intervalles interglaciai-res.

    On parle donc de lge de la Glace.

    Ces vnements climatiques importants ne sont pourtant pas exceptionnels, et on a pu montrer quilsstaient dj produits antrieurement, des millions dannes plus tt, au cours du Prcambrien, du Permien,

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    ou du Jurassique, pour ne citer que ces priodes gologiques. Lorigine du phnomne reste mal connue.Diffrentes hypothses explicatives ont t proposes. Elles tentent de relier les valeurs dinsolation duGlobe aux caractristiques, priodiquement variables, de son orbite autour du Soleil. Au plan scientifique, la

    principale difficult est analytique. De trs nombreuses incertitudes demeurent quant au nombre des oscilla-tions climatiques, et leur importance, qui semblent diffrer selon les rgions considres.

    On distingue gnralement quatre phases principales de glaciation, prcdes et suivies de phnomnes dersonance. Elles ont t nommes glaciations de Gnz, de Mindel, (ou de lElster), de Riss, (ou de la Saale),et de Wrm, (ou de la Vistule). Ces quatre noms sont ceux daffluents du Danube. Ils ont t appliqus aux

    priodes glaciaires suite aux travaux de Penck et Brckner. Les premires nont pas eu dinfluences majeu-res, mais les deux dernires sont plus importantes, surtout celle de Wrm. Quoique le phnomne ait tgnral, affectant les deux hmisphres, il a surtout t tudi en Europe. Les traces relatives la srie com-

    plte y ont t observes dans les Alpes bavaroises. Dans les pays nordiques on ne relve pas la premire, etdans les Alpes franaises on ne trouve que les deux dernires. Ltude des moraines et des terrasses marineset alluviales permet dvaluer les maxima atteints par les extensions des glaciers et les variations du niveaude la mer. La gigantesque calotte de glace recouvrait la Scandinavie, la Russie et la Pologne, la Mer du Nord,une partie de lAllemagne, les Iles Britanniques et la Hollande. Son paisseur tait de deux mille mtres

    pendant la glaciation de Riss. Le front sud du glacier traversait la Manche.

    En Amrique du Nord, la calotte glaciaire descendait plus bas que les Grands Lacs. La situation tait analo-gue sur tous les massifs montagneux du Monde. Dans lhmisphre nord, 25 millions de Km2 taient recou-verts de glace. Celle-ci immobilisait une norme quantit deau qui tait soustraite au cycle dvaporation etde recyclage mondial. Le volume enlev aux ocans est valu 40 millions de Km3, entranant une baissedenviron cent mtres du niveau gnral des mers. Bien videmment, au dbut des priodes interglaciaires, latemprature moyenne slevait. Lorsque les normes glaciers fondaient, beaucoup deau revenait ltatliquide et le niveau des mers remontait. Il ne revenait cependant pas aux lignes des anciens rivages car lesglaciers avaient rod trs fortement les massifs montagneux, y creusant des valles profondes et accumulantdnormes masses de dbris. La fonte rapide des glaces donnait naissance des fleuves trs puissants quitransportaient ces matires au loin, abaissant les montagnes, et remblayant les valles avec les dptsdalluvions connus sous le nom de terrasses.

    Ces phnomnes temporaires ont donc eu des consquences durables. On constate actuellement des situa-tions topographiques qui refltent la fois les fluctuations des niveaux marins et les variations dues auxsoulvements isostatiques causs par lallgement des masses continentales uses par lrosion. Ces bascu-lements dquilibrage lvent galement les terrasses. Pour les plus anciennes, il peut atteindre une centainede mtres.

    Un troisime facteur, le loess, revt une trs grande importance dans la transformation du paysage et sa pr-paration linstallation des hommes. Cest une accumulation de fines poussires calcaires friables, de cou-leur jaune clair, transportes par le vent. Son apparition est lie aux alternances dpisodes glaciaires etinterglaciaires. Le loess a recouvert les reliefs eurasiens sur dimmenses surfaces, du Nord de la France jus-qu la Sibrie et la Chine Son paisseur est surprenante, et varie de quelques dizaines quelques centainesde mtres. Cest sur les immenses plaines lss quont pu dabord stablir les toundras, les steppes et les

    pairies, et beaucoup plus tard les campements de nomades, les levages et les cultures des agriculteurs.

    Les premires glaciations nont pas provoqu de changements trs importants dans les flores et faunes euro-pennes et amricaines Dans les priodes interglaciaires, le climat chaud se rtablissait permettant le retourdes populations antrieures. Mais avec arrive de la glaciation de Wrm, la situation fut profondment modi-fie. Un climat froid et sec sinstalla durablement. Une immense steppe glace apparut. Les flores et les fau-nes anciennes reculrent jusquaux rgions tempres plus mridionales. De nombreuses espces antiques nesont jamais revenues, telles lElphant, le Rhinocros, et lHippopotame. Des animaux nouveauxsinstallrent, venant des rgions arctiques, Elan, Buf musqu, Bison, Saga, Renne, Ours. Certaines esp-ces sadaptrent, russissant survivre plus ou moins durablement, en se couvrant dpaisses fourrures, tellesle Mammouth et divers rhinocrotids.

    Une partie de la faune changea dhabitat et se rfugia dans les cavernes. On y trouve les traces dours, delions, dhynes, cot de celles des hommes primitifs, nos anctres, qui ont du sorganiser pour survivre

    dans nos rgions aux difficults de ces temps. On ignore gnralement que les lions, comme les ours, peu-vent parfaitement vivre dans toutes les zones tempres. Ils nen ont t limins que par la chasse. Enfin les

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    glaciers se retirrent et la mer revint de nouveau. Le climat gnral se rchauffa. Il ressembla progressive-ment celui que nous avons aujourdhui. La fort et la prairie rapparurent. Les faunes arctiques remontrentau Nord ou disparurent, mais lhomme demeura. Bientt, il saccrochera la terre, fabriquera des outils,cultivera le sol, slectionnera les semences, et domestiquera le btail.

    LHomme demeura.

    Depuis la fin de lre tertiaire, au Pliocne, puis au Plistocne, et jusquau retrait des derniers glaciers qua-ternaires, que nous appelons lHolocne, les tres qui ont prcd les hommes, et ceux-ci mmes, ont occup

    bien des rgions, et ils y ont laiss des traces utilisables pour raconter leur histoire, qui est aussi la notre.Elles consistent en tmoins de lindustrie humaine, outils, armes, dessins et peintures, ou en vestiges de leurexistence biologique, tels les squelettes fossiliss. Pour des commodits dtude et de raisonnement, on dis-tingue gnralement plusieurs priodes bien caractrises dans le rcit du droulement de lvolution qui aconduit de la forme antique, indniablement animale, jusqu lventail du rameau vritablement humain, dela palontologie jusquaux temps prhistoriques, puis lhistoire des hommes, reconnue, crite ou reprsen-te.

    Aprs la disparition des Dinosaures, lpoque tertiaire, il y a 50 millions dannes, au dbut de lEocne, ungroupe animal portait dj les caractristiques morphologiques gnrales dont nous avons hrit. La trace la

    plus ancienne qui nous en soit parvenue est une dent minuscule dun lmurode dcouverte au Montana dansun terrain du Crtac Suprieur. Dnomm Purgatorius Ceratops, cet animal aurait probablement t lecontemporain des derniers dinosaures. Dans les terrains de lEocne, en Europe comme en Amrique, ontrouve des formes lmuriennes nombreuses et bien diffrencies. Le groupe des lmurodes, qui est encorereprsent de nos jours par diffrentes formes telles les Ae-Ae, avait alors commenc clater en diffren-tes branches dont lune a abouti aux Primates.

    En vrit, le tronc commun dont sont issues les branches apparentes, Lmuriens, Ae-Ae, Tarsiers, Platyrr-hiniens, et Catarrhiniens (dont sont issus les grands Anthropodes, les Gibbons et les Hommes), na pas tdcouvert et reste hypothtique. Le palontologiste Elwyn Simons, daprs de trs nombreuses exhumationsde fossiles de singes faites au Fayoum, fait remonter les origines du groupe extrmement loin dans le pass.Il montre que les anctres des singes vrais, il y a 30 millions dannes, navaient dj que deux prmolairescomme les singes actuels. Leur schma dorganisation diffrait donc du modle humain. A partir de ce cons-tat, il imagine un anctre possible des anthropodes, hypothtique Parapithcus, qui devait possder troismolaires et trois prmolaires chaque demi mchoire. Ce prcurseur inconnu aurait fourni le modle surlequel sont bties lorganisation de notre corps actuel et son conomie gnrale.

    Au Miocne et au Pliocne, un groupe dAnthropomorphes tait assez rpandu et comprenait deux branches,les Dryopithques et les Pilopithques. Avec une mchoire en U et des canines importantes, lanatomie desDryopithques tait dj bien caractrise. Elle semblait montrer lengagement dune volution vers desformes proches des pongids anthropomorphes actuels, (les grands singes). Les Pliopithques semblaientengags dans une autre voie. Ils avaient une mchoire en V et des canines trs pointues, et correspondraient une espce proche des Gibbons, cependant quadrupde et vivant sur le sol. Ces candidats primitifs ne conve-naient pas. Il fallait donc chercher ailleurs un autre anctre possible lhominisation. Il devait avoir unearcade dentaire arrondie en parabole, comme lhomme actuel, avec des prmolaires prsentant des caractris-

    tiques prcises.

    Cest dabord en Afrique, de lEst et du Sud, dans des terrains dats de un quatre millions dannes, quelon a dcouvert des fossiles possdant des caractres relativement adquats, (Taung). Certains spcimens

    prsentaient cependant un fort torus supra orbiculaire, (Forte arcade sourcilire continue), une grande crtesagittale, (Importante saillie osseuse allant du front la nuque), et un gros bourrelet sur locciput. Il sagissaitdun groupe trs particulier, rest proche des singes par la morphologie crnienne, mais engags dans la voiede lhominisation par la structure du bassin qui permettait dj la bipdie. En raison de la localisation de cestrouvailles, cet tre a t baptisAustralopithque.

    On distingue plusieurs stades volutifs successifs de lespce qui a ensuite volu vers une hypermorphose eta disparu. A.Anamensis, (4 Ma), A.Afarensis, (4 3 Ma), A.Bahrelghazali, (3,5 3 Ma), A.Africanus, ( 3 2,5 Ma), A.Boisei, (2,7 1 Ma), A.Robustus (2 1 Ma). Le dimorphisme des sexes parait y avoir t beau-

    coup plus important que chez lhomme actuel. Chez A.Anamensis comme A.Afarensis, le mle tait bienplus grand et beaucoup plus robuste que la femelle. La vritable ligne humaine semble tre apparue simul-

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    tanment, il y a 2,5 Ma, en Afrique orientale. Sa forme la plus ancienne, lHomo habilis archaque, avait uncrne humain. La capacit crbrale sest progressivement accrue au fil des millnaires. Elle est passe de550 850 cm3 chezHomo Habilis, puis 900 cm3 1200 cm3 chezHomo Erectus, jusqu atteindre 1100 2000 cm3 chezHomo Sapiens, trs proche de lHomme actuel.

    Il y a un million dannes, les Habilis ou les Erectus africains ont utilis les ponts qui joignaient encore

    lAfrique lEurasie, et ils se sont disperss dans le Monde quaternaire dbutant. Ils y ont connu des volu-tions diffrentes. A partir de ce moment les hommes archaques, les Archanthropiens se sont caractriss,parfois avec des variantes comme Homo Heidelbergensis. En Europe, leurs descendants ont t appelsNandertaliens. Hommes vritables, ils taient relativement primitifs et ont disparu mystrieusement il y atrente mille ans. En Asie, depuis cent mille ans, les Habilisont donn naissance lHomme moderne, quenous avons trs modestement appel lHomo sapiens sapiens. Cet Homme, ni grand savant ni trs sage, aoccup le Monde entier. Je vais essayer de vous en raconter les origines et la longue histoire, partir dumoment de sa dispersion, avant lge de la Glace, jusqu ce quil sortit des cavernes refuges.

    Mais lHomme habitait-il rellement les cavernes ? Les ges de Glace ne sont pas une lgende, mais il fautsavoir que glaciers ntaient installs que sur une partie de la plante, sur les massifs montagneux et leursabords, dans la zone tempre. Dans les basses terres, et plus loin des ples, le climat, quoique sec, taitmoins rude, tout fait comparable celui des actuelles zones tempres voire subtropicales. Pendant le qua-

    ternaire, il y a eu des priodes trs froides et sches. Elles ont t entrecoupes de trs longues priodes in-terglaciaires, avec un climat doux et humide, pendant des dizaines de milliers dannes. Il est tout fait pos-sible, dailleurs, que nous soyons actuellement dans une de ces longues priodes relativement chaudes, sansmme le savoir. Le climat pourrait se refroidir et sasscher dans un avenir indtermin. Les glaciers pour-raient un jour revenir, et les mers, de nouveau, sen aller. Des rgressions et des transgressions marines sesont effectivement produites dans le pass, mais elles ont eu des intensits varies et leurs amplitudes ontatteint des niveaux trs diffrents.

    La mer sest parfois longuement installe dans des zones actuellement arides. Les rivages ont alors bnficidun climat maritime pluvieux, propice la croissance dune vgtation abondante, de forts et de savanes,favorisant ltablissement despces animales nombreuses et varies. Dans certaines rgions le rsultat de ladisparition des glaces a t dsastreux. Le Sahara verdoyant sest assch, la flore et la faune ont disparu.Depuis quelques milliers dannes, les moussons qui arrosaient lEst de lArabie, lancien et trs richeroyaume de la reine de Saba, se sont affaiblies. La contre est galement devenue dsertique. Le mme pro-cessus se poursuit de nos jours. On constate lasschement progressif de trs grands lacs, en Afrique et ail-leurs, ce qui va entraner un bouleversement du rgime des pluies et de lquilibre hydrologique des rgionsconcernes.

    Dans ces conditions climatiques, il est vident que le fragile anctre de lHomme na habit les cavernes deslions et des ours que partiellement, lentre, et dans de rares circonstances, quand il faisait trs froid. Ilutilisait aussi des abris sous roches et des abris artificiels ciel ouvert. Gnralement, il se tenait donc sim-

    plement dans les lieux o la vie tait possible et mme facile. Elle ltait souvent presque partout pour uneespce dont les facults dadaptation sont telles quon la trouve actuellement dans le Monde entier sauf aux

    ples. On peut donc rechercher les traces de son passage, les fossiles, un peu partout dans les zones o lontrouvait le gibier et les fruits dont ce chasseur-cueilleur tirait sa nourriture.

    La dcouverte des fossiles est un vnement rcent.

    Pendant trs longtemps, sur la foi des Ecritures, on a cru que la cration soudaine de la Terre et de ses habi-tants remontait environ six mille ans. Mais des hommes curieux se sont penchs sur la terre quils travail-laient. Ils ont compris peu peu que les couches de terrain superposes quils dcouvraient racontaientlhistoire de la plante, enregistre niveau par niveau. A la lumire de cette comprhension, soudain, la Terrea normment vieilli. Aprs cette premire rvolution de pense, il est devenu possible dimaginer quelHomme pouvait tre bien plus ancien quil ne limaginait, et que sa propre histoire sinscrivait danslhistoire partage par tous les habitants de la Terre.

    Cependant, lhomme ordinaire se croyait alors crature singulire et incomparable, spcialement faonnepar Dieu, son image. La seconde rvolution de pense fut trs difficile. La dcouverte des origines anima-

    les et banales de son corps a t pour lHomme un drame vritable, long et dchirant, accompagn dun v-hment refus conceptuel. Des polmiques passionnes ont oppos les diffrents partisans. Encore au-

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    jourdhui, certains humains nacceptent pas lide de la communaut des racines biologiques. Pourtant, de-puis cent cinquante ans, et aprs les travaux de Darwin et Wallace puis ceux de Boucher de Perthes, les idesnouvelles ont t progressivement acceptes. Alors, et discrtement, la chasse aux fossiles a commenc.Ceux quon trouva Java et en Chine, furent appelsPithcanthropes. Mais on avait finalement dcouverttrs peu de fossiles et les moyens de datation taient fort incertains. Ce nest que vers 1950 que des tres plusrcents furent rintgrs dans le schma gnral de l volution de lespce humaine. On y accepta dabord

    les Nandertaliens puis, plus tardivement, les Australopithques.

    Darwin ayant affirm, (audacieusement), dans lorigine des espces, que lHomme avait accompli son vo-lution sous un climat chaud, cest dans les terres africaines australes que les recherches des fossiles ances-traux furent dabord menes et que les premires dcouvertes furent faites des fossiles dont nous avons ditquils avaient t dnomms Australopithques. Certains sites paraissaient particulirement prdestins, enraison de la nature et de la disposition des terrains quaternaires quon y trouve. La plupart dentre eux sontsitus au long du Riff africain, qui est une immense zone deffondrement tectonique. Elle est longue de plusde trois mille kilomtres, et stend du Golfe dAden et de lEthiopie jusquau Zambze. Il sagit en faitdune cassure progressive du continent. Il se spare en deux parties. La plus grande continue driver verslOuest, vers lAtlantique, et lautre, la plus petite amorce une drive vers lOcan Indien. Chaque anne etchaque jour, cette faille gante souvre davantage, prparant la rupture dfinitive de lAfrique. Elle ouvrira lechemin lirruption de la mer et isolera le nouveau continent.

    Le long des falaises deffondrement du Riff, les sdiments quaternaires, accumuls sur une grande paisseur,sont rompus verticalement. Ils sont accessibles aux chercheurs tous les niveaux denfouissement. La data-tion des trouvailles est facilite par la superposition des diffrentes couches. Depuis le dbut du sicle, on adcouvert dans toutes ces rgions des gisements fossilifres extraordinaires, parmi lesquelles il faut compterla trs clbre gorge dOlduva, explore par les Leakey. Il sagit en fait dun trs large ravin, long denviron50 km, situ en Tanzanie. Il y a 1 ou 2 millions dannes, un lac sal occupait cet emplacement, bord deforts et de savanes. Plus tard, des torrents alimentrent de nombreux tangs dans la rgion. Sur les bords duravin, les couches de sdiments de plus de cent mtres dpaisseur sont accessibles. Cela permet de remonteraux dbuts du quaternaire. On y a dabord trouv de nombreux galets dont des clats avaient manifestementt dtachs volontairement, (pebble culture), laissant imaginer que ctait luvre dtres dous dune cer-taine forme de pense.

    Puis en 1959, Mary et Louis Leakey crurent y dcouvrir les restes de la face dun hominid, quils appelrentZinjanthrope, au voisinage immdiat de ce qui semblait tre les restes de son outillage. La datation isotopi-que, (Potassium 40 & Argon 40), de la couche volcanique immdiatement sous-jacente semblait permettredattribuer ces fossiles lge considrable dun million sept cent mille ans. Brusquement, lorigine deshommes reculait normment. La dure probable de leur aventure doublait, allongeant dautant la dure delpoque quaternaire. Laffaire fit grand bruit, mais ctait une erreur. On dcouvrit plus tard que le Zinjan-thrope ntait pas trs volu et que la transformation des galets tait luvre plus tardive dun Australopi-thque diffrent, plus humain que lui.

    On voit ici combien les thories scientifiques sont fragiles et sujettes de frquentes rvisions.

    Elles sont nanmoins utiles stimulent la recherche, prparent les esprits aux hypothses nova-

    trices, et ouvrent la voie de nouvelles dcouvertes.

    Les Leakey taient trs tenaces et restaient convaincus. En 1964, appuys par lautorit dun groupe de sp-cialistes, ils signalrent la dcouverte dun tre plus volu que les Australopithques. Il avait cependant ttrouv dans une couche gologique encore plus profonde que celle du Zinjanthrope. Le nouvel hominid,

    plus ancien et plus capable , fut baptis Homo Habilis. Ces dcouvertes relancrent la question. On orga-nisa des expditions internationales auxquelles participrent des chercheurs franais comme le Pr. Aram-

    bourg, (dj trs g), et Yves Coppens, (encore trs jeune). On avait dcouvert dautres sites encore plusfavorables comme le lac Turcana, la rgion de lAfar, le site dHadar, et la fameuse valle de lOmo, situeen Ethiopie. Les zones favorables y abondent. Lpaisseur des sdiments atteint l-bas jusque six cents m-tres ce qui permet de remonter quatre millions dannes. Les terrains fossilifres y sont disposs en couchesinclines qui sont spares les unes des autres par des poussires volcaniques qui permettent de dater chrono-logiquement le gisement avec une assez grande prcision.

    Les fossiles se multiplirent, proposant des origines de plus en plus lointaines, remontant aux environs detrois ou quatre millions dannes. (Ex. Lucy - Site dHadar - Ethiopie - M.Taeb). Finalement, les Australopi-

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    Les Eaux du Fleuve.

    thques semblent avoir vcu trs longtemps en Afrique o lon souponne leur prsence il y a cinq ou sixmillions dannes. Ils y ont accompli une grande partie de leur volution pendant laquelle leur capacit cr-

    brale est lentement passe de 400 800 cm3. Au cours du temps, ils ont prsent des aspects relativementvaris. A cause des diffrences daspect constates chez les Australopithques, on a longtemps souponnlexistence synchrone de plusieurs lignes spcifiques. On saccorde maintenant pour attribuer ces variations un fort dimorphisme sexuel. La diffrence de taille entre les mles et les femelles atteignait parfois 60%.

    Les tribus dAustralopithques taient probablement organises autour dun mle dominateur

    trs robuste, entour dun groupe de femelles graciles, beaucoup plus petites. La diffrence de

    taille sest rduite au fil des ges, mais elle semble tre reste dans les ttes de nombreux m-

    les humains actuels comme leur est rest la tentation permanente du harem.

    Les hommes archaques, ont volu de faon divergente.

    Il y a un million dannes, les Archanthropiens,habilis ou erectus, africains se sont disperss dans le Mondequaternaire dbutant. Leurs descendants europens, les Nandertaliens, taient dj des hommes vritables,mais restaient encore relativement primitifs. Ils ont disparu il y a trente mille ans, probablement domins parla branche hominienne asiatique au moment de son expansion. Venant dAsie, cette nouvelle espce diffraitlgrement des Nandertaliens. Elle tait cependant plus intelligente, et morphologiquement elle devait tre

    assez identique lHomme moderne, Homo sapiens sapiens. Sa forme primitive est souvent appele cheznous lHomme de Cro-Magnon .

    Au dbut du quaternaire, tous les hominids marchaient sur leurs membres postrieurs et utilisaient des outilsde pierre trs rudimentaires. Pour cette raison, la priode pendant laquelle ils sont apparus et ont volu estappelepalolithique, cest--dire priode de la pierre ancienne. Les Australopithques se sont ensuite enga-gs dans la voie sans issue qui les a lentement mens lextinction. Il semble que les Archanthropes, quivcurent parfois en mme temps que les Australopithques, constituaient une autre espce qui a suivi uneautre volution. Elle a form deux sous-espces distinctes. Celles-ci pouvaient peut-tre shybrider. Ellesnous auraient alors transmis des combinaisons de gnes qui transparatraient parfois dans certaines morpho-logies surprenantes.

    Dans la branche europenne disparue, lesNandertaliens nous sont bien connus. Le premier fossile, isol ettrs partiel, fut dcouvert en 1856, avant la publication du livre de Darwin, dans une carrire de la valle de

    Nanderthal, prs de Dsseldorf. On ne savait pas trop comment le dater ni lintgrer dans la ligne humaine.Un autre spcimen, (une mandibule), accompagn dossements animaux, fut ensuite dcouvert en Belgique,en 1865. Puis trois squelettes, accompagns dossements et doutils de pierre, furent trouvs Spy, dans la

    province de Namur, qui permirent de caractriser ce groupe humanode particulier. Les dcouvertes se suc-cdrent jusqu ce quon trouve, en 1908, La Chapelle-aux-Saints, en Dordogne, la spulture dun vieil-lard. Elle se trouvait dans une fosse, au fond dune caverne qui contenait des vestiges dun repas funraire etdoutils de pierre. Partant de la disposition soigne du corps et de la composition des objets voisins, les ar-chologues conclurent quil sagissait bien l dune mise en terre ritualise. Dautres spultures furent en-suite trouves, dans dautres grottes de la mme rgion, prs du Moustier, puis dans un abri sous roche, laFerrassie. Dans tous les cas, les corps avaient t enterrs de faon les protger des prdateurs. Ailleurs, lesmorts avaient t dposs sur des lits de fleurs sauvages, ou recouverts doffrandes, ce qui laisse imaginer

    dmouvantes crmonies de funrailles.

    Lapparition du langage aurait prcd, peut-tre dassez loin, lmergence du systme nerveux central

    propre lespce humaine, et contribu en fait, de faon dcisive, la slection des variants les plus aptes

    en utiliser toutes les ressources. En dautres termes, cest le langage qui aurait cr lhomme plutt que

    lhomme le langage. Jacques Monod.

    On a maintenant de trs nombreux fossiles dhommes, de femmes, et denfants, qui permettent de bien dfi-nir le type humainHomme de Neandertal. Il tait intelligent et avait une capacit crnienne leve, de 1200 1600 cm3, assez analogue la notre. La face portait de trs gros bourrelets sus-orbitaires, et des largesmchoires avec de grosses dents, sans menton. La vote crnienne tait basse avec un front un peu fuyant.Ces tres taient petits, mesurant 1,50 m environ. Leur masse corporelle dpassait celle de lhomme actuel.La rpartition des diverses parties de leurs corps tait assez analogue celle des Esquimaux daujourdhui.

    Les mles, en particulier, taient trs forts, extrmement robustes. Ils taillaient leurs outils de pierre avec une

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    technique particulire, trs reconnaissable, qui demandait beaucoup de mthode et dhabilet. Leur industriecaractristique a reu le nom de Style Moustrien, en relation avec le lieu des premires dcouvertes.

    En Europe, les Nandertaliens habitaient frquemment dans les entres de cavernes, mais ils utilisaient aussides abris sous roche et des sites de plein air. Ils ont occup lEurope occidentale au moins partir du dbutde la Glaciation de Wrm, la plus froide et la plus hostile, et probablement pendant la priode interglaciaire

    prcdente. Cela fait remonter leur arrive au-del de 70 000 ans. Ils faisaient facilement du feu. Ils cueil-laient des graines et des baies, et chassaient le Rhinocros laineux et le Renne. De trs nombreux outils deraclage permettent de penser quils en utilisaient les peaux, probablement pour se vtir et se protger duclimat rigoureux. Ils amnageaient les grottes et les abris et fermaient leurs entres avec des roches, des

    branches et des peaux danimaux. Dautres Nandertaliens vivaient sous dautres cieux et dautres poques.On en a trouv des fossiles et des traces en Afrique, au nord du Sahara, au Liban, en Isral, en Irak, enEthiopie. Les objets fabriqus et les techniques labores de fabrication taient galement typiquementmoustriennes, ce qui en dmontre la relative unit culturelle.

    Avant larrive des Nandertaliens, pendant la Glaciation de Mindel, durant lpisode interglaciaire qui sui-vit, lEurope occidentale tait occupe par des hommes plus primitifs, des chasseurs qui venaient probable-ment dAfrique, et qui fabriquaient de beaux bifaces de silex et des grattoirs, dits acheulens . On en atrouv des traces sur les rives de la Somme, de la Seine, et mme de la Tamise, mais on sait bien peu de

    choses. Ces tres ont d coexister un certain temps avec les Nandertaliens, puis ils ont nigmatiquementdisparu. Ensuite, il y a 35 000 ans, lHomme de Neandertal disparut mystrieusement, son tour. On pensesouvent que les hommes du Palolithique suprieur exterminrent les Nandertaliens, mais cela nest pastabli.

    Certains archologues sont persuads que les Nandertaliens taient anthropophages, (comme les Habilis etles Erectus, et les peuplades primitives, dcouvertes au 18me sicle). Frquemment, les ossements humainstrouvs sont grossirement amasss et mlangs des dchets culinaires. Ils portent ce que les spcialistesappellent parfois des marques bouchres. Les os longs sont souvent calcins et briss pour en extraire lamoelle, et ils ont t racls. Les crnes sont casss et ouverts pour en extraire le cerveau, et ils ont galementt gratts avec soin. On a mme trouv un clat de silex lintrieur de celui dAragoXXI, lHomme deTautavel.

    Vers 1860, on dcouvrit en Dordogne, dans une grotte des Eysies, une spulture contenant un groupedossements bien conservs. Il comportait le crne dun homme g denviron 50 ans, le squelette dunefemme enceinte, et ceux de deux autres hommes. Deux corps portaient la marque de blessures partiellementcicatrises. Dautres spultures furent ensuite dcouvertes ailleurs. Les corps taient souvent placs en posi-tion ftale et accompagns de bijoux, comme dans la Grotte des Enfants en Italie. On y trouva les restesembrasss dune femme et dun enfant. La femme portait un bracelet au poignet et la tte de lenfant portaitquatre rangs de perles, probablement cousues autour dun bonnet.

    Les hommes de Cro-Magnon sont nos anctres.

    Nous les appelons Homo Sapiens, ou Hommes de Cro-Magnon. Ils ressemblaient beaucoup lhommemoderne. Ils taient peut-tre un peu plus massifs, avec des mains et des pieds trs larges. Leur taille appro-

    chait 1,80 m. Ils diffraient donc des Nandertaliens par laspect physique. Il avait galement une autreculture, des techniques plus efficaces, presque industrialises, des armes perfectionnes, et un outillage diff-rent, plus spcialis.

    Il y a trente-cinq mille ans, la culture moustrienne disparut simultanment, peu prs partout, en Europe etailleurs, sans que lon puisse tablir que lapparition des Cro-Magnon ait t synchrone. Lapparition destechniques ultrieures, plus modernes, dont nous parlons, na pas suivi la mme chronologie. Elles sontgnralement rattaches linstallation des nouveaux venus, mais il semble que les anciennes techniquesmoustriennes de production dclats aient perdur dans les dserts et les rgions cartes, au moins sous uneforme mle aux nouvelles. La branche des Nandertaliens steignit donc progressivement ce moment,mais lHomme moderne napparut pas toujours aussitt. Parfois les deux cultures et les deux technologiessemblent avoir t prsentes aux mmes endroits et aux mmes poques, mais on constate aussi de trs longsintervalles dans la succession des deux peuplements.

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    Afin de clarifier ltude et de schmatiser rapidement la succession des tapes de laventure humaine en cestemps dusage des pierres, tailles ou polies, on distingue habituellement plusieurs grandes priodes daprsleur profondeur stratigraphique. Le palolithique infrieur, comprenant le Chellen ou Abbevillen, lAcheulen, et le Clactonien. Cest

    une poque trs primitive, utilisant des rognons de silex casss dits bifaces. Elle est associe aux Homohabilis et erectus.

    Le palolithique moyen, avec le Lavoisien et le Moustrien. Cette poque porte la marque des techni-ques nandertaliennes. On y utilise des outils vritables, en pierres soigneusement tailles et dbites enlames.

    Le palolithique suprieur, caractris par lapparition des parures, et des objets en os. Mais ce quimarque le plus cette poque est lclosion dun sens artistique remarquable, dont les ralisations noustonnent encore aujourdhui. Elle marque larrive des hommes de Cro-Magnon.

    Le msolithique, qui est une poque de transition. On voit apparatre des outils plus nombreux et plusspcialiss, des dbuts de polissage et des productions artistiques grossires.

    Le nolithique, pendant lequel apparat la pierre soigneusement polie, la poterie cuite au feu, et diversprogrs qui se poursuivirent au moins jusqu la dcouverte des mtaux.

    Nous abandonnerons ici lexamen des stades primitifs qui correspondent aux premiers stades de lvolutionpsychique et physique de lhumanit. Nous allons nous pencher sur les trois dernires poques, les plus pro-ches de nous et les plus riches en tmoignages, et nous abordons donc maintenant lhistoire de lHomme deCro-Magnon, qui est le vrai dbut de notre propre histoire. Celle-ci ne sest pas faite en un jour. Des valua-tions bases sur des critres gologiques placent lengagement progressif de la dernire phase glaciaire vers120 000 ans avant nos jours. Le dbut du palolithique suprieur daterait alors de 50 70 000 ans. On distin-gue plusieurs grandes priodes en son sein. Pour les commodits dtailles dtude, divers stades technologi-ques ont t finement caractriss. Ils ne sont cependant pas prsents partout.

    Citons nanmoins pour mmoire.

    LAurignacien, infrieur, moyen, et suprieur. Le Solutren, infrieur, moyen, et suprieur. Le Magdalnien, dernire culture des priodes glaciaires.

    Nous pourrions passer plus de temps dans lexamen attentif des diverses technologies qui ont marqu cesdiffrents stades. Cest l un travail qui peut surtout passionner les spcialistes. Il semble cependant plusintressant de parler des aspects beaucoup plus particuliers que sont les rites funraires, peut-tre initiatiquesou religieux, la fabrication de parures et de bijoux et, surtout, les trs remarquables productions artistiques,sculptures, gravures, modelages, art parital, (dessins et peintures).

    Avant de parler de ces expressions culturelles prhistoriques, il faut poser quelques bases. Au dbut du pa-lolithique, un climat relativement doux rgnait sur lEurope et lAmrique du Nord. Il devint progressive-ment, et par -coups, beaucoup plus svre. Les populations qui vivaient lair libre durent se rfugier dansdes cavernes, en expulser les dangereux occupants, et se couvrir, donc fabriquer des vtements. La chasse et

    la pche devinrent plus alatoires. Les conditions plus difficiles dexistence ncessitrent linvention darmeset doutils plus performants. Les premiers progrs dans loutillage sont constats ds le Moustrien, avec ledbut de lutilisation dobjets fabriqus en os plutt quen pierre. Ils correspondant larrive du froid.

    Cest au Magdalnien que les perfectionnements de la technologie de los acquirent tous leurs dveloppe-ments. (Pointes darmes diverses, harpons, poinons, aiguilles avec chas, spatules, hameons, propulseurs).On faisait aussi en os de prcieux btons couds, orns, et percs dun trou. Ils semblent avoir t des outils

    produire le feu par friction, (Ce sont probablement des manivelles servant mettre en rotation rapide unebaguette flexible sur un socle en bois dur). Dautres matriaux, bois de renne et ivoire, furent galementutiliss, tant pour la fabrication doutils dlicats que pour la production de parures et dobjets dart mobiliers.On voit aussi apparatre la technique du modelage en argile et une importante utilisation de locre rouge.

    La localisation de la culture du palolithique suprieur est extrmement large. On rpertorie environ centvingt sites dans la seule Europe mridionale, mais il y en a bien dautres ailleurs, par exemple en Afrique duNord, Afrique australe, Asie. Dans lEurope de lEst, pays de steppe, o les cavernes calcaires manquent, les

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    hommes durent survivre en plein air. Ils chassaient le mammouth et ils utilisrent ses os et ses dfenses pourtablir les charpentes de leurs huttes couvertes de peaux.

    Les hommes du Palolithique enterraient leurs morts.

    Un aspect caractristique de cette culture est la pratique dun rituel funraire. Dans la Grotte des Enfants,

    cite plus haut, on trouva dautres spultures denfants dont les corps portaient des souvenirs de vtementsgarnis de nombreuses coquilles perces.

    Laurore apparaissait !

    Laurore apparaissait ; quelle aurore ! Un abme

    Dblouissement , vaste, insondable, sublime ;

    Une ardente lueur de paix et de bont !

    (Victor Hugo - dEve Jsus).

    En ce qui concerne la paix et la bont, laurore nest pas encore arrive, mme de nos jours. Nanmoins, auPalolithique suprieur, lart joua indniablement un rle trs important dans ses expressions graphiquestelles le modelage, la gravure, le dessin et la peinture. Ce sont les seules formes qui sont parvenues jusqu

    nous. Nous avons cependant des indices permettant de penser que dautres formes dexpression taient prati-ques, telles la musique et la danse. Des peintures rupestres, plus tardives, dans le Tassili, montrent des dan-seurs en action. Vingt millnaires sparent ces reprsentations africaines des activits artistiques dont lestmoins ont t retrouvs en Europe, surtout en France et en Espagne, seuls pays dans lesquels existent descavernes calcaires propices la conservation des uvres.

    La premire difficult surgit lorsque les archologues tentent de dater lart magdalnien, et particulirementles peintures rupestres. Cela ne peut tre fait quen les mettant en relation avec les fossiles et les objets d-couverts dans les niveaux archologiques fouills par les chercheurs. Les uns ou les autres manquent la plu-

    part du temps. On saccorde actuellement pour situer son apparition il y a trente mille ans, en lui donnant unedure probable denviron vingt mille ans, jusqu la fin de la dernire glaciation. Cest une priode la foistrs ancienne et trs longue, pendant laquelle beaucoup dvnements se sont produits.En raison du considrable talement dans le temps, associ la trs large dispersion dans lespace, on pou-vait sattendre une grande variabilit dans les ralisations. Ce nest pas vraiment le cas. Les artistes, lesstyles, et les faons ont normment chang au fil des sicles et selon les lieux, mais les uvres retrouvesmontrent lutilisation ritre dun systme figuratif relativement constant, sans variation importante desmthodes et des thmes au travers de lcoulement des millnaires.

    Leur tradition artistique soudaine a dur vingt mille ans.

    Il semble que lon soit en prsence dune tradition artistique qui produisit un seul dveloppement homogneet unilinaire pendant des dizaines de milliers dannes. Cest dans cette extraordinaire constance et en cettedurabilit exceptionnelle que rsident les plus grandes difficults dinterprtation. Une nouvelle difficult estrencontre lorsque lon considre limmdiate perfection des ralisations. On est bien en face dune appari-tion soudaine et non dun perfectionnement progressif. Il ne semble pas y avoir eu dapprentissage graduel

    entre les niveaux profonds et ceux plus rcents. Malgr les diffrences de qualit constates, normales carelles sont le fait dartistes diffremment dous, les techniques sont demble acheves et conventionnelles.On a envisag que leur mise au point a t progressive, et qu son dbut, elle a t momentanment ralisesur des supports prissables, bois ou peau, avant dadopter des supports permanents. Cest possible, mais noncertain.

    La dcouverte de lart des cavernes entrana les mmes grandes incomprhensions que celle des fossiles. Lespremiers dcouvreurs rencontrrent une trs vive opposition. Le marquis de Sautuola, avec la grottedAltamira, au Nord de lEspagne, fut mme accus davoir employ un peintre madrilne pour excuter desfaux sur les murs de la caverne. On ne lui rendit justice quaprs sa mort. Les incrdules ne furent enfinconvaincus que lorsque lon montra que certaines peintures taient partiellement recouvertes de dpts ar-chologiques ou calcaires, anciens mais datables et plus rcents quelles.Les objets de lart magdalnien europen sont partags en deux catgories. Lune concerne les petits objets

    portatifs dcors, armes, outils, figurines, galets peints. Lautre comporte les objets non transportables, tels

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    les gravures et peintures, (et accessoirement quelques sculptures et modelages), trouvs sur les murs descavernes, des abris sous roche, (trs rarement sur des dalles extrieures).

    Les objets de la premire catgorie, les portables, ou mobilier, comportent surtout des menus objets en os, enivoire, ou en bois de renne, gravs, et des galets peints. Ils sont assez nombreux et posent dj des probl-mes. Citons la tte de biche grave sur os, trouve Altamira, dans un dpt solutren relativement ancien.

    Une autre tte, tout fait identique fut trouve dans la grotte dEl Castillo, grave sur la paroi. Les deuxgravures durent tre excutes la mme poque par le mme artiste. Cela est une dcouverte rellement trsrare. Dautres objets sont des figurines dos ou divoire reprsentant des animaux et parfois des humains.Dans ce cas la plupart des reprsentations concernent des femmes nues. Certaines statuettes sont trs jolies,de formes douces, fort finement sculptes, tandis que dautres, telles la Vnus de Lespugue ou celle de Wil-lendorf, exagrent dmesurment les caractres sexuels secondaires. Une figurine en os, trouve en Sibrie,reprsente un homme vtu dune sorte danorak fait de peaux. Une autre gravure trs exceptionnelle, ralisesur un os plat, reprsente un bison dmembr dont ne subsiste que la tte avec la colonne vertbrale diss-que. Deux pattes sont poses devant la bte. Plusieurs hommes, de part et dautre, semblent participer un

    partage traditionnel ou un banquet.

    Dans la seconde catgorie, les objets fixes consistent essentiellement en reprsentations danimaux trs nom-breuses, trs ralistes et trs dtailles. On trouve assez peu de figurations humaines, peintes ou graves, tout

    au moins sous forme explicite, ce qui nexclut pas une vocation symbolique. Cela est certainement le rsul-tat dune volont dlibre des artistes. Il y en a cependant un certain nombre, comme la Vnus de Laus-sel , qui reprsente une femme nue, (exagrment dote et portant une corne de bison dans la main), pro-fondment grave en relief dans du calcaire, ou comme le trs clbre Sorcier de la grotte des Trois Frres, en Dordogne, qui semble plutt tre une crature composite. Il y a aussi des mains humaines, positives etngatives, assez nombreuses.

    Les trois technologies de base employes pour raliser ces reprsentations sont la peinture, la gravure, et lebas-relief, utilises seules ou en combinaison. La peinture a t trs abondamment utilise. Il faut reconnatrequelle tait, sur le plan technique, la mthode la plus facile. Souvenons-nous que les outils utilisables pourgraver et sculpter la pierre calcaire ou les os, taient dautres pierres, des silex clats, et non pas des ciseauxet des burins sur lesquels on pouvait frapper avec un marteau. La ralisation dun grand bas-relief aux volu-mes profonds, qui peut nous sembler aujourdhui maladroitement excut, a d ncessiter des efforts consi-drables. Il reprsentait probablement un sommet de lart des cavernes.

    Comparativement, lapplication de peinture tait bien plus facile. Le dcalque de mains, ngatives par latechnique du pochoir, ou positives par celle de limpression, ltait encore bien plus. Pour sclairer, les

    peintres utilisaient de petites lampes de pierre, huile ou graisse, dont on a retrouv quelques exemplaires,et des torches rsineuses. Les pigments utiliss taient naturels, blanc de calcite, ocre jaune, rouge, brun, detoutes nuances, oxydes colors, noir et violet de manganse. Si des teintes organiques ont t utilises pourdautres couleurs, elles nont pas subsist et ne sont pas parvenues. Les peintures sont souvent polychromes,

    parfois rehausses dun contour grav. Les dessins sont trs souvent superposs sur certains panneaux, alorsque dautres panneaux voisins restent libres et compltement vierges. Diffrentes faons ont t releves.Elles vont du simple trac digital des contours jusqu la peinture dcorative extrmement dtaille reprodui-sant les couleurs des pelages et les particularits remarquables des diffrentes espces.

    Les animaux reprsents appartiennent gnralement la faune du Plistocne suprieur. Ce sont de grandsherbivores, bisons, chevaux, bufs sauvages et parfois bufs musqus, bouquetins, rennes, cerfs et cerfsgants fossiles, rhinocros laineux, mammouths et parfois lphants antiques. On y trouve aussi quelquescarnivores, ours et lions des cavernes, des poissons et quelques oiseaux. Chose importante, on relve gale-ment des signes nigmatiques nombreux, rptitifs et standardiss, tectiformes, penniformes, ou autres, quisont peut-tre des symboles annonant linvention de lcriture.

    Il y a beaucoup de chevaux et de bisons.

    Ce sont les animaux les plus frquents dans ces peintures. La reprsentation des chevaux est gnralementtrs fidle et trs soigne, au point que lon peut parfaitement identifier les espces. Les images sont souventcolores. On trouve des chevaux entirement noirs, dautres bruns ou bicolores, ou mme magnifiquement

    pommels avec une abondante crinire. Plus de vingt-deux modles diffrents de chevaux ont t relevsdans louvrage de P.Ucko et A.Rosenfeld. Les bisons ont un profil caractristique, avec une nuque bossue,

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    assez marque par rapport un arrire-train effac. Ils sont galement reprsents avec beaucoup de dtailset une perspective assez conventionnelle. Ils sont souvent associs des aurochs ou des bufs sauvages.Dans certaines reprsentations, les dtails des colorations, tte noire et corps brun trs fonc pour les mles,

    brun clair avec une bande ple sur le dos pour les femelles, ainsi que la forme particulire des cornes, ontpermis de se faire une ide assez prcise de laspect quavaient dans le pass ces espces disparues. Lesbufs musqus sont bien plus rares.

    Les cervids, en plus faible nombre, comptent galement plusieurs espces. Le cerf commun est le plus fr-quemment reprsent, parfois avec des bois manifestement excessifs. On trouve aussi des rennes, un cerviddisparu, le Mgaloceros ou cerf gant, qui avait de trs grands bois palms, (comme les petits bois desdaims), et dautres familles, bouquetins, chamois, quelques carnivores, et quelques oiseaux et poissons.Quelques reprsentations concernent des animaux inconnus, ou des tres imaginaires ou mythiques, craturescomposites, rassemblant les traits caractristiques de plusieurs espces. Il y a aussi des reprsentations hu-maines en nombre relativement faible, (Cependant moins quon ne la dit ), et beaucoup de mains de taillesdiverses, parfois des pieds, en impressions ngatives, cernes de couleur, ou positives, souvent de couleurrouge ou brune, rarement noire, blanche ou jaune. Un ou plusieurs doigts manquent parfois, ou sont pluscourts.

    Il est souvent difficile de dterminer si une figure animalire donne fait partie ou non dun groupe ou dun

    panneau densemble, car aucune ligne de base nest pose et aucun arrire-plan vgtal ou paysager nestjamais reprsent. Les reprsentations groupes sont souvent orientes diffremment, debout, penches, etmme renverses. Elles sont frquemment superposes, et on ne trouve aucune vritable convention coh-rente dchelle. Cest pour cela quon a pu dire que la caractristique majeure de cet art rsidait danslabsence de scnes, et quil tait donc inutile dy chercher le rcit dun pisode vcu. Cest ce que cher-chaient les premiers interprtes qui imaginaient par exemple des compositions prsentant des pisodes dechasse ou de combats. Plus tard, ces interprtations ont t critiques, et on en est venu considrer que les

    panneaux eux-mmes taient lobjet cherch. Ils navaient rien raconter car ils constituaient en fait lesscnes dont on regrettait labsence.

    On a voulu expliquer rationnellement ces images.

    La premire thorie labore fut celle dite de lart pour lart. Lart palolithique naurait eu quun rle pu-rement dcoratif, Il tait destin rendre le cadre de vie plus agrable, et il ntait en aucune faon li unerecherche mtaphysique ou une activit religieuse. Cette thorie simpliste ignorait parfaitement les difficultsdaccs des uvres ralises et les constants rapports tablis par les socits primitives entre lhomme et lesespces vivantes, (ou les phnomnes naturels). Ces rapports dbouchent sur des systmes de croyances etdes pratiques de comportements qui constituent lossature structurante des religions entretenues par ces so-cits. On pourrait citer la croyance en la sparation du corps et de lme, (constate par les rves), le cultedes anctres et surtout le totmisme et le systme de clans.

    Il ne tuera pas cet animal, il est son frre et il sait son nom.

    La seconde thorie, labore par Reinach, fut celle de la magie sympathique. Elle tait appuye par des ar-guments tendant tablir lexistence de liens entre lart palolithique et des pratiques magiques, en particu-

    lier celles relies la chasse et la fcondit. La plupart des reprsentations concernent des animaux comes-tibles. Les localisations sont difficiles daccs. Les pratiques de magie sympathique sont largementrpandues chez les peuplades primitives actuelles. On voit que les convictions de Reinach se rfrent des

    parallles ethnographiques tablis entre les socits primitives rcemment dcouvertes, par exemple cellesdes aborignes australiens, et les socits palolithiques. Tout en admettant secondairement un aspect tot-mique accessoire, il transposait fondamentalement les pratiques des premiers aux seconds en posantlhypothse de la permanence des comportements volutifs, demeurant identiques travers le temps etlespace.

    Labb Breuil est une autre personnalit dont les opinions ont grandement influenc ltude de lart paloli-thique. Cependant ses travaux ont port bien plus sur linventaire et la datation des uvres que sur la recher-che de leur interprtation. Il adopta assez facilement les thses de Reinach tout en reconnaissant que la signi-fication tait peut-tre totmique, ftichiste ou religieuse. Quand nous visitons une caverne, nous

    pntrons dans un sanctuaire o se sont droules des crmonies sacres .

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    Breuil largit la thorie de Reinach, en y ajoutant des interprtations relatives la prsence occasionnelledanimaux froces, et surtout en prenant en compte le mobilier et les lments dcouverts dans les abris sousroches et les sites dhabitat ciel ouvert. Il assimila certains signes associs aux figures des reprsentationsde flches ou darmes. Une contribution intressante de labb concerne lidentification de signes gomtri-ques tectiformes, dont la signification fut largement dbattue. Breuil la reliait son approche religieuse delart des cavernes, et il y voyait une vocation des esprits ancestraux.

    Autre figure importante de lexploration des cavernes ornes, le comte Begouen interprtait les peintures dela mme faon que labb Breuil. Il travailla beaucoup plus sur les tectiformes, et proposa de nouvelles hypo-thses, supposes plus ralistes, concernant les traces matrielles laisses par les pratiques magiques ven-tuelles et la faon dont les rites taient pratiqus. C'est ainsi quil proposa de voir la reprsentation vritabledun sorcier dans la figure anthropomorphe de la grotte des Trois Frres, quon nomma ensuite Le Sor-cier .

    Une nouvelle rvolution de pense survint vers 1945. Elle fut luvre d'un jeune ethnologue passionn deprhistoire, Andr Leroi-Gourhan, auteur de la Prhistoire de lart occidental . Il crit.La matire que jaiutilise, est constitue par les deux mille cent quatre-vingt-huit figures danimaux rparties en soixante-six

    cavernes ou abris dcors que jai tudis.. Par ordre de frquence, jai pu compter six cent dix chevaux,

    cinq cent dix bisons, deux cent cinq mammouths, cent soixante-seize bouquetins, cent trente-sept bufs, cent

    trente-cinq biches, cent douze cerfs, quatre-vingt-quatre rennes, trente-six ours, vingt-neuf lions, quinzerhinocros, huit daims mgacros, trois carnassiers imprcis, deux sangliers, deux chamois, six oiseaux, huit

    poissons, neuf monstres.

    Cette citation tablit la mthode dAndr Leroi-Gourhan. Il se base prioritairement sur des analyses chiffresprcises et des statistiques. Il part dune conviction, celle que des uvres artistiques analogues rencontresdans des cultures diffrentes nimpliquent pas des causes identiques et nont pas les mmes significations. Ilnadmet pas les comparaisons ethnographiques utilises prcdemment. Il postule que toute interprtationdoit dabord se fonder sur les uvres palolithiques elles-mmes, leur analyse statistique et la comprhen-sion de leur rpartition topographique. Leroi-Gourhan distingue la prsence de zones diffrentes et biencaractrises malgr les tracs varis des diffrentes grottes. Il les classe en trois catgories, et y constate desassociations constantes qui paraissent porter un message significatif.

    Les parois dgages ou centres dun panneau. Elles portent plus de 80% des bisons, aurochs, chevaux,et signes pleins.

    Les parois marginales de transition ou de passage. Elles supportent plus de 78% des bouquetins et desmammouths.

    Le fond, dernier diverticule ou marge extrme de panneau. Ils montrent 75 80% des cerfs, flins,ours et rhinocros.

    Si le message existe rellement, il doit respecter une syntaxe pour tre comprhensible. Trois modes taientpossibles.

    Le mythogramme, ou disposition des figures symboliques autour dun point central comme cela estralis dans un tableau.

    Le pictogramme, ou alignement dans un ordre chronologique dune succession des figures racontant unehistoire.

    Lcriture, mode dans lequel les figures reprsentent des units symbolisant des lments du langageverbal.

    Partant de considrations raisonnables, le chercheur considre quil sagit de mythogrammes. Reste lesinterprter. Si nous admettons que les anciens hommes du palolithique avaient labor une image cohrentedu Monde, elle aurait pu engendrer des pratiques magiques destines assurer la matrise des vnementsextrieurs. Les uvres pourraient tre des restes accumuls de ces pratiques, et tmoigneraient doprationsmagiques successives, non relies entre elles.

    Mais les grottes ont pu tre utilises comme un dcor, cest--dire un cadre conventionnel au sein duquel sedroulait traditionnellement quelque chose, ceci pouvant ventuellement tre lexpression renouvele dunmythe, dun rituel mtaphysique, ou lamorce dune religion. On considrerait alors un cadre superstructurel,un modle gnral sur lequel la socit palolithique pouvait tablir tout un ensemble dtaill et vari de

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    Petit Manuel dHumanit.

    prceptes moraux ou comportementaux, aussi bien que des oprations pratiques, magiques ou religieuses.Dans ce cas, les superpositions et les associations sexpliquent, en particulier par laffectation traditionnelledes diffrentes zones aux expressions convenues. Reste rflchir sur le contenu des assemblages de figures,masculines et fminines, de chevaux, de bisons ou daurochs, danimaux associs, et de signes concomi-tants. Souvenons-nous que ces assemblages ont perdur pendant vingt mille ans, ce qui est une dure in-croyablement longue pour un systme de reprsentation mythique. Mais, dit Andr Leroi-Gourhan, sagit-

    il de lexpression du contenu dun mythe. Ne sagirait-il pas plutt du contenant ? Dans limmense dureconsidre, le mme cadre figuratif a pu exprimer des concepts mtaphysiques diffrents et des mythes pro-

    gressivement transforms .

    Il montre quavec les quatre vivants, laigle, le lion, le taureau, et lhomme, on a lexemple moderne dunthme figuratif apparu lge de Bronze et conserv jusqu nos jours, quoique charg de significationsdiffrentes, au fil du temps, et qui servit vingt religions jusquaux vanglistes chrtiens. Il est en effetpossible datteindre par la dmonstration une raisonnable certitude du fait que les hommes du Palolithique,

    vingt millnaires avant la fin de la dernire glaciation, ont vers dans leurs images de bisons et de mam-

    mouths, des sentiments qui rpondaient ce quest pour nous la religion, mais rien ne nous permet demble

    de restituer comment ils pensaient cette religion. Notre pense, issue des dveloppements des civilisations

    classiques, a volu dans un sens tel quil est difficile de comprendre sans effort la pense mme des Austra-

    liens qui sont pourtant encore vivants. A plus forte raison est-il hasardeux de construire des croyances

    dhommes qui ont vcu des millnaires avant lapparition de lcriture .

    A la position de Leroi-Gourhan, il faut absolument associer la dmarche dAnnette Laming-Emperaire. Elleest trs analogue, quoiqu'elle distingue subtilement les uvres ralises dans lobscurit des cavernes decelles excutes la lumire du jour dans les abris sous roches, et quelle renverse les reprsentations sym-

    boliques masculines et fminines. En raison de leur proximit conceptuelle, on couple souvent les tudesrelatives aux deux novateurs.

    Rsumons ici les points qui leur paraissent acquis. La caverne est intgre au schma fondamental, et sesaccidents naturels sont exploits. Il y a concomitance dans la prsence des chevaux et des bovids, et lonconstate un couplage constant avec la prsence des signes masculins et fminins. La prsence dune polarisa-tion sexuelle est vidente. Elle offre toutefois une particularit dabstraction car aucune scnedaccouplement nest connue, et les animaux ne portent pas leurs caractres sexuels primaires. Concernantlinterprtation qui pourrait tre faite de ses travaux, Andr Leroi-Gourhan reste toutefois prudent. Je vous

    propose dutiliser sa propre conclusion pour clore lexpos de sa thorie.

    On peut, pour obtenir la couche la plus profonde du dispositif religieux palolithique, ajouter ce schma

    fondamental, (femme-homme, bovid-cheval), la prsence pratiquement constante dun animal complmen-

    taire. A un niveau plus lev transparatraient des concepts dassimilation de scnes des signes, tels la

    blessure la main de la femme, etc.. En conclusion, les thmes qui se dgagent de lart palolithique sollici-

    tent plus directement la psychanalyse que lhistoire des religions... On aurait pu sattendre trouver dans

    lanalyse globale des documents, ce qui constituerait le substrat de la pense mtaphysique. Celle-ci et la

    magie opratoire ne peuvent apparatre quaprs limplantation du dcor. Cest le rle de la recherche

    future que dtablir sur les variantes, leur image nuance de la religion palolithique .( Pr. Andr Leroi-Gourhan - Deux extraits de larticle sur La religion des cavernes dans Science et Avenir N 228 ).

    Les millnaires ont coul. La Terre sest rchauffe. Et, il y a dix mille ans, les hommes ont abandonn tout la fois les cavernes et les traditions culturelles quelles contenaient. Puis le fleuve du temps a tout emportdans les mystres du pass. Mais le temps avait oubli des tmoins de lge de Pierre dans un recoin perdudu Pacifique Sud. Pauvres en gographie, lle de Nouvelle Guine nous est trs mal connue. Elle est cepen-dant la plus grande des les, aprs le Groenland et lAustralie, qui doivent tre considrs plutt comme decontinents. Pour information, voici les surfaces de ces immenses terres lointaines.

    La Nouvelle Guine 785 000 Km2Borno 736 000 Km2Madagascar 592 000 Km2Le Groenland 2 170 000 Km2LAustralie 7 686 000 Km2

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    Les Eaux du Fleuve.

    En 1930, trois chercheurs dor dcouvrirent, dans le centre de la Nouvelle Guine, une grande population dePapous, ignore jusqualors. Elle comptait un million de personnes, dont 250 000 dans une seule valle.Compltement coups du reste du monde, et quoique nos contemporains, ils en taient rests lge de

    pierre. Tout au long de leur expdition, les chercheurs ont tourn un film. Celui-ci a t montr cinquante ansplus tard aux acteurs des deux groupes qui sont encore vivants.

    Il sagit de First Contact, un document australien de Bob Connely et Robin Anderson. Les hommes primitifsderniers anthropophages connus dalors, parlent maintenant anglais et sont intgrs dans notre monde actuel.Ils racontent comment ils vcurent les vnements de la rencontre, leurs impressions, leurs terreurs, surtoutdevant les avions, et leurs souvenirs. Pour un temps ils ont pris les explorateurs blancs pour la rincarnationdes anctres. Puis le chef explora les latrines et reconnu le caractre simplement humain des visiteurs. Lecontact devint alors meurtrier lorsque le chef dcida dattaquer lexpdition pour sapproprier les quipe-ments. Les sagaies affrontrent les fusils inconnus. Les anciens se souviennent des pripties du combat etmme des prnoms de leurs proches tus pendant la bataille.

    Le film est un tonnant raccourci de lvolution. Ces hommes ont parcouru en cinquante ans, avec une acc-lration cinq cents fois plus rapide, le chemin que les autres firent en vingt-cinq mille. Chose tout fait sur-

    prenante, ils ont assez bien support lpreuve. Ce sont cependant des hommes actuels. Il ne faut pas lesconfondre avec ceux du palolithique, ni faire de comparaisons htives car vingt millnaires les sparent. Le

    document montre aussi les murs tristement humaines, de ces primitifs qui nhsitaient pas tuer pour seprocurer ce qui leur faisait envie.

    Puis les hommes modernes ont effac ces derniers oublis du temps. La rivire de la vie et celle du temps sesont runies jusqu constituer ce grand fleuve qui emporte le Monde. Lorsque notre conscience nous permet

    parfois daborder sur ses rives, nous regardons, hypnotiss, ses eaux couler, et nous ne savons plus trs biensi le fleuve descend vers nous, ou si nous en remontons le cours. Dans la ralit, cependant, toutes les eauxvont la mer.

    Devant nos yeux, les eaux du fleuve,de lavenir, par le moment prsent, vont au pass,

    invitablement.

    Krisnamurti ressentait fortement tout cela. Retrouvons ces perceptions super conscientes davant laurore,telles quil les exprima dans des notes rdiges de faon fortuite dans ses dernires annes de sa vie.

    Sensation de clart insolite, exigeant toute lattention. Le corps sans mouvement aucun,dune immobilit complte, sans effort et sans tension. Un phnomne curieux se droulait

    lintrieur de la tte. Un fleuve superbe et large coulait, ses eaux abondantes puissamment

    comprimes entre de hautes masses de granit poli. Sur chaque rive de ce vaste fleuve, la roche

    tait tincelante, aride toute plante, au moindre brin dherbe. Il ny avait rien dautre que le

    roc brillant, se dressant jusqu des hauteurs dfiant le regard. Le fleuve avanait silencieux,

    sans un murmure, indiffrent. Cela se produisait rellement, ce ntait pas un rve ni une vi-

    sion ou un symbole interprter. Cela avait lieu, l, sans aucun doute. Ce ntait pas le fruit

    de limagination. Aucune pense naurait pu inventer cela, ctait trop immense et rel pour

    quelle puisse le concevoir. Limmobilit du corps et le mouvement de ce grand fleuve coulantentre les parois granitiques du cerveau, tout cela a dur une heure et demie, exactement. Par

    la fentre ouverte, les yeux pouvaient voir laurore naissante. On ne pouvait se tromper sur la

    ralit de ce qui avait lieu . (J. Krisnamurti - le 8/8/61 - Gstaad, Suisse).

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    Petit Manuel dHumanit.

    Voil un petit peu de tout ce que lon peut dire des origines. Nous allons nous arrter ici sur la conclusiondune mditation de Krinamurti, laquelle peut aussi inviter la notre.

    Le pass et linconnune peuvent se rencontrer.

    Aucun acte, quel quil soit,ne peut les rassembler.Aucun pont ne les relie,

    Aucun chemin ny conduit.Ils ne se sont jamais rejoints

    et ne se joindront jamais.Le pass doit cesserpour que puisse trecet inconnaissable,

    cette immensit.

    ( J. Krisnamurti - le 23//1/62 - Delhi. Inde ).