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PEUT ON ENCORE DEFENDRE
LE DIRIGEANT CAUTION ?
Christophe Léguevaques Avocat au barreau de Paris Président de la commission
« Entreprise en difficulté » de l’ACE
Conférence Paris 3 juin 2004
Mesdames, Messieurs,
A la réflexion, je trouve l’intitulé de mon intervention presque
offensant pour la profession d’avocat.
Autant tout de suite faire taire le doute qui vous étreint, tuer
tout suspense et répondre.
Si vous êtes un avocat, vous pouvez toujours défendre, quel que
soit votre client qu’il soit dirigeant caution ou banquier soit
disant responsable. L’avocat défend, c’est son métier, sa raison
d’être. Pour cela, il fait appel à toute la ressource du droit et
s’il ne trouve pas, il invente, il imagine, il défriche et il plaide.
- 2 -
Mais à coté de la défense, l’avocat est aussi et surtout un
conseil. Et s’il accepte de ranger ses effets de manche (et son
ego, par là même), il doit bien dire à son client, en l’espèce le
chef d’entreprise, désolé Monsieur mais en l’état actuel de la
jurisprudence, je peux vous faire gagner du temps mais tôt ou
tard il faudra payer car décidément votre créancier n’a pas
plus commis de faute que vous ou que moi.
Tel aurait pu être le discours de vérité que l’on devait entendre
dans 9 cas sur 10 à la fin de l’année 2002. Il était alors très
difficile de trouver les cas exceptionnels qui permettaient de
remettre en cause le cautionnement ou de rechercher la
responsabilité du créancier poursuivant.
Mais, voilà, le législateur veille, non plus à la sécurité juridique
comme les auteurs du Code civil, le législateur veille, que dis-
je, il organise l’insécurité juridique. Et c’est ainsi qu’au détour
d’un amendement au cours d’un été caniculaire, le dirigeant
caution s’est vu reconnaître de nouvelles armes de destruction
massive auxquelles il ne rêvait même pas.
- 3 -
Avant d’aborder les effets pervers de la Loi Dutreil qui en
voulant protéger la caution risque de l’affaiblir (II), je
souhaiterais revenir sur certains arguments souvent utilisés par
les cautions, arguments moins sophistiqués mais parfois tout
aussi efficaces (I). Pour conclure, j’attirerai votre attention sur
la prochaine intervention législative (III) qui ne manquera pas
de modifier encore un peu plus le rapport de force entre la
caution et le créancier.
I. LES RECETTES DE « GRAND PERE » CODE
CIVIL.
Comme tenu du temps qui m’est imparti, je ne peux pas
passer en revue touts les « moyens de défense et de riposte de la caution
dirigeant »1. Dans cette première partie, je limiterai mon analyse
aux moyens contenus dans le Code civil.
1 Philippe HEGNER, La caution personnelle, moyens de défense et de riposte, 3ème éd°, Les Editions
Rezefeld, 1997.
- 4 -
Je ne vous parlerai pas encore une fois des mentions
manuscrites et des hésitations de la jurisprudence puis de la
« réincarnation de la mention manuscrite »2 dans la Loi Dutreil,
d’autres l’ont fait avant moi. Là encore, je limiterai mon
propos aux vices du consentement (A) et à la décharge de la
caution du fait du créancier (B).
A- VICES DU CONSENTEMENT, UN RETOUR EN
GRACE LIMITE.
Lorsqu’à partir des années 2000, les plaideurs ont
compris que la recherche de la responsabilité à l’encontre du
prêteur était le plus souvent voué à l’échec, faute de
circonstances exceptionnelles, ils se sont tournés vers d’autres
moyens de défense. Les vices du consentement, principalement
l’erreur et le dol ont refait leur apparition dans les prétoires
afin de défendre la caution. Si quelques arrêts ont admis ces
arguments pour la caution profane, la Cour de cassation l’a
généralement refusé pour la caution dirigeant.
2 Pierre CROCQ, Chroniques ‘Sûretés et publicités foncières’, RTDCom, 2004, n° 1, p. 121.
- 5 -
1°) L’erreur.
L’article 1110 du Code civil énonce que l’erreur n’est une
cause de nullité de la convention que « lorsqu’elle tombe sur la
substance même de la chose qui en est l’objet ». En matière de
cautionnement, l’erreur la plus fréquemment invoquée réside
dans l’erreur :
- Soit, sur les qualités substantielles de la chose (a),
- Soit, sur la solvabilité du débiteur principal (b).
a) L’erreur sur les qualités substantielles de la chose
Une caution invoquait la nullité de son engagement car le
nantissement qui devait être pris en garantie par le prêteur
n’avait pas été valablement inscrit, ce qui constituait, selon la
caution, une erreur déterminante sur la qualité substantielle.
Mais, l’acte de prêt invoquait l’achat direct du fonds de
commerce ou des parts sociales de la société exploitant le fonds
de commerce. Suivant la nature de l’opération, les garanties
étaient différentes (nantissement du fonds ou des parts
- 6 -
sociales). La Cour de Cassation3 approuve la Cour d’appel qui
a constaté que les garanties offertes en ce qui concerne les
nantissements n’étaient pas cumulatives mais alternatives
b) L’erreur sur la solvabilité du débiteur principal
Comme la Cour de cassation se montre « particulièrement
sévère »4 contre cette sorte d’erreur, l’arrêt de la Cour de
cassation5 du 1er octobre 2002 n’a pas manqué de retenir
l’attention. En effet, la Chambre commerciale a rejeté le
pourvoi de la banque contre un arrêt de la Cour d’appel de
Versailles (13 janvier 2000) ayant retenu l’erreur sur la
solvabilité du débiteur principal.
M. X s’est engagé solidairement envers la banque à
garantir le remboursement de toutes sommes dues ou à devoir
par le débiteur principal (une société commerciale dans
laquelle il n’est apparemment pas dirigeant) à la banque à
concurrence d’un montant déterminé et a affecté un
portefeuille de titres en garantie de son engagement. Quatre
3 Com. 20 février 2001, TOUZE c. : CRCAM, RJDA, 1er juin 2001, p. 635-638, n° 724 4 (SIMLER, op. cit., n° 135) 5 (Cass. Com. 1er octobre 2002, pourvoi n° 00-13189, X c./ BNP-Paribas)
- 7 -
mois après l’engagement de M. X, le débiteur principal est
placé en redressement judiciaire. La banque assigne la caution
solidaire laquelle invoque l’erreur sur la solvabilité du débiteur
principal. Le premier juge puis la Cour d’appel donnent raison
à la caution et annulent le cautionnement et la constitution de
gage.
La banque se pourvoit en cassation au motif qu’il
appartient à la caution qui désire faire de la solvabilité du
débiteur principal la condition déterminante de son
engagement, d’introduire cette condition dans le champ
contractuel en l’indiquant expressément dans l’acte. Ce
faisant, la banque ne faisait que reprendre des arguments
classiques qui avaient prévalu jusqu’à présent6
La Cour de cassation rejette le moyen en distinguant
entre les difficultés du débiteur principal et sa situation
irrémédiablement compromise.
En effet, alors que la banque connaissait l’entreprise
depuis 1984 et ne pouvait ignorer la véritable situation du
6 (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 octobre 1977, Bull. Civ. I n° 388, JCP (G), IV, 306 ; Cass. 1ère civ. 16
mai 1995, RJDA, 1995/10, n° 1076, JCP (G) 1996 II, 22736 Note F.-X. LUCAS).
- 8 -
débiteur principal, la caution, tiers à la société, « avait entendu
prendre le risque d’aider une société présentée comme en difficulté mais non
de s’engager pour une société en situation déjà irrémédiablement
compromise ».
Dès lors, dans l’exercice de son pouvoir souverain
d’appréciation, la Cour d’appel pouvait valablement
considérer que la « caution avait fait de la solvabilité du débiteur
principal la condition tacite de sa garantie ».
Dans une autre espèce, la Cour de cassation a admis
l’annulation du cautionnement pour erreur sur la personne du
débiteur principal qui faisait l’objet d’une interdiction
d’exercer une activité commerciale7.
Mais, il ne vous aura pas échappé que cette jurisprudence
concernait une caution dirigeant et qui plus est tiers à
l’entreprise. En présence d’une caution dirigeant ou
simplement intéressée, la Cour de cassation se montre plus
sévère.
7 Com. 19 novembre 2003, D. 2004, p. 60, Note AVENA-ROBARDET, dans l’arrêt cité la caution était
une personne morale…
- 9 -
Ainsi, la Chambre commercial8 considère que la Cour
d’appel a justifié sa décision de condamnation de la caution
dès lors qu’il est établi que « tant en raison de ses relations
personnelles avec la débitrice dont il était le compagnon que de son
intervention à l’acte authentique de vente du fonds de commerce et de prêt,
la caution disposait de tous les renseignements pour mesurer la capacité de
remboursement de la débitrice, les données financières de l’affaire et la
portée de son engagement ».
En étudiant le dol, l’intuition selon laquelle il est
impossible à une caution dirigeant de revendiquer
l’application des vices du consentement va se confirmer.
8 Cass. civ. I, 12 juin 2001, DI SILVESTRO c./ UFB LOCABAIL, arrêt 1024 FD
- 10 -
2°) Le dol
Le dol, c’est l’erreur provoquée par celui à qui profite
l’erreur.
A cet égard, la situation de la caution, par ailleurs,
dirigeant de droit ou de fait du débiteur principal, permet de
présenter le lien qui peut exister entre l’erreur sur la qualité
substantielle et le dol reproché à l’établissement de crédit.
Pour la Cour de cassation, même s’il est constant qu’une
banque a manqué à son obligation de contracter de bonne foi
en s’abstenant d’informer les cautions de la situation
irrémédiablement compromise de la société, débitrice
principale, il n’en demeure pas moins que « ce manquement ne
peut être considéré comme dolosif dès lors que les cautions, dirigeants de
droit ou de fait de la société, étaient informées de la situation financière de
l’entreprise » dont la procédure collective a été ouverte 15 jours
après l’acte de prêt et l’obtention de leur engagement9.
9 (Com. 17 juillet 2001, BEAUGER c./ :CRCAM Charente, arrêt 1616 FD)
- 11 -
A y regarder de plus prêt, la Cour de cassation semble
sanctionner le déséquilibre dans l’accès à la
connaissance de l’information ou la connaissance de
l’information elle-même. En effet, la Chambre
commerciale estime qu’une cour d’appel peut annuler
l’engagement d’une caution, par ailleurs dirigeant, dès lors
qu’à l’époque de l’octroi des crédits, la caution ne disposait pas
des informations qu’avait la banque sur l’absence de réalisme
du projet10.
Enfin, notons que, conformément à l’article 1116 du
Code civil, la Cour de cassation met à la charge de la caution
la preuve des manœuvres frauduleuses. Dans son appréciation
des manœuvres, la Haute juridiction tient compte de la qualité
de la caution eu égard par exemple à l’emploi occupé en tant
que responsable d’unité au sein d’une banque ou de sa qualité
d’administrateur du débiteur principal, ce qui permettait
d’établir qu’il avait une parfaite connaissance de la situation
du débiteur principal, société anonyme dans laquelle son fils
était le dirigeant et son épouse, associée11.
10 (Com. 3 mai 2000, Société générale c./ DAMIS, Dr. & Patr. Juin 2001, n° 94, p. 92, Note Saint-Alary) 11 Cass. Com. 17 décembre 2003, GITTARD / Crédit Lyonnais, pourvoi n° 1840 FD
- 12 -
3°) La violence.
Quant à la violence, la Cour de cassation laisse à
l’appréciation souveraine des juges du fond le soin de
déterminer si les éléments de preuve fournis suffisent à établir
que la caution ne s’était engagée que contrainte sous la
violence de son conjoint12
A ma connaissance, la violence économique n’a pas
encore été retenue en faveur de la caution dirigeant.
12 (Com. 28 novembre 2000, VILIN c./ BMCE, arrêt n° 2016 FD, Dict. Perm. Diff. Entr., 2001, n° 209, p.
6126, n° 64a).
- 13 -
B. LA DECHARGE DE LA CAUTION DU FAIT DU
CREANCIER
1°) Pour mémoire, la responsabilité du créancier
En cette matière, source d’un abondant contentieux, je
renvoie à la jurisprudence générale de la Cour de cassation qui
tend à limiter les recherches en responsabilité en appliquant le
principe de la symétrie de l’information.
Notons, qu’en matière de cautionnement, la Cour de
cassation a fixé un double principe :
- « dès lors que la caution était aussi gérante de droit de la
société débitrice principale, elle connaissait exactement la
situation lorsqu’elle s’est engagée.
- La faute commise par une banque du fait de l’octroi
abusif de crédit à une société ne peut, sauf circonstance
exceptionnelle, être invoquée par ses dirigeants »13
13 (Com. 28 novembre 2000, VILIN c./ BMCE, arrêt n° 2016 FD, Dict. Perm. Diff. Entr., 2001, n° 209, p.
6126, n° 64a).
- 14 -
La Chambre commerciale va encore plus loin en
affirmant14 , sous le visa de l'article 1147 du Code civil, que
« l’établissement de crédit n'était redevable d'aucune
obligation de conseil à l'égard tant de la société que
de la caution », non sans avoir précisé que « les prêts litigieux
avaient été demandés par la société elle-même et par la caution, qui,
faisant état de l'assistance d'un avocat, avaient présenté des bilans
prévisionnels, selon eux vérifiés par l'expert-comptable de la société, ce dont
il résultait que la banque, dont il n'était pas démontré qu'elle aurait eu sur
l'opération réalisée des informations qui leur avaient été cachées ».
Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, sauf cas
exceptionnel, la présence d’une caution initiée et le
principe de non-immixtion interdisent que soit
reconnue l’existence d’une obligation de conseil à
l’égard de la caution pesant sur un établissement de
crédit.
14 Cass. 25 mars 2003, (N° de pourvoi : 00-19337)
- 15 -
Il paraît difficile d’établir de tels cas exceptionnels. Le
seule véritable recours réside-t-il alors dans l’application de
l’article 2037 du Code civil ?
2°) Décharge de la caution en raison de la privation
d’une subrogation à certains droits du créancier.
Les effets de l’article 2037 ont été renforcés depuis que le
législateur a décidé avec la loi 1er mars 1984 que « toute clause
contraire est réputée non écrite »15.
On se souvient que l’article 2037 dispose que « la caution
est déchargée lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du
créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s’opérer en faveur de la
caution ».
C’est une application protectrice du caractère accessoire
du cautionnement. Si elle paye le créancier, la caution est
subrogée dans ses droits et doit avoir toutes les chances pour
récupérer tout ou partie sa créance.
15 Toutefois, il est toujours possible de renoncer à un droit né. Ainsi, « les défendeurs se sont portés
cautions le 12 juillet 1991 ; leur engagement étant confirmé par des actes du 2, 3 et 5 décembre 1991, de sorte que les actes litigieux ayant été conclus postérieurement, la renonciation qu’ils pouvaient contenir au bénéfice de l’article 2037 du Code civil était valable » (Cass. com. 10 décembre 2002, Cotton c./ Crédit Lyonnais, pourvoi n° 99-12.534, arrêt n° 2080 FD).
- 16 -
Si le créancier par un fait positif, une omission ou une
négligence fait perdre à la caution tout ou partie de ses droits,
cette dernière peut alors lui opposer la propre faute du
créancier.
Pour autant, la jurisprudence se montre restrictive dans
l’application de l’article 2037 du Code civil
u Domaine d’application de l’article 2037 du Code civil
— selon la Cour de cassation, « l'article 2037 du Code
civil ne peut recevoir application qu'en présence de droits qui
comportent un droit préférentiel conférant un avantage particulier
au créancier pour le recouvrement de sa créance »16
u Imputabilité exclusive au créancier de la perte des droits
— C’est l’argument le plus souvent utilisé par les
créanciers. C’est aussi le plus facile à vérifier. A partir du
moment où un tiers – a fortiori un juge – intervient, le
créancier peut prétendre avec succès qu’il n’est pas à
l’origine de la perte des droits de la caution. Citons par
exemple :
16 Cass.com. 9 juillet 2002, de Morsier c./ BRED, pourvoi n° 96-20.655, arrêt 1317 FD)
- 17 -
§ dans le cadre d’une action en revendication, si
la décote sur le prix de marchandise résulte
d’une ordonnance du juge commissaire, cette
décote n’est pas imputable au créancier17.
§ De même, lorsque le débiteur principal placé
en liquidation judiciaire ne peut céder son droit
au bail et si le liquidateur décide de résilier le
bail commercial, la caution ne peut pas se
prétendre être déchargée de son engagement
car la banque n’aurait rien fait pour s’opposer à
la perte du fonds de commerce. En effet, « la
banque n'avait aucun moyen légal ou de fait de s'opposer
à la remise des clés au propriétaire et n'était pas tenue de
régler les loyers impayés par le débiteur principal »18.
§ « N’a pas commis de faute exonératoire de l’obligation de
garantie souscrite par la caution, le crédit bailleur qui
n’a pas résilié les biens loués avec promesse de vente au
crédit preneur en procédure collective en vertu d’un
17 (Cass. Com. 1er octobre 2002, CHIVERY c./ PPG, pourvoi n° J 99-16.136, arrêt 1543 FD) 18 Cass. com. 15 octobre 2002, Cresson c./ CRCAM, pourvoi n° 01-10.244, arrêt 1646 FD
- 18 -
contrat autorisé par le juge-commissaire et résilié
ensuite »19.
§ La banque ne commet pas de faute en
acceptant la vente de gré à gré de l’immeuble
du débiteur principal autorisée par ordonnance
du juge commissaire et en donnant mainlevée
amiable de son hypothéque20
u Il faut que le comportement du créancier entraîne un
préjudice pour la caution —. Dès lors que la
subrogation n’aurait pas été efficace, le créancier ne
pouvant obtenir un meilleur prix de vente que celui
versé au liquidateur, la négligence du créancier qui n’a
pas exercé l’action en revendication ne cause aucun
préjudice à la caution qui ne peut se prévaloir des
dispositions de l’article 2037 du Code civil (Cass. com. 4
mars 2003 ; Rascar, pourvoi n° 99-16626, arrêt n° 430 FD).
19 Cass. Com. 11 février 2004, ROGER c ./ UNIMAT, pourvoi n° 283 FD 20 Cass. 14 janvier 2004, MARGUERIE c./ CRCAM NORMAND, pourvoi n° 74 FD
- 19 -
Un arrêt récent doit cependant retenir l’attention. En effet,
la Cour de cassation précise que « en s’abstenant d’exercer l’action
directe de la société X, sous traitant cédant, à l’encontre de la société Y,
maître de l’ouvrage (…) la banque créancière avait perdu un droit dans
lequel la caution avait vocation à être subrogée au sens » de l’article
2037 du Code civil. Cet arrêt est présenté comme le signe d’un
« bain de jouvence » de l’exception de subrogation. L’avenir
nous permettra de confirmer cette impression.
A la réflexion, les recettes de « grand père Code civil »
peuvent servir les cautions mais guère les cautions dirigeantes.
Ces dernières doivent elles tourner leurs espoirs en direction
du Code monétaire et financier ou du Code de la
consommation ? Rien n’est moins sûr…
- 20 -
II. LES EFFETS PERVERS DE LA LOI DUTREIL
Une lecture rapide de la loi Dutreil permet d’affirmer
qu’il s’agit d’une loi favorable à la caution.
Je souhaiterais démontrer qu’il n’en est rien.
Car une fois, les pièges du formalisme dépassés, la caution
se retrouve toute nue face à son créancier.
Il n’est pas certain que l’excès de mention manuscrite ou
le renforcement des obligations d’information constituent le
meilleur moyen de protéger la caution. C’est une protection, à
condition que la caution prenne vraiment garde à ce qu’elle
signe ou recopie. Mais dans l’euphorie de la demande en
financement, combien de cautions dirigeantes seraient elles
prêtes à tout pour réaliser leur rêve ?
- 21 -
Une fois, revenue dans la dure réalité, le rêve évanoui, le
projet du siècle se transforme en échec, les échéances
deviennent impayées et le débiteur principal cesse ses
paiements ou dépose son bilan. La caution va vivre un
cauchemar et s’apercevoir un peu tard qu’elle ne peut guère se
protéger.
En effet, l’effet pervers principal de la loi Dutreil réside
dans son quitte ou double, en privant la jurisprudence de sa
fonction modératrice. Cette affirmation s’illustre tant en ce qui
concerne le renforcement de la caution (A) que par la
reconnaissance légale d’un principe général de
proportionnalité (B).
A. MENTION MANUSCRITE ET OBLIGATION
D’INFORMATIONS
Plusieurs observations liminaires :
- les dispositions de la loi Dutreil ne concernent
que la caution « personne physique »
- 22 -
- la loi ne distingue entre la caution profane et la
caution dirigeante
- les nouvelles mentions manuscrites sont
prescrites à peine de nullité de l’engagement
- apparemment, il n’apparaît guère possible de
« racheter » une mention manuscrite imparfaite
par des éléments extrinsèques ou intrinsèques à
l’engagement souscrit21
- la sanction du défaut d’information réside dans
la perte aux intérêts entre deux informations
annuelles.
- la loi ne définit pas la notion de « créancier
professionnel ».
Toute cela a été rappelé par les orateurs précédents.
Mais, que se passera-t-il lorsque les créanciers auront
intégré toute cette nouvelle lourdeur administrative ?
21 Pour des exemples dans le cadre de la jurisprudence antérieure à la loi Dutreil
- 23 -
Si les créanciers respectent tous les impératifs légaux et la
paperasserie que cela accompagne, la caution ne pourra
plus venir rechercher la nullité de son engagement en
raison d’une mauvaise mention manuscrite ? Il lui sera
très difficile également de revenir rechercher la
responsabilité du créancier professionnel car ce dernier
pourra démontrer qu’en respectant à la lettre les
exigences légales, la caution était pleinement informée des
conséquences de ces actes. Il est donc à craindre que cet
excès de protection la prive de toute protection ultérieure.
Il y a plus grave.
La nouvelle mention manuscrite doit indiquer que la
caution s’engage
« dans la limite de la somme de XXX couvrant le
paiement du principal, des intérêts et le cas échéant
des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée
de YYY ».
Il y a donc une double limitation du cautionnement dans
le montant ET dans la durée.
- 24 -
On peut dès lors conclure avec le professeur CROCQ
qu’un « dirigeant social ne peut donc plus conclure un
cautionnement omnibus sous seing privé ce qui montre une singulière
ignorance des besoins de la pratique »22.
Ainsi donc, la loi Dutreil entraîne un effet anti-
économique en faisant disparaître le cautionnement
omnibus du dirigeant social et contient en germe des
effets pervers car une fois le formalisme respecté, la
caution dirigeant aura du mal à réduire ses
engagements…
Mais cette analyse peut elle s’appliquer au principe de
proportionnalité ?
22 op. cit. p. 123.
- 25 -
B. PRINCIPE DE PROPORTIONNALITE
Le principe de proportionnalité23 a été reconnu
applicable au cautionnement par l’arrêt MACRON24 du 17
juin 1997 en raison de la disproportion entre les revenus et le
patrimoine d’une caution et l’étendue de son engagement.
Tout l’intérêt de l’arrêt MACRON est qu’il appliquait à
la caution dirigeant la protection reconnue à la caution
profane lorsque le cautionnement est manifestement
disproportionné. L’autre intérêt résidait dans la
reconnaissance que cette disproportion ne viciait pas le
consentement de la caution mais constituait une faute
engageant la responsabilité de la banque. Il était donc
possible au juge du fond de moduler le quantum du
préjudice venant se compenser avec la créance
réclamée par la banque.
23 D. MAZEAUD, «Le principe de proportionnalité et la formation du contrat», Les petites affiches, 1998,
n° 117, p. 12. N. MOLFESSIS, «Le principe de proportionnalité et l’exécution du contrat», Les petites affiches, 1998, n° 117, p. 21.
24 Com. 17 juin 1997, pourvoi, n° 95-14105, Bulletin 1997, IV, n° 188 p. 165 ; D, 1998, n° 16, p. 208, note J. CASEY ; JCP (E), 1997, n° 44, p. 235, note D. LEGEAIS ; RTDCiv. 1998, note J. MESTRE et p. 157 note P. CROCQ, RTDCom, 1997, 662, Obs. M. CABRILLAC, Bull. Joly, 1997, 898, Note P. Le CANNU, JCP (E) 1998, p. 173, obs. P. SIMLER)
- 26 -
Puis, devant les excès auxquels cette jurisprudence
conduisait et devant l’engorgement des cours supérieures, la
Chambre commerciale de la Cour de cassation avait renoncé
à appliquer le principe de proportionnalité à la caution
dirigeant par l’arrêt NAHOUM25 du 8 octobre 2002.
En revanche, par plusieurs arrêts postérieurs26, la Cour de
cassation maintient l’application du principe de
proportionnalité pour toutes les cautions non dirigeants.
La Loi Dutreil vient modifier cet édifice patiemment
élaboré en reconnaissant un principe général de
proportionnalité en privant les juges du fond de tout pouvoir
de modération (1°). Enfin, nous verrons que la rédaction du
nouveau texte permet d’échapper à l’application du principe
de proportionnalité, ce qui n’est qu’une illustration particulière
de la médiocrité de ce texte (2°)
25 Cass. com. 8 octobre 2002, NAHOUM c./ CGER, pourvoi, n° 99-18619 ,Bull. Civ. IV , n° 136, p.
152JCP (E), 2002, II, 1730, note D. LEGEAIS ; Defrénois, 2003, art. 37961, n° 22, obs. P. THERY ;D. 2003, 414, Note C. KOERING ; JCP (G) 2003, II, 10017, note Y. PICOD ;Defrénois, 2003, 37968, note S. PIEDELIEVRE ; Petites Affiches, n° 8 du 10 janvier 2003, obs. E.C. ;RJCom, juin 2003, p. 45, note D. POHE.
26 Cass. Com 25 mars 2003, Banque, juillet-août 2003, n° 135, Obs° LEGEAIS Cass. Com. 11 juin 2003 Cass. Com. 9 juillet 2003, D. 2004, n° 3 p. 204
- 27 -
1°) Présentation du principe contenu dans la loi
Dutreil
L’Article 11 - II de la Loi Dutreil modifie l’article L. 341-
4 du Code de la consommation de façon à interdire à un
« créancier professionnel » de « se prévaloir d'un contrat de cautionnement
conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa
conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins
que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui
permette de faire face à son obligation ».
Indéniablement, ce texte s’applique à tous les
cautionnements souscrits par des personnes physiques qu’elles
soient profanes ou dirigeantes, que le cautionnement soit
souscrit sous seing privé ou en la forme authentique.
A la lecture, il faut distinguer deux périodes :
• lors de la conclusion, le cautionnement est
disproportionné avec les biens et les revenus de
la caution, autrement dit, on ne doit pas
prendre en compte les « espérances »,
contrairement à l’Arrêt NAHOUM.
- 28 -
Seuls les biens existants au moment de
l’engagement sont à prendre en compte.
• toutefois, lorsque la caution est appelée, il faut
tenir compte du patrimoine de la caution.
Quelle est la différence entre le patrimoine et
les biens ? Est-ce un simple effet littéraire
destiné à éviter la répétition ? La jurisprudence
nous le dira.
Quant à la sanction du caractère disproportionné, le
législateur n’a pas opté pour la nullité de l’engagement mais
pour la possibilité ou l’impossibilité de s’en prévaloir. C’est ici
que réside l’un des dangers les plus graves pour la caution.
AVANT la loi Dutreil, en cas de disproportion, le juge du
fond pouvait moduler l’étendu de l’engagement et décider
ainsi que la caution restait tenue dans la limite de son
patrimoine et de ses revenus27. La jurisprudence trouve ainsi le
point d’équilibre.
27 Cass. Civ. 9 juillet 2003, JCP (G) 2003, II ? 10 167, note J Casey ; MH de LAENDER, L’exigence de
proportionnalité, RD Banc et financier, 2003, 259 et s.)
- 29 -
Avec la loi Dutreil, c’est tout ou rien. Si l’engagement est
disproportionné au moment de la conclusion de l’exécution, le
créancier ne peut pas se prévaloir de l’engagement , la caution
est libérée. Mais si l’engagement est proportionnée, alors la
caution est tenue pour l’intégralité du cautionnement.
Si de prime abord, cette réforme semble défavorable aux
créanciers, il existe un risque certain que les créanciers
intègrent cette nouvelle contrainte pour la retourner contre les
cautions.
En effet, nous allons voir qu’il existe des moyens simples
pour lier la caution.
Avant d’aborder les moyens de limiter ce principe
législatif de proportionnalité, il convient d’évoquer, sans avoir
le temps de développer, que l’application de la loi Dutreil dans
le temps risque de soulever de nouveaux contentieux.
- 30 -
2°) Moyens de contournement de ce principe.
Si un créancier professionnel ne peut pas se prévaloir
d’un engagement disproportionné, encore peut-il rechercher la
responsabilité de la caution qui aurait menti sur l’étendue de
son patrimoine.
Ainsi, depuis plusieurs années, certains établissements de
crédit font-ils remplir aux cautions des questionnaires détaillés
sur leur patrimoine. Le plus souvent ces questionnaires
s’accompagnent d’une déclaration sur l’honneur concernant la
véracité des réponses.
Ces questionnaires présentent un triple d’avantage :
• d’abord, ils permettent à l’établissement de crédit de
vérifier qu’au moment de la conclusion de
l’engagement, la caution dispose de biens ou de
revenus suffisants pour faire face. Cette vérification
préalable permet d’éviter le risque de remise en cause
ultérieure.
- 31 -
• Ensuite, si la caution ment, omet ou dissimule des
informations, il lui sera plus difficile de venir prétendre
que la banque connaissait l’état de ses biens et revenus.
• Enfin et surtout, en cas de disproportion, le créancier
professionnel pourrait rechercher la
responsabilité de la caution qui l’a induit en
erreur. Par cette substitution de motif, le créancier
pourrait recouvrer des dommages et intérêts lui
permettant de la poursuivre sur d’autres chefs.
L’avenir nous dira si la loi Dutreil aura les conséquences
protectrices qu’elle semblait poursuivre. Mais, il se
pourrait bien que cette loi qui bureaucratise l’économie
(un comble pour un libéral comme M. Dutreil) soit au
final une loi pour rien tant la pratique trouvera des
parades.
Mais, n’est ce pas ce qui nous attend également avec la loi
Perben instaurant une procédure de sauvegarde des
entreprises en difficulté.
- 32 -
III. ANTICIPONS LES EFFETS DE LA LOI PERBEN
DEVANT REFORMER LE DROIT DES
PROCEDURES COLLECTIVES.
En matière de procédure collective, deux changements
fondamentaux sont en germe d’une part, la disparition de
l’extinction de la créance non ou mal déclarée (A) et d’autre
part, la possibilité pour la caution de se prévaloir des
dispositions du plan de sauvegarde (B). Avant d’étudier ces
deux questions, je souhaiterais attirer l’attention de la doctrine
sur un fait important.
Les établissements de crédit qui participeront au
financement de la conciliation (ancien règlement amiable) ne
pourront pas voir leur responsabilité engagée pour soutien
abusif « sauf fraude ou comportement manifestement abusif de leur part »
(futur article L . 611-11 du Code de commerce) si l’accord
constatant la conciliation est homologué par le tribunal.
- 33 -
En raison du caractère public de ce jugement
d’homologation, il semble qu’il soit opposable aux cautions qui
dès lors ne pourront plus se prévaloir d’un financement de la
dernière chance qui s’avérerait fautif.
A. LA DISPARITION DE L’EXTINCTION DE LA
CREANCE PRINCIPAL NON OU MAL
DECLAREE ET SES CONSEQUENCES POUR LA
CAUTION.
On se souvient qu’en raison du caractère accessoire du
cautionnement et dans l’hypothèse d’une procédure collective
du débiteur principal, le défaut de déclaration de créance par
le créancier avait un effet libératoire pour la caution. En effet,
la loi du 25 janvier 1985 prévoyait une sanction radicale, la
créance non déclarée, ou mal déclarée, était éteinte.
Cette technique d’évaporation du passif principal fut
souvent utilisée par les cautions avec succès.
- 34 -
En effet, l’extinction de la créance constitue une
exception inhérente à la dette et, conformément à l’article
2036 du Code civil, la caution peut l’opposer au créancier28.
Le projet de Loi Perben met un terme à cette possibilité.
En effet, le nouvel article L. 622-24. prévoit qu’« A défaut de
déclaration dans des délais fixés par décret en Conseil d’Etat, les créanciers
ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le
juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s’ils établissent que leur
défaillance n’est pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission
volontaire du débiteur. En ce cas, ils ne peuvent concourir que pour la
distribution des répartitions postérieures à leur demande ».
Si la sanction de l’extinction a disparu, il n’en reste pas
moins que la caution pourrait reprocher au créancier son
défaut de déclaration sur le fondement de l’article 2037 du
Code civil.
28 Cass. Com. 17 juillet 1990: Bull. civ. IV, nos 214 et 215; D. 1990. 494, note Honorat; D. 1991. Somm.
12, obs. Derrida; Gaz. Pal. 1990. 2. 678, note Piedelièvre; JCP E 1991. II. 101, note Amlon 23 oct. 1990: Bull. civ. IV, no 244; D. 1990. IR. 267 30 mars 1993: Bull. civ. IV, no 124; D. 1993. IR. 131 6 juill. 1993: Rev. huiss. 1994. 93, note Vidal. V., dans le même sens, pour un avaliste, Com. 25 oct. 1994: Bull. civ. IV, no 312; D. 1995. 590, note Crionnet; D. 1995. Somm. 306, obs. Honorat; RTD com. 1996. 124, obs. Martin-Serf; Rev. huiss. 1995. 57, note Vidal 3 déc. 1996: Bull. civ. IV, no 296; D. 1997. IR. 19 (avaliste d'un billet à ordre).
- 35 -
En effet, le comportement défaillant du créancier a fait
perdre à la caution sa part dans les répartitions et dividendes29.
B. LA POSSIBILITE POUR LA CAUTION DE SE
PREVALOIR DES DISPOSITIONS DU PLAN DE
SAUVEGARDE.
La loi PERBEN instaure une procédure de sauvegarde,
sorte de redressement judiciaire sans cessation des paiements.
L’issue de cette procédure est normalement un plan de
continuation négocié entre le débiteur et ses principaux
créanciers.
Dans sa version de mai 2004, le projet de loi prévoit que
les dispositions applicables aux cautions et aux co-obligés
s’appliqueront également « aux personnes ayant consenti… une
garantie autonome ». A ma connaissance, c’est l’une des premières
fois qu’un texte légal de portée générale fait expressément
référence aux garanties autonomes (sans les définir).
29 V. en ce sens, Cass. com. 6 févr. 1996: Bull. civ. IV, no 33; D. 1996. IR. 82; D. Affaires 1996. 391.
- 36 -
Par ailleurs, il n’est pas certain que le législateur ait
analysé la portée de cet ajout qui concerne les personnes
physiques aussi bien que les personnes morales.
Ainsi, à première lecture, une banque qui a délivré une
garantie autonome à un tiers pourrait opposer au bénéficiaire
les dispositions du plan de sauvegarde du débiteur principal.
Mais où est donc passé l’autonomie ?
Mais, pourquoi avoir prévu pour le plan de sauvegarde et
lui seul, cette possibilité pour une caution de se prévaloir des
dispositions du plan ? La réponse est simple : cette disposition
vise à rendre attractive la procédure de sauvegarde afin que le
chef d’entreprise, le plus souvent caution, anticipe autant que
possible l’état de cessation des paiements.
Indéniablement, cette mesure, si elle est adoptée, sera
particulière intéressante pour les cautions dirigeants.
C’est donc sur ce message d’espoir que je souhaiterais
conclure.
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Et puis aussi, par un grand remerciement à M. Dutreil.
Oui, au nom de tous les avocats, je vous remercie, Monsieur le
ministre. Votre méconnaissance du droit du cautionnement va
permettre de relancer le contentieux pour une bonne dizaine
d’années…
Plus sérieusement, je crois que le chef d’entreprise doit
méditer cette mise en garde du professeur SIMLER :
« Le cautionnement neutralise, en quelque sorte, la personnalité
morale et fait assumer au dirigeant ce qui est concrètement, du
moins dans les très petites sociétés, sa propre dette »30
.
30 SIMLER, Droit du cautionnement, 3ème éd°, n° 100