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Peut-On Encore Former Des Enseignants _ - Vincent Troger.pdf

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  • Conception de couverture : Aalam Wassef

    ARMAND COLIN DITEUR 21, RUE DU MONTPARNASSE 75006 PARIS

    Armand Colin, Paris, 2012

    ISBN : 978-2-200-28352-0

  • lments de rponse

    Srie ducationdirige par Benot Falaize

  • SommaireIntroduction

    1. IUFM, pourquoi tant de haine ?

    Des critiques justifies

    Des acquis indiscutables

    Un anti-pdagogisme partial

    2. Querelles de famille

    Lge dor rpublicain ?

    Des cultures professionnelles conflictuelles

    Une unit syndicale de faade

    3. Enseigner, un mtier ou des mtiers ?

    clatement des finalits

    clatement des conditions dexercice et des pratiques professionnelles

    Les enseignants sont-ils encore des professionnels ?

  • 4. Comment fait-on en Europe ?

    Les prconisations de Bruxelles

    Quelles formations en Europe ?

    La Finlande premire de la classe ?

    5. Pour une vritable formation suprieure des enseignants

    Les concours en question ?

    Enseigner : un mtier qui sapprend

    Redfinir une thique professionnelle

    Conclusion

    Bibliographie

  • Introduction

    Au mois de mars dernier, lagence Ple Emploi desHauts-de-Seine publiait une annonce qui aurait t encoreinimaginable quelques mois auparavant : Lducationnationale recrute 20 enseignants pour des colesmaternelles et primaires sur le 92. CDD du 5 mars au5 juillet 2012. Master 2 exig. Et le cas nest pas isol. la rentre 2011, un collge des environs de Nantes estmme pass par le site de petites annonces Le boncoin pour recruter un professeur remplaant entechnologie. Lducation nationale est aujourdhuiconfronte une grave crise de recrutement.

    Ce nest certes pas la premire fois dans lhistoire quelcole a du mal trouver des enseignants. Dans lesannes 1960, aprs la prolongation de la scolarit 16 ans, ou la fin des annes 1980, avec lobjectif deconduire 80 % dune classe dge au baccalaurat , leministre a d faire appel des dizaines de milliers decontractuels. Mais il navait pas besoin de recourir auxpetites annonces pour les recruter, et surtout il sagissaitalors de crises de croissance, le nombre dlvesaugmentant plus vite que le nombre de postes

  • denseignants. Rien de tel aujourdhui. Au contraire, lesgnrations actuellement scolarises sont un peu moinsnombreuses que les prcdentes. Et dans un contexteconomique difficile, on pourrait supposer que le statut defonctionnaire demeure attractif pour les nombreux jeunesdiplms touchs par le chmage. Pourtant, de136 000 candidats aux concours de recrutement duprimaire et du secondaire en 2005, on est pass 69 000 en 2012. Dans certaines disciplines le nombre depostes offerts au concours est peine suprieur celuides candidats inscrits1. Il sagit donc dune crise profonde.

    Pour lexpliquer, universitaires, journalistes etsyndicalistes invoquent de manire quasi unanime troiscauses dterminantes. Les deux premires sont connuesdepuis dj plusieurs annes. Le mtier denseignantsouffre dabord dune dgradation lente mais irrmdiablede son image dans lopinion publique. Dgradation due la fois la mdiocrit des salaires, eu gard la duredes tudes exige, et la crise des formes traditionnellesdautorit, qui rend le mtier denseignant particulirementdifficile surtout dans les tablissements dfavoriss, l osont justement nomms en priorit les enseignantsdbutants. Ensuite, la baisse du nombre de postes offertsaux concours, acclre par la politique du non-remplacement dun fonctionnaire sur deux2 , a dcouragles tudiants, surtout dans les spcialits scientifiques oils peuvent esprer dautres dbouchs professionnels.

    Mais depuis deux ans, une troisime cause sest ajoute

  • aux deux prcdentes : la rforme de la formation desenseignants, communment appele mastrisation ,dcide en 2008 et applique la rentre 2010. Pouraccder aux concours, les candidats doivent dsormaisavoir obtenu un master au lieu dune licence, ce quiprolonge les tudes de deux ans, sans tre assurs derussir la fin du cursus. La rforme a aussi supprimlanne de stage rmunre en alternance dontbnficiaient jusqualors les futurs professeurs, avec un mi-temps en classe et lautre lInstitut Universitaire deFormation des Matres3. Les laurats des concours nontdonc plus pour exprience que cinq ou six semaines destages en deux annes de master, dont quinze joursseulement face aux lves. Prolongation des tudes,disparition de lanne de formation en alternancermunre, premire anne denseignement plein-tempssans vritable exprience de terrain, autant dechangements qui ont creus le dficit de candidatures.Cette dgradation des conditions de formation, largementrpercute par les mdias, a aggrav le dcouragementdes tudiants ventuellement intresss.

    Les IUFM, qui depuis vingt ans avaient la responsabilitde la formation des enseignants, ont au passage tlamins par la rforme. Non seulement parce que ladiminution du nombre de candidats les a vids dune partiede leurs tudiants, mais aussi parce que la disparition delanne de formation en alternance leur a fait perdre lacolonne vertbrale de leur dispositif de formation.

  • Nombreux et particulirement vindicatifs, les dtracteursdes IUFM ont en quelque sorte obtenu gain de cause aveccette rforme, mais rien nest venu remplacer ces institutspour organiser un nouveau dispositif cohrent deformation. Un an aprs sa mise en uvre, le diagnosticdchec de la rforme tait dj pos : le systme actuelmet les tudiants en situation dchec par accumulation decontraintes au lieu de les mettre en situation de russite crivait en octobre 2011 Jean-Michel Jolion4, prsident ducomit de suivi master , dans un rapport au ministre surla rforme de la formation des enseignants.

    La formation des enseignants est donc aujourdhui aucur de la crise scolaire. Elle en est la fois unsymptme, une des causes, et aussi sans doute, lune desissues possibles. Mais pour la comprendre, et pouressayer denvisager des solutions, il ne suffit pasdnumrer, comme nous venons de le faire, les raisonsles plus videntes de lactuel dficit de recrutement.Comme lcrivait dj Charles Pguy en 1904, Lescrises de lenseignement ne sont pas des crises delenseignement, () une socit qui ne senseigne pas estune socit qui ne saime pas5. Les causesimmdiatement perceptibles de lactuelle crise derecrutement et de formation doivent tre replaces dansune perspective plus large. Le gouvernement sorti desurnes au printemps 2012 a dailleurs inscrit la question dela formation des enseignants comme une priorit de sapolitique de refondation de lcole.

  • Cest pourquoi, pour tenter de rpondre la questionque pose le titre de ce livre, nous avons choisi de mobiliserle plus largement possible les informations et lesconnaissances que nous offrent aujourdhui les nombreuxtravaux de sciences humaines et sociales consacrs lducation, et plus particulirement ceux issus de lhistoireet de la sociologie. Ces travaux nous ont incits replacerla question de la formation des enseignants dans le cadreglobal de lvolution du mtier et du statut des enseignants.Des mtiers et des statuts devrait-on dire, puisque si lesmanires denseigner se ressemblent un peu partout etnvoluent que lentement, les enseignants sont loin deconstituer un groupe homogne, et leurs conditions detravail loin dtre partout quivalentes. Cest une deshypothses principales de ce livre : lun des problmesmajeurs de la formation des enseignants, cestlhtrognit dune profession la fois traverse denombreuses tensions internes et confronte une grandediversit de conditions denseignement. Il est de ce faitdevenu difficile denvisager une formation fonde sur laseule transmission de savoirs savants, conceptiondominante que nous avons hrite des IIIe etIVe Rpubliques. La formation dun enseignant doitaujourdhui ncessairement intgrer une part plussignificative de formation professionnelle lui permettantdapprendre ajuster ses manires de faire la diversitdes situations dexercices et des publics auxquels il estsusceptible dtre confront. Cest cette conception de la

  • formation que les IUFM avaient pour objectif dedvelopper, et lvidence, ils ont insuffisamment russi la mettre en uvre.

    Nous avons donc dabord tent dans ce livre dessayerde comprendre les raisons de cet chec. Cest pourquoi lepremier chapitre propose un bilan critique des IUFM ainsiquune synthse des contradictions internes de laprofession enseignante et de ses antagonismescatgoriels et syndicaux. Nous avons ensuite abordlanalyse de la profonde transformation des conditionsdexercice du mtier qua provoqu la massification delenseignement secondaire, et avec elle, la multiplication etles paradoxes des attentes de la socit contemporainevis--vis de son cole. Puis nous avons jug utile de faireun dtour hors de nos frontires, tant les comparaisonsinternationales et les politiques europennes jouentaujourdhui un rle important dans lvolution de nospolitiques ducatives. Enfin, un moment o la refondationde lcole est dactualit, nous avons pris le risque deconsacrer le dernier chapitre ce qui nous semble pouvoirconstituer les principes de base dune formation desenseignants adapte aux exigences de lcolecontemporaine, la hauteur des dfis scientifiques,conomiques et politiques auxquels la socit doitprparer les gnrations futures, sans pour autant renonceraux valeurs fondamentales hrites de lcole rpublicaine.

    1. la session du CAPES de mathmatiques 2011, le ratio tait de1,4 candidat par poste, sachant que tous les candidats inscrits ne se

  • prsentent pas aux preuves.2. Il y avait 25 500 postes offerts lensemble des concours

    denseignants en 2005 et 11 600 en 2011.3. Les IUFM ont t crs en 1990.4. Mastrisation de la formation initiale des enseignants, enjeux et

    bilan , rapport au ministre de la Recherche, 2011.5. Cit par Antoine Prost, Histoire de lenseignement en France, Armand

    Colin, 1981.

  • 1IUFM, pourquoi tant de haine ?

    Il faut abolir les IUFM proclamaient en 2005 lesanimateurs dun colloque intitul Pas de socit dusavoir sans cole1 . Ds leur cration en 1990 les IUFMont t lobjet de critiques du mme ordre, parfoisexprimes sur le mode de lanathme, et qui ont t assezlargement relayes dans lopinion publique. Pour y voirclair dans ce dbat passionnel et comprendre la situationactuelle, un bilan simpose. Nous avons commenc parexposer aussi objectivement que possible les faiblesses etles dfauts des IUFM, puis nous avons tent de recenserles acquis positifs de leurs vingt annes dexistence, avantdessayer didentifier pour conclure lorigine des critiquesles plus polmiques et les plus partiales dont ils ont tlobjet.

    Des critiques justifies

    Tous les chercheurs qui se sont intresss aux IUFM

  • sont daccord : leur cration a t dcide et organisedans lurgence. Larticle 17 de la loi dorientation du10 juillet 1989, dite loi Jospin , prvoit la cration dunIUFM par acadmie pour la rentre 1990. En octobre de lamme anne, un rapport du recteur Bancel indique lesprincipales orientations de ces nouveaux tablissements. la rentre 1990, trois IUFM exprimentaux sont ouverts.Lanne suivante, sans quaucun bilan ou valuation delexprimentation ne soit effectu, la dcision est prisedouvrir un IUFM dans toutes les acadmies.

    Pourquoi une telle prcipitation ? La rponse sembletenir pour lessentiel lagenda politique dalors : la gauchesattend une dfaite aux lgislatives de 1993, et LionelJospin sait que lide dune unification de la formation desenseignants rencontre beaucoup dhostilit chez lesprofesseurs du secondaire. Comme le ministre et sonentourage sont persuads que les IUFM sontindispensables pour rsorber le dficit de recrutement queconnat alors lducation nationale et pour rformerlenseignement du collge unique qui est en crise, ilsimposent cette marche force avant les lections. Avectoutes les consquences malheureuses quentranesouvent une telle prcipitation.

    La premire dentre elles, cest limprovisation delorganisation des instituts de formation et lopacit descritres de recrutement des premiers formateurs. Dsseptembre 1990, la revue Les Cahiers pdagogiques,dont les animateurs sont pourtant trs favorables la

  • cration des IUFM, la dnonce :

    Louverture des IUFM se prpare dans un manquecertain de transparence, quil sagisse des contenus etdes modalits de la formation, ou de la dsignationdes formateurs. Cette obscurit nest pas de nature mobiliser lensemble des enseignants pour un projetnouveau ; elle laisse se dvelopper des craintes,relles ou fantasmatiques, des manuvres ou dessoupons de manuvres ; elle permet ou mmesuscite des attitudes conformes des ambitionsindividuelles, l o il faudrait de larges engagementscollectifs ; elle laisse jouer le poids desadministrations et des groupes de pression,corporatifs ou disciplinaires, l o devrait natre unenthousiasme exempt de pesanteurbureaucratique2.

    Professeurs et formateurs des anciens tablissementsde formation3, militants des mouvements pdagogiques,militants syndicaux, animateurs des associationsdisciplinaires, corps dinspection, ont cherch simposerou imposer leurs fidles dans la nouvelle institution, soitpour prserver la situation qui tait la leur dans le systmeantrieur, soit pour conqurir de nouveaux territoires. Cesont les rapports de force locaux entre ces diffrentsacteurs qui ont arbitr ces conflits, ce qui a abouti unegrande diversit de configurations selon les IUFM.

    De cette foire dempoigne initiale sont ns des

  • compromis approximatifs entre la volont dunifierrellement la formation des enseignants du primaire et dusecondaire, et les cultures professionnelles souventantagonistes des diffrentes catgories denseignants. Ilfallait aussi tenir compte des antagonismes syndicaux dontnous parlerons au chapitre suivant. Cest pourquoi PhilippeMeirieu a pu crire que les IUFM devaient expier cecompromis initial dans une ngociation sans fin livrantlinstitution aux alas des vnements et des rapports deforces du moment4 . Cest ce qui a galement conduit faire coexister dans les IUFM des formateurs de statuts, decultures professionnelles et de niveaux de diplmes trsdiffrents, avec des obligations de service et des salairesgalement disparates :

    La volont de crer des quipes de formateursqui ont des statuts divers, qui travaillent dans un mmeenvironnement, est intrinsquement perverse et tientde la gageure. Les services varient dune catgorie lautre et cet tat de fait entrane de fortes divergenceset des mcontentements5.

    Autrement dit, loin de raliser une harmonieuse fusionentre les diffrents types de formateurs initialementimpliqus dans la formation des instituteurs dun ct etdes professeurs du secondaire de lautre, les IUFM ontplutt exacerb les rivalits en les faisant cohabiter. Mmesi le temps a pu progressivement attnuer ces rivalits, lestraces en sont souvent encore vives.

  • Dautant quen cherchant professionnaliser la formationdes enseignants, les quipes responsables des IUFM ontcr de nouvelles formations qui nexistaient pasauparavant et pour lesquelles il a fallu recruter en fonctiondes disponibilits locales, des comptences universitairesdisponibles ou des bonnes volonts des anciensformateurs.

    Ainsi, aprs une premire anne trs classique deprparation au concours, les jeunes laurats, devenusprofesseurs stagiaires, ont pu, dans certains cas, seretrouver au cours de la seconde anne en IUFM face une sorte de kalidoscope de formateurs et de situationsde formation. Aprs une confrence sur la psychologie deladolescent ou la sociologie de lducation avec ununiversitaire, ils pouvaient participer un petit groupedanalyse de pratique anime par un psychologuevacataire ou un enseignant fru de psychologie, puis suivreun cours de didactique ou dpistmologie de leurdiscipline dlivr par un collgue de lenseignementsecondaire, et enfin assister une sance dexpressioncorporelle anime par un comdien pour apprendre matriser leur corps ou placer leur voix en classe. Toutesces formations sont utiles pour apprendre le mtierdenseignant. Mais prsentes les unes la suite desautres, sans hirarchisation ni articulation, par desformateurs qui ne communiquaient pas entre eux et qui sesituaient des niveaux de rflexion trs ingaux, ellesapparaissaient souvent aux jeunes stagiaires comme unesuite dinterventions discontinues et sans cohrence. Dans

  • une lettre publie par Le Monde en septembre 2002, deuxjeunes professeurs agrgs dhistoire, Fabrice Barthlmyet Antoine Galagu, ont rsum dune plume acerbe cequprouvaient de nombreux professeurs stagiaires :

    La plupart des heures sont consacres au retourdexprience, sorte de discussion mi-chemin entrela sance de thrapie psychosociologique collectiveet les dbats frquemment pratiqus dans les dbitsde boissons. Lennui est la caractristique principalede ces runions ; puisquil faut bien meubler, lespauses caf sont innombrables. Quant aux cours depsychologie, sociologie et philosophie de lducation,ils nont quun rapport lointain avec les disciplinesuniversitaires du mme nom. Leur faillite est double :ils sont la fois dpourvus de tout intrt et de touteapplication pratique pour de jeunes professionnels audbut de leur carrire, ce qui naurait guredimportance sils ntaient de plus trs loin du niveauintellectuel quon serait en droit dattendre dun institutuniversitaire.

    On laura compris, cette critique se nourrit dun a prioringatif, mais largement aliment par le caractre ingal etdisparate des formations proposes.

    Du coup, les premiers critiques des IUFM ont souventt les utilisateurs eux-mmes. Critiques dautant plusvirulents quoutre le reproche dinefficacit de la formation,ces jeunes professeurs stagiaires se sont aussi souvent

  • plaints de subir un contrle infantilisant :

    Cest dabord linfantilisation qui est dnonce.Lobligation de prsence au cours, lvaluationdlicate de certains aspects de la formation (enparticulier les formations gnrales et communes), uncertain chantage la certification sontparticulirement viss6.

    L encore, les critiques sont certainement excessives,dautant quil tait normal que les professeurs stagiaires,qui taient rmunrs, fassent lobjet dun contrledassiduit, comme nimporte quel fonctionnaire. Mais cescritiques rendaient compte leur manire de lambigutdu mode de titularisation mis en uvre avec les IUFM.Auparavant la formation dans les coles normales (pour lesinstituteurs ou les professeurs de lenseignementprofessionnel) ou dans les centres pdagogiquesrgionaux (CPR, pour les professeurs des lyces etcollges) tait dissocie de la certification finale desprofesseurs stagiaires. Les formateurs de ces institutionsne dcidaient pas de la titularisation : coles normales etCPR dispensaient des formations, puis instituteurs etprofesseurs stagiaires taient titulariss par une inspectionen classe. Avec les IUFM est instaure une valuation parles formateurs qui a thoriquement priorit sur celle desinspecteurs. Un tel systme a videmment t trs malvcu par les corps dinspection, ainsi privs dune de leurprincipale fonction. Surtout, il renvoyait les jeunes

  • professeurs stagiaires un statut dtudiant dpendant delvaluation de leurs matres, alors mme quils pensaienten tre sortis : ils avaient t reus un concours, ilstaient rmunrs, considrs comme des collgues part entire au cours de leurs stages en tablissements.Pourtant, ils devaient sans cesse remplir des feuillesdmargement comme des lves, et ils se sentaientobligs de souscrire sans rserve aux jugements de leursformateurs par crainte dune valuation ngative. LIUFMne permettrait pas, malgr ses intentions affiches, ledveloppement dune vritable autonomieprofessionnelle , crit Michel Fabre7.

    La dernire consquence importante de la crationprcipite des IUFM correspond aux reproches du niveau intellectuel insuffisant dnonc par les deuxjeunes professeurs agrgs. Lorsque les premiers IUFMsont ouverts en 1990, le corpus scientifique qui aurait puservir de rfrence une formation professionnelleuniversitaire des enseignants est encore embryonnaire etdispers dans de multiples instances de formation. Lescoles normales dinstituteurs ou les coles normales delenseignement professionnel taient des univers clos danslesquels les formateurs avaient dvelopp desenseignements de didactique de leurs disciplines ou depsychopdagogie. Mais ils navaient que trs rarementdonn leur enseignement une dimension universitaire quilaurait rendu susceptible dalimenter une rflexion pluslarge8. Dans lenseignement secondaire, de nombreuses

  • rflexions de didactique des diffrentes disciplines taientmenes depuis longtemps, mais l aussi, ellesdemeuraient dans le giron des associations disciplinairesde professeurs ou au sein de linstitut national derecherches pdagogiques (INRP). Elles ntaient de ce faitque rarement prises en compte luniversit, qui secantonnait une prparation des contenus acadmiquesdes concours. Seuls les dpartements de sciences delducation pouvaient contribuer aider les IUFM. Maisleurs crations taient rcentes (1967), et ils nexistaientpas dans toutes les acadmies. Leur potentiel deproduction de recherches tait donc encore limit. Enoutre, ces dpartements, comme les autres dpartementsuniversitaires, ne souhaitaient pas ncessairementcollaborer trop troitement avec les IUFM :

    Localement, les universits nont pas vu dun bonil limplantation de ces structures nouvelles quiallaient empiter sur leurs prrogatives (...). Peu peu, dans la plupart des cas, les tensions se sontapaises. Tellement apaises que chacun travailledans son coin sans se soucier du voisin9.

    linverse de certains pays, la France ne disposait pasen 1989 dun capital de recherches en ducationsuffisamment solide et institutionnalis pour fonder uneformation universitaire qui aurait t capable dtayer larflexion de futurs professionnels sur les pratiques quilsallaient mettre en uvre.

  • Cest ainsi dans un contexte particulirement difficile queles IUFM ont eu mener leurs missions. Cest ce quiexplique en partie les alas des formations proposes etce qui apparat souvent comme des incohrences ou desinsuffisances. Pourtant, au-del des critiques objectivesque nous venons dvoquer, il est indniable que depuisleur ouverture, les IUFM ont aussi accumul des savoir-faire et dvelopp de nouveaux dispositifs de formation quiont rendu possible les missions qui leur ont t confies.

    Des acquis indiscutables

    Mme si le bilan de ces acquis est difficile raliserparce quil existe de forte disparit entre les lieux deformation, on peut identifier des russites objectives,contredisant le discours fortement mdiatis desinsuffisances organisationnelles ou des plaintes desforms.

    Lun des premiers objectifs confis aux IUFM taitdlargir le vivier de recrutement et de prparer auxconcours. Cette mission a t remplie avec succspuisque rapidement ces tablissements ont t confronts des effectifs trs importants quil a fallu encadrer : prsde 60 000 tudiants en 1re anne au dbut des annes199010 ! Pour des tablissements entirement nouveaux lechoc a t rude. Dautant plus que cette premire annede formation devait rendre la formation attractive tout engarantissant le mme niveau de recrutement. En proposant

  • un nouveau mode daccs la formation, les IUFM ontcontribu enrayer une baisse des inscriptions quidevenait proccupante. partir des annes 1990,laugmentation des inscrits est trs significative (+ 49 %dinscrits entre 1991 et 1997). Or si les IUFM ont tattractifs, cest parce la russite aux concours y tait plusleve grce aux prparations dlivres. Pour lesprofesseurs des coles, les taux de russite des candidatsissus des IUFM taient trs largement suprieurs ceuxdes autres : ils se situaient en moyenne dans un rapport de4 111. Pour le second degr, le rapport du Comitnational dvaluation12 a montr que les taux de russitedes candidats issus des IUFM et des autres candidats sontrespectivement de 20,7 % et de 10,4 % au CAPES, de36,4 % et de 10,3 % au CAPET, de 30,5 % et de 10,5 %au CAPLP13 . En moyenne, les chances de succs pourles concours du second degr taient en 1996, de 17 %pour les candidats IUFM et de seulement 9 % pour les hors IUFM .

    Mais ce nest pas l que les IUFM taient prioritairementattendus. Leur principale mission concernait les effectifsmoins importants de professeurs stagiaires (autour de35 000 en moyenne par an) mais des enjeux plus cruciaux.La volont politique lorigine de leur cration, tait dedvelopper une nouvelle culture professionnelle capable demieux prendre en compte les effets de la dmocratisationde lenseignement. Partant du constat des limites desmthodes traditionnelles et dune crise des vocations ,

  • cest une rnovation en profondeur du mtier denseignantqui tait engage via la formation. Il nest, par consquent,pas surprenant que des rsistances se soient mises enplace tant du ct des forms que des professionnels.Pourtant, limage densemble des IUFM qui se dgagedes valuations conduites par le CNE dans vingt-deuxdentre eux est positive. Pour lessentiel, et dans uncontexte souvent difficile, dont ce rapport fait tat, les IUFMremplissent les missions pour lesquelles ils ont t crs.Les avis sur la qualit des jeunes enseignants qui ensortent, recueillis auprs des inspecteurs et des chefsdtablissement rencontrs, sont convergents : ils sontmieux prpars leur mtier quauparavant14.

    Ds leur cration, la volont de former des enseignantsplus professionnels, cest--dire capables de mobiliser desconnaissances dans dautres domaines que ceux dessavoirs enseigner, a t le fil rouge de la formation. LesIUFM ont progressivement russi mobiliser, fairetravailler ensemble des personnels dont les culturesprofessionnelles taient souvent loignes, et fairemerger une conception de la formation construite sur lacomplmentarit des comptences. Mme si ladlimitation des territoires de chaque catgorie deformateurs reste encore fortement prononce, cetterflexion collective de fond sur les objectifs et les moyens mettre en uvre, a montr que la formation ne doit plusaujourdhui tre pense comme seulement acadmique ouissue de lexprience du terrain.

  • Le modle de formation propos par les IUFM sappuiesur une conception novatrice de lalternance entre les lieuxdapprentissage. Une part significative de la formation(formations didactiques, formations transversales,formations pdagogiques, formations en scienceshumaines) se rfre aux situations professionnellesrencontres lors des stages en classe et est travaille pardes quipes pluricatgorielles. Beaucoup de formateurs,quils soient enseignants de terrain ou enseignants-chercheurs, ont progressivement appris ajuster leursinterventions lexprience des jeunes enseignantsstagiaires. Cette formation, fonde sur larticulation forteentre pratiques et thories, a souvent permis de dpasserles modes de formation antagonistes qui taientjusqualors proposs : celui de la matrise professionnelleissue du terrain (modle applicationniste) et celui de lhomme de science expert dans la discipline enseigner.

    Pour accompagner ces transformations, il taitncessaire de dvelopper de nouveaux dispositifs deformation. Prenant appui sur la notion denseignantprofessionnel, dfini comme un enseignant sachantidentifier et analyser les problmes complexes quilrencontre afin dtre en capacit de sadapter dessituations nouvelles, les IUFM ont dclin cette dfinition enobjectifs et mthodes de formation. Deux dispositifs sontemblmatiques de cette nouvelle faon de penser laformation et son valuation : le mmoire professionnel etlanalyse de pratique.

  • Le mmoire professionnel, inspir de pratiquescourantes dans la formation dadultes, a t considrcomme loutil central de la nouvelle formation dlivre parles IUFM jusqu la rforme de la mastrisation. Dans unpremier temps, sa mise en place a t plutt difficile carelle heurtait trop fortement (surtout dans le second degr)une conception de la formation base sur la qualificationo seuls les savoirs disciplinaires taient jugsindispensables. Longtemps peru comme une perte detemps par les tudiants, le mmoire professionnel avaitfinalement t accept comme un outil de formation mmesi l encore de grandes disparits existaient entre lestablissements. Dans la majorit dentre eux, lobjectifassign au mmoire professionnel tait de mobiliser lesacquis de la recherche pour amliorer sa pratiqueprofessionnelle. Pour cela, il tait souvent attendu que larflexion soit taye par des donnes recueillies sur lesterrains dexercice. Ce faisant, le mmoire avait aussivocation sensibiliser les tudiants aux travaux derecherche, notamment en sciences sociales et humaines.Les professeurs stagiaires pouvaient par exemple laboreravec leur formateur de lIUFM une squencedenseignement dans une classe en tenant compte desrecherches en didactique de leur discipline, puis une fois lasquence accomplie en classe devant les lves, enanalyser les rsultats dans leur mmoire.

    Ces objectifs ambitieux nont t quen partie remplis etpour les forms, lexercice tait encore trop souvent peru

  • comme un exercice scolaire impos, relevant davantagede lvaluation que de la formation. Nanmoins, cedispositif de formation a construit des ponts entre lesdiffrents lieux dapprentissage et a permis aussidintroduire une rflexion construite sur des cas concrets etsur les apports de la recherche.

    Systmatise partir de 2002, lanalyse de pratiquesfait aussi parti des dispositifs structurant la formation enIUFM. Indissociablement lie lalternance, elle permetlanalyse a posteriori des situations vcues. Cest unedmarche de formation collective, encadre par desformateurs, qui doit aider les stagiaires dcrire etformaliser leurs expriences pratiques. Cette analyse estdveloppe laide de concepts issus de travaux derecherche dans les domaines de la pdagogie, de ladidactique et des champs universitaires tels que lapsychologie, la sociologie, la philosophie ou parfoislergonomie. Lobjectif final est, l encore, daidercollectivement les stagiaires trouver les gestesprofessionnels qui leur semblent les plus adapts leurfaon de concevoir et dexercer le mtier denseignant.Souvent, ces sances ont permis aux stagiaires, grce auxquestionnements de leurs collgues et du formateur, deraliser quil existe dautres manires plus efficaces defaire face aux difficults relationnelles ou cognitivesrencontres en classes que leurs ractions spontanes.

    Ainsi, les IUFM ont labor une conception plus prcisedes objectifs de formation en proposant des outils

  • permettant de les atteindre. Dailleurs on peut noter queces modles et dispositifs de formation (par exemple,lanalyse de pratique) se sont imposs comme tant larfrence dans de nombreux pays dEurope. Il estparadoxal que ces modles, tels quils taient propossavant la mastrisation , soient considrs comme desrfrences ltranger alors quaujourdhui ils peinent tre reconnus en France.

    Par ailleurs, lun des acquis des IUFM repose sur larecherche en formation. Dans ce domaine aussi, on nepeut contester quune dynamique15, sappuyant sur laproximit entre acteurs de terrain et les chercheurs, a tengage dans les IUFM autour de recherches spcifiquesproduisant des savoirs pour la formation. Celles-ci tendent dcrire et comprendre les processus dapprentissage etdenseignement en situation de classe ou de formationdadulte. Les apports de ces recherches, mme sils sontencore tnus, se situent dabord au niveau dunethorisation de la pratique. Il est vrai que les rsultats nontpas toujours t la hauteur des esprances, mais lamodlisation des pratiques professionnelles est toujoursdifficile raliser quel que soit le domaine dactivit. Ellelest encore davantage quand la dimension relationnelle dutravail occupe une place importante.

    Par ailleurs, une conception de la formation base sur larecherche oblige dfinir le rle que celle-ci doit avoirdans la formation. Les universits savent former larecherche mais plus difficilement par la recherche. Les

  • IUFM nont pas vit cet cueil et souvent les rsultats deschercheurs ont t minors parce que difficilementtransposables en formation. Cette difficult estparticulirement marque dans le domaine des sciencessociales et humaines parce que le public des futursenseignants est peu rceptif lintrt de ce type desavoirs en formation. En effet, nayant pas dans leurformation antrieure, un apport suffisant dans cesdomaines pour pouvoir comprendre les mthodologies quiles ont produits ainsi que la porte de ces rsultats, lestudiants leur accordent une place trs secondaire.Pourtant, il est difficile de nier, par exemple, lintrt pourun enseignant dacqurir des connaissances en matire depsychologie cognitive. Mais dune part, les approches descogniticiens sont trs diffrentes et parfois conflictuelles, etdautre part leurs analyses portent sur un individu en traindapprendre, et non pas sur vingt ou trente individus quiapprennent ensemble dans le contexte de la scolaritobligatoire. Pour que la psychologie cognitive enrichissevraiment la formation des enseignants, il faut donc que leformateur dIUFM se transforme en passeur des sciencescognitives vers la pratique enseignante. Cest videmmentune dmarche complexe, qui demande beaucoup detravail et de temps, et cest un des enjeux essentiels desnouvelles coles de formation des enseignants que legouvernement actuel envisage de mettre en uvre.

    Pour que les IUFM russissent davantage le pari delintgration de recherche la formation sans doute aurait-ilfallu leur laisser le temps de la maturation et leur permettre

  • ainsi de dpasser les critiques souvent striles etmalveillantes quils ont essuyes ds leur cration.

    Un anti-pdagogisme partial

    Intgrs dans les facs comme des chancres sur uncerveau sain , les IUFM, peupls par les charlatans qui jargonnent outrance dans leurs thses bidons ,sont la mthadone des crtins : cette critique virulenteet caricaturale, emprunte un site internet, rend assezbien compte du ton souvent employ par les dtracteursdes IUFM. Dans un langage plus soutenu, les animateursde la fondation Res Publica, prside par Jean-PierreChevnement, sont tout aussi vhments : les IUFMreprendraient les discours destructeurs des inspecteurs primaires en gnral, militants du particommuniste pour la plupart, soutenus par les cathos degauche pour promouvoir une pdagogie du vide etassurer le triomphe dune socit librale-libertaire etpetite bourgeoise, accorde un certain obscurantisme .Il y aurait donc complot, et ce complot associeraitcatholiques de gauche, communistes et petits bourgeoislibraux-libertaires dans le projet commun dunedestruction de lcole par la pdagogie du vide. Onconviendra quune explication de texte simpose.

    En dnonant une alliance entre communistes etchrtiens de gauche, les anti-pdagogistes font en faitallusion certaines caractristiques des principaux

  • mouvements pdagogiques franais, crs dans lesannes 1920-1930. Trois dentre eux, les plusreprsentatifs, sont toujours en activit et ont conserv unecertaine influence dans le monde ducatif : le GroupeFranais dducation Nouvelle (GFEN), cr en 1922, lemouvement Freinet qui sorganise au dbut des annestrente16, les Centres dEntranement aux Mthodesdducation Active (CEMEA) cr en 1936. Ils ont encommun deux tendances qui ont toujours suscit lamfiance ou lhostilit des dfenseurs de lcolerpublicaine traditionnelle.

    La premire est leur mixit politique et confessionnelle.Ils ont en effet t fonds aprs la premire guerremondiale, dans llan des mouvements pacifistes. Ilsrunissaient ceux pour qui une cole nouvelle devait tre lemoyen de construire une socit pacifique et plusfraternelle. Cest pourquoi ces mouvements associaientdes militants dorigines diverses, laques ouconfessionnelles, que runissaient autour dun projetducatif commun les mmes convictions pacifistes etuniversalistes. Clestin Freinet par exemple, est rvoqude lducation nationale en 1933 en raison de sesconvictions communistes. Mais la fondatrice des CEMEA,Gisle de Failly, vient dune famille de tradition catholiqueet elle sassocie avec un leader du mouvement scout,Andr Lefvre, qui a toujours revendiqu son catholicisme.Or tous se retrouvent au sein du GFEN. Lun des pionniersdes sciences de lducation en France, Gaston Mialaret,

  • qui a longtemps prsid le GFEN, revendique dans sescrits autobiographiques une triple inspirationintellectuelle : le marxisme, la psychanalyse et lepersonnalisme du philosophe chrtien Emmanuel Mounier.Le premier directeur de la recherche lInstitut national depdagogie, Roger Gal, qui a exerc jusquen 1966, tait luiaussi un militant chrtien, rsistant, collaborateurdEmmanuel Mounier et de la revue catholique Esprit. Plusprs de nous, la revue Les Cahiers pdagogiques, sansdoute la plus reprsentative des revues du militantismepdagogique contemporain, accueille dans son comit derdaction une formatrice retraite de lenseignementcatholique qui collabore rgulirement la revue. Cestpourquoi, mme si la filiation avec le catholicisme social neconstitue en ralit quune dimension mineure desmouvements pdagogiques, elle est pour lesantipdagogues un argument susceptible de sduire lafibre anticlricale de nombreux enseignants et de leurssyndicats. On comprend pourquoi nombre de pourfendeursdes IUFM et des sciences de lducation ont fait dePhilippe Meirieu leur cible privilgie : ancien lve delenseignement catholique et militant des Jeunesseschrtiennes, ce dernier ne renie pas son hritage. En1992, Meirieu crivait notamment dans un texteautobiographique, et dans un chapitre intitul sansambigut Les cathos de gauche :

    Jtais un pilier de laumnerie du lyce (...) je nerenie pas mes enthousiasmes adolescents (...)

  • Quelque chose se jouait, je crois (...) comme un effortpour rconcilier le primat paen du souci de soi et leprimat chrtien du souci de lautre17.

    La seconde tendance des mouvements pdagogiquesqui fche les dfenseurs de lcole rpublicaine, cest leurposture accusatrice lgard de lcole de laIIIe Rpublique. Ds lorigine, les militants de cesmouvements ont reproch lcole rpublicaine davoirport une part de responsabilit dans le dclenchement dupremier conflit mondial, la fois en raison de sonpatriotisme exacerb et de sa responsabilit dans laformation des lites qui avaient prpar la guerre. Ilscondamnaient explicitement des mthodes dducationtrop coercitives qui maintenaient selon eux les enfants etles adolescents sous le joug dune autorit arbitraire etauraient ainsi interdit lpanouissement de leur autonomieet de leur conscience citoyenne. Aprs les souffrances etles deuils de la Premire Guerre mondiale, les ducateurssentaient le poids de leur responsabilit dans le rle quedevait jouer lducation pour ltablissement de la paix dumonde. Il fallait affirmer les droits des enfants lexistenceen tant que personnes et crer les conditions de leurlibration et de leur autonomie18 , crivait en 1976Francine Best, prsidente dhonneur des CEMEA. Cestdailleurs cette commune condamnation dune conceptioncoercitive de lautorit qui explique le rapprochement demilitants issus du christianisme social avec des militantsdextrme-gauche. Les premiers regrettent une pdagogie

  • dextrme-gauche. Les premiers regrettent une pdagogiequi ne privilgie pas lpanouissement de la conscienceindividuelle. Les seconds condamnent une cole quiprfre lobissance lesprit critique. Cette condamnationdes formes pdagogiques traditionnelles demeure aucentre des critiques que les mouvements pdagogiquescontemporains adressent au systme scolaire.En tmoigne un manifeste des Cahiers pdagogiquespubli en 2007, loccasion des lections prsidentielles :

    Pour sinsrer et vivre dans un monde en volutionrapide et permanente, il faut savoir faire preuvedautonomie, de capacit danalyse et dinvention :une pdagogie active permettant aux lves deprendre des initiatives, dexprimenter, de dvelopperleur esprit critique et leur crativit doit tre mise enplace.

    Ainsi, on comprend mieux le lien avec mai 1968. Il peuten effet paratre tonnant de voir Jean-Pierre Chevnementou Rgis Debray critiquer lhritage de mai 1968 : ilstaient alors eux-mmes de trs actifs militants dextrme-gauche. Mais ces jeunes diplms de grandes coles(lcole normale suprieure, lENA) militaient dans desorganisations trs structures et trs hirarchises. Leur68 taient celui dune lite scolaire dont le projetrvolutionnaire tait nourri de philosophie politique et dehaute culture, et ils se vivaient comme une avant-gardeintellectuelle investie dune mission dducation desmasses populaires. Rien voir avec lautre 68, celui de la

  • revendication de jouissance libertaire, du cannabis, de lapop music anglo-amricaine et des babas cool. Sur ceterrain, les dfenseurs de lcole rpublicaine rejoignentsans hsitation les critiques venus de la droite. Ils sesituent sur le mme plan que, par exemple, Luc Ferry etAlain Regnault lorsquils dnoncent la pense 6819 ; ouencore les attaques plus rcentes de Nicolas Sarkozy lorsde sa campagne lectorale de 2007, qui disait vouloir enfinir avec 68 , et reprochait la gauche davoir prfr 68 Jules Ferry . Les uns comme les autres voientdans lanti-autoritarisme des mouvements pdagogiqueslhritage dune forme de libertarisme anarchisant que pourdes raisons diffrentes ils ont toujours combattu, et dont 68aurait t le point dorgue. Si certains rpublicainsaffirment sopposer la droite dans la critique desingalits sociales devant lcole, ils nen critiquent paspour autant les contenus et les formes scolairestraditionnelles. Il sagit au contraire pour eux de rendrepossible laccs du plus grand nombre aux filiresdexcellence, et non de discuter lautorit du professeursavant et ses mthodes de transmission du savoir.

    Or les formateurs et les universitaires des IUFM et desdpartements de sciences de lducation sinscrivent trssouvent dans lhritage de la pense des mouvementspdagogiques, auxquels ils appartiennent parfois. Leursdiscours dominants et leurs pratiques de formation sontconstruits sur le souci de rendre llve acteur de sesapprentissages et dinciter les jeunes enseignants

  • remettre en cause les pratiques pdagogiquestraditionnelles et la pdagogie dite magistrale ou frontale . Les animateurs des IUFM refusent clairementde prendre le pass pour modle : Face cette crisenouvelle, il est illusoire de rclamer de faon incantatoireun retour de formes scolaires rpublicaines idalises crivait la confrence des directeurs dIUFM ennovembre 2011. Pour reprendre une formule devenueclbre, cest pour eux llve qui est au centre du systmeducatif, pas le professeur. Ce qui peut videmmentdonner limpression quils se proccupent plus du confortde lenfant ou de ladolescent dans lcole que des savoirsquil faut transmettre aux lves et de lautorit de celle oucelui qui les transmet. Ils peuvent ainsi tre accuss davoirrenonc la mission ducatrice de lcole au profit dunpurocentrisme dmagogique. Il est donc facile pour leursadversaires, de gauche comme de droite, den faire leshritiers de mai 1968.

    Dernier reproche, enfin, adress aux IUFM et auxsciences de lducation, celui de la faiblesse de leurrflexion scientifique. On a vu que ce reproche pouvait tre lorigine partiellement fond par le caractreembryonnaire et disparate des recherches en ducation aumoment de la fondation des IUFM. Aujourdhui, cettecritique est beaucoup moins valide dans la mesure o laproduction des sciences de lducation estsignificativement plus cohrente et obtient unereconnaissance universitaire incontestable. Il estcependant invitable que les spcialistes des sciences de

  • lducation utilisent une terminologie souvent difficiledaccs aux non spcialistes. Cela ne traduit pasncessairement la vanit ou la suffisance de chercheursqui tenteraient de masquer la mdiocrit de leurs travauxderrire un langage sotrique. En fait, la plupart de ceschercheurs appliquent aux questions ducatives etpdagogiques des concepts emprunts aux scienceshumaines dont ils sont issus, notamment la psychologie, lasociologie, lconomie et la philosophie. Comme danstoutes les sciences, il sagit dun vocabulaire despcialistes qui correspond souvent des conceptsprcis, et qui se situe un niveau lev dabstraction. Cevocabulaire sadresse en fait aux autres spcialistes dansleur effort commun de production scientifique. Le problmepos ici nest donc pas celui de la validit des recherchesen ducation, mais plutt celui de les prsenter sansprcaution, et sans suffisamment sassurer de leurefficacit en classe, aux publics des IUFM, cest--dire de futurs enseignants qui ntaient ni psychologues nisociologues, et qui ne se destinaient pas le devenir.Rflchir la transposition didactique ou la zoneproximale de dveloppement , appliquer des dmarchesde psychologie clinique, de psychologie cognitive oudethnosociologie lanalyse dun cours, tout cela peut tretrs enrichissant pour un enseignant expriment qui vise amliorer sa pratique professionnelle. Mais pour un jeunedbutant essentiellement proccup de tenir sa classe ,lutilit dun tel niveau de conceptualisation nest pasimmdiatement vidente. Les adversaires des IUFM ont

  • donc abus de largumentaire du jargon, avec une certainemauvaise foi dans le cas de ceux qui taient eux-mmesuniversitaires dans des spcialits o le jargon despcialiste ne manque pas. Mais largument a fait moucheparce quil a pos un problme crucial, celui de latransmission des savoirs de recherches aux enseignantsen formation, cest--dire celui du passage des acquis dela recherche la pratique.

    1. Colloque organis en 2005 la Sorbonne par lassociation ResPublica.

    2. Cahiers pdagogiques, no 286, p. 54.3. Avant la cration des IUFM, les instituteurs et les professeurs de

    lyces professionnels taient forms dans des coles normales (colesnormales dapprentissage pour les professeurs de lycesprofessionnels) et les professeurs de lyces et collges dans des centrespdagogiques rgionaux (CPR).

    4. Dans la prface de Robert et Terral (2000), Les IUFM et la formationdes enseignants aujourdhui, Paris, PUF.

    5. Jacqueline Fontaine (1995), De gauche droite : ainsi vont les IUFM !Cahiers pdagogiques, no 335, juin, pp. 39-41.

    6. LIUFM et ses fantmes. Entre critique radicale, valuation experte etpolitique librale, Michel Fabre, CREN, Formation des enseignants,juillet 2009, http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2933

    7. Ibid.8. Beaucoup de formateurs de ces coles normales ont dailleurs t

    au dpart trs rticents sintgrer dans les IUFM.9. Lise Demailly et Danielle Zay (1997), Politiques et organisations

    dans la recherche-dveloppement : le cas des instituts universitaires de

  • dans la recherche-dveloppement : le cas des instituts universitaires deFormation des matres , Revue franaise de pdagogie, no 121, octobre-dcembre.

    10. Par la suite, les effectifs se situent au alentour de 50 000 pour lesannes 2000.

    11. C. Michaut (2010), Le recrutement des professeurs des coles :un effet IUFM ? , Recherches en ducation, no 8, pp. 24-37.

    12. Rapport du CNE (2001), Les IUFM au tournant de leur premiredcennie. Panorama et perspectives.

    13. Il sagit des trois concours de recrutement des professeurs delyce : enseignement secondaire, enseignement technique etenseignement professionnel.

    14. Ibid.15. Dynamique atteste par laugmentation du nombre de contrats de

    recherche impliquant des chercheurs (et des formateurs) travaillant dansles dpartements de sciences de lducation ou en IUFM.

    16. Le mouvement cr par Clestin Freinet porte le nom dInstitutcoopratif de lcole moderne (ICEM).

    17. Linavouable et lessentiel, itinraire de lecture et de recherche (1992), in Perspectives documentaires en sciences de lducation, p. 7-41,INRP.

    18. Cit dans Bordat D. (1976), Les Cema quest-ce que cest ? Paris,Maspro.

    19. Gallimard, 1985 ; Poche Folio, 1988.

  • 2Querelles de famille

    Les profs : ce diminutif universellement utilis renvoie limage dun corps enseignant uni, fortement soud parladhsion des valeurs communes et par la dfense deses prrogatives, fer de lance des revendications de lafonction publique. Cette image dpinal est pourtant depuislongtemps bien loin de la ralit dune profession qui a enfait toujours t divise. Les deux principales catgoriesdenseignants, les instituteurs et les professeurs, navaienten effet ds lorigine rien en commun. Dans lcole de laIIIe Rpublique, o lenseignement primaire scolarisait lesenfants du peuple tandis que lenseignement secondairetait pour lessentiel rserv une petite lite socialementfavorise, instituteurs et professeurs exeraient desmtiers totalement diffrents et signoraient mutuellement.La massification du systme scolaire de la seconde moitidu XXe sicle les a mis en concurrence, en particulier pourla matrise de lenseignement dans le collge unique. Lesdeux corporations rivales se sont alors affrontes, et leur

  • concurrence a t exacerbe par des rivalits syndicaleset politiques qui sont toujours dactualit, mme si lopinionpublique ne les peroit que trs rarement.

    Lge dor rpublicain ?

    Lcole rpublicaine est structurellement une allianceentre les lites intellectuelles et le peuple contre lespuissances conservatrices de la finance et des hritiers delancien rgime1. La formule est dlisabeth Alstchull,professeur dhistoire-gographie et fervente adversairedes pdagogistes2. Pour elle, comme pour beaucoupde dtracteurs des IUFM, la IIIe et la IVe Rpublique ont tun ge dor de lcole. Lalliance entre les litesintellectuelles et le peuple aurait alors permis unecole mancipatrice de diffuser dans le peuple uneinstruction solide et laque, et doffrir aux lves les plusmritants une chance de promotion sociale.

    De fait, un projet dinstruction pour tous tait bien aucur des discours des grands ducateurs de laIIIe Rpublique, de Jules Ferry Paul Bert en passant parRen Goblet. Mais les mots navaient pas tout fait lemme sens quaujourdhui. Instruction pour tous nesignifiait pas que cette instruction soit la mme pour tous.Lobligation scolaire, la gratuit et la lacit rigoureusetaient rserves lducation des enfants du peuple pourleur moralisation rpublicaine. Mais dans leur trs largemajorit, les rpublicains dalors nenvisageaient pas que

  • la scolarit primaire permette daccder largement lenseignement secondaire ou suprieur. Tmoin cediscours de Jules Ferry, applaudi par la gauche lors desdbats de 1880 lassemble :

    Le devoir de ltat en matire denseignementprimaire est absolu, il le doit tous () Mais quand onarrive lenseignement secondaire, il ny a plus lamme ncessit et la prtention ne serait plusadmissible si lon disait tout le monde a droit lenseignement secondaire. Non, ceux-l seuls y ontdroit qui sont capables de le recevoir et qui, en lerecevant, peuvent rendre service la socit.

    Les rpublicains ont ainsi construit une cole deuxvitesses, un systme dual pour reprendre la formule delhistorien Claude Lelivre.

    Dun ct, lenseignement primaire des IIIe etIVe Rpubliques ne sarrtait pas, comme aujourdhui enCM2. Il pouvait se prolonger pendant trois six ans dansdes cours complmentaires, des coles primairesuprieures ou des coles techniques. Cesenseignements taient gratuits, mais leurs programmes neprparaient pas au baccalaurat. Les lves titulaires ducertificat dtudes primaire qui le souhaitaient y taientadmis poursuivre des tudes jusqu ce quils obtiennentun brevet lmentaire ou suprieur, ou un diplmetechnique.

  • De lautre ct, les rpublicains ont poursuivi ledveloppement dun enseignement secondaire publiccompos des lyces dtat et des collges municipauxhrits de Napolon Ier. Lyces et collges publics sontrests payants jusquen 1930. Ils sont ensuite devenusgratuits, mais laccs la sixime a t filtr parlinstauration dun examen dentre spcifique, diffrent ducertificat dtudes primaires3. La plupart des lyces desgrandes villes abritait en outre des classes lmentairesparticulires dont les programmes taient diffrents deceux de lcole communale. Ce systme a dur, avecquelques modifications, jusquau dbut de laVe Rpublique. Lun des derniers lyces avoir abrit desclasses lmentaires a t le lyce Jeanson-de-Sailly,dans le 16e arrondissement de Paris.

    Pour reprendre la formule de lhistorien Antoine Prost,les IIIe et IVe Rpubliques faisaient en fait coexister deuxcoles parallles, une cole du peuple et une coledes notables . Majoritairement frquente par les enfantsde la bourgeoisie, seule la seconde prparait aubaccalaurat et aux tudes suprieures. Lenseignementsecondaire tait de fait lapanage de ceux que lesociologue Pierre Bourdieu a ensuite appel les hritiers . Pas ncessairement hritiers dun capitalfinancier, mais plutt hritiers de ce que Bourdieu a appelun capital culturel , cest--dire dun ensemble desavoirs et de comptences intellectuels et scolaires acquisau sein de leur famille et facilitant leur russite dans

  • lenseignement secondaire. Les enfants denseignants ontdailleurs t nombreux russir au lyce ou au collge,aux cts des enfants des professions librales et dequelques rares boursiers, forcment trs bons lves (lesbourses taient alors attribues par concours, en plus descritres sociaux).

    Les rpublicains ont certes favoris la promotion socialepar lcole, mais ils lavaient prvue slective et lente. En1938, cest moins de 30 % de la jeunesse qui poursuivaitdes tudes aprs lcole lmentaire, que ces tudessoient dans le secondaire, le primaire suprieur ou letechnique. Les diplmes dlivrs par lenseignementprimaire suprieur taient donc suffisamment rares pouravoir une valeur marchande significative. Lesenseignements primaires suprieurs et techniquesconduisaient en fait leurs lves, souvent doriginepopulaire, vers les postes dencadrement moyen ducommerce et de lindustrie, ou vers la carrire dinstituteur,via le concours dentre lcole normale, qui se passaitaprs le brevet lmentaire, vers 15 ou 16 ans. Comme laproclam Jules Ferry dans un discours dinaugurationdune cole technique en 1883, il sagissait de formerdes contre-matres, des sous-officiers pour larme dutravail . Cest dans cette filire, lcart delenseignement secondaire, que se jouait ce quon aappel la mritocratie rpublicaine .

    Secondaire, primaire suprieur et technique nedlivraient donc pas les mmes enseignements. Dabord

  • parce que la barrire du latin les sparait. Le latin taitrserv lenseignement secondaire4. Seul lebaccalaurat avec latin ouvrait laccs aux enseignementssuprieurs les plus prestigieux, droit, mdecine et grandescoles. Ensuite parce que les programmes delenseignement secondaire privilgiaient des contenusacadmiques conus en fonction dexigencesuniversitaires, alors que les programmes delenseignement primaire suprieur, et videmment delenseignement technique, taient conus en fonctiondexigences utilitaires. Mathmatiques thoriques dunct, approfondissement arithmtiques ou mathmatiquesappliques de lautre ; littrature dun ct, franais delautre. Selon la formule dun inspecteur gnral delenseignement primaire en 1892, quand le secondairerecherchait les qualits brillantes de lesprit , le primaireen dveloppait les qualits solides . Cest pourquoi lescours complmentaires et les coles primairessuprieures dlivraient souvent des enseignements decomptabilit ou de secrtariat en plus de lenseignementgnral.

    Secondaire et primaire suprieur fonctionnaient donc surdes logiques sociales et culturelles trs diffrentes. Ceslogiques, quon a ensuite juges en termes dingalitssociales, ont fait sous la IIIe Rpublique lobjet dunconsensus. Dans une socit encore trs marque par laruralit et dmographiquement domine par les catgoriespopulaires, lide de promotion sociale ntait pas centrale

  • dans les reprsentations collectives. On connat larsistance quopposaient parfois les familles dagriculteursaux instituteurs qui proposaient leurs enfants depoursuivre des tudes : le cot des tudes et le besoindutiliser toute la force de travail disponible lemportaientsur la chance offerte aux enfants. On connat moins larsistance qua longtemps oppos le syndicalisme ouvrier la poursuite dtudes : Ceux qui nous avons le plusappris sont ceux qui sont le plus atteints de jaunisse. Ils onttravaill en priode de grve ; ils semploient muselerleurs anciens camarades ; ils sont devenus contrematresou directeurs5 , crivait en 1908 un syndicaliste de laCGT propos des anciens lves de lenseignementtechnique. Pour beaucoup douvriers, la promotion socialepar lcole sapparentait alors une trahison de la classeouvrire.

    On comprend ds lors lambigut de lactuel discourssur la mritocratie rpublicaine de la premire moitidu XXe sicle. Certes, cette cole offrait la possibilit dunepromotion des meilleurs, mais cette promotion tait trslimite en quantit et en porte. Les enseignementsprimaires suprieurs et techniques accueillaient en 1939 peine plus de 10 % de chaque classe dge, et lapromotion offerte se limitait aux emplois intermdiaires dela hirarchie des entreprises et de ladministration. Quantaux boursiers du secondaire, leur nombre demeuraitinfinitsimal lchelle de la population. La mritocratierpublicaine construisait en fait un ascenseur social

  • accs rduit et deux tages gnrationnels : la premiregnration accdait une hirarchie sociale intermdiairepar lenseignement primaire suprieur ou technique, et lesenfants de cette premire gnration accdaient au lyceet lenseignement suprieur. Ascension en deux tapesdont tmoigne par exemple et de manire emblmatique latrajectoire du second prsident de la Ve Rpublique,Georges Pompidou : n en 1911, petits fils dagriculteursmodestes, fils dun couple dinstituteurs, il accde auxtudes secondaires puis lcole normale suprieure.

    Instituteurs et professeurs des IIIe et IVe Rpubliques nesinscrivaient donc pas dans une continuit pdagogique.Les premiers dlivraient aux enfants du peuple leviatique pour toute leur existence , prolong pour lesmeilleurs dentre eux par un enseignementprprofessionnel ou technique. Les professeurstransmettaient aux enfants de la bourgeoisie et quelquesboursiers trs slectionns une culture humaniste etscientifique. Ils voluaient donc dans des univers sociaux etculturels tout fait distincts.

    Des cultures professionnelles conflictuelles

    En 2009, lun des principaux slogans, scand lors dumouvement de protestation contre la rforme de laformation des enseignants tait : de la maternelle luniversit : enseigner un mtier qui sapprend . Ceslogan revendique une unit de la profession qui na en fait

  • jamais exist. Le terme enseignant est rcent et lescultures professionnelles des enseignants sontnombreuses et souvent antagonistes (Lang, 1999).Derrire cette volont unitaire, qui sera aussi affiche lacration des IUFM, se cachent en ralit principalementdeux mtiers et aux moins deux cultures professionnelles6 :celle des instituteurs et celle des professeurs delenseignement secondaire.

    La premire reposait lorigine sur une missiondducation morale (parfois politique) et dinstructionlmentaire des enfants issus des catgories populaires.Linstituteur, comme son nom lindique, instituait la fois laRpublique mais aussi llve quil devait transformer encitoyen duqu et instruit. Comme lcrit le sociologueBertrand Geay7, le futur instituteur, dot dune culturegnrale polyvalente, acqurait par imitation grce lcole normale (EN) une morale professionnelle et unensemble de savoir-faire pdagogiques. Le modle detransmission tait celui de lenseignant charismatique,vritable modle professionnel, incarn par le matre-formateur. LEN, parfois qualifi de sminaire laque enrfrence aux rgles quasi monacales que la vie eninternat imposait, confrait aux jeunes instituteurs uneidentit nouvelle et le sentiment dappartenance un corpsde mtier.

    Espace clos et austre, lcole normale assurait lacohsion idologique et thique du corps des instituteursainsi que sa reproduction. Cette formation visait autant les

  • corps que les esprits, car laccs et le maintien dans lafonction dpendaient tout particulirement de la faon dese tenir, dans les diffrents sens du terme. Ainsi, la Revuepdagogique daot 1881 cherchait dfinir le maintienconvenable de linstituteur :

    Il doit tre modeste sans timidit, grave sansaffectation (...) Le corps doit tre tenu droit, ainsi quela tte, les yeux lgrement baisss car ce serait delimpertinence ou de leffronterie de regarder fixementtout le monde.

    Mme sils taient souvent dj bien prpars en amontpar les annes passes sur les bancs de lcole, cest une vritable conversion morale et idologique que sontsoumis les futurs instituteurs. La croyance dans lcole etdans les missions de lenseignant est cette poqueproche de la foi :

    Alors que la charge daumnier est supprime en1883, cest une nouvelle foi, ciment dune nouvellesocit, quil sagit de faire rgner, une sorte despiritualisme scientiste, visant au dpassement desconflits sociaux par la vertu et dont le corps doctrinalrepose sur les acquis de la connaissance positive8.

    Les professeurs du secondaire nont ni le mme publicni les mmes missions. Ils enseignent des lves dj engrande partie convertis par leur ducation familiale aux

  • valeurs de lcole et se proccupent peu dducation maissurtout de la transmission des savoirs scolaires. Munisdune formation universitaire de haut niveau, ils doivent leurrputation bien moins des mthodes denseignementqu des connaissances acadmiques dans une disciplinescolaire. Leur culture professionnelle est marque parlexclusion progressive des tches autres que celles lies la transmission des connaissances et par la spcialisationdisciplinaire. La figure de prou de cet enseignant est sanscontexte lagrg. Moins nombreux que ceux du primaire,les enseignants du secondaire sont convaincusdappartenir une lite intellectuelle et dfendentmajoritairement dans lcole et auprs de leurs lves unmodle de lexcellence scolaire dont la disciplineenseigne est le pivot. Pour cela, un modle pdagogiquedit de la Leon va simposer et perdurer jusquaux annes1960. Sappuyant sur ce modle, lexercice professionnelest pens prioritairement par la transmission magistraledun savoir qui va du matre aux lves. La comptenceprofessionnelle repose quasi exclusivement sur la matrisede la discipline enseigne (Guibert, Lazuech, Rimbert,2008).

    Dans ce contexte, la ncessit dune formationpdagogique pour les enseignants du second degr paratinutile et dailleurs, il nexiste pas de formation initialeprofessionnelle systmatique avant les annes 19509. Unaccompagnement en dbut de carrire et la formationacadmique transmise par lUniversit sont considrs

  • comme suffisants pour tre un bon enseignant. Comme lamontr lhistorien Yves Verneuil10, le lobby constitu par lasocit des agrgs a systmatiquement refus au nomde ce principe la plupart des tentatives de rformer laformation des enseignants.

    Pour les plus farouches dfenseurs de ces deuxconceptions du mtier, ces cultures professionnelles sontdonc irrductibles. Certes, chacun de ces deux corpsdenseignants jouit dun prestige certain : Monsieurlinstituteur est souvent considr comme le savant de son village, et en ville, le professeur est respect deslves et de leurs parents pour ltendue de sa culture.Mais en ralit, tout les spare : les premiers ont suivi lafilire de lenseignement primaire suprieur et des colesnormales, les seconds sont alls luniversit. Lespremiers savent larithmtique, lorthographe, les grandesdates de lhistoire et la gographie de la France, un peu desciences naturelles ; les seconds ont tudi le latin au lyceet la discipline quils enseignent luniversit. Auxpremiers, on demande de dlivrer un enseignementsimple, accessible tous. Aux seconds revient la formationdune lite cultive. Les professeurs sont conscients decette supriorit et la revendiquent : Les instituteurs neseront jamais que des bacheliers amliors, seul leSecondaire est formateur de lesprit critique et garant de lalibert de lhomme , pouvait-on lire en 1957 dans lejournal du Syndicat national de lenseignement secondaire.Pour certains universitaires et agrgs, les enseignants du

  • primaire taient mme des incapables prtentieux11 ,dangereux pour lcole et pour les enfants quilspervertissaient par lintroduction dune rflexionpdagogique ou didactique nfaste la transmission dessavoirs.

    On a donc historiquement deux corps enseignantsdistincts, deux cultures professionnelles et deux coles deformation. Jusquen 1941, les instituteurs ne passent pas lebaccalaurat. Ils poursuivent aprs le CM2 jusquau brevetlmentaire, puis passent le concours de lcole normale,et 18 ans commencent leur carrire. Dans le secondaire,les professeurs sont titulaires soit dune licence, soit dutrs slectif et prestigieux concours de lagrgation. partir de 1950, un nouveau concours, le CAPES, sesubstitue au recrutement des licencis. Pour tre complet,il faut prciser qu ces deux catgories initialesdenseignants, sajouteront partir des annes cinquanteles professeurs de lenseignement professionnel,aujourdhui professeurs de lyces professionnels (PLP),dont la culture professionnelle se distingue galement desdeux prcdentes.

    Ces clivages anciens sont vivement ractivs dans lesannes 1980 : la cration des IUFM apparat alors commeune prise de pouvoir par les primaires . En effet, on a vuque parmi les ides fondatrices des IUFM, on trouve lafois la cration dun corps unique de professeurs(professeurs des coles pour le premier degr et descollges et lyces pour le second) mais aussi une

  • formation en partie commune de tous les enseignants. Ceprojet duniformisation des comptences professionnellesdes enseignants a suscit de vives critiques de la part decertaines organisations professionnelles ou dune partiedes corps dinspections.

    Les dfenseurs des cultures professionnelles de chaquecorps, et principalement de celle du secondaire, se sontdonc vigoureusement opposs la cration de cesinstituts. Mme sils nemployaient pas le ton polmiquedes opposants radicaux que nous avons voqu auchapitre prcdent, les premiers rapports sur lefonctionnement des IUFM mettent clairement en avant cesconceptions antagonistes du mtier. Dans le rapport Kaspi(1993) on peut lire qu il faut rompre avec lutopiesimpliste du corps unique , et le rapport Gouteyron (1992)note quil subsiste une diffrence fondamentale entre laprparation du futur enseignant des coles, qui doitcomporter une part importante de pdagogie ainsi quuneformation disciplinaire suffisante et la formation du futurenseignant du second degr pour laquelle le progrspdagogique passe par un niveau de connaissances trslev . Le rapport des inspecteurs gnraux Borne etLaurent (1992) distingue deux types de professionnalit :celui de linstituteur qui exerce consciemment unartisanat et celui du professeur qui exerce un artlibral . Les IUFM sont aussi accuss sous prtexte deprofessionnalisation de marginaliser lenseignementdes disciplines au profit de la psychologie, de lapdagogie et de la communication et de transformer les

  • professeurs en animateurs socioculturels et lestablissements scolaires en lieux de vie12 .

    Il nest videmment pas surprenant que ces diffrencesde cultures professionnelles, et parfois ces antagonismes,se traduisent aussi dans laction syndicale.

    Une unit syndicale de faade

    La moiti des enseignants en grve contre lessuppressions de postes : ce titre du Monde, loccasiondune grve en 2011, est typique de la manire dont lesmdias restituent laction syndicale des enseignants. Elleconforte lopinion publique dans la reprsentation dun corps enseignant solidaire, reprsent par dessyndicats unis dans laction revendicative. La ralit estautre. Le syndicalisme enseignant est en fait clat etconcurrentiel : en 2011, aux lections professionnelles duministre de lducation nationale, dix fdrationssyndicales diffrentes prsentaient des candidats.

    Si le syndicalisme enseignant existe ds le dbut du XXesicle, cest surtout aprs la seconde guerre mondiale quesont apparus des conflits catgoriels et politiques qui ontcreus des fractures syndicales encore perceptiblesaujourdhui. Ces conflits ont t provoqus par laconjonction de tensions politiques internes la gauche etde rivalits entre les diffrentes catgories denseignants propos des rformes du systme scolaire.

    Dans un premier temps, les syndicats enseignants

  • Dans un premier temps, les syndicats enseignantsavaient sembl chapper aux conflits politiques. En 1947,la FEN choisissait de devenir un syndicat autonome,indpendant des partis politiques13. Les statuts de lafdration autorisaient nanmoins lexpression interne de tendances : lune pour ceux des militants proches duParti communiste, lautre pour la tendance majoritaire anti-communiste. En outre, dautres syndicats enseignantsexistaient aussi, mme sils taient encore trsminoritaires : le SGEN, affili la Confdration franaisedes travailleurs chrtiens (CFTC), les syndicats restsaffilis la CGT, ceux qui avaient rejoint Force ouvrire, etun syndicat plutt class droite, le SNALC. Enfin, au seinde la FEN, les deux grandes catgories denseignants,instituteurs et professeurs, dont on a vu combien leursidentits respectives sont diffrentes, appartenaient deuxfdrations distinctes : le SNI (Syndicat national desinstituteurs), et le SNES (Syndicat national delenseignement secondaire). On voit que sinstallait dscette poque un jeu complexe doppositions croises entredes intrts catgoriels (schmatiquement les professeurscontre les instituteurs) et des enjeux politiques(schmatiquement, les communistes contre la gauche noncommuniste ou la droite).

    Ces oppositions se sont progressivement exacerbesau fur et mesure que se mettaient en place les rformesqui ont abouti la cration du collge unique en 1975. Ds1945, le principe dune orientation prcoce la fin delcole lmentaire, qui sparait pour lessentiel les enfants

  • des milieux populaires de ceux des milieux plus privilgis,a t vivement remis en cause. Des politiques, dessyndicalistes, des intellectuels et des conomistesreprochaient ce systme son injustice, mais aussi legaspillage de ressources humaines quil provoquait unepoque o la croissance conomique augmentait lesbesoins en cadres, en chercheurs, en enseignants ou eningnieurs. Une commission de rforme prside par lephysicien Paul Langevin puis, aprs son dcs, par lepsychologue Henri Wallon, avait en 1947 propos deprolonger lobligation scolaire 18 ans et lunification detoutes les filires du premier cycle de lenseignementsecondaire. Trop instable, la IVe Rpublique a chou raliser les rformes attendues. Mais, ds 1959, De Gaullemet en uvre ce quon appel la dmocratisation delenseignement. Cest ainsi que de 1959 1975, lascolarit obligatoire est prolonge jusqu 16 ans tandisque les cours complmentaires, les premiers cycles deslyces et dautres filires parallles sont progressivementfusionnes au sein du collge unique.

    Or la cration de ce nouveau collge obligeait dciderquel type denseignement allait y tre dlivr, et par qui.Devait-on ouvrir tous les jeunes lenseignement trsacadmique du lyce, ou devait-on sinspirer plutt descontenus moins abstraits et des mthodes plusprogressives de lenseignement primaire ? Pour lesprofesseurs comme pour les instituteurs, cette questiontait vitale. Jusquen 1959, lenseignement dans les cours

  • complmentaires avait constitu la seule voie depromotion des instituteurs, ils espraient donc que lecollge unique allait le rester. Quant aux professeurs,laccs au collge leur offrait de nouveaux dbouchs, etdonc une chance daugmenter leur nombre et daccrotreleur influence dans la FEN. Les deux syndicats ont ainsidfendu pendant plus de vingt ans des conceptionsantagonistes. Les porte-parole des instituteurs jugeaientles professeurs compltement coups des milieuxpopulaires (...), donc incapables de se mettre la portede la masse des enfants , crit lhistorien Antoine Prost(2004). Ils revendiquaient donc le monopole delenseignement dans le premier cycle du secondaire unifi.Les porte-parole du SNES jugeaient cette prtentiondangereuse pour la qualit de lenseignement dont ils sevoulaient les garants. Lenseignement secondaire doitdemeurer le gardien vigilant dune culture classique etmoderne , martelait le SNES ds 1954, ajoutant que lesinstituteurs, recruts comme ils le sont aujourdhui, nepeuvent avoir accs au secondaire proprement dit14 .

    Le conflit sest fortement aggrav partir de 1967,lorsque la tendance communiste a emport la majorit auSNES. Au catgoriel sest ds lors ajout le politique :laffrontement SNI/SNES sest doubl dun affrontementPS/PC15. Et derrire ces affrontements se jouent aussides enjeux financiers, mconnus du public, maisessentiels : les grandes mutuelles enseignantes (MGEN,MAIF, CAMIF, CASDEN-PB, MRIFEN) 16 taient depuis

  • toujours aux mains des militants du SNI et pouvaientapporter des soutiens matriels apprciables. En outre, la mme priode, les autres syndicats profitent delagitation de la fin des annes soixante pour progresserdans le monde enseignant : dans llan de la cration de laCFDT en 1964, le SGEN devient le syndicat favori desmilitants pdagogiques, tandis qu loppos de lchiquierpolitique, le SNALC accueille ceux qui avaient t hostilesaux vnements de mai 1968.

    Aussi lorsquen 1975, le ministre de lducation deValry Giscard dEstaing, Ren Haby, cre le collgeunique, il cherche un compromis entre les diversestendances. Aprs de difficiles ngociations, il accepte queles programmes et les mthodes demeurent celles deslyces, mais obtient que les anciens instituteurs des courscomplmentaires puissent continuer enseigner aucollge sous le nom de professeur denseignement gnralde collge (PEGC), en parallle avec leurs collguesprofesseurs certifis ou agrgs. Ce compromis taitvidemment peu fiable et laffrontement entre les deuxcatgories denseignants et les deux tendances politiquesa rapidement repris. la fin des annes 1980, il atteint sonparoxysme.

    Alors que la gauche est au pouvoir, deux nouvellesquestions dominent la scne scolaire : la crise delenseignement secondaire et le dficit de recrutement desenseignants. En 1989, le Premier ministre, Michel Rocard,et le ministre de lducation nationale, Lionel Jospin,

  • proposent une solution commune aux deux problmes enassociant trois rformes : une revalorisation salariale, lacration dun corps spcifique de professeurs de collgeset une nouvelle organisation de la formation desenseignants. Il sagissait de reconnatre que le collge tait une tape charnire qui ncessitait une pdagogie etdes programmes spcifiques, et de dlivrer auxenseignants une formation professionnelle commune tous les niveaux pour amliorer la progressivit desenseignements de lcole primaire aux lyces. Enchange, les salaires devaient tre revaloriss. Ladirection de la FEN accepte le march, mais le SNES lerefuse. Lun des principaux points de dsaccord estvidemment la question du corps spcifique deprofesseurs de collge, qui pouvait apparatre comme unemanire de chasser les professeurs certifis et agrgs ducollge unique. Le SNES a alors lhabilet de soutenir uneautre revendication des instituteurs, lgalit de salaireavec les professeurs, ce qui fait basculer le SNI en safaveur. Jospin doit donc cder et renonce la cration ducorps de professeurs de collge. Comme lcrit lhistorienGuy Brucy, le SNI est alors partag entre la consciencedune victoire historique lgalit de dignit enfinconquise entre instituteurs et professeurs et le constatamer dune dfaite labandon du corps des professeursde collges17 .

    Mais si Jospin a cd sur le collge, il a en revancheobtenu la cration des Instituts universitaires de formation

  • des matres (IUFM). Ds 1991, toutes les acadmiesouvrent un IUFM. Ces tablissements doivent dlivrer auxjeunes enseignants stagiaires, juste aprs leur succs auxconcours, une formation professionnelle communerunissant instituteurs (devenus professeurs des coles etrecrut avec une licence) et professeurs. Demble, ceprojet cristallise nouveau conflits catgoriels et politiques.On a vu que les dfenseurs dun enseignement secondairetraditionnel voient dans une formation professionnellecommune au primaire et au secondaire le retour dunetentative de primarisation du secondaire. Ils craignentque la culture psychologique, sociologique etphilosophique que les IUFM veulent transmettre auxprofesseurs stagiaires nuise lapprofondissement dessavoirs disciplinaires. Mais ils reconnaissent aussi dans ceprojet la trace dune vieille revendication du SGEN uncorps unique denseignants de la maternelle auxterminales . Or le SGEN, qui syndicalise de nombreuxmilitants pdagogiques, a aux yeux des syndicalistes lacsle dfaut davoir t fond par le syndicat des travailleurschrtiens et daccueillir en son sein des chrtiens degauche . Les militants du SGEN vont tre recruts asseznombreux dans les IUFM. Ces instituts deviennent ainsi lenouveau thtre dun affrontement syndical qui opposesouvent le SNES et le SGEN.

    Le SNES a de ce fait toujours adopt des positionsambigus lgard des IUFM, alors que les SGEN etlUNSA18 les ont vigoureusement dfendus. Ainsi,

  • lorsquen 2008 Nicolas Sarkozy annonce son intentiondlever le recrutement de tous les enseignants au niveaudu master, ce qui laissait augurer une forte diminution durle des IUFM dans la formation des professeurs dusecondaire, le SNES approuve la mastrisation alorsque le SGEN et lUNSA condamnent laffaiblissement desIUFM. En mai 2009, cette opposition se concrtise pardeux votes diffrents au sein dune instance paritaire duministre : appels se prononcer sur les dcretsorganisant les nouvelles modalits de formation desenseignants dans le cadre de la mastrisation , leSGEN et lUNSA votent contre alors que la FSU sabstient.Oppositions politiques et intrts catgoriels continuent dedessiner des lignes de fracture qui se portent dsormaisnotamment sur la question de la formation desenseignants. Derrire la faade des revendicationscommunes, les divisions syndicales sont toujours aussivives.

    1. Colloque Pas de socit du savoir sans cole , fondation ResPublica, 2005.

    2. Elisabeth Altschull dfinit ainsi les pdagogistes : desidologues qui prtendent rsoudre par leur nouvelle pdagogie desproblmes quils ont le plus souvent crs en obligeant le systme renoncer ses exigences antrieures.

    3. Cet examen dentre en sixime a exist jusquau dans la premiremoiti des annes 1960.

    4. On peut aussi noter que jusquen 1924 le latin tait rserv auxgarons, rendant trs difficile aux filles laccs aux mtiers les plus

  • prestigieux.5. Cit par Charlot B. et Figeat M. (1985), Histoire de la formation des

    ouvriers, Paris, Minerve.6. Il faudrait pour tre plus exhaustif ajouter une autre catgorie

    denseignants : ceux du professionnel et du technique qui, bien que plusproches des instituteurs, ont pendant longtemps tir leur lgitimit de leurexprience en entreprises.

    7. B. Geay (1999), Profession : instituteurs. Mmoire politique et actionsyndicale, Seuil.

    8. Ibid.9. Cest la suite de la cration du CAPES, en 1950, que sont fonds

    les centres pdagogiques rgionaux (CPR).10. Y. Verneuil (2005), Les agrgs. Histoire dune exception franaise,

    Paris, Belin.11. Termes employs en 1957 dans la revue du Syndicat national de

    lenseignement secondaire.12. E. Badinter, R. Debray, A. Finkielkraut, E. de Fontenay, C. Kintzler

    (1990), Souvenez-vous des professeurs , Le Monde, 25 novembre.13. Lorsquen 1947 les communistes quittaient le gouvernement et

    faisaient clater le tripartisme en vigueur depuis la Libration, laFdration de lducation nationale (FEN) refusait de suivre lescommunistes la CGT ou les autres militants Force ouvrire.

    14. Cit par Guy Brucy (2003), Histoire de la FEN, Belin, p. 266-267.15. La proximit du SNES avec les communistes tait encore

    dactualit en 2010 : Grard Aschieri, qui a t secrtaire gnral de laFdration syndicale unitaire (FSU), la nouvelle organisation laquelleappartient le SNES, de 2001 2010, a appel en 2012 voter pour lecandidat que soutient le Parti communiste, Jean-Luc Mlenchon.

  • candidat que soutient le Parti communiste, Jean-Luc Mlenchon.16. Deux de ces organismes ont aujourdhui fait faillite : la CAMIF

    (Cooprative dAchat Mutuelle des Instituteurs de France) et la MRIFEN(Mutuelle de Retraite des Instituteurs et des Fonctionnaires de lducationNationale). Les autres sont la Mutuelle Automobile des Instituteurs deFrance, le Mutuelle Gnrale de lducation nationale et la CASDEN, unebanque cooprative du groupe Banque Populaire.

    17. Brucy, op. cit., note 36.18. En 1993, la suite des affrontements permanents entre tendances,

    la FEN sest disloque. Autour de lancien SNI sest cre lUNSA, tandisque le SNES a cr la FSU. Cest la naissance du paysage syndical quelon connat aujourdhui avec la FSU et lUNSA, auxquels sajoutent lessyndicats lis aux centrales de salaris (SGEN pour la CFDT, FO, CGT,Sud), plus quatre organisations minoritaires.

  • 3Enseigner, un mtier ou des mtiers ?

    De 5 % de bacheliers par classe dge dans les annescinquante, on est pass aujourdhui 70 %. Ce chiffreillustre lui seul la force de la transformation qua subi enlespace de deux gnrations notre systme scolaire.Cette massification de lenseignement secondaire et latransformation de ses publics, lmergence dexigencesnouvelles dans une socit qui prend plus en compte lesindividus, les besoins de lconomie, les ambitions desfamilles, ont la fois multipli les attentes lgard delcole et considrablement compliqu le travail desenseignants. Selon le lieu dexercice, le niveau des lveset les particularits de chaque tablissement, lesenseignants exercent dans des conditions et avec desobjectifs tellement diffrents quil est sans doute plus justeaujourdhui de parler de mtiers enseignants au pluriel.

    clatement des finalits

  • Lutte contre lchec scolaire et le redoublement,orientation professionnelle, information sur les risques delalcool et des drogues, initiation la conduite routire,ducation sexuelle Depuis les annes 1960, lcole a dassumer de nouvelles finalits dducation et dinstruction,de plus en plus nombreuses, diverses, et parfois trsloignes de sa mission originelle. Parce quelle exercedsormais sur lducation de lenfance et de la jeunesse unquasi-monopole, lcole a d prendre en charge desresponsabilits nouvelles. Le mtier denseignant sen esttrouv inluctablement affect.

    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, lesexigences de la reconstruction et linterventionnisme deltat en matire conomique ont abouti une croissancespectaculaire des enseignements techniques etprofessionnels. Aujourdhui, la moiti des lycens sontdans les lyces professionnels ou les filirestechnologiques du secondaire, et les bachelierstechnologiques ou professionnels reprsentent 47 % delensemble des bacheliers. Lcole franaise assume doncdsormais une responsabilit majeure dans la formationprofessionnelle des ouvriers, des employs et destechniciens. partir des annes soixante, cette tendancevisant rapprocher le systme scolaire des besoins deformation professionnelle est devenue une ligne directricedes politiques ducatives. Cela sest notamment traduitpar le dveloppement des stages en entreprises,systmatiques en lyces professionnels, mais galementgnraliss pour les classes de troisime de collge.

  • Dans de nombreux collges, fonctionnent en outre desclasses de troisime dont lhoraire est modifi pour queleurs lves puissent suivre des cours de dcouvertesprofessionnelles en lyce professionnel.

    Dans la mme logique de recherche dune relation plustroite entre lcole et le march du travail, les annescinquante et soixante ont vu lessor des dispositifsdorientation. la fin des annes 1990, plusieurs notes etcirculaires du ministre ont instaur lducation lorientation comme une mission de lcole qui doitsexercer sur le temps scolaire. Devenue aujourdhui ducation aux choix , cest dsormais une des missionsattribue au professeur principal de chaque classe decollge et de lyce1 : Le professeur principal a uneresponsabilit particulire dans le suivi, linformation et laprparation de lorientation des lves2. Depuis 2006, leprofesseur principal est notamment suppos organiser des entretiens dorientation avec tous les lves detroisime.

    Mais ds lors que la formation professionnelle etlorientation deviennent de la responsabilit de lcole dansun contexte de croissance du chmage, lchec scolairechange de nature. En effet, tant que les diplmes dlivrspar lcole navaient pas de lien direct avec les emplois surle march du travail, lexception de la minorit dediplms des universits de mdecine, de droits ou descoles dingnieurs, lchec scolaire navait pas deconsquence directe sur linsertion professionnelle. La

  • plupart des emplois douvriers, demploys, de cadresmoyens, dartisans ou de commerants, les plus nombreuxdu march du travail, tait accessible avec ou sansdiplme. linverse, lorsquune large majorit de jeunespoursuivent des tudes de niveau secondaire ousuprieure dans des filires qui sont organises encorrlation avec des besoins professionnels, lchecscolaire devient un problme social etconomique puisquil peut conduire lexclusion sociale etau chmage. Le principe dgalit des chances prenddonc aussi un sens diffrent : il ne sagit plus seulementdgalit devant laccs une culture gnrale etscientifique commune, il sagit dgalit devant laccs aumarch du travail.

    Cest pourquoi ds le dbut des annes 1980, la luttecontre lchec scolaire est devenue une nouvelle missionde lcole. Depuis 1981, on a pratiqu une politique dite de discrimination positive . Il sagit didentifier, partir decritres sociaux, des zones ou des tablissementsparticulirement exposs aux risques dchec scolaire etde leur donner des moyens supplmentaires pour yremdier. Des ZEP (Zones dducation Prioritaires) de1981 aux tablissements ECLAIR ( coles, Collge,Lyces, Ambition, Innovation, Russite ) daujourdhui, uncertain nombre dcoles, de collges et de lyces ont reudes financements complmentaires pour mettre en uvredes dispositifs de lutte contre lchec des lves endifficult.

  • Cette proccupation de rduire lchec scolaire expliqueaussi pourquoi le ministre a incit lensemble destablissements et de leurs enseignants rduire aumaximum les redoublements. En effet, statistiques etenqutes concordent, en France comme ltranger, pourdmontrer que les redoublements aggravent plus souventlchec quils ny remdient3. Le redoublement est aussi,avec labsentisme, peru comme un symptmeannonciateur dun abandon prcoce des tudes, ce quelon nomme aujourdhui le dcrochage scolaire4 . Leministre a donc dfini une nouvelle mission pour lesprofesseurs de collge : Tous les jeunes de moins de16 ans ont droit lducation et le devoir dtre assidus.Lcole prvient et repre le dcrochage scolaire . Leschefs dtablissement sont ainsi incits mettre en uvrede nombreux dispositifs pour limiter les redoublements,enrayer labsentisme et prvenir le dcrochage scolaire.De 16,5 % de redoublants en 5e en 1985 on est pass 2,5 % aujourdhui.

    Cette injonction de rsorber lchec scolaire sest enoutre accompagne dune transformation majeure despratiques du ministre. Le souci defficacit sest traduitpar la gnralisation de la pratique de lvaluation. Taux deredoublement, taux de succs aux examens, nombredincidents violents, sont devenus autant dindicateursrendus publics qui psent sur la vie des tablissements, etnotamment sur la carrire de leurs chefs. Cette volutionparticipe la gnralisation dune logique de march

  • scolaire qui renforce la concurrence entre tablissementspublics (tablissement de centre-ville vs tablissement dela priphrie) et entre enseignement public et priv. Lesenseignants sont donc dsormais, quils le veuillent ou non,comptables de la russite de leurs lves, de tous leurslves. Et par consquent, ils sont aussi tenus en partieresponsables de lchec scolaire : cet chec nest plusseulement compris comme la consquence dunedfaillance de llve, mais aussi comme le produit de ladfaillance dune institution qui devrait pouvoir transmettre tous la matrise dun socle commun deconnaissances pour reprendre la formule en vigueur dansles textes officiels5.

    Mais ce socle commun de connaissances estbeaucoup plus ambitieux que le simple lire, crire,compter de lcole primaire de la IIIe Rpublique. Ausortir du collge, un lve contemporain devrait pouvoir sefaire comprendre en anglais loral et lcrit en utilisantdes expressions courantes , connatre la structure et lefonctionnement de la Terre et de lUnivers, la matire etses proprits physiques et chimiques, lnergie, lescaractristiques du vivant (cellule, biodiversit, volutiondes espces) , connatre la conception, la ralisation etle fonctionnement des objets techniques , avoir appris agir dans une perspective de dveloppementdurable , et bien sr avoir obtenu son B2i , BrevetInformatique et Internet. Cette ambition encyclopdique dusocle commun illustre la contrainte paradoxale laquelle

  • est soumise lcole franaise contemporaine : lhritagelitiste de son enseignement secondaire loblige poursuivre la logique dune slection prcoce des meilleurslves sur des contenus trs ambitieux, mais les exigencesnouvelles de la socit la contraignent combattre lchecque provoque cette slection svre.

    Cette contrainte paradoxale est dautant plusdouloureuse que lnumration des nouvelles finalitsattribues lcole ne sarrte pas aux questions deformation professionnelle, dorientation, de transmissiondun socle commun de connaissances et de lutte contrelchec scolaire ou les discriminations. La socitcontemporaine sinquite aussi dune multitude de risquesqui sont dsormais considrs comme insupportables, lafois parce que la scurit des ind