12
1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain et la guerre aux classes de spécialité théâtre des lycées s’inscrit dans une problématique actuelle de société, d’éthique et d’esthétique. À ce titre, les questions soulevées peuvent constituer une entrée féconde dans la question du théâtre et de sa représentation dans les classes de lettres. Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la guerre au théâtre ? Sommaire : Corpus de textes Corpus de documents iconographiques et audiovisuels Objectifs et mise en oeuvre Annexes : - Atelier de lecture - Atelier d’écriture - Appuis théoriques Pour aborder cette question en classe, je propose un corpus de textes et de documents iconographiques. Ce corpus élargi n’est proposé que pour faire des choix personnels, pour donner des outils et des pistes de réflexion. Il n’a rien d’exhaustif, il est support à différents parcours didactiques et choix pédagogiques laissés à l’appréciation et à la créativité de l’enseignant. CORPUS DE TEXTES BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis, L’Arche, 1994 : - Premier chœur - Deuxième chœur - Troisième chœur - Quatrième chœur BOND Edward, Pièces de guerre, Grande Paix, L’Arche, 1994 : - Fils, p.25 « Tu me criais dessus (…) on ne peut pas vivre sans une armée » - Un, Poste Militaire (dialogue) p.7 à 9 - Huit, Quartier militaire près d’une carrière (dialogue) p. 46 à 57 BOND Edward, Auprès de la mer intérieure, L’Arche, 2000 - L’histoire de la femme : Attendre, p.24 BOND Edward, La trame cachée, L’Arche, 2003 : - L’histoire d’un écrivain, p.13 BRECHT Bertold, La résistible ascension d’Arturo Ui, L’Arche, 1976 : - Prologue, p. 7 et 8 - Dernière réplique de Ui et épilogue, p.104 et 105 CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 : - Didascalies : p. 11 à 12 - Prises de paroles successives : p. 16 à 18

Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

1 Véronique Perruchon

LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain et la guerre aux classes de

spécialité théâtre des lycées s’inscrit dans une problématique actuelle de société, d’éthique et d’esthétique. À ce titre, les questions soulevées peuvent constituer une entrée féconde dans la question du théâtre et de sa représentation dans les classes de lettres.

Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la guerre au théâtre ?

Sommaire : • Corpus de textes

• Corpus de documents iconographiques et audiovisuels

• Objectifs et mise en oeuvre

• Annexes : - Atelier de lecture - Atelier d’écriture - Appuis théoriques Pour aborder cette question en classe, je propose un corpus de textes et de documents

iconographiques. Ce corpus élargi n’est proposé que pour faire des choix personnels, pour donner des outils et des pistes de réflexion. Il n’a rien d’exhaustif, il est support à différents parcours didactiques et choix pédagogiques laissés à l’appréciation et à la créativité de l’enseignant.

CORPUS DE TEXTES

BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis, L’Arche, 1994 : - Premier chœur - Deuxième chœur - Troisième chœur - Quatrième chœur

BOND Edward, Pièces de guerre, Grande Paix, L’Arche, 1994 : - Fils, p.25 « Tu me criais dessus (…) on ne peut pas vivre sans une armée » - Un, Poste Militaire (dialogue) p.7 à 9

- Huit, Quartier militaire près d’une carrière (dialogue) p. 46 à 57 BOND Edward, Auprès de la mer intérieure, L’Arche, 2000 - L’histoire de la femme : Attendre, p.24

BOND Edward, La trame cachée, L’Arche, 2003 : - L’histoire d’un écrivain, p.13 BRECHT Bertold, La résistible ascension d’Arturo Ui, L’Arche, 1976 : - Prologue, p. 7 et 8 - Dernière réplique de Ui et épilogue, p.104 et 105 CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 : - Didascalies : p. 11 à 12 - Prises de paroles successives : p. 16 à 18

Page 2: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

2 Véronique Perruchon

- La guerre c’est …p. 19 à 20 - Paroles d’enfants : p. 22 à 23 ; - Poèmes didascaliques – état des lieux – p. 27 à 28 - Commentaire en dialogue : p.28 à 29 - Départ des soldats (texte descriptif et poétique) p. 32 - La vielle femme et la douleur – poème- p . 39 - La vipère P. 43 - Dialogue p. 54 à 55 - L’exode p. 82 à 88 - P. 84, support à un travail de chœur - Le déserteur, p. 91 à 92 - Poème, p. 94 - Pétain, p. 96 - Mise en espace du texte, p. 99 - Abris, P. 110 - Rationnement, p. 111 et 115 - Les bombardiers, P.113à 114 - Ritournelle – rythme- p. 119 à 120 - La mort, la peur, p.144 - La milice, p.153 - La libération, p.187 à 189 GAUDE Laurent, Cris, Acte Sud, 2002 : - Lieutenant Rénier, p. 24 (monologue) - Lieutenant Rénier, p. 30 (monologue) MINYANA Philippe, Les guerriers, Editions théâtrales, 1993 : - Monologue de Constance, p.19 PINTER Harold, La guerre, Gallimard, 2003 : - Les Bombes, p.17 - Discours de Turin, p. 23 à 26 VINAVER Michel, La visite du chancelier Autrichien en Suisse, L’Arche, 2000 : - Extrait, p. 31à 33

CORPUS ICONOGRAPHIQUE - Photos des Pièces de guerre, mises en scène d’Alain Françon et Jean-Pierre Vincent1 + DVD pédagogique - Théâtre du soleil / Monouchkine : Le dernier caravansérail, DVD. - Danse Buto2

1 Pièces de guerre : Livret et DVD, Scérén CNDP, baccalauréat théâtre, avril 2006 2 ASLAN Odette : Le(s) Buto(s), CNRS, les voix de la création théâtrale, 2002.

Page 3: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

3 Véronique Perruchon

OBJECTIFS ET GROUPEMENTS DE TEXTES Le premier objectif proposé est ici de percevoir la densité de l’écriture dramatique - texte et

représentation - du théâtre contemporain qui traite de la guerre. Traiter de la guerre au théâtre ouvre un vaste champ d’investigations qui se situe de façon

liminaire en périphérie de formes de théâtre proches : - Le théâtre de l’effroi reposant sur des images frappantes ou des discours insoutenables qui

alimentent davantage la fascination morbide, voire la complaisance plus que la réflexion, - Le théâtre politique qui soulève les questions et propose une réflexion. Le théâtre de la guerre se situe davantage en périphérie de l’acte de barbarie, dans un état de

guerre, davantage que dans la distance réflexive. Cependant, le théâtre de la guerre, croise ces formes tout en restant un discours qui plonge le

spectateur au centre de l’état de choc. La guerre dite, la guerre montrée

Voir et entendre : ces actions concomitantes des propositions d’atelier de lecture et

d’écriture trouveront leur place naturellement auprès des auditeurs. Comment je reçois ce texte qu’il m’est donné d’entendre ? Quelle place m’est faite ? En quoi

cela alimente mon propre travail ? Ce questionnement rejoint l’analyse de la réception esthétique sans laquelle il ne saurait y

avoir de théâtre. Tel est le deuxième objectif de cette étude. En outre, l’analyse des documents iconographiques sur la représentation de la guerre, en

regard de celle des textes alimentera le troisième objectif : La représentation. Apprécier les différences entre dire la guerre et la monter. Apprécier la notion de point de vue.

Peut-on représenter la guerre ?

Comment représenter la guerre ? Quelle guerre ? Derrière ces questions qui interrogent aussi bien les modalités que l’éthique, se profile une

autre question : Pourquoi représenter la guerre ?

Ces questions vont nous permettre de suggérer des propositions d’approche du corpus selon

des finalités différentes3.

Représenter la guerre pour : • Dire / Constater / Témoigner/ Nommer: BOND Edward, Auprès de la mer intérieure, L’Arche 2000

- L’histoire de la femme : Attendre, p. 24

CALAFERTE Louis, C’est la guerre - La guerre c’est …p. 19 à 20

- Départ des soldats (texte descriptif et poétique) p. 32 - Dialogue p. 54 à 55

3 Dans un souci de démarche didactique déductive, les enjeux ci-dessous évoqués seront à déduire du travail de lecture et

d’écriture proposé.

Page 4: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

4 Véronique Perruchon

- L’exode p. 82 à 88 - Le déserteur, p. 91 à 92 - Abris, p. 110

PINTER Harold, La guerre, Gallimard, 2003 : - Les Bombes, p.17

• Exorciser : Le choc, l’horreur, la violence et les traumatismes de la guerre induisent la nécessité vitale

d’un exorcisme collectif et individuel. Dire la guerre pour la dépasser.

BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis - Premier chœur - Deuxième chœur

CALAFERTE Louis, C’est la guerre - Poèmes didascaliques – état des lieux – p. 27 à 28 - La vipère p. 43 On peut évoquer deux exemples de représentation ayant entre autres cette finalité : - Danse Buto, danse d’après guerre au Japon, dont la forme et l’esthétique tout en s’appuyant

sur la tradition, s’inscrit dans une démarche totalement contemporaine. Elle a pour fonction, à travers le geste sacralisé, d’exorciser l’horreur physique des traumatismes de la guerre.

- Rwanda 94 : créée par le GROUPOV et consacrée au génocide des Tutsis, la pièce se présente comme “une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants”. Mise en scène Jacques Delcuvellerie. • Montrer le processus : BOND Edward, Pièces de guerre, Grande Paix: - Fils, p.25 « Tu me criais dessus (…) on ne peut pas vivre sans une armée » - Un, Poste Militaire (dialogue) p.7 à 9

- Huit, Quartier militaire près d’une carrière (dialogue) p. 46 à 57 - Photos des Pièces de guerre, mise en scène Alain Françon.

BRECHT Bertold, La résistible ascension d’Arturo Ui: - Prologue, p. 7 et 8 - Dernière réplique de Ui et épilogue, p.104 et 105

GAUDE Laurent, Cris, : - Lieutenant Rénier, p. 24 (monologue)

• Dénoncer : BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis

- Troisième chœur

CALAFERTE Louis, C’est la guerre: - La milice, p.153

PINTER Harold, La guerre: - Discours de Turin, p. 23 à 26

Page 5: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

5 Véronique Perruchon

• Se révolter : BOND Edward, La trame cachée:

- L’histoire d’un écrivain, p.13

MINYANA Philippe, Les guerriers : - Monologue de Constance, p. 19

• Émouvoir : MINYANA Philippe, Les guerriers :

- Monologue de Constance, p.19

CALAFERTE Louis, C’est la guerre - La vielle femme et la douleur – poème- p. 39 - Les bombardiers, p.113à 114 - La mort, la peur, p.144

MISE EN ŒUVRE : EXEMPLES ET SUGGESTIONS

Lire, dire, écrire, entendre et voir L’approche des textes proposés dans le corpus et qui ne sont pas tous immédiatement

identifiables comme textes de théâtre, visera justement à en dégager la dimension dramaturgique. Pour cela, le lien entre lire, dire, écrire, entendre et voir sera déterminant.

Chaque séquence, quel que soit l’axe thématique choisi, proposera la mise en œuvre de ces actions, fondements de l’action dramatique.

Faire de la place à celui qui dit et à celui qui écoute, c’est poser un acte dramatique. Partant, toute activité pédagogique qui ouvrira les textes à cette dimension, permettra

d’aborder l’objet d’étude théâtral. Concrètement : il s’agit de s’emparer des textes immédiatement par une lecture que nous

qualifierons de mise en voix. Laquelle sera rapidement, sinon immédiatement, rejointe par une mise en espace. Ces propositions pédagogiques sont transférables à tout autre thème que la guerre.

LIRE 4 :

• Lecture cursive : Les larges extraits de C’est la guerre de Louis CALAFERTE, peuvent permettre une lecture

cursive de l’œuvre. Le choix de textes de factures variées tout en restant dans une même distance qui confine à la candeur offre une palette intéressante pour les activités de lecture.

• Travail de chœur Il s’agit de proposer à un groupe d’élèves de s’emparer d’un texte à plusieurs. Ils pourront

varier les possibilités en lisant un même passage, une phrase ou même un mot ensemble. Ou distribuer le texte à plusieurs voix et le traiter comme en répons. Cela les implique davantage dans les choix à effectuer, aussi bien au niveau du découpage du texte et de son traitement vocal, que dans une mise en voix et en espace. En outre, cela développe leur écoute. On veillera particulièrement au rythme et à la dynamique.

4 Voir en annexe : Atelier de lecture

Page 6: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

6 Véronique Perruchon

Suggestion de textes : BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis, L’Arche, 1994 : - Premier chœur - Deuxième chœur - Troisième chœur - Quatrième chœur BOND Edward, La trame cachée, L’Arche, 2003 : - L’histoire d’un écrivain, p.13 CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 : - Prises de paroles successives : p. 16 à 18 - Paroles d’enfants : p. 22 à 23 ; - Commentaire en dialogue : p.28 à 29

- La vielle femme et la douleur – poème- p . 39 - Dialogue p. 54 à 55 - L’exode p. 82 à 88 - P. 84, support à un travail de chœur - Le déserteur, p. 91 à 92 - Poème, p. 94 - Pétain, p. 96 - Abris, P. 110 - Rationnement, p. 111 et 115 - Ritournelle – rythme- p. 119 à 120 • Mise en espace, à partir de la mise en page du texte : La mise en page choisie par l’auteur est déjà une mise en espace du texte. L’attention portée à

cette dimension permet une appropriation du texte dans une mise en voix et une mise en espace qui tient compte à la fois du rythme et du volume dans tous les sens du mot : l’importance sera donnée aux silences.

Suggestion de textes : CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 :

- Didascalies : p. 11 à 12 - Poèmes didascaliques – état des lieux – p. 27 à 28 - L’exode p. 82 à 88 - Mise en espace du texte, p. 99

• Traitement de l’absence de ponctuation: Travail sur le souffle, le rythme intérieur, le respect de la mise en page (certains textes sont

compacts, d’autres proposent un retour à la ligne). Le souffle du lecteur rejoint le souffle de l’écrivain.

Suggestion de textes : BOND Edward, Pièces de guerre : La furie des nantis, L’Arche, 1994 : - Premier chœur - Deuxième chœur - Troisième chœur - Quatrième chœur

Page 7: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

7 Véronique Perruchon

BOND Edward, La trame cachée, L’Arche, 2003 : - L’histoire d’un écrivain, p.13 CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 : - La guerre c’est …p. 19 à 20 MINYANA Philippe, Les guerriers : - Monologue de Constance, p.19 • Traitement de textes à ponctuation spécifique : Il s’agit en général de textes uniquement constitués de phrases courtes ponctuées par un point.

Travail sur la section « phrase » sans faire tomber la voix et en gardant l’unité du texte. Les textes proposés permettent d’utiliser un « truc » : imaginer que chaque phrase correspond à une diapositive. On passe de l’une à l’autre, dans un simple constat. Travail sur la neutralité : on donne à voir en donnant à entendre. Simplement. Sans point de vue.

CALAFERTE Louis, C’est la guerre, Gallimard, 1993 :

- Les bombardiers, P.113à 114 - Ritournelle – rythme- p. 119 à 120

- La milice, p.153 - La libération, p.187 à 189

GAUDE Laurent, Cris : - Lieutenant Rénier, p. 24 (monologue) - Lieutenant Rénier, p. 30 (monologue)

ECRIRE5 : • Amplifier Dans certains, cas, des élèves, timides ou mal à l’aise avec la proposition n’arrivent pas à

passer à l’écrit. Ou bien l’écrit ne s’impose pas d’emblée, et seule, la présence physique sur le plateau porte le message.

Ce fut le cas d’Anouchka. Elle avait visité le camp d’Auschwitz et avait été marquée très profondément par les traces de griffures sur les murs des chambres à gaz. Elle voulait s’emparer de cette expérience vécue, mais n’arrivait pas à mettre des mots sur l’émotion. Elle est entrée sur le plateau, a regardé les murs et est sortie. L’auditeur, spectateur n’avait pas sa place, faute d’information qui lui permette de s’impliquer dans la proposition d’Anouchka. Nous avons proposé une amplification de son travail par ajouts.

Tout d’abord, elle a gardé sa proposition, mais alors qu’elle regardait les «murs», nous avons fait entrer par le fond une autre élève, qui est restée «sur le seuil» et a simplement prononcé ces mots : « C’était les chambres à gaz », afin d’induire un changement de «regard» d’Anouchka. Puis nous sommes allés un peu plus loin, nous avons proposé, sur la même scène, qu’une autre élève arrive dans son dos et lui souffle à l’oreille, le texte de Bond, extrait de Auprès de la mer intérieure, où la vielle femme présente à son bébé les chambres à gaz.

L’amplification s’est opérée directement sur le plateau, dans le respect de l’élève, en s’appuyant sur des ajouts dont un emprunté au corpus. Si cette élève n’a pas écrit, du moins a-t-elle pu s’emparer de la parole d’un autre pour dire son émotion face à la guerre. Elle a écrit du silence…

Cette situation «extrême» est ici donnée en exemple pour montrer qu’on peut faire beaucoup avec ce qui ne semble rien.

5 Voir en annexe : Atelier d’écriture

Page 8: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

8 Véronique Perruchon

• Épurer Un autre cas mettant en jeu la technique qui consiste à aider un élève à épurer son texte. Pour

faire de la place au spectateur, à l’auditeur, le texte dramatique ne doit pas être didactique ni trop en dire, ni même donner de « leçon ». Il doit dire, évoquer, provoquer les questions, les réactions. Le spectateur-auditeur a un travail à faire, lui aussi.

Voici l’exemple du texte de Sylvia : 1° texte : La guerre est une chose horrible, mais ce qui l’est encore plus c’est de faire d’enfants

innocents des guerriers sans pitié. Un homme supplie un enfant de le laisser en vie, cet enfant rit car il sait que l’homme est à sa merci, l’homme supplie un enfant qui ne connaît pas la pitié. Cette ignominie se produit pourtant chaque jour. Quand cela cessera-t-il ?

Le texte, trop « disserte », ne laissait pas de place à la dimension dramaturgique recherchée.

Nous avons donc proposé, à Sylvia, directement sur le plateau, suite à la première lecture de supprimer le début. Puis elle a pu apprécier avec les élèves auditeurs-spectateurs l’effet produit. Elle est retournée à sa place et a modifié son texte.

2° texte: Un homme supplie un enfant de le laisser en vie, cet enfant rit car il sait que l’homme est à sa

merci, l’homme supplie un enfant qui ne connaît pas la pitié. L’enfant est empli d’une haine qui n’est pas la sienne.

Elle a supprimé tout ce qui «moralisait» son propos. L’image ainsi épurée a grandi sur le

plateau et a impliqué l’auditoire, par le principe de l’épuration. Ces exemples montrent qu’avec peu de moyens, grâce aux réactions des élèves spectateurs-

auditeurs, en étant attentif à la dimension dramatique recherchée, les textes, et improvisations trouvent leur place dans le corpus des textes d’auteurs. On peut faire alterner les uns et les autres et obtenir un moment de théâtre riche.

La compréhension de la dimension dramatique des textes, va alors de soi.

VOIR : L’analyse des documents iconographiques et audiovisuels permet d’affiner la réflexion sur la

représentation de la guerre, d’interroger sur la place du spectateur dans cette représentation et de dégager un point de vue (au sens physique et linguistique du terme).

Le support DVD a l’avantage de présenter des images de représentation en cours. On peut

sensibiliser les élèves à la dimension temporelle et l’évolution spatiale des scènes. (Le mieux étant bien sûr d’assister à une représentation !)

Supports : Le dernier Caravansérail / Théâtre du soleil / Mnouchkine. Les pièces de guerre / Bond / Françon.

Page 9: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

9 Véronique Perruchon

Questions: Qu’est-ce qu’on voit ? Comment sont organisés les déplacements des différents camps ? Où se situe le spectateur par rapport à la scène représentée ? (Même si la caméra adopte un

point de vue, elle respecte en général celui du spectateur) Après avoir répondu à ces questions de façon factuelle, on se les reposera de façon

symbolique. Quels sens donner à ces choix de mise en scène ? Exemple : Dans la scène des marins de l’armée au large des mers en Australie, les marins

arrivent d’en haut, des hélicoptères. Les réfugiés politiques pris en chasse sont en bas, sur l’eau, dans une coquille de noix. Les spectateurs sont du côté de la mer, des réfugiés.

Symboliquement, les relations de pouvoir sont rendues visibles par cette spatialisation et le spectateur «impressionné» par sa position au niveau des victimes.

Le point de vue proposé au spectateur est explicite, il adopte celui des réfugiés. On peut ainsi analyser des photos de spectacle, en réfléchissant à la place faite au spectateur

et aux partis pris adoptés par le metteur en scène.

Page 10: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

10 Véronique Perruchon

Annexes :

ATELIER DE LECTURE / MISE EN VOIX

Enjeu : Donner un texte à entendre Lire un texte pour quoi ? pour quoi faire ? Qu’est-ce qu’on veut donner à entendre ? (but et

cause). S’impliquer dans la lecture, assumer le choix du texte. • Manifester : Lire un texte, prendre la parole d’un autre pour dire, dénoncer, interpeller, exprimer une

émotion, une révolte, une indignation… mobile d’engagement. Il s’agit de définir des enjeux dramaturgiques, faire des choix et les manifester, définir ce que

je veux faire ressortir, faire entendre. S’empêcher de donner des leçons, mais poser des questions. Laisser de la place à la réflexion

du spectateur. • Raconter/ conter: S’emparer de la parole d’un autre pour embarquer l’auditoire dans une histoire.

Lecture :

• Régler en priorité les questions « techniques » : La panique / Les complexes : Donner aux élèves les moyens de les contourner, par une

pratique modeste en quantité et en enjeux, mais fréquente (lire une phrase en répondant aux mêmes enjeux de clarté que pour un texte long).

• Délimiter le texte : Accepter toutes les propositions : texte coupé, passage répété ; choix de découpage et de

montage : Où débuter ? Ellipse classique du lever de rideau Où finir ? Être capable de ne pas finir, de laisser en suspens • Respecter l’écriture, le texte, l’auteur : Suivre ce qui est écrit, faire confiance au texte : ponctuation, retours à la ligne, paragraphes,

strophes, sonorité, rythme.

Théâtraliser la lecture : Mise en voix, mise en espace : trouver un équilibre Travailler à partir du premier jet : les mots, les silences, le jeu, le corps, la voix, le regard. - Épurer : Lecture neutre, projection de la parole - Amplifier : Jouer sur le volume, le rythme, les silences, le regard… - Varier : Accepter : Répétitions, accumulations, ajouts de texte d’un autre auteur Plusieurs lecteurs impliqueront une distribution du texte ; un seul lecteur peut incarner

plusieurs voix.

Faire une place à l’auditeur: • Installer l’écoute : Être capable de modifier soi-même sa proposition pour la rendre plus efficace sur le plateau,

c’est-à-dire pour laisser de la place au spectateur. Chercher les effets en faisant varier les variables, essayer.

Quelle place faite à l’auditeur ? Quelle relation s’établit avec lui ? Est-ce qu’il subit la lecture? est-ce je l’implique ? Comment je le rends actif ? Comment je l’implique ? Comment je me place ? où je me place ? Question à la fois concrète et conceptuelle.

Page 11: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

11 Véronique Perruchon

ATELIER D’ECRITURE La lecture des textes du corpus génèrera l’écriture de textes personnels : « j’ai quelque chose

à dire ». Prendre position par rapport au thème même de la guerre.

Enjeu : Manifester : Écrire pour quoi ? pour quoi faire ? (but et cause)

En préambule, proposer une incitation6 : « Pour moi, la guerre ça évoque… », « la guerre, pour moi, c’est… », « Je prends la parole pour … », « j’ai à dire que… » etc.

Prendre la parole pour dénoncer, interpeller, exprimer une émotion, une révolte, une indignation… mobile d’engagement.

Quand on prend la parole, s’empêcher absolument de donner des leçons, mais poser des questions. Laisser de la place à la réflexion du spectateur.

L’AUDITEUR : Quelle place faite à l’auditeur-spectateur ? Quelle relation établie avec lui ? Comment je le rends actif ? Comment je l’implique ? Comment je me place, où je me place ? Question à la fois concrète et conceptuelle. Chercher les effets en faisant varier les variables, essayer.

ECRIRE : On peut commencer par : - Une improvisation sur le plateau. Dans ce cas, avoir eu l’habitude de la pratiquer en dehors

d’un enjeu d’écriture, avec ces mêmes élèves. - Un temps d’écriture préalable. À la maison ou en classe. Mais toujours laisser l’imagination

s’exprimer. Ne pas scolariser cette étape, ne pas cadrer par des consignes formelles : Accepter toutes les propositions allant d’un mot à la logorrhée en passant par la liste de mots

sans syntaxe.

STYLISER POUR THEATRALISER : C’est par une lecture, une proposition de mise en voix qu’on pourra retravailler le texte.

L’épreuve du plateau permettant de mesurer sa dimension dramatique. Travailler le premier jet : les mots, les silences, le jeu, le corps, la voix (mise en voix, mise en

espace) trouver un équilibre. • Épurer : Enlever pour faire de la place au spectateur, le rendre curieux et intelligent. Pour susciter des

émotions. • Amplifier : Répétitions, accumulations Ajouts de texte d’auteur du corpus qui peuvent amplifier le propos de l’élève. Être capable de modifier soi-même son texte pour le rendre plus efficace sur le plateau, c’est-

à-dire pour laisser de la place au spectateur.

6 L’expérience montre que dans le cadre d’une pratique du théâtre en milieu scolaire, la compréhension de la consigne est

intégrée plus ouvertement que dans le cadre d’un cours de français. Les premiers vont plus facilement proposer des formes variés qui vont de la phrase unique à la logorrhée improvisée à partir d’une idée, en passant par la liste de mots ou encore le choix de donner à entendre le texte d’un autre.

Les autres vont avoir tendance à « scolariser » leur propos : (est-ce que ça sera noté ? combien de lignes ?...) tendance qui cache en réalité une angoisse de la page blanche. Il faut absolument anticiper ce risque sclérosant en les mettant à l’aise. L’exemple actuel des slams peut être cité avec profit. C’est mieux si c’est préparé à la maison.

Page 12: Peut-on représenter la guerre ? Comment traiter de la ... · 1 Véronique Perruchon LE THEATRE CONTEMPORAIN ET LA GUERRE La proposition de l’objet d’étude : Le théâtre contemporain

12 Véronique Perruchon

APPUIS THEORIQUES • Textes théoriques permettant de comprendre la position dramatique à l’égard de la représentation de la guerre: - ARISTOTE : Poétique - ARTAUD : Théâtre de la cruauté - BRECHT : Théorie de la distanciation - BOND : La trame caché, Commentaires sur les pièces de guerre • Lectures complémentaires permettant, entre autres, de s’interroger sur le statut du guerrier : héros ou bourreau ? - Témoignage de Simone Lagrange au procès Barbie. France Culture. - GAUDE : Mort du roi Tsongor - BRECHT : Grandeur et misère du troisième Reich, Mère courage - CLAUDEL : Tête d’or - ESCHYLE : Les Perses - GENET : Les Paravents - SHAKESPEARE : Henri IV • Pistes de réflexions générales sur la guerre : - Violence organisée d’origine politique et à visée politique:

« La guerre est un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté » « La guerre est la simple continuation de la politique par d’autres moyens » Karl Von Claussewitz, De la guerre (1816-1831)

- Glorification / Dénonciation : Deux aspects sont à prendre en compte. D’une part, la distinction de deux types de guerres, l’une nécessaire, propre, juste, serait glorifiable et acceptable ; l’autre, nuisible, non justifiée par un désir de justice, serait condamnable et inacceptable.

« Une guerre est juste quand elle est nécessaire » Machiavel « L’objet de la guerre c’est la paix » Aristote, Politique.

D’autre part l’idée que toute guerre et donc le concept même de guerre serait glorifiable ou abject.

« La guerre est une violence organisée » Georges Bataille, L’Erotisme. « Nul n’est assez fou pour préférer la guerre à la paix. Dans la paix, les fils ensevelissent leurs pères ; dans la guerre, les pères mettent leurs fils au tombeau » Hérodote

- Guerre tolérée parce qu’éloignée géographiquement et métaphoriquement par la représentation en image télévisuelle. Guerre et loisir : jeux vidéos. - Évolution de la guerre :

« De nos jours ils ne luttent pas du tout les uns contre les autres. La guerre est engagée par chaque groupe dirigeant contre ses propres sujets et l’objet de la guerre n’est pas de faire ou d’empêcher des conquêtes de territoires, mais de maintenir intacte la structure de la société » George Orwell, 1984.

- Guerre absurde :

« Tout ce qui touche à la guerre est une gifle au bon sens » Melville, La vareuse blanche.

- Meurtre interdit / Meurtre organisé : Georges Bataille

- Guerre et plaisir : Nietzsche parle d’une « volupté », Michel Leiris, « d’une sorte de plaisir », G. Bataille d’ « un luxe ».

- Trouble crée par son déploiement esthétique, fascination : Guerre spectacle.