Philippe. Lucrèce dans la théologie chrétienne du IIIe au XIIIe siècle, et spécialement dans las écoles Carolingiennes. 1896

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    LUCRECEDANS LA THOLOGIE CHRTIENNE

    DU IIIe AU XIII' SICLE ET SPCIALEMENTDANS LES COLES CAROLINGIENNES

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    ANGERS, IMPRIMERIE DE A. BURDIN, f'.UE GARNIER, 4.

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    LUCRCEDANS LA THOLOGIE CHRTIENNE

    DU IIP AU XIIIe SICLE ET SPECIALEMENT

    DANS LES COLES CAROLINGIENNES

    J. PHILIPPEChef des travaux au laboratoire de Psychologie Physiologique

    Extrait de la Revue de l'Histoire des Religions (1895-1896).

    y*PARIS

    ERNEST LEROUXDITECR

    28, rue Bonaparte. 2S1896

    FLIX ALCANEDITEUR

    108, boulevard Saint-Germain, 108

    ,*: i

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    DANS LA THOLOGIE CHRTIENNEDU III AU XIII e SICLE

    ET SPCIALEMENT DANS LES COLES CAROLINGIENNES

    INTRODUCTION

    Au Moyen Age, la philosophie et la thologie se dveloppantde concert, les orthodoxes aussi bien que les hrtiques mlentles arguments philosophiques aux textes thologiques et placentcte cte les Pres de l'Eglise et les philosophes anciens.On ne saurait donc faire l'histoire des ides religieuses de cettepoque sans dire ce qu'elles ont retenu de l'hritage philoso-phique des Grecs et des Romains.

    Aristote ne fut pas le seul matre du Moyen Age. Durant lapriode de transition qui va des derniers Apologistes aux pre-miers Scolasliques, les coles paennes disparurent; mais destraces de leurs doctrines subsistrent, incorpores aux dogmeschrtiens. L'enseignement et les crits d'alors gardaient cer-taines formules anciennes dont les unes circulaient comme devieilles monnaies effaces par l'usage; tandis que les autres,aprs un long oubli, taient retrouves, par un collre curieux,dans l'uvre de quelque ancien.Ainsi se rattachent la pense antique les premiers essaisde philosophie chrtienne. Les prcurseurs de la Scolastiquepuisrent surtout dans l'uvre des Alexandrins (indirectement,il est vrai) et dans le Time, traduit par Ghalcidius; plus rare-ment ils s'adressrent aux Stociens quelquefois aux Epicuriens.

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    2 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSLa Scolastique, panduc comme un large fleuve sur tout leMoyen Age, driva ses premiers affluents des derniers ruisseletsde la pense antique.A mesure qu'on s'loigne de l'antiquit, ces origines devien-nent plus difficiles dterminer. Le dogme s'affirme et se pr-cise; le polythisme disparat; et on cite moins les philosophesanciens. Ce n'est pas dire que leur influence cesse de s'exercer;mais qui veut la suivre doit ne pas oublier que la coutume taitalors de compiler sans indiquer ni qu'on et copi ni quelauteur on avait copi. Il en rsulte que les citations primitives,outre qu'elles perdent leur marque d'origine, s'effritent peu peu, d'un auteur l'autre, en de minuscules fragments : lesides empruntes aux paens deviennent ainsi anonymes et im-personnelles. Ce fut leur sauvegarde, car la plupart eussent sansdoute disparu si l'on avait connu l'auteur. Elles subsistrentparce qu'on n'en souponna souvent ni l'origine ni la porte.

    Ainsi s'introduisirent, dans la philosophie nouvelle, quelquesformules picuriennes, tires surtout de Lucrce. Pote et ro-main, Lucrce devait plaire par sa physique facile comprendre,son ddain pour toute science qui n'a pas un but pratique, etaussi son pessimisme voisin du mysticisme. Nous nous propo-sons de rechercher ici quelle fut son influence sur les principauxcrivains des coles carolingiennes * et, par eux, sur la Scolas-tique naissante

    2.

    Cette poque est celle o renaissent les traditions grco-latineset o commence la philosophie chrtienne, dont s'panouit, auxm e sicle, la pleine floraison. Les auteurs de cet ge sont

    1) Ces recherches porteront donc surtout sur la p'riode qui s'tend du vncau xi e sicle : cependant nous rechercherons, dans les sicles prcdents, com-ment Lucrce s'est transmis d'une poque l'autre, et nous signalerons, aprsle xi* sicle, encore quelques traces de son influence persistante.

    2) Ce travail fait partie de la srie de monographies entreprises sous la di-rection de M. Fr. Picavet, pour dterminer exactement quelles furent les idesfournies la philosophie et la thologie du Moyen Age par d'autres colesque celle d'Aristote. Cf. Fr. Picavet, La Scolastique (Rcv. intern. de l'Ensei-gnement suprieur, 15 avril 1893); id., Le No-thomisme (Rev. philos., mars1892). M. L. Grandgeorge a tudi le Noplatonisme de saint Augustin dansune thse que publiera la Bibliothque des Hautes-tudes.

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 3les matres immdiats des Alexandre de Hals, des Roger Bacon,des saint Thomas et de presque tous ceux qui retourneront auxsources primitives de la philosophie ancienne. S'ils gardent peude chose des paens, l'assimilation n'en est que plus complte.

    Plusieurs auteurs ont dj touch, sinon trait cette question del'influence de Lucrce au Moyen Age , et l'ont diversement rsolue.Dans ses Recherches sur l'ge de quelques traductions d'Arts-

    tote (p. 21), Jourdain prtend qu' toutes les poques duMoyen Age on a lu les Questions naturelles de Snque, le pomede Lucrce, les ouvrages philosophiques de Cicron, les livresd'Apule, ceux de Cassiodore, de Boce, etc. C'est aussi l'o-pinion de Monuier, qui crit, en son Histoire dAlcuin, lapage 280 : Ovide, Trence, Horace, Lucrce mme, Lucrce,le chantre anim du Nant , on admirait, on imitait tout, son insu, malgr soi, subjugu qu'on tait par de si suaves etsi blouissantes beauts. Longtemps avant ces deux auteurs, Lambin n'avait-il pas sou-

    tenu une opinion analogue en dressant la liste de ceux qui avantlui tudirent le pome de Lucrce 1 ?

    Mais nul de ces auteurs n'apporte la preuve de ce qu'il avance;si bien que d'autres soutiennent, avec autant d'nergie et aussipeu de bonnes raisons, l'opinion oppose. Ainsi le savant diteurde Lucrce, A. J. Munro, n'est pas loign de lui refuser toute in-fluence sur le Moyen Age'. 11 appuie son opinion sur une note de

    1) Comme on lui avait reproch d'diter et de commenter l'impie que futLucrce, il rpondait, : Primum, quam multa suntinhoc poemate praeclaraac prope divina? Haec sumamus Nec inepte religiosi fuerunt, nec superbefastidiosi, veteres illi christiani, sanctissimi viri, Justinus Martyr, GregoriusNazianzenus, Basilius Magnus, Joannes Chrysostomus, Clemens Alexandrinus,Athenagoras, Eusebius, Cyprianus, Tertullianus, Arnobius, Firmianus, Augus-tinus, Hieronymus, ut scriptorem, nisi christianum, et omni ex parte gravem.castum, ac verum, neminem lectione dignum judicarent. Quin et Empedoclem etDemocritum et Epicurum et Lucretium et cteros philosopbos ac polas,quamvis profanos, quamvis mendaces, quamvis impios, studiose legebant (Lambin. p. ddie, en tte de son Lucrce de 1583, p. vu).

    2) Cf. Munro, Lucretvus. Text, introd., p. 2 (d. 1886).

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    4 REVUE DE L HISTOIRE DES RELIGIONSBarlhius 1 , qui dclare qu'on perd la trace de'Lucrce ds le dbutdu Moyen Age. La valeur de celte note a t conteste par JuliusJessen 2 : Munro, qui ne l'ignore pas, semble cependant adopterl'opinion de Landin flicitant le Pogge d'avoir, au xvie sicle, re-trouv et rendu Lucrce ses compatriotes 3 . Tel est aussi l'avisde Teuiels lorsqu'il dclare, en son Histoire de la littraturelatine, que Lucrce fut oubli durant tout le Moyen Age 4 .Aucune de ces opinions n'est suffisamment justifie : pour r-

    soudre la question, il fallait recourir l'tude directe des princi-paux auteurs de cette poque. Leur lecture nous a fourni uncertain nombre de textes qui contribueront faire plus prcis-ment connatre l'histoire, encore obscure, des doctrines tholo-giques et philosophiques de ces sicles.

    LUCRCE JUSQU'AU VIe SICLE

    Comment l'uvre de Lucrce est-elle arrive aux coles caro-lingiennes?Le pote picurien n'est pas de ceux dont l'influence, toujours

    facile suivre, s'tale au grand jour; elle n'apparat clairement,au contraire, qu' de rares intervalles, si bien que l'histoire deson uvre n'est gure moins obscure que celle de sa vie.La plupart des contemporains et des successeurs immdiatsde Lucrce puisrent largement au pome de la Nature. On enretrouve des hmistiches et des tours de phrase chez Catulle 5 ;

    1) Apres avoir nomm presque tous ceux qui citrent Lucrce, Barlhius ajoute : Nec verocadentibus aut collapsis jam rbus romanis, auctoritatem suam amisitnoster Lucrctius ut videre potes apud Maguntium Rabanum, prfatione laudumddalarum crucis : Guilielmum Hirsaugentium, in Institutionibus philosophiciset astrologicis ; Honorium Auguslodunensem, in Historia mundi ; Ven. Beda, libroDe Melrh... (Barlhius, Comm. in Statii Silv., II, 7, 76).

    2) Philologus, XXX, Lucrez im Mittelalter, p. 236-238.3) Munro, /. /.4) Teuflels, Gesch. d. Rmischen LU., 203, p. 378.5) Cf. Munro, Lucretius, notes au vers 57 du livre III.

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    LUCRCE DAXS LA THOLOGIE CHRTIENNE ,r>Cicron ' garde certaines expressions d'picure heureusementtraduites par son disciple; Horace 2 lui doit plusieurs maximesauxquelles ce satiriquen'a pas toujours conserv leur dlicatesse;Virgile surtout 3 s'est servi de Lucrce plus que d'Ennius. Toutcela atteste une influence dj profonde : nanmoins, il seraitdifficile de la dgager si nous avions perdu Fuvre de Lucrce,car nul de ces imitateurs ne le nomme, sauf Cicron 4 . Est-cepour le louer? En tout cas il ne le spare pas de ces Epicuriensqu'il accuse d'abaisser le niveau intellectuel et moral des Ro-mains; et Horace 5 , en sa liste des potes de Rome, oublie Lu-crce, son prdcesseur en Epicurisme : trange oubli! Sans

    t) Cf. A. J. Munro, qui indique plusieurs rapprochements entre ces deux auteurset pourrait en citer bien d'autres (op. cit., notes au vers 619, 1. V, etc.); il con-sidre Lucrce comme ayant imit VAratus de Cicron ( it is vident Lucre-tius has studied this translation of Cicero ). Les raisons apportes dans lesens contraire, par C. Martha, nous semblent dcisives (Le pome de Lucrce,notes la page 23, ligne 2, p. 350). Cf. Qu de re eliam in libris consulatussui (Cicero) eadem dixit quae Lucretius (Lactance, Inst. div., III, 17).

    2) Cf. Munro, notes, v. 938, 1. III, et v. 1029, 1. V; cf. Martha,#fc. I. notes,in fine.

    3)Quelques -unes de ces imitations sont releves par Munro, aprs diversditeurs de Lucrce (notes, liv. I, v.253). On pourrait en citer nombre d'autres.Aulu-Gelle disait, probablement d'aprs Favorinus d'Arles : Non verbaaulem sola, sed versus prope totos et locos quoque Lucretii plurimos sectatumesse Virgilium videmus (N. A., I, 21).L'dition de Lucrce par WakefieH prsente trs mthodiquement les em-

    prunts de ces premiers imitateurs de Lucrce (Cf. Index crilicus, vol. IV,pp. 5-48).

    4) L'picurisme, dit-il, est un genre de philosophie peu oratoire; c"est laphilosophie des esprits borns. ... Non dici illa subtiliter, quod et tam facileediscantur et ab indoctis probantur (Tusc, IV, 3, 7). Aussi n'est-il rien demoins mchant qu'un picurien : Nullura genus est minus malitiosum (Tusc., III, 21, 50). Ils ne s'entendent mme pas entre eux, de Grecs Latins. Hi in illorum et illi in horum sermone surdi (Tusc, V, 40, 116). Depuis Amafinus, ils ont inond l'Italie de livres dtestables (Tusc, I, 3, 6,et IV, 3,7). Celui de Lucrce vaut-il mieux que les autres? Si nous suivons laleon la plus favorable (celle d'Orelli), nous lirons : Lucretii poemata... nonmultis luminiiiusingenii, multtamen artis. . ; d'autres lisent : nullis lumi-nibus ingenii... et mme : non multae tamen artis (Epist. ad fratrem,II, 9 ou 11).

    5) Cf. Ep. ad Pisones et Sal. I, 10, etc.

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    6 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSVitruve 1 , Velleius Palerculus 2 et Cornlius Nepos 8 (ami deCicron), nous n'aurions pour ainsi dire pas de tmoignages con-temporains sur Lucrce : les potes officiels d'Auguste, res-taurateur des dieux, vitent de nommer le chantre irrligieux de lasereine doctrine d'Epicure. Seul, exil en Thrace, Ovide lui rendjustice *. C'est aussi ce que n'hsita pas faire Verrius Flaccus 5 ,dont les lves (petits-fils d'Auguste) lisaient Cicron en cachette :son nom ouvre la longue liste de grammairiens qui, sous la formeimpersonnelle d'un exemple retenir, transmirent au MoyenAge beaucoup de maximes picuriennes empruntes Lucrce.Mais aprs Yerrius, les tmoignages se succdent longtempssans interruption.Snque tempre souvent par les plus dlicates penses de

    Lucrce l'pret du Stocisme 6 ; et Sutone 7 , dans ce qui nous reste1) liera plures post nostram memoriam nascentes cum Lucretio videbun-

    tur velut coram de rerum natura disputare, de arte vero rhetorica cura Cic-rone... (Vitruve, De architectura, 1. IX, c. ni, seu prsef. in pie).2) Quis enim ignort... floruisse hoc tempore Ciceronem, Hortensium...temulumque Thucydidis Sallustium, auctoresque carminum Varronem ac Lu-cretium neque llo in suscepti operis sui minorem Catullum (Vell. Paterc,Uist. Rom., II, 36,2).

    3) Idem L. Julium Calidum, quem post Lucretii Catullique mortem multoplegantissimum poetam nostram tulisse tatem vere videor posse contendere...{Atticus, XII).

    4) Cannina sublimis tuncsunt peritura LucretiiExitio terras cum dabit una dies.

    (Amorum, I, 15, 23.)Explicat ut causas rapidi Lucretius ignis,Casurumque triplex vaticinatur opus.

    {Trist., II, v. 425.)Properce aussi nomme peut-tre Lucrce; mais son jugement est tout autre:

    Aut quid Lucretii tibi prosunt carmina lecta?Nil juvat in magno vester amore senex.

    (Prop., J. II, El. 34, v. 29, dit. Lemaire.)5) De.vit/niflcalioneverborum. Lexique rdit et abrg par Fest us et Paul Diacre.6) Snque cite nombre de vers de Lucrce et fait souvent appel son auto-

    rit (cf. Ep., 95, il; 106, 8; 110,6; Nat. qust., IV, 2, 4 ; De tranquill. an. ,11,14). Snque se sert mme du nom de Lucrce comme d'un nom banal, etdit : Cicron, Caton, Lucrce (.Ep., 58, 12), comme nous disons : Pierre, Paul, Jean.

    Ptrone, favori de Nron, connat et imite aussi Lucrce (cf. Munro, o. c,notes aux vers 361 et 966, liv. IV).

    7) Suetoni Tranquilli Reliqui, dit. Reiterscheid., IV. XIV, p. 38,. et p. 3,

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 7de ses Hommes illustres, semble lui donner un des premiersrangs parmi les modles littraires. D'autres, allant encore plusloin 1 , l'estimaient suprieur aux classiques du sicle d'Auguste : Affaire de mode ! s'crient Tacite 2 et Quintilien*, dsols decette prfrence.Le ton mme de ces rclamations atteste bien quel rang tenait

    alors, au vu et su de tous, le pote picurien. La raction futrapide, inaugure par les philosophes hellnisants, et continue,aprs eux, par les derniers dfenseurs du polythisme unis desStociens et des Noplatoniciens.

    Les rhteurs avaient reproch au pote ses formes archaques;les philosophes l'attaqurent en critiquant d'une faon gnraleles traducteurs des ides grecques, trop subtiles pour tre expri-mes en latin. Contre ces subtilits les Romains gardrent long-temps l'pre rudesse qu'avait montre Caton au temps deCarnade; ils redoutaient de plier aux souplesses des sophistesleur langue forte et nette. Ceux qui voulaient s'initier auxphilo-sophies trangres pouvaient les aller tudier, en grec, Athnes.Pline le Jeune n'hsite pas dclarer que le latin ne peut expri-

    1. 9, etc. Cf. aussi Sellar, The roman poets of Republic, p. 269 et 398.1) Malgr Stace :

    Cedet musa rudis ferocis EnniEt docti fur or arduus LucretiEt qui per frta duxit Argonautas.

    (Silv., II, 7, 75.)2) ... Neminem nominabo, genus hominum signasse contentus; sed vobis

    utique versantur ante oculos qui Luciliurn pro Horatio, et Lucretium pro Vir-gilio, legunt (De Oratoribus, c. xxm).

    3) Cteri omnes longe sequentur (Virgilium).... Nam Macer et Lucretiuslegendi quidem, sed non ut phrasim, id est, corpus eloquentiae faciant... (Inst. orat.y X, 1, 87; id., Xll, 11, 27). Ailleurs Quintilien note que Lucrcetraduit toujours fidlement les mots grecs, hormis un vers o il les conservapour l'harmonie; il reconnat sa grande valeur philosophique et recommandeaux grammairiens d'tudier la philosophie... propter Empedoclem in Grcis,Varronem ac Lucretium in Latinis, qui pracepta sapientiae versibus tradide-runt (Op. c., I, 4, 4 )La plupart des grammairiens tudis par le Moyen Age ont suivi ce conseil :quelques-uns mme furent aussi d'illustres philosophes : tmoin Victorinus.

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    8 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSmerles ides grecques ' ; et Perse raille avec sa verve ordinairela posie et les thories de Lucrces. Tout cela fit bientt jugerpurile la philosophie du pome de la Nature, et l'on ngligeal'picurien pour n'tudier que le pote, si bien qu'Aulu-Gelle 3 , unsicle aprs Snque, ne parle de Lucrce qu'au point de vue lit-traire; c'est d'autant plus significatif qu'il emprunte la plupartde ses jugements un philosophe, Favorinus d'Arles. Ds l'av-nement de Marc-Aurle 4 et le triomphe des Stociens et des hel-lnisants, Lucrce ne fut plus qu'un pote.

    Banni parles reprsentants du polythisme, Lucrce, par unefortune trange, passa du ct des chrtiens.

    Contre le Stocisme, dont le symbolisme habile et la pure mo-rale soutenaient encore le polythisme chancelant 5 , les chrtiens

    \) Epigrain mata hic grca quaedam latine aemulari et exprimere temptavi, indeterius tamen. Accidit hoc primum imbecillitate ingenii mei, deinde inopia, acpotins, ut Lucretius ait, egestate patrii sermonis (cf. Pline, Arrio Antoninosuo, Ep., IV, 18).Cicron se bornait transcrire, au lieu de les traduire, les termes de philo-sophie grecque dont le latin ne lui offrait pas de synonymss (cf. V. Glavel, Devocabulis graecis apud Ciceronem).

    2) OEgroti veteris meditantis somnia : gigniDe nihilo nihil, in nihilum nil posse reverti.[SaL, III, 83.)

    Ce dernier vers, si souvent attribu Lucrce, n'tait, dans la pense dePerse, qu'une ironique absurdit.

    3) Ses citations de Lucrce sont nombreuses, mais presque toutes exclusive-ment grammaticales. Il a cependant cit le fameux vers :

    angere et tangiSerenus Sammonicus ne cite qu'au point de vue mdical :

    Irrita conjugis sterilis si munera languentNec sobolis spes est, multos jam vana per annos,Femineo fit vitio res, necne silebo :Hoc poterit quartus magni monstrare Lucreti.(Serenus Sammonicus, De medicin., v. 610.)

    4) Cf. Renan, Marc-Aurle, ch. xxi. Celse et Lucien adressent picureles mmes loges que Lucrce (p. 347). Cf. id., p. 374, sur l'affinit entrepicuriens et Chrtiens.

    5) Cf. G. Boissier, La Religion romaine, d. in-8, vol. II, p. 409 et s. epassim.

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 9cherchaient des allis 1 ; ils adoptrent Lucrce qui non seule-ment protestait contre les dieux et s'indignait contre leurs pr-tres 2 , mais encore soutenait comme eux, envers les Stociens, lanon-ternit du monde 3 . Si l'on peut opposer des philosophesanciens aux philosophies polythistes, disait Minucius Flix 4 ,pourquoi n'en pas profiter?Arnobe et surtout Lactance n'hsitrent pas. Le premier est

    nourri de Lucrce. Quoiqu'il l'ait nomm seulement une fois.pour se rire des nombreuses mamelles de Crs 5 , il l'imita

    1) Philodme prtend que l'picurisme est plus favorable que le Stocismeaux ides religieuses.

    Il n'est pas sans intrt de noter que ds le 111 e sicle on trouve, ct desMmorables de Xnophon et des Sentences de Ma rc-Aurle, des sentences choi-sies d'picure qui sont toutes des leons de sagesse ne pouvant effrayer per-sonne (cf. Journal des Savants, nov. 1888, p. 663). Usener leur a consacrune longue tude. Gomperz a publi ces sentences dans les Wiener Studien,1888, p. 175-210.

    2) On connat les vers sur le sacrifice d'Iphignie et la devise du pote :Relligionibus atque vatum obsistere minis.

    3) Et Epicureis de elementorum conflagratione et mundi ruina eadem ipsasententia est (omiTia quae orta sunt, occidere ; quse facta sunt, interire) (Min.Flix, Octavius, xxxiv, 3) ; Lactance (Inst. div., Il, c. xi) reprend et dveloppecette ide que nous retrouverons souvent par la suite et qui passa dans la phy-sique du Moyen Age.

    4) Aprs une revue de philosophes anciens qui tous, malgr leur paganisme,pressentirent plus ou moins la Divinit, Minucius Flix conclut : Exposuiopiniones omnium ferme philosophorum, quibus illustrior gloria est... Deumunum multis licet dsignasse nominibus; ut quivis arbitretur aut nunc chris-tianos philosophos esse, aut philosophos fuisse jam tune christianos [Octav., c.xx)...sic antiquitas, poetarum fabellis suis delectata... philosophorum suorumsententiis refellatur... (id., I.I.).

    Cette ide d'emprunter aux paens leurs arguments pour assurer le triomphede la vraie religion comme autrefois les Isralites emportrent pour le cultedu vrai Dieu les vases d'or des gyptiens reviendra souvent chez les Apolo-gistes et leurs successeurs, jusqu'au Moyen Age, o elle fit fortune. Or picureest un de ces philosophes utiliser : Etiam Epicurus ille qui deos aut otiososfingit aut nullos, naturam tamen (se. divinam) superponit {Octav., xix).

    5) ... Gererem, musa ut praedicat Lucretii, mammosam ^Adv. gent.,1. III, ex).Dans ses notes Lucrce, Munro relve de nombreux

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    10 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSconstamment et reproduisit h chaque page ses phrases, ses ex-pressions, et jusqu'aux mots qui ne se trouvent chez nul autreauteur. Quant Lactance, auquel n'avait point chapp l'ironiede Perse 1 , mais qui partageait l'avis de Tertulliensur la rigueurlogique de l'Epieurisme 2 , il cite Lucrce copieusement et avanttout autre paen. Ce que le pote crivait contre les dieux, Lac-tance le rpte au nom des chrtiens; les loges d'picure habi-lement retourns deviennent ceux du vrai Dieu; et, si parfoisLucrce dpasse les bornes et dlire , Epicure seul est cou-pable 3 . En un mot, l'alliance entre l'apologiste et l'Epicurienest fermement tablie 4 . Sous Constantin, destructeur du po-Picavet : La Mettrie (Bulletin de VAcadmie des sciences morales, 1891).

    (1) propos de l'explication de l'origine des socits : Quod irridens Per-siu? :

    .... postquam sapere urbicum pipere et palmis venit...(Lact., Inst. div.)

    2) Epicurei constantius parem omnibus atque perpetuam defendunt veritatem,sed ali via; non enim sensus mentiri, sed opinionem (dicunt); sensus enimpati, non opinari; animam enim opinari. Absciderunt et opinionem a sensuet sensum ab anima. Et unde opinio, si non a sensu? et unde sensus, si nonab anima? (De anima, XVII). Au Moyen Age, la mme question reviendra. Ajou-tons que Tertullien fut probablement le premier assimiler les philosophes auxhrtiques : Haereticorum patriarch philosophi (Adv. Hermog., c. vm, etDe anima, e. m). Eadem materia apud bsereticos et philosophos volutatur,iidem retractatus implicantur. (Deprscriptionibus, c.vn). Ipsae denique bae-reses a philosophia subornantur... et ut anima interire dicatur, abEpicureis ob-servatur ;etutcarnis restitutionegetur, de un omnium philosophorum scholasu-mitur (De prsescriptionibus, c. vu). L'ide fera fortune au Moyen Age (cf.saint Isidore et Raban). Citons aussi le passage suivant : Porro et animamcompati corpori, cui laeso ictibus, vulneribus, ulceribus condolescit ; et corpusanim. cui afflicta cura, angore, amore, cosegrescit, per detrimentum scilicet vigo-ris, cujus pudorem et pavorem rubore atque pallore testetur. Igilur anima cor-pus, ex corporalium passionum communione. Sed et Chrysippus manus ei(Cleanthi) porrigit, constituens corporalia ab incorporalibus derelinqui omninonon posse, quianec contingantur ab eis; unde et Lucretius :

    Tangere enim et tangi, nisi corpus, nulla potest res ; derelicto autem corporeab anima, affici morte. Igitur corpus anima, quae, nisi corporalis, corpus nonderelinqueret (De anima, c. v).

    3) Illius enim (se. Epicuri) sunt omnia quoe dlirt Lucretius (De Opif.Dei).

    4) Unus igitur Epicurus, auctore Democrito, veridicusin hc re fuit; qui ait,

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    LUCRCE DANS LA THEOLOGIE CHRTIENNE 1 1lythisme, Lucrce est aussi frquemment cit qu'il le fut rare-ment sous Auguste, restaurateur des dieux.

    Toutes les tendances religieuses de cette poque allaient affranchir l'homme des formes matrielles du culte polythiste ;les Stociens crurent russir en rduisant ces pratiques unsymbole : ce n'tait qu'un demi-moyen. Lucrce, absolu dansson exclusion, s'accordait mieux avec la direction nouvelle desesprits; ses ides, en ce sens, taient une force que les chr-tiens mirent leur service. De l son rle dans cette lutte o lesdeux religions se disputaient l'empire.Malheureusement cet alli, prcieux pour l'attaque, devint

    terriblement gnant aprs la victoire. Gomme ces lions dont ilparle en son pome et qui se retournaient, aprs avoir port lecarnage dans les rangs ennemis, contre ceux qui les avaient d-chans ', Lucrce mit le dsordre parmi les chrtiens et devintun fauteur d'hrsies. Bientt les dissidents se servirent de luicontre le christianisme triomphant, comme s'en taient servi lesApologistes contre le paganisme expirant. Les crits de saintJrme et saint Ambroise, qui dirigent cette poque l'opi-nion chrtienne 2 , nous montrent quels dangers naissaient decette introduction de rpicurisme et combien violente fut la luttecontre picure et son interprte latin. En ce sicle o le latinl'emporte sur le grec, en Occident, les crits de Lucrce taientcertainement plus rpandus que ceux de son matre ; c'est doncet ortum aliquando, et aliquando esse periturum [Inst. div., 1. VII, c. i).

    Quse si vera sunt, non poterit defendere Aristoteles quominus habuerit etmundus ipse principium. Quod si Aristoteli Plato et Epicurus extorquent, etPlatoni et Aristoteli, qui semper fore mundum putaverunt, licet sint loquentes,ingratis tamen idem Epicurus eripiet quia sequitur ut habeat et fmem (Lact., Div. Just., 1. II, c. xi).

    L'importance de cette thse picurienne sur l'origine et la fin du monden'avait pas chapp Minucius Flix (v. supra).

    1) Lucr., 1. V, v. 1316.2) En Gaule, saint Hilaire n'est pas moins nergique contre picure : Labia

    iniqua Epicurei, lingua dolosa... Hi sunt, qui abnegantes Deum, nullumhumanis rbus asserunt reliquum esse; in religione Dei profectum sed solumhoc sibi bonum esse, quod luxui et corpori vivant, adimentes Deo curam, pro-videntiam, arbitrium, potestatem (Hilarii Tract, in Psalm. 119 , d. Migne,647).

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    12 REVUE DE l'hTSTOTRE DES RELIGIONSsurtout lui qui est vis par les attaques contre les picuriens.Ces attaques s'adressaient d'ailleurs plutt sa morale qu' salogique et sa physique. Contre le jene et la virginit, lesdoctrines picuriennes avaient fourni, certains apostats 1 , desarguments que saint Jrme et saint mbroise s'unissent pourrfuter; mais leur rfutation atteint le disciple plus que lematre, car, tout en dclarant qu'picure s'est fait l'avocat de lavolupt [assertor voluptatis), saint Jrme fait le plus grandloge de sa vie 2 . Si les moines qui se rclament de lui l'avaientlu, ils sauraient quel point ce sage a fait bon march des plai-sirs de la chair et du ventre : ses livres ne parlent que d'oignonset d'eau claire, sa morale dconseille au sage de prendre femme.O trouver en cela des arguments contre le jene et la virginit 3 ?

    1) Jovirsianus Epicurus cbristianorum. . . mihi Joviniani commentariolostransmiserunt, rogantes, ut eorum ineptiis responderem et Epicurum christia-norum Evangelico atque Apostolico vigore conterrerem (Adv. Jov., I. I, c. 1).

    2) Quodque mirandum sit, Epicurus voluptatis assertor, omnes librossuos replevit oleribus et potnis, et vilibus cibis dicit esse vivendum (Adv.Jovinianum, 1. II, c. 11).

    Epicurus voluptatis assertor raro dicit sapienti ineunda conjugia, quia multaincommoda admixta sunt nuptiis (Adv. Jov., I, 48). Ce qui ne signifienullement qu'on doive suivre ses enseignements : Docebo etiam inter philo-sophos et egregiosin republica viros, virtutes voluptatibus, id est, Pythagoram,Platonem et Aristidem, Aris'.ippo, Epicuro et Alcibiadi ab omnibus solereprferri (Hier., Adv. jov., 1. I, c. 4).

    3) Quae istos Epicuros nova schola nuisit? crit saint Ambroise unvque auquel il demande de fermer son glise Sarmation et Barbatianqui prchaient contre le jene et la virginit (Epist., I, 63, 8).

    Ipse quoque Epicurus quem isti sibi magis sequendum quam apostolosputant, assertor voluptatis, etsi neget invectricem mali esse voluptatem, nonnegattamen ex ea fieri qudam, e quibus generentur, mala ; denique, nec luxu-riosam vitam reprehensibilem videri, qure repleatur delectationibus ; nisi veldoloris, vel mortis quatiatur metu... sed hoc divina scriptura redarguit, quaeserpentis insidiis atque illecebris infusam Ad atque Evae voluptatem docet [Epist., I, 63, 13).

    Quid,quod ille ipse Epicurus defensor voluptatis, cujusideo frquenter facimusmentionem, ut hos aut gentilium discipulos et Epicuream probemus sectamsequi : aut illum ipsum quem isti philosophi a suo excludunt consortio, tanquampatronum luxuri, tolerabiliorem his esse doceamus. Clamt ergo ille, utDemarchus asserit, quia non potationes, neque commessationes, neque filio-rum soboles nec feminarum copulao, nec piscium copia aliorumque hujusmodiqu splendido usui parantur convivii, suavem vilain faciant, sed sobiia dispu-

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 13Les deux moines ont puis chez quelque interprte d'Epieure 1 .

    Les attaques contre la logique sont brves, mais il faut les si-gnaler pour montrer combien le jugement de saint Jrme diffreen ce point de ceux de Tertullien et Lactance 2 . Au contraire ence qui concerne la physique, les deux Pres ne se sparent pas deleurs devanciers. Saint Ambroise 3 rappelle, aprs Lactance,qu'Epicure fora les Aristotliciens et les Platoniciens confesserla non-ternit du monde ; et saint Jrme cite volontiers Lucrce ceux qui l'interrogent sur la Nature 4 ; il le rapproche mme de latatio... Succo solo et pane vel aqu qui libenter utitur, despuit deliciarum epu-las ; quia multse ex his generantur molesti. Etiam alibi dicunt : non imtnode-ratee epulee, non potationes voluptatis suavitateru gnrant, sed continens vita.

    Cum igitur illos abdicaverit philosopbia, hos non excludit Ecclesia?(Epist., 1, 63, 19).Aiusi picure est apprci en deux sens diffrents ; mais les hrtiques

    n'adoptent de ses doctrines que le mauvais ct.Le passage de Dmarque est dans la lettre Menece. Rappelons encore le

    Recueil des maximes picuriennes qui, jointes des textes stociens et desextraits de Xnophon, passaient alors pour avoir une haute valeur morale(note 1, supra).

    i ) Saint Jrme cite prcisment Lucrce propos de ces dise ussions contre leshrtiques : Quid Joquor... Evagrius Ponticus Iberita, qui scribit ad virgines,scribitad monachos, scribit ad eam cujus nomen nigredinistestaturperfidia; tene-bras,...hujus libres per Orientem grcos et, interprtante discipuloRu ffino, lalinosplerique in Oecidente lectitant. Qui librum quoque scripsit, quasi de monachis...et multos (damnatos) alios quos enumerare tdium est : et juxta illud Lucretii :

    An veluti pueris absinthia tetra medentesCum dare conantur, prius oras pocula circumContingunt dulci mellis tlavoque liquore.(Lucr. II, 11 [Epist. adv. Pelag. 132]).

    2) Citons en particulier le passage suivant de saint Jrme : Licet magisphilosophos sequi videaris, spinas Cleantis, et contorta Chrysippi, non ex artequam nescis, sed ex ingenii magnitudine. Et quoniam Stoci logicam sibivindicant, et tu hujus scientlse deliramenta contemnis, in hac parte Epicureuses ; nec queeris quomodo, sed quid loquaris (Hieron., Adv. Ruf., I, c. r, 30).Dans le mme opuscule, saint Jrme se spare de= picuriens mme sur

    certaines questions de physique :

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    14 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSGense et de YEcclsiaste, deux livres dont le commentaire for-cera le Moyen Age s'occuper de physique.

    Cependant l'influence philosophique de Lucrce est alors bienfaible; saint Augustin considre mme l'Epicurisme comme unedoctrine morte 1 . Elle est nanmoins encore assez vivante pourque, peu de temps aprs, Claudianus Mamertus la rfute et,contre elle, prmunisse les chrtiens de son temps 2 . Il reprocheniones juxta Epicurum, vel... dicere. Et ut ad Ecclesiam transeam, ubi normaest veritalis, multa et Genesis et Prophetarum libri ac Ecclosiastes nobis dehujuscemodi qusestionibus suggerunt. (Adv. Ru/m., 1. III, c. 29). Cf. Ecclesiastcs Tradidit mundum disputationibus eorum.

    1) ...Christianae jamsetatis exordio, cum rerum invisibilium atque ternarumfides per visibilia miracula salubriter prdicaretur hominibus, qui nec viderenec cogitare aliquid praeter corpora poterant, beato apostolo Paulo, qui eam-dem finem gentibus prseseminabat, iidem ipsi Epicurei et Stoci, in ActibusApostolorum contradixisse inveniuntur.

    Qua in re satis mihi videtur demonstratum esse errores Gentium, sive demoribus, sive de natura rerum, sive de ratione investigand veritatis, qui...in his maxime duabus sectis eminebant... durasse... Quosjam certe nostr aetatesic obmutuisse conspicimus, ut vix jam in scholis rhetorum commemoretur tan-tum quee fuerint illorum sententi (Augustin, Epist. il, 118, c. II, 20-21, d.Migne, 2, 442).

    Il ne faut pas oublier que saint Augustin est avant tout noplatonicien. Mais il connat assez exactement l'Epicurisme et en parle frquemment dansses Lettres, ses Confessions et la. Cit de Dieu. Notons aussi le curieux passagesuivant o saint Augustin semblefaire le dpart entre le vrai et le faux d'picure :

    Alterum genus (erroris) animadverti sic potest : si quis, quia Lucretiusanimam ex atomis esse scribit, eamque post mortem in easdem atomos solviatque interire, id verum ac sibi credendum arbitretur. Nam et hic non minusmiser est si de re tant id, quod falsum est pro certosibi persuasit; quamquamid Lucretius, cujus libris deceptus est, opinatus sit... Tertio generi est illudaccommodatum : si quis Epicurum, iecto ejus in libris aliquo loco ubi continentiam laudat, in virtute illum summum bonum posuisse asseveret, et ideo nonculpandum (August., De utilitate credendi, c. v, Migne V, VIII, p. 72).Au reste, les questions de physique lui semblent peu dignes d'intrt : Cumergo quaeritur quid credendum sit quod ad religionem pertineat, non rerumnatura ita rimanda est, quemadmodum ab eis quos Physicos Graoci vocant : necmetuendum est ne aliquid de iis... Christianus ignoret... Satis est christianorerum creatarum causam ...non nisi bonitatem credere creatoris (Enchiridionde Fidc, 1. I, c. ix).

    2) De statu animx, 1. II, c. n, 3, et aussi ... Aurelius Augustinus... velutiquidam Chrysippus... aut Zeno... aut Varro noster voluminum magnitu-dine, et qui profeclo talis natura, attentione, disciplinis exstiterit, ut non

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 15 picure son matrialisme 1 , et, plus svre que Minucius Flix,l'exclut de la longue liste des philosophes prcurseurs du vraiDieu. Une fois encore Lucrce est condamn. Chez SidoineApollinaire on retrouve cependant des traces de son influence,mais sans aucune mention de son nom : il en est de mmechez ClaudianusMamertusqui, dans sa Lettre Sapande, sembleomettre volontairement le matre et le disciple 2 ; il connaissaitcependant au moins picure.

    Ce qui prcde montre comment les Apologistes et les pre-miers Pres chrtiens amenrent le Moyen Age, tout en con-damnant l'ensemble de cette doctrine, adopter quelques-unesdes ides cosmologiques exprimes par Lucrce. Ces ides ferontdsormais partie intgrante de cette Tradition que l'orthodoxierespecte presque autant que l'criture : c'est dire qu'elles ne dis-paratront plus. Elles continueront, adoptes ou non, de circulerdans renseignement, portes par les crits qui les contiennent.Les grammairiens, ces premiers ducateurs du clerc au MoyenAge, contriburent aussi, dans une large part, perptuer l'in-

    fluence de Lucrce. Ils ont, nous dit Raban Maur qui les connatbien 3 , pill les paens presque autant que l'avaient fait Hilaireet Lactance.Comment ont-ils trait Lucrce?

    immerito ab istis corporalibus nostri seeculi Epicureis aut Cynicis spiritalissophista dissenserit... sic pronuntiat... (h II, c. ix, 2).

    1) ". Quis est iste qui dicit : Habet anima corpus incomparabiliter tenuiusquam nostra sunt corpora? Si anime verba ista sunt, quod corpus esse suumdicit quod ipsa est, aut istud quod sentificat vegetatque carnale (ipsa enimdicit anima : Tenuius est corpus anime quam corpus meum). Quod est corpusquod suum dicat anima, nisi illud quod ipsa est, si corpus est anima (De statuanim, 1 I, c. xvi).

    2) Dans cette lettre, Cl. Mamertus cite les philosophes auxquels on joignaitalors picure, sans nommer celui-ci. Ou ne saurait cependant dire qu'il l'ignore,car il en parle assez exactement dans son De statu animas, uvre d'un philo-sophe qui connat bien les anciens.

    3) De clericorum institutions, 1. I, c. xcvi : Nonne aspicimus quanto auroet argento et veste suffarcinati exierunt de Egypto Cyprianus et doctor suavis-simus et martyr beatissimus... Quanto Lactantius? quanto Victoriuus, Optatus,Hilarius...

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    16 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSPresque tous lui donnent la premire place aprs Virgile et

    Horace.Le volumineux lexique de Verrius Flaccus 1 tait peu ma-niable : Pompeius Festus l'abrgea. On ignore quelle date,

    mais c'tait, en tout cas, avant Macrobe et aprs Martial 2 . Sil'uvre du pote et alors t dlaisse, Festus et allg lelexique de ces citations : loin de l, il en conserva un nombrecon-sidrable et les autres grammairiens firent de mme. Dosithe,parmi les Grecs, Censorinus chez les Latins nous montrentquelle place tenait Lucrce dans les proccupations littraires decette poque : Nonius Marcellus le cite abondamment"; Plotiuset les deux Victorinus * recoururent frquemment son autorit.Servius le fait souvent servir l'explication de Virgile .

    Enfin le grand commentateur de cette poque, Probus, lui con-sacra, comme Virgile, un travail spcial que probablement lutsaint Jrme 6 .A cette poque, Lucrce ne fut donc pas moins cit par

    Cf. Numquid aliud tecertmt multi boni fide'es nostri? Nonne aspicimusquanto auro et argento suffarcinata exierit de Egyplo,.. Lactantius; quantoVictorinus, Optatus, Hilarius, ut de vivis taceam; quanto innumerabiles Graeci...injusli sunt enim possessores scientiarum... (Docir.chr., 1. II, clx).

    1. Voir ce nom.2) Car il cite Martial et il est cit par Macrobe. Ce qui nous reste du lexique

    de Festus (cf. l'dit. Egger), remani encore auix sicle par Paul Diacre, permetd'apprcier l'importance des citations de Lucrce.

    3) Cf. V Index des Grammatici latini de Keil pour les citations de ces gram-mairiens.

    4) L'un d'eux est le rhteur africain, converti au christianisme, qui rfuta lesManichens, commenta la Bible et crivit un T)e Physicis contre les philosophesqui attaquaient la Gense (cf. Mn, Script, veter. nova coll., t. III).

    5) Les citations de Lucrce, dans le commentaire de YEnide, sont frquentes :plusieurs ont une importance philosophique considrable, et leur influence futd'autant plus grande que Virgile (et par consquent ses commentateurs) futplac par tout le Moyen Age ct de la Bible. Nous ne pouvons donner ici lescitations de Servius : quelques-unes seront mentionnes aux notes de saintIsidore.

    6) Hieronymus, Inapol. c. Rafi,n... 367, ubi de Plauti, Ciceronis et reliquo-rum commentatoribus agit, aperte testatur se aliquando grammaticorum com-mentarios in Lucretium legisse... Sed aquibusilli conscripti sunt, penitus igno-

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 17les grammairiens que par les Apologistes. Plus tard encore,son influence sera grande sur certains crivains gallo-romainsS'Avit 1 , Sidoine Apollinaire 2 , Ausone 3 , lui fonttous des empruntsplus ou moins dguiss. Mais, en Italie, sa fortune littraire com-mence chanceler. Le matre de saint Jrme, Donat, le placebieu au-dessous de Virgile et surtout lui reproche violemmentson immoralit 1 . Aprs lui, d'autres, parmilesquels Boce et Cas-siodore, reprendront ce jugement. Tout cela, joint aux polmi-ques de saint Jrme et de saint Ambroise, crait un courantdfavorable Lucrce. C'est en vain que Macrobe 5 et Priscien 6s'accordent le louer et le citent abondamment : le premier,polythiste et lgrement gnostique, ne pouvait prvaloir contreDonat ; le second russit peine partager avec le Matre ladirection grammaticale du Moyen Age.Vers la fin du iv e sicle, on est donc plutt dfavorable Lu-

    crce : cela explique qu'il ait t compltement laiss l'cartpar les deux auteurs les plus importants du v e et du vi e sicle,Boce et Gassiodore.ratur, quum ipsi et omnes interierunt et, quantum scio a nemini nominatimmemorentur (Suringar, Hist. crit. Scholiastorum lutinorum, v. I, p. iv).

    1) Cf. De diluoio mundi, surtout au livre IV.2) Non Geetulicus hic tibi legetur,Non iVlarsus, Peilo, Silius, Tibullus,Non quod Sulpiciae jocus Thaliae

    Scripsit blandiloquum suo Celeno,Non Persi rigor, aut lepos Properti,Sed nec centimeter Terentianus,Non LuciJius hic, Lucretiusque est.(Carmen IX : Excust, ad Felicem, p. 360.)

    3) Cf. Wakefield , rit. de Lucrce (Index) et Munro, notes.4) Forte habui scortum... a parte sui meretrices scorta dicuntur, vel ito tu

    ffxaipstv, quod grsece palpilare intelligilur, quod illae faciunt saltando assiduevel potius crissando, ut Lucrelius ait, ob eam causam ut concinniorem veneremexhibeant viris aut sibi abigant conceptum (Comment, in Terentium. Eun.,III, I, v. 34). Cf. Isid., Elymol., v. patrare.

    5) Dont ies citations sont copieuses.6) Priscien, dont l'uvre est considrable, tait classique au Moyen Age ; la

    plupart des auteurs dont nous aurons parler l'avaient soigneusement tudiet rsum.

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    18 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSL'admirateur cTAristote et de Platon, le traducteur de YOrga-

    non, est profondment ddaigneux de la plbe picurienne ' ;il condamne durement la thorie des atomes et de la volupt 2 .Dans ces conditions, il ne faut pas esprer qu'il loue Lucrce :c'est peine s'il le cite une fois 3 , et probablement sans le nommer.C'est nanmoins une citation importante, tant cause de la doc-trine nonce que du travail de copiste qu'elle a provoqu versle xe sicle.

    Cassiodore est encore plus hostile 4 . diteur de Donat, lecteurde Priscien et d'autres grammairiens, il a rencontr souventle nom de Lucrce et les vers qu'ils en citent; il est d'ailleur6probable qu'il n'est pas rest sans lire le De Natura rerum ; cepen-dant il parle de Lucrce une fois 5 seulement, en termes si obscursque nous avons d rechercher si ce passage n'tait pas une cita-tion tronque, et nous l'avons, en effet, retrouv dans un livrede Martianus Capella, o le contexte l'clair heureusement.

    Cette attitude de Cassiodore ne doit pas tonner : elle estle rsultat d'un tat d'esprit qui tend devenir gnral. Lescrivains ecclsiastiques de cette poque, nourris de saint Am-broise et de saint Jrme, estiment que le temps donn aux lettresprofanes se pourrait mieux employer l'tude des critures.Les premiers Scoiastiques adopteront cette ide; mais en mme

    1) Gujus (Platonis) hsereditatem cum deincepsEpicureum vulgus, ac Stoicum,caeterique pro su quisque parte ire molirentur, meque reclamantem, reniten-temque, velut in partem praedae, traherent, vestem, quam ineis texuerain mani-bus disciderunt et abiere (De consolatione, I. I, pr. 3).

    2) (Epicurus errt) qui atomis mundum constare putat et honestum corporisvoluptate metitur {In Porphyr. corn., 1. I, initio).

    3) Jam vero mundum corpora quatuor non ignoramus efficere : namque utait : ex imbri, terra atque anima ... (De institutione arithrn., II, c. i;cf. Lucr., I. I, v. 715).

    4) II se plaint d'ailleurs, d'une faon gnrale, de l'importance accorde auxlettres profanes (De Institutione divin, litter., prf.).

    5) Nominaquae apud nosin us, ut vulgus, pelagus, virus, Lucretius viri dicit,quanquam rectius inflexum maneat (De artibus, c. i, De nom.).Or on lit dans Martianus Capella ... prima quae in I genitivum agit et plura-lem non habet, ut vulgus, pelagus, virus, Lucretius viri dicit, quanquam rec-tius inflexum maneat (Nuptise, 1. III, 305).

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 19temps ils reconnatront, avec Cassiodore 1 , la ncessit d'tudierla cosmographie et la physique pour interprter dignement laGense, YEcclsiaste et d'autres parties do la Bible.Ainsi Lucrce, banni des coles comme moraliste, y rentreracomme physicien et peut-tre comme pote.

    II

    THOLOGIE ET PHILOSOPHIEDE LUCRCE CHEZ LES GRAMMAIRIENS ET LES APOLOGISTES.

    ISIDORE DE SV1LLE ET BEDE.

    Ds le vi f sicle, il devient difficile de suivre l'influence de Lu-crce 2 . Chez les crivains, d'ailleurs peu nombreux, de cettepoque, on ne trouve plus que de rares citations de secondemain, fondues dans le texte. Elles se rduisent mme si peude chose que le De Nattira Rerum semble, premier examen,avoir disparu durant la priode de dcadence qui prcde la re-naissance carolingienne.Un examen attentif montre cependant que l'influence de Lu-crce s'est continue.Les coles carolingiennes furent diriges tantt par ceux qui

    avaient apport en France les traditions saxonnes et romaines,tantt par les reprsentants des ides espagnoles : elles eurentpour matres * et disciples les chefs du mouvement intellectuel de

    1) De Institutione divinarum litterarum, prf. et ch. xxv ; De artibus,c. VI-VII.

    2) C'est l'poque o les anciens, mme les plus connus, semblent, chez nous,momentanment disparatre (cf. Grgoire de Tours).3) Alcuin eut pour disciples, l'cole du Palais, Adalhard. qui fit fleurir les

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    20 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONScette poque et rayonnrent en Allemagne et en Italie. Lesinfluences subies par elles s'tendirent donc presque tout lemonde chrtien. Si l'examen des textes montre que les philo-sophes et les thologiens d'alors retrouvrent en des ouvragesmanis sans cesse, et peut-tre dans Lucrce lui-mme, desides picuriennes ; si ces auteurs, tout en faisant leurs rserves,ont admis quelques-unes de ces ides, on ne pourra nier quel'influence directe ou indirecte du pote se soit exerce sansinterruption jusqu'au temps d'Ablard.

    Les citations parses chez les auteurs nomms dans l'Intro-duction forment un total d'environ 400 vers : quelques-uns,isols de leur contexte, n'ont aucune valeur et d'autres aucuneimportance philosophique ni thologique. Laissons de ct lesuns et les autres; il restera une centaine de vers, exprimant enformules prcises et faciles retenir des ides picuriennes surle monde, l'me et la divinit.tudes Corbie, d'o sortiront dans la suite Radbert Paschase et Ratramne;Angilbert, abb de Saint-Riquier, qui y runit plus de 200 volumes; l'histo-rien Eginhard, abb de Seligenstadt ; Riculf, archevque de Mayence, qui en-voya peut-tre Tours Raban, Candide et quelques autres de leurs condisciples;Rigbod, archevque de Tours...

    Hincmar consultait plus tard Raban parce qu'il tait le seul disciple vivantd'Alcuin...

    Alcuin fournit par son enseignement des gloses Raban ; Heiric d'Auxerrecommenta les vers qu'il a mis comme prologue au livre De decem categoris. Gerbert suit Reims l'ancien programme de Raban et d'Heiric... Ablard

    lui-mme n'a sa disposition que les ouvrages dont se sont servis Gerbert,Heiric et Raban.

    Raban Maur a pour successeur Haimon et pour disciple Servat Loup,abb de Ferrires ; Heiric d'Auxerre entend Haimon et Servat Loup, il commenteAlcuin, copie Jean Scot et a pour disciples Hincbald qui dirige ensuite l'coledeSiiint-Amand et Rmi d'Auxerre qui, cit plusieurs fois par Ablard, enseigne Reims o il a pour disciple Abbon de Fleury, puis Paris o il est entendupar Odon de Cluny.

    Odon de Cluny a t indirectement le matre de Gerbert. qui, disciple enphilosophie d'un archidiacre de Reims, restaure dans cette ville l'cole illustrepar Rmi, en reprenant pour son enseignement l'ancien programme de Rabanet d'Heine. (F. Picavet, Origine de la philosophie scolastique en France, inBibl. des Hautes-tudes (Sciences religieuses), t. 1, p. 265-266.)

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 21A une poque o toutes les tudes, mme purement gramma-

    ticales, taient domines parles proccupations thologiques 1 ;au moment o la physique n'avait d'autre utilit que d'clairerla lecture de la Gense et de YEcclsiaste*, ces fragments parsne pouvaient rester sans influence. C'taient, sous cette forme,des ides constamment en circulation et d'autant moins suspec-tes que, spares du corps des doctrines picuriennes, elles pa-raissaient sans danger.Voyons donc quelles thories elles apportaient aux penseurs

    de cette poque.1 Sur le monde. Celui qui veut rechercher le principe de

    l'Univers et de la Divinit, et dterminer de quoi la Nature cretoutes choses et quoi elle les ramne aprs dissolution 3 , trouveraquatre lments : le feu, la terre, l'air (ou l'me) et l'eau*. Deces lments tout est sorti, car de rien on ne tire rien 5 ; il fautdonc l'origine supposer un principe duquel tout fut form, etmme des principes particuliers pour chaque aspect de la ma-tire 6 : ce sont les homomries. Chaque tre a sa matire

    1) Cf. p. 26, note 5.2) Cf. Cassiodore, etc.3) Nam tibi de summa coeli ratione deumqueDisserere incipiam, et rerum primordia pandam,Unde omnis natura creet a res, auctet alatque,Quove eadem rursus natura perempta resolvat.

    (Lucr., I, 55. Senec, Ep . 95, 11.)Principiis, unde haec oritur variantia rerum.

    (Lucr., III, 318; - Nonius, ., p. 184.)4) Ex igni, terra atque anima nascuntur et imbri.

    (Lucr., I, 716; Boet., Arithm., II, 1.)5) Nil igitur fieri de nilo fatendumest,Semine quandoopus est rbus, quo quque creataAris in teneras possmt profener auras.

    (Lucr., I, 205; Lact., Ira Dei, 10.)6) Sed quam multarum rerum vis possidet in seAtque potestates, ita plurima principiorum

    (Lucr., Il, 587; aliter Prise., I, 249.)a) Creare est traduit par crer, conformment la tradition venue de ces auteurs.

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    22 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSpropre, de laquelle il se forme peu peu* : ainsi les viscres pro-viennent d'lments viscraux, le sang1 &lments sanguins, etc.Sinon, d'o proviendraient les pierres aussi bien que le fer 2 , etc.?Comment un corps froid engendrerait-il le froid '? Ne voyons-nous pas que c'est la matire vivante qui donne naissance toutce qui vit*?

    Ce n'est pas, d'ailleurs, une condamnation de la gnrationspontane : le soleil, la pluie et la terre combins sont capablesd'engendrer 5 . Des tres se dveloppent pour ainsi dire dans lesventres de la terre, comme le poussin dans l'uf 5 . Quand cestres ont puis l'existence que leur avait prte l'universelle

    1) Quidque sua de materia grandescere alique.(Lucr., I, 191; Nonius, 115.)

    Visceribus viscus gigni, sanguenque creari(Lucr., I, 837; Nonius, Plotius, Charisius.)

    Dveloppant cette pense, Servi us avait crit : Ex ossibus, secundum Anaxagoram qui homomeriam dicit, i. e. omnium

    membrorum similitudinem esse in rbus creandis, i. e. ex ossibus, ex san-guine, ex medullis. Nam omnia pro parte sui transeunt in procreationem ;(Lucr., I, 830).Nunc ad Anaxagoram veniamus homomeriam.

    (Serv., In Mn., IV, 625.)2) Unde queant validi silices ferrumque creari?

    (Lucr., I, 571; - Nonius, ., 225.)3) Propterea fit uti quae semina cumque habet ignis

    Dimittat, quia saepegelum, quod continet in se, mittit.(Lucr., VI, 876 ; Prise, I, 211.)

    4) Ex insensilibus ne credas sensile nasci.(Lucr., II, 887; Prise, I, 132.)

    5) Quod sol atque imbres dederant, quod terra crearatSponte sua, satis id placabal pectore donum.

    (Lucr., V, 934; Macr., Sat. VI, 1, 65.)Vers ainsi interprts spars de leur contexte.

    6) Crescebant uteri terra? radicibus apti.(Lucr., V, 805; Lact., Inst. div., III, 12.)

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 23cratrice * , la Nature, ils rendent h la terre leurs lments 2 , qu'elledonnera d'autres, et ainsi de suite jusqu'au jour o s'croulerala machine du monde 3 , o tout retournera dans le vide, en l'im-mensit duquel tout se meut 4 .

    2 L'homme. Maintenant quelles sont, dans le monde ninsiconstitu, la place et la nature de l'homme 6 ?

    Tout est form de deux principes 5 : dans l'homme, Tun de cesprincipes est videmment l'me. Mais comment vient-elle aucorps? Chez les tres infrieurs, comme les vers, on ne peut direqu'elle arrive toute cre du dehors 7 ; sinon, o loger la multitudedes mes attendant leurs corps? Chez l'homme il en est autre-ment, car son me (animus) se double d'une sorte de principe

    Quatenus in pullos animalis vertier ovaCernimus alituum...(Lucr., II, 927; Plotius, IL, 445.)

    1) Denique ad extremam crescendi perfica finemOmnia perduxit rerum natura creatrix.(Lucr., II, 1116; Nonius, K., p. 160.)

    2) Cedit item rtro, de terro quod fuit ante,In terram...(Lucr., II, 1000; Lact., Inst. div., VII, 12.)

    3) Sustentata met moles et machina mundi.(Lucr., V, 96 ; - Probus, 225.)

    4) ... Totum video per inane geri res.(Lucr., III. 17; Nonius, 416.)

    5) Quid, genus humanum propritim de quibus factumst?(Lucr., II, 975; Nonius, K., 511.)

    6) Nam qusecumque cluent, aut his conjuncta duabusRbus ea invenies aut horum venta videbis.(Lucr., I, 449; Nonius, K., 203.)

    7) Quod si forte animas extrinsecus insinuariVermibus, et privas in corpore posse venireCredis, nec reputas cur millia multa animarum

    (Lucr., III, 720; Nonius, K 159.)Sur l'importance de cette question dans la thologie chrtienne, cf. Leibniz,

    Thodice, I, 86, 90,91.

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    24 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSvital {anima) analogue au principe dvie des animaux 1 . Ce prin-cipe nat et meurt : quant l'me (animus), qui est notre esprit 2 ,c'est par elle que nous sommes d'origine cleste et que nous avonstous un Pre commun 3 ; c'est elle qui peut vivre et durer hors ducorps*; c'est elle entin qui retourne aux temples resplendissantsdes cieux quand la terre reprend, la mort, ce qu'elle avait donnl'homme 8 : etnous, qui restons vivants, croyons voir encore de-vant nous et entendre ceux dont la terre garde les os 6 .Dans tous ces fragments isols, rien ne heurlait prcisment

    les ides thoiogiques : mais que dire des vers o Lucrce nousmontre l'me terrifie de mourir, elle qui devrait au contraire, sielle se sentait immortelle, se rjouir de quitter le corps comme

    1) Esse animam cum animo coniunctam : quse cum animi viPereulsa est, exin corpus piopeilit et icit.(Lucr. , III, 159 ; Nonius, K., 124.)

    2) Primum animumdico, mentem quam saepe vocamus.(Lucr., III, 9i; Charisius, K., 2l0.)

    3) Deniuup clesli siimus omnes semine oriumliOmnibus ille idem Pater est...(Lucr., Il, 9 il ; Laet., lnst. div., VI, 10, et Opif. Dei, 19.)

    Sur le idem Pater est, cf. Ri tter et P relier ; Patin, sur la religion de Lucrce.4) Tanto magis infitiandum estTotum posse extra corpus durai'e genique.

    (Lucr , 111,794; Prise, 1,529.)5) Cedit item rtro de terra quod fuit ante

    In terrain, s^d quod missum est ea aetheris orisId rursum cli fulgentia templa receptant.

    (Lucr., Il, 1001; Lact., Inst. div., VII, 12.)Servius avait commenta ainsi un passage analogue : Nihil enim est quod

    perire fumlitus possit, cum sit t uocv, i. e. omneinquod redeunt universareso-luta. Res autem haec qu mors vocatur, non est mors : quippe quae nihil perirefacit; sed resolutto. Unde mors a plerisque interitus dicta est, quasi intervenienset mistarum n jrum connexionem resolvens. Lucretius (I, 675) :Continuo hoc mors est illius quod fuit ante.

    (Serv., InMn., IV, 225.)6) Cernere ut videamur eos audireque coramMorte obita quorum tellus amplectitur ossa.

    (Lucr., 1, 175; Macr., Sat., VI, 1, 4.)

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    LUCRCE DANS LA THEOLOGIE CHRTIENNE 25le serpent laisse sa peau ds l'avril 1 ? De tels vers durent tre lapierre de scandale du Moyen Age 2 : seuls, ils auraient suffi rendre Lucrce suspect, moins qu'on n'y lt la terreur de l'enferou qu'on ne les prsentt comme une objection.

    3 La Divinit. Il semble impossible que les chrtiens duMoyen Age consultent Lucrce sur ce sujet : cependant les apo-logistes ne l'avaient-ils pas dj fait 3 ? Le pote n'tait-il pluscelui qui dpeignit en vers nergiques la misrable conditiondes hommes courbs sous le joug du polythisme?

    Quels malheurs, quels crimes, quelles impits n'a pas caussla religion ancienne 4? Faut-il rappeler le sang d'Iphignie rou-gissant les autels de Diane 5 ? Faut-il rappeler ce Jupiter dont lefoudre maladroit frappait innocents et coupables, et jusqu'ses propres temples 6 ? Voil la religion dont il faut dlivrer leshommes 7 : celle qui consiste en de vaines pratiques, puis-qu'elle ne commande que d'aller d'un autel l'autre, de se pros-

    1) ...Quod si immortalis nostra foret mens,Non tam se moriens dissolvi conquerereturSecl magis ire foras, vestemque relmquere, ut anguis.

    (Lucr,, III, 610; Lact., Inst. div., III, 18.)2) Aussi verrons-nous condamner ensemble, au xin sicle, les doctrines mat-

    rialises et pauUiistiques des Amauriciens, attribues des picuriens et desAristotliciens.

    3) Humana ante oculos fde cum vitajaceretIn terris oppressa gravi sub religione.

    (Lucr., I, 62; Nonius, K., 314.)4) Tantum religio potuit suadere malorumQuae peperit saepe scelerosa impia atque facta.

    (Lucr., I, 101; Lact., Inst. div., 1,25.)5) Aulidae quo pacto triviae virginis aramIphianassae turparunt sanguine fde.

    (Lucr., I, 85; Prise, 1,285.)6) tune fulmen mittit et aedesIpse suas disturbat et in dserta recedens

    Sseviat, exercens telum, quod saepe nocentesPreeterit, exanimet indignos inque merentes.

    (Lucr., II, 1002; Lact., Inst. div., III, 17.)7) Religionum animos nodis exsolvere pergo.

    (Lucr., I, 932; Lact., Inst. div., I, 16.)

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    26 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSterner devant des pierres en tendant les mains, de rpandre lesang- des animaux 1 , etc.

    Il est d'autres conceptions d'une Divinit dont la puissance faitse mouvoir en ordre les cieux et donne la terre les rayons dusoleil 2 . Lucrce en parle, semble-t-il, en termes que ne dsavoue-rait pas un chrtien. S'il ne montre pas cette Divinit attentive nous 3 , il la dpeint du moins avec des attributs assez parfaits; maisles dieux n'ont pas s'occuper de nous : ce serait folie de le pr-tendre ! Que pourrait ajouter leur bonheur et leur immortalitce qu'ils feraient pour nous? Riche d'elle-mme, loin de nos souciset de nos tourments 4 , la Divinit n'a nul besoin de nous : elle estinaccessible nos passions et suprieure nos vertus.

    Tel tait le Lucrce (sensiblement diffrent du vritable) quecette tradition de grammairiens et d'apologistes faisait connatreaux coliers abordant les tudes thologiques et philoso-phiques 5 ; sous la forme prcise du vers, ces ides furent

    1) Nec pietas ulla est velatum spe videriVertier ad lapidem atque oranis accedere ad arasEt procumbere humi prostratum et pandere palmasAnte deum delubra, nec aras sanguine multoSpargere quadrupedum, nec votisnectere vota.

    (Lucr., V, 1196; Lact., Inst. div., II, 3.)2) Quis pariter clos omnes convertere et omnesIgnibus aetheriis terras suffire feraces ;

    (Lucr., II, 1097; Nonius,., 197.)3) Dicere porro hominum causa voluisse pararePraeclaram mundi naturam...Desipere est. Quid enim immortalibus atque beatisGratianostra queat largirier emolumenti,Ut nostra quidquam causa gerere aggrediantur ?

    (Lucr., V, 156; Lact., Inst. div., VII, 14.)4) Omnis enim per se divum natura necessestImmortali aevo summa cum pace fruaturSemota a nostris rbus sejunctaque longe;Nam privata dolore omni, privata periclis,Ipsa suis pollens opibusnihil indiga nostri

    Nec bene promeritis capitur neque tangitur ira.(Lucr., II, 646; Lact., Ira Dei, 9.)

    5) Initiandi ergo sumus in grammatica, deinde in dialectica, posteainrheto-rica. Quibus instructi ut armis, ad studium philosophiae debemus accedere.

    (Ad spuria Bed, Mg., I, 1178.) Porro sapientiam veteres philosophiam vocaverunt, id est omnium rerum

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 27comme des centres autour desquels d'autres ides picuriennesvenaient facilement se grouper. Les tudes grammaticalescontriburent ainsi rpandre les ides picuriennes de Lu-crce, surtout chez ceux qui s'occupaient de rattacher la Na-ture Dieu. Etait-ce assez pour faire dfinitivement adopterLucrce? Non, car les manuscrits du pote taient l pourcontredire les loges de Lactance et dmontrer combien saintJrme avait eu raison de proscrire les Epicuriens. De l undouble courant d'opinions : tantt Lucrce n'lait qu'un h-rtique, et tantt il tait considr comme la meilleure sourcepour commenter les livres physiques de la Bible. Suivant queprvalait l'une ou l'autre opinion, on faisait le silence sur lui oubien on le citait presque autant que les Noplatoniciens et autresphilosophes. En aucun cas, d'ailleurs, sa morale ne fut adopte.

    Ce dpart entre le bon et le mauvais picurisme apparat bienchez les deux auteurs qui eurent le plus d'influence sur les ma-tres des coles carolingiennes : saint Isidore et le vnrableBde.

    Saint Isidore est peut-tre le plus grand compilateur qu'il y aitjamais eu. Ses ouvrages, qui reprsentent des extraits de biblio-thques tout entires, dans un temps o il y en avait si peu, fu-rent d'autant plus dcisifs pour la culture gnrale, qu'ils sedistinguaient davantage par un agencement simple et clair, facile saisir et la porte de tous.

    L'ouvrage de saint Isidore fut donc pour le Moyen Age unevraie mine o l'on puisa surtout maintes connaissances sur l'an-humanarum atque divinarum scientiam. Hujus philosophie partes trs essedixerunt, id est, physicam, logieam, ethicam. Physica, naturalis est; Ethica,moralis; Logica, rationalis. Harum prima naturae et contemplation! rerum de-putatur ; secundain actione et cogriitione recte vivendi versatur; tertia in dis-cernendo verum a falso ponitur.

    (Isid., Ind. Differentiarum, 1. II, c. xxxix, 149; Mg., V, 93.) Philosophi... Ethici, Logici, Physici, nam aut... aut de natura disputare

    soient, ut in Genesi et Ecclesiaste. (Raban Maur.', De Universo, 1. XV, c. , p. 4 16.)

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    28 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONStiquit, dans un temps o le souvenir en tait teint et o l'on nelisait plus les auteurs que saint Isidore cite directement ou deseconde main- Celte uvre n'est sans doute qu'un dictionnairedes arts et des sciences; mais c'est justement par l qu'elle r-pondait le mieux au degr infrieur de la culture de ces tempsqui commenait s'annoncer. Cette manire de faire desEtymo-logies, insense, il est vrai, mais transmise par l'antiquit auMoyen Age, avait du moins l'avantage d'aider parfois la m-moire 1 .

    Aussi l'auteur des tymologies fut-il, avec Lactance, celuiqui contribua le plus rpandre les thories de Lucrce dans lescoles du Moyen Age 2 . Ce n'est pas qu'il soit toujours favorable cet Epicurien hrtique 3 et immoral : il reproduit l'accusationde Donat et de Quintilien* et ne rappelle, des loges de Lactance,que le passage contre la superstition; encore le retourne-t-ilcontre Lucrce 5 . Cependant le pote lui semble assez connu pour

    i) Ebert, Histoire de la littrature du Moyen Age en Occident, p. 556 et561, trad. Aymeric et Condamin.2) Ses opinions avaient la mme valeur que celles des premiers Pres de

    l'glise : on le prfrait mme saint Ambroise : ... vel Ambrosio prseferendus disent les Bollandistes (Mg. ,lsid., op. I, p. 148). Dans son livre De scintil-lis le moine Defensor (vue sicle) cite les paroles d'Isidore ct de celles duChrist, dans les vangiles, des aptres Pierre et Paul, de Salomon, d'Ambroise,de Jrme, d'Augustin et de Basile. Les citations d'Isidore sont parmi les pluslongues; elles fournissent en particulier la maxime picurienne : Reus animasnunquam securus est (D

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 29mriter une mention dans ses Chroniques 1 , toutes brves qu'illes ait faites.Autre est son attitude lorsqu'il s'agit de thories physiques :dans ses Etymologies et son livre sur la Nature {De Natura Re-rum), Isidore cite abondamment Lucrce*. Le pote est un deces anciens dont l'opinion est presque aussi considrable, ences matires, que celle des Pres catholiques; aussi est-il trssouvent cit lorsque saint Isidore examine ces questions.

    i Les lments primitifs des choses. L'auteur emprunted'abord aux grammairiens, sinon Lucrce lui-mme, le prin-cipe picurien 3 : Rien ne se perd et rien ne se cre-, il s'tend en-suite longuement* sur la constitution de toutes choses par leset divinarum quae super nos stant; sed maie dicit (Isid., Etym. VIII, m, 7 ; Lucr., I, 66).Le passage, comme beaucoup d'autres, semble extrait de Servius, mais il est

    dmarqu et chang : Sec Lucr. Superslitio est superstantiam rerum, i. e. coelestium et divinarum,

    quae super nos stant, inanis et superfluus timor (Serv., In Mn., VIII, 187).1) Ptolemus Alexander rgnt annis X. Syria per Gabinium in Romanorumdominium transiit. Poeta quoque Lucretius naseitur, qui postea se furore ama-

    torio intertecit (Chr. 60). Pour apprcier cette simple mention, il faut rappe-ler ce que dit Isidore dans sa prface : Horum nos temporum summam, abexordio... ad Sisebuti, Gothorum rgis principatum, quanta potuimus brevitate,notavimus (Prfatio ad Chronicon).

    (Mg., VII, p. 1037.)2) Isidore crit dans la prface de son De Natura Rerum : Quse omnia,secundum quod a veteribus viris, ac maxime sicut in litteris catholicorum viro-rum scripta sunt, proferentes, brevi tabella notavimus. Neque enim earum re-rum naturam noscere superstitiosa scientia est, si tantum sana sobriaque doc-

    trina considerentur. (Isid., De Natura Rerum, inprxf.)

    a In hoc libello, quasi in quadam brevi tabella, quasdam cli causas, situs-que terrarum et maris spatia annotavimus, ut in modico lector ea percurrat etcompendiosa brevitate etymologias eorum causasque cognoscat .

    (Isid., Etym., 1. XIII De mundo et part, prf.)3) Ex nihilo nihilum, ad nihilum nil posse rev^rti.

    (Isid., Etym., I. I, 17.)4) Atomos philosophi vocant quasdam in mundo corporum partes tam mi-

    nutissimas, ut nec visui pateant, nec tojj.y)v (id est, sectionem) recipiant; unde etxojxot dicti sunt. Hi per inane totius mundi irrequietis motibus volitare, et hue

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    30 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSatomes, sur l'eau gnratrice des tres * et les petits organismesqui engendrent nos maladies 2 . Parlant des pluies qui saturent etfcondent la terre, il cite le fameux vers : Ex igni..., o se r-atque illuc ferri dicuntur, sicut tenuissimi pulveres, qui infusis per fenestrasradiis solis videntur; ex iis arbores, et herbas et fruges ouines oriri... etc.

    (Isid., Etym., 1. XIII, c. n, i.)Les citations grecques t'autorisent supposer que saint Isidore a consult

    d'autres auteurs que Lucrce : cf. Servius, In Virgilii Bucol. VI, 31, o setrouve une partie de ce texte.

    1) Alii aquamdicuntgenitalemin terris moveri et eas simul concutere, sicutvas, ut dicit Lucretius. (Servius, In Mn., II, 479; Isid., Etym., 1. XIV, c. i, 3.)

    Lucrce avait crit (1. VI, 555) ;Ut vas in terra non quit constare, nisi humorDestitit in dubio fluctu jactarier intus.

    2) Item alii aiunt pestifera semina rerum multa ferri in aerem, atque sus-pendi, et in externas cli partes aut ventis aut nubibus transportari. Deindequaqua feruntur aut cadunt per loca et germina cuncta ad animalium necemcorrumpunt ; aut suspensa manent in are, et cum spirantes auras, illa quoquein corpus pariter absorbemus, atque inde languescens morbo corpus, aut ulce-ribus tetris aut percussione subita exanimatur. Sicut enim cli novitate velaquarum corpora advenientium tentari consueverunt, adeo ut morbum conci-piant, ita etiam aer corruptus ex aliis cli partibus veniens, subita clade corpusconumpit atque repente vitam exstinguit.

    (Isid., De Natur. Rer., c. xxxix, 2.)... primum multarum semina rerumEsse supra docui quse sint vitalia nobis,Et contra quae sint morbo mortique necessestMulta volare. Ea cum casu sunt forte coortaEt perturbarunt clum, fit morbidus aer.Atque ea vis omnis morborum pestilitasque*Aut extrinsecus ut nubes nebulaeque supernePer clum veniunt, aut ipsa saepe coortaeDe terra surgunt. ..Nonne vides etiam cli novitate et aquarumTemptari procul a patria quicumque domoque,Adveniunt ideo quia longe discrepitant res...

    Quae (species hominum) cum quatuor inter se diversa videmusQuattuor a ventis et cli partibus es?e...Haec igitur subito clades nova pestilitasque*,Aut in aquas cadit aut fruges persidit in ipsas,Aut alios bominurn pastus pecudumque cibatus,Aut etiam suspensa manet vis are in ipso,*) Cf. Non. 157.

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 31sume la doctrine des quatre lments ' si populaires dans la pre-mire partie du Moyen Age.

    2 La terre et les phnomnes physiques. La terre est sus-pendue dans le vide et tenue en quilibre comme par des poids :telle est du moins l'opinion de Job* (et d'autres philosophes cits

    Et, cum spirantes mixtas hinc ducimus auras.111a quoque in corpus pariter sorbere necessestConsimili ratione venit bubus quoque saepe...Languebat corpus, leti jam limine in ipso.Et simul ulceribus quasi inustis omne rubereCorpus...

    (Lucr., VI, 1090-1166.)1) Imbres autetn et ad nubes et ad pluvias pertinent, dicti agraeco vocabulo,

    quod terram inebrient ad germinandutu. Ex his enim cuncta creantur, unde etLucrelius :

    Ex igni terra atque anima nascuntur, et imbri.(Isid., Etym., 1. XIII, c. x, 4; cf. Servius, InMn., 1, 123.)

    Lucrce avait crit (I, 715) :Et qui quatuor ex rbus posse omnia rentur,Ex igni terra atque anima procrescere et imbri.

    Dans son De. Instit. Arilh. (1. II, c. i), Boce semble avoir cit ce vers sansnommer Lucrce, ce qui a fort exerc, aux x e et xie sicles, la sagacit des cor-recteurs. Le texte de Boce (dit. Klotz) porte : ... jam vero mundum corporaquatuor non ignoramus efficere ; namque, ut ait : Ex imbri, terra atque animagignuntur etigni... Ses correcteurs ajoutent tantt le nom de Lucrce, tantt celuide Platon: ut ait Lucr etius(v) ut aitPlato(e. 1.). L'un considre ce vers commeune glose, tandis qu'un autre, pour l'identifier, crit simplement au-dessus de :ut ait : Ex imbri... les mots : poeta vel philo..., qu'un second correcteur com-plte : ... sophus Lucretius (v. les Mss.).

    2) Qualiter terra super aerem fundata libratis credat stare ponderibus, sicdicit Ambrosius : de terrae autem qualitate (1. I, c. vi) sive positione, sufficiatsecundum Scripturam Job sciendum quia suspendit terram in nihilo. Pbilo-sophi quoque similiteropinantur, are denso terram sustineri et quasi spongiammole sua immobilem pendere, sicque, ut aequali motu hinc atque inde, velutialarumsuffultaremigiis, ex omni parte iibratapropendeat, nec in partem possininclinari alteram.

    (Isid., De Nut. Rer., c. xlv, 1.)Cf. Lucr., II, 602;

    Aeris in spatio Tnagnam pendere docentesTellurem, neque posse in terra sistere terrain.Cf. id., V, 543 ; id., I, 1058 et 1064, etc.

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    32 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSpar Lucrce) qui compare la terre une ponge maintenue im-mobile par sa masse. On peut mme tirer de l une explicationdes tremblements de terre laquelle saint Isidore ajoute, sansdoute pour la christianiser, un commentaire moral pris de la Bible 1 .C'est encore Lucrce que saint Isidore recourt pour expliquer lesphnomnes du jour et de la nuit 2 , le tonnerre 3 , les vents 4 , lapluie 5 , et d'autres phnomnes naturels ; il imite du VI e livre de

    1) Sapientes dicunt terram in modum spongioe esse, conceptumque ventumrotari et ire per cavernas. Cumque tantum ierit, quantum terra capere non possit,hue atque illuc ventus fremitum et murmura mittit. Dehinc qurentis vi viamevadendi, dum sustinere eum terra non potuerit, aut tremit, aut dehiscit utventum egerat. Iude autem fleri terre motum dum universa ventus inclususeoncutit... (Cf. Lucr., VI, 590, etc.)

    Terrae autem motio perlinetad judicium, quando peccatores etterreni hommesspiritu oris Dei eoncussi commovebuntur. Item terrae commotio hominum terre-norum est ad fidem conversio. Unde scriptum est : Pedes ejus steterunt, etmota est terra , utique ad credundum.

    (Isid., De Nat. Rer., c. xlvi, 1.)2) Noctem autem fieri, aut quia longo itinere lassatur sol, et, cum ad ultimum

    cli spatium pervenit, elanguescit, ac labefactos efflat suos igns; aut quiaeadem vi sub terras cogitur, qua super terras pertulit lumen, et sic umbra terrasnoctem facit. Unde et Virgilius...

    (Isid., Etym., 1. V, c. xxxi, 3; De Nat. Rer., c. n, et c. xvn.)Cf. Lucr. (V, 648) :

    At nox obruit ingenti caligine terrasAut ubi de longo cursu sol ultima cliImpulit, atque suos elflavit languidus ignisConcussos itre et labefactos are multo ;Aut quia sub terras cursum convertere cogitVis eadem, supra quae terras pertulit orbem.

    3) Cf. notes Raban Maur, p. 51, 52.4) Cf. Raban Maur.5) Cf. Raban Maur.6) Cur mare majus non fit ac tantis fluviorum copiis nullatenus crescat,

    Clemens episcopus diciteo quod naturaliter salsa aqua fluentum dulce in se re-ceptum consumt, eo quod fit ut illud salsum maris elementum quantascumquerecipit copias aquarum, nibilominus exhauriat : adde etiam quod venti rapiuntet vapor calorque solis assurait. Denique videmus lacus multasque lacunas parvosub momenti spatio ventorura flatibus solisque ardore cousumi. Salomon autemdicit : Ad locum unde exeunt, fumina revertuntur (Eccles., I, 7). Kx quo in-telligiturmare ideo non crescere quod etiam perquosdam occultosprofundimeatusaqua; revolut ad fontes suos refluant, et solito cursu per suos amnes recur-

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 33longs passages, dont on ne peut pas nier la provenance. Lui-mme nomme d'ailleurs assez souvent Lucrce pour qu'on nepuisse l'accuser d'avoir voulu cacher l'origine de ces ides.

    3 L'homme. Isidore s'inspire moins volontiers de Lucrcelorsqu'il parle de l'homme et de son rle dans la nature. Cepen-dant il lui emprunte les hypothses sur la dcouverte des mtaux 'et la faon dont l'homme apprit 2 les travailler. Il explique ga-lement d'aprs Lucrce comment se font nos perceptions, pour-quoi de loin nous voyons ronde une tour carre 3 , etc. Enfin ilrant. Mare autem propterea factum est, ut omnium cursus tluviorum recipiat.Cujus cum sit altitudodiversa, indiscreta tamen dorsi ejus aequalitas.

    (Isid., De Nat. Rer., c. xli ; cf. Lucr., VI, 608.)En un autre passage sur les fluctations du Nil (Isid., De Nat. Rer., xliii, 1-2),Isidore imite Lucr., VI, 712, etc. On pourrait encore signaler d'autres rappro-chements.

    1) Apud antiquos autem prius aeris quam ferri cognitus usus. Mre quippeprius proscindebant terram, are certamina belli gerebant, eratque in pretiomagisaes; aurum vero et argentum propter inutilitatem rejiciebantur. Nuncversa vice jacet aes, aurum in summum cessit honorem ; sic volvenda aetas com-mutt tempora rerum.

    (Isid., Elym., 1. XVI, c. xx, 1.) Ferri usus post alia metalla repertus est. Cujus postea versa in oppro-

    brium species. Nam unde prius tellus tractabatur, inde modo cruor effundi-tur.

    (Isid., Etym., XVI, xxi, 2.)Et ideo are (sunt cymbala Caereris) quod terram antiqui colebant are,

    prius quam ferrum esset inventum. (Isid., Etym., VIII, n, 66; Lucr., V, 1290.)

    2) Etym., 1. XVI, c. xvm, 14. Cf. Denique in fabrica nisi omnia ad per-pendiculum et certam regulam fiant, necesse est utcuncta mendosa instruantur,ut aliqua prava sint, aliqua cubantia, prona nonnulla, alia supina, et propterhoc universa ruunt constructa.

    (Isid., Etym., 1. XIX, c. xvm, 2.)3) Nam quamvis quadratae aut latae construantur, procul tamen videntibus

    rotundx existimantur : ideo quia omne cujusque anguli simulacrum per longuinaeris spatium evanescit atque consumitur et. rotundum videtur. (Isid., Etym., 1. XV, n, 19.)

    Quadratasque procul turris cum cernimus urbis,Propterea fit uti videantur spe rotundse,Angulus obtusus quia longe cernitur omnis,Sive etiam potius non cernitur ac prit ejusPlaga nec ad nostras acies perlabitur ictus,

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    34 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSreproduit, en dcrivant les animaux 1 , un certain nombre detraits dont les imagiers et les bestiaires du Moyen Age ont putirer parti.

    Il suffit de ces quelques citations pour montrer combien futprofonde (sauf en morale), l'influence de Lucrce sur le Docteurespagnol : cette influence agira par lui sur Raban Maur.

    Loin de subir autant que saint Isidore l'influence directe ouindirecte du pote d'picure, Bde le cite peine

    2. Son De arte

    metrica contient deux fois le nom de Lucrce 1 : mais c'est enAra per multum quia dum simulacra ferunturCogit hebescere eum crebris offensibus ar.Hoc ubi suffugit sensum simul angulus omnisFit quasi ut ad tornum saxorum structa tuamur.

    (Luer., IV, 350.)L'importance du passage de saint Isidore est considrable, surtout si l'on

    donne toute sa valeur au mot existimatur. La perte d'une fiche nous empchede rapprocher de cette citatioti de saint Isidore un autre fragment o taientemploys les mots aeris, intuitus oculi, etc., et qu'on aurait pu comparer lathorie de la vision (Lucr., III, 356).

    1) Cf. le XII 8 livre des tymol.,c. n, m, xiv, etc.; citons : ... ut illa trifor-mis bestia : prima leo, postrema draco, mdia ipsa chimaera, id est capra. tym., 1. I, c. xl, 4; Hier., Ep. 123; Lucr., V, 905).

    2) Son prdcesseur l'abbaye de Weremouth lui avait cependant lgu unetrs riche bibliothque : Innumerabilium librorum omnis generis copiam ap-portait , dit Stevenson, cit par Ebert (L /., trad., p. 673).

    3)... Enarrativum... item Lucretii carmina... (Bde, De arte metrica, Il 25,Mg. , I, p. 170 et 174. Dosithe, K. VII, 428).

    ... Nain et in exemplis antiquorum inveniuntur aliquoties duo spondei infine versus, sicut et duo dactyli nonnunquam, ut sunt illa Maronis ;

    At tuba terribilem sonitum procul excitt horridaet

    Aut levs ocreas lento ducunt argentoquamvis hoc rarissime inveniatur, nisi ita ordinatum ut et dactyli, qui in fineest, ultima syllaba per synalepham sequenti versui jungatur... quas (rgulas)moderni poete distinctius ad certoe norraam definitionis observare raaluerunt.Nam et vocalein brevem quae g et m et vocali qualibet exciperetur volueruntesse communem, ut Lucretius (VI, 668).

    Quac calidum faciuntaquso tactum atque vaporem. (B. De arte metr., II, 16; Mg., I, 170. Cf. Audacis excerpta, K. ,VU, 329.)

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    LUCRCE DANS LA THOLOGIE CHRTIENNE 35des passages copis de grammairiens antrieurs. Le mme ou-vrage prsente aussi un vers 1 dont la pense est tout picu-rienne, mais qui est tir d'un auteur chrtien. CependantBde connat le Ex nihilo nihil... qu'il commente en. unsens orthodoxe 2 . Sur les questions naturelles, il adopte par-fois les solutions empruntes Lucrce par saint Isidore 3 ,

    1) Immortale nihil mundi compage tenetur.(De arte metrica, Mg. 1.)

    Ce vers n'est pas htrodoxe, certains thologiens soutenant encore quel'me est immortelle, non par sa nature, mais par un don spcial de Dieu, C'estun extrait de Juvencus, que saint Jrme cite (Chron., a. 332), loue fort et dontl'uvre rappelle, en certains vers, Lucrce :

    Immortale nihil mundi compage teneturNon orbis, non rgna hominum, non aureaRoma,Non mare, non telus, non ignea sidra cceli;Nam statuit genitor rerum irrevocabile tempusQuo cunctum torrens rapiat flamma ultima mundum.[Juv. Presbyter (Hispanus), Evangel. hist. initio.]

    D'ailleurs Bde ne cache pas qu'il a compil ses prdcesseurs : Hc dili-genter ex antiquorura opusculis scriptorum excerperecuravi (De Arte metr.,Mg. I, 174).

    2) Ex nihilo nihil fit [I Phys. (?)] Intelligitur per naturalem actionem.Omnis enim naturalis aclio praesupponit subjectum. Vel aliter, ex nihilonihil fit, scilicet ab agente naturali, sed bene ab agente supernaturali, scilicetDeo ; is enim hoc universum ex nihilo creavit, hodieque singulas animas ratio-nales ex nihilo crt.

    (Sententi philos, ex Aristot. E.; Bedx dubia, Mg. I, 992.)(Peu importe ces recherches que le passage soit de Bde ou d'un de sescontemporains; il en est de mme pour l'origine de la maxime commente; soussa forme picurienne, elle tait trop connue pour qu'il ft possible d'en faireabstraction).

    3) Ainsi, propos de la mer : Quod mare fluviorum accursu non augetur, di-cunt naturaliter saisis undis fluentum dulce consumi, vel ventis aut vapore solisabripi, ut in lacis lacunisque probamusin brevi moniento desiccatis, vel etiamocculto meatu in suos refluere fontes, et solito per suosamnes gressu recurrere.Marinis autem aquis dulces superfundi, utpote leviores ; ipsas vero ut gravionsnaturae magis sustinere superfusas.

    (Bed., De Nat. Ber. c. xl ; cf. Lucr., VI, 608.)Sur les ruptions de l'Etna (id., c. l), Bde copie Isidore qui imite Lucrce

    d'assez loin ; de mme sur le Nil : Kilo flumine quod inter ortum solis etAustrum enascitur, pro pluviis utitur ./Egyptus, propter solis calorem imbreset nubila respuens. Menseenim maio, dum ostia ejus, in quibus in mare inlluit,

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    36 REVUE DE LH1ST01RE DES RELIGIONSmais les applique la magie plutt qu' la vraie science 1 .On ne saurait d'ailleurs, malgr les erreurs d'Isidore de S-ville, placer son uvre sur le mme rang- que celle de Bde, quiconsacre un livre entier l'tude des prsages par le tonnerre lejour du sabbat, et un autre la prvision de la mort. Mais ilimportait, avant d'tudier Alcuin, de faire connatre quelle futl'attitude de son matre 2 l'gard de Lucrce.

    IIILUCRCK ET LES FONDATEURS DES COLES CAROLINGIENNES

    Le premier fondateur des coles carolingiennes fut un moinelombard, Paul, fils de Warnfried, plus connu sous le nom de PaulDiacre 3 . Charlemagne l'avait amen d'Italie vers 774 et lui confiale soin d'organiser l'cole du palais : la suite d'une conspiration,Paul Diacre s'enfuit 4 et refusa de revenir auprs de Charles.En quoi consista son uvre? C'est assez difficile prciser :Zephyro fiante, undis ejectis arenarum cumulopraestruuntur, paulatim intumes-cens ac rtro propulsus, plana irrigat ^Egypti ; vento autem cessante, ruptisquearenarum cumulis, suo redditur alveo (Bed,, De Nat. Rer., c. xun).

    Rappelons que l'ouvrage de Bde fut comment, vers 1008, par l'AnglaisBridfertus (monachus Ramesiensis).

    1) Philosophi qui artificiali scientia rerura naturas atque praesagia intel-lectuali speculatione subtiliter cernere, juxta sagacissimi eorum ingenii nimiamfragrantiam conati sunt de Saturni diei tonitruum omnibus praefigurationibus,quae taliter iuvestigare atque exponere dicuntur (Beda, De tonitruis, p. 614).

    2)Tractatusquosrogastisdireximus,deprecantes ut quantocius scribantur etremittantur, quia nobis valde necessarii sunt propter legentiumutilitatem,quosdominus Beda magister noster sermone simplici sub sensu subtili composuit.

    (Alcuin, Epist., 138; Mg., I, 378.)3) o Primi vero qui Carolo Italiam aliquoties peragranti innotuere, fuerunt Petrus

    Pisanus diaconus, vir senex, et Puulus Warnefridi , diaconus pariter...; >(Froben, De vila Alcuini, Migne, I, p. 39).

    4) Ce point est assez obscur : Paul Diacre s'tablit Trvise, o il ensei-gnait les lettres grecques. L'Empereur (qui songea quelque temps runir l'Empire latin l'Empire grec