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TIRAGE A PART NE POUVANT ÊTRE MIS DANS LE COMMERCE REVUE PHILOLOGIE LITTERATURE ET D'HISTOIRE ANCIENNES N O U V E L L E S É R I E continuée sous la direction de ÉMI. CHATELAIN & B. HAUSSOULLIER Membres de l'Institut. A. KREBS DIRECTEUR DE LA Revue des Revues. i ANNÉE ET T O M E X X X I , LIVRAISON ( Janvier 1907 ) JUYÉNAL ET STACE PAR Salomon REINACH PARIS LIBRAIRIE G. KLINGKSIEGK 11, RUE DE LILLE, 11 1907 Tous, droits réservés. Bibliothèque Maison de l'Orient 139387

PHILOLOGIE - tpsalomonreinach.mom.fr · — Phraséologie latine MEISSNER, pa traduitr C, . e de l'allemand et augmentée de l'in- dication de la source des passages cités PASCAL,

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TIRAGE A PART NE POUVANT ÊTRE MIS DANS LE COMMERCE

REVUE

PHILOLOGIE LITTERATURE ET D'HISTOIRE ANCIENNES

N O U V E L L E S É R I E

continuée sous la direction de

ÉMI . C H A T E L A I N & B . H A U S S O U L L I E R Membres de l'Institut.

A. KREBS D I R E C T E U R D E L A Revue des Revues.

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A N N É E ET TOME X X X I , L I V R A I S O N ( Janvier 1907 )

J U Y É N A L ET STACE PAR

Salomon REINACH

P A R I S LIBRAIRIE G. KLINGKSIEGK

1 1 , RUE DE LILLE, 1 1

1907 Tous, droits réservés.

Bibliothèque Maison de l'Orient

139387

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JUVÉNAL ET STACE

Juvénal n'aime pas les femmes savantes, celles surtout qui débitent hors de propos les lieux communs de la critique littéraire. « Plus intolérable encore est cette autre qui, dès qu'on s'est mis à table, exalte Virgile et pardonne au désespoir de Didon, qui l'ait le parallèle des poètes, met dans la balance d'un côté Y Enéide, de l'autre Y Iliade. Le grammairien rend les armes, le rhéteur s'avoue vaincu, chacun se ta i t . . . ; on dirait un carillon de clochettes et de cymbales. » l. Il s'agit là évidemment d'une controverse d'école, depuis longtemps épuisée, d'une de ces comparaisons devenues insupportables à force d'avoir été failes et refaites, comme celle de Corneille et de Racine chez nous, de Schiller et de Gœthe en Alle-magne. Juvénal n'est pas seulement agacé parce qu'il l'entend de la bouche d'une pédante bavarde ; elle lui est odieuse à cause de sa banalité. Dès l'an 26 av. J.-C., alors que Y Enéide n'était pas encore publiée, les officieux annonçaient que le poème attendu serait supé-rieur à Y Iliade, témoin le vers de Properce : Nescio quid majus nas-citur Iliade2. Il est probable que les rhéteurs grecs défendirent leur poète et que cette discussion oiseuse, sur des mérites qui n'ont pas de commune mesure, se poursuivit jusqu'à la fin de l'Empire. Nous en relevons des traces dans Ovide, dans Ouintilien, dans Aulu-gelle3 ; elle durait encore du temps de Macrobe, qui nous en a trans-mis les échos4. Juvénal, élève de Ouintilien et très au fait des contro-verses de collège, avait dû entendre mille fois et, par devoir, débiter lui-même les arguments que comportait ce parallèle; il avait tout lieu d'en être excédé, comme des discours d'école dont il parle ailleurs, où un sage ami conseillait à Sylla de rentrer dans la vie privée. Peut-on admettre que le poète soit tombé lui-même dans le travers qu'il raille —et cela peu de temps après l'avoir raillé chez autrui ? Cette conclusion s'imposerait s'il fallait comprendre comme l'ont

1. Juv., Sctt., VI, 434-442. 2 . P R O P E R C E , I I , 3 4 , 6 6 ; c f . D O N A T , 3 0 ( 4 5 ) .

3 . O V I D E , Ars am., I I I , 337; Rem., 3 % ; Amor., I , 1 5 , 25 ; Q U I N T I I . . , X , 1 , 8 5 ;

G E L L . , I , 2 1 , 7 .

4 . M A C R O B . , V , 1 3 - 1 6 ; c f . I , 2 4 ; I I I , 1 0 .

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46 S. REINA.CH.

fait jusqu'ici tous les commentateurs et tous les traducteurs un passage de la XI® satire. Juvénal invite à souper son ami Persicus et lui promet une soirée agréable, mais sans apprêts. La table et le service seront simples ; les danseuses de Gadès ne viendront pas exciter, après boire, les sens des convives. « Je te promets, ajoute-t-il, des plaisirs plus délicats : »

Nostra dabunt alios hodie convivia ludos : Conditor Iliados cantabitur, atque Maronis Altisoni dubiam facientia carmina palmam. Quid refert taies versus qua voce legantur ? 1

La traduction universellement admise est celle-ci : « On nous récitera des vers de l'auteur de VIliade et du sublime Virgile, rivaux entre lesquels la victoire reste encore indécise. Quand il s'agit de pareils vers, qu'importe l'organe du lecteur ? »

Cette interprétation oblige à construire ainsi : « Conditor Iliados cantabitur atque [cantabuntur) carmina altisoni Maronis, facien-tia dubiam palmam ». L'accusatif palmam n'a pas de complément et reste, pour ainsi dire, en l'air; il faut suppléer palmam poeseos, ou quelque chose d'approchant. Il y a là une première difficulté. En second lieu, l'épitliète d'altisonus, appliquée à Virgile, est sin-gulière ; elle comporte une nuance de blâme qui semble déplacée si vraiment Virgile est considéré par Juvénal comme le rival, et peut-être le rival heureux d'Homère. Ces difficultés purement ver-bales ne sont pas les seules qui s'opposent à l'interprétatiou admise. J'ai déjà dit que Juvénal, excédé, dans la satire VI, du parallèle d'Homère et de Virgile, ne pouvait guère, sans se déjuger, revenir lui-même à ce lieu commun dans la satire XI. Mais il y a plus : Juvénal n'est pas un fervent de Virgile. A cet égard, il diffère entièrement de Perse. Ce dernier est un classique, qui en veut aux tendances nouvelles de la poésie sous Néron, à ces vers pleins de mots ronflants et d'affectations de style dont il a donné lui-même de plaisants exemples. Il se moque de celui qui trouve « suranné et d'une écorce grossière » le début de XEnéide, qui compare sans respect les vers de Virgile à du vieux liège, ramale vêtus2. Plus encore que Virgile, Perse aime Horace, qu'il a très souvent imité et dont il a fait un charmant éloge. Perse écrivait sous Néron. A cette époque, Virgile et Horace étaient devenus des classiques3, c'est-à-dire qu'on les lisait et qu'on les apprenait par cœur dans les écoles ; mais leur gloire avait pour adversaires, d'une part, les apôLresd'un

1. Juv., Sat., XI, 177-180. 2 . P E R S E , Sat , 1 , 9 6 .

3 . Virgile l'était déjà sous Auguste ( S U E T . , lll. Gramm., 1 6 ) .

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JUVÉNAL ET STACE. 47 style plus brillant et plus pittoresque, les romantiques du haut Em-pire, de l'autre, les amateurs de la vieille littérature républicaine, les archaïsants. Lucain a quelquefois imité Virgile, comme dans la description des prodiges qui annoncèrent la guerre civile, mais avec l'intention évidente de le dépasser, de se montrer plus ingénieux et plus inventif que lui. Lorsqu'il promet l'immortalité à. son poème, il dit que la Pharsale durera aussi longtemps que les vers d'Homère, quantum smyrnaei duràbunt vaiis honores, mais il ne parle pas de Virgile, dont il eût pu si facilement, dans ce passage, associer le sou-venir à celui du chantre smyrnéen. On connaît de lui un mot où il se pose en rival heureux de Virgile. Après la publication de ses premiers vers : « Combien s'en faut-il, demandait-il ironiquement, pour que je sois à la hauteur du Culex?x » A l'époque de Vespasien, où se place le dialogue des Orateurs, un des interlocuteurs nous apprend que Virgile a moins de détracteurs que Gicéron parmi les partisans des modernes ; cela signifie qu'il en a déjà beaucoup. Juvénal parle de Virgile et d'Horace, mais sans bienveillance. A ses yeux, ce sont des poètes de Cour, qui n'eurent pas à lutter contre la misère et les âpres difficultés de la vie ; les exemplaires de leurs œuvres sont noircis par les doigts des écoliers ; on les lit et on les explique parce qu'ils sont, comme nous dirions, inscrits aux programmes ; Juvénal lui-même a dû les expliquer avec ennui devant ses élèves, à la lumière des lampes fumeuses. « Trop heureux, dit-il au grammairien Palémon, si tu n'as pas en vain respiré l'odeur d'au-tant de lampes que tu comptais d'élèves dans ta classe et vu noircir entre leurs mains les Virgiles et les Horaces ! t>

Dummodo non pereat totidem olfecisse lucernas Quoi stabant pueri, cum tolus decolor esset Flaccus et hsereret nigro fuligo MaroniJ2

Évidemment, Juvénal parle ici par expérience et probablement de lui-mêmë. Son admiration personnelle ne va pas à Horace et à Virgile, mais à Lucilius et à Stace. Pour Lucilius, Lucilius ardens, le fait est certain ; Juvénal se proclame son successeur et le loue en des vers enthousiastes qu'il est inutile de rappeler3. Pour Stace, l'évidence ne me paraît pas moins claire, bien qu'elle ait été singulièrement méconnue. On a voulu voir une ironie et un blâme discret dans les beaux vers où Juvénal a exalté le poète de la Thébaïde, en cette même satire sur les misères des gens de lettres

1. S U B T . , Vit. Lucani, I , 7 : Et quantum mihi restât ad Culicem ? 2. Juv., Sat., VII, 225-227. 3. Jov., Sal., I, 20 sq.

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4 8 S. REINA.CH.

où se trouvent les passages relatifs à Virgile et à Horace. Mais cette opinion ne soutient pas l'examen. Jiivénal admire sincèrement Stace et déplore sa laborieuse pauvreté, contrastant avec l'aisance relative qu'il envie aux poètes favoris d'Auguste :

Curritur ad vocern jucundam et carmen amicae Thebaïdos, laetam fecit cum Statius urbem Promisilque diem ; tanta dulcedine captos Afficit ille animos, lantaque libidini vulgi Auditur ; sed quum fregit subsellia ver su, Esurit, intactam, Paridi nisi vendat Agaven

« On^accourt pour entendre la voix agréable du poète de la Thébaïde aimée, lorsque Stace a répandu la joie dans Rome en fixant un jour pour réciter ses vers; tant il sait toucher les cœurs, tant la foule est passionnée de l'entendre! Mais lorsqu'il a fait crouler les bancs sous les applaudissements, il meurt de faim, à moins qu'il ne vende à Pâris les prémices de son Agavé. » Juvénal, dans sa jeunesse, vers l'an 90, avait certainement fait partie de cette foule ardente et sympathique qui applaudissait à tout rompre les vers brillants et ingénieux de la Thébaïde, que la voix d'or de Stace rendait encore plus chers au public. Que beaucoup de Romains du temps de Domitien aient été tentés de préférer Stace à Virgile lui-même, c'est ce qui ressort, à mon avis, des derniers vers de la Thébaïde elle-même :

Vive precor nec tu divinam Aeneida tenta, Sed longe sequere et vestigia semper adora!

Stace vient de dire que son poème est déjà appris et récité dans les écoles, Italajam studio discit memoratque juventus (XII, 815) ; il est donc classique, presque à l'égal de Y Enéide. Mais la modestie de Stace, véritable ou feinte, s'alarme de cette comparaison qu'il entend prodiguer autour de lui, et surtout de l'admiration intempé-rante qui voudrait élever la Thébaïde au-dessus de son modèle ; c'est pourquoi il poursuit ainsi : « N'essaye pas de t'attaquer (tentare) à la divine Enéide, mais suis-la de loin et adore toujours ses traces. » Stace est sans doute de bonne foi quand il se croit l'imi-tateur de Virgile ; il l'imite en effet, et souvent fort mal, mais seu-lement dans le choix des épisodes et les détails. Son style n'a rien de virgilien ; Nisard, avec sa finesse habituelle, avait reconnu un Ovidien dans Stace. Si nous connaissions mieux les autres poètes latins du ier siècle, nous pourrions montrer que Stace se

1. Juv,, Sat., VII, 82-87.

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JUVÉNAL ET STACE. 49 rattache, en effet, à Ovide par toute une tradition qui s'écarte réso-lument de Virgile et vise à des effets tout différents et nouveaux. L'influence de Lucain, que Stace admirait1, est plus sensible dans le style de la Thêbaïde que celle de Virgile, mais elle n'y est pas dominante; le vrai maître de Stace est quelque poète de la pre« mière moitié du siècle, Albinovanus Pedo ou Saleius Bassusa.

Si donc il est établi que Juvénal apprécie médiocrement Virgile, que son poète favori est Stace et que ce dernier, de son vivant, fut considéré comme le rival de Virgile, on est en droit de se demander si, dans le passage cité de la onzième satire, ce n'est pas encore de Stace qu'il est question. Reprenons ces vers :

Conditor Iliados cantabitur atque Maronis Altisoni dubiam facientia carmina palmam. Quid refert taies versus quâ voce legantur ?

Les vers d'Homère et ceux du poète latin seront récités par un esclave de Juvénal, esclave de valeur moyenne, doué d'une voix quelconque; mais qu'importe la voix quand il s'agit de beaux vers? Remarquons ici que Juvénal, parlant des récitations de Stace, insiste sur le charme de la voix du poète, vox jucunda\ il a encore dans l'oreille ces accents sonores qui ajoutaient à l'har-monie des vers ; mais ces vers valent assez par eux-mêmes pour souffrir d'être débités par une voix médiocre. Il est donc permis de voir ici une allusion à la voix de Stace et cette observation, qui est nouvelle, vient à l'appui de l'interprétation nouvelle que nous proposons. Il faut construire ainsi : Conditor Iliados cantabitur atque carmina (Statii) facientia dubiam palmam Maronis. « On récitera des vers de l'auteur de l'Iliade et ces vers (de la Thêbaïde) qui rendent incertaine la palme du pompeux Virgile », ou encore : « On récitera des vers d'Homère et des vers de Stace, qui disputent la palme au pompeux Virgile. » De la sorte, l'accusatif palmam n'est plus en l'air ; on n'a pas besoin de lui donner, par la pensée, un régime tel quepoeseos ; c'est de la palme de Virgile, de la royauté littéraire de Virgile qu'il s'agit. Le fait que les mots Maronis et palmam sont mis en évidence à la fin de deux vers qui se suivent établit entre eux une relation que les commentateurs n'auraient pas dû méconnaître. On peut citer, dans la sixième satire de Juvénal, un exemple tout à fait analogue :

1 . S T A C E , Silves I , 7 .

2 . Nous avons quelques beaux vers d'AIbinovanus, dont la facture se rapproche de celle de Lucain (Sen., Suas., I, 15). Le poète épique Saleius Bassus est loué par Ta-cite, par Quintilien et par Juvénal.

REVUE PB PHILOLOGIE : Janvier 1907. XXX. - 4

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8 S. REINA.CH.

... H and similis libi, Cynthia, nee tibi cujus Turbavit nitidos exstinctus passer ocellos i .

Cujus ocellos est construit ici comme Maronis palmam, le géni-tif et l'accusatif, qui se complètent par le sens, occupant la fin de deux vers consécutifs.

L'épithète altisonus, appliquée dans ce passage à Virgile, paraît maintenant tout autre chose qu'un éloge banal : c'est une critique assez vive, et cette critique n'était pas nouvelle au moment où Juvénal écrivait. Nous savons par Suétone2 que Caligula avait voulu bannir des bibliothèques Virgile et Tite-Live, parce qu'il trouvait que Virgile manquait d'esprit et de savoir (nullius ingenii minimaeque doctrinae), que Tite-Live était verbeux et inexact. Caligula se faisait l'écho de ces ennemis de Virgile, obtrectatores Vergilii, contre lesquels Asconius Pedianus avait écrit un livre et qui, au dire de Donat, n'avaient pas manqué dès le début de sa gloire. A côté de ceux qui reprochaient à Virgile des provincialismes (on n'épargna pas la même accusation à Tite-Live) et des plagiats, sur-tout aux dépens d'Homère, il y avait des critiques qui le trouvaient plat et terre à terre, trop pauvre en expressions frappantes et en mots à retenir—minimi ingenii, suivant Caligula, pingue, suivant le cri-tique malmené par Perse. Ce qu'on ne pouvait contester à VEnéide, c'était un air de grandeur, une allure majestueuse, une pompe que les ennemis de Bossuet et de Racine leur concèdent, à défaut des qualités plus solides qu'ils méconnaissent, et que les historiens de l'art consentent à admirer dans les peintres et sculpteurs officiels du temps de Louis XIV, comme Le Brun et Girardon. Nous disons aujourd'hui « le pompeux Le Brun » comme Juvénal écrivait « altisonus Maro » ; c'est plutôt une concession qu'un éloge et cette concession même implique l'absence de mérites moins appa-rents, mais d'un ordre supérieur.

Si mon explication est admise, l'histoire littéraire se trouvera enrichie de deux témoignages l'un et l'autre dignes d'attention : Juvénal comptera désormais parmi les admirateurs enthousiastes de la Thébaïde et grossira le nombre des obtrectatores Vergilii.

Salomon R E I N A C H .

1. Juv., Sat., VI, 7. 2. SuÉT., Calig., 34.

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RENNES

I M P R I M E R I E P O L Y G L O T T E F R . S I M O N .

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