Philosophie terminale

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  • 8/6/2019 Philosophie terminale

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    1 Philosophie terminale

    PhilosophiehilosophieTerminale Lerminale L

    Plan du cours

    Introduction la philosophie, 2I - La dfinition courante de la philosophie, 2II - La naissance de la rflexion, 2

    III - Naissance de la philosophie, 5L'existence et le temps, 14I - Qui suis-je ? Que suis-je ? Existence et contingence, 14

    Le sujet et le langage, 24I - Le parti d'y voir clair,24II - Conscience et perception,30

    Commentaire des Opuscules sur l'histoire de Kant, 55I - Ide d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 55

    La culture, 59I - La question de la technique, 59II - L'art contre la technique, 63

    III - La religion, 68IV - La question de la vrit, 70V - Vrit et libert : la question de l'action, 80

    La connaissance historique, 97I - Le territoire de l'historien, 97II - La connaissance historique dans l'histoire,98III - La connaissance historique et la connaissance scientifique,100IV - Conclusion : le but de l'histoire, 101

    La science face au vivant, 103I - L'tude du vivant et la question de la finalit,104II - Hasard et volution,106

    III - Conclusion : biologie et technologie, 108Annexe, 110

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    Introduction la philosophie 2

    I n t r o d u c t i o n l a p h i l o s o p h i e

    Plan du chapitre

    Introduction la philosophie, 2I - La dfinition courante de la philosophie, 2II - La naissance de la rflexion, 2III - Naissance de la philosophie, 5

    1 - Les sophistes, 92 - Les physiciens, 10

    I - La dfinition courante de la philosophie

    Avoir une philosophie, c'est avoir une conception, une reprsentation du monde et de l'existence.Cette philosophie est toujours donne au travers de maximes. Celles-ci renvoient l'ide de rgles de viefondes, de principes ordonns fonds sur l'exprience et sur une rflexion a posteriori d'vnements. Elles

    permettent de donner des conseils. On peut penser ainsi que les vieux sont les plus philosophes alors. Toutes lesphilosophies diffrent, a dpend des expriences.

    Ce n'est videmment pas la relle dfinition de la philosophie. Martin Heidegger (1889-1976)remarque dans le langage courant notre utilisation du petit mot on :

    Qui sommes-nous ? La plupart du temps, nous sommes on . Nous vivons comme on vit.Heidegger

    Il voit l un symptme, un signe, un caractre impersonnel de notre existence. Nous nous croyonsuniques, mais nous obissons la dictature du on . Dans tre et temps (1927), il dcrit des rglesd'existence, qui sont les mmes pour tous. L'objet impose une faon d'tre : j'ouvre la porte comme on ouvre la

    porte. Tous les on disent en masse la mme chose : je suis unique. On est comme les autres quand on dit ne pasl'tre : nous sommes on quand nous cherchons ne plus l'tre.

    Si on coute les maximes du philosophe, cela se rsume il faut vivre comme on vit . Ce n'estpas trs original. Ces rgles morales sont lies l'ducation : on mange sa soupe. L'enfant veut tre comme onest. On passe la plupart du temps de notre vie de faon impersonnelle sans s'en rendre compte.

    C'est le monde de l'opinion : opiner signifie dire oui. L'erreur est de croire que son avis est le sien,

    alors que c'est on qui parle. Nous sommes proccups : on a plein de choses prvues. On vit sa vie en suivantcertains impratifs. On prjuge, on ne juge pas vraiment ; on a un avis sur tout, on sait toujours tout, bref, onbavarde. On parle de tout, et on a toujours quelque chose dire.

    On vit une vie qui ignore l'originalit, tout secret perd son originalit. Ds qu'on le raconte, ils'vanouit. Au collge, on se rebelle comme on doit se rebeller. Les grandes imprcations de got apparaissent la jeunesse. Le vrai original, ne vivant pas comme on vit, sera dcri par on. Les impratifs uniformisent la vie,le on peut s'adapter. Nous avons oubli notre faon de vivre, tant nous sommes absorbs par ces impratifs sansy faire attention.

    On est oblig de passer par une inattention gnrale : apprendre la musique, conduire, etc... On abesoin de repres pour agir, le monde est un ensemble de repres qui orientent, c'est un cadre, un ordre. Je visma vie sans y penser, je suis au monde sans y prendre garde. Au sens propre, la philosophie est l'oppos dea : elle est une forme de rponse un vnement.

    II - La naissance de la rflexion

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    Comment sortir de on ?L'vnement est ce qui fait rupture. La vie courante ne peut plus courir normalement, il y a une

    interruption. Pourquoi ? Parce qu'il y a effondrement d'un repre. L'vnement n'est pas forcmentimprvisible (comme un enfant), mais il ajoute un repre en en dtruisant d'autres, il invite repenser notrerapport quotidien au monde. S'il n'y a pas d'obstacle, alors il n'y a pas de nouvel vnement. Lors d'une perte derepres, on ralise ce qu'tait le monde avant, quels taient nos anciens repres. Ensuite, on se pose une

    question. Quels repres doivent tre les miens prsent ? Quel est le sens de la vie ? On prend conscience de cequ'tait la vie avant. La naissance n'est pas gaie, elle doit donner naissance la mort. Cela va l'encontre du on.La question apparat alors : que vais-je faire ?

    La philosophie porte sur ces questions qui touchent aux repres mmes de l'existence. Philosopher,c'est essayer de rpondre rigoureusement aux questions qui se lvent quand on vit un vnement. Ce n'est pasdtenir la rponse, mais se mettre en qute de celle-ci. C'est alors remettre en question le on et ses rgles nonfondes. quoi sert la philosophie puisque a sert rien ? Parce que c'est comme a, parce que l'homme sequestionne, et que ces questions touchent les repres essentiels du monde et donc des consquences. Plus noussommes attentifs et rigoureux, plus nous faisons de la philosophie. Qu'est-ce que le monde dans lequel je vis ?La philosophie essaie de rpondre aux questions fondamentales de l'existence. Les questions se posent d'elles-mmes : qu'est-ce que l'homme ? La philosophie est grave, trange, difficile, passionnante...

    Un vnement est ce qui fait date. Il marque en trois temps : Le prsent, c'est--dire la confrontation l'obstacle, la rupture des repres, l'vnement Le pass (vision rtrospective), la prise de conscience de ce qui tait l avant Le futur, en posant les questions sur ce que doivent tre les nouveaux repres : la qute de sensQuelques exemples d'vnements : la maladie, la mort d'un proche, la joie, la beaut,

    l'merveillement, l'ennui... L'vnement donne l'esprit un profond tonnement. Pas de philosophie sanstonnement ! tonnement de notre propre prsence au monde : pourquoi y a-t-il quelque chose et pas rien ?C'est la mtaphysique : quel est le fondement de l'tre ?

    Quand nous nous ennuyons, ce qui rsonne au fond de nous est une question.Heidegger

    Pour le on, l'ennui est peut-tre pire que la mort : on cherche meubler sa vie pour viter l'ennui tout prix. Autre exemple : Jean-Paul Sartre (1905-1980) dansL'tre et le nant(1943), voque le sentiment duvertige : angoisse du vide, peur de la chute, ne plus se sentir soi-mme et ne voir que le vide... Le vertiges'annonce par une peur et une conscience de la fragilit de notre corps. La cause est : rien ne m'empche desauter. L'angoisse est donc l'apprhension d'un nant qui est en mon tre : un rien . Je ne suis rien : a donnele vertige (et a pose surtout la question de la libert). La peur est la conscience d'un objet dtermin et de lafragilit face un danger : j'ai peur des araignes. Dans l'angoisse, l'angoiss ne peut dire de quoi il est angoiss: l'objet est non dtermin, c'est l'apprhension d'un nant. Le vertige est donc un vnement. Il fait rupture ence sens que la libert parat invitable, impossible de ne pas tre libre ; il y a prise de conscience d'avant ;l'angoisse forme l'obstacle ; et il mne une interrogation sur le fondement de notre tre par une rvlation.

    Je suis condamn tre libre.Sartre

    Nous passons notre temps nous ter notre libert. On n'est pas libre tel jour, nous cherchons desexcuses, car

    Nous sommes de mauvaise foi.Sartre

    Selon Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) :

    La philosophie n'est pas un certain savoir, elle est la vigilance qui veille ce que ne soit pas oublie la sourcede tout savoir.

    Merleau-Ponty

    La philosophie est donc une attitude de l'intellect. Ce n'est pas une course au bavardage, mais unequestion sur la source de ce que l'on dit. Rflchir, c'est penser sa pense, sur le mode de l'interrogation : quelleest la source de mon savoir ? Ce travail a une dimension critique. On dit a, et on exerce aussitt sa vigilance :quelle est la source de ce dire ?

    Avec Les demoiselles d'Avignon (1907), Picasso amorce le dbut de la rvolution cubiste, c'estnorme et clbre. Quand ses amis la voient, ils sont choqus : c'est un vnement. Ils ne peuvent plus voir la

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    Introduction la philosophie 4

    peinture comme avant, qu'ils aiment la toile ou non. Chez les grecs, c'est le thtre qui marche trs bien.Sophocle (?~406) est l'auteur de la tragdie dipe Roi (dans la tragdie, tout est dj jou, c'est le destin quicommande). Le thtre n'est pas un plaisir, mais une mditation sur la situation de l'Homme sur Terre dans dessituations contradictoires qui dtruisent le hros, le seul ne pas savoir qu'il est perdu. La tragdie est lareprsentation d'un vnement qui ouvre une question. dipe cherche savoir pourquoi Thbes est maudite, lesoracles vont lui dire qu'il est lui-mme une injure aux dieux (auteur d'inceste et de parricide). Cette histoire est

    une mise en figure de notre condition. Ce thtre se commente lui-mme en mme temps qu'il se joue. Lechur dit : vous tes mortel, votre vie n'est rien, la qute du bonheur pour l'homme est impossible, la preuve enest le malheur d'dipe. Le tragdien appelle le spectateur une rflexion : c'est un vnement. DansLe CiddeCorneille, c'est une mditation sur la tragdie et une faon de la quitter. Rodrigue aime Chimne, mais leursdeux pres sont des vieillards qui se disputent. Le pre de Chimne va gravement insulter celui de Rodrigue.Celui-ci demande Rodrigue de le venger. C'est tragique contradictoire quand il apprend que c'est le pre deChimne qu'il doit tuer. Dans les deux cas, il est perdu, la situation est inextricable. Il pense videmment lamort, au suicide. Mais il trouve comme solution de tuer le pre, car dans les deux cas il perd Chimne, alors ildfend son honneur. Rodrigue se tire d'embarras au final, mais dans la tragdie grecque, on ne peut se tirerd'affaire.

    Cette dcouverte d'une contradiction essentielle cre un vnement qui nous rvle le caractre

    incertain et prcaire de notre condition. L'art met en figure, sur scne, par le chant, etc, ce que nous prouvonslorsque nous vivons de vritables vnements.

    Le (mythe) en Grec reprsente la parole qui dit le vrai de tout temps. Aujourd'hui le mytheest une histoire imaginaire sans importance. Donc le mythe a une valeur positive. La morale d'dipe est quel'existence de l'homme est finie, l'humanit est limite et elle va souffrir. Nous sommes absorbs par nos tches,nous sommes proccups, car nous avons un besoin d'agir et ne pouvons passer notre temps rflchir.

    Les questions mmes de la curiosit ou celles de la science sont animes intrieurement par l'interrogationfondamentale qui apparat nu dans la philosophie. De moment un autre, un homme redresse la tte, renifle, coute,considre, reconnat sa position : il pense, il soupire, et, tirant sa montre de la poche loge contre sa cte, regardel'heure. O suis-je ? et, Quelle heure est-il ? telle est de nous au monde la question inpuisable... 1 La montre et la carten'y donne qu'un semblant de rponse : elles nous indiquent comment ce que nous sommes en train de vivre se situe parrapport au cours des astres ou celui d'une journe humaine, ou par rapport des lieux qui ont un nom. Mais, cesvnements-repres et ces lieux-dits, o sont-ils eux-mmes ? Ils nous renvoient d'autres, et la rponse ne noussatisfait que parce que nous n'y faisons pas attention, parce que nous nous croyons chez nous . Elle renatrait, etserait en effet inpuisable, presque insense, si nous voulions situer leur tour nos niveaux, mesurer nos talons, si nousdemandions : mais le monde mme, o est-il ? Et pourquoi suis-je moi ? Quel ge ai-je vraiment ? Suis-je vraiment seul tre moi ? N'ai-je pas quelque part un double, un jumeau ? Ces questions que se pose le malade dans un momentd'accalmie, ou simplement ce regard sa montre, comme s'il importait beaucoup que le supplice ait lieu sous telleinclinaison du soleil, telle heure de la vie du monde, elles mettent nu, au moment o la vie est menace, le profondmouvement par lequel nous nous sommes installs dans le monde et qui se recommence encore un peu de temps.

    Les anciens lisaient dans le ciel l'heure de la bataille livrer. Nous ne croyons plus qu'elle soit crite quelque part.Mais nous croyons et croirons toujours que ce qui se passe ici et maintenant fait un avec le simultan ; ce qui se passene serait pas pour nous tout fait rel si nous ne savions quelle heure. (...)

    Toute question, mme celle de la simple connaissance, fait partie de la question centrale qui est nous-mmes.Merleau-Ponty,Le Visible et l'Invisible, 19642

    Claudel a choisi les deux questions qui touchent aux fondements de la vie : la spatiotemporalit.Quand il redresse la tte, c'est un vnement car il tait bestial. Il renifle : il est vivant. Avant, il tait proccup,absorb par quelque chose. En reniflant, le corps se sent lui-mme, il sent l'extrieur. Il coute (l'oue est le seulsens qu'on ne peut empcher) : il saisit la relation avec des objets. Il considre : enfin, il pense. Les btes ne

    pensent pas. Consquence de la pense : il soupire. Le soupir est toujours l'expression d'une pense, l'aveu d'unecertaine impuissance penser. Consquence de l'impuissance : il tire sa montre. La thse de Merleau-Ponty :

    Toutes les questions portent en elles une inquitude sur le temps et l'espace.Merleau-Ponty

    La plupart du temps, nous n'entendons pas la question philosophique. Quand on nous demandel'heure, c'est en fait une interrogation trs complexe. Merleau-Ponty dit que mettre au jour ce sens insouponn,c'est de la philosophie. Nous ne trouvons de rponses que parce que nous n'y prenons pas garde, et elles sonttoujours relatives, partielles, lies des conditions elles-mmes relatives... La rponse fondamentale, nonlimitative, est absolue : nous ne savons pas vraiment nous situer dans le temps. Quand suis-je n ?

    1 Paul Claudel,Art Potique, 1907.2 CfLe soulier de satinde Claudel.

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    L'anniversaire est trs approximatif.Exemple de la douleur qui rveille en pleine nuit : aussitt, on cherche l'heure. On retrouve ses

    repres, on s'inscrit dans le temps et on retrouve le monde. Les malades sont sortis du monde. Quand lapersonne ne regarde plus la montre, c'est qu'elle est bientt finie. On cherche reprendre confiance, serassurer. Si nous oublions l'heure, nous quittons le monde. On ne peut pas penser la ralit sans la situer avecnos repres, o et quand. Quelle heure est-il ? Nous-mmes, car nous sommes une question.

    Autre aspect : la langue. Dans le voyage, mme le plus touristique, on cherche comprendre lemonde. La question qui suis-je amne la question qu'est-ce que je suis.Dans Critique de la raison pure (1781), Immanuel Kant (1724-1804) se pose trois grandes

    questions. Que puis-je savoir ? L'pistmologie, l'tude de la connaissance Que dois-je faire ? Qu'est-ce que je dois ? Qu'est-ce que je ne dois pas ? Question de la

    conscience morale Que m'est-il permis d'esprer ? quoi bon ? M'est-il permis d'esprer que toutes mes actions

    justes me donnent une vie meilleure ? Espace de la religion et de la mtaphysique Bref, qu'est-ce que l'homme ? Pas dans un sens scientifique, mais quelle est la raison de la

    prsence de cet tre au monde ?

    Rapport de la foi et la raison : quelque soit la religion, l'homme se soumet une rvlation. Est-ilcapable de comprendre cette rvlation ? La religion rpond la troisime question par un Salut. Le croyant

    peut affirmer sa foi mais ne peut l'expliquer. Dieu doit-il toujours tre raisonnable ? On ne peut prouver sonexistence avec rationalit.

    Le bon sens est la chose du monde la mieux partage.Descartes,Discours de la mthode

    Mme les sauvages d'Amrique ont la raison. La raison est la facult de distinguer le vrai du faux.Depuis l'aube de l'humanit, il y a de la philosophie.

    III - Naissance de la philosophieSocrate (-470-399) a vraiment exist, bien qu'il n'ait pas laiss de textes crits. On le connat par des

    tmoignages. Platon (-427-347) voulait d'abord tre un tragdien, mais il rencontre Socrate, et aprs il brle sescrits pour se destiner la philosophie. Socrate interpellait et questionnait vivement les gens. Platon prouve le

    besoin d'crire des dialogues, principalement reprsentant Socrate interpellant les gens. Au dpart il voulaitjuste faire un tmoignage, et de plus en plus Socrate va devenir le porte-parole de Platon.

    NICIAS C'est que tu me parais ignorer que tout homme qui est en contact avec Socrate [par la conversation,comme par la parent] et s'approche de lui pour causer, quel que soit d'ailleurs le sujet qu'il ait mis sur le tapis, se voitinfailliblement amen par le tour que prend la conversation lui faire des confidences sur lui-mme, sur son genre devie actuel et sur sa vie passe, et, [188] une fois qu'il en est arriv l, il peut tre sr que Socrate ne le lchera pas qu'iln'ait bien et dment pass au crible tout ce qu'il lui aura dit. Pour moi, je suis habitu ses faons et je vois qu'avec lui il

    faut absolument en passer par l, et je n'en serai pas quitte, moi non plus, j'en suis sr. J'aime en effet m'approcher delui, Lysimaque, et je ne trouve pas du tout mauvais qu'on appelle notre attention sur le mal que nous avons pu faire ouque nous faisons encore. J'estime, au contraire, qu'on devient forcment plus prvoyant pour l'avenir, si l'on ne se drobepas cette preuve et si l'on veut et juge utile, suivant le mot de Solon, d'apprendre tant qu'on est en vie, au lieu decroire que la raison vient d'elle-mme avec l'ge. (...) Je le rpte donc : je ne vois, pour ma part, aucun inconvnient ce que Socrate conduise notre entretien comme il lui plaira. Mais il faut voir ce qu'en pense Lachs.

    LACHS (...) Pour Socrate, je ne connais pas ses discours ; mais j'ai dj, comme je vous l'ai dit, prouv savaleur par ses actions, et, l, je l'ai trouv digne de tenir de beaux discours avec une sincrit entire. (...) [189] En cela,moi aussi, je suis le prcepte de Solon, en le modifiant sur un point : je veux bien apprendre une foule de choses dansma vieillesse, mais de la bouche d'un honnte homme seulement. Il faut qu'on m'accorde ce point, l'honntet du matre(...). Je t'invite donc, Socrate, m'enseigner et m'examiner ; de ton ct, tu apprendras ce que je sais. (...)

    SOCRATE Or, ne sommes-nous pas, Lachs, en prsence d'un cas pareil, puisque ces deux-ci nous ont appels dlibrer sur le moyen de rendre leurs fils meilleurs en mettant la vertu dans leurs mes ?

    LACHS En effet. Ds lors, ne faut-il pas que nous possdions d'abord la notion de ce qu'est la vertu ? Car si nous n'avions aucune

    ide de ce que la vertu peut tre, comment pourrions-nous donner un conseil qui que ce soit sur la meilleure manirede l'acqurir ?

    Cela nous serait impossible, mon avis, Socrate. Nous disions donc, Lachs, que nous savons ce que c'est que la vertu ?

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    Introduction la philosophie 6

    Oui, nous l'affirmons. Mais si nous connaissons une chose, nous pouvons assurment dire ce qu'elle est ? Sans doute. Ne nous attachons pas tout de suite, mon trs bon, la vertu en gnral ; ce serait peut-tre une tche excessive.

    Bornons-nous d'abord une de ses parties et voyons si nous en avons une connaissance suffisante. Cet examen seranaturellement plus facile pour nous.

    Faisons comme tu le dsires, Socrate.

    Maintenant quelle partie de la vertu choisirons-nous ? videmment celle o parat se rapporter l'apprentissage desarmes. D'aprs l'opinion gnrale, c'est le courage, n'est-ce pas ? Oui, c'est bien l'opinion gnrale. Essayons donc d'abord, Lachs, de dfinir le courage. (...) Qu'est-ce que le courage ? Par Zeus, Socrate, ce n'est pas difficile dire. Quand un homme est dtermin faire tte l'ennemi en gardant

    son rang, sans prendre la fuite, sois sr que c'est une homme courageux. C'est bien dit, Lachs : mais peut-tre est-ce moi qui, en m'expliquant peu clairement, suis cause que tu m'as

    rpondu autre chose que ce que je pensais te demander. (...) [191] Sans doute c'est un brave que celui dont tu parles, qui,ferme son poste, combat l'ennemi.(...) Mais que dire de celui qui combat l'ennemi en fuyant, au lieu de rester sonposte ?

    Comment, en fuyant ? Comme les Scythes, par exemple, qui, dit-on, combattent tout aussi bien en fuyant qu'en chargeant. De mme

    Homre, voulant louer les chevaux d'ne, (...) et ne lui-mme il a donn prcisment cet loge qu'il tait habile

    fuir, et dit qu'il savait prvoir la fuite. Et avec raison, Socrate ; car il parlait de chars, comme toi, tu parles des cavaliers scythes. La cavalerie desScythes combat en effet de cette manire, mais la grosse infanterie des Grecs, comme je le dis.

    (...) je n'avais pas bien pos la question. Ce que je voulais apprendre de toi, c'tait ce qu'est le courage, nonseulement chez les fantassins, mais encore chez les cavaliers et tous les combattants, en gnral, et non seulement chezles combattants mais encore chez les hommes exposs aux dangers de la mer et chez tous ceux qui sont courageuxcontre la maladie et contre la pauvret et contre les prils de la politique ; et j'y ajoute non seulement ceux qui sontbraves contre la douleur ou la crainte, mais encore ceux qui rsistent fermement aux passions et aux plaisirs, soit qu'ilstiennent bon, soit qu'ils se retournent ; car il y a bien aussi, Lachs, des gens courageux parmi tous ceux-l ? (...) Maquestion portait sur la nature du courage et de la lchet. Commenons par le courage et essaye de nouveau d'expliquerce qu'il a d'identique dans tous ces cas. Ne saisis-tu pas encore ce que je veux dire ?

    Pas trs bien. [192] Je vais m'expliquer autrement. Si, par exemple, je te demandais ce que c'est que la vitesse, laquelle se

    rencontre dans la course, dans le jeu de la cithare, dans la parole, dans l'tude et dans beaucoup d'autres choses, et quitrouve son emploi dans presque toute action qui vaut la peine qu'on en parle, dans l'exercice de nos mains, de nosjambes, de notre bouche, de notre voix, de notre intelligence... n'entends-tu pas cela comme moi ?

    Si. Si donc on me demandait : Qu'entends-tu, Socrate, par ce que tu appelles vitesse applique tous les cas ? je lui

    rpondrais : j'appelle vitesse la facult qui excute beaucoup de choses en peu de temps, qu'il s'agisse de la voix, de lacourse et de tout le reste.

    Ta rponse serait juste. Maintenant, Lachs, essaie ton tour de dfinir le courage. Dis-nous quelle est cette facult, toujours la mme

    dans le plaisir et dans le chagrin et dans tous les cas o nous venons de dire qu'elle se trouvait, et que nous appelons lecourage.

    Il me semble que c'est une sorte de fermet d'me, s'il faut en dterminer la nature dans tous les cas. (...) Maintenant voici ce je que pense, moi je ne crois pas que toute fermet te paraisse courageuse, et voici sur

    quoi je le conjecture, c'est que je suis peu prs certain, Lachs, que tu ranges le courage parmi les trs belles choses. Parmi les plus belles, n'en doute pas. Mais n'est-ce pas la fermet accompagne d'intelligence qui est belle et bonne ? Certainement. Et si elle est jointe la folie ? n'est-elle pas au contraire nuisible et malfaisante ? Si. Alors appelleras-tu belle une pareille chose, une chose qui est nuisible et malfaisante ? Ce ne serait pas juste, Socrate. Tu ne reconnatras donc pas le courage dans cette espce de fermet, puisqu'elle n'est pas belle et que le courage

    est beau ? Tu as raison. Ce serait donc la fermet intelligente qui, d'aprs toi, serait le courage ? Il me semble.

    Voyons maintenant en quoi elle est intelligente. (...) [193] Voici la guerre un homme qui tient ferme, bien rsolu combattre par suite d'un calcul intelligent, car il sait qu'il sera soutenu par d'autres, que les troupes de l'ennemi serontmoins nombreuses et moins bonnes que celles de son parti et qu'il aura l'avantage de la position. Cet homme dont lafermet s'accompagne d'une telle intelligence et de telles prparations, le trouves-tu plus courageux que celui qui dans lecamp ennemi est rsolu soutenir fermement son attaque ?

    C'est l'homme du camp ennemi, Socrate, qui me parat le plus courageux.

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    Cependant sa fermet est moins intelligente que celle de l'autre. C'est vrai. Ds lors aussi, celui qui, dans un combat questre, tient ferme parce qu'il connat l'quitation, tu le dclareras

    moins courageux que celui qui tient ferme sans la connatre. Tel est mon avis. Et s'il s'agit de descendre dans un puits et de plonger, tous ceux qui, sans y tre exercs, consentent courir

    fermement un tel risque ou tout autre pareil, tu les dclareras plus courageux que ceux qui le courent parce qu'ils en ont

    la pratique ? Peut-on dire autre chose, Socrate ? Non, si l'on en juge ainsi. C'est bien ainsi que j'en juge. Et pourtant, Lachs, la fermet que ces gens-l montrent se risquer est moins intelligente que celle de ceux qui

    se risquent avec art. videmment. Mais n'avons-nous pas vu prcdemment que l'audace et la fermet dnues d'intelligence taient laides et

    nuisibles ? Si. Et nous tions convenus que le courage tait une belle chose. Nous en tions convenus en effet. Or maintenant nous disons au contraire que cette chose laide, la fermet inintelligente, est le courage.

    C'est vrai. Est-ce l bien raisonner, ton avis ? Non, par Zeus, Socrate, ce n'est pas bien. (...) Que faire ? Trouves-tu que nous soyons en belle posture ? Pas le moins du monde (...).

    Platon,Lachs (vers -395), trad. mile Chambry

    Socrate est ironique. Il demande quelqu'un s'il sait quelque chose. La personne rpond oui, ets'ensuit un examen durant lequel elle doit dfinir car elle prtend savoir. Il se dit sage-femme d'esprit car il faitaccoucher les ides et regarde si a tient ou pas. L'art d'accoucher, c'est la maeutique. Socrate doit tre prudentdans le conduite du dialogue, mais aussi trs ferme. Je me suis sans doute tromp est une phrase ironique oil affirme sa supriorit : il ne s'est pas tromp et l'autre n'a rien compris.

    Socrate est un vnement. l'Acadmie, il enseigne son systme. Il tait populaire, mais aura unprocs vers 70 ans : il est accus d'impit (c'est courant pour les philosophes) et de dgrader la jeunesse. Ildcide de se dfendre lui-mme. Dans L'apologie de Socrate, Platon reprend presque exactement ce qu'il dit.Tout le monde s'meut lorsqu'on le condamne mort. On essaie d'organiser une vasion, a arrange tout lemonde. Il refuse de s'vader car il a toujours t d'accord avec les lois d'Athnes. C'est dans Le Criton quePlaton relate les derniers instants de la vie de Socrate, Criton tant le nom du garde cens l'aider partir. Dans

    Le Phdon, Platon raconte son excution, on tuait en forant boire la cigu. Il se demande qu'est-ce que lamort. Ses amis pleurent, et il ne comprend pas pourquoi ils pleurent. Il meurt en disant que nous avons tous unedette.

    C'est une question constante sur la connaissance. La recherche du vrai amne la recherche dujuste. L'accomplissement de la recherche caractrise ce qu'on appelle la (la sagesse). Socrate dit toujours

    qu'il n'est pas sage car il n'a pas le savoir mais il aime la sagesse. La , c'est l'amour de la sagesse.[20d] Socrate - Je le reconnais, Athniens, je possde une science ; et c'est ce qui m'a valu [ma] rputation [desavant]. Quelle sorte de science ? celle qui est, je crois, la science propre l'homme. (...)

    [20e] Maintenant, n'allez pas murmurer, Athniens, si je vous parais prsomptueux. Ce que je vais allguer n'est pasde moi. Je m'en rfrerai quelqu'un qu'on peut croire sur parole. Le tmoin qui attestera ma science, si j'en ai une, et cequ'elle est, c'est le dieu qui est Delphes. Vous connaissez certainement Chrphon. [21a] Lui et moi, nous tions amisd'enfance, et il tait aussi des amis du peuple ; il prit part avec vous l'exil que vous savez et il revint ici avec vous.Vous n'ignorez pas quel tait son caractre, combien passionn pour tout ce qu'il entreprenait. Or, un jour qu'il tait all Delphes, il osa poser au dieu la question que voici de grce, juges, ne vous rcriez pas en l'entendant il demandadonc s'il y avait quelqu'un de plus savant que moi. Or la Pythie lui rpondit que nul n'tait plus savait. (...)

    Apprenez prsent pourquoi je vous en parle. [21b] C'est que j'ai vous expliquer d'o m'est venue cette fausserputation. Lorsque je connus cet oracle, je me dis moi-mme : Voyons, que signifie la parole du dieu ? Quel sens yest cach ? J'ai conscience, moi, que je ne suis savant ni peu ni beaucoup. Que veut-il donc dire, quand il affirme que je

    suis le plus savant ? Il ne parle pourtant pas contre la vrit, cela ne lui est pas possible. Longtemps je demeurai sans yrien comprendre. Enfin, bien contre-cur, je me dcidai vrifier la chose de la faon suivante.J'allai trouver un des hommes qui passaient pour savants [21c], certain que je pourrai l, ou nulle part, contrler

    l'oracle et ensuite lui dire nettement : Voil quelqu'un qui est plus savant que moi, et toi, tu m'as proclam plussavant. J'examinai donc fond mon homme ; - inutile de le nommer ; c'tait un de nos hommes d'tat ; - or, l'preuve, en causant avec lui, voici l'impression que j'ai eue, Athniens. Il me parut que ce personnage semblait savant

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    Introduction la philosophie 8

    beaucoup de gens et surtout lui-mme, mais qu'il ne l'tait aucunement. Et alors, j'essayais de lui [21d] dmontrerqu'en se croyant savant il ne l'tait pas. Le rsultat fut que je m'attirai son inimiti, et aussi celle de plusieurs desassistants. Je me retirai, en me disant : tout prendre, je suis plus savant que lui. En effet, il se peut que ni l'un nil'autre de nous ne sache rien de bon ; seulement, lui croit qu'il sait, bien qu'il ne sache pas ; tandis que moi, si je ne saisrien, je ne crois pas non plus rien savoir. Il me semble, en somme, que je suis un peu plus savant que lui, en ceci dumoins que je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas. Aprs cela, j'en allai trouver un [21e] second, un de ceux quipassaient pour encore plus savants. Et mon impression fut la mme. Du coup, je m'attirai aussi l'inimiti de celui-ci et de

    plusieurs autres.Je continuai nanmoins, tout en comprenant, non sans regret ni inquitude, que je me faisais des ennemis ; mais jeme croyais oblig de mettre au-dessus de tout le service du dieu. Il me fallait donc aller, toujours en qute du sens del'oracle, vers tous ceux [22a] qui passaient pour possder quelque savoir. Or, par le chien, Athniens, - car je vous doisla vrit, - voici peu prs ce qui m'advint. Les plus renomms me parurent, peu d'exceptions prs, les plus en dfaut,en les examinant selon la pense du dieu ; tandis que d'autres, qui passaient pour infrieurs, me semblrent plus sainsd'esprit. Cette tourne d'enqute, je suis tenu de vous la raconter, car ce fut vraiment un cycle de travaux quej'accomplissais pour vrifier l'oracle. [22b] Aprs les hommes d'tat, j'allai trouver les potes, auteurs de tragdies,faiseurs de dithyrambes et autres, me disant que, cette fois, je prendrais sur le fait l'infriorit de mon savoir. Emportantdonc avec moi ceux de leurs pomes qu'ils me paraissaient avoir le plus travaills, je leur demandais de me les expliquer; c'tait en mme temps un moyen de m'instruire auprs d'eux. (...) Eh bien, tous ceux qui taient l prsents, ou peu s'enfaut, auraient parl mieux que ces auteurs mmes sur leurs propres uvres. En peu de temps donc, voici ce que je fusamen penser des potes aussi : leurs crations taient dues, non leur savoir, [22c] mais un don naturel, une

    inspiration divine analogue celle des prophtes et des devins. Ceux-l galement disent beaucoup de belles choses,mais ils n'ont pas la science de ce qu'ils disent. Tel est aussi, je m'en suis convaincu, le cas des potes. Et, en mmetemps, je m'aperus qu'ils croyaient, en raison de leur talent, tre les plus savants des hommes en beaucoup d'autreschoses, sans l'tre le moins du monde. Je les quittai alors, pensant que j'avais sur eux le mme avantage que sur leshommes d'tat.

    Pour finir, je me rendis auprs des artisans. Car j'avais conscience que je ne savais peu prs rien et j'tais sr detrouver en [22d] eux des hommes qui savaient beaucoup de belles choses. Sur ce point, je ne fus pas tromp : ilssavaient en effet des choses que je ne savais pas, et, en cela, ils taient plus savants que moi. Seulement, Athniens, cesbons artisans me parurent avoir le mme dfaut que les potes. Parce qu'ils pratiquaient excellemment leur mtier,chacun d'eux croyait tout connatre, jusqu'aux choses les plus difficiles, [22e] et cette illusion masquait leur savoir rel.De telle sorte que, pour justifier l'oracle, j'en venais me demander si je n'aimais pas mieux tre tel que j'tais, n'ayantni leur savoir ni leur ignorance, que d'avoir, comme eux, l'ignorance avec le savoir. Et je rpondais l'oracle ainsi qu'moi-mme qu'il valait pour mieux tre tel que j'tais.

    Telle fut, Athniens, l'enqute qui m'a fait tant d'ennemis, [23a] des ennemis trs passionns, trs malfaisants, qui ontpropag tant de calomnies et m'ont fait ce renom de savant. Car, chaque fois que je convainc quelqu'un d'ignorance, lesassistants s'imaginent que je sais tout ce qu'il ignore. En ralit, juges, c'est probablement le dieu qui le sait, et, par cetoracle, il a voulu dclarer que la science humaine est peu de chose ou mme qu'elle n'est rien. (...) [23b] Cette enqute,je la continue, aujourd'hui encore, travers la ville, j'interroge, selon la pense du dieu, quiconque, citoyen ou tranger,me parat savant. Et quand il me semble qu'il ne l'est pas, c'est pour donner raison au dieu que je mets en lumire sonignorance. Tout mon temps se passe cela (...).

    Platon,Apologie de Socrate, vers -390, trad. mile Chambry

    Le procs est public : tout le monde y assiste. C'est le seul discours de Socrate dont on dispose. Lesgrecs avaient une bonne mmoire, ce qui fait que le discours rapport est presque le mme. Son but estd'expliquer les raisons de l'hostilit dans ses accusations :

    Il est impie, il ne croit pas dans les dieux d'Athnes, sa foi n'est pas la bonne. Il rpand de faux savoirs sur certains dieux, il est menaant car il sait des choses qu'il ne dit pas et

    qui sont interdites. Il a une mauvaise influence, il corrompt la jeunesse.Il se dfend contre ces trois chefs d'accusation en mme temps. Ce texte value le savoir de

    l'homme, la valeur et la nature de la philosophie. La Pythie de Delphes est l'oracle d'Apollon (l'oracle est lapersonne qui rapporte la parole divine). On lui pose des questions, et elle sort des paroles mystrieuses. Il prendpour tmoin le dieu de Delphes (alors qu'il est Athnes : c'est de la provocation !). Selon l'oracle delphique, nul n'est plus savant que Socrate . Premirement, le dieu dit la vrit. Secondement, cela provoque sontonnement. C'est un vnement qui rend impossible une certaine conscience de Socrate sur lui-mme : il estsavant prsent, point barre. Il cherche interprter le sens cach, le sens premier n'tait pas le vrai, c'est unenigme.

    Il fait face une contradiction, un problme. D'une part, je ne suis pas savant. D'autre part, je suis leplus savant. Les deux phrases sont vraies : cela cre la dynamique d'un questionnement. Il cherche savoir enquoi il est le plus savant. Il mne son enqute en trois temps, toujours en cherchant un homme savant qu'il netrouve pas, d'abord chez les politiques, puis chez les artistes, enfin chez les artisans. Le premier, il l'humilie en

    public en lui dmontrant que la prtention au savoir est toujours une prtention au pouvoir : c'est trs politique.

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    Il montre tous que l'homme politique ne sait pas ce qu'il croit savoir. Il lui fait perdre du pouvoir. Il exposeensuite sa doctrine : il sait qu'il ne sait pas tandis que les autres n'ont pas conscience de leur ignorance. En cela,il a un savoir de plus que les autres : il est le plus savant. Le savoir n'est plus de possder la connaissance. Le

    point de dpart du savoir est la conscience, la lucidit et non pas la mmoire, les donnes. Celui qui connatclairement quel est son savoir et ses limites est savant. Les autres ignorent qu'ils ignorent, ils sont donc certainsde savoir, ils sont aveugles.

    Socrate enseigne aux autres qu'ils ne savent pas. La lucidit est la claire conscience de la mesure deson savoir : c'est l'interprtation de la parole de l'oracle, il a au moins cette qualit. La philosophie est le dsir dela sagesse, ce qui place le philosophe en situation d'ignorance : il tend vers le savoir, il ne le dtient pas. Le

    philosophe veut tre sage, il n'est pas sage.Selon lui, les potes sont pareils. Ils n'apprennent pas la posie : l'inspiration est divine, naturelle.

    Cependant, ils ignorent aussi leur ignorance. Ce n'est qu'aux artisans qu'il reconnat une connaissancesuprieure. L'illusion dissimule toutefois la vritable comptence. Par leur ignorance, ils perdent leur savoirrel. Leur situation est pire : leur ignorance est mle avec leur savoir, il y a donc une confusion. Socrate ditqu'il est meilleur qu'eux car il arrive distinguer. Conclusion : les hommes ne savent rien.

    Sur le temple de Delphes, il y avait une parole du dieu : Connais-toi toi-mme. . Il s'adresse auxmortels : prenez conscience de votre mortalit. Dans le message Socrate, c'est une ironie douloureuse :

    l'homme est fini, il ne sait rien. La science propre l'homme est infiniment infrieure celle des dieux.L'interprtation, c'est dcouvrir l'importance d'un nonc.

    Socrate est le plus savant. Redfinition du savoir dans la distinction entre ignorance et connaissance, grce la lucidit. La connaissance humaine en gnral est nulle.Quelques remarques historiques. Il existe deux courants de pense fondamentaux dont Socrate

    cherche se distinguer.

    1 - Les sophistes

    C'est un ensemble de professeurs qui vont avoir un trs grand succs, dans le contexte de la

    dmocratie.En -508 arrive au pouvoir le tyran Clisthne. l'poque, le tyran dsigne celui qui dtient le

    pouvoir. Clisthne est un bon tyran. Il a tent de nombreuses rformes politiques qui vont grandement marquerla ville. Pour lui, il n'y a pas de forme politique stable, il y a toujours des conflits. Il veut travailler de l'intrieurle gouvernement. Le rsultat est extraordinaire. Il fonde des institutions qui rassemblent le peuple. Sa mthode :

    Il fonde des tribus pour que des personnes de chaque endroit diffrent (quartier d'Athnes, villeintrieure, port, etc) soient soucieuses des autres. Les tribus sont gales et doivent appartenir undme (une ville ou un village). Il fonde donc un rangement administratif de la population.

    a fait environ 30 000 citoyens. Un citoyen est un homme, n d'un pre citoyen, g de 18 ans, etinscrit. Cela exclut les mtques (tranger rsidant dans la ville) et les esclaves.

    Il cre des instances o le pouvoir va se constituer : L' (le Tribunal), lieu o l'on rend la justice, qui a notamment jug Socrate. C'est un

    tribunal populaire de 6 000 membres d'au moins 30 ans. Ils sont 600 par tribu. Lors desprocs, des personnes sont tires au sort pour faire environ 200 juges. Ils font des procs surtout et n'importe quoi.

    La (le Conseil) o s'laborent la dcision politique. Ses membres sont tirs au sortpour un an, 50 par tribu. L'anne est divise en 10 parties, et ce sont certains qui exercent legouvernement pendant une partie, et a tourne. Les prytanes sont les responsables del'organisation du Conseil pour ce dixime d'anne. Les dcisions sont prises au vote : ils'agit d'une dmocratie participative et non reprsentative. Il doit parfois se poser desquestions douloureuses telles que celle de l'ostracisme (l'exil forc). Dans ce cas, on fait

    appel ... L' (l'Assemble) qui rassemble tous les citoyens. Ils dbattent ensemble et votentavec des jetons. Il y avait un quorum (nombre minimum de personnes) de 6 000 citoyens.Pricls, le grand stratge (chef de guerre) athnien, a eu une autorit politique trs forte,mais pas de vritable poste. DansHistoire de la guerre du Ploponnse, Thucydide rapportele discours de Pricls qui fait l'loge de la dmocratie athnienne, les grecs se mettant

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    Introduction la philosophie 10

    aimer les discours.Les sophistes arrivent pour enseigner le discours et apprendre argumenter. Le souci des nouveaux

    est de ne pas perdre la face et de savoir se tenir. Les sophistes sont des grecs mais pas ncessairement desathniens. Ces professeurs se baladent, ils n'ont pas d'cole fixe. On peut prendre l'exemple de Protagoras (-485-411) et de ses antilogies, qui consistent retourner les arguments pour en arguments contre. Ces sophistessont ncessaires, mais leur habilet est inquitante. Socrate passe sa vie les combattre. Il n'enseignait rien et ne

    se faisait pas payer : pour lui, tre salari est ne pas tre libre de parole.

    2 - Les physiciens

    La dmocratie est le pouvoir aux dmes. Socrate est en cart avec son poque car il s'oppose auxsophistes, mais en mme temps, il est bien de son temps, car il argumente bien. La rhtorique enseigne le beau-

    parler, les sophistes l'argumentation. Socrate est en dissension avec les deux. Il fonde un lyce de savants.Ceux-ci prtendent connatre l'origine de la nature : ce qui est sous l'intervention de l'homme. Les grecscherchaient les causes de la nature dans les lments.

    Thals (-624-544), rapport par Diogne Larce, enseigne que tout est penser partir de l'eau.Pense conteste par ceux qui disent que c'est le feu, l'air, etc. Pythagore (-570-490) pense que tout est fait de

    nombre, que les nombres sont rels. Il a un norme succs. Une autre star, Anaxagore (-500-428), pense que labase de toute chose est le nos, tout est fait par l'esprit. Socrate tait un fan d'Anaxagore car il remplace lepourquoi par le comment et il ne parle pas de la cause. Socrate est encore diffrent : il cherche la raison.Anaxagore dtient le savoir de la cause prochaine, mais pas la question du principe, du pourquoi.

    SOCRATE Eh bien aprs cela, dis-je, compare notre nature, considre sous le rapport de l'ducation et dumanque d'ducation, la situation suivante. Voici des hommes dans une habitation souterraine en forme de grotte, qui ason entre en longueur, ouvrant la lumire du jour l'ensemble de la grotte ; ils y sont depuis leur enfance, les jambes etla nuque pris dans des liens qui les obligent rester sur place et ne regarder que vers l'avant, incapables qu'ils sont, cause du lien, de tourner la tte ; leur parvient la lumire d'un feu qui brle en haut et au loin, derrire eux ; et entre lefeu et les hommes enchans, une route dans la hauteur, le long de laquelle voici qu'un muret a t lev, de la mmefaon que les dmonstrateurs de marionnettes disposent de cloisons qui les sparent des gens ; c'est par-dessus qu'ilsmontrent leurs merveilles.

    GLAUCON Je vois, dit-il. Vois aussi, le long de ce muret, des hommes qui portent des objets fabriqus de toute sorte qui dpassent dumuret, des statues d'hommes et d'autres tres vivants, faonnes en pierre, en bois, et en toutes matires ; parmi cesporteurs, comme il est normal, les uns parlent, et les autres se taisent.

    C'est une image trange que tu dcris l, dit-il, et d'tranges prisonniers. Semblables nous, dis-je. Pour commencer, en effet, crois-tu que de tels hommes auraient pu voir quoi que ce

    soit d'autre, d'eux-mmes et les uns des autres, que les ombres qui, sous l'effet du feu, se projettent sur la paroi de lagrotte en face d'eux ?

    Comment auraient-ils fait, dit-il, puisqu'ils ont t contraints, tout au long de leur vie, de garder la tteimmobile ?

    Et en ce qui concerne les objets transports ? n'est-ce pas la mme chose ? Bien sr que si. Alors, s'ils taient mme de parler les uns avec les autres, ne crois-tu pas qu'ils considreraient ce qu'ils

    verraient comme ce qui est rellement ? Si, ncessairement. Et que se passerait-il si la prison comportait aussi un cho venant de la paroi d'en face ? Chaque fois que l'un de

    ceux qui passent mettrait un son, crois-tu qu'ils penseraient que ce qui l'met est autre chose que l'ombre qui passe ? Non, par Zeus, je ne le crois pas, dit-il. Ds lors, dis-je, de tels hommes considreraient que le vrai n'est absolument rien d'autre que l'ensemble des

    ombres des objets fabriqus. Trs ncessairement, dit-il. Examine alors, dis-je, ce qui se passerait si on les dtachait de leurs liens et si on les gurissait de leur garement,

    au cas o de faon naturelle les choses se passeraient peu prs comme suit. Chaque fois que l'un d'eux serait dtach,et serait contraint de se lever immdiatement, de retourner la tte, de marcher, et de regarder la lumire, chacun de cesgestes il souffrirait, et l'blouissement le rendrait incapable de distinguer les choses dont tout l'heure il voyait lesombres ; que crois-tu qu'il rpondrait, si on lui disait que tout l'heure il ne voyait que des sottises, tandis qu' prsent

    qu'il se trouve un peu plus prs de ce qui est rellement, et qu'il est tourn vers ce qui est plus rel, il voit pluscorrectement ? Surtout si, en lui montrant chacune des choses qui passent, on lui demandait ce qu'elle est, en lecontraignant rpondre ? Ne crois-tu pas qu'il serait perdu, et qu'il considrerait que ce qu'il voyait tout l'heure taitplus vrai que ce qu'on lui montre prsent ?

    Bien plus vrai, dit-il. Et de plus, si on le contraignait aussi tourner les yeux vers la lumire elle-mme, n'aurait-il pas mal aux yeux, et

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    ne la fuirait-il pas pour se retourner vers les choses qu'il est capable de distinguer, en considrant ces dernires commerellement plus nettes que celles qu'on lui montre ?

    Si, c'est cela, dit-il. Et si on l'arrachait de l par la force, dis-je, en le faisant monter par la pente rocailleuse et raide, et si on ne le

    lchait pas avant de l'avoir tir dehors jusqu' la lumire du soleil, n'en souffrirait-il pas, et ne s'indignerait-il pas d'tretran de la sorte ? et lorsqu'il arriverait la lumire, les yeux inonds de l'clat du jour, serait-il capable de voir ne ft-ce qu'une seule des choses qu' prsent on lui dirait tre vraies ?

    Non, il ne le serait pas, dit-il, en tout cas pas tout de suite. Oui, je crois qu'il aurait besoin d'accoutumance pour voir les choses de l-haut. Pour commencer ce seraient lesombres qu'il distinguerait plus facilement, et aprs cela, sur les eaux, les images des hommes et celles "des autresralits qui s'y refltent, et plus tard encore ces ralits elles-mmes. la suite de quoi il serait capable de contemplerplus facilement, de nuit, les objets qui sont dans le ciel, et le ciel lui-mme, en tournant les yeux vers la lumire desastres et de la lune, que de regarder, de jour, le soleil et la lumire du soleil.

    Forcment. Alors je crois que c'est seulement pour finir qu'il se montrerait capable de distinguer le soleil, non pas ses

    apparitions sur les eaux ou en un lieu qui n'est pas le sien, mais lui-mme en lui-mme, dans la rgion qui lui est propre,et de le contempler tel qu'il est.

    Ncessairement, dit-il. Et aprs cela, ds lors, il conclurait, grce un raisonnement au sujet du soleil, que c'est lui qui procure les

    saisons et les annes, et qui rgit tout ce qui est dans le lieu du visible, et qui aussi, d'une certaine faon, c est cause de

    tout ce qu'ils voyaient l-bas. Il est clair, dit-il, que c'est cela qu'il en viendrait ensuite. Mais dis-moi : ne crois-tu pas que, se souvenant de sa premire rsidence, et de la "sagesse" de l-bas, et de ses

    codtenus d'alors, il s'estimerait heureux du changement, tandis qu'eux il les plaindrait ? Si, certainement. Les honneurs et les louanges qu'ils pouvaient alors recevoir les uns des autres, et les privilges rservs celui

    qui distinguait de la faon la plus aigu les choses qui passaient, et se rappelait le mieux lesquelles passaienthabituellement avant les autres, lesquelles aprs, et lesquelles ensemble, et qui sur cette base devinait de la faon la plusefficace laquelle allait venir, te semble-t-il qu'il aurait du dsir pour ces avantages-l, et qu'il jalouserait ceux qui, chezces gens-l, sont honors et exercent le pouvoir ? ou bien qu'il prouverait ce dont parle Homre, et prfrerait de loin,"tant aide-laboureur, tre aux gages d'un autre homme, un sans-terre..." et subir tout au monde plutt que se fonderainsi sur les apparences, et vivre de cette faon-l ?

    Je le crois pour ma part, dit-il : il accepterait de tout subir, plutt que de vivre de cette faon-l.

    Alors reprsente-toi aussi ceci, dis-je, si un tel homme redescendait s'asseoir la mme place, n'aurait-il pas lesyeux emplis d'obscurit, pour tre venu subitement du plein soleil ? Si, certainement, dit-il. Alors s'il lui fallait nouveau mettre des jugements sur les ombres de l-bas, dans une comptition avec ces

    hommes-l qui n'ont pas cess d'tre prisonniers, au moment o lui est aveugl, avant que ses yeux ne se soient remis, etalors que le temps ncessaire pour l'accoutumance serait loin d'tre ngligeable, ne prterait-il pas rire, et ne ferait-ilpas dire de lui : pour tre mont l-haut, le voici qui revient avec les yeux abms ? et : ce n'est mme pas la peined'essayer d'aller l-haut ? Quant celui qui entreprendrait de les dtacher et de les mener en-haut, s'ils pouvaient d'unefaon ou d'une autre s'emparer de lui et le tuer, ne le tueraient-ils pas ?

    Si, certainement, dit-il. Eh bien c'est cette image, dis-je, mon ami Glaucon, qu'il faut appliquer intgralement ce dont nous parlions

    auparavant : en assimilant la rgion qui apparat grce la vue au sjour dans la prison, et la lumire du feu en elle lapuissance du soleil, et en rapportant la monte vers le haut et la contemplation des choses d'en-haut la monte de l'me

    vers le lieu intelligible, tu ne seras pas loin de ce que je vise, en tout cas, puisque c'est cela que tu dsires entendre. Undieu seul sait peut-tre si cette vise se trouve correspondre la vrit. Voil donc comment m'apparaissent les choses :dans le connaissable, ce qui est au terme, c'est l'ide du bien, et on a du mal la voir, mais une fois qu'on l'a vue on doitconclure que c'est elle, coup sr, qui est pour toutes choses la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau, elle quidans le visible a donn naissance la lumire et celui qui en est le matre, elle qui dans l'intelligible, tant matresseelle-mme, procure vrit et intelligence ; et que c'est elle que doit voir celui qui veut agir de manire sense, soit danssa vie personnelle, soit dans la vie publique.

    Je le crois avec toi moi aussi, dit-il, en tout cas pour autant que j'en suis capable. Alors va, dis-je, crois avec moi aussi ce qui suit : ne t'tonne pas que ceux qui sont alls l-bas ne consentent pas

    s'occuper des affaires des hommes, mais que ce dont leurs mes ont envie, ce soit d'tre sans cesse l-haut. On pouvaitbien s'attendre qu'il en soit ainsi, si l aussi les choses se modlent sur l'image dcrite auparavant.

    On pouvait certes s'y attendre, dit-il. Mais voyons : crois-tu qu'il y ait s'tonner, dis-je, si quelqu'un qui est pass des contemplations divines aux

    malheurs humains se montre dpourvu d'aisance et parat bien risible, lorsque encore aveugl, et avant d'avoir pusuffisamment s'habituer l'obscurit autour de lui, il est contraint d'entrer en comptition devant les tribunaux, ou dansquelque autre lieu, au sujet des ombres de ce qui est juste, ou des figurines dont ce sont les ombres, et de disputer sur lafaon dont ces choses sont conues par ceux qui n'ont jamais vu la justice elle-mme ?

    Cela n'est nullement tonnant, dit-il. Un homme, en tout cas un homme pourvu de bon sens, dis-je, se souviendrait que c'est de deux faons et partir

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    de deux causes que les troubles des yeux se produisent : lorsqu'ils passent de la lumire l'obscurit, ou de l'obscurit la lumire. Et, considrant que la mme chose se produit aussi pour l'me, chaque fois qu'il en verrait une trouble etincapable de distinguer quelque objet, il ne rirait pas de faon inconsidre, mais examinerait si, venue d'une vie pluslumineuse, c'est par manque d'accoutumance qu'elle est dans le noir, ou si, passant d'une plus grande ignorance un tatplus lumineux, elle a t frappe d'blouissement par ce qui est plus brillant ; ds lors il estimerait la premire heureused'prouver cela et de vivre ainsi, et plaindrait la seconde ; et au cas o il voudrait rire de cette dernire, son rire seraitmoins ridicule que s'il visait l'me qui vient d'en haut, de la lumire.

    Ce que tu dis l est trs appropri, dit-il. Platon,La Rpublique, Livre VII (vers -385), trad. mile Chambry

    C'est Platon qui parle sous le nom de Socrate. Il pose la question de l'ducation, la , laformation du jeune grec. Cette caverne reprsente la culture, le travail, c'est--dire le processus durant lequel jeme transforme, j'adviens mon humanit, ma conscience.

    Les prisonniers ont toujours vu des ombres. Ils croient savoir, puisqu'ils n'ont pas conscience qu'ilsne voient que des ombres, bref, ils ignorent qu'ils ignorent. La diffrence entre l'image de Platon et Matrix :dans Matrix, il y a un complot de gens derrire le muret qui projettent les ombres, dans Platon, on s'en fiche. Onveut savoir si les prisonniers sont dans le rel ou non. Dans la premire partie du texte, c'est une description dela situation. Dans la deuxime partie, il dcrit une tentative de sortie. Il y a une dimension dsagrable lorsqu'onle sort de l'ombre : c'est une contrainte. Il souffre, c'est violent, il voit tellement de lumire qu'il ne voit rien, et

    quand on lui explique tout, il ne comprend absolument rien. Quand il reste prs du feu, il veut revenir saplace. Le second temps de la libration, c'est quand il sort dehors, et la lumire du soleil est bien trop violente.Pourtant c'est une russite, il est enfin capable de comprendre ce qui se passait dans la caverne. Il y a unprogrs dans son rapprochement de la lumire, pardegrs. Il comprend d'abord les ombres, ensuite les refletssur les eaux, puis enfin les objets eux-mmes. Mais ce n'est pas tout, le regard va se poser sur la question du

    principe de la vision et du visible. Il regarde d'abord le ciel, qui est une ombre, mais aussi ensuite la lumire dela lune, pour arriver celle du soleil. Cela nous rapproche du principe du visible. Dans un raisonnement paranalogie, il dduit que le soleil rgit tout : il n'est alors plus aveugle. Il change ensuite de point de repre.Politiquement, il est en cart avec les autres prisonniers. Platon dit que celui qui possde un savoir d'ombre nevaut rien. Celui qui est sorti et qui redescend dans la caverne pour reprendre sa place sera aveugle. Il va treridicule et sembler idiot aux yeux des autres. Il parle aussi de celui qui l'a libr. S'il en libre plusieurs, ils

    feraient leur possible pour le tuer et se dfendre. C'est un hommage Socrate : celui qui cherche arracher lesgens de leur place, leur faire voir le rel, mais aussi l'aspect ridicule de Socrate qui n'tait pas dou. Il nedtient pas le savoir : il montre le savoir aux autres. Le ridicule peut cacher un trs grand savoir.

    Selon Platon, si on veut comprendre le sensible (les ombres, ce que nos sens reconnaissent), il fauts'en dtourner et chercher ce qui est purement de l'esprit : l' intelligible. Pour lui une ide est une ralit.L'idalisme n'est pas une sparation de la ralit, car c'est seulement quand on est prs de l'ide qu'on est prsdu rel. L'ide est ce qui est identique sous toutes les formes. Son espoir est de dfinir le rel en ide. Le rel,c'est ce qui est permanent, l'ide en soi. La , c'est la contemplation. Le soleil, c'est l'ide : a ne setouche pas, a se contemple. Connatre, c'est se dtourner de l'ombre et atteindre l'ide. Savoir, c'est trouver le

    permanent. Exemple de physique : le centre de gravit d'un objet est rel, mais il ne se voit pas. Le physicien estdans l'abstrait, dans l'intelligible. Celui le plus proche du rel fait d'abord l'exprience dans sa tte avant.

    L'exemple du lit. Le lit dans lequel on se couche, il est rel car on le voit, on le touche, il estsensible. Mais on ne sait pas par quel principe il est. L'artisan qui l'a fait a d rflchir avant de le faire : il aconsult l'ide du lit, son modle. Chaque lit est une copie de l'ide de lit. Mon lit n'a d'tre que parce qu'il

    participe de l'ide de lit. Par exemple, l'image d'un lit produite par le peintre est une copie de la copie. Poursavoir ce qu'est un lit, il faut le dfinir par la pense. Pour un platonicien, un objet existe dans l'ide. L'artisanqui n'a pas l'ide du lit fait un lit bancal. Le rel et le vrai sont ce qui s'accorde avec ce qui doit tre : c'estl'authentique. Un lit bancal n'est pas authentique, l'ide n'a pas t assez travaille. On ne trouve l'ide quedans l'intelligible, dans l'esprit. La philosophie, c'est chercher l'ide.

    Dans la dernire partie, il y a deux personnes prsentes : une ridicule car infiniment plus savanteque le commun, l'autre qui dcouvre semble aussi idiot alors qu'on devrait le fliciter de comprendre. Ce texte

    de l'allgorie de la caverne est un un texte fondateur.En conclusion, le rel est ce qui se donne toujours rsistant l'esprit. Un lphant rose est irrel : cequi est incohrent est irrel. La raison et le rel sont insparables. Ce qui est abstrait se dfinit comme ce quiest spar, on fait abstraction du support (abstraire le rouge, c'est parler de la couleur rouge tout court). Ce quiest concret, c'est prcis, c'est ce rouge-l, avec ces caractristiques, ce moment-l, sous tel clairage, sous cetangle...

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    13 Philosophie terminale

    Ce qu'il y a d'effectif dans le monde, c'est l'ide.Platon

    Le rel, est-ce la raison ou la draison ? Car sur Terre, il existe bien de la folie. Avec la parole dudieu de Delphes, Socrate s'approche de la sagesse. Avec sa mission d'interroger les gens, il a dj compris la

    parole. Pour devenir sage, il faut dj l'tre ! Pour interprter un sens cach, il faut dj le connatre. Quand sonami lui rapporte la parole de la Pythie, il s'tonne car il peroit dj son sens. Selon Kant, apprendre la

    philosophie, c'est impossible, alors on doit apprendre philosopher. La philosophie n'est pas dfinitivementclose. Philosopher, c'est chercher l'ide que l'on construit, et veiller la source toute chose. Il donne troismaximes du sens commun, prendre comme conseils.

    Penser par soi-mme , la pense autonome, mascotte des Lumires Penser en tant en accord avec soi , la pense cohrente Penser en se mettant la place de tout autre , la pense largie et objective

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    L'existence et le temps 14

    L ' e x i s t e n c e e t l e t e m p s

    Qui suis-je ? Quelle est mon identit ? Le sujet n'existe pas sans autrui. Ne pas tre ncessaire, c'esttre contingent. Ce qui est ncessaire, c'est ce qui ne peut tre autrement. Dcouvrir que je suis, c'est dcouvrirqu'on est contingent. On se rend compte qu'on aurait pu ne pas tre...

    Plan du chapitre

    L'existence et le temps, 14I - Qui suis-je ? Que suis-je ? Existence et contingence, 14

    1 - L'existence, 142 - Le temps, 15

    a - L'irrversibilit,15b - Le devenir, 16c - L'tre du temps,17d - La mort et l'existence,18

    3 - Sens et existence, 20a - L'absurde, 20b - Pari et existence, 21c - Bilan : bonheur et preuve de la temporalit,23

    I - Qui suis-je ? Que suis-je ? Existence et contingence

    1 - L'existence

    Dehors. Tout est dehors : les arbres sur le quai, les deux maisons du pont, qui rosissent la nuit, le galop figd'Henri IV au-dessus de ma tte : tout ce qui pse. Au dedans, rien, pas mme une fume, il n'y a pas de dedans, il n'y arien. Moi: rien. Je suis libre , se dit-il, la bouche sche.

    Au milieu du Pont-Neuf, il s'arrta, il se mit rire : cette libert, je l'ai cherche bien loin ; elle tait si proche queje ne pouvais pas la voir, que je ne peux pas la toucher, elle n'tait que moi. Je suis ma libert. Il avait espr qu'unjour il serait combl de joie, perc de part en part par la foudre. Mais il n'y avait ni foudre ni joie : seulement cednuement, ce vide saisi de vertige devant lui-mme, cette angoisse que sa propre transparence empchait tout jamais

    de se voir. Il tendit ses mains et les promena lentement sur la pierre de la balustrade, elle tait rugueuse, crevasse, uneponge ptrifie, chaude encore du soleil de l'aprs-midi. Elle tait l : une plnitude. Il aurait voulu s'accrocher cettepierre, se fondre elle, se remplir de son opacit, de son repos. Mais elle ne pouvait lui tre d'aucun secours : elle taitdehors, pour toujours. Il y avait ses mains, pourtant, sur la balustrade blanche : quand il les regardait, elles semblaient debronze. Mais, justement parce qu'il pouvait les regarder, elles n'taient plus lui, c'taient les mains d'un autre, dehors,comme les arbres, comme les reflets qui tremblaient dans la Seine, des mains coupes. Il ferma les yeux et ellesredevinrent siennes : il n'y eut plus contre la pierre chaude qu'un petit got acide et familier, un petit got de fourmi trsngligeable. Mes mains : l'inapprciable distance qui me rvle les choses et m'en spare pour toujours. Je ne suisrien, je n'ai rien. Aussi insparable du monde que la lumire et pourtant exil, comme la lumire, glissant la surfacedes pierres et de l'eau, sans que rien, jamais ne m'accroche ou ne m'ensable. Dehors. Dehors. Hors du monde, hors dupass, hors de moi-mme : la libert c'est l'exil et je suis condamn tre libre.

    Il fit quelques pas, s'arrta de nouveau, s'assit sur la balustrade et regarda couler l'eau. Et qu'est-ce que je vais fairede toute cette libert ? Qu'est-ce que je vais faire de moi ?

    Sartre,Le Sursis, 1945, tome II des Chemins de la libert

    C'est un texte construit sur la distinction dehors / dedans. Or, il y a une remise en cause, car lededans est du rien. Il n'y a que du dehors. Il y a aussi l'opposition vide / plein. La pierre, elle, a un dedans, quiest plein. Il y a un rien qui est un rapport au dehors. La pierre contient un dedans inaccessible. Je suis prsent aumonde, je suis le rapport un dehors, je suis un nant. Je suis libre, rien ne dfinit que j'aurais touch un jour la

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    15 Philosophie terminale

    pierre de la balustrade. Je ne suis qu'un objet dehors. Quand on nous pose une question comme tes-vousplutt paresseux ou travailleur ? , pour rpondre, on mne une enqute sur soi comme s'il s'agissait d'un objetextrieur sans accs privilgi.

    On suppose une conscience en soi, on a un rapport un objet qui est un dehors. Je suis un tre quin'est pas un objet, pour lequel il y a des objets, je suis un tre transi de nant, une conscience. Nous sommes

    prsents au monde par l'intermdiaire de quelque chose : c'est le corps, ou plutt le corps propre. Le fait d'tre

    au monde par un corps ne signifie pas que nous ne sommes qu'un corps. On pense l'intrieur des choses aussi.Si on met l'tre du ct de l'objet, il perd sa libert.La conscience serait la facult de se rapporter au monde comme un objet. On se tourne vers des

    objets extrieurs. L'arbre est l, dehors, mais ce n'est pas moi ; mais je me rapporte lui quand je le pose l, ct de moi. Le hros est tonn tout seul : pas besoin d'lment extrieur pour dclencher a. Le moi n'est riencar on est libre. Un cadavre, un objet est plein donc pas libre.

    On ne nat pas femme, on le devient.De Beauvoir

    Selon Simone de Beauvoir (1908-1986), dans Le Deuxime Sexe (1949), il faut apprendre trefemme au-dessus de la simple considration du corps. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas deschoses, car il y a un apprentissage tre ce que nous sommes. Du point de vue du corps, rien ne dtermine ceque nous serons : homosexuel ? Htrosexuel ? Aimerons-nous notre sexe ? C'est la libert. La tranquillitdisparat lors de l'veil de la conscience. On calque la laideur et la beaut du corps ce que l'on nous dit de lui.J'ai avoir ce corps, car je suis libre, mme s'il ne me plat pas.

    Tant qu'il y a de la vie, il y a de la libert (pour l'homme). Mme en cas de grosse maladie,d'emprisonnement, il y a la libert. Cette libert est un poids, c'est un rien qui pse lourd. Nous n'avons paschoisi d'tre libre. On peut chercher des excuses, car on ne peut assumer la libert. L'alcoolisme est unrvlateur du rejet de certains hommes de la libert. Nous avons tre car nous ne sommes pas comme la

    balustrade est la balustrade. Exister, tymologiquement, signifie se tenir au dehors. Alors, est-ce que la chose est? - Oui, c'est l'en-soi. - Et l'tre humain ? - Il existe, ce qui veut dire qu'il a tre, donc oui, c'est le pour-soi. Unstylo n'existe pas, il est. L'animal a un peu de conscience.

    C'est l'existentialisme : l'existence prcde l'essence. Quand on nat, on est jet dans l'existence.L'essence, c'est ce que la chose est ncessairement, ce qu'elle ne peut pas ne pas tre. Prendre conscience dequelque chose nous en loigne : si on me dit Tu dois tre heureux dis donc , on prend conscience du bonheuret on ne l'est plus, car on a tre heureux de nouveau. Projet en avant, la libert c'est l'exil. Socrate a unemission, car l'tre qui existe se donne lui-mme une mission, alors que l'objet n'a qu'une fonction.

    2 - Le temps

    L'irrversibilitL'irrversibilit constitue (...) le caractre le plus essentiel du temps, le plus mouvant, et celui qui donne notre vie

    tant de gravit et ce fond tragique dont la dcouverte fait natre en nous une angoisse que l'on considre commervlatrice de l'existence elle-mme, ds que le temps lui-mme est lev jusqu' l'absolu. Car le propre du temps, c'estde nous devenir sensible moins par le don nouveau que chaque instant nous apporte que par la privation de ce que nouspensions possder et que chaque instant nous retire : l'avenir lui-mme est un indtermin dont la seule pense, mmequand elle veille notre esprance, trouble notre scurit. (...)

    Le terme seul d'irrversibilit montre assez clairement, par son caractre ngatif, que le temps nous dcouvre uneimpossibilit et contredit un dsir qui est au fond de nous-mme: car ce qui s'est confondu un moment avec notreexistence n'est plus rien, et pourtant nous ne pouvons faire qu'il n'ait point t : de toute manire il chappe nos prises.(...) Or c'est justement cette substitution incessante un objet qui pouvait tre peru d'un objet qui ne peut plus tre queremmor qui constitue pour nous l'irrversibilit du temps. C'est elle qui provoque la plainte de tous les potes, qui faitretentir l'accent funbre du Jamais plus , et qui donne aux choses qu'on ne verra jamais deux fois cette extrme acuitde volupt et de douleur, o l'absolu de l'tre et l'absolu du nant semblent se rapprocher jusqu' se confondre.L'irrversibilit tmoigne donc d'une vie qui vaut une fois pour toutes, qui ne peut jamais tre recommence et qui est

    telle qu'en avanant toujours, elle rejette sans cesse hors de nous-mme, dans une zone dsormais inaccessible, celamme qui n'a fait que passer et quoi nous pensions tre attach pour toujours.Lavelle,Du temps et de l'ternit, 1945

    Louis Lavelle (1883-1951) souligne dans cet extrait l'inquitude du temps qui est en nous. Unregard sombre est port dessus : ce n'est plus un don mais une perte. On ne peut se tenir avec stabilit : ce qu'ontient on ne le tient plus peu aprs. Exister, c'est se tenir dans le temps, mais comme c'est impossible (c'est l le

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    L'existence et le temps 16

    sens de l'objection de Lavelle), alors c'est devenir dans le temps, c'est--dire un arrachement. Nous ne pouvonsrester l'instant. Dans l'amour passionn, les amants se crispent sur l'ternit, ne veulent rien changer, alors quec'est impossible : a finira mal ! Ils veulent rester dans la tranquillit, et se btissent un rempart. L'amant secherche en l'autre, il rpte moi aussi . Ils cherchent rester dans l'ternit, mais le temps c'est la ralit.Aimer passionnment ce n'est qu'aimer soi-mme.

    C'est un arrachement continu : le temps est compt, il n'est jamais fini. On est de plus en plus

    conscient qu'on est mortel, c'est une double angoisse. Condamn tre dans le temps, et dans un laps de temps.De l l'angoisse de l'avenir. La tonalit tragique vient d'une contradiction : nous sommes et nous ne sommespas. Ce dsir ne pourra jamais tre satisfait, on ne pourra jamais sortir du temps, celui-ci nous retire ce que nousavons. Ce dsir est un manque.

    Le devenir

    Tout devient. Hraclite (il avait vers 40 ans aux alentours de -500), avant Socrate et Platon, tait unphysicien grec. Il a crit des traits totalement perdus mais trs lus l'poque dont on n'a aujourd'hui que desfragments. Il aimait les paradoxes et les petites nigmes.

    Le temps est un enfant qui joue en dplaant des pions : la royaut d'un enfant.Hraclite

    Le temps est manifestement la dure d'une vie. Nous jouons contre le temps, contre un enfantinnocent. La royaut signifie qu'il gagne tous les coups. Il y a l'ide de finitude, d'innocence, de rgle du jeu :la loi du devenir. Il travaille la mtaphore de l'eau qui coule :

    On ne peut rentrer deux fois dans le mme fleuve.Hraclite

    Non seulement l'eau aura coul, mais moi aussi je serai devenu. chaque instant je deviens :

    Nous entrons et n'entrons pas dans le mme fleuve. Nous sommes et ne sommes pas.Hraclite

    a n'est dj plus moi au moment o j'entre. Chaque chose est et n'est pas elle-mme : c'est la loi du

    paradoxe qui dispose que les contraires sont indissociables. Cette chose semble tre la mme mais comme toutest emport par le temps (par le rel), a devient et a change. Tout est contraire soi. C'est une doctrine quientrane dans une position dlicate l'gard de la connaissance. Si tout devient et qu'on ne le voit pas, quesavons-nous ?

    Michel de Montaigne (1533-1592) illustre le devenir. Il est plein de contradictions : il estintellectuel et sa devise est Que sais-je ? . Il dveloppe un scepticisme partir de la lecture d'Hraclite : nousne pouvons rien savoir qui vaille quelque chose. Dans sesEssais (1572-1588), XII, il crit :

    Finalement, il n'y a aucune constante existence, ni de notre tre, ni de celui des objets. Et nous, et notrejugement et toute chose mortelle, vont coulant et roulant sans cesse. Ainsi, il ne se peut tablir rien de certain

    de l'un l'autre, et le jugeant et le jug tant en continuelle mutation et branle. Nous n'avons aucunecommunication l'tre, car toute humaine nature est entre le natre et le mourir, ne billant de soi qu'une

    obscure apparence et ombre, et une certaine et dbile opinion. Et si, de fortune, vous fichez votre pense vouloir prendre son tre, ce sera ni plus ni moins que comme celui qui voudrait empoigner l'eau : car tant plusil serrera et pressera, ce qui de sa nature coule partout, tant plus il perdra ce qu'il voulait tenir et empoigner.

    Montaigne

    Il n'y a rien de stable, tout est contradictoire. Notre pense ni nous-mmes ne pouvons trepossds. Hraclite a conscience de la disparition de ce qui est. Il est certain que c'est contre cette interprtationque se pose Platon, pour qui il y a une permanence sous toutes les formes avec l'. Avec Hraclite, tout

    passe, tout n'est qu'apparence. Les uns pensent le devenir, les autres la permanence.Friedrich Nietzsche (1844-1900) a une pense trs hraclitenne parce qu'il insiste sur les

    contraires.

    Nous ne sommes pas assez subtils pour apercevoir l'coulement probablement absolu du devenir.Nietzsche

    Il crit dansAinsi parlait Zarathoustra (1885) :

    La douleur est joie, la maldiction est bndiction, la nuit est soleil aussi. Allez-vous-en, ou apprenez qu'unsage est aussi un fou. Avez-vous jamais dit oui une joie ? mes amis, vous avez alors dit oui en mme temps

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    toute douleur. Toutes les choses sont enchanes, enchevtres, amoureusement lies.Nietzsche

    Il a l'ide d'un ternel retour. Au lieu de tout devient, il trouve plus judicieux de dire tout revient.C'est une pense assez terrifiante :

    Avez-vous jamais souhait qu'une mme chose arrive deux fois ? Avez-vous jamais dit : tu me plais, bonheur,clin d'il, instant ? Alors vous avez souhait le retour de toute chose, toute revenant de nouveau, ternelles,

    enchanes, enchevtres, amoureusement lies ; c'est ainsi que vous avez aim le monde.Nietzsche

    Il y a dans le bonheur retrouv un souhait. Ce n'est pas un dsir que rien ne change, mais que toutrevienne. L'homme a cette folie de souhaiter que tout revienne car a en vaudrait le coup. Si tout revient, toutrevient au mme, la douleur devient la joie, et vice-versa. Il n'y a plus de progrs, on perd ce qui est unique.L'irrversibilit est un panneau attention qui indique que a n'arrive qu'une fois. Selon Nietzsche, tout ce quiarrive une fois arrive ternellement. La question qui se pose alors est : est-ce que a en vaut le coup ?

    Le moment de joie est en fait un moment trs grave : il pse sur la vie d'aprs. On ne vend pas dubonheur, mais du plaisir, de la consommation. Il n'y a que des instants de bonheur.

    L'tre du temps

    Qu'est-ce que le temps ? Aristote (-384-322), disciple de Platon qui a rompu avec lui, a t traduitpar les penseurs arabes, et transmis ensuite au monde occidental. Au XVe sicle, c'est le penseur officiel, il ajouit d'un rgne intellectuel pendant des sicles.

    la suite de tout ce qui vient d'tre dit, il convient d'tudier le temps. En premier lieu, il sera bon de prsenter lesdoutes que cette question soulve, et de la traiter (...) pour savoir si le temps doit tre rang parmi les choses qui sont oucelles qui ne sont pas ; puis, ensuite, nous rechercherons quelle en est la nature.

    Voici quelques raisons qu'on pourrait allguer pour prouver que le temps n'existe pas du tout, ou que s'il existe c'estd'une faon peine sensible et trs obscure. Ainsi, l'une des deux parties du temps a t et n'est plus; l'autre partie doittre et n'est pas encore (...) ; or, ce qui est compos d'lments qui ne sont pas, semble ne jamais pouvoir participer lasubstance.

    Ajoutez que, pour tout objet divisible, il faut de toute ncessit, puisqu'il est divisible, que, quand cet objet existe,quelques-unes de ses parties ou mme toutes ses parties existent aussi. Or, pour le temps, bien qu'il soit divisible,certaines parties ont t, d'autres seront, mais aucune n'est rellement. (...)

    Mais comme le temps semble tre avant tout, un mouvement et un changement d'une certaine espce, c'est l ce qu'ilfaut tudier. Le mouvement et le changement de chaque chose est ou exclusivement dans la chose qui change, ou biendans le lieu o se trouve la chose qui change et se meut. Mais le temps est gal et par tout et pour tout, sans exception.Ajoutons que tout changement, tout mouvement est ou plus rapide ou plus lent ; mais le temps n'est ni l'un ni l'autre. Lelent et le rapide se dterminent par le temps coul ; rapide, c'est ce qui fait un grand mouvement en peu de temps; lent,c'est ce qui fait un faible mouvement en beaucoup de temps. Mais le temps ne se mesure et ne se dtermine pas par letemps, ni en quantit ni en qualit. Ceci suffit pour faire voir clairement que le temps n'est pas un mouvement.

    Nous convenons cependant que le temps ne peut exister sans changement ; car nous-mmes, lorsque nousn'prouvons aucun changement dans notre pense, ou que le changement qui s'y passe nous chappe, nous croyons qu'il

    n'y a point eu de temps d'coul. Pas plus qu'il n'y en a pour ces hommes dont on dit fabuleusement qu'ils dorment Sardos auprs des Hros, et qu'ils n'ont leur rveil aucun sentiment du temps, parce qu'ils runissent l'instant qui aprcd . l'instant qui suit, et n'en font qu'un par la suppression de tous les instants intermdiaires, qu'ils n'ont pasperus. (...)

    Puisque nous recherchons l'essence du temps, il nous faut, partir de ce qui prcde, comprendre en quoi le tempsest quelque chose du mouvement. (...) C'est lorsque nous concevons des extrmes diffrents de leur moyen terme, et quel'tre distingue deux instants, l'avant et l'aprs, que nous dsignons cela comme du temps. [Ainsi] lorsque nous avons lessensations distinctes de l'avant et de l'aprs, alors nous parlons du temps ; car voici ce qu'est le temps : le nombre dumouvement selon l'avant et l'aprs.

    Mais si l'me par hasard venait cesser d'tre, y aurait-il encore ou n'y aurait-il plus de temps? C'est l une questionqu'on peut se faire ; car lorsque l'tre qui doit compter ne peut plus tre, il est impossible galement qu'il y ait encore

    quelque chose de nombrable ; et par suite videmment, il n'y a plus davantage de nombre ; car le nombre n'est que cequi a t compt ou ce qui peut l'tre. Mais s'il n'y a au monde que l'me, et dans l'me l'entendement, qui ait la facultnaturelle de compter, il est ds lors impossible que le temps soit, si l'me n'est pas; et par suite, le temps n'est plus danscette hypothse que ce qu'il est simplement en soi, si toutefois il se peut que le mouvement ait lieu sans l'me. Maisl'antrieur et le postrieur sont dans le mouvement, et le temps n'est an fond que l'un et l'autre, en tant qu'ils sontnombrables.

    Aristote,Physique, Livre IV

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    L'existence et le temps 18

    1 : En un sens, le temps semble ne pas exister. Le pass n'est plus, le futur n'est pas encore. Cesdeux parts du temps ne sont pas : elles sont non-tre, car ce qui est compos de nant ne peut rien tre. Le tempsest divisible, mais ses divisions n'existent pas. Pour lui, le prsent n'est pas une partie du temps. La substanceest ce qui se tient dessous, ce qui soutient, le fondement de la chose, ce qui maintient son unit. Si je pense, il ya quelque chose qui soutient la pense : c'est la substance. Selon Aristote, il n'y a rien soutenir car il n'y arien !

    2 : Le mouvement dans l'espace, c'est un dplacement. Le temps se meut-il de la sorte ? Change-t-il ? Le temps est le mme partout. Quand je vais plus vite que quelqu'un d'autre, je passe, mais le temps n'estpas pass. C'est moi qui vais plus vite ou plus lentement, ce n'est pas le temps. Cf la dfinition qu'il donne. Letemps est le mme chez chacun, on est dans la mme temporalit, il ne change pas.

    3 : Le temps est quelque chose du changement mais ne change pas. S'il n'y a pas de changement, iln'y a pas de temps. Exemple du sommeil : on ne peut compter combien de temps on a dormi (sauf la barbe

    peut-tre). L'instant est un point, une limite. On ne peut le saisir. Le moment est une dure, entre deux instants.On peut le vivre, mme s'il est trs court. L'instant est conu, jamais vcu. Quand on en a pas conscience, c'estcomme lors du sommeil. Le moment le plus infime a une dure.

    4 : Le temps est le produit d'un dcompte. Ce que je compte entre un avant et un aprs, c'est dutemps. S'il n'y a pas de diffrence avant / aprs, il n'y a pas de temps. On ne peut tre simultanment en A et en

    B. Le temps est un ordre de succession.5 : Le nombrant est l'me qui compte. Le nombrable est ce qui peut tre compt. Y a-t-il une

    temporalit si personne ne sait compter ? Aristote rpond que non. Si on met du temps, c'est parce qu'ons'imagine spectateur. L'homme est dans le temps, il passe dedans, il peut distinguer l'avant et l'aprs, mais s'iln'y a pas l'me qui compte, s'il ne distingue pas, il n'y a pas de temps.

    Il s'interroge alors sur le fondement de la manifestation du monde : la phnomnalit. Je suisoblig tre dans une temporalit, puisque je vis de changements. Le temps ne passe pas, il est une dimensiond'tre. Il sert faire comprendre l'homme qu'il est dans un monde. S'tonner, c'est aussi se dcouvrir dans letemps. On s'installe dans la temporalit, mais on n'y fait pas attention. La vie quotidienne vit sans faire attentionau prsent. Le temps c'est l'me qu'il trouve tant qu'elle s'veille au monde. Le temps ne serait pas sansl'homme, rappelons-le. Nous sommes des tres de dure, et pourtant, ce qui dure, nous n'arrivons pas leconcevoir la plupart du temps. C'est dans le temps que nous sommes, mais nous ne le possdons pas et il nousest compt.

    La mort et l'existence

    Cet veil au monde a une limite. On ne peut pas parler de la conscience du temps comme tant sansborne. On a conscience de notre finitude : on est dj mourant. Or dans la vie courante, on court sans s'enrendre compte car on a pas le temps : on refuse la mort. On se dit qu'on y pensera plus tard, comme si personnene mourrait. Cette certitude de la mort se perd dans le bavardage.

    Heidegger constate que nous ne cessons de fuir devant la mort. Il y voit un dsagrment socialpour ceux qui vivent encore : notre monde ne peut accepter la mort. Notre socit veut qu'on restejeune. Nous

    savons que nous mourons, mais nous ne savons pas ce que c'est.Nous savons que nous mourons, mais nous ne savons pas ce que a veut dire, nous ne le saurons jamais. La

    mort est l'horizon de la pense.Conches

    Le monde est la dynamique de l'horizon. Quand on cherche l'atteindre, il s'loigne, mais il esttoujours l. La mort que dcrit Sigmund Freud (1856-1939) est la terreur de l'abandon. Il y a un dsir absolud'chapper la mort.

    Les hommes n'ayant pu gurir la mort, la misre, l'ignorance, ils se sont aviss pour se rendre heureux de n'ypoint penser.

    Pascal

    Blaise Pascal (1623-1662) pense qu'essayer de ne pas y penser est draisonnable, c'est s'loigner dela ralit. Ne pas y penser, c'est se perdre, c'est se sortir de l'existence, c'est se suicider. picure (-341-270) estfrapp quand il voit qu'on se rassure face la mort. Il va passer son temps expliquer que :

    La mort n'est rien par rapport nous : car ce qui est dissous ne sent pas, et ce qui ne sent pas n'est rien parrapport nous.

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    picure

    Il voulait d'abord penser la mort une fois. Quelqu'un qui est mort n'a plus de sensation. Il veut qu'onarrte de se soucier de l'aprs, et surtout qu'on cesser de se dissimuler la vie.

    Nous sommes ns une fois, il n'est pas possible de natre deux fois, et il faut n'tre plus pour l'ternit. Toipourtant qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie : la vie prit par le dlai et chacun de nous meurt affair.

    picure

    C'est l'exprience de la chair : l'exprience du constant balancement du plaisir et du dplaisir. Ilentame une philosophie du bonheur par rapport la mort.

    Voix de la chair, ne pas avoir faim-froid-soif ; celui qui dispose de cela, et a l'espoir d'en disposer l'avenirpeut lutter mme avec Zeus pour le bonheur.

    picure

    Vis-tu en accord avec ton incarnation ? Il faut comprendre pourquoi tu es malheureux quand tu l'es,loigner la souffrance. Si on court d'autres plaisirs, il n'y a pas de repos, donc pas d'quilibre, donc pas de

    bonheur. Il distingue trois sortes de dsir : Les besoins vitaux (faim-froid-soif), le dsir que la souffrance cesse Les besoins naturels mais non ncessaires (comme le sexe) Les besoins non naturels et non ncessaires (le dsir d'tre une star, d'tre riche...)Ce dernier dsir est terrible et rend malheureux. Bien sr, il peut tre jouissant d'tre clbre, mais

    cette vie mne souvent au dsastre (les journaux people en apportent la preuve rgulirement). L'picurisme estune sagesse.

    Le prsent, songe le bien disposer d'un esprit serein, tout le reste est emport par un fleuve.Pendant que nous parlons, le temps jaloux a fui, cueille donc l'aujourd'hui sans te fier demain.

    Horace3

    On trouve une ide diffrente dansLe hussard sur le toit, de Jean Giono, o des fermes qui ont lecholra et se savent condamns se livrent la dbauche. Dans le Phdon, o Platon rapporte l'excution deSocrate, il y a un dbat sur l'immoralit. La philosophie, c'est se sortir de la sensation, se dtacher du corps.

    Pourquoi s'inquiter en philosophant puisque la philosophie est un exercice de mort ?Philosopher, c'est apprendre mourir.Montaigne

    Pierre Hadot (1922-), dans Qu'est-ce que la philosophie antique ? (1995), prsente un moment lestocisme. C'est un mouvement parallle l'picurisme. Dans ce dernier on cherche le repos, l'tat le meilleur,l'absence de trouble (l'). On est toujours dans l'inquitude, et picure veut qu'on cherche satisfairele dsir naturel. Les autres formes de plaisir, ce sont elles qui font natre l'inquitude, et aussi la crainte de lamort. Accumuler les jouissances n'est pas picurien. On court aprs les plaisirs, mais on ne connat pas ladiffrence entre le plaisir et le bonheur. Le plaisir c'est quand le dsir est combl, et le bonheur c'est quand onne cherche pas le dsir, c'est la paix de l'me, l'ataraxie.

    Mais aprs tout, si la mort n'est rien, n'est-ce pas justement beaucoup plus inquitant ? Quand on

    sait ce qui va se passer, on a peur (on se prpare aller la guerre : on a peur). Mais si la mort, ce n'est rien,c'est angoissant. Il critique la peur de l'aprs-mort, mais si ce n'est rien, il va m'arriver rien, c'est ce qui gnrel'inquitude. Selon Vladimir Janklvitch (1903-1985), il est stupide de vouloir se prparer mourir, car on nesait pas quoi on se prpare. La mort est trange : personne ne peut mourir ma place, elle est la mme pourtous mais unique. Heidegger analyse la mort.

    Finir , cela ne signifie pas ncessairement s'achever . La question devient plus pressante : d'une faongnrale, en quel sens la mort doit-elle tre conue comme fin de la ralit humaine ?

    Finir dire tout d'abord cesser, et cela suivant un sens qui comporte certaines diffrences ontologiques. La pluiecesse. Elle n'a plus la ralit d'une chose donne. Le chemin cesse. Mais cette fin ne signifie pas que le chemins'vanouisse ; la cessation le dtermine prcisment comme le chemin que voici prsentement donn. Finir en tantque cesser peut donc signifier : passer l'tat d'une chose irrelle ou bien au contraire avoir uniquement, grce cettefin, la ralit d'une chose donne. En ce dernier sens, finir peut encore, soit dterminer une chose donne, mais qui

    n'est pas prte par exemple la route qui encore en construction s'interrompt soit constituer pour une chose donne le fait d'tre prte ; avec le dernier coup de pinceau, par exemple, le tableau est prt. (...)

    De mme encore, finir au sens de s'vanouir peut se modifier selon le mode d'tre de l'existant. La pluie estfinie, c'est--dire vanouie. Le pain est fini, c'est--dire consomm ; ce n'est plus un ustensile dont on puisse disposer.

    3 Les Odes.

  • 8/6/2019 Philosophie terminale

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    Ce n'est par aucune de ces manires de finir que l'on peut adquatement caractriser la mort en tant que fin de laralit-humaine. Si l'on comprenait le fait de mourir en tant qu'tre la fin , au sens de l'une quelconque desmanires de finir examines plus haut, on poserait alors la ralit-humaine comme simple ralit de chose donne oucomme ralit-ustensile. Dans la mort, la ralit-humaine n'est pas acheve, ni simplement vanouie, ni moins encoredfinitivement apprte ou compltement disponible comme un ustensile.

    Ou plutt, de mme qu'aussi longtemps qu'elle est, la ralit-humaine est en permanence son pas encore , demme galement elle est, ds toujours, sa fin. Cette fin que l'on dsigne par la mort ne signifie pas, pour la ralit-

    humaine, tre--la-fin, tre finie ; elle dsigne un tre pour la fin, qui est l'tre de cet existant. La mort est unemanire d'tre que la ralit-humaine assume ds qu'elle est : Ds qu'un humain vient la vie, il est dj assez vieuxpour mourir .

    Heidegger,L'tre et le temps

    Il y a quelque chose de donn : la pluie. Quand elle s'arrte, se finit, elle cesse. Pour le chemin, lafin a le sens de l'achvement, il finit l-bas, quelques mtres plus loin. On peut finir avant d'tre achev, la routeest finie l, mais dans le sens o elle est interrompue (il y a un trou), mais en mme temps, dans deux mois, lestravaux seront termins, et la route sera acheve, finie. Le tableau, une fois achev, est prt. La pluie cesse, maisle pain est consomm : c'est un agent extrieur qui le finit. Il dit que si l'homme finissait d'une manire commecelles numres ici, il serait un objet. Il y a donc une prsence des gens morts par