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Le Temps Samedi Culturel Samedi 21 décembre 2013 Bulles 31 Les biographies en force Picasso, Joseph Conrad, Castro, héros de BD Une bonne quinzaine de ban- des dessinées biographiques ou autobiographiques, au moins, ont paru en 2013. La tendance n’est pas nouvelle, mais cette année quatre d’entre elles figurent dans la sélection du prochain Festival d’Angoulême. Et dans notre pro- pre palmarès (voir ci-dessous). Les journalistes spécialisés ne s’y sont pas trompés, en couron- nant pour le Grand Prix de la criti- que/ACBD le récit d’un destin hors norme avec Mauvais Genre, de Chloé Cruchaudet. Elle s’inspire de la folle histoire d’un déserteur de 1914 qui, pour échapper à l’exécution capitale, se travestit pendant plus de dix ans, jusqu’à l’amnistie de 1925. Tom Tirabosco, de son côté, a remporté le Prix Töpffer de la Ville de Genève avec son remarquable Kongo, qui dépeint le premier contact avec l’Afrique du futur grand écrivain Joseph Conrad (LT du 23.03.2013). Le destin croisé d’Annie Sullivan & Helen Keller, évoqué par l’Améri- cain Joseph Lambert, est sans doute le plus bouleversant. Annie, elle-même malvoyante, et sans grands moyens pédagogiques en cette fin de XIXe siècle, apprend tout du monde qui l’entoure à He- len, sourde, muette et aveugle, avec un acharnement incroyable. Picasso, Gauguin, Rimbaud, Cas- tro, Marx ou Benoîte Groult (LT du 30.11.2013) se sont également re- trouvés en cases et en bulles, avec des approches toujours intéres- santes et parfois inattendues. L’autobiographie est un genre délicat et périlleux. Après son en- fance dans Fun Home, l’Améri- caine Alison Bechdel évoque brillamment ses rapports diffici- les avec sa mère en tant que dessi- natrice et lesbienne engagée dans C’est toi ma maman? avec son hu- mour angoissé et une approche très psychanalytique (chez Denoël Graphic). Plus terre à terre, le Saint-Gal- lois David Boller, dans Un Ciel in- fini. Tribulations d’un Suisse à New York (Virtual Graphics), évoque la vitalité incroyable avec laquelle il part aux Etats-Unis, s’infiltre au culot chez l’éditeur Marvel et réa- lise son rêve de devenir auteur de comics: il finit par dessiner pour Superman et Batman et obtient sa propre série, Kaos Moon. Et l’Espa- gnol Jaime Martin, avec Les Guer- res silencieuses (Dupuis), brosse une chronique familiale sous le franquisme, à travers le service militaire de son père au Sahara espagnol en guerre et en «enquê- tant» auprès de ses parents. TIRABOSCO > Rétrospective 2013 Bande dessinée (1/6) Kongo. Le ténébreux voyage de Józef Teodor Konrad Korzeniowski. Tom Tirabosco a remporté le Prix Töpffer de la BD avec cette biographie. ARCHIVES La vitalité de Spirou, la crispation de Tintin Notre critique compare les politiques respectives de la société Moulinsart et des Editions Dupuis L es deux héros iconiques de la bande dessinée franco- belge classique, Tintin et Spirou, ont tenu le devant de la scène en 2013, mais dans des registres bien différents. Spirou fêtait ses 75 ans, immua- blement affublé de son uniforme rouge de groom, malgré son âge. C’est en effet en 1938 que le per- sonnage, voulu par l’éditeur Jean Dupuis, a vu le jour, en même temps que le journal qui porte son nom. L’anniversaire a été l’occa- sion d’une salve de belles publica- tions, tant dans la création que la mise en valeur du patrimoine de la maison de Marcinelle. L’ouvrage le plus symbolique de la vitalité et de l’ouverture du personnage parmi la grosse dou- zaine de sorties est bien La Galerie des illustres: sur près de 400 pages, 200 auteurs majeurs, de Gotlib à Tardi en passant par les Suisses Bertschy, Buche, Cosey, Derib, Mix & Remix, Ott, Peeters et Zep, disent leur attachement à Spirou, Gaston Lagaffe, Lucky Luke et tous les autres, en se les réappropriant dans des pages d’hommage savou- reuses, nostalgiques, joyeuses et admiratives. > Tout au contraire, c’est la crispa- tion et le repli qui prévalent du côté de chez Tintin. L’actualité suisse a été douloureusement marquée par la brutale mise au pilon du catalogue de l’exposition Tintin à Fribourg, sur l’injonction de la société belge Moulinsart, détentrice des droits d’Hergé. Certes, l’exposition portait notam- ment sur les détournements et pa- rodies de l’univers de Tintin, et Moulinsart invoquait la contrefa- çon et le plagiat, mais il ne fait pas de doute que les héritiers d’Hergé vont souvent au-delà de la légi- time protection d’une œuvre, aussi magistrale soit-elle. Heureusement, la Bibliothèque cantonale de Fribourg a pu réédi- ter un nouvel ouvrage, Les Aventu- res suisses de Tintin, expurgé, mais contenant un excellent texte de Jean Rime, membre fondateur de l’Alpart, l’association des amis suis- ses de Tintin. Et le Musée des suis- ses dans le monde, à Pregny, près de Genève, reprendra une partie de l’exposition sous le titre Tint’in- terdit: pastiches et parodies, avec un volet sur le travail d’Exem. Souhai- tons-leur bonne chance. > Et signalons-leur que, si Moulin- sart joue sur la menace, ce n’est pas toujours suivi d’effets. L’exposition sur Les Aventures de la ligne claire, à laquelle j’ai participé avec Jean- Marie Derscheid et Philippe Duva- nel pour BD-FIL en 2012, et qui est reprise en nouvelle création au Cartoonmuseum de Bâle (jusqu’au 9 mars prochain), a subi les mêmes pressions. Plusieurs œuvres origi- succès. Bravo à Anette Gehrig, sa directrice et conservatrice, d’avoir su résister à ces pressions. > Mauvaises nouvelles sur le front économique: on apprenait début décembre que la filiale suisse du groupe Glénat fermait ses bu- reaux de Nyon, en raison des diffi- cultés du secteur. Glénat Suisse s’était aussi lancé dans l’édition, avec notamment des recueils de dessinateurs de presse ou de la blogueuse Hélène Becquelin. On assure que les projets en route seront repris par la maison mère, mais sans précisions pour la suite. Bonne chance à Edith, Martial et les autres. > Les Genevois d’Atrabile et les Zu- richois d’Edition Moderne n’en sont pas encore là, mais ils mar- chent sur le fil du rasoir. Atrabile, fondée il y a seize ans, voit ses ventes dégringoler, comme toutes les petites structures similaires. Un appel au soutien a été lancé, avec la création d’une Association des amis d’Atrabile, forte d’une soixan- taine de membres déjà. Achetez aussi les excellents livres que Da- niel Pellegrino et Benoît Chevallier mettent en avant. Dans le domaine de l’autobiographie, justement, ils viennent de rééditer leur best-sel- ler de nouveau épuisé, le boulever- sant Pilules bleues de Frederik Pee- ters, dans une édition augmentée de dix pages inédites sous forme de bilan dessiné douze ans après; et les nouvelles sont plus qu’opti- mistes pour la compagne et le fils séropositifs du dessinateur. Wa- zem se raconte aussi chez Atrabile, dans les savoureuses et sincères notes vécues qu’il dessine pour Chère Louise. Et pourquoi pas dé- couvrir la remarquable et dérou- tante nouveauté de la maison, Sept Milliards de chasseurs-cueilleurs, de Thomas Gosselin? S’il ne fallait retenir que dix albums Les choix de notre chroniqueur Marc-Antoine Mathieu: Le Décalage (Del- court). La série Julius Corentin Acquefac- ques, prisonnier des rêves, combien de fois l’ai-je écrit, touche au sublime. Alors, dé- calez-vous avec cet album chamboulé, où rien ne fonctionne comme prévu, qui vient de recevoir le Prix Töpffer internatio- nal de la Ville de Genève. Joseph Lambert: Annie Sullivan & Helen Kel- ler (Cambourakis/Ça et là). L’éprouvant et magnifique combat d’Annie Sullivan pour sortir une petite fille sourde, muette et aveugle de son isolement, lui apprendre que tout porte un nom et communiquer par des signes pianotés sur sa main, dans une petite ville de l’Alabama en 1886. Helen Keller deviendra une écrivaine et activiste célèbre. Avec une prodigieuse tentative de recréer par le dessin les repré- sentations intérieures de la petite handi- capée. Cosey: Celle qui fut (Le Lombard). Cosey est toujours ponctuel au rendez-vous de l’excellence. Une douce histoire de retrou- vailles, une nouvelle symphonie en jaunes et bleus et un hommage à la bande dessi- née en filigrane (LT du 21.9.2013). Rutu Modan: La Propriété (Actes Sud BD). Mica va découvrir que le voyage qu’elle entreprend à Varsovie avec sa grand-mère n’a pas pour seul but d’aller récupérer un appartement spolié par les nazis pendant la guerre. La dessinatrice israélienne livre une tragicomédie familiale savoureuse et pleine de notations sensibles. Tom Tirabosco et Christian Perrissin: Kongo (Futuropolis). Joseph Conrad en tirera son célèbre roman Au Cœur des ténèbres. L’évo- cation du premier voyage de l’écrivain en Afrique, qui lui permet de découvrir la triste réalité de la «propriété privée» du roi des Belges Léopold II, dans une ambiance oppressante et délétère. Chloé Cruchaudet: Mauvais Genre (Del- court). Paul Grappe, marié, déserteur en 1914, devient Suzanne pour échapper à la guillotine. Une histoire extraordinaire, qui explore les ambiguïtés sexuelles et fi- nit en drame. La dessinatrice s’inspire du travail de deux historiens, et laisse aussi courir son inspiration romanesque. Mais la réalité est parfois si invraisemblable qu’elle n’a pas su comment insérer de ma- nière crédible le fait que Paul/Suzanne a même été championne de parachutisme! Antoine Aubin, Etienne Schréder et Jean Dufaux: Les Aventures de Blake et Mortimer T22: L’Onde Septimus (Dargaud). La copie ne vaudra jamais l’original mais, né avec Edgar P. Jacobs, je suis presque incondi- tionnel de cette reprise plutôt réussie. Et cette suite tendance fantastique de la su- blime Marque jaune, signée Jean Dufaux, est une des meilleures de la nouvelle série avec Olrik en premier rôle et Mortimer en apprenti sorcier. Zep: Une Histoire d’hommes (Rue de Sèvres). Zep nous mène là où on ne l’attend pas, avec un dessin réaliste loin de Titeuf et une histoire d’anciens rockers, qui part l’air de rien dans des directions inattendues: le choc et la surprise sont d’autant plus forts que l’intrigue pouvait paraître presque ba- nale au départ. Woodrow Phoenix: Bande d’arrêt d’urgence (Actes Sud L’An 2). Un constat impitoyable. Chaque année, la route tue 1,2 million de personnes dans le monde: «Une voiture représente votre mort potentielle», dit l’auteur anglais de ce pamphlet percutant, mais «comment en sommes-nous arrivés à trouver ce risque acceptable?». Des cases sans le moindre personnage, déshumani- sées, uniquement composées de portions de route et de signalisations routières vues à travers votre pare-brise. Alexandre Clérisse et Thierry Smolderen: Souvenirs de l’empire de l’atome (Dargaud). Un grand complot intersidéral sur la Terre dans les années 50 (et plus tard, et plus tôt…), fomenté par la planète Shayol (bien plus tard…), un écrivain de science- fiction en contact avec l’avenir (ou en plein délire?). Délicieux zigzags, flash- back (et flash-forward), allers et retours entre rêve (vraiment?) et réalité (la- quelle?), le tout délicieusement mis en images dans un style atome rétro. Que demander de plus? nales d’Hergé, qui a porté la ligne claire au pinacle, constituent un élément majeur de l’exposition. La société de l’avenue Louise a fait in- tervenir ses juristes, notamment pour contester le caractère parodi- que de l’affiche (réalisée par Exem) et poser des conditions sur la fa- çon d’exposer les dessins d’Hergé, en menaçant, la veille encore de son ouverture, de faire fermer l’ex- position. Le musée est resté ferme, et l’exposition rencontre un grand Par Ariel Herbez Ariel Herbez Critique de BD

Picasso, Joseph Conrad, Castro, héros de BD · Picasso, Gauguin, Rimbaud, Cas-tro, Marx ou Benoîte Groult (LT du 30.11.2013) se sont également re-trouvés en cases et en bulles,

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Page 1: Picasso, Joseph Conrad, Castro, héros de BD · Picasso, Gauguin, Rimbaud, Cas-tro, Marx ou Benoîte Groult (LT du 30.11.2013) se sont également re-trouvés en cases et en bulles,

Le TempsSamedi CulturelSamedi 21 décembre 2013 Bulles 31

LesbiographiesenforcePicasso, Joseph Conrad, Castro, héros de BD

Une bonne quinzaine de ban-des dessinées biographiques ouautobiographiques, au moins, ontparu en 2013. La tendance n’estpas nouvelle, mais cette annéequatre d’entre elles figurent dansla sélection du prochain Festivald’Angoulême. Et dans notre pro-pre palmarès (voir ci-dessous).

Les journalistes spécialisés nes’y sont pas trompés, en couron-nant pour le Grand Prix de la criti-que/ACBD le récit d’un destin horsnorme avec Mauvais Genre, deChloé Cruchaudet. Elle s’inspirede la folle histoire d’un déserteurde 1914 qui, pour échapper àl’exécution capitale, se travestitpendant plus de dix ans, jusqu’àl’amnistie de 1925. Tom Tirabosco,de son côté, a remporté le PrixTöpffer de la Ville de Genève avecson remarquable Kongo, quidépeint le premier contact avecl’Afrique du futur grand écrivainJoseph Conrad (LT du23.03.2013).

Le destin croisé d’Annie Sullivan& Helen Keller, évoqué par l’Améri-cain Joseph Lambert, est sansdoute le plus bouleversant. Annie,elle-même malvoyante, et sansgrands moyens pédagogiques encette fin de XIXe siècle, apprendtout du monde qui l’entoure à He-len, sourde, muette et aveugle,

avec un acharnement incroyable.Picasso, Gauguin, Rimbaud, Cas-tro, Marx ou Benoîte Groult (LT du30.11.2013) se sont également re-trouvés en cases et en bulles, avecdes approches toujours intéres-santes et parfois inattendues.

L’autobiographie est un genredélicat et périlleux. Après son en-fance dans Fun Home, l’Améri-caine Alison Bechdel évoquebrillamment ses rapports diffici-les avec sa mère en tant que dessi-natrice et lesbienne engagée dansC’est toi ma maman? avec son hu-mour angoissé et une approchetrès psychanalytique (chezDenoël Graphic).

Plus terre à terre, le Saint-Gal-lois David Boller, dans Un Ciel in-fini. Tribulations d’un Suisse à NewYork (Virtual Graphics), évoque lavitalité incroyable avec laquelle ilpart aux Etats-Unis, s’infiltre auculot chez l’éditeur Marvel et réa-lise son rêve de devenir auteur decomics: il finit par dessiner pourSuperman et Batman et obtient sapropre série, Kaos Moon. Et l’Espa-gnol Jaime Martin, avec Les Guer-res silencieuses (Dupuis), brosseune chronique familiale sous lefranquisme, à travers le servicemilitaire de son père au Saharaespagnol en guerre et en «enquê-tant» auprès de ses parents.

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> Rétrospective 2013 Bande dessinée (1/6)

Kongo. Le ténébreux voyage de Józef Teodor Konrad Korzeniowski. Tom Tirabosco a remporté le Prix Töpffer de la BD avec cette biographie. ARCHIVES

LavitalitédeSpirou,lacrispationdeTintinNotre critique compare les politiques respectives de la société Moulinsart et des Editions Dupuis

Les deux héros iconiques dela bande dessinée franco-belge classique, Tintin etSpirou, ont tenu le devantde la scène en 2013, mais

dans des registres bien différents.Spirou fêtait ses 75 ans, immua-blement affublé de son uniformerouge de groom, malgré son âge.C’est en effet en 1938 que le per-sonnage, voulu par l’éditeur JeanDupuis, a vu le jour, en mêmetemps que le journal qui porte sonnom. L’anniversaire a été l’occa-sion d’une salve de belles publica-tions, tant dans la création quela mise en valeur du patrimoine dela maison de Marcinelle.

L’ouvrage le plus symboliquede la vitalité et de l’ouverture dupersonnage parmi la grosse dou-zaine de sorties est bien La Galeriedes illustres: sur près de 400 pages,200 auteurs majeurs, de Gotlib àTardi en passant par les SuissesBertschy, Buche, Cosey, Derib, Mix

& Remix, Ott, Peeters et Zep, disentleur attachement à Spirou, GastonLagaffe, Lucky Luke et tous lesautres, en se les réappropriantdans des pages d’hommage savou-reuses, nostalgiques, joyeuses etadmiratives.

> Tout au contraire, c’est la crispa-tion et le repli qui prévalent ducôté de chez Tintin. L’actualitésuisse a été douloureusementmarquée par la brutale mise aupilon du catalogue de l’expositionTintin à Fribourg, sur l’injonctionde la société belge Moulinsart,détentrice des droits d’Hergé.Certes, l’exposition portait notam-ment sur les détournements et pa-rodies de l’univers de Tintin, etMoulinsart invoquait la contrefa-çon et le plagiat, mais il ne fait pasde doute que les héritiers d’Hergévont souvent au-delà de la légi-time protection d’une œuvre, aussimagistrale soit-elle.

Heureusement, la Bibliothèquecantonale de Fribourg a pu réédi-ter un nouvel ouvrage, Les Aventu-res suisses de Tintin, expurgé, maiscontenant un excellent texte deJean Rime, membre fondateur del’Alpart, l’association des amis suis-ses de Tintin. Et le Musée des suis-ses dans le monde, à Pregny, prèsde Genève, reprendra une partiede l’exposition sous le titre Tint’in-terdit: pastiches et parodies, avec unvolet sur le travail d’Exem. Souhai-tons-leur bonne chance.

> Et signalons-leur que, si Moulin-sart joue sur la menace, ce n’est pastoujours suivi d’effets. L’expositionsur Les Aventures de la ligne claire, àlaquelle j’ai participé avec Jean-Marie Derscheid et Philippe Duva-nel pour BD-FIL en 2012, et qui estreprise en nouvelle création auCartoonmuseum de Bâle (jusqu’au9 mars prochain), a subi les mêmespressions. Plusieurs œuvres origi-

succès. Bravo à Anette Gehrig, sadirectrice et conservatrice, d’avoirsu résister à ces pressions.

> Mauvaises nouvelles sur le frontéconomique: on apprenait débutdécembre que la filiale suisse dugroupe Glénat fermait ses bu-reaux de Nyon, en raison des diffi-cultés du secteur. Glénat Suisses’était aussi lancé dans l’édition,avec notamment des recueils dedessinateurs de presse ou de lablogueuse Hélène Becquelin. Onassure que les projets en routeseront repris par la maison mère,mais sans précisions pour la suite.Bonne chance à Edith, Martial etles autres.

> Les Genevois d’Atrabile et les Zu-richois d’Edition Moderne n’ensont pas encore là, mais ils mar-chent sur le fil du rasoir. Atrabile,fondée il y a seize ans, voit sesventes dégringoler, comme toutes

les petites structures similaires. Unappel au soutien a été lancé, avec lacréation d’une Association desamis d’Atrabile, forte d’une soixan-taine de membres déjà. Achetezaussi les excellents livres que Da-niel Pellegrino et Benoît Chevalliermettent en avant. Dans le domainede l’autobiographie, justement, ilsviennent de rééditer leur best-sel-ler de nouveau épuisé, le boulever-sant Pilules bleues de Frederik Pee-ters, dans une édition augmentéede dix pages inédites sous formede bilan dessiné douze ans après;et les nouvelles sont plus qu’opti-mistes pour la compagne et le filsséropositifs du dessinateur. Wa-zem se raconte aussi chez Atrabile,dans les savoureuses et sincèresnotes vécues qu’il dessine pourChère Louise. Et pourquoi pas dé-couvrir la remarquable et dérou-tante nouveauté de la maison, SeptMilliards de chasseurs-cueilleurs, deThomas Gosselin?

S’il ne fallait retenir que dix albumsLes choix de notre chroniqueur

Marc-Antoine Mathieu: Le Décalage (Del-court). La série Julius Corentin Acquefac-ques, prisonnier des rêves, combien de foisl’ai-je écrit, touche au sublime. Alors, dé-calez-vous avec cet album chamboulé, oùrien ne fonctionne comme prévu, quivient de recevoir le Prix Töpffer internatio-nal de la Ville de Genève.

Joseph Lambert: Annie Sullivan & Helen Kel-ler (Cambourakis/Ça et là). L’éprouvant etmagnifique combat d’Annie Sullivan poursortir une petite fille sourde, muette etaveugle de son isolement, lui apprendreque tout porte un nom et communiquerpar des signes pianotés sur sa main, dansune petite ville de l’Alabama en 1886.Helen Keller deviendra une écrivaine etactiviste célèbre. Avec une prodigieusetentative de recréer par le dessin les repré-

sentations intérieures de la petite handi-capée.

Cosey: Celle qui fut (Le Lombard). Coseyest toujours ponctuel au rendez-vous del’excellence. Une douce histoire de retrou-vailles, une nouvelle symphonie en jauneset bleus et un hommage à la bande dessi-née en filigrane (LT du 21.9.2013).

Rutu Modan: La Propriété (Actes Sud BD).Mica va découvrir que le voyage qu’elleentreprend à Varsovie avec sa grand-mèren’a pas pour seul but d’aller récupérer unappartement spolié par les nazis pendantla guerre. La dessinatrice israélienne livreune tragicomédie familiale savoureuse etpleine de notations sensibles.

Tom Tirabosco et Christian Perrissin: Kongo(Futuropolis). Joseph Conrad en tirera soncélèbre roman Au Cœur des ténèbres. L’évo-

cation du premier voyage de l’écrivain enAfrique, qui lui permet de découvrir latriste réalité de la «propriété privée» du roides Belges Léopold II, dans une ambianceoppressante et délétère.

Chloé Cruchaudet: Mauvais Genre (Del-court). Paul Grappe, marié, déserteur en1914, devient Suzanne pour échapper àla guillotine. Une histoire extraordinaire,qui explore les ambiguïtés sexuelles et fi-nit en drame. La dessinatrice s’inspire dutravail de deux historiens, et laisse aussicourir son inspiration romanesque. Maisla réalité est parfois si invraisemblablequ’elle n’a pas su comment insérer de ma-nière crédible le fait que Paul/Suzanne amême été championne de parachutisme!

Antoine Aubin, Etienne Schréder et JeanDufaux: Les Aventures de Blake et MortimerT22: L’Onde Septimus (Dargaud). La copie

ne vaudra jamais l’original mais, né avecEdgar P. Jacobs, je suis presque incondi-tionnel de cette reprise plutôt réussie. Etcette suite tendance fantastique de la su-blime Marque jaune, signée Jean Dufaux,est une des meilleures de la nouvelle sérieavec Olrik en premier rôle et Mortimer enapprenti sorcier.

Zep: Une Histoire d’hommes (Rue de Sèvres).Zep nous mène là où on ne l’attend pas,avec un dessin réaliste loin de Titeuf et unehistoire d’anciens rockers, qui part l’air derien dans des directions inattendues: lechoc et la surprise sont d’autant plus fortsque l’intrigue pouvait paraître presque ba-nale au départ.

Woodrow Phoenix: Bande d’arrêt d’urgence(Actes Sud L’An 2). Un constat impitoyable.Chaque année, la route tue 1,2 million depersonnes dans le monde: «Une voiture

représente votre mort potentielle», ditl’auteur anglais de ce pamphlet percutant,mais «comment en sommes-nous arrivés àtrouver ce risque acceptable?». Des casessans le moindre personnage, déshumani-sées, uniquement composées de portionsde route et de signalisations routières vuesà travers votre pare-brise.

Alexandre Clérisse et Thierry Smolderen:Souvenirs de l’empire de l’atome (Dargaud).Un grand complot intersidéral sur la Terredans les années 50 (et plus tard, et plustôt…), fomenté par la planète Shayol(bien plus tard…), un écrivain de science-fiction en contact avec l’avenir (ou enplein délire?). Délicieux zigzags, flash-back (et flash-forward), allers et retoursentre rêve (vraiment?) et réalité (la-quelle?), le tout délicieusement mis enimages dans un style atome rétro. Quedemander de plus?

nales d’Hergé, qui a porté la ligneclaire au pinacle, constituent unélément majeur de l’exposition. Lasociété de l’avenue Louise a fait in-tervenir ses juristes, notammentpour contester le caractère parodi-que de l’affiche (réalisée par Exem)et poser des conditions sur la fa-çon d’exposer les dessins d’Hergé,en menaçant, la veille encore deson ouverture, de faire fermer l’ex-position. Le musée est resté ferme, et l’exposition rencontre un grand

Par Ariel Herbez

Ariel HerbezCritique de BD