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Pierre Jean Jouve Et l'Experience Interieure Des Mots

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Pour citer cet article :

Léa COSCIOLI,« Pierre Jean Jouve et l'expérience intérieure des mots »,Loxias, Loxias 5,mis en ligne le 15 juin 2004URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=49

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Pierre Jean Jouve et l’expérience intérieure des mots

Léa Coscioli

étudiante en 1ère année de Doctorat de LettresModernes, sous la direction de Mme BéatriceBonhomme, professeur de Littérature ran!aise,"niversité de #ice $ophia%&ntipolis'

Pierre Jean Jouve associe étroitementexpérience m(sti)ue et travail d’écriture'&utour de )uels aspects acte poéti)ue etspiritualité se re*oi+nent%ils Comment lecheminement intérieur s’inscrit%il au sein desmots &utant de )uestions aux)uelles noustentons de répondre - travers une étudecomparative de deux recueils poéti)ues . Les

Noces et Matière céleste'

Poésie, mort, dialecti)ue, Pierre Jean Jouve

La notion de « spirituel » s’inscrit de manière forte dans l’œuvre de Pierre Jean Jouve. Mais ilimporte avant tout de se montrer précautionneux quant à l’acception du terme et de ne !amaisperdre de vue que cette spiritualité est assi"née au dire poétique comme l’explique Jouve #

J’étais orienté vers deux o$!ectifs fixes # d’a$ord o$tenir une lan"ue de poésie qui se !ustifi%t entièrement comme chant   &'( et trouver dans l’acte poétique uneperspective religieuse  &'(. )n mouvement vers le *aut un mouvement deconscience que !e propose de nommer « spirituel » se présentait à l’esprit par cesdeux o$!ectifs réunis. +

La qu,te !ouvienne se précise # il ne s’a"it pas ici de relater une expérience intérieure à l’aidede mots qui en resteraient isolés. -u contraire l’écrivain pointe l’interpénétration entre paroleet mstique. /on art se c*ar"e en effet d’une valeur sacrée une voie salutaire s’ouvrant autravers des mots. 0e que la création poétique parta"e avec l’expérience spirituelle c’est latraversée de l’a$1me intérieur. Pour écrire l’artiste affronte et explore le manque la $éancesur laquelle tout individu se construit.La mstique !ouvienne ne se confond pas avec le mouvement puriste et extr,me qui réprimele corps. 0e dernier a c*e2 l’écrivain un r3le central. 4n +567 Jouve traduit avec 8lanc*e9everc*on les Trois essais sur la théorie de la sexualité de /i"mund :reud. La découverte dela psc*analse s’avère ,tre un c*oc sans précédent dont l’œuvre de Jouve ressort ré"énérée.- partir de cette date l’écrivain re!ette toutes ses productions littéraires antérieures les

 !u"eant faussées et o$solètes. Les réalités du désir du corps et de la culpa$ilité ne quitterontplus son écriture cette dernière s’éri"eant désormais sur le com$at san"lant entre les deuxinstincts primordiaux de ;ie et de Mort. Le corps est à l’ima"e de ce conflit. <l est lié à la mort

par la :aute qui entac*e l’amour. 0ar c*e2 Jouve la :aute est non pas le péc*é deconnaissance tel que nous pouvons le lire dans la =enèse mais le « péc*é d’existence »assimilé à la faute sexuelle #

Mon péc*é tient avec ma naissance avec la su$stance de ma naissance et donc aussiavec la naissance de toute l’*umanité.6

0’est pourquoi le corps em$lème de l’érotisme coupa$le appelle la mort. Mort snonme depéc*é mais é"alement suivie de la renaissance celle de l’%me à la « vraie vie ». - l’4ros noirse superpose un 4ros mstique et le corps devient vecteur d’initiation sacrée. -mour :aute etmort forment le noau secret de l’éla$oration de l’œuvre !ouvienne. L’écriture prend une

+ Pierre Jean Jouve En Miroir, Journal sans date Paris Mercure de :rance +5>? pp. 65@A?.6 Pierre Jean Jouve La Faute, in Martine 8roda Jouve Lausanne L’-"e d’*omme « 0istre 4ssais » ++ +5B+p. +A.

+

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valeur cat*artique. 4lle s’enracine dans le san" et la déc*irure *umaine # passion vécue dansle lan"a"e indispensa$le à la naissance d’un mouvement salvateur.Le c*eminement spirituel de Jouve appara1t à la confrontation de deux recueils poétiques Les

 NocesA  et  Matière célesteC # nous nous intéresserons au processus mstique pur aumouvement d’arrac*ement tel qu’il est visi$le au sein des mots et à son évolution d’un

recueil à l’autre.La comparaison entre les deux recueils peut se !ustifier par la place ori"inale que c*acunoccupe dans l’itinéraire spirituel de Jouve. Pu$lié en +5A+ le recueil  Les Noces se c*ar"ed’une valeur inau"urale # premier ouvra"e de poésie éla$oré après le reniement de +56C ilsi"ne le dé$ut de la reli"iosité. Jouve en parle ainsi #

0et ouvra"e porte l’épi"rap*e « Vita Nuova » parce qu’il témoi"ne d’une conversionà l’<dée reli"ieuse la plus inconnue la plus *aute et la plus *um$le et trem$lantecelle que nous pouvons à peine concevoir en ce temps@ci mais *ors laquelle notrevie n’a point d’existence.7

Le recueil constitue en quelque sorte la "enèse de l’œuvre dans la mesure oD il ancre dansl’écriture la notion de :aute mise à !our lors de la découverte psc*analtique. Le poids dupéc*é se matérialise et avec lui la mort. La dialectique !ouvienne liant l’4ros à sa face som$rese voit amorcée. :aute et mort insufflent une dnamique nouvelle à l’écriture tout entièreportée par l’appel d’une rupture # arrac*ement du lan"a"e ancien pour un lan"a"e neufn’i"norant plus la mort. Mais cette mort dans  Les Noces est encore tenue à distance. <l fautattendre  Matière céleste en +5A> pour qu’elle devienne effective. 0e recueil déterminel’entrée en poésie et l’arr,t définitif de la production romanesque de Jouve. Le dernier roman

 Dans les années profondes fait se !ouer le drame d’Eélène qui en mourant au fa1te de la !ouissance amoureuse initie son !eune amant Léonide au monde de la poésie. L’o$!et d’amourdisparu et désormais manquant le désir se su$lime en désir d’écrire comme le révèlent lespoèmes de  Matière céleste qui s’emploient à recomposer le corps féminin devenu matièreinépuisa$le. Mais plus que la mise en scène de ce processus le recueil est aussi celle de la

mort à l’œuvre avec le t*ème Nada que Jouve a emprunté à ses lectures mstiques. Le Nadadési"ne cette mort sm$olique que le poète doit endurer après le meurtre de la femme mortnécessaire à la transmutation de l’écriture. - travers cette ascèse des mots  Matière céleste

réalise la perte indispensa$le à l’orientation mstique de l’œuvre. F$servons à présent l’arcdu mouvement spirituel la manière dont il s’initialise dans l’arrac*ement propre à la lan"uedes Noces pour a$outir à une mort concrétisée puis su$limée dans le lan"a"e à la fois c*arnelet mstique de Matière céleste.)n point si"nifiant dans  Les Noces  réside dans l’éclatement de l’instance su$!ective #oscillation fréquente des pronoms personnels marquant le devenir de l’artiste.L’affai$lissement du « Je » tra*it la perte de l’identité première et la distanciation pro"ressive.0ela ne s’opère pas sans *eurts le poète com$attant son dou$le ce « $ourreau » comme le

nomme Jouve #Je contiens certainement un !u"e implaca$le G sorte de $ourreau. &'( Le $ourreaucomme le croant veulent que !e travaille sans cesse.H

Ies dialo"ues mettent en scène cette lutte interne contre cet « autre » tou!ours insatisfait #u es mon $ourreau 3 livre oD !’ai traduit

La monta"ne la rivière et l’oiseau &'(-insi parlait le poète déc*u4t il déc*irait son livre imprimé au milieu des villes*umaines.

Mais son autre voix tout emplie d’un murmure desaules

A Pierre Jean Jouve Les Noces suivi de ueur de ang Paris =allimard +5HH.C Pierre Jean Jouve Matière céleste Paris =allimard +557.7  En Miroir, Journal sans date op! cit . pp. [email protected]  En Miroir, Journal sans date op! cit . p. C>.

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9épondaitF livre mal"racieux 3 poème manqué4rreur erreur tou!ours de celui qui n’a pas encor fait.>

Peu à peu la métamorp*ose de l’artiste se !ouant autour de l’accès au nouveau lan"a"e révèlesa dou$le nature # une introspection menant à l’extraction du « Je » condition d’accès àl’universel. 0’est ce que montre l’émer"ence du « nous » dans de nom$reux poèmes si"neque le poète re!oint la communauté des *ommes.Le p*énomène de rupture s’infiltre dans toutes les strates de l’écriture affirmant la nécessitéd’anéantir le lan"a"e en vue de sa renaissance. -vec l’ellipse les mots sont arrac*és de leurcontexte ne laissant plus résonner que le c*oc de leur rapport $rut. Maints effets stlistiquesétonnent # antépositions étran"es comme cette colom$e « sur la nue $ranc*e »B   ver$eséloi"nés de leurs su!ets ou compléments termes crus rappelant la :aute telle la mention decette « sale !ouissance nocturne »5. Futre le caractère frappant de ces procédés il sem$lesurtout que l’artiste c*erc*e à éprouver la lan"ue. 4t la rupture vers un lan"a"e neuf prenantla voie de l’expérimentation des limites se teinte d’une coloration mstique. L’usa"e du $lancpoursuit son exploration. ;érita$le trouée au sein du texte le $lanc s’il mime la déc*irure du

livre tou!ours manqué interro"e la limite si"nifiante de la lan"ue. <l dit le manque etl’inconnaissance du lan"a"e. 4t c’est cette parole qui désirant cerner la $éance devientmstique à l’ima"e des vers suivants #

erri$le 4poux on ne déplace pas ton ma"nétismeFn ne t’éc*appe pas on ne te nomme pas.+?

I’une rupture à une autre le recueil des Noces sem$le correspondre à cette p*rase de 8eno1t0onort #

9ésultat d’une souffrance l’écriture produit une seconde souffrance par son éc*ecson incapacité à dire. 4t cette souffrance suffit à transformer le poème en une sortede prière.++ 

Ieux ima"es fortes apparaissent dans l’ouvra"e # le délu"e et le désert. Manifestation d’unIieu ven"eur le délu"e sanctionne la faute universelle #

0’est le silo san"lant la !eune -urore<ls se c*erc*ent l’un l’autre et tous pour !ouir ets’identifierLes :ils réunis tuent le Père et voilà la :raternité. &'(La fornication o$sède le ciel $leu. &'(Le 0*rist est tué nous luttons à !amais.+6 

<l réduit au silence cet univers coupa$le « punition parfaite » +A permettant la résurrection #0’était un rameauIe silence une nappe de silence &'()ne colom$e en "estation silencieuseKui viendra sur le toit-vec un nouvel effet de silence.+C

Puis le désert vient consolider le manque et l’opération virtualisante. Fuvrant au devenir ledésert des  Noces  est un lieu d’espoir plus que d’épreuve. 0ela s’accorde avec le staded’anticipation de la mort dé!à évoqué. ous pouvons lire en effet « -"réa$le d’errer dans ledésert sacré »+7 ou encore « /ur les "rands violents déserts que !’essaie pour lui »+H. L’ad!ectif

>  Magie p. C>.B "ne colo#$e p. 55.5  Elle s%éveille p. 5B.+? J%étais e#p&ché par ces $ruits p. >6.++ 8eno1t 0onort 'ierre Jean Jouve Mourir en poésie, La #ort dans l%(uvre poéti)ue de 'ierre Jean JouveParis Presses )niversitaires du /eptentrion 6??6 p. +HA.+6  Enfers p. 7+.+A  Le Déluge p. +6?.+C  Le Déluge p. +6?.+7 Vo*ageur dans un pa*sage p. +6A.+H +ui t%a per#is p. 7>.

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« a"réa$le » et le ver$e « !’essaie » prouvent que le poète s’en tient aux $al$utiements duc*eminement mstique au premier stade d’une « pensée de la mort »+>. 0e qui n’emp,c*epourtant pas le recueil des Noces de montrer les prémices de la dialectique c*ristique qui sedéploiera plus tard. 4veil d’une conscience particulière du poète qui pressent que « Mourirrenoncer $rler tous les livres c’est désormais pour &lui( la seule faNon de participer

profondément à la mort du 0*rist et de s’avancer à la rencontre de la seconde naissance ».+B

L’artiste devra traverser la passion avec le recueil suivant ueur de sang. <l devra consommerla faute avec Eélène dans Dans les années profondes. 0e n’est qu’au $out de ces étapes que lamort pourra s’inscrire dans le corps et se c*ar"er du caractère sacrificiel tel que le parac*ève

 Matière céleste.Jouve introduit le t*ème Nada dans Matière céleste par une épi"rap*e de /aint Jean de La0roix #

 'ara venir serlo todo,

 No )uieras ser algo en nada./uit un commentaire de trois vers #

9ien ne s’accomplira sinon dans une a$senceIans une nuit un con"édiement de clarté)ne $eauté confuse en laquelle rien n’est.+5

ous lisons trois termes clés du Nada # l’« a$sence » la « nuit » le « rien » contre$alancéspar le ver$e « s’accomplira » la « clarté » et la « $eauté ». Le ada « idée de poésie »6?révèle un ordre spirituel à travers la notion de « rien créateur ». Pour créer le poète doit passerpar l’épreuve de la né"ation. -près la perte de la femme il endure sa propre mort dansl’écriture # car c’est seulement au sein de ce « rien » que le retournement peut se réaliser. <l estintéressant de constater le caractère latent du Nada  dans les Noces. )n poème dit en effet #« )n !our !e me tuerai »6+. Puis certaines notions commencent à appara1tre comme le « non »le « rien » ou encore la « nuit ». La dialectique devient m,me parfois explicite #

<l a le on que !’aime et dans la douceur ouprofondeur

Mais le on n’est@ce pas le out &'(0ar out étant et en de*ors de out n’étant plus rienLe 9ien d’a$ord est à poursuivre.66 

/i Jouve a t3t pressenti la nécessité initiatique du  Nada c’est seulement après le meurtred’Eélène que le t*ème devient effectif car seule la mort peut permettre le rac*at du poète autravers de mots li$érés de toute présence. Eélène devient mt*ique « la :emme@Eélène la"rande initiatrice celle qui mène à l’-mour et à la =rande Mort celle enfin qui fait rena1tre àtravers l’éternité de l’écriture »6A.Le mouvement du Nada poursuit sa nudité dans le vers suivant #

0e sont des livres nus que !e r,ve accomplir.6C

0ommence alors un péni$le travail de dépossession. L’a$andon de l’expérience réelle et de

tout savoir forme le cœur de cette ascèse poétique au cours de laquelle « le poète s’adonne àla né"ation du monde pour parvenir à un état qui sera similaire au rien » 67 #Le miracle de l’amour est de n’aimer rienPar les trous d’étoiles de ne rien conna1tre

+>  -près le déluge p. +66.+B Jean /taro$insOi préface au recueil Les Noces de Pierre Jean Jouve Paris =allimard +5HH pp. +H@+>.+5  Matière céleste p. +6A et +67.6?  En Miroir, Journal sans date op! cit! p. +67.6+  Non #oi.#&#e p. HH.66 Je T%ai#e p. >6.6A 8éatrice 8on*omme Jeux de la ps*chanal*se, initiation, i#ages de la fe##e dans l%écriture /ouvienne Paris-rc*ives des lettres modernes Minard +55C p. C?.6C 0e sont des livres nus p. +AC.67 8éatrice 8on*omme « L’écriture de Pierre Jean Jouve # une qu,te mstique »  1evue des ciences 2u#aines

n 67? avril@!uin +55B p. 5?.

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Ie ne rien savoir ni vivre ni para1treI’,tre la flamme de n’exister en rien.6H

4xpérience du détac*ement le Nada est traversée de la nuit créatrice qui au plus profond deson opacité est nuit « de transformation à l’opposé de lumière » 6>. Le t*ème imprime sa forcené"atrice dans les mots par le $iais d’une r*étorique des contraires. Les oxmores affluent

comme l’« Eeureuse *eureuse né"ation »

6B

ou la « rop splendide destruction tendre toutenoire » 65. ous lisons aussi #0ommencer de n’,tre plus pour ne pas ,treIe n’,tre pas pour ,trePour aimer.A?

Le premier vers expose une tautolo"ie. Le second renverse ce procédé pour poser un énoncépositif # l’existence d’a$ord niée est détruite pour que l’existence de l’%me soit affirmée. Puisplusieurs couples sémantiques comme l’om$re et la lumière ou l’un et le multiple viennentsm$oliser la dialectique du  Nada et du Todo « immense émanation »A+ « ineffa$leperdition »A6 « ineffa$le fracas »AA « /exe en flamme innom$ra$le »AC. Le poète souli"ne ainsil’impossi$ilité à laquelle se *eurte toute tentative de communiquer cette expérience à l’é"al

de l’indici$le $lanc des  Noces. 4nfin la perte s’inscrit au creux des mots au travers destructures privatives qui en supprimant aux éléments une de leurs qualités propres lespropulse dans une réalité autre et impercepti$le. 0’est ce que montre J%ai#e #

J’aime et sur cette queue plantée en terreJe $%tirai mon é"lise &'(Le sépulcre sans lit le temple sans porteMon amour sans amour aux c*airs de la foi/ans corps ni main ni sein ni c*evelurea désolation sans lieu et sans nature.A7 

0ette r*étorique né"ative matérialise l’essence poétique du t*ème mais contri$ue é"alementau renversement de la parole poétique en parole mstique qui « se nie en m,me temps qu’elles’affirme &'( pour ouvrir l’%me à la promesse d’un silence c’est@à@dire à l’irreprésenta$lepromesse d’un re"ard li$éré de toute médiation »AH. Iépouillement poétique marc*e vers unsilence « plus proc*e que la parole de l’extase et de la saisie du sacré »A>.Le p*énomène de dépersonnalisation des  Noces  prend une forme nouvelle dans  Matièrecéleste. Par moment une voix féminine est source de la parole poétique comme dans  Fugue

dont la première strop*e dit #Je suis sortie dans l’om$re de ma voixJ’ai couru en vain c’était dans mes ténè$resJe me suis plainte au milieu de moi solitaireJ’ai descendu mes murs par l’éc*elle de soieLes "ardiens étaient morts.AB

0e « devenir@femme » se retrouve dans les textes mstiques si l’on en croit la mise en re"ard

de ce poème avec le dé$ut de 0hansons de l%3#e de Jean de La 0roix #6H  Nada p. +?B.6>  En Miroir, Journal sans date op! cit . p. +6>.6B  Fuis ce #onde va#pire p. +6B.65  Le cri#inel ancien p. +7A.A? itio p. +C?.A+  En finir avec le #onde p. +AAA6  En finir avec le #onde p. +AC.AA  Les gloires les plus $elles p. +C+.AC  Les gloires les plus $elles p. +C+.A7 J%ai#e, p. +A6.AH 0laude Jamart et ;anni Iella =iustina Le corps et l%écriture 0oll. Psc*analse et 0ivilisations diri"ée par

Jean adal Paris L’Earmattan +555 p. AC.A> 8éatrice 8on*omme « L’écriture de Pierre Jean Jouve # une qu,te mstique » op! cit . p. 5>.AB  Fugue, p. +A?.

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Ians une nuit o$scurepar un désir d’amour tout em$raséeo* !oeuse aventurede*ors me suis "lisséequand ma maison fut enfin apaisée. A5

Ies t*èmes communs apparaissent # la surdétermination de la nuit et l’introspection cette

dernière étant représentée c*e2 Jean de La 0roix par la « maison » métap*ore de l’intérioritécorporelle à laquelle les « murs » !ouviens font éc*o. Mais ce qui frappe dans le texte dumstique c’est son lexique amoureux. Le « désir d’amour » l’em$rasement propre à lapassion et la connotation adultérine de l’« aventure » instaurent un climat érotique. Jouveexplicite clairement cette idée d’une trans"ression commune à l’éros et au sacré notammentdans En finir avec le #onde Qp. +ACR #

S $ouc*e T 3 cri de ma fente appliquéePour que u la dilates et l’emplissesIe ton diamant de ta mort et de ta pensée.C? 

/exe réclamant l’assouvissement de son désir ou %me implorant la venue de Iieu # la m,mequ,te de l’unité est en !eu.

4nfin nous retrouvons dans Matière céleste l’ima"e du désert. 0elle du délu"e a disparu carla faute a été accomplie et pur"ée par la mort d’Eélène fi"ure du 0*rist qui par son sacrificea permis la transmutation. Le désert s’il était lieu d’éveil !oeux dans  Les Noces prend unevaleur nouvelle dans  Matière céleste. <l est « tapis de pierre »C+ pasa"e dévasté du manque.<l est c*emin de croix poétique « c*emin vide entre les monta"nes sai"neuses »C6. Le poètes’ meut en proie à l’a$sence de Iieu. Le mt*e du Iieu cac*é sous@tend le recueil # partoutdes appels de foi résonnent métap*orisés par la « soif » su$stantif tpe de la terminolo"iemstique comme dans le poème itio #

J’ai soif et c’est asse20’est asse2 0réateur T retire@moi d’ici0’est asse2 contemplé la cendre à travers la lumière &'(J’ai soif de me sentir insensi$le et parfait &'(Ie n’,tre pas pour ,trePour aimer.CA

Mais Iieu reste étran"er à l’*omme et c’est précisément par cette a$sence que se définitl’innomma$le et qu’il reste a$solu. Le retournement ne peut avoir lieu qu’au sein du désertprésence momentanément éprouvée au paroxsme du manque #

:lamme d’amour trop flamme et trop crucifiée/ur la noirceur intime de nos euxIésert d’amourFr"ane de Iieu.CC

-insi le mouvement d’arrac*ement apparent dans Les Noces se renforce et se réalise dans Matière céleste # seules les épreuves endurées entre temps ont permis le mrissement spirituel.

Jamais la dialectique c*ristique n’a été plus avancée que dans cet ouvra"e oD la démarc*euniverselle amorcée dans Les Noces acquiert tout son sens. Le poète en sacrifiant pour créertransporte "lorifie et immortalise dans ses mots la douleur *umaine. Jouve sem$le atteindreau c*ant désiré éri"eant le recueil d’Eélène comme *aut lieu mstique. 4t ce n’estcertainement pas un *asard si la structure et l’écriture du recueil parta"ent avec le 0anti)ue

des 0anti)ues « fra"mentarisme c*an"ements d’espace et de temps confusion des identitésp*rases nominales prota"oniste féminine qui c*ante son amour »C7.  Matière céleste  dit la

A5 Jean de La 0roix Nuit o$scure 0anti)ue spirituel Paris =allimard +55> p. 7+.C?  En finir avec le #onde, p. +AC.C+  En finir avec le #onde p. +AA.C6  Montagnes p. +65.CA itio pp. +A5@+C?.CC  Les gloires les plus $elles p. +C+.C7 Jacques -ncet préface au recueil Nuit o$scure 0anti)ue spirituel op! cit!, pp. 6C@67.

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descente a$ssale propre à l’aventure spirituelle. <l dit aussi que c’est dans l’ouverture ducreuset des mots que le retournement s’effectue # plénitude lumineuse et instantanée del’a$sence.ous l’avons précisé en introduction # mstique et création poétique se re!oi"nent autour del’expérience du manque. 4lles sont toutes deux mues par le mouvement désirant initial et

inconscient ce que Jouve a parfaitement compris avec la psc*analse. :inalement par cettequ,te ardente de l’« autre » l’écrivain va à la rencontre de cet inconnu qui vit et parle en luicar

le travail poétique consiste $ien en ce dire d’un indici$le qui n’est de l’ordre ni de lapensée ni de l’idée ni du sentiment ni de la musique mais de ce passa"e de l’-utrequi éveille en c*acun sa propre altérité.CH

4t il serait alors possi$le au@delà du métalan"a"e de lire différemment le $lanc et ladésor"anisation structurale du texte qui viendraient si"nifier l’éclatement du corpsmouvement incontr3la$le de l’investissement sémiotique dans les mots qui « met en procèsson su!et avant de le re@disposer ou de le ré@unifier par le rt*me » C> rt*me comme c*ant decette fusion impossi$le avec l’autre.

CH  4$id p. A+.C> Julia Uristeva La 1évolution du langage poéti)ue Paris /euil +5>C p. 6AH.

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