Pierre Leveel, serviteur de l'histoire et de la …archives.cg37.fr/UploadFile/GED/Actualites/1513785854.pdf1. « Je ne mérite pas une biographie » M. Leveel me reçoit avec enthousiasme

Pierre Leveel Serviteur de l’histoire et de la géographie

CLÉMENT BERNARD

LETTRES SUPÉRIEURES

LYCÉE DESCARTES DE TOURS

2E PRIX NATIONAL D’HISTOIRE

DECERNE PAR L’ASSOCIATION DES MEMBRES DE L’ORDRE DES PALMES ACADEMIQUES

Pierre Leveel dans la cour du lycée Descartes de Tours, c. 1940 (Archives Départementales d’Indre-et-Loire, fonds Jean Chauvin).

Clément BERNARD Association des membres de l’Ordre des Palmes Académiques Lycée René Descartes, Tours Pierre Leveel, serviteur de l’histoire et de la géographie

2

Remerciements

Qu’il me soit permis de remercier les enfants de Monsieur Leveel, Martine, Christine, Maryse et Bernard pour m’avoir laissé me plonger tout à loisir dans les souvenirs de famille.

Je tiens également à exprimer ma reconnaissance envers Monsieur Sébastien Chevereau,

conservateur aux Archives Départementales d’Indre-et-Loire. Par des échanges fructueux, il me permit de distinguer le certain du possible.

Il me faut signaler l’éclairage apporté par Monsieur Marc Jacquet, qui a bien voulu me

recevoir pour me faire part de ses années militantes aux côtés de son ami de toujours Je remercie enfin mon professeur d’histoire en khâgne, Monsieur Éric Alary, pour ses

encouragements et ses judicieux conseils tout au long de cette passionnante aventure.


3

Table des matières Introduction ................................................................................................................................. 5

A. Pourquoi écrire sur Pierre Leveel ? .................................................................................... 51. Une longue vie ................................................................................................................ 52. Définir les histoires régionales ........................................................................................ 53. Historien et géographe .................................................................................................... 5

B. Démarche et problèmes rencontrés .................................................................................... 51. « Je ne mérite pas une biographie » ................................................................................ 52. Quand la mémoire travaille ............................................................................................. 53. L’apport des archives familiales ..................................................................................... 6

I. De la Pucelle à l’agrégation : un goût précoce pour l’histoire et la géographie (1914-1939) . 7A. L’enfance d’un pupille de la Nation .................................................................................. 7

1. La génération perdue de la Grande Guerre ..................................................................... 72. À l’ombre de Jeanne d’Arc, le patriotisme ..................................................................... 83. « Les voyages forment la jeunesse » : l’âge d’or du Scoutisme ..................................... 8

B. Étudier dans les années 30 ................................................................................................. 91. Collège public, lycée privé : la méritocratie républicaine incarnée ................................ 92. Poitiers : ville universitaire et bastion de l’historiographie méthodique ...................... 103. Une jeunesse foisonnante .............................................................................................. 11

C. L’agrégation d’Histoire-géographie : épreuves de guerre ................................................ 121. Ultimes agrégatifs d’histoire-géographie ...................................................................... 122. La Grande Vadrouille et la démobilisation ................................................................... 123. Un début de carrière bouleversé ................................................................................... 13

II. Une carrière professorale et une vie littéraire longues et passionnées (1940-1974) ............ 14A. Un pédagogue apprécié de trois générations de Tourangeaux ......................................... 14

1. Sous l’Occupation, un enseignement patriote ............................................................... 142. Des petits sixièmes aux prépa HEC : le savoir en partage ............................................ 15

B. Une figure de l’érudition locale : abondance et scientificité ............................................ 151. De la Généralité de Tours à l’Indre-et-Loire : épistémologie de la « civilisation Tourangelle » .................................................................................................................... 152. Un opus magnum : Histoire de Touraine ..................................................................... 16

III. La citoyenneté active d’un savant homme de foi et de convictions ................................... 16A. Pierre Leveel en protecteur du patrimoine Tourangeau ................................................... 16

1. La renaissance des sociétés savantes dans les années 60 .............................................. 162. La DATAR, le béton et les Trente Glorieuses .............................................................. 17

B. Un gaulliste et un catholique fervent ................................................................................ 181. Une exception dans un corps professoral communisant (années 40/50/60) ................. 18


4

2. Un homme de foi .......................................................................................................... 193. Pierre Leveel, éminence grise de l’élite politique locale… et nationale ....................... 204. Une certaine idée de l’Europe ....................................................................................... 21

Conclusion ................................................................................................................................ 21Chronologie personnelle et historique .................................................................................. 23


5

Introduction A. Pourquoi écrire sur Pierre Leveel ? 1. Une longue vie

Le mercredi 3 mai 2017 au petit matin, Pierre Leveel s’éteint à l’âge de 102 ans au CHRU de Tours. La triste nouvelle est relayée par la presse régionale et les témoignages de sympathie envers la famille Leveel se multiplient. Cet évènement malheureux n’a pas entamé notre détermination à achever ce travail, qui en était aux prémices de son écriture. Il sera écrit au présent de narration tant pour rendre le récit plus vivant que pour prolonger le souvenir de ce grand historien régional. 2. Définir les histoires régionales

Qu’est-ce donc que « faire » de l’histoire régionale au sens où l’entend Pierre Nora ? Tout historien serait bien en peine de répondre à cette question, a priori si simple, sans susciter la controverse. Une chose est sûre, aujourd’hui encore, les historiens locaux ne sont pas reconnus comme des historiens à part entière. Trop souvent hélas, un historien régional suscite, au mieux l’indifférence, au pire le dédain. En cause, le champ géographique de leur recherche, volontairement restreint, et par là sans intérêt pour la « Grande Histoire ». Un loisir pour historiens amateurs en somme. Pourtant, on s’accordera pour dire que maîtriser un objet d’étude quel qu’il soit, c’est faire corps avec lui, le connaitre à fond. Cela Pierre Leveel l’avait bien compris tant dans son œuvre historienne que géographique. 3. Historien et géographe Le professeur Leveel a une très haute idée de ce que doivent être l’histoire et la géographie. Il n’eût de cesse de le répéter : « ce sont les matières les plus formatrices pour les professeurs comme pour leurs élèves » et d’ajouter qu’elles s’expliquent l’une par l’autre et qu’il est inconcevable de les enseigner séparément. Cette conception est datée et correspond à une période où histoire et géographie s’interpénétraient dans l’enseignement et dans la production scientifique. Tous les travaux de Pierre Leveel recherchent cet équilibre constant entre la carte et le texte, entre la date et le figuré.

B. Démarche et problèmes rencontrés 1. « Je ne mérite pas une biographie » M. Leveel me reçoit avec enthousiasme en son domicile de Tours. Néanmoins, ses premières paroles sont pour me faire part d’une appréhension : « est-ce judicieux d’écrire ma biographie ? ». Nous avons insisté sur la nature de ce mémoire : il s’agit moins d’une biographie en bonne et due forme que de « son » siècle, moins du récit d’un héros au grand cœur que d’un témoignage authentique. A dire vrai, Pierre Leveel est un homme profondément modeste. Il soutient mordicus qu’il n’a été qu’un simple agrégé d’histoire et de géographie qui ne fit que remplir son devoir. En le prenant au mot, on en conclurait que le caractère exceptionnel de sa vie réside, justement, dans la pérennité de ces engagements et la constance de ses convictions. Après 8 heures d’enregistrement sonore, c’est donc une vie remarquablement riche qui se dessine malgré les inconvénients du grand âge.

2. Quand la mémoire travaille La famille Leveel a déploré que ce mémoire n’ait pas été entamé plus tôt, alors que la mémoire de leur parent était intacte. En effet, jusqu’à son centenaire fêté en 2014, le professeur Leveel possédait encore une mémoire prodigieusement fournie en noms, adresses, dates, personnages historiques et anecdotes savoureuses. Ce sont donc des bribes de souvenirs qui furent récoltées, assorties d’une chronologie approximative et de beaucoup de répétitions. Étant donné son grand âge, les entretiens furent court (1 h 30) mais nombreux et espacés (7 soit 1 par


6

semaine). « Depuis que je suis centenaire, j’ai presque tout oublié !» s’exclame cet historien à la science jadis encyclopédique. 3. L’apport des archives familiales

Au début des années 2000, alors qu’il n’est que nonagénaire, le professeur Leveel entreprend de classer les documents amassés au cours de sa vie. Sauf mention contraire, les illustrations de ce travail proviennent des quelques 300 documents et de la soixantaine de photographies du professeur. Ajoutons les dizaines de mètres linéaires de boîtes d’archives qui regroupent des dossiers documentaires départements par départements, communes par communes, et même rues par rues. Aujourd’hui, la Société archéologique de Touraine gère ce patrimoine inestimable pour la connaissance historique et géographique de la Touraine et de ses confins. Ce matériau a permis de confronter les dires du témoin avec la réalité des évènements que voici.

Les archives personnelles de Pierre Leveel.


7

I. De la Pucelle à l’agrégation : un goût précoce pour l’histoire et la géographie (1914-1939) A. L’enfance d’un pupille de la Nation 1. La génération perdue de la Grande Guerre

Le 7 juin 1915, le soldat Albert Leveel, du 61e régiment d’Infanterie, est blessé à Ville-sur-Tourbe sur le front de la Marne. Il est évacué à l’hôpital militaire de Sainte-Menehould où il succombe 5 jours plus tard. Il sait qu’il laisse derrière lui une veuve de guerre, Madeleine, et

un pupille de la nation de 8 mois, Pierre. Le jeune orphelin fait partie de ces vies qui furent broyées sous le feu. Le 23 mai 1916, le Son père faisait partie de ces régiments de cavalerie « démontés », c’est-à-dire qu’ils avaient servis comme fantassins pour suppléer les lourdes pertes que subissait ce corps alors que le conflit s’enlisait dans une guerre de tranchées. Albert Leveel a subi ce passage du cavalier au simple fantassin la mort dans l’âme.

La guerre finie, Madeleine fait les démarches nécessaires au transfert du défunt du cimetière militaire de Sainte-Menehould au cimetière familial de Montbazon. Ainsi en 1920, Pierre Leveel assiste à l’inauguration du monument aux morts de Montbazon où figure le nom de son père, « mort pour la France » avec 1 300 000 autres. Sa mère, toujours en noir, bénéficie d’une pension de l’Etat en tant que veuve de guerre ainsi que d’un emploi au Crédit Lyonnais où travaillait son mari avant les hostilités. Malgré cela, bien souvent, les fins de mois sont difficiles.

Souvenir d’enfance à Veigné, Indre-et-Loire

28 mai 1919, Pierre Leveel rejoint le million d’orphelins adoptés par l'État.

Madeleine, sa « chère maman ». Son père Albert en uniforme.


8

2. À l’ombre de Jeanne d’Arc, le patriotisme Son premier souvenir lié à l’Histoire de France est Jeanne d’Arc. Doit-on alors s’étonner

qu’il ait fait de Jeanne le principal objet de sa production historique1? Certes, le professeur Leveel est chinonais de naissance, mais ce souvenir vivace est dû tout d’abord à la culture scolaire de l’époque dont la geste de la Sainte était le pilier depuis la défaite de Sedan qui a suscité une réminiscence de symboles patriotiques et l’affirmation du sentiment national. Par ailleurs, le procès en canonisation entamé en 1894 aboutit justement le 16 mai 1920. Déjà béatifiée depuis 1909, la Pucelle est proclamée sainte patronne secondaire de la France en 1922 par Pie XI. Pierre Leveel a donc vécu dans son enfance la formation de la figure protéiforme de Jeanne d’Arc : catholique, républicaine et nationaliste2.

3. « Les voyages forment la jeunesse » : l’âge d’or du Scoutisme Le 29 juillet 1907, Lord Robert Baden-Powel, général britannique à la retraite, met en

application les principes du Scouting lors d’un camp de vacances pour adolescents. Très rapidement, le scoutisme essaime dans toute l’Europe. Son but : « transformer ce qui était un art d'apprendre aux hommes à faire la guerre, en un art d'apprendre aux jeunes à faire la paix ». L’adoption de ce concept donne naissance au guidisme en France et à de multiples fédérations d’Éclaireurs, laïques ou religieuses.

1 21% de sa production. Cf. SCHWEITZ, Daniel, « Une bibliographie tourangelle : Pierre Leveel (1948-2010) ». Mélanges offerts à Pierre Leveel, Mémoire de la Société archéologique de Touraine, tome LXVII, 2010. 2 WINOCK, Michel, « Jeanne d’Arc ». NORA, Pierre (sous la direction de), Les lieux de mémoire, tome III, La nation, Paris, Gallimard, 1986, 3 vol., pp. 4427-4473.

Jeanne guerrière avoisinant la maison d'enfance de Pierre Leveel à Chinon (Collection de l’auteur).

Les 6e du collège jésuite Saint-Grégoire de Tours en 1925-1926. Pierre Leveel au troisième rang en partant du bas, quatrième en partant de la gauche.


9

Le 22 avril 1928, Pierre Leveel fait sa promesse au mouvement catholique des Scouts du Tour de France. Entre 14 et 18 ans, il va régulièrement en vacances avec sa troupe aux quatre coins de l’Hexagone.

Dans l’entre-deux guerre, le Scoutisme est en plein essor et constitue le meilleur outil d’éducation populaire.

B. Étudier dans les années 30 1. Collège public, lycée privé : la méritocratie républicaine incarnée

La famille de Pierre Leveel a toujours souhaité que leur enfant s’épanouisse dans un métier qui lui plaise et gagne correctement sa vie. Le jeune Pierre commence sa scolarité du secondaire au collège de Chinon où son grand-père maternel enseignait la philosophie et les lettres. Ce dernier avait eu des problèmes avec les francs-maçons de la ville. Pour ne pas faire subir cette pression à son petit-fils, celui-ci fait sa rentrée en 6e au Petit Saint-Grégoire de Tours, institution privée tenue par des jésuites. Le règlement est très strict mais c’est ici que Pierre Leveel approfondit ses humanités latines (entamées à 6 ans) et grecques (entamées à 7 ans) qu’il cultivera toute sa vie avec passion.

J’ai toujours été bon élève et je faisais mon travail très consciencieusement. Mais j’avais déjà une préférence pour l’histoire et la géographie car ce sont les matières de formation les plus efficaces.3

3 Les citations des entretiens avec le professeur Leveel sont présentées comme ci-dessus. Les indications entre crochets sont des notes de l’auteur.

Le Maréchal Hubert Lyautey en bonne place dans le carnet scout de Pierre Leveel


10

2. Poitiers : ville universitaire et bastion de l’historiographie méthodique En 1932, son bac A option Philosophie en poche, assortie d’une mention « assez bien »,

Pierre Leveel poursuit ses études en khâgne au lycée Henri IV-Louis XIV de Poitiers. A ce moment-là, il sait qu’il veut être professeur d’histoire et de géographie et prépare sa licence. L’Université de Poitiers, vieille de 500 ans, reste ancrée dans le courant méthodique du XIXe siècle pour lequel l’étude des sources est le principal travail de l’historien. Ce dernier doit s’efforcer de les classer, de les vérifier par recoupement jusqu’à reconstituer le « fait » historique de manière impartial. Alors que l’histoire prétend à la respectabilité comme discipline scientifique à part entière, il lui faut ce socle épistémologique fort et cohérent. Parmi ces grandes figures de l’école méthodique qui furent les professeurs de Pierre Leveel, il y a Jean-Médéric Tourneur-Aumont, auteur en 1940 de La bataille de Poitiers, 1356 et la construction de la France, (prix Gobert 1941 de l’Académie Française). Ce dernier est très proche de Charles Seignobos et de Charles-Victor Langlois dont l’Introduction aux études historiques (1898) a bercé des générations d’historiens.

Un élève assidu déjà attiré par les sciences humaines.


11

Pierre Leveel se forme lui-même en ce sens qu’il ne se revendique d’aucune école aussi bien en histoire qu’en géographie. Il trouve néanmoins à l’Université de Poitiers un paradigme que son œuvre riche de plus de 160 publications reflète à merveille : un grand souci d’objectivité ainsi qu’une très nette préférence pour les documents d’archives sur l’étude des monuments ou des mentalités.

3. Une jeunesse foisonnante Aujourd’hui encore, la khâgne est un monde. Les jeunes impétrants y tissent des liens

indéfectibles dans une culture estudiantine des plus potaches. Il suffit de se pencher sur le sobriquet de Pierre Leveel au sein de sa khâgne pour s’en convaincre : K2FM. K pour Khâgneux, élevé au Carré car il est élève de première année, plus Fetialis Maximus pour ses fonctions de responsable de la Khaîsse (c’est-à-dire trésorier). A Poitiers, il n’existe qu’une khâgne sans hypokhâgne – même si elles iront en se généralisant dans les années 1930. Après avoir khûbé sa khâgne sans avoir obtenu le concours de l’Ecole Normale Supérieure, il poursuit une licence d’histoire et de géographie à la Faculté de Lettres de Poitiers.

Pierre Leveel appartient à cette génération de khâgneux pour qui l’Université est la première expérience d’enseignement mixte alors que la jeunesse commence à exister comme une classe sociale à part entière. Le professorat est l’aboutissement naturel de beaucoup de parcours. A ce titre, Pierre Leveel est un exemple-type.

La fiche signalétique du khâgneux […] indique, en effet, un profil social type : les grands-parents étaient petits fonctionnaires ou paysans ; les parents n’ont plus guère d’attaches avec le terroir et ceux qui étaient déjà employés de l’Etat ont gravi quelques barreaux dans l’échelle de la fonction publique ; les uns comme les autres ont rejoint en nombre les classes moyennes.4

4 SIRINELLI, Jean-François, « La khâgne » in NORA, Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, tome II, La nation, Paris, Gallimard, 1986, p. 2168.


12

C. L’agrégation d’Histoire-géographie : épreuves de guerre 1. Ultimes agrégatifs d’histoire-géographie

En 1935, Pierre Leveel obtient son premier poste de professeur certifié d’histoire et de géographie au lycée de Valenciennes. Il enseigne ensuite à Tourcoing de 1936 à 1938. Là, il profite du jeudi, où il n’y a pas cours, pour suivre une préparation à l’agrégation double

d’histoire et de géographie à l’Université de Lille. Il faut noter que la promotion 1939 est la dernière du genre, car Pour Pierre Leveel, ce qui fait la qualité de cette préparation et lui a permis d’être reçu 2e sur 30 à sa troisième tentative, c’est la qualité des professeurs. L’un deux n’est autre que Roger Dion, futur professeur au Collège de France (de 1948 à 1968) et auteur d’une thèse monumentale sur le Val-de-Loire5. Ce chef d’œuvre de géographie historique, dédicacé par l’auteur, finira dans la corbeille de mariage de Pierre Leveel et restera son livre de chevet.

En effet, lors de ces séminaires de préparation, il rencontre une jeune agrégative lilloise, Louise Pollet, qui deviendra son épouse. Elle ne sera pas reçue à l’agrégation et enseignera au lycée de jeunes filles Balzac à Tours.

Pierre Leveel devra pourtant patienter avec d’enfiler sa toge, car les épreuves ne font que commencer. 2. La Grande Vadrouille et la démobilisation

Le 1er septembre 1939, L’Allemagne déclare la guerre à la France. Pierre Leveel est alors mobilisé à Rouen pendant deux mois. Ensuite, il suit les cours de l’école militaire de Saint-Maixent, d’où il sort avec le grade de Sous-Lieutenant. En janvier 1940, il est stationné à

5 DION, Roger, Le Val de Loire. Etude de géographie régionale, Tours, Arrault, 1934, 752 p.

La khâgne « Pictave » dans sa thurne. Qui de la race de gallinacé ou du peuple gaulois de la région du Poitou a le plus inspiré une telle dénomination ? Pierre Leveel à genoux tout à droite.


13

Rochefort où il passe la Drôle de Guerre comme officier du 3e Régiment d’Infanterie Coloniale. Son service, comme la plupart des soldats, n’a rien d’exaltant.

J’ai été chargé de commander une compagnie de mobilisés, malgré-eux, c’est-à-dire qui ne demandaient pas mieux que de rester chez eux, plutôt que d’aller au front. C’était difficile à concilier avec la volonté de l’Etat. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus ceux que j’ai commandés là-bas. J’ai essayé de les calmer, de leur faire un peu la morale, de leur dire : « vous savez, si j’ai fait l’histoire et la géographie c’est parce que je pensais que c’était une très bonne façon de servir la France ».

Si ces mobilisés, en majorité des paysans, souhaitent rentrer chez eux, c’est notamment parce que la moisson est exceptionnelle et que l’on manque de bras pour la récolte6.

A partir de mai 1940, la bataille de France fait rage et sa clameur se rapproche de Rochefort. La Wehrmacht avance si rapidement que, le 19 juin, elle frappe aux portes de Tours. La ville essuie des bombardements et un terrible incendie détruit 12 hectares de maisons au centre de la ville.

Après l’armistice, signé le 22 juin, le commandement militaire n’est plus que l’ombre de lui-même, à Rochefort comme ailleurs. Sans nouvelle de sa famille et ne souhaitant pas être fait prisonnier, Pierre Leveel entreprend un périple des plus risqués. Peu avant l’arrivée des Allemands en Charente-Maritime, il profite du chaos pour voler un vieux vélo dans sa caserne afin de

rentrer à Tours, en civil, par des petits chemins sur plus de 250 km. Le stalag ou la clandestinité en zone nord, la désertion ou le peloton d’exécution en zone sud…

En arrivant à la sous-préfecture de Loches, il n’est plus qu’à 30 km de chez lui. Malheureusement pour lui, le voilà « retenu » par le général Mouton qui l’assigne au Palais de Justice pour procéder à la démobilisation imposée par l’armistice. Cela dure pendant les mois de juillet et d’août, il est alors hébergé chez des cousins et donne des cours à l’école de la ville.

3. Un début de carrière bouleversé A la fin de l’été, quand Pierre Leveel rend une fois pour toute son uniforme, il pédale

jusqu’à Tours où il retrouve enfin sa famille après avoir franchi la ligne de démarcation à Reignac-sur-Indre au point de passage du Café-Brûlé. Il n’est plus tant d’espérer retrouver son poste à Lille, qui est désormais une zone interdite et où les réfugiés ne peuvent même plus retourner. Il rencontre, à Paris donc, l’Inspecteur Général de l’Instruction Publique, M. Arthur Duby7, historien de renom et auteur de nombreux manuels scolaires. Lors de cet entretien au Ministère de l’Éducation Nationale, l’Inspecteur ne peut s’empêcher de fondre en larmes en lui expliquant à quel point la situation est précaire dans le Nord. Heureusement pour notre jeune professeur, il se trouve alors 4 postes vacants au lycée Descartes de Tours, à deux pas de la maison familiale où réside déjà sa mère et sa grand-mère maternelle. Pierre Leveel est donc

6 Cf. BENOIST–MÉCHIN, Jacques, La moisson de 40. Journal d’un prisonnier de guerre, Paris, Albin-Michel, 1941. 7 CAPLAT, Guy, « 69. HUBY (Arthur, Léon, Albert) ». L'Inspection générale de l'Instruction publique au XXe siècle. Dictionnaire biographique des inspecteurs généraux et des inspecteurs de l'Académie de Paris, 1914-1939. Paris, Institut national de recherche pédagogique, 1997, pp. 338-340. (Histoire biographique de l'enseignement, 13). Voir : www.persee.fr/doc/inrp_0298-5632_1997_ant_13_1_6694

Pierre Leveel en uniforme.


14

affecté à ce poste mais à titre provisoire en remplacement de M. Léger, prisonnier de guerre. En 1944, ce dernier est libéré mais prend un autre poste. Pierre Leveel peut ainsi être titularisé et entamer une longue et passionnante carrière.

II. Une carrière professorale et une vie littéraire longues et passionnées (1940-1974) A. Un pédagogue apprécié de trois générations de Tourangeaux

1. Sous l’Occupation, un enseignement patriote Pierre Leveel n’ose pas, ou si peu, parler de l’Occupation.

[Cela] fait partie de la très longue liste des oublis que j’ai fait.

Pierre Leveel a connu des Résistants sous l’Occupation comme Jean Chauvin (auteur de la photo en couverture), l’un de ses élèves, dont les photos clandestines sont les matériaux de nombreux documentaires réalisés sur la période. Une chose est sûre, Pierre Leveel n’est ni « kollabo » ni Résistant, il se contente de faire son devoir et de survivre comme l’écrasante majorité des Français. Néanmoins, le 13 octobre 1944, il est secrétaire d’une réunion d’information du Front National Universitaire qui a lieu au lycée Descartes. Cette organisation clandestine s’affiche au grand jour après la Libération de Tours pour épurer les cadres universitaires et soutenir le gouvernement de la République du général de Gaulle8.

Dans les locaux du lycée Descartes, en partie réquisitionnés par l’armée allemande, le jeune agrégé parvient à faire passer dans ses cours des messages subliminaux en parlant de la France et des Français dans des classes démoralisées. Les difficultés sont accrues dans le département d’Indre-et-Loire du fait de la ligne de démarcation qui sépare des familles entières 9 . Dans ce contexte, M. Leveel enseigne l’histoire et la géographie de manière patriotique et cela revêt une très haute importance pour lui. A ce titre, André Papouin évoque dans une lettre qu’il adresse à son ancien professeur son cours du 11 novembre 1943, qui n’était alors plus un jour férié. Pierre Leveel avait rappelé le rayonnement de la France et de ses valeurs dans le monde. Par-là, il avait réveillé l’espoir de toute une classe.

8 LAURENCIN, Michel, Le lycée Descartes. Histoire d’un établissement d’enseignement à Tours (1807-1907), Tours, Mame Imprimeurs, 2006, 256 p. (p. 108). 9 ALARY, Éric, La ligne de démarcation (1940-1944), Paris, Perrin, coll. Tempus, 2010, 576 p.


15

2. Des petits sixièmes aux prépa HEC : le savoir en partage Tout au long de ses 35 ans de carrière, Pierre Leveel a toujours eu d’excellentes relations

avec ses élèves qu’il attribue à sa passion communicative. Il est convaincu que tous ont eu intérêt et plaisir à recevoir ses deux matières. Même longtemps après son départ à la retraite, il reçoit encore des lettres amicales de ses anciens élèves, devenus pour beaucoup des amis. Autant de fidèles qui pour certains ont suivi son exemple en devenant eux-mêmes professeur d’histoire ou de géographie.

Pierre Leveel tenait à avoir toujours une classe de petits sixièmes, pour l’histoire romaine qu’il adorait enseigner, ainsi qu’une classe de baccalauréat. Même si les effectifs étaient très importants, il se faisait un devoir de traiter tous les programmes dans leur exhaustivité sans se contenter des grandes lignes. De là sans doute ce surnom affectueux que lui ont donné les élèves : « Petit Volume ». En effet, il faisait des cours très détaillés, très érudits qui, pour certains ont pu paraître abscons mais qui ont dû en passionner beaucoup d’autres. En aucun cas, Pierre Leveel n’aurait voulu enseigner à l’Université, car le lycée était le meilleur endroit pour ce qu’il voulait transmettre.

B. Une figure de l’érudition locale : abondance et scientificité 1. De la Généralité de Tours à l’Indre-et-Loire : épistémologie de la « civilisation Tourangelle »

Pierre Leveel n’arrive pas en terra incognita, de nombreux érudits se sont déjà penchés sur l’Histoire de la Touraine. On peut citer Jacques-Xavier Carré de Busserole, Casimir Chevalier, l’Abbé Champoiseau, Charles de Grandmaison, tous membres de la Société archéologique de Touraine (couramment abrégée en SAT et prononcée [sat]). Comme eux, Pierre Leveel peut se targuer d’avoir fait corps avec son objet d’étude.

Je n’ai écrit que sur la Touraine

Première photo de classe à Descartes pour le jeune Pr Leveel entouré de la 4°A de 1940-1941. Triste période, mais il faut sourire à l’objectif.


16

L’apport déterminant de Pierre Leveel consiste en la définition même de la Touraine. Où commence-t-elle, où finit-elle, d’où tire-t-elle son unité et sa cohérence ? Autant de questionnements qui seront au cœur de sa production scientifique. A l’exception de ses trois années dans le Nord, il a vécu en permanence à Tours, et a pu observer les mutations profondes de la ville et de ses habitants. Il est donc un témoin privilégié car son regard est autant celui d’un scientifique que d’un membre de la cité.

Sa toute première publication est intitulée Géographie humaine de la Touraine10. Il y définit les caractères propres de l’ancienne province en reconnaissant la difficulté de l’exercice car la Touraine est « l’élément liant de la France » affirme-t-il en citant Michelet. En tout cas, un bon livre d’histoire s’accompagne toujours de cartes pour localier les lieux, pour apprécier les phénomènes passés comme présents dans leurs dynamiques. Rétrospectivement, Pierre Leveel constate qu’il y a une dominante dans son œuvre :

En voyant tout ce que j’ai écrit, c’est plutôt historien. Mais la géographie n’est jamais oubliée.

2. Un opus magnum : Histoire de Touraine Parmi tous les ouvrages publiés par Pierre Leveel, son morceau de bravoure reste son

Histoire de Touraine qu’il publie en 1984. L’auteur ne dit pas que cet ouvrage, fruit de 11 ans de travail, se vend mal, à tel point que des tonnes de ce pavé partent au pilon. Cet épisode est resté comme une meurtrissure. Et pour cause, Pierre Leveel n’écrit pas à des fins alimentaires (son salaire puis sa retraite de professeur agrégé lui suffisent) et la totalité de ses droits d’auteur vont aux orphelins de guerre. Partager ce qu’il sait au plus grand nombre, découvrir et faire aimer, voilà son ambition. Encore aujourd’hui, cet ouvrage reste la monographie régionale la plus complète sur la Touraine.

III. La citoyenneté active d’un savant homme de foi et de convictions A. Pierre Leveel en protecteur du patrimoine Tourangeau 1. La renaissance des sociétés savantes dans les années 60

Il est très artificiel de séparer le professorat des mandats associatifs pléthoriques de Pierre Leveel, notamment de son action au sein de la Société archéologique de Touraine (SAT).

Ma période professorale et ma période de président de la Société archéologique de Touraine se sont fondues ensembles. Si bien que j’ai pensé que toute ma vie a été, tout d’abord, l’enseignement au lycée et la présidence de la Société archéologique.

Cette association créée en 1840 connaît plusieurs phases que l’on peut résumer ainsi : un âge d’or de 1840 jusqu’en 1914, puis un déclin jusqu’aux années 1950, enfin, une lente reprise qui semble se confirmer dans les années 2010. L’immédiat après-guerre surtout est une période durant laquelle la société peine à se renouveler11.

C’est dans ce contexte que Pierre Leveel, encore jeune professeur, est admis à la SAT. En effet, il avait été « repéré » très peu de temps après la publication de son premier livre, un « Que sais-je ? » sur l’Histoire de la Touraine en 1956. Comme dans toutes les sociétés de notables, le parrainage est de mise. C’est donc avec les recommandations du Dr Robert Ranjard et d’Albert Philippon, historiens et passionnés d’archéologie, qu’il devient membre correspondant en décembre 1951. Son ascension est fulgurante : nommé membre titulaire en

10 LEVEEL, Pierre, « Géographie humaine de la Touraine » in LEVEEL, Pierre, ROUGÉ, Jacques-Marie, Dacier, Émile, GUIGNARD Jacques, Visage de la Touraine Paris, Éd. des Horizons de France, 1948, pp. 13-51 (rééd. en 1951). 11 SCHWEITZ, Daniel, « Pierre Leveel et la Société archéologique de Touraine », Mélanges offerts à Pierre Leveel, Mémoire de la Société archéologique de Touraine, tome LXVII, 2010.


17

février 1952, il est élu vice-président dès janvier 1955 en reconnaissance de son travail et de son implication. Enfin, de 1961 à 1967, sa première présidence correspond justement à cette période de renouveau. Il en est convaincu :

la Société marchait bien mais pouvait marcher mieux encore.

Forte de 700 membres à la fin de son mandat, la SAT plus que jamais gagné en dynamisme.

La Société archéologique est un point fort dans la culture tourangelle.

En 1974, à tout juste 60 ans, Pierre Leveel ne prend sa retraite que pour mieux se consacrer à ses associations privilégiées. De 1976 à 1979, il est élu de nouveau président de la SAT.

2. La DATAR, le béton et les Trente Glorieuses Durant les Trente Glorieuses, Tours fait partie des métropoles d’« équilibres » de la

Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR). Jean Royer, maire de Tours de 1959 à 1995, supervise des aménagements de grande ampleur : autoroute A6, canalisation du Cher, construction des grands ensembles des Rives du Cher et du Sanitas, rattachement de Saint-Symphorien et de Sainte-Radegonde, arrivée du TGV,…

Face aux impératifs de modernité, les vieilles pierres sont peu de chose. Pourtant, elles trouvent en Pierre Leveel leur plus fervent défenseur. Nous nous bornerons à deux exemples représentatifs du travail du professeur Leveel dans la défense et l’illustration du patrimoine Tourangeau.

La tour Charlemagne — Aujourd’hui, le Vieux-Tours est un haut lieu du tourisme en Val de Loire. Pourtant, dans les années 1950, les maisons à colombages ne font pas rêver, le quartier est insalubre et malfamé. Dès 1955, Pierre Leveel attire l’attention des élus sur la richesse de ce patrimoine voué aux bulldozers. Il a les moyens de ses ambitions. En effet, Pierre Leveel est le dernier président de la SAT à se voir déléguer le pré-inventaire des monuments et richesses artistiques de la France. C’est donc sous sa direction que des milliers de notices sont éditées par les sociétaires pour compléter les connaissances sur les éléments du patrimoine tourangeaux et éviter l’irréparable.

La tour Charlemagne, rare vestige de la collégiale Saint-Martin de Tours, qui fut le plus important pèlerinage de la chrétienté durant plus de 1 000 ans, était alors à demi-ruinée et menaçait de s’effondrer. Pierre Leveel va peser de tout son poids pour qu’elle ne soit pas remplacer par une tour d’habitation, ou pire encore. Nombreux sont ceux qui ont entretenus une rancune tenace à son égard, l’accusant de ne pas avoir de cœur. En effet, la crise du logement perdure et des milliers de familles sont encore mal-logées. De ce fait, Pierre Leveel est longtemps gardé le surnom de « Charlemagne ». Les routes bordées de platanes — Avec l’essor du tout-voiture, les platanes font de l’ombre aux automobilistes. Ils sont jugés dangereux et freinent l’agrandissement des voies. La volonté de préserver ces aménités paysagères trouve un écho dans une lettre écrite par un Président de la République qui n’est pas resté dans les mémoires comme un défenseur du patrimoine.

Lettre de Georges Pompidou à Jacques Delmas, Premier ministre, 17 juillet 1970

La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes–et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes–est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain. […]


18

La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d’évasion, de nature et de beauté. L’autoroute sera utilisée pour les transports qui n’ont d’autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l’automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu’était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l’on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l’on se garde de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !12

Pierre Leveel mène l’essentiel de ces actions de protection du paysage au sein de la Commission départementale des sites. Des années 1960 à 1980, il fait entendre sa voix à chaque délibérations en tant que personnalité compétente.

B. Un gaulliste et un catholique fervent 1. Une exception dans un corps professoral communisant (années 40/50/60)

Dans sa jeunesse, Pierre Leveel ne se soucie pas tellement de politique, ce n’est qu’à la Libération qu’il se politise et adhère au Rassemblement du Peuple Français créé en 1947. De ce fait, il a souvent des rapports difficiles avec les professeurs communisants qui ne lui plaisent pas. En effet, dans les années 1950, le Parti Communiste Français se déclare « premier parti de France » avec plus de 30 % des suffrages. Dans le contexte de la Guerre Froide, le corps professoral du lycée Descartes y est largement acquis. A ce titre, le professeur Leveel semble s’être tenu à l’écart des mouvements de mai 68. Bien au contraire, il a fait partie de ces Français qui ont fait confiance au Général de Gaulle face à la « chienlit ».

Aujourd’hui encore, il est profondément attaché à la personne du général dont il a déploré la disparition, en 1978.

Si l’on peut considérer comme pertinente la distinction entre gaulliste et gaullien. On pencherait plutôt pour le second qualificatif. C’est bien la personne du général, son charisme qui font l’admiration du professeur. Pourtant, il a bien milité pour de Gaulle, ce qui, outre ces cours au lycée Descartes, lui faisait parfois des journées de 14 heures. Qu’importe, le général le vaut bien.

Dans ce qu’il a fait tout est excellent dans cet homme unique pour son temps. Le plus grand Français de son siècle.

12 Lettre de George Pompidou du 17 juillet 1970. Association Pour la Protection des Arbres en bord de Routes. [Consulté le 16 août 2017] Disponible sur : http://asppar.org/lettre-de-georges-pompidou-du-17-juillet-1970/


19

2. Un homme de foi Pierre Leveel est également un catholique pratiquant qui se rend tous les dimanches en

sa paroisse de Saint-Symphorien, du moins jusqu’à ce que son grand âge ne lui permette plus que de recevoir un aumônier chez lui aux alentours des grandes fêtes liturgiques. Il n’a jamais fait mystère de sa catholicité, il l’assume auprès de ses élèves, sans en faire une quelconque apologie.

Il faut être discret en matière de religion dans des classes qui regroupent des élèves si différents.

Pour Pierre Leveel, le christianisme fut une humanisation du bien qui est un principe primordial et universel. Dans la religion catholique, il n’y a que le bien qui est voué à triompher, ultimement, du mal. Selon lui, l’islam ne parviendra pas à détruire le mal car sa fonction première a été détournée.

Il ne faut voir là qu’une conception purement personnelle que le professeur Leveel a fait l’effort de verbaliser. Au fond, il pense que la méconnaissance de l’histoire fait défaut à certains musulmans et par là à tout dialogue inter-religieux.

Le corps professoral de Descartes en 1948-1949. Une femme et un gaulliste fervent : Pierre Leveel. 2e rang, 7e depuis la gauche.


20

3. Pierre Leveel, éminence grise de l’élite politique locale… et nationale Bien souvent les hommes politiques font appel à des nègres. Pierre Leveel, met sa plume

et la profondeur de ses connaissances historiques au service de Michel Debré et de Jean Royer.

Michel Debré — En 1951, 1953 et 1956, Pierre Leveel apporte son soutien au Dr Leccia qui devient adjoint au maire de Tours. Sa mort prématurée appelle Pierre Leveel à sa première fonction publique comme conseiller municipal RPF de Tours de 1956 à 1958, sous le mairat de Marcel Tribut. Ce mandat achevé, Pierre Leveel est suppléant de Marc Jacquet, candidat RPF à la députation à Tours. En Indre-et-Loire, la campagne est planifiée par Michel Debré qui n’est, pour l’heure, que sénateur de la circonscription d’Indre-et-Loire. L’enjeu du scrutin de ces législatives, prévu au 23 novembre, est crucial. En effet, les tensions sont très fortes en Algérie. Quelques mois plus tard, le 13 mai 1958, 7 généraux de l’Armée française mènent un coup d’État à Alger. Ils réclament des mesures immédiates du gouvernement Pflimlin pour lutter contre le Front de Libération National. Jean Royer — Lui aussi est l’un des plus fidèles amis de M. Leveel. Les deux hommes se sont rencontrés alors que Pierre Leveel est chargé de l’inspection de Jean Royer, alors instituteur. Pierre Leveel le fait sortir de l’anonymat et lui ouvre des portes dans la sphère politique. Il restera maire de Tours pendant 36 ans et se présentera à l’élection présidentielle de 1974 (3,17%). Pierre Leveel reconnait son caractère difficile mais sa franchise remarquable, ainsi que tout le bien qu’il a fait pour les élèves de Tours.

Le 21 juin 1959, alors que la guerre d’Algérie bat son plein, le Premier Ministre Michel Debré (en train de signer le livre d’or) honore son ami Pierre Leveel (à sa gauche) par sa présence à l’inauguration de la maison prieurale de Ronsard, près de Tours. La main sur le siège : le jeune Jean-Louis Debré. La dédicace est la suivante : « Remerciements et félicitations à tous ceux qui ont rendu au Prieuré de Saint-Cosme sa faculté d’évocation ». (LEVEEL, Pierre, « Le cinquantenaire des “Amis de Ronsard et du Prieuré de Saint-Cosme” », Joué-lès-Tours, La Simarre, 1999, p. 7.)


21

4. Une certaine idée de l’Europe Pierre Leveel est favorable à une excellente entente entre les pays européens qui vivent

d’une seule civilisation à la fois ancrée dans l’histoire et pleine d’avenir. Il faut noter que M. Leveel a connu non pas une mais des Europes : l’Europe de la Société des Nations, des nationalismes, de la CECA, du Mur, enfin l’Europe à 28. La vision qu’il s’en fait est au fond très gaullienne en cela qu’il est favorable à une Europe indépendante et fière de sa civilisation commune.

A 102 ans, il n’a pas manqué d’exprimer son opinion dans les urnes pour les présidentielles et a toujours fait le choix de la droite gaullienne. Pourtant, l’actualité a de quoi laisser perplexe cet europhile : Brexit, « salafisme », …

En tant que gaulliste, le professeur Leveel est sensible aux efforts considérables qui sont fait pour pérenniser l’amitié franco-allemande, véritable moteur de la construction européenne, depuis le tandem de Gaulle-Adenauer jusqu’à François Hollande-Angela Merkel.

Evidemment, on n’aimait pas les allemands à ce moment-là [scil. la Seconde Guerre mondiale], c’était normal. Mais par la suite j’ai compris qu’un ennemi peut devenir un allié dans une guerre suivante, ce qui est d’ailleurs le cas actuellement d’une personne qui n’a rien de français, c’est Angela Merkel. C’est une personne qui a fait beaucoup pour pacifier l’Europe.

Conclusion

Aujourd’hui, plus que jamais, les jeunes générations ont besoin d’érudits locaux comme Pierre Leveel pour apprécier le passé de leur lieu de vie à leur juste valeur. Le patrimoine de proximité et l’histoire de nos régions sont, paradoxalement, les plus sujets à l’oubli et à l’abandon dans une société qui change vite. Le professeur Leveel n’a jamais voulu se faire connaître autrement que par la qualité de son enseignement. Sa voix, chaleureuse, est encore celle d’un professeur amoureux de ces deux disciplines qu’il a à cœur de me transmettre :

J’espère que vous vous intéresserez, comme moi, à l’histoire et à la géographie, qui le méritent bien.

La Touraine gardera de cet érudit gaulliste et catholique qui avait, pour ainsi dire, une certaine idée de l’histoire et de la géographie, le souvenir d’un homme mécène de son temps et de son savoir qui éveilla des milliers d’élèves à la conscience de leur devoir citoyen.

—Si vous aviez à tout recommencer, qu’auriez-vous fait ?

—J’aurais fait exactement ce que j’ai fait, c’est-à-dire un serviteur de l’histoire et de la géographie qui sont les deux disciplines les plus formatrices, les plus merveilleuses...


22

Entretien avec Pierre Leveel en son domicile de Tours, mai 2017.


23

Chronologie personnelle et historique Vie de Pierre Leveel / Histoire générale / Histoire de la Touraine 29 juillet 1907 : Création du scoutisme par Baden-Powel. 28 juillet 1914 : Début de la 1ère Guerre mondiale. Dimanche 11 octobre 1914 : Naissance à Chinon. 7 juin 1915 : Albert Leveel blessé au secteur du Calvaire, Ville-sur-Tourbe (Marne). 12 juin 1915 : Décès d’Albert Leveel à Sainte-Menehould, Marne. 28 mai 1919 : Pierre Leveel est pupille de la Nation. 1923 : Madeleine Leveel employée au Crédit Lyonnais de Tours. 1924 : décès de son grand-père, Pierre Leveel. 1923-1924 : Institution libre Mongazon, Angers. 1925-1926 : 6e au Petit Saint-Grégoire de Tours, avenue de Grammont. 1926-1932 : Lycée Saint-Grégoire de Tours, quai Paul-Bert. Baccalauréat A-Philosophie. 1933-1935 : Première Supérieure, lycée Henri IV-Louis XIV, Poitiers. 1934-1935 : Licence d’Histoire et Géographie et Diplôme d’Études Supérieures en Histoire moderne et ancienne à la Faculté des Lettres, Poitiers. 1936-1937 : Professeur délégué de Lettres et d’Histoire, Valenciennes. 1937-1939 : Professeur d’histoire, Tourcoing. 1937 : Admissible à l’agrégation d’histoire-géographie. 1938 : Grand admissible Octobre 1938 : Professeur certifié ès Lettres. Juillet 1939 : Reçu 2e sur 30 à l’agrégation d’histoire-géographie. Août 1939 : Mobilisé à Rennes puis à l’Ecole Militaire de Saint-Maixant 1er septembre 1939 : L’Allemagne déclare la guerre à la France. 19 septembre 1939 : Mobilisé à Rennes, dépôt d’Infanterie n°44. 18 janvier 1940 : Cours à Saint-Maixent, obtient le grade de sous-lieutenant. 22 janvier 1940 : Affecté au 3e régiment d’Infanterie Coloniale (dépôt d’Infanterie Colonial n°188), Rochefort. 10 mai 1940 : Bataille de France. 11 juin 1940 : Repli du gouvernement à Tours. Fin Juin 1940 : Les Allemands à Rochefort. Fuite en bicyclette vers Tours. 21 juin : Occupation de Tours. 22 juin 1940 : Signature de l’armistice. Juillet-août 1940 : Lieutenant chargé de la démobilisation, Loches. 11 août 1940 : Démobilisé à Loches 20 octobre 1940 : Décès de sa mère (52 ans) 13 novembre 1940 : Professeur agrégé d’histoire au lycée Descartes. Suppléance de M. Léger, prisonnier de guerre. Décembre 1940 : Mariage avec Louise Pollet, Tours. 3 juillet 1942 : naissance de Maryse Leveel 1er septembre 1944 : Libération de Tours. 30 mai 1945 : naissance de Martine Leveel Octobre 1946 : naissance de Bernard Leveel 1947 : création du RPF. Décembre 1951 : Entrée à la SAT. Février 1952 : Membre titulaire de la SAT. Janvier 1955 : Vice-président de la SAT. 1956 : Professeur d’histoire en Lettres Supérieures. 1956-1958 : Conseiller municipal RPF de la ville de Tours


24

1er juin 1958 : Retour du Général de Gaulle 4 octobre 1958 : Proclamation de la Ve République. 1959 : Jean Royer maire de Tours. 1960 : Nommé à la Commission départementale des sites et monuments. 1966 : La SAT participe au pré-inventaire des monuments et richesses artistiques de la France. 1961-1967 : Président de la SAT. 1962 : Création de l’Université de Tours. 2 juillet 1966 : Michel Debré maire d’Amboise. 1969 : professeur d’histoire et de géographie en classe préparatoire HEC 9 novembre 1970 : Décès de Charles de Gaulle, Colombey-les-Deux-Églises. 1974 : Jean Royer aux présidentielles (3,17 %). Pierre Leveel prend sa retraite de professeur. 1976-1979 : Président de la SAT. 1995 : Jean Germain maire de Tours. 1996 : Décès de Michel Debré, Montlouis-sur-Loire. 13 avril 2005 : Décès de Louise Pollet (92 ans). 29 août 2011 : Nommé Chevalier des Palmes académiques. 11 octobre 2014 : Célébration du centenaire de Pierre Leveel, Hôtel de ville de Tours. Mercredi 3 mai 2017 : Décès à Tours (102 ans).

Documents

Pierre Leveel, serviteur de l'histoire et de la …archives.cg37.fr/UploadFile/GED/Actualites/1513785854.pdf1. « Je ne mérite pas une biographie » M. Leveel me reçoit avec enthousiasme