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PIONNIERS CANADIENS v © 2008 CNRC Canada Robert Hall Haynes (1931–1998) Je me rappelle le choc que j’ai éprouvé en apprenant le décès de Bob Haynes, le 22 décembre 1998. Cela fait 10 ans, mais tout comme bon nombre d’autres amis et collè- gues, je me souviens encore affectueusement de cet homme, un merveilleux scientifique, chercheur, ami, mentor et bon vivant. Comme bien d’autres, j’ai été grandement attristé par sa mort, mais je me suis consolé en me disant que si Bob avait pu prédéterminer le cours de sa vie, il n’y aurait probablement rien changé. Sa carrière et ses réalisa- tions remarquables ont été rapportées de superbe façon dans plusieurs articles commémoratifs et notices nécrologiques de société (Kunz et Hanawalt 1999, Environ. Mol. Mutagen. 33: 257–265; Heddle 1999, Radiat. Res. 152: 223–224). Bob a obtenu son baccalauréat ès sciences (mathémati- ques et physique) de l’Université Western Ontario en 1953. Après une brève période d’études supérieures à l’Université McGill, il est retourné à l’Université Western Ontario pour obtenir son diplôme d’études supérieures en biophysique sous la supervision du professeur Alan C. Burton. À McGill, Bob s’est découvert un intérêt pour la génétique, le compor- tement des chromosomes et la base physique de la variabi- lité génétique. Cet intérêt est venu de la lecture du livre d’Erwin Schrödinger Qu’est-ce que la vie? Je me souviens d’une histoire que Bob a racontée sur la manière dont il avait expliqué sa fascination pour ce nouveau domaine de la science à Alan C. Burton, qui lui avait répondu quelque chose du genre : « Tout cela semble très intéressant, mais dans mon laboratoire nous étudions la rhéologie du sang. » Malgré sa déception, Bob a appliqué sagement sa formation en mathématiques et en physique et a obtenu son doctorat en 1957. Son travail doctoral sur le comportement non new- tonien du sang en hémodynamique et sur la physique de la viscosité sanguine dans les tubes étroits est encore cité aujourd’hui (Haynes et Burton 1959, Am. J. Physiol. 197: 943–950). Au cours de ses études supérieures, Bob a présenté ses découvertes dans le cadre de plusieurs grands congrès, où il a compris l’importance de non seulement communiquer les idées, mais aussi constituer un réseau étendu d’amis et de collaborateurs. Bob était un communicateur né, et sa person- nalité chaleureuse et son attitude positive convenaient parfai- tement à l’établissement d’amitiés à vie, ce qui a grandement enrichi sa carrière. Dès ces premiers congrès, Bob s’est inté- ressé à la radiobiologie et à l’étude du mouvement des chro- mosomes à l’aide de microfaisceaux ultraviolets. À la suite d’une brève période postdoctorale à Londres (Angleterre), Bob est devenu professeur agrégé de biophysique à l’Université de Chicago. C’est là que Bob, en collaboration avec ses col- lègues, a fait ses premières recherches sur les effets généti- ques de l’exposition à la radiation et aux produits chimiques chez la levure et les bactéries et a formulé le concept des processus biochimiques multiples au moyen desquels les cellules réparent les dommages à l’ADN. En 1964, il est passé à l’Université de Californie à Berkeley où il a été nommé professeur agrégé de biophysique. En 1968, Bob a été nommé au poste de président du Dé- partement de biologie à l’Université York, à Toronto, où il a immédiatement attiré un corps professoral jeune et dyna- mique aux intérêts de recherche variés. Il a également attiré dans son laboratoire un flot ininterrompu d’étudiants de deuxième et troisième cycles et de boursiers postdoctoraux et il a continué à collaborer avec des scientifiques d’autres établissements. Au cours des 30 années qui ont suivi, il a pu- blié presque 200 articles sur une foule de sujets de re- cherche, y compris la cinétique d’induction des événements de mutation et de recombinaison chez la levure; l’analyse mathématique des courbes dose–effet; l’étude des effets in- teractifs entre le rayonnement ionisant, la lumière ultraviolette et les produits chimiques cancérogènes sur la levure et les bactéries; la preuve de réparation-réplication chez la levure; des études poussées sur les effets génétiques de la modification du métabolisme des nucléotides à thymine; et l’isolement et l’analyse de gènes intervenant dans la réplication de l’ADN. Une grande partie de ce travail récent a émané d’une collaboration avec son grand ami et collègue, Gerry Little, de l’Université York, qui, triste nouvelle, est décédé du cancer l’an dernier. Durant les dernières étapes de sa carrière, et toujours en maintenant son intérêt de longue date pour la variabilité et l’évolution génétiques, Bob est devenu fasciné par l’idée d’introduire la vie dans des planètes stériles, processus qu’il a baptisé l’écopoïèse. Il a écrit plusieurs articles sur le sujet, ainsi qu’un chapitre dans le livre Moral Expertise (Routledge, New York, 1990). En 1991, Bob a été invité à la conférence Sigma du Centre de recherche Langley de la NASA pour dis- cuter de sa vision de l’écopoïèse. À ce sujet, il a fait ce com- mentaire typique de l’enthousiasme de Bob Haynes tout au long de sa carrière scientifique : « Pourquoi avons-nous nos meilleures idées plus tard dans la vie? » Bob était bien connu pour ses nombreux voyages. Il a été très souvent invité à prononcer des conférences et à présider des rencontres scientifiques partout dans le monde. Il croyait fermement qu’il est important de présenter son travail, pas seulement pour propager et échanger des idées, mais égale- ment pour promouvoir la recherche réalisée au Canada. Il a été professeur invité dans diverses universités en Union soviétique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Il adorait les diverses cultures des endroits qu’il visitait et rapportait souvent des souvenirs inhabituels, par exemple un grand bâton maori de Nouvelle-Zélande, un crâne décoré du Tibet, des tabatières d’Angleterre ainsi qu’un pistolet-stylo de calibre 22 acheté dans un bazar louche dans un village à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan. En raison de son travail international pour promouvoir la science, il a été élu membre étranger de l’Académie des sciences du tiers monde (1990) La rédactrice en chef de la série d’articles sur les pionniers canadiens est Edyta Marcon, Département de recherche médicale Banting et Best, Université de Toronto. 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PIONNIERS CANADIENS : Robert Hall Haynes

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PIONNIERS CANADIENS

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© 2008 CNRC Canada

Robert Hall Haynes (1931–1998)

Je me rappelle le choc que j’ai éprouvé en apprenant ledécès de Bob Haynes, le 22 décembre 1998. Cela fait10 ans, mais tout comme bon nombre d’autres amis et collè-gues, je me souviens encore affectueusement de cethomme, un merveilleux scientifique, chercheur, ami, mentoret bon vivant. Comme bien d’autres, j’ai été grandementattristé par sa mort, mais je me suis consolé en me disantque si Bob avait pu prédéterminer le cours de sa vie, il n’yaurait probablement rien changé. Sa carrière et ses réalisa-tions remarquables ont été rapportées de superbe façon dansplusieurs articles commémoratifs et notices nécrologiques desociété (Kunz et Hanawalt 1999, Environ. Mol. Mutagen. 33:257–265; Heddle 1999, Radiat. Res. 152: 223–224).

Bob a obtenu son baccalauréat ès sciences (mathémati-ques et physique) de l’Université Western Ontario en 1953.Après une brève période d’études supérieures à l’UniversitéMcGill, il est retourné à l’Université Western Ontario pourobtenir son diplôme d’études supérieures en biophysiquesous la supervision du professeur Alan C. Burton. À McGill,Bob s’est découvert un intérêt pour la génétique, le compor-tement des chromosomes et la base physique de la variabi-lité génétique. Cet intérêt est venu de la lecture du livred’Erwin Schrödinger Qu’est-ce que la vie? Je me souviensd’une histoire que Bob a racontée sur la manière dont il avaitexpliqué sa fascination pour ce nouveau domaine de lascience à Alan C. Burton, qui lui avait répondu quelquechose du genre : « Tout cela semble très intéressant, maisdans mon laboratoire nous étudions la rhéologie du sang. »Malgré sa déception, Bob a appliqué sagement sa formationen mathématiques et en physique et a obtenu son doctoraten 1957. Son travail doctoral sur le comportement non new-tonien du sang en hémodynamique et sur la physique de laviscosité sanguine dans les tubes étroits est encore citéaujourd’hui (Haynes et Burton 1959, Am. J. Physiol. 197:943–950).

Au cours de ses études supérieures, Bob a présenté sesdécouvertes dans le cadre de plusieurs grands congrès, où ila compris l’importance de non seulement communiquer lesidées, mais aussi constituer un réseau étendu d’amis et decollaborateurs. Bob était un communicateur né, et sa person-nalité chaleureuse et son attitude positive convenaient parfai-tement à l’établissement d’amitiés à vie, ce qui a grandementenrichi sa carrière. Dès ces premiers congrès, Bob s’est inté-ressé à la radiobiologie et à l’étude du mouvement des chro-mosomes à l’aide de microfaisceaux ultraviolets. À la suited’une brève période postdoctorale à Londres (Angleterre),Bob est devenu professeur agrégé de biophysique à l’Universitéde Chicago. C’est là que Bob, en collaboration avec ses col-lègues, a fait ses premières recherches sur les effets généti-ques de l’exposition à la radiation et aux produits chimiqueschez la levure et les bactéries et a formulé le concept des

processus biochimiques multiples au moyen desquels lescellules réparent les dommages à l’ADN. En 1964, il estpassé à l’Université de Californie à Berkeley où il a éténommé professeur agrégé de biophysique.

En 1968, Bob a été nommé au poste de président du Dé-partement de biologie à l’Université York, à Toronto, où il aimmédiatement attiré un corps professoral jeune et dyna-mique aux intérêts de recherche variés. Il a également attirédans son laboratoire un flot ininterrompu d’étudiants dedeuxième et troisième cycles et de boursiers postdoctorauxet il a continué à collaborer avec des scientifiques d’autresétablissements. Au cours des 30 années qui ont suivi, il a pu-blié presque 200 articles sur une foule de sujets de re-cherche, y compris la cinétique d’induction des événementsde mutation et de recombinaison chez la levure; l’analysemathématique des courbes dose–effet; l’étude des effets in-teractifs entre le rayonnement ionisant, la lumière ultravioletteet les produits chimiques cancérogènes sur la levure et lesbactéries; la preuve de réparation-réplication chez la levure;des études poussées sur les effets génétiques de la modificationdu métabolisme des nucléotides à thymine; et l’isolement etl’analyse de gènes intervenant dans la réplication de l’ADN. Unegrande partie de ce travail récent a émané d’une collaborationavec son grand ami et collègue, Gerry Little, de l’Université York,qui, triste nouvelle, est décédé du cancer l’an dernier.

Durant les dernières étapes de sa carrière, et toujours enmaintenant son intérêt de longue date pour la variabilité etl’évolution génétiques, Bob est devenu fasciné par l’idéed’introduire la vie dans des planètes stériles, processus qu’ila baptisé l’écopoïèse. Il a écrit plusieurs articles sur le sujet,ainsi qu’un chapitre dans le livre Moral Expertise (Routledge,New York, 1990). En 1991, Bob a été invité à la conférenceSigma du Centre de recherche Langley de la NASA pour dis-cuter de sa vision de l’écopoïèse. À ce sujet, il a fait ce com-mentaire typique de l’enthousiasme de Bob Haynes tout aulong de sa carrière scientifique : « Pourquoi avons-nous nosmeilleures idées plus tard dans la vie? »

Bob était bien connu pour ses nombreux voyages. Il a ététrès souvent invité à prononcer des conférences et à présiderdes rencontres scientifiques partout dans le monde. Il croyaitfermement qu’il est important de présenter son travail, passeulement pour propager et échanger des idées, mais égale-ment pour promouvoir la recherche réalisée au Canada. Il aété professeur invité dans diverses universités en Unionsoviétique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Il adoraitles diverses cultures des endroits qu’il visitait et rapportaitsouvent des souvenirs inhabituels, par exemple un grandbâton maori de Nouvelle-Zélande, un crâne décoré du Tibet,des tabatières d’Angleterre ainsi qu’un pistolet-stylo de calibre22 acheté dans un bazar louche dans un village à la frontièrede l’Afghanistan et du Pakistan. En raison de son travailinternational pour promouvoir la science, il a été élu membreétranger de l’Académie des sciences du tiers monde (1990)

La rédactrice en chef de la série d’articles sur les pionniers canadiens est Edyta Marcon, Département de recherche médicale Banting et Best,Université de Toronto.

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vi Génome vol. 51, 2008

et membre étranger de l’Académie des sciences du Pakistan(1994).

Bob ressentait un grand sens du devoir en siégeant à descomités de révision de bourses, des comités consultatifs etdes comités de rédaction. Il a siégé au conseil d’administrationdu Conseil national de recherches du Canada (1975 à 1981),à l’Institut canadien de recherches avancées (1982 à 1987) àtitre de membre fondateur, au Comité consultatif en sciencesbiologiques du Conseil de recherches en sciences naturelleset en génie (1985 à 1987) à titre de président, et au Comitéen radiobiologie du CNR de l’Académie nationale des scien-ces des États-Unis (1963 à 1973). Il a été président del’Association internationale des sociétés de la mutagenèsede l’environnement (1989 à 1993), président du 16e Congrèsinternational de génétique à Toronto (1988) et président de laSociété royale du Canada (1995 à 1997). Il a été rédacteuren chef de la série des revues annuelles (1992) et a siégé aucomité de rédaction de bon nombre de grandes revuesscientifiques.

Ses réalisations, ainsi que ses contributions au milieu uni-versitaire et à des comités, ont été récompensées de nom-breux prix, dont la Médaille du jubilé de la reine Élisabeth(1977), la Médaille Flavelle de la Société royale du Canada(1988), la Médaille commémorative du 125e anniversaire dela Confédération du Canada (1992), le Prix d’excellence dela Société de génétique du Canada (1993) et l’Ordre duCanada (1990). Bob collectionnait avec passion les livresanciens de science et de philosophie. Dans sa vaste collec-tion, on retrouvait un exemplaire de la première édition de

L’origine des espèces de Charles Darwin. Ce livre de Darwinet la fascination de Bob pour la vie et l’évolution ont consti-tué le thème central de sa carrière extraordinaire. Dans undernier élan de générosité, cette précieuse collection a étéléguée à la bibliothèque de l’Université Western Ontario à lademande Bob, ainsi qu’un fonds destiné à restaurer les livreshistoriques.

Je me souviendrai toujours de la photo d’Alan C. Burtonque Bob arborait fièrement dans son bureau, comme pourrendre hommage à son mentor. Dans la même veine, j’ai unephoto de Bob dans mon bureau qui montre cette étincelle decuriosité et de fascination toujours présente dans ses yeux,le sourire chaleureux et invitant et cet air de quintessenceprofessorale qui caractérisaient Bob Haynes. On se souvientde lui comme d’un homme sociable et cultivé, avec un rireretentissant qui animait immédiatement une pièce et faisaitsourire tout le monde. Il a vraiment vécu pleinement, en« s’abreuvant au grand bar de la vie » avec zèle, intelligenceet humour.

Bob a laissé derrière lui (ou peut-être est-ce un voyage dereconnaissance!) son épouse bien-aimée, Jane BanfieldHaynes, ses trois fils, Mark, Geoffrey et Paul Haynes, ainsique quatre petits-enfants.

Evan McIntoshDépartement de médecine familiale et communautaireUniversité de Toronto

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