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direction de Épistémologie des études touristiques Sous la direction de LUCIE K. MORISSET BRUNO SARRASIN et GUILLAUME ÉTHIER direction de Extrait de la publication

Épistémologie des études touristiques...VIII Épistémologie des études touristiques une multiplication des débats sur le statut du tourisme, à savoir s’il dési gnait un domaine

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Épine 0,5714 po. 276 p. 120 M

direction de

Épistémologie des études touristiques

i, comme champ d’activités et de pratiques, le tourisme réunit un nombre grandissant de disciplines, il donne lui-même lieu à c ertains questionnements, qui l’isolent et le définissent, peu à peu, comme un domaine du savoir à part entière. Dans ce con-texte, s’interroger sur les enjeux épistémologiques du savoir et du savoir-faire en tourisme devenait un impératif.

Il est incontestable que les retombées économiques impor-tantes du tourisme comptent parmi les facteurs favorables à l’essor des études dans le domaine, mais cet ouvrage veut amener la réflexion au-delà de la « boîte économique », en ne concevant pas le travail sur le tourisme et le travail dans le tourisme en vase clos. Les changements constants qui rythment l’évolution de ce milieu demandent un regard transdisciplinaire et transversal. Sont ainsi abordées, dans un premier temps, des questions générales concernant l’épistémologie des études touristiques. Puis, consti-tuant le cœur du livre, différentes contributions présentent l’objet touristique à partir d’un champ disciplinaire distinct, que ce soit la géographie, la science politique, l’ethnologie, la sociologie, l’économie ou le droit.

Il s’agit non plus d’étudier le développement du tourisme, mais de penser ce dernier comme l’un des facteurs de nos futurs.

ColleCtion dirigée par BRUNO SARRASIN

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Sous la direction de LUCIE K. MORISSETBRUNO SARRASIN

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AlexAndrA ArellAno • MArie-Ève Breton • MArtin drouin • GuillAuMe Éthier MArie-BlAnche FourcAde • MAriA GrAvAri-BArBAs • sÉBAstien JAcquot louis Jolin • BouAleM KAdri • Bruno MArques • lucie K. Morisset thierry PAquot • Gilles Pronovost • lAurent renArd • Bruno sArrAsin

Historienne d’architecture, LUCIE K. MORISSET est professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, ainsi que directrice scientifique de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain.

BRUNO SARRASIN est professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et membre du Comité interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS). Il est également directeur de la collection « Tourisme » aux Presses de l’Université du Québec.

GUILLAUME ÉTHIER, M.A. en sociologie, est doctorant en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut national de la recherche scientifique – Centre Urbanisation, Culture et Société.

direction de

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c o l l e c t i o n

TOURISME

La collection Tourisme propose une lecture novatrice du tourisme à travers le prisme des sciences humaines et sociales. S’adressant aux chercheurs et étudiants autant qu’aux gestionnaires et profes sionnels de l’industrie, cette collection offre un large panorama de livres fon­damentaux et de recherches empiriques touchant le dévelop pement du tourisme au Québec et dans le monde.

Par la présentation de recherches rigoureuses, de théories et de cas concrets, les ouvrages qui la composent souhaitent alimenter les chercheurs et les décideurs en leur proposant une lecture scientifique des principaux enjeux du tourisme, de manière à nourrir la planifi­cation et l’action des gouvernements tout comme celles des entreprises touristiques.

Bruno Sarrasin

Comité scientifique de la collection

Oliver Dehoorne, Université des Antilles et de la Guyane (Martinique)

Christiane Gagnon, Université du Québec à Chicoutimi

Serge Gagnon, Université du Québec en Outaouais

Alain A. Grenier, Université du Québec à Montréal

Mimoun Hillali, Institut supérieur international du tourisme (Maroc)

Katia Iankova, Memorial University of Newfoundland

Louis Jolin, Université du Québec à Montréal

Marie Lequin, Université du Québec à Trois­Rivières

Franck Michel, Université de Corte

Bernard Schéou, Université de Perpignan

Georges Tanguay, Université du Québec à Montréal

Xuan Lan Vo Sang, Université Van Lang (Viêt­Nam)

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La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits. Or, la photocopie non autorisée – le « photocopillage » – s’est généralisée, provoquant une baisse des ventes de livres et compromettant la rédaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels. L’objet du logo apparaissant ci­contre est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit le développement massif du « photocopillage ».

Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : 418 657­4399 − Télécopieur : 418 657­2096 Courriel : [email protected] − Internet : www.puq.ca

Diffusion / Distribution :Canada : Prologue inc., 1650, boulevard Lionel­Bertrand, Boisbriand (Québec)

J7H 1N7 – Tél. : 450 434­0306 / 1 800 363­2864France : Sodis, 128, av. du Maréchal de Lattre de Tassigny, 77403 Lagny, France – Tél. : 01 60 07 82 99Afrique : Action pédagogique pour l’éducation et la formation, Angle des rues Jilali Taj Eddine

et El Ghadfa, Maârif 20100, Casablanca, Maroc – Tél. : 212 (0) 22­23­12­22Belgique : Patrimoine SPRL, avenue Milcamps 119, 1030 Bruxelles, Belgique – Tél. : 02 7366847Suisse : Servidis SA, Chemin des Chalets, 1279 Chavannes­de­Bogis, Suisse – Tél. : 022 960.95.32

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Épistémologie des études touristiques

Sous la direction de LUCIE K. MORISSETBRUNO SARRASIN

et GUILLAUME ÉTHIER

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Les Presses de l’Université du Québec reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada et du Conseil des Arts du Canada pour leurs activités d’édition.

Elles remercient également la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour son soutien financier.

Mise en pages : Interscript

Couverture :Conception – Richard HodgsonPhotographies – Québec vue du ciel : Pierre Lahoud New-York de nuit et Promenade en dromadaire au Maroc : IStock photo.

2012­1.1 – Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés © 2012, Presses de l’Université du QuébecDépôt légal – 3e trimestre 2012Bibliothèque et Archives nationales du Québec / Bibliothèque et Archives Canada – Imprimé au Canada

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :

Épistémologie des études touristiques

(Collection Tourisme)

Comprend des réf. bibliogr.

ISBN 978­2­7605­3486­5

1. Tourisme – Recherche. 2. Tourisme – Recherche – Québec (Province). I. Morisset, Lucie K., 1967­ . II. Sarrasin, Bruno, 1968­ . III. Éthier, Guillaume, 1980­ . IV. Collection : Collection Tourisme (Presses de l’Université du Québec).

G155.7.E64 2012 910.72 C2012­940931­6

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Extrait de la publication

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Pourquoi une « éPistémologie des études touristiques » ?

L’épistémologie, selon les dictionnaires, porte sur les formes, les procédés, les fondements de tel savoir ; éventuellement, elle veut aussi distinguer le savoir d’une croyance en comprenant ce qui détermine sa portée scientifique. Voilà qui peut étonner lorsqu’un pareil projet est adjoint au qua­lificatif « touristique », qui se réfère habituelle­ment, au mieux à une pratique ou à une industrie que d’aucuns jugent dépourvue d’anticipation, confinée dans une mécanique purement réactive, au pire à un rejeton pauvre de la recherche, le tourisme, tristement réputé, comme le rappellent Pritchard et Morgan (2007, p. 11), pour son positivisme ambiant.

Pourtant, après quelques essais plus ou moins datés qui ont voulu établir une « science du tourisme », voire une « tourismologie », puis

lucie K. morissetProfesseure au Département d’études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal

AvAnt-proposun savoir, des regards –

Voir et comprendre le tourisme aujourd’hui

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VIII Épistémologie des études touristiques

une multiplication des débats sur le statut du tourisme, à savoir s’il dési­gnait un domaine ou une discipline (Tribe, 2004, p. 46­62), certaines manifestations semblent confirmer une portée nouvelle des études tou­ristiques. Tribe et Airey ont ainsi désigné sous le terme de « balkanisation » la constitution d’unités d’analyses de plus en plus pointues qui distancient résolument celles­ci du modernisme structuraliste des « broad tourism theo-ries » (2007, p. 13). Assisterions­nous à l’éclatement du paradigme positiviste sous l’impulsion des cultural studies ?

Incontestablement, les bibliothèques se sont gonflées ces dernières années d’une profusion nouvelle d’ouvrages sur les méthodes en tourisme. Après quelques articles précurseurs publiés au tournant du millénaire (notamment Riley et Love, 2000), les Developments in Tourism Research, Research Methods for Leisure and Tourism et autres Tourism Research Methods se sont multipliés au point où il serait impossible, et d’ailleurs vain, d’en faire ici une revue. Elsevier, maison néerlandaise d’édition et de diffusion scientifique détentrice d’un fonds de quelque 20 000 ouvrages et de cen­taines de revues, dont les renommées Annals of Tourism Research (tout de même fondées en 1973), a créé une collection sur les Advances in Tourism Research laquelle, partie d’un premier titre sur le Tourism Demand Modelling and Forecasting (2000), a épousé en 2007 un Critical Turn in Tourism Studies logé à l’enseigne d’Innovative Research Methodologies (Ateljevic et al., 2007).

En parcourant ces titres sur l’analyse genrée, l’ethnométhodologie, le langage de l’expérience touristique ou l’enquête créative, on pourra s’étonner, certes, de trouver cette collection dans la section « Business, Management and Accounting ». Il faut dire que la formation universitaire, depuis de nombreuses années, s’oriente semblablement, en visant princi­palement l’acquisition de savoir­faire en gestion (management) du tourisme ou d’un secteur plus spécifique de l’industrie (hôtellerie, destinations, loisirs, événements, etc.). Les contenus ciblés varient assez peu : gestion stratégique, marketing, gestion des ressources humaines, auxquels sont de temps à autre assorties des notions relatives à la planification de projets, aux politiques publiques, aux enjeux culturels et économiques… C’est le vaste univers du hospitality management. Toutefois, à la marge, certains laboratoires et programmes de formation de plus en plus nombreux con­juguent plutôt à ce qui est alors clairement identifié comme des « études touristiques » les notions d’aménagement territorial, de modes de vie et, plus largement, de planification intégrée du développement : le très popu­laire terme de destination, qui a ces dernières années remplacé le produit d’appel, l’approche-client et autres crédos du marché touristique, fait d’ailleurs écho à ce courant de pensée. Tout porte à croire, suivant cette voie dans les manifestations foisonnantes de savoirs et de savoir­faire encore relati­vement confus, que le tourisme s’arrogera bientôt son propre secteur des catalogues bibliographiques. Dans tous les cas, de même que le pullulement

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Avant-propos IX

d’ouvrages de méthode témoigne à tout le moins d’un état d’interrogation sur les procédés scientifiques en cause ou requis, la croissance exponentielle des publications à vocation théorique et la très nette consolidation de la formation universitaire semblent révélatrices. Si, en tant que champs d’activités et de pratiques, le tourisme réunit un nombre grandissant de disciplines, il donne lui­même lieu à des questionnements spécifiques, qui l’isolent et le définissent, peu à peu, comme un domaine du savoir à part entière.

Derrière son titre peut­être un peu présomptueux, qui aurait pu tout aussi bien s’écrire « Pour une épistémologie des études touristiques », cet ouvrage poursuit un but similaire à celui de l’excellent Qualitative Research in Tourism. Ontologies, Epistemologies and Methodologies de Phillimore et Goodson (2004). Il veut permettre à tout un chacun de réfléchir aux enjeux épistémologiques du savoir et du savoir­faire en tourisme en donnant en partage les démarches de scientifiques et leurs approches de ce domaine et de ses objets. Il s’agit en quelque sorte d’un tome premier de collections de démarches et d’approches appelées à se multiplier ; il n’entretient donc aucune autre prétention que celle de donner un aperçu, et certainement pas de parvenir à l’exhaustivité.

Plus simplement, cet ouvrage vise à explorer et à approfondir les champs de connaissance et de pratique qui sous­tendent la planification stratégique et intégrée du tourisme : c’est ce que nous désignons par la locution études touristiques. Il propose donc un survol de travaux scien­tifiques relatifs au tourisme, depuis une trentaine d’années, et des prin­cipales problématiques abordées selon des disciplines et des contextes sociopolitiques. Il s’agit, en d’autres mots, de considérer la pluralité des angles de vue requis par l’analyse du phénomène touristique et de ses incidences, en postulant que les savoirs et les savoir­faire en tourisme soient réciproquement tributaires les uns des autres.

Pourquoi une éPistémologie des études touristiques (bis ) ?

J’ai entrepris de réfléchir à cette question des études touristiques à l’occasion de la révision d’un programme universitaire de deuxième cycle dans le domaine (Morisset, 2008). S’opposaient alors, s’il est possible de les qua­lifier ainsi, deux philosophies de la recherche en tourisme : l’une ciblait le développement industriel, notamment par l’entremise de principes et de techniques de gestion, l’autre s’interrogeait sur les mécanismes et les effets en aval et en amont du tourisme, tels les comportements, les pro­cessus historiques ou la valorisation des territoires. D’autres que moi obser­vaient cette dichotomie : Ritchie, Burns et Palmer, par exemple, avaient

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X Épistémologie des études touristiques

ainsi qualifié la bipolar position du domaine, « whether viewed as a business / industry to be predicted, managed and controlled, or as a social / cultural phe-nomenon capable of illuminating aspects of the modern condition » (2005, p. 3).

Cet ouvrage adopte manifestement cette dernière voie, sans pour autant négliger les objectifs qui animent la première. Il épouse aussi une posture résolument interprétative et non positiviste. Voyons comment et, surtout, pourquoi.

Précisons d’abord que, pour exposer le motif de cette Épistémologie des études touristiques sur l’arrière­plan de l’état de la production des savoirs, ce texte­ci se pense principalement en français, et pour beaucoup depuis le Québec. Historiquement, il faut le dire, le tourisme domine de nombreux secteurs de gouvernance de cette province canadienne, alors qu’ailleurs – en France et aux États­Unis, par exemple – il est longtemps resté l’apanage des Tourings Clubs et autres clubs automobiles. Rappelons, par exemple, que la première loi effective en matière de protection du patrimoine, au Québec, était une loi… sur le tourisme, adoptée en 1935. Poids lourd de l’économie et de l’essor de la modernité québécoise, le tourisme reste aussi considéré, au Québec, mais aussi dans la plupart des sociétés postindustrielles, comme une « industrie de remplacement » pour les nombreuses régions que la « grande industrie » n’électrise plus. Cette particularité, qui fait du tourisme au Québec un enjeu multifacetté de l’administration publique, et de celle­ci un acteur prépondérant, dessine aussi un terreau de réflexion non exclusif, mais néanmoins spécifique, surtout lorsque l’on adopte l’idée selon laquelle le Québec se distinguerait sur la scène nord­américaine pour avoir « su, jusqu’à maintenant, concilier et intégrer le développement économique avec le développement social et culturel » (Mintzberg, 2007). Bref, si c’est l’un des a priori de cette entreprise d’épis­témologie que de considérer le tourisme comme une manifestation irré­ductible à des schémas explicatifs transnationaux, il est aussi plausible qu’un regard projeté depuis le Québec facilite une considération du tou­risme, en deçà du portrait statistique, comme un phénomène complexe, culturellement et historiquement façonné.

Toutefois, quelle que soit la perspective adoptée, le tourisme est important : voilà ce qui a tout l’air d’une lapalissade. L’importance du tourisme semble si manifeste que le seul argument de retombées écono­miques directes, bien que de plus en plus réexaminé, suffit souvent à justifier l’investissement public, tant dans des projets de développement ou dans la mise en place de structures organisationnelles que dans le soutien à la recherche ou à la formation. « Tourism », rappelle le professeur étasunien Dan Shilling, « is often caught in the “economic development” box » (2006). Geôle ou tremplin, cette « boîte économique » génère une pléthore de chiffres plus envoûtants les uns que les autres. On signale que l’activité touristique mondiale comptera prochainement un milliard de voyages

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Avant-propos XI

internationaux1 ; des compagnies aériennes annoncent un profit net de plus de 5 milliards de dollars ; première industrie à l’échelle mondiale, le tourisme, comme le veulent aussi les chiffres les plus couramment gal­vaudés, contribuerait à 12 % du produit intérieur brut mondial et générerait plus de 200 millions d’emplois à l’échelle de la planète. La France se targue du premier rang au classement du nombre « d’arrivées » de « touristes internationaux » (principalement, tel qu’on l’a constaté, en provenance des pays voisins), mais aussi de recettes de plus de 35 milliards d’euros (DGCIS, 2010, p. 1). Au Canada, le tourisme a apporté, en 2009, 19,2 mil­liards de dollars aux coffres des trois paliers de gouvernement (Statistique Canada, 2010). La part du tourisme dans le PIB du Québec atteint 2,5 %, ce qui en fait le deuxième secteur économique en importance, derrière le commerce de détail (auquel il n’est au demeurant, comme à bien d’autres secteurs, pas étranger) et devant plusieurs secteurs importants du déve­loppement régional (agriculture, foresterie, extraction minière, fabrication de produits en bois, fabrication de papier) (CQRHT, 2004, p. 15). Toutes statistiques qui révèlent un appareil de recherche en ébullition. Important, le tourisme est en effet certainement une excellente « affaire ». Mais peut­il être autre chose tout à la fois ?

un arbre qui cache la forêt ?En 2005, le gouvernement du Québec a réitéré l’importance, pour le déve­loppement touristique, de « décisions basées sur un réseau permanent et performant de connaissance et de recherche » (Lavigne et Couture, 2005, p. 21). Il n’est pas seul ; aux quatre coins de la planète, tous appellent à la découverte de nouveaux savoirs. Nous pourrions même affirmer que c’est précisément la mise en tension du local et du mondial qui, autour du tourisme, a régénéré la recherche dans le domaine. Si nous pouvons admettre sans le questionner pour l’instant le postulat du « développement touristique », il semble donc pour le moins étonnant que d’aucuns conti­nuent de dénoncer la mécanique réactive de ce développement ; voyons brièvement comment il conditionne une certaine conception de la production des savoirs.

Depuis les années 1990, la multiplication effrénée des organismes voués à la production de savoirs en tourisme sur les scènes nationales et internationale n’a en effet pas dévié des pratiques antérieures de recherche, c’est­à­dire qu’elle s’est concentrée autour de la production d’informations dites « stratégiques » pour l’industrie, alignée sur les organismes locaux, nationaux ou internationaux voués au développement économique et au

1. Elle frôle ce chiffre depuis quelques années ; en 2011, le nombre d’arrivées de touristes internationaux a été quantifié à 980 millions (OMT, 2012, p. A3).

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Extrait de la publication

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XII Épistémologie des études touristiques

commerce. En témoigne, par exemple, le Comité de tourisme de l’Orga­nisation de coopération et de développement économiques, ainsi que le Canadian Tourism Research Institute, au sein du Conference Board of Canada. De telles motivations animent aussi l’Organisation mondiale du tourisme / World Tourism Organization, agence de l’Organisation des Nations Unies vouée à la discussion sur les politiques nationales de ses membres et à la diffusion de l’information pratique sur l’état et les problèmes du tourisme dans le monde. Le catalogue de l’Organisation mondiale du tourisme présente plus d’une centaine de publications de l’organisation, pour l’essentiel éditées depuis 2000 (aucune n’est antérieure à 1996) ; outre divers « portraits » et recensements de politiques, ces recherches publiées couvrent notamment l’éducation, le développement durable, la qualité, le financement, les tendances des marchés, le marketing et les systèmes de statistiques.

Cette orientation fait écho à celle des organismes gouvernementaux qui prennent plus ou moins en charge la promotion de l’activité touris­tique et la production de données pour ce qui est considéré, dans cet ordre d’intervention, comme un secteur de l’économie. Articulée par ces pers­pectives économiques, la gouvernance varie selon la structure géopolitique des États, allant de supranationale (la Commission européenne du tou­risme / European Travel Commission) à infranationale (le Maine Office of Tourism, par exemple, logé au Department of Economic and Community Development de cet État). Au Québec, la recherche gouvernementale dans le domaine du tourisme se trouve à l’enseigne de deux organismes : l’un, provincial, Tourisme Québec, l’autre fédéral, la Commission canadienne du tourisme / Canadian Tourism Commission, dite « organisme de mar­keting national ». À l’instar de l’Organisation mondiale du tourisme et de ses cousines d’autres pays, la Commission canadienne du tourisme main­tient elle­même des statistiques sur le tourisme au Canada et offre à l’indus­trie diverses analyses quantitatives et qualitatives sur le marché et sur les tendances par le biais, notamment, de brefs bulletins électroniques. Com­parés et échangés entre leurs producteurs locaux et les métadonnées mon­dialisées, ces corps d’informations participent d’une logique d’interlocution descendante (top-down) de plus en plus évidente.

La recherche statistique et prospective domine aussi les préoccu­pations d’autres organismes internationaux ou nationaux, dont divers réseaux, systèmes de veille et centres universitaires ou parauniversitaires de plus en plus nombreux, parmi lesquels certains s’imposent même doré­navant à titre d’agents de liaison entre les organismes locaux et les orga­nismes mondiaux. À Montréal, par exemple, le Centre mondial d’excellence des destinations a été créé en 2007 pour être à la fois une tête de pont de l’Organisation mondiale du tourisme et une créature de Tourisme Montréal, dévolue à mettre en place, notamment, des « outils de gestion ou de

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Extrait de la publication

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Avant-propos XIII

marketing » et de la « veille stratégique ». Sont aussi voués à la recherche statistique et prospective de nombreux groupements de professionnels ou d’intérêt, telles l’International Federation for Information Technologies and Travel & Tourism, la Professional Marketing Research Society ou la Travel and Tourism Research Association, dite « International Association of Travel Research and Marketing Professionals », qui regroupe quelque 800 membres (organisations, chercheurs, professionnels et étudiants confondus), etc.

Il ressort de ce tableau que nous disposons aujourd’hui d’une quantité phénoménale de données sur l’activité touristique. S’il ne suffisait pas d’imaginer le corpus d’études publiées par tous ces organismes qui balisent une internationalisation certaine de la recherche appliquée et de la concep­tion du tourisme, nous pourrions aussi considérer leur propagation au sein d’un seul ministère québécois, celui du tourisme en l’occurrence, lequel, outre divers documents statistiques et des plans annuels de mar­keting, publie mensuellement ou trimestriellement un magazine et deux bulletins. La principale qualité de « l’information stratégique » est en effet de pouvoir être consommée au moment même de sa production. Mais sa fatalité épistémologique de procéder par agglomération d’un maximum de données tend à un certain colonialisme, puisque la mesure comparative internationalisée requiert non pas que l’on débusque quelque effet local, mais que l’on observe de même façon avec les mêmes questions partout.

Par ailleurs, ce bref portrait révèle que l’ensemble de ces acteurs gouvernementaux, paragouvernementaux et privés responsables de la part du lion de la recherche considèrent le tourisme comme un secteur indus­triel dans lequel ils interviennent et dont ils soutiennent l’essor. De plus en plus en porte­à­faux entre la scène locale où se manifeste la gouvernance du développement touristique et la scène internationale dont elle recense les acteurs, les politiques ou les cours monétaires, la recherche fait ainsi une large place à des constats descriptifs. En d’autres mots, la capacité accrue de produire de « l’information stratégique », décuplée à l’échelle de la planète, a aussi pour corollaire de masquer les dimensions interprétatives des savoirs au profit d’une accumulation de données positives vouées à orienter la réaction, dans un cadre pragmatique commandé par le réseau­tage de l’industrie rendu nécessaire par l’accroissement des échanges que l’activité touristique supporte et domine.

Car s’il est incontestable que les retombées économiques du tourisme comptent parmi les facteurs favorables à l’essor des études dans le domaine, il faut aller sous la surface quantitative pour mieux saisir les enjeux par­ticuliers, locaux, changeants, inédits qui, d’ailleurs, motivent une part croissante de la bibliographie, celle­là plus usuellement qualifiée sous le titre de la « recherche fondamentale ». C’est que le tourisme représente aussi des défis sociopolitiques à la mesure de l’importance de ses retombées

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XIV Épistémologie des études touristiques

et des mouvements de population qu’il suscite. Source d’épanouissement et de diversification économique, il est aussi un important levier de déve­loppement culturel ; au­delà du fameux « paradoxe touristique » voulant – à tort – que le tourisme se détruise lui­même, on peine à imaginer l’ampleur de ses impacts, positifs ou négatifs, sur les populations et les environne­ments qui sont intrinsèquement liés à son propre développement. Cela, d’autant plus que ce phénomène outrepasse les strictes activités des inter­venants qui y œuvrent, et que, de surcroît, il conjugue la scène locale, où il se manifeste, et la scène internationale, où il prend forme et où on persiste à le mesurer.

une Vision intégrée ? le tourisme comme ProjetCe n’est donc pas le projet d’une épistémologie des études touristiques qui devrait étonner, mais le fait qu’il n’existe pas encore, plus encore dans cette contrée, le Québec, qui se targuait, dès les années 1930, d’être la sixième destination mondiale, et où le tourisme, dès 1925, valait pour le gouvernement dix fois ce que rapportait l’exploitation des forêts (Morisset, 2007).

Tandis que l’augmentation des recherches trahit une réelle atomisa­tion des compétences et des connaissances, la nécessité s’avère de plus en plus criante de réinventer et de bonifier les pratiques en tourisme, eu égard d’une part aux enjeux politiques, économiques, sociaux et culturels que cette activité humaine et sa croissance soulèvent. Pourtant, si le domaine a la particularité que l’on puisse travailler sur le tourisme, au titre d’objet d’études, et dans le tourisme, en tant que secteur d’intervention, force est de constater que cette seconde orientation a dominé les réflexions jusqu’ici, en liant conséquemment, comme nous le verrons, le développement tou­ristique à la formation de la main­d’œuvre, assez loin donc, des préoccu­pations méthodologiques qui taraudent la science. Mais peut­on, compte tenu précisément de l’intrusion massive du tourisme dans tant de sphères de la société, dissocier encore longtemps ainsi les savoir­faire et les savoirs tout en asservissant les uns et les autres à des états préexistants ? Même la « boîte économique » infirme le vieil adage ; le passé n’est plus le garant de demain. Penser le tourisme aujourd’hui, que nous travaillions dans ou sur, implique donc de s’affranchir des techniques et de la reproduction de recettes, aussi sophistiquées soient­elles, et de rapatrier la réflexion autour d’une vision articulée, tendue vers un état qui n’existe pas encore, qui engendre une forme de culture commune du développement du tourisme, génère et transmette un cadre de référence sur la spécificité du domaine du savoir et suscite l’avancement et la diversification de savoir­faire arrimés aux besoins diversifiés des milieux de science ou d’intervention.

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Avant-propos XV

L’objectif de cet ouvrage repose sur l’hypothèse voulant que nous ne puissions plus concevoir en vases clos le travail sur le tourisme et le travail dans le tourisme, tant est manifeste le besoin de cadres explicatifs transdis­ciplinaires et transversaux face à un phénomène en accélération et en chan­gement constant. Pendant que la prépondérance croissante et le rôle structurant du tourisme à divers niveaux de la société et de l’économie ont propulsé le fait lui­même et ses nombreux enjeux vers l’avant­plan de la scène scientifique, la quête de nouveaux savoirs sur le tourisme a d’ailleurs, comme en témoignent les publications récentes, considérablement bénéficié de croisements disciplinaires. À l’heure, ainsi, où la complexité et la varia­bilité des phénomènes humains recentrent la production de savoirs et de savoir­faire autour d’objets, et tout en reconnaissant que le monde réel ne se divise pas en disciplines, cet ouvrage prétend pourtant à un certain décou­page, entre des visions du monde et les éventails de méthodes qu’elles convoquent. Les textes qu’il rassemble pourraient permettre de faire un choix entre telle ou telle approche ; mais ils pourraient aussi favoriser des hybridations et des métissages. Il s’agit avant tout d’apprendre à diversifier les stratégies d’investigation pour saisir le tourisme et ses ampleurs : comprendre de nombreux aspects de la vie moderne et du développement sociétal et de pair savoir gérer, promouvoir et développer le tourisme dans un monde où continuent de s’accroître les échanges économiques et culturels.

Sans conclure à un véritable changement de paradigme, Pritchard et Morgan ont observé, particulièrement chez les « second-generation tourism scholars », une nouvelle façon de penser la science au sein de la société, qui forcément intègre le tourisme parmi ses objets. Pour ces chercheurs et intervenants de « second-generation scholarship […], work is guided by the search for intellectual enrichment, social justice, and social equity » (2007, p. 21). Semblablement, tant le travail sur le tourisme que le travail dans le tourisme doivent dorénavant être étayés par une documentation scien­tifique, une recherche et un questionnement articulés. C’est donc aussi un peu l’ambition de cet ouvrage que de participer à la réunion du tou­risme en tant que secteur industriel et du tourisme en tant que domaine, le développement du premier étant dorénavant redevable à une réflexion dynamique et multisectorielle sur le deuxième.

au-delà de la « biPolarité ». tourisme (industrie) et tourisme (saVoir) : un même combat

Réunir ainsi le secteur industriel et le domaine du savoir implique sans doute de reconsidérer la « boîte économique », surtout lorsque le tourisme s’y trouve confiné à un « marché de l’emploi » plus ou moins déterminé, mais surtout riche en statistiques et en indicateurs. En effet, tel que nous

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XVI Épistémologie des études touristiques

l’avons proposé, l’une des caractéristiques du tourisme, et non la moindre, est d’être à la fois un objet de recherche, un champ de recherche et une industrie. On peut donc travailler dans le tourisme et travailler sur le tourisme, comme nous l’avons aussi mentionné. C’est dire que le travail en tourisme peut désigner l’intervention directe (restauration, hôtellerie, accueil, etc.), généralement gouvernée sous des principes de gestion, mais aussi, sur le plan de la recherche, le développement de produits (ou la valorisation de ressources), ainsi que la réflexion en matière d’enjeux sociaux, économiques, politiques ou culturels du développement touris­tique. Or, la « boîte économique » ne retient guère que le premier de ces éléments, à la faveur du formidable essor des écoles de gestion et mana-gement schools aux quatre coins de la planète, que le professeur britannique Tony Seaton (1991, p. 429) a décrit comme une gestionnarisation croissante, au détriment de l’approche des humanities ; il est vrai que la « gestion » représente un courant relativement nouveau dans le monde de la science, le substantif « gestionnaire » n’étant lui­même survenu dans notre langue qu’à la fin des années 1960 (il désignait surtout jusque­là l’officier ou le sous­officier chargé de quelque service, tel le ravitaillement, d’un établis­sement militaire). Ainsi le tourisme a­t­il été de plus en plus constitué en tant qu’un champ d’application des savoirs en gestion et, conséquemment, en tant qu’une industrie de services dont le développement doit être soutenu par l’encadrement et le perfectionnement de ces services, mesurés sur le terrain en nombre d’emplois.

Dans un rapport de 2011, un comité mis sur pied par le ministère du Tourisme du Québec afin de parer aux défis nouveaux de l’industrie touristique et de « positionner le tourisme comme moteur de développe­ment économique […] dans une perspective d’accroissement des recettes touristiques et de développement régional » a livré à cet effet un diagnostic caractéristique, voulant que « le management du tourisme au Québec » doive être revu, les « actions marketing sur les marchés hors Québec », unifiées, les investissements publics, concertés et les « compétences des gestionnaires et des ressources humaines », renforcées (Comité performance de l’industrie touristique, 2011, p. 14). Pareillement, en 2005, la Politique touristique du Québec, dévolue comme la plupart de ses comparables des quatre coins du monde au « positionnement de l’offre », ciblait principa­lement la « promotion innovante des destinations », la « conception d’expé­riences touristiques […] en fonction des marchés porteurs » et la « qualification et l’organisation des ressources humaines » (Lavigne et Couture, 2005, passim). De même, en 2004, le Conseil québécois des ressources humaines en tourisme, né dans la foulée du Conseil canadien des ressources humaines en tourisme, situait au premier plan de ses préoccupations, les « exigences élevées au niveau de la tâche et des compétences, mais les déficiences de l’encadrement » (CQRHT, 2004, p. 8). Devons­nous pour autant conclure

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Avant-propos XVII

que le devenir du tourisme repose d’abord et avant tout sur l’acquisition de compétences en matière de promotion ou de gestion des ressources humaines, par exemple ?

Et si, comme l’observent Tribe et Airey, le « business of tourism » semble de plus en plus « overrun by more social and cultural studies », se pourrait­il que cette conception de l’industrie masque en fait des pans entiers du tourisme et de ses enjeux de développement ? En d’autres mots, est­il possible, dans l’économie du savoir tel que certains aiment l’appeler, que la fortune du tourisme repose sur des facteurs inconsidérés dans l’industrie de services ?

Certes, l’amélioration globale des infrastructures de services survenue depuis les années 1960 a soutenu, à tout le moins, la croissance observée encore aujourd’hui. Mais si les tendances actuelles confirment les préoc­cupations d’ordre socioéconomique énoncées dans les années 1990, est­il possible que de nouvelles considérations, eu égard par exemple à de nou­veaux rapports entre l’humain et son environnement (dans le travail comme dans les loisirs) modifient les perspectives du tourisme ou les moyens de soutenir, d’accompagner, voire d’accroître son essor ? De même que l’évoquent Pritchard et Morgan, il est possible que la diffusion, dans la société civile, des hypothèses de la philosophie critique et des approches poststructuralistes transforment la façon même dont l’humain conçoit la production de biens et le sens des choses ; changeraient, en d’autres mots, notre capacité de rendre signifiant un lieu, un environnement et, partant, à le concevoir comme « touristique ». Plus concrètement, cela implique que la consolidation des services touristiques ne soit plus la seule clé de voûte de la croissance de l’économie touristique et, plus encore que le développement social, culturel et économique des populations, s’il reste plus que jamais lié au tourisme, dévoile précisément au sein ou en marge de l’industrie touristique et de son « développement » des champs d’inno­vation et d’expertise peu ou pas balisés par les études touristiques actuelles. Bref, de même qu’une épistémologie appelle à une conceptualisation du  domaine du savoir, la réconciliation de celui­ci avec la conception industrielle du tourisme requiert aussi une redéfinition de l’industrie.

rePenser le tourisme Par-delà les serVicesVoyons d’abord plus précisément comment se conçoit ordinairement l’industrie touristique et quels sont les savoirs que le portrait qu’elle rend appelle. On apprend ainsi que le Canada doit « au tourisme […] le plus grand nombre de nouveaux emplois » (CQRHT, 2004, p. 15) ; au Québec, ce sont quelques 25 000 entreprises qui sont répertoriées pour être engagées dans cette activité, par le biais de services allant de l’hébergement et de

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XVIII Épistémologie des études touristiques

la restauration au transport, en passant par les divertissements et les loisirs. Ces entreprises sont créditées de l’emploi de près de 10 % des personnes occupées dans la province (Zins Beauchesne, 2010, p. 6). Le « portrait de l’industrie touristique » au Québec note aussi que la croissance de l’emploi dans les secteurs associés au tourisme pourrait être supérieure à celle de l’ensemble de l’économie. Si l’on fait valoir cette interrelation entre l’emploi et le tourisme, c’est, il faut le dire, parce que le tourisme est, sous cet angle, un important facteur de développement local : l’Institut de la statistique du Québec, par exemple, indique que l’industrie touristique est le deuxième plus important créateur d’emplois, immédiatement après le secteur de la construction. Le tourisme s’avère ainsi un levier de choix pour plusieurs régions, qui y trouvent les moyens de diversifier leur éco­nomie ; en bref, le tourisme est crédité de « créer de la richesse », et ce, à  travers plus de 200 secteurs d’activité économique, particulièrement, semble­t­il, dans les secteurs associés aux services. En effet, la valeur ajoutée générée par le tourisme est généralement mesurée dans les emplois de service, ce qui concorde avec les descripteurs usuels de l’industrie touris­tique : elle serait principalement constituée de services de restauration, de services d’hébergement, de services reliés aux loisirs et aux spectacles, de services de transport et de services de préparation de voyage.

Comment se conjuguent ces constituantes et la production du savoir ? Selon les organismes et les nomenclatures2, une dizaine de professions associées au tourisme requièrent une formation universitaire. La plupart désignent des postes de direction ; la proportion de cadres dépasserait les 11 % des emplois en tourisme (Jolin, 1993, p. IV), à tout le moins tels qu’ils sont répertoriés actuellement. Ces emplois requièrent, tel que prévu, quelque spécialisation en gestion, mais guère en tourisme ou dans d’autres domaines ; d’ailleurs, les fonctions inventoriées par la Classification natio­nale des professions, pour prendre cet exemple, excluent le travail d’ini­tiative ou de direction dans les domaines du patrimoine, de l’agrotourisme, des spectacles, etc. Il faut aussi signaler que le niveau de scolarité des emplois en tourisme est inférieur à la moyenne nationale : au Québec, 60 % des employés recensés en tourisme n’ont aucun diplôme ou simple­ment un certificat d’études secondaires. Par surcroît, tandis qu’un Québécois sur cinq a un diplôme de premier cycle ou de deuxième cycle universitaire, cette proportion chute, chez les travailleurs du tourisme, à 9 % de diplômés du premier cycle. Seulement 2 % des employés en tourisme détiennent un diplôme de deuxième ou de troisième cycle universitaire (CQRHT, 2004, p. 37­38). Les relations entre l’industrie touristique ainsi dépeinte et le développement du savoir semblent donc pour le moins ténues.

2. Nous nous référons principalement ici au Conseil québécois des ressources humaines en tourisme et à la Classification nationale des professions.

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Avant-propos XIX

Il est vrai que la formation de « gestionnaires » au premier ou deuxième cycle de l’université ne s’est substituée que très récemment au cumul d’expérience et à une forme organique de progression verticale au sein d’une entreprise qui voyait l’expérience et les réalisations convertir peu à peu un employé moins spécialisé en dirigeant. Il est à cet égard révélateur que, parmi « 111 emplois d’avenir » au Québec identifiés dans le cadre d’une enquête de L’Actualité en 2007, aucun des 14 postes de directeur ou de gestionnaire ne requérait une quelconque formation universitaire, voire collégiale ou secondaire (Chrétien, 2007)3. Nous pouvons donc penser que, même dans les nomenclatures actuelles, le nombre de travailleurs du tourisme détenteurs d’un diplôme universitaire se généralisera à la longue. Pour autant, l’équation n’est pas nécessairement équilibrée entre cette spécialisation, l’accroissement de la qualité générale des services, la création globale de richesse au Québec, la prodigalité des milieux d’emplois iden­tifiés dans les services en tourisme et l’élaboration du savoir, puisque, selon toute apparence, concevoir le tourisme telle une industrie de services revient à en faire un champ d’application de savoirs exogènes, en gestion des services par exemple.

Il s’agit pourtant du même tourisme que celui qui contribue à la création de la richesse et celui qui nourrit le savoir. La vision de l’industrie touristique constituée par les données courantes serait­elle forclose de réalités ou d’éventuels domaines d’exercice qu’il resterait à identifier ? Il semble en effet que des défis spécifiques du développement de l’industrie touristique appellent précisément à des contributions autres que celles que désigne la gestion des services touristiques. Il apparaît aussi que le tableau rendu par cette conception d’une industrie de services et son évolution, particulièrement au Québec, rendent une image fragmentaire de ce que peut être un savoir ou un savoir­faire en tourisme.

3. Les postes identifiés et correspondant à un « niveau d’études requis peu détermi­nant » sont : directeur financier ; directeur des ressources humaines ; directeur des achats ; directeur des assurances, de l’immobilier et du courtage financier ; directeur de banque, du crédit et d’autres services de placements ; directeur des services de génie ; directeur des services d’architecture et de sciences ; directeur des soins de santé ; directeur des services sociaux, communautaires et correctionnels ; directeur des ventes, du marketing et de la publicité ; directeur (commerce de détail) ; ges­tionnaire de systèmes informatiques ; gestionnaire de la fonction publique (analyste économique, élaboration de politiques et de programmes) ; gestionnaire de la fonction publique (élaboration de politiques et administration de programmes d’enseignement) (Chrétien, 2007, passim). Voir aussi Mintzberg (2005).

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XX Épistémologie des études touristiques

informer ou saVoirDe même que le tourisme, en tant qu’un objet de science, peut établir une intersection entre plusieurs disciplines et, de là, générer ses propres questionnements, il n’est pas impensable qu’un domaine qui s’esquisse permette à la fois de contribuer à l’énoncé de tels questionnements et d’acquérir des savoirs de nature à orienter ou à particulariser un cadre d’exercice professionnel. Il est même possible que l’un de ces aspects aille de pair avec l’autre, particulièrement si le tourisme est considéré en tant qu’un projet. Au Québec, où le tourisme est historiquement un enjeu de développement et de gouvernance (bien qu’il ait à cet égard perdu un peu de terrain ces dernières décennies), c’est d’ailleurs sous cet angle, en consti­tuant une industrie de ressources, que le tourisme a, originellement, pénétré l’administration publique.

Traditionnellement, en effet, le tourisme incombe pour partie aux organismes publics. Ceux­ci justifient leur intervention dans ce domaine du fait du développement socioéconomique corollaire. De plus en plus, on argue aussi la « fragilité » particulière de l’industrie touristique, d’une part parce que celle­ci est soumise à des situations politiques instables, aux fluctuations du taux de change, au climat et autres « impondérables », d’autre part parce qu’elle assujettit les communautés d’accueil et le pays hôte dans son ensemble à des changements éventuellement importants, tant en ce qui concerne les pratiques culturelles que les écosystèmes natu­rels. Au Québec, cette intervention de l’État s’est fait sentir dès les années 1920, alors que le développement des infrastructures de transport, et plus particulièrement des routes, était essentiel à l’épanouissement du tourisme ; ainsi logé au Service de la voirie, le Bureau du tourisme a ensuite, comme dans d’autres pays (l’Italie d’aujourd’hui, par exemple), été placé directe­ment, en raison du caractère multisectoriel des décisions requises, sous la compétence du premier ministre – Maurice Duplessis –, pour ensuite rega­gner progressivement une certaine autonomie, à compter de 1937, par le biais de l’Office du tourisme et de la publicité (dont le rôle allait jusqu’à la réalisation de films et à la publication de concours d’architecture), mis sous la responsabilité du ministère des Affaires municipales, créé en 1935, puis du ministère de l’Industrie et du Commerce, à compter de 1943. Le tourisme a acquis une autonomie de gouvernance nouvelle lors de la création d’un ministère du Tourisme, à compter de 1961 ; c’est ce secteur gouvernemental qui a été déménagé au sein du ministère de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, dont il est devenu, sous le titre de Tourisme Québec, une unité autonome de service en 1996. En 2003, le ministère de l’Industrie, de concert avec Tourisme Québec, ainsi que le ministère de la Science, de la Recherche et de la Technologie et le ministère des Régions (créés en 1998), ont été fusionnés au sein d’un nouveau ministère du Développement économique et régional et de la

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Avant-propos XXI

Recherche, fractionné quant à lui en 2005, de sorte que le tourisme a regagné une gouvernance autonome, à vocation élargie, du fait de la Loi sur le ministère du Tourisme, sanctionnée le 13 décembre 2005. Toutes ces structures publiques ont, au fil du temps, au Québec, assumé un rôle prédominant, d’abord dans la promotion, ensuite dans la production d’information stratégique à destination de l’industrie. Sur ces bases s’est ainsi forgée, comme ailleurs, la conception dominante du tourisme en tant que secteur économique, partant, comme nous l’avons vu, en tant qu’une industrie de services quantifiables, conséquemment tel un creuset d’informations et d’instructions positives plus ou moins méprisé par les institutions du savoir.

Incité par diverses restrictions économiques (Jolin, 2000), le partage croissant des responsabilités entre le secteur public et le secteur privé survenu ces dernières années n’a rien fait pour changer cette perception. La politique du ministère québécois du Tourisme, « un nouveau partenariat industrie­gouvernement » (Lavigne et Couture, 2005, p. 7), va clairement dans ce sens, ainsi qu’une part importante de publications récentes de l’Organisation mondiale du tourisme4. Au Québec, cette situation a aussi engendré les « assises du tourisme », tenues pour la première fois en 2005 à l’enseigne de la « complicité et du partenariat » ; la Corporation de l’indus­trie touristique du Québec, que nous avons mentionnée ; le Conseil des partenaires de l’industrie touristique, « créé en vue d’assurer la représen­tation des intérêts privés et publics, sectoriels et territoriaux au sein de la gouvernance de l’industrie touristique » ; etc. Pour autant, les partenariats réels sont rares et maintiennent le gouvernement, à tout le moins au Québec, dans un rôle d’acteur direct plutôt qu’entremetteur du tourisme. Cela lui réserve aussi une large part de la production du savoir, d’autant que des partenariats entre les universités et l’industrie tels que ceux des Conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) en France restent, de ce côté de l’Atlantique, l’exception.

Il n’est donc pas surprenant qu’une portion importante du savoir circulant consiste, comme nous l’avons vu, d’information stratégique. Il faut ajouter, pour saisir mieux la stagnation des questionnements et, consé­quemment, une certaine immuabilité de la nature des savoirs ou à tout le moins la réputation de l’industrie d’être dépourvue d’anticipation, que l’atomisation de l’entrepreneuriat, au Québec, se poursuit indépendamment de la taille des projets touristiques entrepris. En d’autres mots, de « petits » planificateurs ou professionnels, dans de petites et moyennes entreprises

4. Vers de nouvelles formes de partenariats public­privé (1997), La coopération entre les secteurs public et privés (2001), Coopération et partenariats en tourisme : une perspective mondiale (2003).

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XXII Épistémologie des études touristiques

chapeautées par divers partenariats, assument des réalisations de plus en plus importantes qui laissent peu de marge à la réflexivité. Cela reporte à nouveau sur l’État la responsabilité d’outrepasser le corpus des savoirs existants, tandis que les techniques de prospective qui, tel que nous l’avons vu, dominent l’éventail des recherches gouvernementales tendent plutôt à consolider une mécanique de réaction en postulant naturellement une situation de départ fondée sur les données connues, donc passées.

Tentons donc un parallèle. Le rapport ambivalent entre l’État et l’industrie touristique a, de tout temps, fait de celle­ci l’un des champs de bataille privilégiés des réorganisations des administrations publiques. Aussi le tourisme reste­t­il un secteur de choix, tant pour l’exercice en admi­nistration des affaires et en gestion que pour la recherche sur la gouver­nance. Toutefois, cette particularité, si elle est bien typique du tourisme, commande­t­elle, plutôt le regard de l’administrateur, plutôt celui du spécialiste en tourisme ou ceux de l’un et de l’autre ? Autrement dit, cette caractéristique de l’industrie touristique, d’être traditionnellement prise en charge par le secteur public et de plus en plus partagée entre le secteur public et le secteur privé, appelle­t­elle un savoir spécifique, produit dans des conditions de la mécanique active­prospective­réactive ? Serait­ce là le chantier des études touristiques ?

une industrie de ressourcesLes considérations qui précèdent sur la conception du tourisme en tant qu’une industrie de services et sur la teneur du savoir qu’elle sous­tend incitent à regarder sous la « boîte économique ». Penser le tourisme tel un levier économique ou tel un atout du développement régional, s’il ne s’agissait que de ça, suffit à rappeler que le tourisme, en sus de relever de problématiques traditionnelles de gestion (des services), concerne aussi, par exemple, la planification territoriale et l’aménagement, ainsi que les domaines corollaires de préservation, de valorisation patrimoniale qui sont encadrés par ces mêmes structures. Bref, l’industrie touristique est aussi une industrie de ressources (resource-based industry) : elle a pour par­ticularité de se situer entre, en amont, une ressource (naturelle ou culturelle, par exemple) et, en aval, les moyens de l’exploiter. Les savoirs et les savoir­faire qu’elle appelle tiennent tant de la caractérisation de la ressource et de la planification de son exploitation que de la gestion de ce développe­ment par l’encadrement des infrastructures et des services mis en place pour ce faire. En d’autres mots, seulement à titre d’industrie, le tourisme a pour particularité de convoquer plusieurs travailleurs et penseurs diffé­rents à la table de son développement. Mais il est de plus en plus visible que tous, notamment dans le Québec du xxie siècle, doivent partager un  certain nombre de savoirs et de savoir­faire transdisciplinaires et

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Avant-propos XXIII

trans sectoriels. Là se trouve sans doute, par­delà la gestion des services et l’information stratégique, le foyer d’une réponse dynamique aux défis de l’industrie, portée par un redéploiement des savoirs.

Plusieurs recherches récentes démontrent en effet que l’attractivité touristique, qui typiquement prête flan à des diagnostics généralement inchangés depuis au moins l’entre­deux­guerres (tels les enjeux du taux de change, de la saisonnalité, etc.), est moins assujettie à la qualité des services qu’à celle de l’offre globale. Ainsi que la littérature grandissante sur les interrelations entre le tourisme et la culture, plusieurs colloques ont récemment mis en exergue les enjeux du tourisme dit « culturel et patrimonial » et fait ressortir à cet égard des défis moins méconnus de la valorisation touristique5 et des enjeux moins discutés de l’industrie, à tout le moins nord­américaine, tel le développement d’une offre d’activités riche et variée. Pareillement, après que la Politique touristique du Québec ait, en 2005, identifié parmi ses cibles prioritaires le « développement de l’offre », le Comité performance de l’industrie touristique a, en 2011, proposé de combattre la « désuétude de l’offre » pour contrer tant la baisse des investissements privés dans l’industrie que la diminution de certaines clientèles au Québec (2011, p. 14). En d’autres mots, nommément en pays industrialisé, les retombées d’un tourisme affranchi des fluctuations des taux de change reposent sur des savoirs et des savoir­faire qui vont au­delà, par exemple, des services touristiques traditionnellement considérés au chapitre de la création d’emploi. C’est ce que confirme, pour terminer avec celle­ci, l’étude Facteurs déterminants pour les visiteurs dans le choix d’une destination urbaine, réalisée en 2005 pour le compte du ministère du Tourisme et des Loisirs de l’Ontario, où l’on conclut en effet que le nombre de visiteurs en voyage d’agrément augmenterait dans les villes selon le nombre de facteurs d’attraction qui y existent déjà (Global Insight, 2005, p. 4). Puisque la création de la richesse (ainsi que les bénéfices écono­miques du tourisme) est certainement en partie tributaire de la croissance du nombre de visiteurs, la question qui se pose alors pourrait être : comment accroître, dans une ville, le nombre de facteurs d’attraction « qui y existent déjà » ? Et comment outrepasser des stratégies de marque forcément éphé­mères pour plutôt mettre à profit un tel fonds tout en pensant, à long terme, sa valorisation et son épanouissement ?

Que le tourisme soit considéré selon un point de vue historique (depuis le Grand Tour du xviiie siècle, par exemple) ou en fonction des théories qui ont cherché ces dernières années à expliquer et à densifier

5. Prenons par exemple le colloque « Culture et tourisme en ville. Une affaire de créativité », tenu en 1998 à Montréal, ou, plus récemment, le colloque « Tourisme & Divertissement : un “pas de deux” pour courtiser le visiteur », organisé en 2002 par la Chaire de tourisme Transat de l’Université du Québec à Montréal.

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XXIV Épistémologie des études touristiques

l’attractivité touristique, notamment au départ de la mise en marché (approche expérientielle, etc.), nous constatons que l’industrie de services s’est développée en aval de l’attrait, ou de l’attraction, et non en amont. Elle peut donc être causée par celle­ci, alors que la situation inverse semble rester le fait de cas d’exception (Dubaï, par exemple), rarement transpo­sables, particulièrement de ce côté­ci de l’équateur. Il existe donc un « déve­loppement de l’attraction » (appelons­le ainsi, faute de mieux) qui s’exerce plus ou moins indépendamment du « développement de services ». En d’autres mots, accroître le nombre de facteurs d’attraction implique de considérer le tourisme sous l’angle de la production de biens (ce qui inclut notamment, mais non seulement, les approches apportées par le marketing à la mise en tourisme). Une conception moins limitative du tourisme peut ainsi être cadrée par la perspective qu’offre la notion « d’industrie de res­sources » : savoir en tourisme, c’est savoir caractériser la ressource, puis savoir mettre en œuvre les moyens de l’exploiter.

Au chapitre de la « boîte économique », cela signifie qu’il convient de considérer le tourisme, en parallèle de l’industrie de services, tout comme, par exemple, l’industrie culturelle. La création de la richesse par le tourisme va alors considérablement au­delà de l’impact de l’activité touristique sur le commerce ou sur l’emploi. Le tourisme et la valorisation touristique, non plus simples activités mercantiles éventuellement géné­ratrices d’emplois, s’inscrivent ainsi parmi les enjeux plus larges de ce qui est crédité aux « choix culturels » inhérents aux projets de société. L’éco­nomiste Xavier Greffe (1990) a tout particulièrement montré, à ce chapitre, combien vastes et importantes étaient les implications économiques de ces choix culturels, qu’il loge à l’enseigne d’une économie de la culture. En marge des travaux en économie culturelle bien connus des Sassen, Florida, etc., qui ont montré comment le développement culturel (d’une ville, d’un pays) pouvait accroître les aptitudes à la création et à l’inno­vation économique, les thèses de Greffe sur l’économie de la culture montrent à quel point la mesure de l’importance économique du tourisme d’après ses seuls bienfaits dans l’industrie de services donne une lecture incomplète, précisément de cette importance économique. Avant même que l’on invoque le développement culturel ou le développement social, par exemple, l’essor du tourisme participe donc nommément des retombées économiques et financières de la caractérisation et de la valorisation des ressources mises en tourisme et des moyens mis en œuvre pour ce faire6.

6. Une part de ces retombées financières est, bien entendue, intégrée au calcul de la valeur ajoutée générée par le tourisme, notamment dans le domaine de l’hébergement, puisque ce calcul inclut les résultats de la valorisation foncière.

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Avant-propos XXV

Il ne s’agit pas de penser en vase clos le développement de la ressource (et ses implications éthiques, sociales, culturelles, environnementales, etc.), d’une part, et son exploitation, d’autre part, pas plus que d’envisager, par exemple, le développement durable indépendamment de la production de biens. En d’autres mots, le tourisme ne gagne pas à être conçu à la fois comme un ingrédient actif de première importance et comme un agent extérieur qu’il s’agit de « solliciter » (Richards et Hall, 2002). Cela est mani­feste dans tout le champ embrassé par l’objectif de positionnement inter­national des villes et des métropoles, lequel, en dehors de partenariats et de tables rondes de chambres de commerce, se déploie avec les instruments du tourisme, mais en dehors de l’expertise de ses spécialistes. N’est­ce pas sur un fond de valorisation touristique que Montréal est à la fois « capitale mondiale du livre », ville de design, métropole de la mode, etc. ? Or, quels sont les savoirs qui, au sein de l’univers touristique, ciblent l’urbanisme visuel, les stratégies de marque et autres mises en spectacle dont le tou­risme est pourtant le principal engrenage ? Le tourisme est devenu, à part entière (et de pair avec la culture et ses dérivés), une stratégie de dévelop­pement économique et urbanistique, ainsi qu’un levier de revitalisation urbaine et régionale. Cela ne peut plus être ignoré.

C’est sous cette notion de l’industrie de ressources que fut pensé ce projet­ci d’une épistémologie des études touristiques. En quelques mots encore, il s’agissait de considérer le tourisme dans toute son envergure, sous toutes ses coutures et avec toute sa puissance. Cela impliquait de recentrer l’analyse du tourisme sur le tourisme, et non sur des méthodes établies a priori, tout en outrepassant l’observation de l’existant pour ques­tionner le phénomène, ses processus sous­jacents et ses manifestations.

les études touristiques ou le tourisme comme domaine du saVoir

Si le tourisme, comme activité humaine, connaît une forte expansion sur la scène internationale, au point où un « tropisme touristique » puisse s’emparer de nombreux secteurs politiques, sociologiques, urbanistiques, etc., les discours circulants restent, comme nous l’avons vu, dominés par la production d’informations stratégiques du fait de méthodes quantitatives relativement traditionnelles. Ils sont simplement démultipliés par la crois­sance mondiale simultanée du tourisme et de la recherche réseautée. Mais ces mêmes tendances à l’internationalisation désignent de nombreux nouveaux secteurs de recherche et d’application : il ne reste qu’à en reconnaître la portée.

Le tourisme, comme enjeu de l’écosystème ou comme facteur du vivre­ensemble contemporain, a, dans la décennie qui a suivi l’adoption de la Charte sur le tourisme culturel (Icomos, 1976), connu, sur le plan

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XXVI Épistémologie des études touristiques

épistémologique, un éveil fulgurant à l’enseigne des questionnements sur l’identité et la mémoire collectives qui ont alors déferlé, particulièrement sur l’hémisphère nord. L’ouverture de nouveaux territoires à la pratique du tourisme, survenue en même temps, n’a fait qu’amplifier l’importance de cet agent tentaculaire. Sur les plans politique et économique, cet arrière­plan a sous­tendu la rédaction de la Déclaration universelle de l’Unesco sur la diversité culturelle (Unesco, 2001) comme il avait auparavant inspiré celle du Document de Nara sur l’authenticité (Unesco, 1994), pour ne nommer que cet autre manifeste archétypique des préoccupations internationales issues de la valorisation touristique des cultures locales. C’est que le « mariage d’intérêts » entre le tourisme et la culture qu’appelait l’Unesco (1999) soulève aussi des enjeux géopolitiques majeurs. En témoigne la mise en tourisme des sites du patrimoine mondial, qui constitue d’ailleurs, dorénavant, l’une des principales raisons d’être de ces véritables tatouages du monde occidental sur les pouvoirs nationaux, de plus en plus souvent reçus comme des intrusions, sinon comme des ingérences (Noppen et Morisset, 2004 ; Lazzarotti, 2001 ; Morisset et Dormaels, 2011). Le mariage, au demeurant, reste à être consommé ; c’est ainsi en parallèle des efforts de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) que l’Organisation mondiale du tourisme, elle­même « officialisée » en 19767, a conçu en 1999 un Code mondial d’éthique du tourisme. Celui­ci reconnaît, à la manière des autres chartes, que « le tou­risme représente une force vive au service de la paix ainsi qu’un facteur d’amitié et de compréhension entre les peuples du monde » et marque la volonté « de promouvoir un ordre touristique mondial, équitable, respon­sable et durable, au bénéfice partagé de tous les secteurs de la société, dans un contexte d’économie internationale ouverte et libéralisée » (OMT, 1999, passim). Avalisé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2001, le Code d’éthique, tout en consacrant la dichotomie des visions « de la culture » et « du tourisme » – entretenues pour ainsi dire en vases clos bien qu’harmo­nisées dans leurs substances – n’indique pas, à la proue de l’industrie touristique, l’élargissement des champs couverts par les « tendances mon­diales du tourisme » à l’œuvre. Si elles se projettent encore hors de l’indus­trie et concernent de nombreux secteurs de la vie humaine, les études touristiques peuvent peut­être aussi contribuer à une conception plus intégrée de la production des savoirs et de leur utilité.

7. L’OMT est née, en 1970, de l’International Union of Official Travel Organization, créée en 1947 et devenue agence consultative de l’ONU à compter de l’année suivante. Le secrétariat général de l’OMT n’a toutefois été mis sur pied qu’en 1976.

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Avant-propos XXVII

l’émanciPation touristique de la Production des saVoirs

Bien qu’il soit d’usage de qualifier le tourisme « d’activité économique à forte croissance », l’impact des événements de septembre 2001 a mis de l’avant de nouvelles problématiques liées à ce développement de l’indus­trie8. Au Québec, la chute des recettes touristiques, qui ont régressé de 600 millions de dollars en 2003 (Lavigne et Couture, 2005, p. 7), continue d’interpeller. « Mis de l’avant », en effet, car ces problématiques ne sont guère nouvelles. Si la moitié des milliards de revenus gouvernementaux du tourisme provient de l’impôt sur les produits – soit le double des apports de l’impôt sur le revenu – c’est que la substance de l’offre reste sans doute plus importante, dans l’industrie, que la prestation de services ou l’impact de cette prestation sur la masse salariale des travailleurs de l’industrie. Néanmoins, le tourisme n’échappe pas aux transformations des activités humaines, pas plus que la recherche en tourisme n’est indifférente aux courants épistémologiques dominants : nous ne pouvons plus, selon plu­sieurs, attendre de débusquer « stories out there waiting to be told [or] certain truths waiting to be recorded » (Denzin, 1997, p. 202). Avec l’abandon des réflexes positivistes en faveur d’approches plus interprétatives, l’offre tou­ristique, sous la lorgnette de la recherche, appartient aux « stories yet to be constructed ».

Il faut ici, pour entrevoir les études touristiques par­delà la fracture entre une recherche « appliquée », dans le tourisme et une recherche « fon­damentale » sur le tourisme, repenser la relation entre la recherche qui produit des informations stratégiques au moment de la formulation des enjeux de l’industrie, exécutée par des praticiens ou des travailleurs dans le tourisme, et celle qui fait avancer les connaissances dans le domaine, en l’occurrence menée par des chercheurs sur le tourisme, et produite à l’extérieur de l’industrie touristique, comme, somme toute, l’est la forma­tion des savoirs en gestion appliqués à celle­ci. Nous pouvons les nommer plus clairement recherche industrielle et recherche universitaire. C’est en effet aussi le propos du présent ouvrage d’épistémologie des études touristiques que d’avancer que l’une rejoint l’autre, dans un creuset où se trouve aussi un hybride de formation récente, issu de collaborations entre les « praticiens »

8. Dans les faits, cette interprétation commune ne tient pas compte des « creux » historiques précédemment enregistrés, au début des années 1990, par exemple, alors que le transport aérien connaissait, selon les dires, « l’une des pire crises de son histoire », partiellement créditée à la guerre du Golfe. Pour les besoins de l’argu­mentation, considérons donc que l’industrie touristique semble aller de crise en crise, chacune d’entre elles suscitant de nouvelles perspectives critiques et de nouveaux débouchés de la recherche.

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XXVIII Épistémologie des études touristiques

et les « chercheurs », dont les travaux à la fois répondent aux besoins immédiats de l’industrie, codifiés par celle­ci, et s’inscrivent dans le temps plus long de la recherche et du développement.

Aux côtés des thématiques de la recherche industrielle considérées par l’industrie touristique, il faut en effet considérer que le tourisme, véritable sujet agissant du développement urbain et régional, social et culturel, accapare autant de nombreuses disciplines du savoir que des milieux de pratique diversifiés. Le débat épistémologique est, certes, déjà ancien, à savoir si le tourisme se développe de façon autonome en appo­sition de ces disciplines (économie du tourisme, droit du tourisme, socio­logie du tourisme, gestion du tourisme, communication touristique, etc.) ou s’il n’en constitue qu’un champ d’application parmi d’autres. Force est néanmoins de constater que, dans une conception orientée­objet (object-oriented) de l’avancement des connaissances qu’impose l’expérimentation intégrée des approches et des questionnements née de la multidiscipli­narité, le tourisme balise un nombre croissant de problématiques. En sus de la caractérisation des ressources que nous avons évoquée et dont les méthodes restent à définir, nous pouvons penser aux questions relatives aux relations entre le Soi et l’Autre et au choc des cultures, inscrites empi­riquement dans les relations entre le visiteur et le visité. Il faut aussi compter avec l’essor phénoménal des études sur les phénomènes de repré­sentation, parmi lesquels le tourisme et ses divers médias informatifs ou promotionnels arrivent au premier plan. La modification des comporte­ments survenus au fil de l’expérience touristique, la vulnérabilité du consommateur touristique et ses impacts sur l’encadrement légal et ins­titutionnel du milieu touristique, la valorisation foncière et les structures de propriété du temps partagé, les positionnements du tourisme par rapport au développement durable, etc., sont autant d’objets très caractéristiques du domaine et que la recherche n’a certainement pas fini d’explorer, dans la mesure où ces objets, par surcroît, changent eux­mêmes avec l’évolution de l’industrie.

Bien que, comme celles recensées dans le Répertoire de la recherche subventionnée du Québec, leur nombre reste réduit par rapport à celles sur des objets plus classiques – la musique, la danse, l’éducation, par exemple –, les études soutenues en tourisme par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, qui se sont d’ailleurs multipliées ces dernières années, sont révélatrices d’un champ problématique polyforme en plein développement. Elles analysent depuis la mise en spectacle du patrimoine jusqu’à celle du potentiel archéologique et historique de territoires autoch­tones, en passant par la production de mythes, les relations entre le guide et le touriste, les politiques et les pratiques d’aménagement, la gestion des écosystèmes, les indicateurs culturels et la définition de la qualité de vie dans diverses municipalités.

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Avant-propos XXIX

L’essor du tourisme transforme en effet plusieurs milieux de pratique autres que ceux envisagés par la recherche menée au sein de l’industrie touristique. Nous pouvons ainsi, par exemple, considérer l’urbanisme, qui encadre l’épanouissement des activités sur un territoire donné, la mise en place des infrastructures, l’aménagement touristique, l’élaboration des schémas et des politiques de développement dans un système d’économies et d’échanges où l’envergure et le rayonnement des destinations outre­passent pourtant le terrain d’action et d’intervention de l’urbaniste. C’est dire qu’à l’arrière­plan d’interventions ciblées et des thèmes de la recherche industrielle habituellement considérée, il y a un branle­bas de combat épistémologique à l’œuvre. À cette réinvention des systèmes de production du savoir, la recherche, partout dans le monde, s’attaque déjà.

C’est à cette enseigne que se loge ce que les chercheurs ont identifié, ces dernières années, comme un recul des recherches quantitatives en tourisme au profit des recherches qualitatives. Comme nous l’avons proposé, ces « études touristiques » sont en phase d’expansion et d’ouver­ture sur un nouveau et prometteur univers problématique ; mais le débat ne se situe pas plus dans la distinction entre le « qualitatif » et le « quan­titatif » qu’entre le « fondamental » et « l’appliqué ». Philimore et Goodson ont ainsi cerné le problème : « Tourism research […] has, in the main, used qualitative research as a set of methods rather than as a set of thinking tools which enable researchers to consider different ways of approaching research and undercovering new ways of knowing » (2004, p. 5). L’un des intérêts du tou­risme à cet égard, à la fois en tant que stimulus de la recherche et savoir utile, par exemple dans les milieux d’élaboration de politiques, réside dans la transgression naturelle des frontières disciplinaires et dans l’affranchis­sement des méthodes consacrées à l’intérieur de celles­ci. Orientées objet, les études touristiques peuvent par conséquent combiner les approches et les paradigmes, de sorte que la recherche sur l’économie du tourisme renouvelle les perspectives sur l’économie, ou que celle sur la gestion du tourisme nourrisse de nouvelles problématiques sur la recherche en gestion et de nouvelles pratiques dans les champs d’application que ce vocable concerne. Plus encore, c’est alors que le tourisme, tout comme la muséo­logie, les études urbaines, les heritage studies par exemple (Sørensen et Carman, 2009), peut se développer en tant que domaine du savoir à part entière, en posant ses propres questions et en apportant ses propres solutions à des problèmes structurels ou prépondérants.

C’est dans cette perspective qu’aux États­Unis, un groupe d’étudiants de cycles supérieurs a, en 2003, fondé le Tourism Studies Working Group, logé à l’université Berkeley (UC Berkeley), devenu depuis un réseau inter­disciplinaire de plus de 50 chercheurs en Californie du Nord et au­delà. Sorte de commando voué globalement aux questions que le tourisme soulève dans les humanities et dans les social sciences, le Group considère

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XXX Épistémologie des études touristiques

le tourisme comme un point nodal où de nombreuses disciplines « intersect and cross-fertilize ». Phillimore et Goodson signalent d’ailleurs que la nature expérimentale de la recherche en tourisme (du fait de l’affranchissement disciplinaire) tend à accroître le potentiel de découvertes et, à travers ces découvertes multipliées, le champ que peut baliser la recherche (2004, p. 20). En d’autres mots, les études touristiques connaissent et connaîtront une expansion exponentielle.

Revues et méta­inventaires se sont multipliés ces dix, quinze ou vingt dernières années – selon la région du monde – pour favoriser les croise­ments de perspectives, et témoignent aujourd’hui d’un panorama très riche. Par exemple, les Tourism Research Links (<http://www.waksberg.com>), mis sur pied en 1996, identifiaient en 2007, en sus de plus de 200  ressources non gouvernementales dans les domaines du tourisme, dans les pays anglo­saxons, 23 revues consacrées à la recherche en tou­risme ; aux 26 qu’il répertoriait trois ans plus tard, l’inventaire adjoignait dorénavant « A list of 159 Academic Tourism-related Journals ». Thèses Canada, organe d’acquisition et de conservation de thèses canadiennes au sein de Bibliothèque et Archives nationales Canada, permet d’ailleurs de recenser une croissance notable, depuis 1996, du nombre de travaux universitaires dont le titre, simplement9, comporte le mot « tourisme » ou ses dérivés (en anglais ou en français). D’un peu moins de 400 thèses de doctorat et mémoires de maîtrise réalisés dans les quarante dernières années, près des deux tiers datent de la dernière décennie. Plusieurs des thèmes retenus ne sont pas sans évoquer l’interfertilisation, à la fois entre les disciplines, appelée par les chercheurs, et entre la recherche appliquée et la recherche fondamentale. Certes, entre le moment des essais méthodologiques en ce sens – que représentent les thèses doctorales – et celui où les résultats de la recherche sont utilisables tant par l’industrie que pour le renouvellement des problématiques, un intervalle reste à résoudre.

En France, depuis 2006, se dessine une initiative particulièrement agressive afin de promouvoir la recherche en tourisme, « dans des champs disciplinaires aussi variés que la géographie, l’économie, la sociologie, l’anthro-pologie, la gestion, l’histoire, l’aménagement, les activités physiques et sportives, le droit, l’urbanisme […] ». Après une université d’été sur l’enseignement supérieur et la recherche en tourisme qui a voulu réunir la Direction du Tourisme, d’une part, et une trentaine de laboratoires universitaires comp­tant plus de 250 scientifiques, on a multiplié les contacts entre l’industrie

9. La recherche par mot clé rend un corpus beaucoup plus vaste de résultats.

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Avant-propos XXXI

et l’université10 afin spécifiquement de créer une dynamique entre les chercheurs, les administrations, les collectivités territoriales et les profes­sionnels du tourisme (Pierret et Scouarnec, 2006 : passim). Les Conventions industrielles de formation par la recherche que nous avons évoquées pouvaient ainsi se déployer sur un tout nouveau territoire. Il y a fort à parier qu’un tel métissage, tout en entretenant la consolidation d’études touristiques à l’université, peuvent favoriser un essor méthodologique du tourisme qui engendrerait les nouvelles approches et les nouveaux outils, quantitatifs ou qualitatifs, qu’appellent les défis contemporains.

Certes, le modèle interventionniste français, s’il n’est pas tout à fait étranger au Québec, n’est pas nécessairement représentatif d’initiatives prises ailleurs sur la planète en ce qui concerne la recherche en tourisme, surtout dans le contexte du désengagement de certains États. En revanche, compte tenu des particularités de l’industrie touristique et du traditionnel soutien institutionnel qu’elle appelle, il est réaliste d’envisager que l’engoue ment pour des études touristiques ait des échos un peu partout dans le monde. L’initiative française peut­elle alors nous inspirer ?

Dans tous les cas, la réunion qu’elle a tenté d’accomplir entre la recherche universitaire et la recherche industrielle n’est pas inintéressante, notamment si nous considérons de façon holistique le développement intégré de l’Université et la reconfiguration transdisciplinaire des modes de production du savoir. Nous rejoignons ici la notion de « recherche publique », tout en oblitérant la frontière entre « recherche appliquée » et « recherche fondamentale » : outre la statistique, quelle recherche, en effet, ne mérite pas d’application ? Or, comme nous l’avons vu, les études tou­ristiques ont précisément pour potentiel de cibler, à divers niveaux, des retombées importantes dans de nombreux secteurs de la société. Ce sont donc de nouvelles formes de partenariat de production des savoirs et des savoir­faire qu’il faut entrevoir, qui, harmonisés avec le stade de maturation méthodologique de ce secteur multidisciplinaire, permettraient de consi­dérer « different ways of approaching research and undercovering new ways of knowing » (Philimore et Goodson, 2004, p. 5). Au départ d’une telle recherche plus itérative, le cadre problématique serait dressé, non pas par l’un ou l’autre des acteurs de la recherche (de l’industrie ou de l’université, par exemple), mais de concert, dans une forme participative de la recherche

10. Par l’entremise de conventions de formation ayant pour objectifs : « soutenir des démarches novatrices concernant les grands enjeux du secteur ou comblant des lacunes dans la connaissance de l’activité et des pratiques touristiques ; lancer des recherches débouchant sur des démarches préopérationnelles susceptibles de conduire à la prise de mesures et à l’action ; fournir des éléments d’anticipation aux professionnels du tourisme et aux administrations » (Pierret et Scouarnec, 2006, p. 11).

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XXXII Épistémologie des études touristiques

fondamentale qui considérerait aussi les applications et les utilisateurs potentiels. C’est précisément ce qui, depuis quelques années, s’appelle la coconstruction des savoirs.

À partir du tourisme telle une activité plus ou moins encombrante ou tel un royaume d’un positivisme privé d’anticipation, nous pouvons ainsi, pour peu que nous nous écartions des anciens chemins, penser que le tourisme, non seulement appelle à de nouveaux modes de production des connaissances et des pratiques, mais favorise l’émancipation de la recherche. Que le tourisme, en fait, favorise l’interfertilisation et la coconstruction des savoirs. Cela, pour peu que nous le pensions hors de la boîte écono­mique en tant qu’une industrie de ressources plutôt qu’une industrie de services, tout comme un domaine orienté objet et un phénomène dont la compréhension appelle à une interprétation enracinée avant d’être mondiale. Il s’agit alors non plus de croire au développement du tourisme, mais de penser le devenir du tourisme tel l’un des facteurs de nos futurs.

Cette proposition repose évidemment sur une hypothèse : que des questions qui pourraient être soulevées ne l’ont pas encore été. Nul ne peut dire de quoi le tourisme de demain sera fait ; mais nous pouvons à coup sûr prédire qu’il se bâtira sur des conceptions et avec des méthodes différentes de celles que l’on a connues. Pas plus que le travailleur sur ou dans le tourisme de demain n’existe encore, les études touristiques restent et resteront un projet en élaboration. D’où l’importance de voir sur quelles bases ce projet, déterminant pour nos sociétés, notre économie et nos cultures, peut se construire.

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Avant-propos XXXIII

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XXXIV Épistémologie des études touristiques

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Québec, Conseil québécois des ressources humaines en tourisme.

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Extrait de la publication

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tAble des mAtières

Avant-propos Un savoir, des regards – Voir et comprendre le tourisme aujourd’hui ...... VIILucie K. Morisset

Pourquoi une « épistémologie des études touristiques » ? ............................ VII

Pourquoi une épistémologie des études touristiques (bis ) ?....................... IX

Un arbre qui cache la forêt ? .........................XI

Une vision intégrée ? Le tourisme comme projet .........................XIV

Au-delà de la « bipolarité ». Tourisme (industrie) et tourisme (savoir) : un même combat .........................................XV

Repenser le tourisme par-delà les services ...................................................XVII

Informer ou savoir ........................................XX

Une industrie de ressources .......................XXII

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Extrait de la publication

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XXXVI Épistémologie des études touristiques

Les études touristiques ou le tourisme comme domaine du savoir ............................................................................................... XXV

L’émancipation touristique de la production des savoirs ...............XXVII

Bibliographie ...................................................................................... XXXII

Introduction Regards croisés sur l’objet « tourisme » ..............................................1Guillaume Éthier

Bibliographie .............................................................................................5

PARTIe 1 – ConsIdéRATIons sUR L’éPIsTémoLogIe eT Le ToURIsme ..........................................................................7

1. Pour une épistémologie du tourisme ? ...............................................9Thierry Paquot

Qu’est-ce que l’épistémologie ? ............................................................12

Le tourisme en quête d’une science ou d’une intelligibilité transdisciplinaire ? ...................................................................................16

Bibliographie ...........................................................................................21

2. Réflexions sur l’épistémologie du tourisme : la perspective constructiviste .............................................................25Boualem Kadri

discours sur le tourisme, problèmes du tourisme ...............................26

Les discours du tourisme : le triptyque antitouristique-scientifique-stratégique ...................................................................26

Les problèmes du tourisme : bipolarisation identitaire et complexité conceptuelle ............................................................29

La construction de la pensée en tourisme ...........................................33

Les stades d’évolution de la pensée en tourisme .........................33

L’effort académique d’une reconnaissance scientifique du tourisme ......................................................................................36

Quelle épistémologie pour les études touristiques ? ...........................39

Les principaux modèles épistémologiques et leur apport possible aux études touristiques ....................................................39

dans quel modèle inscrire l’épistémologie des études touristiques ? .................................................................42

Conclusion – le contexte de renouvellement épistémologique des sciences sociales : une opportunité d’autonomie pour le tourisme ? ...................................................................................45

Bibliographie ...........................................................................................46

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Table des matières XXXVII

PARTIe 2 – VUes sUR Le ToURIsme : APPRoChes dIsCIPLInAIRes eT QUesTIons ConTemPoRAInes ...................................................................51

3. Enquêtes et conquêtes de terrains touristiques : regards d’ethnologue ..........................................................................53Marie-Blanche Fourcade

ethnologue / Voyageur ...........................................................................55

Le tourisme comme objet d’ethnologie ...............................................56

L’ethnologie du tourisme : approches et méthodes ............................58

Bibliographie ...........................................................................................67

4. Pouvoir et tourisme : la contribution de la science politique à l’analyse du phénomène touristique .............................................71Bruno Sarrasin et Marie-Ève Breton

Idéologie et tourisme : lorsque la politique prend des vacances .......72

de l’économique au politique : les effets de la croissance du tourisme remis en question .............................................................74

La place du territoire dans l’analyse politique du tourisme ................76

Les politiques publiques du tourisme : un mode particulier de gouvernance ? ....................................................................................79

Lorsque le tourisme devient « durable » ou comment la science politique peut éclairer l’analyse des répercussions de cette industrie ....................................................................................80

Conclusion...............................................................................................83

Bibliographie ...........................................................................................84

5. Le tourisme au Québec : une histoire à écrire .................................87Martin Drouin

L’histoire et la pratique du tourisme .....................................................89

de l’omniprésence au relatif silence de la recherche ..........................90

L’historiographie du tourisme au Québec ...........................................91

Qu’est-ce que l’histoire ? ........................................................................93

Le temps : l’apport fondamental de la discipline .................................95

Pas de question sans documents, pas de documents  sans question...........................................................................................96

Bibliographie ...........................................................................................99

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XXXVIII Épistémologie des études touristiques

6. Vers une sociologie du tourisme : patrimoines, authenticité et inégalités ...........................................103Alexandra Arellano

Analyse sociologique du tourisme ......................................................104

Patrimoines .....................................................................................105

Authenticités ..................................................................................108

Inégalités ........................................................................................110

Un cadre d’analyse : tourisme et exclusion au machu Picchu ..........112

Conclusion.............................................................................................118

Bibliographie .........................................................................................118

7. Tourisme et sciences économiques : conceptualisation, enjeux et méthodes .........................................121Bruno Marques

définition économique du tourisme : entre complexité et homogénéité ....................................................................................125

Le tourisme : une construction flexible et complexe ..................126

Le tourisme : une industrie ............................................................128

Les enjeux de l’économie du tourisme : la perspective du résident et le développement touristique .........................................................130

L’économie du tourisme : causes – développement – effets .....130

Une théorie économique du développement du touristique et le tourisme comme volonté de réception ...............................134

méthodes et données ..........................................................................136

Les méthodes de l’économie du tourisme ..................................136

données et sources .......................................................................140

Les caractères de l’économie du tourisme .........................................142

Bibliographie .........................................................................................142

8. Tourisme et SI / TIC : vers la constitution d’un domaine de recherche sur l’e-tourisme ...........................................................147Laurent Renard

définir l’e-tourisme ...............................................................................148

L’e-tourisme comme un objet d’étude ...............................................150

La constitution de ce sous-domaine de recherche .....................150

Les approches de recherche en e-tourisme ................................155

Les concepts centraux de l’e-tourisme ........................................160

Les effets des sI / TIC ......................................................................165

Conclusion.............................................................................................167

Bibliographie .........................................................................................168

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Table des matières XXXIX

9. Tourisme et géographie : une géographie du tourisme..............171Maria Gravari-Barbas et Sébastien Jacquot

Qu’est-ce que la géographie du tourisme ? .......................................173

Le tourisme, phénomène spatial légitimant l’étude géographique ? ...............................................174

La tentation des typologies spatiales ...........................................176

Les objets mouvants de la géographie du tourisme ..................177

L’approche systémique .................................................................180

Enjeux contemporains du tourisme et positionnement de la recherche géographique ............................................................181

La structuration de champs de recherche spécifiques ...............182

L’affirmation progressive et la pluralisation de l’acteur et du touriste ..................................................................................185

Vers la remise en cause des notions binaires dans les études sur le tourisme pour une prise en compte des mélanges ..........187

Quelles méthodes pour quelle étude du tourisme ? .........................190

L’étude du tourisme : quelle relation aux appareils statistiques ? ............................................................190

Outils d’analyse des mobilités : de l’observation aux GPS .........191

L’usage des méthodes qualitatives ..............................................192

Des guides aux blogues : entre prescripteurs et narrateurs .......194

Conclusion – le tourisme, entre géographie et interdisciplinarité ? ............................................................................195

Bibliographie .........................................................................................196

10. La double interaction entre droit et tourisme : la contribution des sciences juridiques ...........................................205Louis Jolin

Le droit n’est pas étranger au tourisme .............................................206

La recherche en sciences juridiques ....................................................208

Le positivisme juridique ................................................................208

Le droit comme phénomène social .............................................209

Le droit comme système ...............................................................210

Les interactions entre le droit et le tourisme ......................................212

Le droit est producteur de transformations en tourisme ...........213

Le droit est le produit des transformations en tourisme ............214

Conclusion.............................................................................................215

Bibliographie .........................................................................................216

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Extrait de la publication

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XL Épistémologie des études touristiques

Regard conclusif La construction de la notion de « touriste » dans les sciences sociales ..................................................................217Gilles Pronovost

entre tourisme, loisir et touriste ..........................................................218

À la recherche du touriste fondamental : mobilité géographique ou appétit de voir .................................................................................219

La dissolution du touriste .....................................................................221

Le touriste : entre voyeur exacerbé et anthropologue déchu ..........223

Conclusion.............................................................................................225

Bibliographie .........................................................................................226

Les auteurs ..................................................................................................227

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Présenter comme un tout cohérent un ensemble de textes aussi variés que ceux réunis dans ce livre sur le tourisme est une tâche qui peut mener aux distorsions les plus diverses, et qui constitue en premier lieu une menace à la richesse des propo­sitions qu’ils contiennent individuellement et collectivement. Seules quelques différences exis­tant entre les travaux présentés dans ce recueil suffiraient en fait à rebuter toute tentative d’en identifier les lieux communs, stables ou même éphémères ; les textes rassemblés ici interpellent en effet des chercheurs provenant de disciplines distinctes, possédant des postures épistémo logiques variées, des méthodes d’enquêtes qui occupent tout le spectre de celles utilisées en sciences humaines et sociales et proviennent d’univers théoriques issus de traditions nationales ou conti­nentales différentes. Comme si ce n’était pas suf­fisant, ils proposent des réflexions appliquées à

guillaume éthierDoctorant en études urbaines et touristiques, Université du Québec à Montréal etInstitut national de recherche scientifique

introductionregards croisés sur l’objet « tourisme »

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2 Épistémologie des études touristiques

des contextes socioculturels et géographiques particuliers et ils sont guidés dans leurs recherches par des finalités fort différentes pouvant enrichir tant le travail accompli dans et sur le tourisme, pour reprendre les termes proposés par Lucie K. Morisset. De plus, considérant que tous les textes présentés dans ce recueil se donnent précisément comme objectif de trans­gresser les frontières disciplinaires et les univers théoriques à partir desquels ils ont abordé l’étude du tourisme, il serait pernicieux de remettre dans leurs « boîtes disciplinaires » les mêmes objets qu’ils ont pris la peine de déballer pour nous. N’empêche, il faut un point de départ à cette discus­sion par textes interposés sur le tourisme, et comme au carrefour de leurs réflexions n’apparaît qu’un ensemble de trajectoires provenant d’origines diverses et pointant dans des directions encore inconnues, il convenait de procéder dans cette anthologie d’une manière plus classique pour diviser la réflexion. La nature d’un domaine de recherche marqué par l’inter­disciplinarité étant ce qu’elle est, les intervenants qui y participent pro­viennent forcément d’univers disciplinaires distincts, à moins qu’ils n’aient été eux­mêmes formés à l’intérieur de l’interdisciplinarité, ce qui ne les empêche pas de regarder l’objet à l’étude selon un angle particulier et facilement identifiable. Pour cette raison, il aura paru inévitable de revenir à la « classification disciplinaire » pour marquer la cadence d’une étude sur les théories de la connaissance appliquée au tourisme.

Le titre des intervenants dans le débat ne dit évidemment pas tout, mais tenter de faire parler des catégories aussi anachroniques que des écoles de pensées ou des idéologies, par exemple, ou encore, de séparer les considérations théoriques des applications empiriques de la recherche se serait avéré plus contraignant encore. Allons­y donc avec les disciplines, puisque la réalité des études touristiques nous y contraint un peu, mais aussi parce que la recherche des balbutiements de l’intérêt porté pour le tourisme dans chaque discipline montre une facette déterminante de cet objet d’étude particulier : le tourisme apparaît partout sous une forme différente. De fait, la seule constance thématique de cet ouvrage consiste à faire la démonstration perpétuelle de la polysémie de l’objet « tourisme » se situant pourtant au centre des préoccupations communes des auteurs.

Dans un chapitre de son célèbre livre sur l’origine des espèces, Charles Darwin (1882) pose la question de la similitude entre les espèces animales en distinguant les « ressemblances analogues » résultant de l’adaptation à des conditions environnementales similaires, et les « affinités généalo­giques » qui expliquent les similitudes entre deux animaux par une appar­tenance à une lignée commune d’ancêtres. Le même principe explique aussi des différences notables : des espèces très différentes extérieurement peuvent partager un bagage génétique très similaire, mais avoir été expo­sées à des conditions différentes à travers le temps et l’espace. Loin de nous l’idée d’entrevoir le tourisme dans une perspective darwiniste, mais

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Introduction 3

nous pouvons tout de même partir de ce principe pour situer l’objet « tourisme » au centre de la réflexion présentée dans cet ouvrage. Il apparaît en effet qu’une racine commune, un phénomène plus ou moins objectivé par le recours aux outils de la science et à la philosophie, existe au cœur de l’organisation du savoir sur le tourisme. Qu’il soit défini en tant qu’un idéal­type par l’Organisation mondiale du tourisme ou qu’il renvoie à une compréhension partagée à l’intérieur d’une culture, il existe en effet une réalité propre au tourisme correspondant, à peu près, au fait de se trouver dans un lieu étranger pour des raisons associées aux loisirs, une donnée fondamentale expliquant la similitude relative des contributions scienti­fiques sur cet objet. Un premier éclatement dans les « affinités généalo­giques » du tourisme provient de sa nature profondément intangible en tant que phénomène scientifique, du moins dans sa totalité. Le tourisme apparaît ainsi dans la géographie comme une tache s’agrandissant sur une carte ; les économistes, eux, voient le phénomène prendre forme en tant que catégorie d’emploi. Pour les juristes, le tourisme vient défier différentes catégories du droit de par les déplacements de population qu’il induit. Les anthropologues aperçoivent enfin la figure du « touriste » au travers de leur propre attrait pour des peuples inconnus et « exotiques ». Il ne s’agit évidemment que d’exemples, mais ils suffisent à caractériser cette indétermination première qui taraude la réflexion sur le tourisme depuis son apparition dans chaque discipline jusqu’à son élaboration actuelle en tant que champ d’études commun.

Dans l’état actuel de la recherche sur le tourisme, les similitudes et les différences entre les contributions scientifiques s’expliquent davantage par une convergence de la connaissance sur le sujet, et donc, par une réciprocité des savoirs produits et partagés sur le tourisme. Paradoxalement, cette « ressemblance analogue » entre une pluralité d’observateurs mène aussi à un éclatement supplémentaire de l’objet étudié tant il apparaît plus polysémique et complexe que jamais lorsqu’entrevu par la loupe interdisciplinaire. À un objet stable apparaissant autrefois dans le radar de disciplines distinctes, nous substituons aujourd’hui un objet diffus qu’il serait tentant, à titre de projet scientifique, de regarder collectivement à travers une loupe commune. Difficile tâche que celle­là, d’autant plus que le partage de connaissances met à nu des extensions peu compatibles dans l’étude du tourisme, des fractures relevant notamment du fait que le champ d’étude scientifique se découpe, pour des raisons tout à fait légitimes, sur une industrie touristique dont les finalités sont cependant toutes autres que la quête désintéressée de la connaissance.

Reste à savoir si l’objet commun tracé à la rencontre des réflexions sur le tourisme mérite l’effort renouvelé d’y donner sens de la sorte. Rien ne prémunit en effet ce domaine d’étude en construction contre sa muta­tion en quelque chose d’autre, ou même, contre sa dissolution complète

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4 Épistémologie des études touristiques

suivant l’évolution de la pratique du tourisme. Or, il semble à cet effet que l’attitude adoptée par les auteurs dans ce collectif se présente d’abord comme un rempart contre l’atomisation des connaissances sur le tourisme, ce qui constitue déjà une contribution appréciable au domaine d’étude. Ajoutons à cet effet que la polysémie de l’objet décrit n’en détruit pas pour autant la pertinence et constitue même un point de départ vers des questionnements allant dans toutes les directions, ce qui augure bien pour un champ disciplinaire voguant vers l’élargissement de sa compréhension du monde.

Sont ainsi interpellées dans cet ouvrage, dans un premier temps, des questions générales concernant l’épistémologie des études touristiques. Thierry Paquot propose une lecture critique du phénomène touristique où s’impose une double nécessité de questionner les dégâts paysagers produits actuellement par le tourisme ainsi que les conséquences de la réduction du sujet humain au statut de consommateur dans sa désignation en tant que touriste. L’auteur propose à cet égard d’établir une « géohistoire » du phénomène touristique, soit de l’entrevoir telle une réalité évoluant en fonction des époques et des cultures. Le problème posé par Boualem Kadri se situe davantage au niveau de l’étude scientifique du phénomène touristique, et consiste justement à se demander s’il existe une identité scientifique propre au champ des études touristiques. La refonte épisté­mologique proposée par l’auteur s’appuie sur les possibilités offertes par l’interdisciplinarité et par le détachement progressif des études touristiques du socle positiviste.

Le cœur de cet ouvrage collectif réunit, dans la deuxième partie du livre, différentes contributions provenant d’auteurs qui présentent, chacun, la spécificité de l’objet touristique à partir d’un champ disciplinaire distinct. Pour Marie­Blanche Fourcade, le regard posé par l’ethnologie sur le phé­nomène propose de suivre le touriste dans ses déplacements et de détailler son interaction avec le milieu visité et les motivations qui le placent en situation de migration. Il en résulte une série de considérations métho­dologiques quant à la façon d’aller à la rencontre du « touriste ». Le phé­nomène touristique n’a pas fait l’objet d’une grande attention en science politique, un fait étonnant selon Bruno Sarrasin et Marie­Ève Breton, pour qui le tourisme recoupe nombre d’enjeux centraux à cette discipline. Les auteurs démontrent à cet égard que la science politique offre un cadre d’analyse essentiel dans l’étude des mécanismes de pouvoir induits par l’activité touristique. L’apport de l’histoire aux études touristiques, nous dit Martin Drouin, se mesure entre autres à sa capacité d’éclairer des phé­nomènes contemporains à partir d’un angle nouveau. Dans une perspective diachronique, l’étude du tourisme révèle en effet des continuités et des ruptures significatives, tel que c’est le cas de l’histoire du tourisme au Québec, qui permettent de mieux comprendre le phénomène dans sa

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Introduction 5

déclinaison actuelle. Selon Alexandra Arellano, la sociologie pose aujour­d’hui un regard sur le tourisme qui considère le phénomène à l’aune de la mondialisation et des nombreux enjeux associés à la mobilité sociale. Le cas des porteurs au Machu Picchu nous montre à cet effet que l’industrie touristique constitue un agent d’intégration sociale important, bien qu’elle perpétue certaines inégalités socioéconomiques. Le texte de Bruno Marques propose d’exposer les modalités du regard de la science économique sur le tourisme dans les quarante dernières années. En jalonnant la vaste littérature scientifique sur la question, l’auteur fait ainsi ressortir les approches conceptuelles, les problématiques et les méthodes employées pour étudier le tourisme sous l’angle économique. La contribution de Laurent Renard propose une plongée dans l’univers du « e­tourisme », un concept décrivant l’utilisation des technologies d’information dans la promotion des produits touristiques. L’étude de la constitution de cet objet de recherche permet en outre d’entrevoir la façon dont le tourisme est conçu dans la sphère des sciences de la gestion. Pour Maria Gravari­Barbas et Sébastien Jacquot, la particularité de la géographie dans la compréhen­sion du tourisme consiste essentiellement à le considérer en tant que phénomène spatial. Ils en font la démonstration dans une recension mon­trant comment les chercheurs de la géographie se sont historiquement intéressés au tourisme, comment la question touristique est encore d’actua­lité pour la géographie et comment les méthodes propres à la discipline ont été abondamment utilisées par les géographes et par les chercheurs issus d’autres champs disciplinaires. Le texte de Louis Jolin met en exergue le fait que le tourisme est un phénomène balisé par un cadre juridique et  qu’à ce compte, les sciences juridiques ont une affinité particulière avec les études touristiques. Tout en participant à l’effort de clarification du domaine touristique, le droit voit aussi sa croissance orientée par les transformations engendrées dans cette sphère d’activité.

Le texte de Gilles Pronovost fait figure de conclusion dans ce recueil. Il retrace l’évolution de la notion de « touriste » dans les sciences sociales en tant qu’objet discursif marqué par des intérêts de connaissance qui changent selon les époques et les endroits. L’auteur conclut en se posi­tionnant contre une épistémologie des études touristiques trop empressée de cristalliser ses connaissances autour de concepts irréductibles et de fonder une discipline alors qu’elle bénéficie grandement de l’apport conjoint de plusieurs disciplines, ce que le reste de ce recueil tend par ailleurs à démontrer.

bibliographieDARWIN, Charles (1882). L’origine des espèces, traduction française, 2009, Paris,

Flammarion.

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Épine 0,5714 po. 276 p. 120 M

direction de

Épistémologie des études touristiques

i, comme champ d’activités et de pratiques, le tourisme réunit un nombre grandissant de disciplines, il donne lui-même lieu à c ertains questionnements, qui l’isolent et le définissent, peu à peu, comme un domaine du savoir à part entière. Dans ce con-texte, s’interroger sur les enjeux épistémologiques du savoir et du savoir-faire en tourisme devenait un impératif.

Il est incontestable que les retombées économiques impor-tantes du tourisme comptent parmi les facteurs favorables à l’essor des études dans le domaine, mais cet ouvrage veut amener la réflexion au-delà de la « boîte économique », en ne concevant pas le travail sur le tourisme et le travail dans le tourisme en vase clos. Les changements constants qui rythment l’évolution de ce milieu demandent un regard transdisciplinaire et transversal. Sont ainsi abordées, dans un premier temps, des questions générales concernant l’épistémologie des études touristiques. Puis, consti-tuant le cœur du livre, différentes contributions présentent l’objet touristique à partir d’un champ disciplinaire distinct, que ce soit la géographie, la science politique, l’ethnologie, la sociologie, l’économie ou le droit.

Il s’agit non plus d’étudier le développement du tourisme, mais de penser ce dernier comme l’un des facteurs de nos futurs.

ColleCtion dirigée par BRUNO SARRASIN

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Sous la direction de LUCIE K. MORISSETBRUNO SARRASIN

et GUILLAUME ÉTHIER

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AlexAndrA ArellAno • MArie-Ève Breton • MArtin drouin • GuillAuMe Éthier MArie-BlAnche FourcAde • MAriA GrAvAri-BArBAs • sÉBAstien JAcquot louis Jolin • BouAleM KAdri • Bruno MArques • lucie K. Morisset thierry PAquot • Gilles Pronovost • lAurent renArd • Bruno sArrAsin

Historienne d’architecture, LUCIE K. MORISSET est professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, ainsi que directrice scientifique de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain.

BRUNO SARRASIN est professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et membre du Comité interdisciplinaire de recherche en développement international et société (CIRDIS). Il est également directeur de la collection « Tourisme » aux Presses de l’Université du Québec.

GUILLAUME ÉTHIER, M.A. en sociologie, est doctorant en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut national de la recherche scientifique – Centre Urbanisation, Culture et Société.

direction de

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Extrait de la publication