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NANTES / SAINT-NAZAIRE DOSSIER | P 5 | LE PROJET GAGNANT, L’HISTOIRE D’UNE DÉCISION, CE QUE DEVIENDRA L’HÔTEL-DIEU… Sur l’Île de Nantes, l’hôpital du 21 e siècle INITIATIVES URBAINES | P 149 | IL A REDESSINÉ MALAKOFF ET SAINT-NAZAIRE Gérard Pénot, Grand prix national de l’urbanisme p. 68 PHOTOGRAPHIE : LES « INVISIBLES » DU CHU p. 86 NAISSANCE ET RENAISSANCE DU COURS DES 50-OTAGES p. 90 LA POPULATION AUGMENTE MOINS VITE DANS LE DÉPARTEMENT 9 782848 092485 10E #52 NANTES / SAINT-NAZAIRE LA REVUE URBAINE | Juillet-Août 2015 Place Publique

Place publique Nantes #52

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numéro juillet-août 2015 Dossier : Sur l'Île de Nantes, l'hôpital du 21e siècle

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NANTES / SAINT-NAZAIRE

DOSSIER | P 5 | LE PROJET GAGNANT, L’HISTOIRE D’UNE DÉCISION, CE QUE DEVIENDRA L’HÔTEL-DIEU…

Sur l’Île de Nantes,l’hôpital du 21e siècleINITIATIVES URBAINES | P 149 | IL A REDESSINÉ MALAKOFF ET SAINT-NAZAIRE

Gérard Pénot, Grand prix national de l’urbanisme

p. 68PHOTOGRAPHIE : LES « INVISIBLES »DU CHU

p. 86NAISSANCEET RENAISSANCEDU COURSDES 50-OTAGES

p. 90LA POPULATION AUGMENTE MOINS VITEDANS LE DÉPARTEMENT

#52

9 782848 092485

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#52NANTES / SAINT-NAZAIRE LA REVUE URBAINE | Juillet-Août 2015

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DU 3 JUILLET AU 17 DÉCEMBRE 2015Du 3 juillet au 30 août, tous les jours de 14h à 19h

Du 1er septembre au 17 décembre, du vendredi au dimanche de 14h à 18h

HANGAR 32

LE PROJET DU QUARTIER DE LA SANTÉ SUR L’ÎLE DE NANTES

HORIZON 2023-2025

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| SOMMAIRE

Laurent Devisme Anatomie d’une décision, histoire d’un pariBenoît Ferrandon L’économie de la santé en Loire-AtlantiqueAlain Croix La ville et l’hôpital : des liens séculaires

Anne Pétillot Que faire des bâtiments existants ?Et si l’on ne rasait pas l’Hôtel-Dieu ?Alexandre Granger Saint-Nazaire : le cas d’école d’un urbanisme négociéSylvie Legoupi Donner à voir les invisibles

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ÉDITOPlace publique L’hôpital du 21e siècleLE DOSSIERSUR L’ÎLE DE NANTES,

L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE

Jean-Louis Violeau Cet hôpital est une ville !Philippe Sudreau « Le futur hôpitale sera souple, fonctionnel et beau »Olivier Laboux « Un quartier hospitalo-universitaire de classe européenne »Jean-Luc Charles, Marcel Smets et Anne Mie Depuydt Une tout autre dimension pour l’Île de Nantes

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PLACE PUBLIQUENantes/Saint-Nazaire. La revue urbaineTour Bretagne Place BretagneBP 72423 - 44047 Nantes Cedex 1www.revue-placepublique.fr

Directeur de la publication :Philippe Audic

Directeur : Thierry [email protected]

Chargée de diffusion :Marine Jaffré[email protected]él. 06 75 06 32 67

Comité de rédaction :Pierre-Arnaud Barthel, Philippe Bataille, Goulven Boudic, Paul Cloutour, Alain Croix, Laurent Devisme, Benoît Ferrandon, Philippe Guillotin, Didier Guyvarc’h, Marie-Hélène Jouzeau, Martine Mespoulet, Jean-Claude Pinson, Franck Renaud, Laurent Théry, Jean-Louis Violeau, Gabriel Vitré.

Ont participé à ce numéro :Dominique Amouroux, Hugues Archambeaud, Cécile Arnoux, Perrine Batard, Loïc Bonnet, Jean-Luc Charles, Alain Croix, Laurent Devisme, Marc Dumont, Anne Mie Dupuydt, Benoît Ferrandon, Alexandre Granger, Thierry Guidet, Philippe Guillotin, Georges Guitton, Olivier Laboux, Nicolas de La Casinière, Sylvie Legoupi, Daniel Morvan, Élisabeth Pasquier, Anne Pétillot, Jean-Claude Pinson, Danielle Rapetti, Danielle Robert-Guédon, Marcel Smets, Jean-Pierre Suaudeau, Philippe Sudreau, Jean-Louis Violeau.

Place publique est une revue éditée par l’association Mémoire et débats.Administrateurs :Soizick Angomard, Philippe Audic, Jo Deniaud, Suzy Garnier, Jean-Luc Huet, Jean-Claude Murgalé, Ber-nard Remaud, Françoise Rubellin.

Direction artistique : Bernard Martinéditions joca seria, [email protected]

Concept graphique : Rampazzo et associés, Paris/Milan.Impression : Offset 5, La Mothe-Achard (85)

ISSN 1955-6020

Place publique bénéficie du soutien de La Poste, de RTE et de la Chambre de commerce Nantes/Saint-Nazaire.Diffusion presse Nantes et Saint-Nazaire : SADDiffusion librairie : Joca Seria/Pollen

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LA FORME DE LA VILLEPhilippe Guillotin Naissance et

renaissance du cours des 50-Otages

LA CARTELE TERRITOIREHugues Archambeaud et Perrine Batard Croissance démographique Après le chaud, un certain refroidissement

PATRIMOINENicolas de La Casinière

Véloville

Maurice Digo, un Nantais

dans la Grande Guerre

SIGNES DES TEMPSBloc-notes de Thierry GuidetCritiques de livresLes expositions, Danielle Robert-GuédonLa chronique de Cécile ArnouxLa chronique de Jean-Luc QuéauLa chronique d’architecturede Dominique Amouroux

CONTRIBUTIONSDanielle Rapetti « Fleurs de jeunesse » ou le symbole d’une dynamique »Élisabeth Pasquier Nantes a besoin d’un nouveau CinématographeJean-Pierre Suaudeau L’informe d’une ville

INITIATIVES URBAINESLe Grand prix national à Gérard Pénot, urbaniste du soinGérard Pénot « La ville se conçoit à partir du piéton »Marc Dumont Projets urbains

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l’étroit dans ses murs pourtant récents, éparpillé sur plusieurs sites, mal adapté aux évolu-tions prévisibles de la méde-cine… Le Centre hospitalier universitaire de Nantes devait

déménager. Le transfert devrait commen-cer en 2023, s’achever en 2025. L’Hôtel-Dieu et l’hôpital Nord, à Saint-Herblain, seront regoupés en un seul site, au sud de l’Île de Nantes, à l’emplacement du Mar-ché d’intérêt national qui, lui, va franchir la Loire pour s’installer à Rezé.

Tout naturellement, ce dossier s’ouvre par une présentation du projet lauréat,

mais aussi de ceux qui ont été écartés par le jury. Fin connaisseur du monde de l’ur-banisme et de l’architecture, le sociologue Jean-Louis Violeau livre des clés pour comprendre le choix qui a été effectué. Nous sommes en présence d’un change-ment de modèle qui nous en dit long sur ce que notre société, désormais, attend de son hôpital. L’Hôtel-Dieu, conçu par Roux-Spitz, au lendemain de la dernière guerre, était un exemple de ces impressionnantes cathédrales du soin posées au milieu de la ville. Le futur CHU, lui, est pensé comme une ville à part entière avec ses rues où l’on pourra circuler et sa vue sur le fleuve. De l’autarcie à la porosité.

Philippe Sudreau, le directeur du CHU, détaille les motifs du déménagement, les atouts du nouveau site, les qualités fonc-tionnelles et esthétiques du projet. Mais surtout, il explique en quoi il répond aux nouvelles exigences médicales : « Nous avons été rassurés par ce projet. […] Ce bâ-timent sera modulable, adaptable, ouvert sur l’extérieur, ce qui correspond bien aux évolutions prévisibles, à la complémenta-rité entre médecine hospitalière et méde-cine de ville. » Dès aujourd’hui, souligne-t-il, « un patient sur deux quitte le CHU le soir même. »

Les mots ont leur importance. Un CHU n’est pas un simple hôpital ; il est aussi un centre universitaire. D’où l’atten-tion extrême que porte à cette opération le président de l’université de Nantes Olivier Laboux. Autour du CHU, c’est « un quar-tier hospitalo-universitaire de classe euro-péenne » qui verra le jour, annonce-t-il. De quoi consoler un peu l’université nan-taise de ses déboires répétés dans sa quête des fonds d’initiatives d’excellence.

Autre entretien, avec Anne Mie Du-puydt et Marcel Smets, les deux urba-nistes qui ont succédé sur l’Île de Nantes à Alexandre Chemetoff, ainsi qu’avec Jean-Luc Charles, le directeur de la Samoa, en charge de l’aménagement de l’Île. Avec la construction du Palais de justice et la transformation du site des anciens chan-tiers navals, l’essentiel de l’effort s’est pour l’instant porté sur les abords du bras nord de la Loire. La prochaine étape consistera à urbaniser le sud de l’Île. Cela passe par un gigantesque jeu de meccano à l’échelle de l’agglomération : d’abord, le déménage-

L’hôpital du 21e siècle

Au-delà d’une considérable opération d’urbanisme qui transfor-mera le cœur de la ville, c’est l’hôpital du futur qui va se dessiner sous nos yeux.

ÉDITO |

À

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nous rafraîchit la mémoire. Le prochain transfert ? Ce ne sera après tout que le dixième ou le onzième : « l’histoire per-met de relativiser ce qui est vécu comme un bouleversement. » Quant aux fonctions mêmes de l’hôpital, elles ont bien changé au cours des siècles : avant de soigner les malades, il s’est agi d’accueillir les misé-reux, d’enfermer les pauvres, d’herberger les enfants abandonnés…

Que faire des bâtiments existants ? Cette question, encore peu débattue, pourrait bien être au cœur des grands choix urba-nistiques des années à venir.

Anne Pétillot est une spécialiste de la reconversion des anciens hôpitaux, un su-jet auquel elle a consacré sa thèse de géo-graphie et d’aménagement. Elle évoque les solutions trouvées à Paris, Lyon, Mont-pellier ou Saint-Étienne. Mais elle insiste sur la particularité nantaise : l’ampleur des surfaces concernées et la date récente de construction de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpi-tal Laennec. On ne jette pas le même regard patrimonial sur des édifices vieux de quelques dizaines d’années que sur des bâtiments remontant au 17e siècle.

Des étudiants de l’École d’architecture ont commencé à phosphorer sur de pos-sibles réutilisations de l’Hôtel-Dieu. Des-sins et images de synthèse à l’appui, nous donnons un aperçu de leurs projets.

Enfin, Alexandre Granger, de l’Agence pour le développement durable de la ré-gion nazairienne, revient sur le transfert de l’hôpital de Saint-Nazaire, construit au début des années 1960. Depuis, une Cité sanitaire, regroupant hôpital public et cliniques privées, est sortie de terre.

ment du Marché d’intérêt national (sans doute en 2018), puis le début des tra-vaux du CHU, suivi du transfert vers l’est de la ville des voies ferrées qui occupent aujourd’hui le centre de l’Île. Ensuite seu-lement, dans dix ans peut-être, pourra-t-on aménager un « Parc métropolitain » du CHU jusqu’à la pointe ouest de l’Île. Le cœur des villes bat à un rythme plus lent que celui des mortels.

Laurent Devisme, professeur de sciences sociales à l’École d’architecture de Nantes, clôt cette première partie du dossier par le récit de la décision du transfert le CHU sur l’Île de Nantes. Elle a acquis une forme d’évidence, mais elle n’a été rendue pos-sible que par le départ annoncé du Marché d’intérêt national. Laurent Devisme nous fait comprendre le mécanisme complexe d’un choix qui s’est joué à trois niveaux : entre le local et le national, entre les villes qui composent l’agglomération nantaise, au sein même de l’hôpital entre pouvoir mana-gérial et pouvoir médical.

Après cet examen du projet sous tous ses aspects, nous élargissons la focale pour por-ter un regard sur le contexte où il se joue.

Benoît Ferrandon, chef de service à la direction prospective du Département, situe le CHU dans la géographie et l’éco-nomie de la santé en Loire-Atlantique, un secteur qui pèse 48 000 emplois, dont près de 12 000 pour le seul CHU, le plus gros employeur du département. Cela dit, son rayonnement est plus départemental que régional et il se situe dans la moyenne des CHU français par son budget, ses capacités d’accueil, son nombre d’étudiants.

De son côté, l’historien Alain Croix

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Alexandre Granger y voit le cas d’école d’un urbanisme négocié.

Des murs, des chiffres, des sites… Tout cela compte énormément bien sûr, mais il ne faudrait pas l’oublier : un hôpital, c’est d’abord les hommes et les femmes qui y sont soignés, qui y travaillent.

Nous refermons donc ce dossier avec les photos, si justes et si sensibles, prises par Sylvie Legoupi et qui feront l’objet d’une exposition à partir de la rentrée. Elle y donne à voir les « invisibles » du CHU, ceux sans qui la machine ne tournerait pas. Les autres ont été prises lors d’un reportage au long cours au service d’hématologie.

Sans pathos, elles montrent ce que veut dire l’attention à l’autre. n

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LE DOSS

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LE DOSSIERSUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21 e SIÈCLE

Jean-Louis Violeau Cet hôpital est une ville !

Philippe Sudreau « Le futur hôpital sera souple, fonctionnel et beau »

Olivier Laboux « Un quartier hospitalo-universitaire de classe européenne »

Jean-Luc Charles, Marcel Smets et Anne Mie Depuydt Une tout autre dimension pour l’Île de Nantes

Laurent Devisme Anatomie d’une décision, histoire d’un pari

Benoîst Ferrandon L’économie de la santé en Loire-Atlantique

Alain Croix La ville et l’hôpital : des liens séculaires

Anne Pétillot Que faire des bâtiments existants ?

Et si l’on ne rasait pas l’Hôtel-Dieu ?

Alexandre Granger Saint-Nazaire : le cas d’école d’un urbanisme négocié

Sylvie Legoupi Donner à voir les invisibles

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SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE | DOSSIER

JEAN-LOUIS VIOLEAU est professeur de sociologie à l’École nationale supérieur d’architecture de Paris-Malaquais. Membre du comité de rédaction de Place publique et de la revue Urbanisme, il est notamment l’auteur de Nantes, l’invention d’une île (Autrement).

L’aventure de l’Île de Nantes a commencé à la fin des années 1990 avec un nouveau tribunal ; elle se

poursuit (s’achève, peut-être) avec un nouvel hôpital pour les années 2020. Un peu comme un tribunal, un hôpital marque un état de suspension du temps, un moment d’attente, de la guérison, comme du verdict ou du jugement, bref une sorte d’apnée. L’architecte cherche à y capter le sens de l’expérience humaine [image 1].

Cet hôpital est une ville !

RÉSUMÉ > Sa taille, sa situation, son importance pour le public… Tout contribue à faire de la construction du futur CHU un projet majeur pour Nantes et sa région. En examinant le projet lauréat et les autres, on se dit que le débat s’est déplacé. Il ne s’agit plus tant de l’hôpital

dans la ville que de l’hôpital conçu comme une ville à part entière.

TEXTE > JEAN-LOUIS VIOLEAU

Une vue d’ensemble du futur CHU tel que l’a conçu Art & Build, l’équipe lauréate.

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DOSSIER | SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE

Un bon projet d’architecture procède généralement d’un double mouvement (pas si contradictoire qu’il en a l’air) suivi par son concepteur : bien connaître les règles, ne pas toujours les suivre. Mais l’hôpital est de-venu un objet si complexe et technique qu’il a donné naissance à un « créneau », quelques agences ayant été amenées, par contrainte et/ou par stratégie, à se spécialiser sur ce type de commande. De gros et longs chantiers générant de forts volumes d’honoraires mais aussi en corollaire de grandes agences à faire tourner. Si l’on regarde le palmarès des chiffres d’affaires des agences qu’établit rituellement désormais le magazine d’architectures dans sa livraison de décembre, on relève que nombre des structures classées parmi les vingt pre-mières ont été ou sont confrontées à des marchés hos-pitaliers. Sur ce concours du CHU, trois d’entre elles se trouvaient engagées, AIA1, Groupe 6 et Reichen & Robert2.

Les équipesL’intelligence des organisateurs du concours pour le

nouveau CHU, qui choisirent de se rendre directement à la case du concours d’architecture sans passer par celle du plan directeur préalable3, consista dès lors à choisir des équipes reconnues sur d’autres types de chantiers ou d’autres formes d’exercice (Jean-Pierre Pranlas-Descours et les Hollandais de Claus en Kaan), ayant des références sur le sujet mais bien d’autres à côté (Reichen & Robert4), ou encore une équipe de « spécialistes » mais alliée à une signature inattendue (AIA et le Portugais Eduardo Souto de Moura, prix Pritzker en 2011). Souto de Moura, vous le connaissez tous, c’est l’auteur de ce fabuleux stade municipal de football de Braga construit à l’occasion de l’Euro 2004. Enchâssé dans le roc, la montagne semble y mourir sur la pelouse, quelque part entre deux immenses tribunes latérales. Souto avait su en outre s’allier pour ce concours nantais les services du duo d’architectes Manuel Brullet & Alberto de Pineda qui livra en 2006 le somptueux Hospital del Mar à Bar-celone, situé sur le littoral, proche du quartier portuaire de la Barceloneta5.

Quant à Jean-Pierre Pranlas-Descours, après avoir initié tout jeune (à 36 ans) puis composé le dévelop-pement de Saint-Jacques-de-la-Lande durant près de vingt ans, il vient de conduire la construction de l’éco-

quartier de la Bottière-Chénaie6 à Nantes où il a conçu des logements ainsi que la lumineuse école des Com-pagnons du Devoir.

Claus en Kaan (Felix Claus et Kees Kaan) enfin, on ne les présente plus, dans l’univers des architectes du moins, puisque ce duo incarne l’une des figures de proue de la vague hollandaise qui inonde toutes les scènes européennes depuis vingt ans désormais, dans la foulée de leur glorieux aîné Rem Koolhaas. Leur grande agence s’était notamment fait connaître sur le chantier pionnier de Borneo-Sporenburg avec la reconversion des docks de l’ancien port d’Amsterdam en logements de qualité (sinon de luxe) qui offrirent un site de pèlerinage pour toutes les agences d’urba-nisme françaises à la fin de la décennie 1990. Claus en Kaan ont récemment (2010) livré le Witte Kaap, un immeuble de logements qui s’inscrit comme la proue d’un navire à l’intersection de deux rues de la cité-Vinex (un nouveau quartier sur un polder) d’Ijburg à l’est d’Amsterdam. Et de l’autre côté de la ville, à l’ouest, l’impressionnant méga-bloc du Laan van Spartaan

Quelques grosses agences d’architecture se sont spécialisées dans les projets hospitaliers.

Pour le concours du CHU, trois d’entre elles se trouvaient engagées.

1. Parmi les équipes engagées sur le concours du CHU nantais, le chiffre d’affaires le plus important pour l’année 2013 avait été réalisé par AIA (Architectes Ingénieurs Associés) avec 27 421 000 euros (6e position du classement établi par d’architectures dans son n°232 de décembre 2014). AIA se trouvait intercalée entre Renzo Piano (5e) et Jean Nouvel (7e). C’est une belle grande agence (nantaise à l’origine) qui fonctionne bien, avec des moyens humains variés qu’elle sait gérer, et désormais un savoir-faire indéniable à l’exportation de son expertise et de ses compétences, jusqu’en Chine. Un hors-série (n°14) de la revue Archistorm vient de lui être consacré.2. Associées pour la circonstance et respectivement 9e et 21e de ce classement, avec un chiffre d’affaires de 21,4 millions euros pour les Grenoblois de Groupe 6 et 10 millions d’euros pour les Parisiens.3. La Loi MOP (Maîtrise d’ouvrage publique) encore en vigueur (plus pour très longtemps cependant, on peut le craindre) impose en effet un seul concours, le choix final d’un seul architecte et son engagement sur un coût global. Tandis que la logique d’un plan directeur permet de discuter avec plusieurs équipes d’architectes à travers des ateliers et des simulations sur un coût aléatoire suivant les hypo-thèses développées par chaque concurrent. Échaudé par son mauvais patchwork, fruit des réaménagements et ajouts successifs au fil des ans sur l’autre rive, la maîtrise d’ouvrage (le CHU donc) a préféré cette logique du projet unique.4. Malheureusement, nous ne dirons rien ici du projet conçu par ces architectes car malgré nos sollicitations, leurs documents nous sont parvenus trop tard. On peut les consulter, ainsi que les autres projets, sur notre site internet : www.revue-placepublique.fr5. Voir à ce propos la contribution de Laurent Hodebert, « Nice, un hôpital en ville, qui regarde la mer », parue dans le n°46 (juillet-août 2014) de Place publique consacré à « Ces villes qui peuvent nous donner des idées ».6. Place publique vient de consacrer l’un de ses hors-série à la construction de ce nouveau quartier racontée par Philippe Dossal et Emmanuelle Morin (« Bottière-Chénaie, Habiter Nantes », novembre 2014).

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vient tout juste d’ouvrir ses portes à ses nouveaux habi-tants.

La table du concours était donc très bien dressée, mais il se trouve qu’à Nantes au bout du compte, c’est un mariage de deux « spécialistes » qui a gagné : les architectes belges d’Art & Build alliés au Français Jean-Philippe Pargade. Dans cette (relative) évacuation de la notion d’auteur dans le choix final du jury à l’issue d’un dialogue poussé avec les commissions techniques des spécialistes de la santé, y a-t-il eu quelque chose de convergent ? Comme la résurgence d’une volonté de parler net et « technique » au détriment d’un discours sur la forme et sur l’anticipation ?

L’inscription urbaineMettons que je n’aie rien dit et laissons-nous glisser

vers les planches en essayant de nous faire surprendre.

D’abord, ce futur CHU, c’est un morceau, un morceau de ville à part entière. On en veut pour preuve cette image étonnante où l’équipe Claus en Kaan/Pranlas-Descours s’est plu à redessiner entièrement l’ouest de l’Île de Nantes une fois ce CHU construit et ceint de toutes les opérations en cours ou en projet censées l’en-tourer [image 2]. Comme un Île finie avant l’heure et par anticipation : stimulant pour l’imaginaire, et pour le débat citoyen. Ce nappé vert-urbain dit bien quel visage pourrait prendre ce territoire et confirme l’esprit du transfert : un hôpital en ville (même si le précédent l’était aussi !) et au milieu des jardins – ce qui, cela dit, n’était guère rentable sur le plan foncier.

Par sa taille et sa situation, ses 270 000 m2, son caractère public emblématique et ce qu’il engage du futur de près d’un quart de l’Île de Nantes, tout le quadrant sud-ouest, de la Prairie-au-Duc au pont des

C’est d’ailleurs l’équipe formée par le mariage de deux spécialistes qui l’a emporté.

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Tout l’ouest de l’Île de Nantes redessiné par l’équipe Claus en Kaan/Pranlas-Descours.

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Trois-Continents, le futur CHU n’a en effet rien d’un projet low cost. Les documents que les candidats ont dû rendre sur le phasage des travaux et l’allocation des surfaces sont d’une complexité impressionnante. Les dossiers rendus font des centaines de pages et le pro-gramme devait être bien lourd à digérer. Cela dit, de fortes rémunérations ont été légitimement attribuées

en conséquence aux quatre équipes – et l’on ne peut qu’être surpris par la modestie, jusqu’ici, de la diffusion de leurs travaux.

On sait que l’architecture est un corps de prescrip-tions et d’habitudes commun à tous les architectes d’une époque. Si l’on y ajoute les contraintes du pro-gramme, ceci explique les ressemblances de familles

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Des manières de traiter le rapport au fleuve somme toute assez voisines. Ici le projet Art & Build depuis le pont des Trois-Continents.

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dessin:

Centre Hospitalier Universitaire de NANTES Concours pour la construction d’un ensemble hospitalo-universitaire dit Projet Ile de Nantes

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Dossier esquisse « anonyme »

Perspective point de vue 1

Toujours le rapport au fleuve. En haut, la proposition de l’équipe Claus en Kaan/Pranlas-Descours. En bas, celle de AIA/Souto de Moura.

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Chemetoff s’était refusé à tailler dans son plan-guide [image 8].

L’entrée principale du projet lauréat fait vaguement penser à un casino. Je suis sceptique, donc chacun ses goûts [image 9]. La rue intérieure prend soudain des allures de mall commercial, mais puisqu’il s’agit d’un hôpital en ville… En revanche, le hall principal de Souto / AIA était un brin austère, volontairement ? Et peut-être un rien sous-dimensionné [image 10]. De mêmes les

espaces intérieurs semblent un peu ternes sur les planches qu’il m’a été permis de voir. Mais tout dépend de l’endroit où l’on a décidé de mettre son argent…

Le très grand développé des façades du projet lauréat – induit par le choix des rues intérieures – ne sera pas non plus sans générer quelques surcoûts [image 11]. Le hall d’accueil de Pranlas-Descours et Claus en Kaan était vaste et généreux, avec des parements de bois qui lui donnaient une certaine chaleur [image 12]. Sans être

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Centre Hospitalier Universitaire de NANTES Concours pour la construction d’un ensemble hospitalo-universitaire dit Projet Ile de Nantes

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Dossier esquisse « anonyme »

Perspective point de vue 3

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Claus en Kaan/Pranlas-Descours : l’intégration urbaine du projet a été particulièrement soignée.

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Centre Hospitalier Universitaire de NANTES Concours pour la construction d’un ensemble hospitalo-universitaire dit Projet Ile de Nantes

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Dossier esquisse « anonyme »

Perspective point de vue 3

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L’entrée principale du projet lauréat.

Le hall vu par AIA/Souto de Moura.

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L’hôpital monobloc a régné jusqu’au milieu des années 1970.

des années 1970 vers la tour soclée où la base s’élargit à mesure qu’enflent les blocs et les infrastructures d’ima-gerie médicale, alors que l’hébergement en chambres communes est distribué dans des étages de plus en plus nombreux. Les services médicaux y formaient les racines, les groupes d’ascenseurs le tronc, et les unités de soins les branches7. Cet hôpital « monobloc » sera décliné jusqu’au milieu des années 1970 à travers les nombreux programmes d’équipements hospitaliers que développe alors un pays en plein essor économique où la volonté gaullienne cherche à concentrer et organiser les fonctions sur le territoire national8. D’une manière générale – et le CHU d’Yves Liberge et Michel Roux-Spitz9 n’y échappa guère – ces « monoblocs » devenus en chemin « polyblocs » se sont adaptés tant bien que mal, suivant leur degré de flexibilité (donc plutôt mal) à l’explosion des consultations externes qui a vu la médecine courante devenir de plus en plus hospita-lière en se fondant sur le savoir de spécialistes et sur un appareillage sophistiqué et coûteux.

LES ATOUTS DU PROJET LAURÉAT- Une implantation urbaine qui répond fidèlement au cahier de prescriptions émis par l’équipe en charge du projet urbain de l’Île de Nantes.

- Un choix de matériaux et de dessins de façades qui recoupe peu ou prou un goût commun partagé, volontairement à l’écart des sentiers escarpés de la modernité architecturale.

- Le parti-pris de rues intérieures et d’un dispositif en « pavillons » qui revisite un modèle hospitalier canonique.

- Une distribution spatiale qui répond directement à la division des services hospitaliers.

- Une volonté d’ouverture sur la ville qui vise à tempérer le problème de taille posé par le regroupement de tous les services hospitaliers sur un même site.

- L’idée générale de lisser l’architecture parfois austère des ensembles hospitaliers.

- Un hôpital fonctionnel, raisonnablement modulaire et potentiellement « sécable ».

7. On peut en retrouver les racines dans la région avec la reconstruction après-guerre de l’hôpital de Saint-Lô, dans la Manche, premier témoin de la seconde révolution fonctionnaliste, par l’architecte Paul Nelson – grand constructeur d’hôpitaux lui aussi, à Dinan ou Arles. Financé par le gouvernement américain, sa construction débute en 1946, alors que se tient l’ « Exposition des techniques américaines de l’habitation et de l’urbanisme 1939-194X » à Paris, conçue par le même Paul Nelson et ouverte par François Billoux, ministre communiste de la Reconstruction. Pensé comme un « centre de santé » en liaison directe avec les facultés de médecine et de pharmacie, la conception de cet hôpital est dominée par le souci de rationalisation des circulations et se développe en hauteur autour de l’ascenseur. Chaque étage correspond à un service. Les hospitalisations de longue durée se trouvent au dernier, tandis que les consultations externes et l’adminis-tration se déploient en rez-de-chaussée autour de patios, et les services généraux sont renvoyés au sous-sol. Cette conception rationalisée à l’extrême n’empêcha pas Nelson de soigner ses ambiances en travaillant sur la couleur et la lumière : il fait appel à Fernand Léger et Charlotte Perriand, oriente toutes ses chambres au sud, et termine chaque couloir par une claustra de verre translucide. Dès son inau-guration, en 1956, cet hôpital de 420 lits a été salué comme un nouveau modèle.8. Dans la région, on pense aux 23 étages de l’hôpital de Caen (Henry Bernard architecte) ou à la barre épaisse de La Roche-sur-Yon, et bien sûr à Nantes avec l’ancien CHU avec sa distribution en croix, mais tellement modifiée, augmentée et réaménagée au fil des ans que l’image du bloc s’est depuis perdue en chemin. Charles Le Maresquier construira aussi des « monoblocs » à Rangueil (Toulouse) et à Vandoeuvre (Nancy). Tous ces établissements sont indissociables de la grande réforme hospitalière de 1957-1958 et la création des CHU qui veut que l’on soigne, enseigne et cherche au même endroit.9. Qui construisit l’hôpital de Dijon pratiquement en même temps que celui de Nantes.

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Renouant donc avec la typologie pavillonnaire, les rues intérieures du projet lauréat répondent bien aux prescriptions du duo d’urbanistes, Anne Mie Depuydt et Marcel Smets, conduisant depuis 2012 l’avance-ment du projet urbain de l’Île de Nantes10 [image 14]. Mais la structure qu’elles organisent sera-t-elle assez flexible pour s’adapter aux progrès médicaux que nous sommes en droit d’espérer ? Et parvien-dront-elles à ouvrir l’hôpital sur la ville ? L’enjeu est crucial puisque nous nous situons là-bas sur un « finistère » insulaire, loin à l’ouest de l’Île, bordés par le futur parc métropolitain lui-même situé dans la continuité de l’actuel parc des Chantiers et du futur écoquartier de la Prairie-au-Duc. Au fil de ce dégradé des porosités paysagères de l’intérieur de l’Île vers ses rives, se dessine une ville-jardin sur la pointe, à l’écart des grands flux de transit de la ligne de ponts reliant Anne-de-Bretagne aux Trois-Continents – le futur « boulevard Léon-Bureau prolongé » dans le jargon des urbanistes. Chacun s’en doute, un grand projet public comme un nouveau CHU accélère l’avance-ment de tous les projets voisins et engage une valori-

Un grand projet public comme un nouveau CHU accélère l’avancement de tous les projets voisins.

sation inévitable du foncier qui le borde, quand bien même celui-ci serait-il relativement excentré.

Dans ce CHU, le tramway ouvrira une véritable brèche en traversant l’ensemble, isolant soigneusement au nord l’Institut de cancérologie de l’Ouest [image 15]. Porosités et sécabilité étaient les mots-clés du projet pour un nouvel hôpital fonctionnel et mutable, avec un principe cardinal : compacter les espaces – tout doit être près de tout – en réfléchissant généralement horizontalement dans un développement de plateaux. Mais comment faire abstraction de la « question de taille », pour reprendre les mots du mathématicien et philosophe Olivier Rey11, suscitée par le regroupement de tous les services hospitaliers nantais sur un même site ? Au moins l’effort est-il porté cette fois-ci en ville et non dans un champ de patates – où les morceaux de bravoure certes ne manquent pas, je pense en particu-lier aux projets des architectes « hospitaliers » Brunet & Saunier, mais appartiennent à un autre registre.

10. Je remercie Alain Bertrand, directeur général adjoint du pôle urbain de la Samoa, pour ses précieuses informations et sa restitution des enjeux urbains du concours du CHU.

14

L’une des rues intérieures dans le projet Art & Build.

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Espaces et soinsNotre mémoire commence avec les souvenirs de

nos grands-parents : avec la fin de l’Hôtel-Dieu, c’est la génération de l’après-guerre qui enterre les siens. Cha-cun se doute que l’hôpital n’est pas une forme intan-gible et que ses espaces sont tributaires des techniques de soin. Mais peut-être réalise-t-on plus difficilement combien l’hôpital exprime à chaque fois une époque, sa pensée dominante, bref le régime de vérité d’une société donnée12. Claus en Kaan et Pranlas-Descours, en soignant tout particulièrement la modularité – la possibilité de voir les pavillons changer d’affectation – et en imaginant, plutôt qu’un trajet du patient de service en service, un établissement « générique » et mutable où les soins hospitaliers seraient venus dans la mesure du possible se rapprocher du corps du patient, avaient imaginé passer du gouvernement des malades au gouvernement de son propre corps. L’hôpital du 21e siècle ? La question de la place du numérique dans l’évolution des techniques médicales a cependant été

peu ou prou évacuée par la plupart des équipes, du moins jamais traitée dans sa spécificité.

Avec le projet lauréat, nous restons plutôt au milieu du gué, mais au prisme d’une nouvelle synthèse ou nouvelle alliance, comme on voudra, de l’hôpital par pavillons revisité par les impératifs fonctionnalistes de la période monobloc. L’agencement et la distribution de ses pavil-lons reflètent bien les hiérarchies internes de l’appareil médical, la division de ses services et l’échelle de ses prérogatives. Lorsqu’un projet passe entre les mains des commissions, « techniques » et de « spécialistes », bref lorsque les futurs usagers s’en emparent, ils cherchent iné-vitablement l’endroit où l’architecte les aura fait atterrir… Encore une histoire de correspondance entre structure spatiale et structure sociale ?

11. Cf. Olivier Rey, Une question de taille, Stock, coll. les essais, Paris, 2014.12. Voir à ce propos notre article « Architecture » (-hospitalière) paru dans le Dictionnaire de la pensée médicale coordonné par Dominique Lecourt, François Delaporte, Patrice Pinel et Christiane Sinding (PUF, Paris, 2004, pp. 87-93).

L’hôpital exprime une époque, une pensée dominante, bref le régime de vérité d’une société donnée.

15

C’est là que devrait passer le tramway, entre l’Institut de cancérologie et le reste de l’hôpital (Art & Build).

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« À LA FOIS COMPACT ET OUVERT »Voici les termes dans lesquels l’équipe lauréate présente son projet :

Il a fallu résoudre une contradiction apparente : la nécessité de réaliser un hôpital compact pour rationaliser les circuits et minimiser les parcours, et la volonté fortement exprimée de créer un hôpital “ouvert traversé”.

Dans un premier temps, nous avons tracé du nord au sud et d’est en ouest des rues ouvertes intérieures, axes agrémentés de pocket parks – jardins intimes – qui prolongent la vie urbaine à l’intérieur de l’hôpital. Nous avons par ailleurs concentré les fonctions médico-techniques de l’hôpital, celles qui con-cernent les activités les plus pointues et qui exigent un niveau de protection maximum, dans un cœur, un noyau central hyper technique sanctuarisé.

Des satellites périphériques, conçus pour accueillir les unités autonomes que sont les pôles hospitalo-universitaires, sont organisés en plusieurs couronnes successives et gravitent autour de ce cœur.

De même dimension, ils confèrent à l’hôpital une échelle humaine, celle du quartier qui l’environne.

L’autre innovation du projet réside dans la création de liaisons fonctionnelles rapides et efficaces entre ces différentes entités, préservant ainsi les rues-jardins ouvertes au rez-de-chaussée. Ainsi, comme dans un aéroport, les patients accèdent, à partir du parking, à des dépose-minute vers les ascenseurs de chaque pôle hospitalo-universitaire, et les personnes hospitalisées circulent via des galeries au R+1. Enfin, les transports automatiques de la logistique circulent au R+2, au même niveau que les locaux techniques.

Par cette organisation, nous avons voulu gommer les limites de l’hôpital : la ville est dans l’hôpital et l’hôpital est dans la ville. Ainsi, nous créons une troisième couronne de bâtiments destinés à d’autres fonctions dépendantes du CHU qui, bien que plus dispersés, se trouvent proches. L’hôpital pourra ainsi attirer des activités économiques ou de recherches connexes, à proximité immédiate.

Le projet est à l’image d’un campus universitaire en milieu urbain : à l’image d’un quartier de ville, son rez-de-chaussée devient un lieu public et piétonnier, qui permet de desservir les différentes entités du CHU, en évitant l’accès par un seul point d’entrée.

«

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Le projet lauréat reprend le schéma initial « en mar-guerite » fixé par le programme, mais l’affaire est sans doute plus complexe – il en va toujours ainsi – et l’arma-ture logique de ce projet renverrait plutôt à une chaîne métonymique : patient-service-pavillon-entité globale du CHU. Il faut rappeler que chacun de ces pavillons aura la taille d’un Centre hospitalier déprtemental, ceux de Cholet ou La Roche-sur-Yon par exemple ! C’est une

forme d’ellipse où le pavillon renvoie au CHU sur une vaste entité territoriale maillée, là où Roux-Spitz, un demi-siècle plus tôt, avait préféré implanter massive-ment son bloc vaguement cruciforme et franchement autarcique au cœur de la ville [image 16]. Sommes-nous passés en chemin de l’hôpital dans la ville à l’hôpi-tal comme une ville ? n

Les images et les dessins émanent des équipes ayant participé au concours

16

De l’hôpital dans la ville à l’hôpital comme une ville. Vue du projet lauréat depuis l’est du quai Wilson, aux abords de la raffinerie Béghin-Say.

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PLACE PUBLIQUE > Pourquoi faut-il transférer le CHU ?

PHILIPPE SUDREAU > La question n’est pas tant celle du transfert que celle du regroupement, sur un seul site, de nos deux établissements principaux : l’Hôtel-Dieu et l’hôpital Nord, à Saint-Herblain. Dans chacun de ces établissements nous avons des activités de méde-cine, de chirurgie, d’obstétrique…

PLACE PUBLIQUE > Eh bien, pourquoi faut-il regrouper ces deux établissements ?PHILIPPE SUDREAU > Pour les patients d’abord. C’est l’intérêt du malade qui explique notre volonté de rassembler en un seul site toute notre offre de soins aigus. Savez-vous qu’aujourd’hui on compte pas moins de 10 000 transferts par an de patients d’un établisse-ment à l’autre ? Et dans le futur établissement toutes les chambres seront à un lit ; aujourd’hui, ce n’est le cas que de 40 % d’entre elles. Le regroupement pré-sentera aussi un intérêt certain pour les professionnels de santé dont les équipes sont aujourd’hui séparées, notamment dans des spécialités médicales rares.

PLACE PUBLIQUE > Vous ne dites rien des incidences éco-nomiques de la fusion…PHILIPPE SUDREAU > J’y viens… Bien entendu, deux sites

Philippe Sudreau : « Le futur hôpital sera souple, fonctionnel, et beau »

RÉSUMÉ > Philippe Sudreau, le directeur du CHU, re-vient sur les raisons qui expliquent la construction d’un nouvel établissement sur l’Île de Nantes. Souple et fonctionnel, le projet retenu permettra de répondre aux

évolutions prévisibles de la médecine de demain.

PHILIPPE SUDREAU est le directeur général du CHU depuis mars 2014, date à laquelle il a succédé à Christiane Coudrier. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et de l’École des hautes études en santé publique, il était auparavant directeur des hôpitaux universitaires Saint-Louis/Lariboisière/Fernand-Widal de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

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cellence] du programme d’investissements d’avenir du ministère de l’Enseignement supérieur. Comme en 2011, l’Ouest ne parvient pas à entrer dans la cour des grands.1

OLIVIER LABOUX > C’est une déception, mais elle ne remet pas en cause notre démarche. Il n’était pas question pour Nantes d’être candidate de manière isolée. Et même avec Rennes la somme de nos forces ne nous place pas naturellement sur le podium. En matière universitaire, Nantes plus Rennes, ça reste plus petit que Grenoble ou que Montpellier. D’où la nécessité de constituer un réseau Bretagne-Loire, allant du Mans à Brest, de Nantes à Rennes. Mais il faut croire que ce modèle du réseau n’entre pas dans les schémas de pensée des décideurs. Et pourtant, j’en suis convaincu, l’avenir est aux réseaux.

PLACE PUBLIQUE > C’est vous, un Nantais, qui portiez ce projet. Ce qui a parfois suscité quelque émotion dans les milieux universitaires rennais2…OLIVIER LABOUX > Si j’ai accepté de porter ce projet c’est à la demande de mes collègues… Même si nous avons échoué, le travail accompli en commun n’est pas vain ; nous avons tourné une page.

PLACE PUBLIQUE > C’en est donc fini de la compétition entre Rennes et Nantes ?OLIVIER LABOUX > Disons que nous sommes entrés dans une relation de coopétition… C’est vrai, Rennes est plus forte que nous en matière de recherche, mais en dehors de l’enseignement supérieur, Nantes est une ville puissante, dynamique. C’est pour cela que cette alliance avait du sens. n

1. L’objectif est de sélectionner des universités de recherche de rayonnement mon-dial. L’université Bretagne Loire devrait fédérer 27 établissements : les universités d’Angers, de Brest (UBO), de Bretagne Sud (UBS), du Mans, de Nantes, de Rennes 1 et Rennes 2, des grandes écoles, des organismes de recherche (Ifremer, CNRS, Inria…). Ce réseau regrouperait ainsi 160 000 étudiants, 6 600 enseignants-chercheurs et 6 500 personnels administratifs et techniques. Sur l’échec de 2011, lire notamment les dossiers de Place publique numéros 25 et 28 : « Université : le grand enjeu pour Nantes et Rennes » ; « Grand emprunt : l’Ouest, un désert universitaire ? »<?>. On lira par exemple le point de vue de Jacques de Certaines, « La recherche rennaise au milieu du gué », paru dans le numéro 34 (mars-avril 2015) de l’édition rennaise de Place publique. Docteur en physique, en biologie et en sociologie de la science, président honoraire de la technopole Rennes Atalante, l’auteur écrit : « C’est le président de l’université de Nantes, Olivier Laboux, qui pilote le navire et, du fait des voies d’eau rennaises, Nantes se retrouve en position de force dans les négociations. »

UNE EXPOSITION SUR LE FUTUR CHU

Pour tout savoir sur le futur CHU, une expo-sition sera ouverte au Hangar 32 sur l’Île de Nantes du 3 juillet au 17 décembre. Ouverture chaque jour de 14 h à 19 h durant tout l’été ; du vendredi au dimanche de 14 h à 18 h, à partir de septembre.Des débats seront également organisés en par-tenariat avec Place publique.

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ANNE MIE DEPUYDT et MARCEL SMETS sont les deux architectes-urbanistes qui assurent depuis 2010 la maîtrise d’oeuvre urbaine de l’Île de Nantes, à la suite d’Alexandre Chemetoff. JEAN-LUC CHARLES est le directeur général de la Samoa, la Société d’aménagement de l’Ouest atlantique, en charge notamment de l’Île de Nantes et de l’animation économique du Quartir de la création.

PLACE PUBLIQUE > Alexandre Chemetoff, le premier urbaniste de l’Île de Nantes, comparait le futur

CHU à une escalope…JEAN-LUC CHARLES > Il n’avait pas complètement tort dans le mesure où il imaginait que le CHU se retrouve-rait au cœur de l’Île. Mais le déplacement du Marché d’intérêt national (MIN) et l’installation du CHU à cet endroit ouvre d’autres perspectives. J’observe d’ailleurs que le MIN est une ville dans la ville, un monde fermé qui ne vit que la nuit, une escalope en somme…MARCEL SMETS > Si l’histoire doit retenir quelque chose de l’équipe de maîtres d’œuvre qui a succédé à Alexandre Chemetoff, c’est bien d’avoir réussi à trouver un empla-cement satisfaisant pour le futur CHU. Non seulement ça nous évitera bien des difficultés, mais cet équipement va devenir emblématique du développement vers le Sud. Le CHU se rapproche ainsi de l’hôpital Saint-Jacques et des Nouvelles cliniques nantaises. C’est un pôle de soins qui voit le jour sur les deux rives de la Loire.JEAN-LUC CHARLES > Il faut en effet considérer le CHU comme un accélérateur d’aménagement. Avec son ar-rivée, l’Île de Nantes va prendre une tout autre dimen-sion. L’hôpital, le parc métropolitain, le Quartier de la

Une tout autre dimension pour l’Île de Nantes ?

CONTEXTE > En quoi l’arrivée du CHU va-t-il modi-fier l’aménagement de l’Île de Nantes ? Une menace pour l’équilibre du quartier ou une occasion à saisir ? Conversation entre Jean-Luc Charles, Marcel Smets et

Anne Mie Dupuydt qui s’est jointe au débat avec un peu de retard.

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création : voilà trois éléments de centralité à l’échelle de l’agglomération et bien au-delà.

PLACE PUBLIQUE > Oui, mais tout cela ne verra pas le jour en même temps.JEAN-LUC CHARLES > C’est vrai, il s’agit d’une opération à tiroirs dont le calendrier sera forcément complexe.

PLACE PUBLIQUE > Première étape ?JEAN-LUC CHARLES > Le déménagement du MIN, en principe en 2018. C’est alors que la construction du nouveau CHU pourra commencer. Ensuite, il faudra transférer les voies ferrées qui occupent une partie de l’Île vers la gare du Grand Blottereau à l’est de Nantes. Ce gigantesque jeu de meccano dépasse largement l’Île de Nantes. La discussion est en cours avec Réseau ferré de France, mais ce déplacement ne me semble pas envisageable avant 2022 ou 2023.MARCEL SMETS > Et ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’on pourra réaliser le Parc métropolitain. Ce qui n’empêche pas de le concevoir dès maintenant.

PLACE PUBLIQUE > À quel objectif répond ce parc ?MARCEL SMETS > Nous sommes ici au cœur de l’agglo-mération, à la confluence des deux bras de la Loire, au Finistère de l’Île, à un endroit où l’on éprouve le senti-ment de l’estuaire. Il est très important de garder à ce lieu son ambiance si particulière, son caractère distinc-tif sans pour autant le laisser à l’abandon. Nous avons donc le projet de réaliser un très vaste espace public.1

PLACE PUBLIQUE > De quelle surface ?MARCEL SMETS > 27 hectares, y compris le Parc des chantiers, déjà réalisé.

PLACE PUBLIQUE > Un vaste jardin ?MARCEL SMETS > Non, car on y construira des logements et des équipements collectifs, mais l’espace ouvert dominera l’espace construit.JEAN-LUC CHARLES > En somme, ce sera de la ville au milieu d’un parc avec un accès privilégié à la Loire par les berges du quai Wilson, totalement libérées. Il s’agit d’un projet ambitieux, novateur, complexe, tout à fait en phase avec la notion de « ville marchable » chère à Anne Mie Dupuydt et à Marcel Smets.

PLACE PUBLIQUE > L’une des objections majeures à l’im-plantation du CHU sur l’Île de Nantes était la diffi-culté d’accès au site.JEAN-LUC CHARLES > En voiture, on y arrive d’ores et déjà plus aisément qu’à l’Hôtel-Dieu, du moins quand on vient du Sud. On dispose pour cela de routes à quatre voies y compris sur le pont des Trois-Continents. Mais, c’est sûr, il va falloir renforcer l’offre de transports col-lectifs.

PLACE PUBLIQUE > Faire venir le tramway jusqu’au CHU ?JEAN-LUC CHARLES > Oui, grâce à une virgule d’un kilo-mètre depuis la place Mangin. L’idéal serait ensuite de prolonger cette ligne vers le Sud jusqu’au futur dépôt de tram qui va s’implanter à Rezé. Mais aussi vers le Nord de manière à rejoindre la ligne 1 du côté de Chantenay.MARCEL SMETS > Il y a là pour Nantes un très gros enjeu qui dépasse celui de la desserte du CHU. La ville dis-pose d’un réseau de tramway en étoile, aujourd’hui saturé. Ce réseau, il faut désormais le mailler, se doter d’autres carrefours que la place du Commerce. L’Île de Nantes a vocation à être l’un de ces nouveaux car-refours. En d’autres termes, on peut se contenter de solutions à court terme ou bien, au contraire, profiter du déménagement du CHU pour repenser l’ensemble du réseau.

PLACE PUBLIQUE > Par sa taille, son importance pour le pu-blic, les nouveaux flux qu’il va susciter, le CHU ne risque-t-il pas de déséquilibrer le quartier. Plutôt que d’Île de Nantes, ne parlera-t-on pas à l’avenir de l’Île de l’hôpital ?JEAN-LUC CHARLES > C’est vrai, des questions d’équi-libre entre les différentes activités de l’Île peuvent se poser. C’est pourquoi, au-delà de la surface prévue, notre intention n’est pas de geler des terrains qui, plus tard, pourraient éventuellement servir au CHU et à l’université. Nous allons sans attendre continuer à construire de la ville au fur et à mesure des possibilités.MARCEL SMETS > D’ailleurs, quoi de mieux pour des étu-diants de se retrouver en pleine ville ? Et puis il y a Terreos…

1. Lire à ce sujet « Préfigurons la ville à venir », l’entretien donné par Marcel Smets dans le n° 44 de Place publique (mars-avril 2014).

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JEAN-LUC CHARLES > Oui, l’ancienne raffinerie Béghin-Say. Ce peut être un contrepoint intéressant à l’hôpi-tal.MARCEL SMETS > Dans l’exacte continuité du quai ! Et puis il faut étendre le champ de la réflexion à l’autre rive.JEAN-LUC CHARLES > En effet, renversons la proposition : plutôt que de se dire que le CHU va déséquilibrer l’Île, réjouissons-nous de son arrivée qui va permettre de jeter des passerelles vers l’autre rive. De part et d’autre de la Loire, c’est le futur pôle de santé du Grand Ouest qui peut voir le jour.

PLACE PUBLIQUE > Comment envisagez-vous l’articula-tion entre le Quartier de la création et le futur quartier hospitalo-universitaire ?JEAN-LUC CHARLES > De manière toute naturelle. La san-té, le bien-être, le mieux-vivre… quels meilleurs sujets de réflexion pour des communautés créatives ? Il y a là

un marché phénoménal, pas seulement en raison du veillissement de la population, mais aussi parce que la révolution numérique est en train de bouleverser aussi la prise en charge des patients. On s’oriente de plus en plus vers une médecine personnalisée et prédictive. Ce n’est pas un hasard si l’École de design, au cœur du Quartier de la création, a créé un laboratoire consacré à la santé et au soin.

PLACE PUBLIQUE > Quel jugement portez-vous sur le pro-jet architectural retenu pour le nouveau CHU ?ANNE MIE DUPUYDT > Il a déjà le mérite de répondre à nos prescriptions urbaines. Il est aussi porteur d’une vision à long terme sur ce que sera l’hôpital de demain, avec une forte dimension numérique. C’est également un projet flexible, pensé en grands îlots, tout le contraire d’un gigantesque monument. Et on pourra y pénétrer facilement, du nord au sud, mais aussi d’est en ouest.MARCEL SMETS > Oui, il sera traversé d’une vraie rue

Marqué de croix rouges, l’emplacement du futur CHU. Il occupera le site du Marché d’intérêt national et s’étendra jusqu’à la Loire. À l’ouest, entre le pont des Trois-Continents et la pointe de l’ïle, c’est un « parc métropolitain » qui verra le jour.

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Au fait, comment en est-on venu à décider la re-localisation du CHU sur l’Île de Nantes ? Cette

question élémentaire amène à engager une enquête, tout juste esquissée, où l’on croise des rapports de pou-voir, des ingénieries, des expertises, des débats plus ou moins argumentés et un imbroglio de chaînes de déci-sion1. La géographie de la santé n’est pas la moindre des questions d’aménagement du territoire.

Une décision progressive et fragmentéeConcernant les grosses affaires, deux représentations

communes tendent à s’opposer. L’une associe jeux de couloirs, trafics d’influence et enjeux cachés (une vi-sion plutôt complotiste des politiques publiques) dans une approche où l’on soupçonne que les vraies raisons sont ailleurs, cachées, rendues invisibles. L’autre est au

Anatomie d’une décision, histoire d’un pari

RÉSUMÉ > Ni complot tramé dans l’ombre ni évidence rationnelle. Le choix de déplacer le CHU sur l’Île de Nantes est un très bon exemple de la manière dont se construisent les décisions publiques concernant les grands équipements : une hypothèse fait son chemin

et finit par s’imposer compte tenu de l’évolution du paysage.

LAURENT DEVISME est professeur de sciences sociales à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique. Il a notamment dirigé Nantes. Petite et grande fabrique urbaine, Parenthèses, 2009.

TEXTE > LAURENT DEVISME

1. Ce travail, nourri d’un suivi au long cours des projets de transformation urbaine à Nantes a bénéficié de lumières plus spécifiques de Jean-Luc Charles, directeur général de la Samoa ; Franck Sina, directeur général adjoint de la Ville de Saint-Herblain ; Éric Chevalier et Catherine Rinfray, de la Direction générale déléguée à la Cohérence territoriale de Nantes Métropole ; Gaëlle Néron de Surgy, directrice du plan et du projet Île de Nantes au CHU. Qu’ils en soient remerciés. Les propos n’engagent évidemment ici que l’auteur.

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contraire fortement rationaliste, enracinée dans une vision propre à la décision cartésienne qu’incarne la figure de l’homme certain (le rapprochement est pro-posé par le théoricien Lucien Sfez dans son ouvrage majeur Critique de la décision, 1973). Le prolonge-ment contemporain de cette deuxième vision se trouve dans une vision systémique du monde de la décision publique : à partir d’un certain niveau de complexité, seules les études, évaluations multi-critères et autres approches globales intégrées seraient à même d’aider à la décision politique et, partant, de rendre compte d’un processus décisionnel2.

Nous allons voir, en ce qui concerne le transfert du CHU de Nantes, qu’aucune de ces visions n’est cré-dible. Tantôt elles surestiment le rôle des « acteurs » et des « décideurs » (comme si ces catégories étaient évi-dentes : qu’est-ce qui fait que l’on est acteur un moment et pas à un autre ?). Tantôt elles sous-estiment le rôle des rapports de force et de tension. Cela pourrait tout autant se démontrer à propos d’une autre décision de transfert, celle de l’aéroport : plutôt que de reprendre une dis-cussion raisonnée sur les fins et les moyens, on nous dit seulement d’un côté que l’on attend l’épuisement des recours, la fin des procédures en œuvre à d’autres échelles (notamment européenne), quand, de l’autre côté, on campe et on occupe le terrain.

L’histoire de la décision du transfert du CHU méri-terait une thèse. C’est dire la modestie nécessaire de cet article qui ne saurait prétendre à une vision complète de cette question. Il aurait en outre fallu rencontrer bien plus d’acteurs et de témoins d’une histoire déjà longue, avis aux amateurs !

Ce qui est en jeu est à la fois une pièce urbaine-mas-todonte dotée d’une assez forte auto-organisation et un appareil de production : le CHU de Nantes est le premier employeur de la région. Comment peut-on en venir à dé-cider de déplacer la pièce maîtresse, le site principal, en même temps que le site secondaire, situé sur la commune de Saint-Herblain ? Certes, de nombreuses entreprises se posent régulièrement la question de leur regroupement (ou du regroupement de leurs filiales) ; c’est également le cas des administrations (ainsi, les différents immeubles du Conseil général). Mais le regroupement hospitalier sur une surface de 270 000 m2 de planchers est d’une autre échelle.

Au temps de l’incertitude, de la vulnérabilité et de l’homme aléatoire, il faut penser plutôt en termes d’expérimentation, d’exploration, de prise de risques et de précaution. La grille de lecture que l’on peut proposer pour comprendre la décision du regroupe-ment du CHU est la suivante : les décisions tranchées sont très rares ; elles consistent plutôt en de nombreux tâtonnements et consultations qui, progressivement, prennent de la consistance, se solidifient. Les princi-pales négociations se jouent à trois niveaux : entre le local et le national ; au sein du territoire nantais ; entre les pouvoirs managériaux et médicaux de l’établisse-ment de soin. Ces trois registres de négociation ne se recouvrent pas nécessairement et impliquent chacun d’autres sous-niveaux de négociation.

Un CHU à la manœuvre ?Le regroupement est d’abord un projet local d’État3.

Commençons donc par le niveau du CHU, Centre hospitalier universitaire. Le déterminant est trompeur, comme s’il s’agissait d’un seul et même bloc (spatia-lement, le CHU concerne aujourd’hui sept sites). Le CHU est un établissement juridiquement autonome, doté d’un conseil de surveillance et disposant d’une tutelle qui est une autorité de régulation : l’Agence régio-nale de la santé (ARS), anciennement agence régionale de l’hospitalisation. La direction générale de l’ARS, aux compétences fortes, représente l’État. Le directeur géné-ral du CHU est quant à lui nommé par le ministre de la Santé. On voit d’emblée la dimension nationale que porte chaque hôpital, même si la plupart des CHU – c’est le cas à Nantes – sont présidés par les maires des villes où ils sont implantés. Le conseil de surveillance du CHU est composé de trois collèges : élus, représentants du personnel et personnalités qualifiées.

Tout hôpital est traversé de deux grands types de pouvoir aux logiques différentes. L’un est administratif, l’autre médical. Nombreux sont les récits qui abordent ce point. Tantôt pour évoquer le pouvoir des médecins

Trois niveaux de négociation : entre le local et le national ; au sein de l’agglomération ; entre les pouvoirs managériaux et médicaux du CHU.

Chaque CHU porte d’emblée une dimension nationale. Son directeur est d’ailleurs nommé par le ministre de la Santé.

2. Cette conception ne parvient pas à intégrer ce que peut signifier le fait, pourtant éminemment important, que des experts puissent dire qu’ils doutent et ne savent pas. Pourtant, pas d’expertise sans perplexité !3. C’est la notion que retient Simon Malassis dans son mémoire de sciences politiques (M1) intitulé Le transfert du CHU sur l’île de Nantes, sous la direction de Goulven Boudic (université de Nantes, 2013-2014).

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48 000 emploisLe CHU de Nantes occupe une place de choix

dans le paysage sanitaire local. Pour autant, afin de bien mesurer les enjeux économiques et sociaux liés à son transfert sur l’Île de Nantes, il importe de le repla-cer dans un contexte plus large. Car le CHU s’inscrit dans un système de soins dont l’organisation spatiale participe à l’attractivité du territoire.

Parler du poids économique du CHU de Nantes offre donc l’occasion de considérer ce que représente l’économie de la santé en Loire-Atlantique et dans la métropole. Pour ce faire, nous avons cherché à agréger l’ensemble des emplois dont l’existence est liée direc-tement à la notion de soins.

En 2013, on dénombre 17 425 professionnels de santé (dont 10 454 infirmiers et 1 312 médecins géné-ralistes). À cela s’ajoute l’ensemble des professionnels intervenant en établissements sanitaires (public, privé lucratif et privé non lucratif), personnel médical ou non, soit 24 337 emplois (dont 10 % seulement de personnel médical : chirurgiens, anesthésistes, etc.).

L’économie de la santé en Loire-Atlantique

RÉSUMÉ >Avec 48 000 emplois, la santé pèse lourd dans l’économie de la Loire-Atlantique. Un départe-ment où l’offre de santé est principalement concentrée dans les villes, mais qui ne connaît pas pour autant de déserts médicaux : on trouve toujours au moins un médecin généraliste à un quart d’heure de chez soi. Premier employeur du département, le CHU joue un rôle de premier plan dans l’économie de la santé. Pour autant, son rayonnement est plus départemental que réellement régional et il se situe dans la moyenne des

CHU, qu’il s’agisse de son budget, de ses capacités d’accueil ou du nombre d’étudiants.

BENOÎT FERRANDON est chef de service à la direction prospective du Département. Il appartient au comité de rédaction de Place publique.

TEXTE > BENOÎT FERRANDON

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DOSSIER | SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE

Mais la santé inclut également des secteurs d’activité qui dépendent directement des soins prodigués ou de problèmes de santé : les ambulanciers (1 237 salariés), les personnels des laboratoires d’analyses médicales (657 salariés), les salariés des pharmacies (2 221), des activités de commerce de gros de produits pharmaceu-tiques (597 salariés), de la fabrication de préparations pharmaceutiques (197) et du commerce d’articles médicaux et orthopédiques (297).

Au total, en y ajoutant les effectifs non salariés de certaines professions (pharmaciens en particulier), ce sont donc plus de 48 000 emplois qui sont liés à la santé en Loire-Atlantique. Il est à noter qu’entre 2008 et 2013, les emplois salariés privés du secteur mar-chand liés à la santé ont augmenté de près de 7 %, soit près de 1 000 emplois supplémentaires, dont plus de 500 pour les activités hospitalières et plus de 200 pour les ambulanciers. La crise n’a donc pas eu d’effets négatifs sur le dynamisme de ce secteur, et l’on peut considérer que le vieillissement de la population de-vrait garantir le maintien d’une croissance forte pour les années à venir. Le CHU, à lui seul, représente près de 12 000 emplois, soit le quart des emplois liés à la santé en Loire-Atlantique.

Un médecin à moins d’un quart d’heureLa répartition territoriale des professionnels de

santé montre, assez logiquement, une concentration sur l’agglomération nantaise. Pour autant, la Loire-At-lantique bénéficie d’un maillage territorial des généra-listes globalement satisfaisant, à l’exception du Pays de Châteaubriant, du Pays d’Ancenis et du sud du Pays de Retz, qui sont marqués par un nombre important de communes sans aucun médecin généraliste. Le quart des communes de Loire-Atlantique est dans cette situa-tion. Si la couverture moyenne dans le département est d’un généraliste pour 1 000 habitants, celle-ci varie de près de 2 pour 1 000 à Puceul à 0,24 pour 1 000 à Saint-Mars du Désert (Nantes en compte 1,33 pour 1 000 habitants et Saint-Nazaire 1,37).

Pour autant, on ne peut pas considérer que l’on soit confronté à des déserts médicaux, comme dans nombre de territoires ruraux, et ce d’autant plus que l’accès à une offre diversifiée de médecins, spécialistes et généralistes, est relativement aisé au sein des pôles structurants. De fait, aucun habitant de Loire-Atlan-tique ne se situe à plus de 15 minutes d’un médecin généraliste1. Néanmoins, l’accessibilité physique ne présuppose pas la disponibilité effective pour des consultations ; et la question du renouvellement gé-nérationnel des médecins se pose dans plusieurs ter-ritoires, où les médecins âgés de plus de 50 ans sont largement majoritaires (Pontchâteau par exemple).

Le poids des spécialistes est particulièrement visible sur les pôles du territoire : Nantes, Saint-Herblain, Châteaubriant, Ancenis et Clisson, ce qui constitue un trait distinctif par rapport aux communes au rayon-nement moindre. De fait, l’offre de services de santé constitue un facteur discriminant des territoires, tout comme le niveau d’équipements publics. On notera que cette part est relativement moins élevée à Saint-Nazaire, mais ceci peut s’expliquer par leur plus grande diffusion au sein de la presqu’île (La Baule, Guérande et Montoir-de-Bretagne notamment). Cette offre est en partie corrélée à la présence relativement plus importante sur le littoral nord de personnes âgées.

Dans le département, 1 000 emplois de plus liés à la santé dans le secteur marchand entre 2008 et 2013.

Personnel non médical des établissements sanitaires 21 802

Personnel médical des établissements sanitaires 2 535

Médecins 2 427

dont généralistes 1 312

dont spécialistes 1 115

Autres professionnels de santé 14 998

dont infirmiers 10 454

dont masseurs-kinésithérapeutes 4 544

Pharmacies* 3 015

Ambulanciers 1 237

Autres 954

RÉPARTITION DES EMPLOIS DE LA SANTÉ EN LOIRE-ATLANTIQUE

* Professionnels liés au commerce ou à la fabrication de produits pharmaceutiquesSource : ARS-FINESS, DREES, Acoss.

1. Magali Coldefy, Laure Com-Ruelle, Véronique Lucas-Gabrielli, «Distances et temps d’accès aux soins en France métropolitaine», Questions d’économie de la santé, n°164, avril 2011

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SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE | DOSSIER

Si l’on se penche sur les personnels (médicaux et non médicaux) employés dans les établissements sa-nitaires, outre la concentration de ces établissements sur quelques communes, et principalement à Nantes, Saint-Herblain et Saint-Nazaire, la prédominance

des établissements publics dans l’offre apparaît net-tement, tout comme le poids du CHU de Nantes, a fortiori dans l’agglomération nantaise. On remarquera d’ailleurs que le regroupement des principaux sites du CHU sur l’Île de Nantes va quasiment faire disparaître

Source des données : ARS 2015, BD Carto ® IGNRéalisation : direction prospective, département de Loire-Atlantique

Nombre de professionnels de santé libéraux (médecins généralistes, spécialistes, infirmiers)

1 000

10050101

Généralistes

Spécialistes

Infirmiers

Autres

Départementdu

Carte 1. Répartition des professionnels de santé par commune en 2015

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L’hôpital de Nantes en est à préparer son dixième ou onzième transfert : l’histoire permet parfois de

relativiser ce qui est vécu comme un bouleversement. Et l’histoire permet aussi de mieux comprendre pour-quoi l’hôpital intéresse tant de monde, depuis… six siècles au moins. Et cela grâce à des archives presque sans égales en France.

Accueillir la misèreEn décembre 1604 décède à l’Hôtel-Dieu de

Nantes « une pauvre femme brette inconnue ». Il y a beaucoup dans cette brève mention des registres de décès de l’hôpital. Cette femme est inconnue : pas de proches qui puissent l’identifier. Elle est d’origine étrangère : brette, c’est-à-dire bretonne, pas plus, pas moins étrangère que le « petit enfant normand » mort juste après elle. Elle est pauvre, et sa « maladie » était sans doute la misère, l’épuisement d’une vie.

Nous sommes au cœur de ce qui a été, pendant plu-sieurs siècles, la fonction principale de l’hôpital, qui a pris dans le vocabulaire courant le relais des « au-môneries », dispensatrices d’aumônes. L’hôpital, lui, accueille, plus volontiers en tout cas, il est en somme plus… hospitalier, puisque nous sommes dans cette famille de mots. Et il tente de soigner ce qui est, de

La ville et l’hôpital : des liens séculaires

RÉSUMÉ > Accueillir les miséreux, enfermer les pauvres, héberger les enfants abandonnés, soigner les malades… Les fonctions de l’hôpital ont évolué au fil

du temps. Sa localisation aussi. Nous n’en sommes pas au premier transfert !

ALAIN CROIX est historien. Il appartient au comité de rédaction de Place publique.

DOSSIER | SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE

TEXTE > ALAIN CROIX

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SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE | DOSSIER

loin, la plus grave et la plus courante des maladies : la misère.

Au 15e siècle, la ville compte trois « sites hospi-taliers », dans une localisation déjà révélatrice, à proximité immédiate de la ville voire en son sein. Le principal est l’aumônerie Saint-Clément, une autre, sans doute minuscule, est installée près du château, au Port Maillard, et, sur les Hauts Pavés, une bâtisse accueille les derniers lépreux, dont la maladie s’éteint dans les années 1570 : les contagieux, toujours, sont accueillis « à part ». Ne rêvons pas : la capacité d’ac-cueil totale doit être de l’ordre d’une dizaine de per-sonnes, un peu plus peut-être, pour ces établissements nés de legs charitables.

Le premier grand tournant dans l’histoire hospita-lière de Nantes intervient dans la première moitié du 16e siècle, à l’initiative de la Ville1. Celle-ci, d’abord, entreprend la construction d’un véritable hôpital, un « Hôtel-Dieu » : encore la fonction d’hébergement, associée au religieux. Décision d’autant plus méri-toire que la ville est largement pionnière, au moins à l’échelle du Grand Ouest, et que l’effort financier est considérable, ce qui explique la lenteur du chantier, qui s’étale entre 1502 et 1517, pour un montant supé-rieur au total des revenus annuels de la ville ! Mais l’Hôtel-Dieu, installé dans la ville même, au confluent de l’Erdre et de la Loire – il en reste la rue du Vieil-Hôpital – est une réussite : un courrier royal le qualifie en 1532 de « bel et somptueux », mais c’est peut-être un propos de circonstance, l’année où la ville accueille justement François 1er ; plus crédible, un témoin indé-pendant passé en 1636, Dubuisson-Aubenay, décrit un édifice en tuffeau, « de belle apparence et étendue ». Ce qui veut dire, concrètement, une quarantaine de « malades » dans les années 1530, le double quand même dès le milieu du siècle.

Parallèlement, la Ville s’efforce de municipaliser la gestion hospitalière : l’objectif est une efficacité bien dans l’esprit rationnel de l’humanisme d’alors, et non pas une laïcisation alors inimaginable, même si la cible est, concrètement, le chapitre cathédral, gestion-naire de l’aumônerie de Saint-Clément. Le chapitre a fait de l’aumônerie un revenu ecclésiastique : 5 % seulement des revenus sont consacrés aux pauvres ! En outre, il a cessé de respecter un premier accord

intervenu en 1447 pour instaurer une parité dans la gestion. Une véritable guérilla juridique, commencée en 1532, aboutit à la victoire de la Ville en 1548 : les hôpitaux seront désormais placés sous l’autorité muni-cipale, et la transformation de l’aumônerie Saint-Clé-ment en collègue, dix ans plus tard, clôt définitivement l’épisode. Même la vénérable aumônerie de Toussaint, installée dans les îles de Loire depuis 1362, échappe à l’autorité du clergé au profit d’une confrérie, associa-tion certes pieuse mais qui réunit, dans ce cas précis, plus de 300 personnes laïques, presque toutes du quar-tier. Et c’est au milieu du 16e siècle aussi que s’esquisse un réseau hospitalier régional : en 1548 également, la Ville de Nantes se voit attribuer la supervision des petits hôpitaux voisins, ceux d’Ancenis, Saint-Julien-de-Vouvantes, La Chapelle-Glain, Savenay, et au sud de la Loire Machecoul, Saint-Père-en-Retz, Bourgneuf et Bouin.

Encore faut-il prendre garde à ne pas oublier la réa-lité. Même au 17e siècle, 300 personnes au maximum passent par l’Hôtel-Dieu chaque année : c’est très, très peu à l’échelle d’une ville de 30 puis 40 000 habitants, d’autant que l’établissement est désormais le seul hôpi-tal de la ville, si l’on excepte le Sanitat ouvert depuis 1572 en temps d’épidémie pour accueillir les conta-gieux2, mais fermé dans les intervalles. C’est même bien moins, puisque l’hôpital accueille toute la misère venue à Nantes dans l’espoir de travail ou d’assistance : un quart seulement des « malades » sont des Nantais, presque un tiers vient du Pays nantais, et le reste, une petite moitié donc, de tout l’Ouest et même de toute la France. Ces « malades » sont bien des gens du peuple, dans leur immense majorité : ouvriers, domestiques, errants, et moins de 10 % issus de milieux plus aisés. Logique, puisque le médical reste une fonction très secondaire, qui ne mobilise, dans le meilleur des cas, que 8 ou 9 % du budget : un « chirurgien » – c’est-à-dire alors un praticien qui essaie de soigner, empiri-quement, et ne peut s’occuper que de la surface des

La Ville entreprend la construction d’un Hôtel-Dieu dans la première moitié du 16e siècle, un effort pionnier dans le Grand Ouest.

L’hôpital accueille toute la misère venue à Nantes dans l’espoir d’un travail ou d’une assistance.

1. Le terme désignera, pour faire court, un pouvoir municipal monopolisé, jusqu’à la Révolution, par la magistrature et plus largement la fonction publique, un milieu de notables qui s’élargit peu à peu au monde du commerce.2. Il semble y avoir eu auparavant un lieu d’isolement dans les « bas chemins de Saint-Donatien », puis un autre près du cimetière Sainte-Catherine, sur la rive droite de l’Erdre, mais nous ne savons à peu près rien de plus.

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DOSSIER | SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE

Depuis un imaginaire point de vue aérien tourné vers le sud, l’architecte Joseph Chenantais dessine en 1863 un Hôtel-Dieu alors quasiment achevé, après sept ans de travaux. Il avait remporté douze ans plus tôt le concours d’architecture sur le parti d’un hôpital pavillonnaire inspiré de Lariboisière à Paris. L’ensemble est presque entièrement détruit lors du bombardement du 16 septembre 1943. (Lavis, 60x66 cm, Musée Dobrée, Nantes)

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Le 17e siècle a connu une autre révolution, qu’il faut situer dans l’extraordinaire courant charitable, le grand mouvement aussi de vocations religieuses, qui sont les signes les plus visibles de la Réforme catho-lique d’alors. Cela se traduit à l’Hôtel-Dieu de Nantes par l’arrivée de « filles dévotes » qui remplacent en 1646 les serviteurs et servantes laïques opportunément accusés de tous les maux. Cette arrivée est cependant à Nantes le fait d’un compromis : à la différence de toutes les autres villes bretonnes, Nantes refuse en effet l’offre des religieuses augustines de la Miséricorde, et leur préfère des sœurs moins liées à un ordre, et plus faciles à remplacer en cas de désaccords, ce qui survient par exemple en 1664. Nourries et logées, ces volontaires ne reçoivent qu’une rémunération symbolique… Et un règlement très précis, établi d’un commun accord, prévoit des soins très attentifs, jusqu’aux « douceurs » à consentir aux plus faibles. Les sœurs quitteront l’Hôtel-Dieu en 1791, parce qu’elles refusent de prêter ser-ment à la Constitution civile du clergé, mais celles de la Sagesse reviennent dès 1804, et les cornettes ne dis-paraîtront totalement du CHU que dans la deuxième moitié du 20e siècle…

Un troisième grand changement intervient enfin en 1650, toujours à la même époque donc. Dans le cadre d’un mouvement qui touche alors l’ensemble du pays, l’hôpital se lance dans la réforme des pauvres. Les édiles « découvrent » tout d’un coup « l’ignorance religieuse des pauvres », leur « immoralité », jugent la situation insupportable, et créent un « Hôpital géné-ral » dans les locaux du Sanitat que l’extinction de la peste a opportunément libérés. Autour de valeurs clairement définies, travail, piété, obéissance, et de leur mise en pratique imposée à des pauvres enfermés derrière des portes cadenassées – ce que Michel Fou-cault avait appelé, avec quelque excès quantitatif, « le grand enfermement des pauvres » –, l’Hôpital général devient peu à peu ce qu’il faut bien appeler un dépo-toir social, le lieu d’internement de tous ceux que les élites sociales rejettent : mendiants, enfants trouvés, prostituées, aliénés, vieillards pauvres et sans famille… Le Sanitat ne ferme qu’en 1831, après le transfert de ses hôtes à Saint-Jacques.

a valu au CHU le label de « patrimoine du 20e siècle ». Sur le plan de l’estimation des besoins, l’échec est patent : dès les années 1980, une quinzaine d’années donc seulement après l’achèvement des travaux de reconstruction, il faut un sensible agrandissement, réalisé à Saint-Herblain avec pour seule compensation la fermeture de l’hôpital Laennec à Chantenay, et, aussi, une densification de l’îlot du CHU central. Broussais a certes fermé en 1983, mais l’hôpital nantais n’en est pas moins désormais de nouveau éclaté sur trois sites principaux, le site historique, Saint-Jacques, Laennec à Saint-Herblain, et des sites secondaires comme Bellier…

Détruit en septembre 1943, le portail était l’ultime trace de l’hôpital du Sanitat, le lieu de toutes les exclusions, des pestiférés de 1572 aux aliénés et prostituées de 1831, date de la fermeture. Providentiel bombardement, qui efface la page la plus sombre de l’histoire hospitalière nantaise… (René Perrin, encre de chine, 12 x 8 cm, 1910, Musée Dobrée, Nantes)

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Du 16e au 19e siècle, la Ville a été en pointe de l’investissement en matière hospitalière.

Elle a veillé à maintenir l’essentiel des soins à proximité immédiate du centre-ville.

L’histoire des hôpitaux nantais n’est donc ni glo-rieuse, ni honteuse. La Ville a été, du 16e au 19e siècle, à la pointe de l’investissement en matière hospitalière, a su prendre des mesures pionnières en matière médi-cale, et l’a fait, bien entendu, dans les normes sociales du temps, ce qui a donc conduit aussi à l’infamie de l’Hôpital général. Elle a tenté de donner une cohé-rence à son action, autour des Hôtels-Dieu successifs, sans jamais y parvenir totalement. Elle a veillé à main-tenir l’essentiel des soins à proximité immédiate du centre-ville. Et, en concertation avec un corps médical qui se constitue peu à peu à partir du 16e siècle, elle a réussi à ce que l’hôpital ne fasse pas peur, même dans les temps héroïques où entrer à l’hôpital signifiait l’ac-ceptation du pire : c’est au regard des résultats actuels qu’on peut rappeler ceux des années 1537-1539, celles où 69 % des « patients » entrés à l’hôpital n’en sor-taient pas vivants, celle aussi où il fallait en moyenne 38 jours avant de sortir vivant, le temps de soigner un petit peu la misère… n

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Le mouvement perpétuelAu moment où Saint-Jacques entre dans la système

hospitalier nantais, il abrite déjà environ 500 men-diants, et il est donc logique qu’on y transfère les hôtes du Sanitat. Mais l’exemple illustre bien ce mouvement perpétuel de l’hôpital nantais, tantôt centripète, tantôt centrifuge, qui récupère tout au long de son histoire des lieux, des patients et parfois des revenus, mais est en même temps contraint de se doter d’annexes.

On l’a bien vu au 16e siècle, quand la construction du premier Hôtel-Dieu aboutit au regroupement de l’ensemble des lieux hospitaliers, à la seule excep-tion de l’aumônerie de Toussaint. Et puis, très vite, ouvre le Sanitat. Au milieu du 17e siècle, le nouvel Hôtel-Dieu tient le choc pendant un siècle, à côté de l’Hôpital général, avant que n’ouvre la maison pour orphelins de Saint-Donatien. L’évolution des limites de la commune de Nantes accentue ensuite le phé-nomène, d’abord avec Saint-Jacques, où les frères Douillard conçoivent un magnifique ensemble de bâtiments néo-classiques. Et c’est encore plus le cas au début du 20e siècle, avec l’annexion de Chantenay et de Doulon, qui fait entrer dans le patrimoine hospita-lier nantais l’hôpital Laennec, un temps spécialisé dans le traitement des malades pulmonaires et cardiaques, l’hôpital Bellier, encore aujourd’hui petit centre de gérontologie et bientôt, dans les faits, l’hôpital militaire Broussais, ouvert en 1914.

Cette géographie complexe et peut-être coûteuse tient cependant grâce à l’émergence parallèle d’un véritable corps médical : la création de l’École de médecine, en 1808, et d’éminentes personnalités comme Guillaume Laennec, déjà cité, Jean-Baptiste Darbefeuille, un des pères, lui aussi, d’un enseignement médical digne de ce nom à Nantes, ou bien encore Julien-Anne Fouré. Les avanies subies par Darbefeuille montrent cependant que le corps médical hospitalier n’est pas tout acquis aux Lumières et au progrès : il faut attendre 1923 pour qu’une femme, Yvonne Pouzin-Malègue, puisse devenir à Nantes médecin des hôpitaux. Et, si la reconnaissance de la Faculté de Médecine en 1956 préfigure celle de l’Université, il n’est pas sûr que la réflexion sur le nouvel hôpital ait été à la hauteur des enjeux. Sur le plan architectural, le travail des Roux-Spitz père et fils

Jean-Baptiste Darbefeuille (1756-1831), la parfaite figure du «grand médecin», l’un des tout premiers à Nantes. Moins par son savoir, assez classique, que par sa curiosité (pour la vaccine par exemple), son engagement pédagogique (dans une école privée de médecine qu’il a dû fonder en 1787, puis à l’École officielle de médecine et encore à la prestigieuse École centrale de Nantes), et sa fermeté dans l’expression des idées de progrès. Il est loin d’être un révolutionnaire, mais il l’est assez aux yeux de nombre de ses collègues et du pouvoir obtus qui s’installe en France en 1815 pour être, un temps, révoqué de ses fonctions de chirurgien-chef de l’hôpital... (Huile sur toile. Auteur inconnu, collection du CHU de Nantes)

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Elle avait 12 ans et s’ennuyait un peu dans son pensionnat de Normandie. Heureusement, il y avait un club photo animé par un certain Jean-Yves Des-foux qui, plus tard, deviendrait reporter photographe à Ouest-France. Sylvie Legoupi s’y inscrit. « Le mer-credi, on faisait des mini-reportages. C’était l’occasion de sortir de l’établissement, mais aussi de rentrer dans des mondes différents », commente-t-elle aujourd’hui, une trentaine d’années plus tard.

Le virus ne la quittera plus. Une fois achevées ses études de lettres, Sylvie Legoupi décide de faire de sa passion son métier. « Un choix professionnel risqué », reconnaît-elle, qui la conduit à travailler pour des en-treprises, des associations, des fondations, des ONG. Un point commun à toutes ces commandes : « le souci de valoriser l’humain. » C’est-à-dire ? « Eh bien, ce sont des gens que je choisis de photographier. » Mais encore ? « Je parle avec eux, avant, pendant Je m’ap-proche doucement Et ils oublient ma présence, je crois. »

Une telle démarche prend du temps, celui, précisé-ment, qu’il faut pour se faire oublier. Pour n’être plus considérée comme une intruse, comme une voyeuse. Pas étonnant dès lors qu’elle ait beaucoup photogra-phié dans les hôpitaux : services de prématurés ou de

Sylvie Legoupi donne à voir les invisibles

soins palliatifs, au tout début, à la toute fin de la vie, pour saisir quelque chose du tremblement du temps. Des malades, des soignants, mais aussi ceux qu’elle ap-pelle « les invisibles », qui lavent le linge, préparent les repas, font tourner dans l’ombre les énormes machines à soigner.

« Je dois beaucoup à l’hôpital », dit-elle. C’est d’ail-leurs une photo de soins qui lui a valu d’être primée au prestigieux concours international de Minneapo-lis. Mais sans doute l’hôpital lui doit-il aussi un petit quelque chose.

Nous présentons ici quelques photos extraites de deux reportages au long cours. Les unes (en noir et blanc) ont été prises au service d’hématologie du CHU. Les autres (en couleurs) nous donnent à voir les invisibles. Elles donneront matière à un livre, qui sera publié à la rentrée, et aussi à une série d’expositions, de septembre à décembre.

Du 22 septembre au 14 octobre : Salle du réfectoire, Hôpital Saint-Jacques, 85, rue Saint-Jacques à NantesDu 14 octobre au 4 novembre : Hall de l’institut en soins infirmiers, Hôpital Saint-JacquesDu 4 au 25 novembre : Hall de l’immeuble Jean-Monnet, 30, boulevard Jean-Monnet, NantesDu 25 novembre au 16 décembre : Hall de l’hôpital Nord Laennec, boulevard Jacques-Monod, Saint-Herblain

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SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL DU 21e SIÈCLE | DOSSIER

L’acheminement quotidien du linge vers les services peut être une tâche pénible. « En voyant cet homme arc-bouté sur cette armoire roulante, j’ai immédiatement songé à Sisyphe poussant son rocher », se rappelle Sylvie Legoupi.

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« J’aime particulièrement cette image, commente la photographe. C’est pour moi l’équation réussie entre le mouvement et la lumière. »

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SUR L’ÎLE DE NANTES, L’HÔPITAL

DU 21e SIÈCLE | DOSSIER

Plus de 7 000 repas servis quotidiennement. Ce n’est pas une raison pour oublier le détail qui fera, peut-être, la différence gustative.

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PlacePublique les numéros hors-série 5 €

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PHILIPPE GUILLOTIN est le directeur de l’Auran, l’agence d’urbanisme de la région nantaise. Il appartient au comité de rédaction de Place publique

Le cours des 50-Otages correspond à l’ancien lit de l’Erdre qui se jetait dans la Loire, dans le bras de la Bourse. Il marquait la frontière entre le Nantes mé-diéval et le quartier Graslin construit au 18e siècle. Le remblaiement commence en mars 1938, côté Pont-Mo-rand. Rapidement la municipalité décide d’établir un vaste boulevard sur cette partie de l’Erdre, dénommé tout naturellement « boulevard de l’Erdre », bordé par les allées des Tanneurs, d’Orléans, Cassard, Duquesne, Penthièvre et Jean-Bart qui rappellent les anciens quais. Les travaux de comblement se poursuivent jusqu’en 1943 et ne seront achevés qu’après guerre. Le nouvel axe est baptisé cours des 50-Otages à la Libération, le 20 octobre 1944, en hommage aux 48 prisonniers exé-cutés en représailles à la mort du feldkommandant Karl Hotz abattu à Nantes en octobre 1941.

Cette artère devient une des voies les plus fréquen-tées de l’agglomération, au point de convergence des axes venant de Vannes et Rennes. La circulation va jusqu’à s’organiser sur huit files, deux files dans chaque sens dans les allées et quatre files sur l’axe central. Plu-sieurs milliers de véhicules l’emprunteront chaque jour pendant près de quarante ans. Les accidents étaient fréquents et parfois graves.

Avec le prolongement de la deuxième ligne de tramway au début des années 1990, son réaménage-

Naissance et renaissance du cours des 50-Otages

Avec cet article, nous inaugurons une nouvelle rubrique, Les Formes de la ville. Réalisée en collaboration avec l’Agence d’urbanisme de la région nantaise. Elle donne

à voir et à comprendre les métamorphoses de Nantes, car, on le sait depuis Baudelaire et Gracq, la forme d’une ville change plus vite que le cœur d’un mortel.

TEXTE > PHILIPPE GUILLOTIN

LES FORMES DE LA VILLE | NAISSANCE ET RENAISSANCE DU COURS DES 50 OTAGES

ment parait nécessaire. Un concours d’urbanisme est organisé auquel participent une dizaine d’architectes français et étrangers. On parle de faire revenir l’eau dans la ville. Une équipe composée des architectes Italo Rota, et Bruno Fortier, associés à l’architecte paysagiste Jean-Claude Hardy ainsi qu’à l’ingénieur Thierry Bloch et qu’au concepteur lumière Roger Nar-boni, remporte le concours « Une nouvelle centralité pour Nantes ». Elle a été choisie pour son traitement du paysage et la place donné au végétal. Le cours réa-ménagé est inauguré en octobre 1992.

Vingt ans plus tard, à l’automne 2012, la voiture dis-paraît au profit d’un usage plus collectif. La partie sud devient zone à trafic limité où seuls sont autorisés les cyclistes, les bus, les véhicules en intervention, ainsi que ceux des riverains, commerçants et livreurs à cer-taines heures. Depuis la zone a été étendue sur toute la longueur du cours qui accueille désormais en son milieu une double piste cyclable.

Ce n’est plus aujourd’hui ni le cours d’une rivière parfois débordante ni le flot tumultueux de la circu-lation des années 1960, mais un espace public apai-sé, plus proche du calme de ses origines, où chaque usager peut trouver une place. Les noms « place de l’Écluse », « Pont Morand », ceux des « allées » marquent toutefois le souvenir de l’Erdre ancienne. n

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L’image du haut, une carte postale du milieu des années 1950, nous montre un Cours encore préservé du flot d’automobiles qui l’envahira au cours des décennies suivantes. En bas, le Cours aujourd’hui, conforme aux nouveaux standards urbains : priorité au tramway et aux piétons ; place accordée à la végétation, des magnolias notamment, fidèles à la tradition botanique nantaise.

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THIERRY GUIDET directeur de Place Publique

LE BLOC-NOTES

Au revoir et merci

SIGNES DES TEMPS | BLOC-NOTES

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AVION DE PARIS avait du retard. Il était près de minuit et il faisait bien 40° dans l’aéro-port de N’Djaména

dont la clim’ semblait avoir rendu l’âme. De guerre lasse, j’avais fini par céder au boniment du petit cireur de chaussures qui comptait bien que je lui laisse mon solde de francs CFA. Tandis qu’il polissait mes souliers il m’a demandé d’où je venais. Quand je lui ai dit que j’habitais Nantes il s’est exclamé : « Alors, tu le connais, Ja-phet ! » Non, je n’avais jamais eu l’honneur d’être présenté à Japhet N’Doram, natif lui aussi de N’Djaména, celui que les gazettes sportives avaient baptisé « le sorcier de la Beaujoire », mais je l’avais vu jouer. Ce qui suffisait à faire briller les yeux du jeune garçon, nettement plus au fait que moi de l’actualité du football nantais et français.

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LE SOIR TOMBAIT SUR SARAJEVO. Je marchais vers l’appartement de la vieille dame chez qui je logeais pour une semaine. Sa fille, médecin, s’était exilée à Copenhague.

Quelques années après le siège, le mur du salon où je couchais portait encore les impacts, à hauteur de ma tête, d’une rafale de fusil-mitrailleur. Au coin de la rue, j’ai vu, se dirigeant vers moi, un bus portant au-dessus du pare-brise la destination Pir-mil. Comme à Nantes. J’ai d’abord cru à une hallucination – la slivovice peut vous jouer de ces tours… – avant de me rappeler que la société de transports publics nantais avait donné, ou cédé à prix d’ami, je ne sais plus, de vieux véhicules à la ville martyre.

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AU DÉBUT DES ANNÉES 2000 je voyageais beaucoup, partant presque chaque mois en Europe, en Asie ou en Afrique pour y organiser ou y donner des formations au journalisme. Et voilà qu’au Tchad ou qu’en Bosnie-Herzégovine, Nantes, la ville que j’avais faite mienne, se rappelait à mon souvenir de la manière la plus surprenante. Je ne suis pas superstitieux ; je ne lisais pas dans ces coïncidences je ne sais quels signes du destin. Mais montait en moi l’envie de revenir vivre et travailler au pays, comme on disait jadis.

L’ n

SUR LE PAPIER, l’idée était toute simple. Elle a été résumée dans l’éditorial de notre pre-mier numéro, paru en janvier 2007 : « S’il fallait définir Place publique en peu de mots, nous dirions qu’il s’agit d’une revue de réflexion et de débat sur la ville. […] Ni un journal ni un magazine, mais une publication bimestrielle dont les auteurs prennent le temps de s’expliquer et que les lecteurs, nous l’espérons, prendront le temps de lire. » L’originalité du projet tenait à son ancrage géographique : oui, il était possible de réfléchir sur notre ville à partir de cette ville-même. Sans forcément rechercher l’onction de penseurs parisiens, mais en sollicitant bien sûr les regards exté-rieurs. Sans tentation localiste, mais sans timidité non plus.

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RESTAIT À FAIRE VIVRE le projet médité dans les avions et dans les trains. À le tester au-près d’amis, tout de suite enthousiastes. À le présenter aux élus sans l’aide desquels

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BLOC-NOTES | SIGNES DES TEMPS

et le développement d’une entreprise qui s’efforce d’aller à contre-courant du prêt-à-penser ambiant, des terrifiants simplismes de ce temps en « privilégiant la raison à l’émotion, la durée à l’instant, le texte à l’image, toutes choses aujourd’hui peu communes dans le paysage médiatique. » La citation, cette fois encore, est emprun-tée au premier éditorial de la revue.

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OH, JE NE TENTERAI PAS de mettre ma voix à l’unisson de celle de mon camarade Jacques Bertin qui chante de sa voix de violoncelle : « La vie a passé comme un charme ». Je me contente des versets si connus de L’Ecclésiaste : « Il y a un mo-ment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel. Un temps pour enfan-ter et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher le plant… » Nul ne songe heureusement à ar-racher le plant, mais il est passé, pour moi, le temps de planter. Il est venu le temps de dire à toutes, à tous : au revoir et merci.

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JE VAIS CÉDER LA PLACE, le 1er septembre, à un autre journaliste, plus jeune que moi et riche d’autres expériences. Il se nomme Franck Renaud et se présentera lui-même dans le prochain Bloc-notes. J’ai eu l’occa-sion d’apprécier ses qualités profession-nelles et humaines en deux circonstances : quand, dans les années 1990, il travaillait à mes côtés au sein de la rédaction nantaise d’Ouest-France ; à Hanoï, où il vivait dans les années 2000 et était notre honorable correspondant en Asie du Sud-Est alors que je dirigeais les activités internationales de l’École supérieure de journalisme de Lille. Le passage de témoin a été préparé de longue date. Si l’on veut bien de moi, je continuerai à participer au comité de rédaction, à écrire quelques textes, à ani-mer quelques débats, mais je lâcherai com-plètement la barre, sans regrets ni remords.

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DANS MA JEUNESSE, j’ai beaucoup lu Roger Vailland, ses romans de Résistance, ses romans prolétariens écrits dans l’Ain, ses essais sur Laclos, Suétone, le cardinal de Bernis, ses écrits intimes publiés après sa mort sous le titre Les saisons d’une vie. Un peu convenu, ce titre, mais si juste pour un homme dont l’existence fut si changeante : le surréalisme, la lutte armée, le commu-nisme, le libertinage… Je ne cherche pas à me comparer, bien sûr, au fascinant auteur de Beau masque et de Drôle de jeu, que je relirai peut-être, profitant du temps retrouvé. Mais entré dans mon automne, ce temps des jours plus brefs, des nuits plus longues, des vendanges, des marches dans l’or des forêts, des lectures près du feu, je médite ce titre, je le mâche, je m’en étonne, je m’en émeus, je m’en amuse : Les saisons d’une vie. n

il n’aurait pu voir le jour. Ils ont compris à la fois son caractère d’utilité publique et la nécessité de la totale indépendance d’une telle publication, immédiatement à Nantes, puis à Saint-Nazaire, puis à la Région, puis au Département. Trouver un titre, fonder une association, travailler avec un concepteur graphique, imaginer une trame, chercher des contributeurs, bâtir un premier sommaire… Les derniers mois de l’année 2006 furent un peu occupés.

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ET PUIS SE JETER À L’EAU, attendre la sanction du public, ne pas prêter trop d’attention aux bons apôtres qui, le sourire en coin, me disaient : « Hum… C’est courageux, c’est très courageux ce que vous tentez là ! » Un numéro, puis un autre, et un autre encore. Cinquante-deux livraisons plus tard (sans parler des 17 hors-série) on peut se dire, je crois, que l’aventure valait d’être tentée. Loin d’être sans défauts, Place publique joue un vrai rôle dans la vie des idées à Nantes/Saint-Nazaire, alimente le débat, nourrit la réflexion, aimante les talents, joue sa partition dans le concert des revues urbaines, inspire des initiatives voisines : à Rennes, où nous avons une pe-tite sœur depuis 2009 ; à Bordeaux, à Lyon où d’autres revues métropolitaines ont vu le jour ; à Toulouse, à Lille où peut-être essaimerons-nous demain.

n

AUX LECTEURS D’ABORD, mais aussi aux ad-ministrateurs de l’association Mémoire et débats, l’éditrice de la revue, aux membres du comité de rédaction, à tous les contri-buteurs (plus de 750 à ce jour), aux élus des collectivités territoriales, aux annon-ceurs, aux mécènes je dis merci. Chacun à leur manière, ils ont permis l’éclosion

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Il y a un momentpour tout et un temps pour toutechose sous le ciel. »

«

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QUESTIONS URBAINESPhilippe Dossal, Réenchanteur de ville, Jean Blaise

Jean Blaise, Jean Viard, Stéphane Paoli, Remettre le poireau à l’endroit

Emmanuel Parent, Jazz power, Anthropologie de la condition noire chez Ralph Ellison

Jules Millour Meffroy, Voyage à travers une impasse

Une pierre de plus, film (DVD) réalisé par Thomas Rabillon et Blandine Brière

Alexis Chevalier et Jean-Pierre Houssin, Théâtre Messidor, le défi d’une implantation

Jean de Malestroit, Passeur de jours. Journal (2005-2014)

LITTÉRATUREDominique Ané, Regarder l’océan, Stock

Michel Chaillou, Journal (1987-2012)

Aude Le Corff, L’importun

Ernst Jünger, Sur les otages

PHOTOGRAPHIEGéraldine Fur, InstantaNés, adoption : des moments d’émotion capturés

HISTOIREJacques Floch, L’Affaire Jean Jaurès

Bernard Boudic, Un château en Bretagne

Magali Coumert et Yvon Tranvouez (dir.), Landévennec, les Vikings et la Bretagne

PHILOSOPHIEGuillaume Durant et Miguel Jean (direction), L’autonomie à l’épreuve du soin

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QUESTIONS URBAINES

Jean Blaise, la ville,la culture et les poireaux

Le récit de l’action menée par Jean Blaise à Nantes, joliment troussé par le journaliste Philippe Dossal ; un dialogue entre le sociologue Jean Viard et Jean Blaise sur les politiques culturelles, animé par Stéphane Paoli. Ces deux livres paraissent simultanément. Leur visée n’est pas la même, mais ils se complètent avec bonheur.L’histoire est connue de ceux qui ont véu à Nantes le dernier quart de siècle, mais elle méritait d’être rappelée aux autres et à ceux dont la mémoire fait défaut, ce qui finit par faire pas mal de monde. Le jeune Jean Blaise débarque à Nantes en 1982, à la toute fin du man-dat municipal du socialiste Alain Chénard, pour mettre en place une Maison de la culture financée par la Ville et le ministère. Mais, l’année suivante, la droite conquiert Nantes et supprime sa subven-tion. Blaise prend le maquis. Le CRDC, Centre de recherche pour le développement culturel, voit le jour avec le soutien du ministère et de municipalités de gauche : Saint-Nazaire, La Roche-sur-Yon, Saint-Herblain et d’autres. C’est à Saint-Herblain, à l’époque dirigée par Jean-Marc Ayrault, qu’éclôt le festival de théâtre de la Gournerie où se produit Royal de Luxe… Au cours de cette période se tissent des complicités, s’expérimentent des formes nouvelles.En 1989, quand Jean-Marc Ayrault redonne Nantes à la gauche, Jean Blaise est tout désigné « pour mettre en œuvre un projet culturel. Il s’agit, écrit Philippe Dossal, de réenchanter, au sens premier, une ville passablement dépressive » depuis la fermeture des chantiers navals, deux ans plus tôt. Dans ce nouveau rôle, Jean Blaise donne toute sa mesure. Il invente les Allumées, « un festival nocturne et décalé où le public sera confronté à la création artistique contempo-raine des grandes villes du monde ». Première édition en 1990 avec Barcelone pour invitée. Succès immédiat auprès des Nantais, puis des

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LIVRES | SIGNES DES TEMPS

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médias parisiens. Les Allumées portent en germe la plupart des inven-tions ultérieures de Jean Blaise : l’ouverture sur l’ailleurs, le mélange des genres artistiques, l’importance de la communication et surtout l’ampleur du terrain de jeu. C’est la ville tout entière, ses friches in-dustrielles, ses quais, ses jardins, ses appartements qui se change en immense scène d’une féerie dont elle est la principale star.

L’effet-loupeSuivront d’autres festivals – moins réussis – ; la création du Lieu Unique dans l’ancienne biscuiterie LU ; le Grenier du siècle, où sont entreposés 11 855 objets et qui ne rouvrira que le 1er janvier 2100 ; Estuaire, cette biennale d’art contemporain qui sème ses objets sur les rives du fleuve entre Nantes et Saint-Nazaire ; Le Voyage à Nantes, tout à la fois événe-ment festif de l’été et structure touristico-culturelle…Rédigé dans un style fluide, le livre livre le témoignage de plu-sieurs acteurs de ces années-là : Jean-Marc Ayrault, bien sûr, et Yannick Guin, l’ancien adjoint à la Culture, mais aussi l’urbaniste Laurent Théry, le directeur des Machines de l’Île Pierre Oréfice, l’architecte Patrick Bouchain ou bien l’élu parisien Christophe Girard qui demanda à Jean Blaise d’imaginer Nuit Blanche sur le modèle des Allumées. Ces témoignages, et d’autres (Thérèse Jolly, Bernard Bretonnière, Daniel Sourt…) permettent d’élargir le pro-pos. Au-delà du parcours de Jean Blaise, Philippe Dossal écrit une page de l’histoire de la ville : « c’était un temps déraisonnable… » comme disait Aragon dans un tout autre contexte.Même s’il évoque un certain nombre de critiques adressées à Jean Blaise et sait se garder de l’hagiographie, le livre est élogieux. Pour-quoi pas ? Et c’est l’esprit de la collection, lancée par Henry Dou-gier, qui fonda jadis les éditions Autrement : « raconter la démarche singulière d’individus ou d’équipes engagés dans des expériences originales, qui renouvellent et réinventent la société. » La limite du livre est ailleurs : ce qu’on pourrait appeler l’effet-loupe. Se concentrant sur un homme et sur une ville, Philippe Dossal a tendance à exagérer leurs singularités. Certes, Jean, Blaise est un prodigieux metteur en scène de l’espace public ; certes, Nantes a beaucoup changé ; mais l’un et l’autre sont tout autant les produits que les acteurs de mutations plus globales : l’utilisation systématique de la culture à des fins d’image dans la course à l’attractivité qui fait rage entre les villes ; le rôle désormais déterminant des collectivités locales dans les politiques culturelles ; la fonction de rassemblement et de distraction, plutôt que de formation, attribuée à la culture…Mais Philippe Dossal n’avait pas l’intention d’écrire un essai. C’est pourquoi, à la suite de son récit, on gagnera à lire les entretiens entre Jean Viard et Jean Blaise, curieusement intitulés Remettre le poireau à l’endroit – une expression, nous dit-on, de Engels – et dont le sous-titre dit mieux l’objet : Pour une autre politique culturelle.

L’individu et le communJean Viard n’est pas seulement un sociologue, connu notamment pour ses travaux sur le temps libre. C’est aussi un acteur culturel, solidement ancré comme Jean Blaise dans un territoire, Marseille et ses environs : alors élu municipal, il a travaillé à un projet de transformation du Vieux-Port ; il a administré à la demande du ministère de la Culture le théâtre de Châteauvallon quand Toulon était dirigée par le Front national ; c’est dans le Vaucluse qu’il a crée sa maison d’édition.Le dialogue entre les deux hommes, animé par le journaliste de radio Stéphane Paoli, permet en somme de théoriser la pratique nantaise de Jean Blaise. À plusieurs reprises, chacun énonce son idée force. Jean Blaise fait l’éloge du « mélange des genres » : « la culture ne doit plus être dans ses cloisonnements, des ses petites boîtes hermétiques » ; « il est nécessaire d’ouvrir, d’ouvrir sur la ville. » Pour Jean Viard, « nous avons façonné une société de l’in-dividu » qui n’est plus structurée par le travail. Aux classes sociales, ont succédé toutes sortes d’appartenances qui donnent à chacun « une liberté de jeu infinie ». Mais « comment faire du commun avec tout cela ? » La réponse est culturelle : « C’est là où le travail de la culture, de l’invention, du signe et du totem, de l’urbanité réinventée est fondamental pour refonder notre trame commune, ce que nous appelons la ville. »Oui mais, objecte Stéphane Paoli, « ces totems sont aujourd’hui entre les mains de grands groupes industriels, financiers, écono-miques, qui ont le contrôle des signaux. Sommes-nous encore dans le commun ? » Et là, Jean Blaise esquisse une réponse parfai-tement classique : « C’est une vraie question, qui se posera de plus en plus si l’État décroche. La puissance des grands groupes privés ne peut se substituer à l’intervention de l’État. »En somme, on peut dire tout ce qu’on veut sur la société de l’indi-vidu, elle ne rend nullement superflues les politiques publiques – nationales comme locales – en matière culturelle. « On n’entend plus de discours sur la culture, s’alarme Jean Blaise. Quelle est la politique du ministère ? Que nous dit la ministre ? […] Quelle politique culturelle pouvons-nous suivre entre le numérique et l’intermittence ? Dites-nous quelque chose, dites quelque chose qui nous entraîne, donnez-nous un objectif… »Cette inquiétude est la toile de fond de ces deux livres. Qui remet-tra le poireau à l’endroit ? n

T. G.

Philippe Dossal, Réenchanteur de ville, Jean Blaise. Introduction de Jean-Luc Courcoult, Ateliers Henry Dougier, 122 pages, 12 €.Jean Blaise, Jean Viard, Stéphane Paoli, Remettre le poireau à l’endroit. Pour une autre politique culturelle, 127 pages, 12 €.

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SIGNES DES TEMPS | LIVRES

retrouve maire, fait édifier mairie et école, introduit de nouvelles cultures (une variété anglaise de froment, notamment, dans une région de sarrasin, et il faut donc améliorer les terres…). Opposant à Louis-Philippe à partir de 1830, il se fait cependant réélire trois ans plus tard en ayant saoulé tellement d’électeurs que l’élection est cassée. Peu importe : un homme de paille le remplace, et il est réélu en 1848 avec… 99 % des voix. Premier acte, celui des no-tables légitimistes qui s’investissent localement, faute de pouvoir le faire au plan national, certains dans l’agronomie comme d’autres dans la culture, à l’exemple du voisin La Villemarqué collectant son Barzaz Breiz.Bref intermède, comme dans les meilleures histoires : un héritier ivrogne, deux ventes, avant l’apogée d’un monde, de cette « civili-sation paroissiale » rêvée par certains historiens nostalgiques.La deuxième histoire commence en 1868, quand le vicomte Ferdi-nand de Tréveneuc achète le domaine et le château. Il a 44 ans et plein d’idées, au point d’embaucher les frères Bühler (les concep-teurs du jardin rennais du Thabor) avant qu’une mort prématurée mette fin aux beaux projets. Mais sa fille épouse en 1882, à Paris, René de Beaumont, cigare, monocle, chasse à courre et fortune. Catholique aussi, ultra même, farouche opposant à la République, élu maire dès 1883, un an après son arrivée : le droit divin du plus grand propriétaire de la commune. Et de financer la construction de l’église, et celle des écoles catholiques, en s’appuyant sur le recteur, « mon collaborateur ». Et de mener la guérilla contre le préfet et les gendarmes. Et de se faire révoquer trois fois (!) et réé-lire toujours, exerçant ainsi le pouvoir pendant presque un quart de siècle. Du ralliement des catholiques à la République, prôné par le pape en 1892, il n’a cure. De la laïcisation de « l’école des frères » puis de celle « des sœurs », il n’a cure : il finance la nou-velle école « chrétienne » face à celle qu’il aurait évidemment appelée skol an diaoul, l’école du diable, s’il avait connu un seul mot de breton (une dimension qui est sans doute le seul oubli du livre). Sa femme, son fils sont brièvement interpellés lors de « l’inventaire » de l’église en 1906 : il n’en a cure, au contraire, il en est fier. Un rentier et politique avant tout : la terre n’est plus un centre d’intérêt.Et puis, le monde bascule. L’émigration : le domaine faisait vivre près de cent personnes au 19e siècle, une trentaine seulement en 1950. L’évolution des idées aussi : en 1908, c’est la liste républi-caine qui emporte la mairie de Moëlan, et les écoles « libres » comptent désormais bien moins d’élèves que les publiques. Un monde qui finit avec panache : le fils et héritier, Guy, Saint-Cy-rien, est tué dès l’automne 1914.Commence alors une troisième histoire, celle de l’adaptation au

Un château en Bretagne : notre histoire à (presque) tous

Diable ! Que vient faire un obscur château finistérien dans Place publique ? Certes, le livre est solide, plein de vécu (l’auteur est le fils de l’ancien jardinier du château), bien écrit. Mais, diable ! que vient faire…La réponse est simple : ce livre est tout simplement notre histoire à (presque) tous, celle des Nantais et Nazairiens issus d’immigrés bretons, vendéens, mayennais, angevins. L’histoire, qui com-mence à quitter les mémoires, de la manière dont une noblesse rurale parfois (comme ici) de fraîche date a su contrôler les cam-pagnes jusqu’au début du 20e siècle, entre autoritarisme, paterna-lisme, modernité aussi. Histoire fascinante à certains égards, celle de tyranneaux locaux qu’on se prend à haïr au détour d’une page avant de les admirer, ou presque, à la suivante.Il était donc une fois un « très malin » notable local, Gabriel Mau-duit, qui achète en 1 791 un « Bien national » à Moëlan-sur-Mer (Finsitère) et, devenu Gabriel de Mauduit, complète en 1798 pour se trouver à la tête du château et domaine de Plaçamen. Il y a déjà l’armée (une carrière d’officier dans l’infanterie), les relations opportunes (un commissaire-priseur qui sous-évalue le bien…), l’opportunisme politique (on se dit républicain quand il le faut, le fils sera légitimiste en 1815).Il y a ensuite l’alliance du pouvoir local, du sabre et du goupillon, appuyée sur un sens réel du bien public. Casimir de Mauduit, à peine revenu d’une captivité de cinq ans sur les pontons anglais, se

HISTOIRE

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LIVRES | SIGNES DES TEMPS

Quand les Vikings brûlaient Landévennec et Nantes

Que de mythologies n’a-t-on fabriquées sur les Vikings ! Ces hordes scandinaves coupables des pires atrocités quand elles prirent d’as-saut la péninsule armoricaine, ainsi Nantes tombée par surprise sous leurs coups en 843 et plus tard Landévennec en 913. Heu-reusement Jean-Christophe Cassard1, historien médiéviste breton, a nuancé le tableau apocalyptique, évoluant lui-même au fil de sa carrière d’une vision négative de l’inter-règne viking (qui s’achève à la moitié du 10e siècle) à une conception raisonnablement nuan-cée. Tout ne fut pas que violence meurtrière de leur part. L’his-torien note que les guerriers du Nord ont fait sauter les anciens « cadres sociaux et juridiques périmés, inhibiteurs du progrès » et qu’un processus d’acculturation s’est opéré en Bretagne, même s’il n’a pas atteint le niveau de ce qui s’est opéré en Normandie.Un ouvrage collectif, Landévennec, les Vikings et la Bretagne, rend hommage à Jean-Christophe Cassard, décédé en 2013. Il se penche plus précisément sur l’abbaye du bout du monde qui contenait la dépouille de son fondateur saint Guénolé, quand elle fut pillée et

20e siècle, qui n’est pas la moins fascinante. Plaçamen finit par ne plus être qu’une résidence de vacances, et les fermes se vendent l’une après l’autre, au milieu du siècle. Fini aussi, l’exercice du pouvoir local. Mais les affaires, plutôt. La gestion d’un bien de famille, le domaine de Château Latour à Pauillac, classé premier cru de Bordeaux en 1855. L’alliance avec Moët et Chandon : Hubert, le fils de René, épouse en 1923 à Épernay une Chandon-Moët. Et Guy, le petit-fils, épouse en 1948 la fille de dirigeants historiques de Saint-Gobain : prestigieux et lucratifs domaines viti-coles, actions, Plaçamen n’est plus grand chose. Mais on sait vivre : à l’occasion du mariage de 1948, les fermiers sont invités à dîner au château. Et, pour assurer la pérennité du site (trois kilomètres de côtes…), un tiers du domaine est vendu au Conservatoire du littoral. On sait se tenir aussi : Guy vise régulièrement les comptes tenus avec minutie et scrupules par la mère de l’auteur qui s’en va vendre le beurre du domaine et tant d’autres choses ; et ses filles épousent, qui un Charrette de La Contrie, qui un Limburg Stirum, l’aristocratie belge.On se demande comment il est possible que Stéphane Bern ne se soit pas encore emparé de cette histoire. Sauf que Bernard Boudic répond fort bien : cette histoire de Plaçamen est tout simplement une page de la « grande histoire » de l’Ouest dans les deux derniers siècles. n

ALAIN CROIX

Bernard Boudic, Un château en Bretagne, Coop Breizh, 231 pages, 24,90 €.

1. Dans le dossier de notre numéro 19 (janvier-février 2010) intitulé « Et si on refaisait l’histoire de Nantes-Saint-Nazaire ? », Jean-Christophe Cassard avait imaginé une uchronie : Rotald, le chef des Vikings ayant conquis Nantes, avait envoyé ses navires sur les côtes africaines, lançant la traite négrière atlantique avec quelques siècles d’avance.

Fils de l’ancien jardinier du château, Bernard Boudic écrit l’histoire de Plaçamen, qui est aussi la sienne et la nôtre.

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SIGNES DES TEMPS | LIVRES

Liberté du malade,nécessité du soin

Il suffit de s’être cassé la jambe ou même d’avoir été victime d’une forte fièvre pour avoir fait l’expérience de la dépendance, de la perte d’autonomie. Et que dire de malades plongés dans le coma ou de vieillards absents à eux-mêmes et aux autres ? Ce livre1, qui met en tension la liberté du patient et l’intervention du soignant, prend donc une résonance immédiate pour chacun d’entre nous. Il réunit des philosophes, des juristes, des médecins, des accom-pagnants, des malades et émane de la Consultation d’éthique cli-nique du CHU de Nantes.La Consultation d’éthique clinique ? Le philosophe Guillaume Durand et les médecins Miguel Jean et Gérard Dabouis nous rappellent son fonctionnement et ses enjeux : « Le but de cette consultation réalisée par un binôme soignant-non soignant formé à l’éthique clinique est de participer à la construction d’une ré-ponse spécifique, dans une situation éthiquement difficile. L’idée n’est pas de s’immiscer dans le colloque singulier soignant-soigné mais de proposer un regard tiers, bienveillant, capable d’éclairer de façon différente la situation. » L’ouvrage, au fond, procède de la même manière en décentrant le regard et en proposant des éclai-rages variés.

incendiée par les Vikings. Les moines s’enfuirent à Montreuil-sur-Mer avec leurs reliques et revinrent vingt ans plus tard (sans saint Guénolé) avec à leur tête l’abbé Jean de Landévennec, que l’ha-giographie bretonne, exploitée par les romantiques du 19e siècle, puis par les autonomistes du 20e, érigea en héros de la vraie Bre-tagne, celle qui boute hors du pays les satanés Vikings (passionnant article d’Yvon Tranvouez sur ce dernier point).Les fouilles archéologiques menées sur les ruines de l’abbaye dans les années 1980 montrent que les envahisseurs scandinaves ont saccagé une abbaye déjà probablement désertée, qu’ils ne détrui-sirent pas la totalité de l’édifice carolingien, qu’ils ont certes pillé les sépultures et brûlé les ossements, provoquant ainsi un incendie, mais que curieusement ils ont recouvert les cendres d’un tumu-lus de pierres issues de la destruction. Par esprit de conciliation ? Pour se réconcilier avec les morts ? C’est la question que posent les archéologues médiévistes du site Annie Bardel et Ronan Pérennec.Les historiens battent aussi en brèche la légende « identitaire bre-tonne », tout imprégnée de celtisme, selon laquelle la Bretagne se serait montrée imperméable et rebelle au règne des Carolin-giens. La manière carolingienne se retrouve pourtant dans l’archi-tecture de l’abatiale de Landévennec notamment avec ses deux absides opposées, à l’est et à l’ouest, structure que l’on retrouve aussi en Ille-et-Vilaine dans les églises de Maxent et de Saint-Ser-van (Alet). Pour Joëlle Quaghebeur, aucun doute, « les moines de Landévennec s’associèrent avec force aux idéaux carolingiens », se joignant même « avec confiance au projet autant politique que spirituel que cette race royale proposait ». n

GEORGES GUITTON

Magali Coumert et Yvon Tranvouez (dir.), Landévennec, les Vikings et la Bretagne, CRBC (Centre de recherche bretonne et celtique) et UBO, 268 pages, 18 €.

PHILOSOPHIE

1. Il fait suite à un autre ouvrage, publié chez le même éditeur, L’éthique clinique et les normes. Le philosophe Jacques Ricot en avait fait une recension détaillée (Place publique n° 41, septembre-octobre 2013) qui avait suscité une réplique des auteurs (Place publique n° 42), puis une réponse de Jacques Ricot (Place publique n° 43).

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DANIELLE RAPETTIGÉOGRAPHE« FLEURS DE JEUNESSE »

OU LE SYMBOLE D’UNE DYNAMIQUE

ÉLISABETH PASQUIERSOCIOLOGUENANTES A BESOIN

D’UN NOUVEAU CINÉMATOGRAPHE

JEAN-PIERRE SUAUDEAUÉCRIVAINL’INFORME D’UNE VILLE

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CONTRIBUTION | « FLEURS DE JEUNESSE » OU LE SYMBOLE D’UNE DYNAMIQUE

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– Parce que les fleurs sont éphémères ».

C’est un géographe sérieux. Il est permis à d’autres, fatigués de guerroyer contre un bataillon de chiffres en lignes et en colonnes, de s’évader hors des sentiers battus et de flâner d’un pas léger à la rencontre de l’éphémère, délivrés du carcan des codes de la bienséance cartographique.

Ici le territoire avance masqué sans perdre la boussole pour autant, ni sa puissance d’attraction ou de répulsion.

« Fleurs de jeunesse ». Est-ce un message ? L’énigme demeure entière. À moins de tourner la page pour découvrir le sens caché de l’image.

Le choix du cartographeDe fait, chaque point ou groupe de points colorés de

l’image figure un fait mesuré et localisé avec exactitude sur un fond de carte communal de Loire-Atlantique. L’observation porte sur les ouvertures et fermetures de

Issues de la même source, deux images se font écho. La première se suffit à elle-même. La seconde requiert une légende. L’une et l’autre ne font qu’un.

Ceci n’est pas une carteJuste une image. Un simple jeu graphique.« Une carte n’est pas le territoire »1, mais sans ter-

ritoire, pas de carte. Le territoire est le fondement de la carte, sa raison d’être quels qu’en soient le thème et la finalité. Territoire anodin ou explosif, vu de près ou de loin, réel ou imaginaire, arpenté ou rêvé, par-fois déformé ; en noir et blanc ou en couleur, parsemé de symboles ou dépouillé de fioritures, très « habillé » de noms en tous genres ou muet comme une carpe — c’est très « tendance » aujourd’hui, même chez les géographes — ; ce dessin d’une portion de la planète identifiée sans ambiguïté, immense ou minuscule, se doit d’être visible — et lisible si possible —, cerné d’un seul trait en contour ou bien morcelé façon puzzle.

Et ce titre « Fleurs de jeunesse » : pure fantaisie ?– « Nous ne notons pas les fleurs » dit le géographe

au Petit Prince.– « Pourquoi ça ! C’est le plus joli !

« Fleurs de jeunesse »ou le symbole d’une dynamique

DANIELLE RAPETTI > GÉOGRAPHE

RÉSUMÉ > Toute carte est une interprétation. Les variations sur un thème sont infi-nies ; variations de fond comme variations de forme. Pour la plupart, les cartes se veulent utiles. D’autres, sans prétention, s’affranchissent, semble-t-il, d’un quelconque objectif.

C O N T R I B U T I O N

DANIELLE RAPETTI est ancien ingénieur à l’Institut de géographie et d’aménagement régional de l’université de Nantes..

1. Aphorisme de Alfred Korzybski, ingénieur et philosophe d’origine polonaise, au-teur d’un ouvrage de sémantique générale publié en 1933 aux États-Unis. Réédition française sous le titre, Une carte n’est pas le territoire, éd. de l’Éclat, 2001.

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cinéphiles, celui qui s’assoit tou-jours au premier rang ou bien au dernier. Chaque séance, chaque rétrospective de Claire Denis à George Cukor, de Jacques Becker (l’intégrale !) à John Cassavetes, de Chaplin à Morricone, chaque cycle qui rebat les cartes (Cinéma et scandales encore en salle), chaque rencontre avec un réalisateur (Philibert, Assayas, Des-plechin, Chabrol, excusez du peu !), un critique, un grand témoin (ah ! l’entrée d’Angela Davis suivie de Françoise Vergès il y a quelques jours, la salle debout, toutes générations confondues)… Tout cela est une aventure à la fois intime, singulière et collective.

Un haut lieu politique et culturelMais le Cinématographe ne se comprend que si

l’on sait tout ce qui passe à quelques encablures, dans un autre haut lieu de la vie politique et culturelle nan-taise, la cour du 17, rue Paul-Bellamy, où sont situés les bureaux de l’association. Là, une équipe de huit salariés s’active autour du projet de fond du Cinéma-tographe, celui de l’éducation à l’image, qui n’a cessé d’évoluer depuis l’origine et qui explique les 52 000

L’ancienne chapelle des Carmélites devenue temple protestant, puis serrurerie, a hébergé le premier cinéma nantais, l’American Cosmograph, rebaptisé le Celtic après la Seconde Guerre mondiale et le Ciné-matographe en 1983. C’est en 2001, que le fameux cinéma associatif éponyme subventionné par la muni-cipalité, prend place dans cette salle privée, moyen-nant un loyer, et construisant depuis dans ces murs mythiques, un projet d’action culturelle fort autour du cinéma et de l’éducation à l’image.

Juste une envie de cinémaIl y a ce que les spectateurs connaissent, ce plaisir de

se retirer furtivement des rues passantes du centre-ville par la rue des Carmélites, d’entrer dans le petit hall, caisse en surplomb, films inscrits à la craie, textes à glaner annon-çant un événement à ne pas manquer, échanges avec les salariés et les bénévoles présents, aperçu du ou de la pro-jectionniste qui file vers la cabine, pas de pop-corn, juste une envie de cinéma pour 5 euros, voire moins.

Le Cinématographe, c’est le lieu de la découverte du faisceau lumineux par les enfants et de la stratifi-cation mémorielle et des pratiques ritualisées pour les

Nantes a besoin d’un nouveau Cinématographe

ÉLISABETH PASQUIER > SOCIOLOGUE

RÉSUMÉ > Le Cinématographe : une salle en plein centre-ville qui connaît un excep-tionnel taux de remplissage. Mais aussi, mais surtout, une belle expérience associative d’éducation à l’image, plus que jamais indispensable. Rançon du succès, le moment est venu de songer à occuper de plus vastes locaux, de créer un nouveau Cinématographe.

C O N T R I B U T I O N

ÉLISABETH PASQUIER est membre du comité de programmation du Cinématographe

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ici et là, de pans de murs (même pas jaunes ceux-là) d’inégales hauteurs qui ne laissent plus rien deviner des édifices qu’ils supportaient, et, intactes, seuls vestiges, la base sous-marine, unique objet du désir aérien, plutôt marron-gris elle, poussiéreuse, ainsi que l’église, gothique 19e sans charme, bien sûr miracu-leusement épargnée (l’habituel défi lancé à l’impiété, l’habituelle mise à l’épreuve pour brevet d’athéisme), et quelques grues sur le port.

Détruite donc, aspirée, engloutie dans les entrailles fumantes de la Terre. Rien ne subsistait de ce qu’elle avait été, avait dû être du temps de sa splendeur nais-sante, éphémère, quand la ville pouvait s’enorgueillir d’être tête de ligne des Antilles pour la Compagnie Gé-nérale Transatlantique – on imagine l’effervescence, les sacs, les malles, la concentration d’aventuriers et d’utopistes, de mondaines et de demi-mondaines, de bourgeois audacieux et d’aristocrates ruinés, de petites gens décidés à tenter leur chance ailleurs puisque d’où ils venaient tout se refusait à eux, de marins cosmopo-lites et d’officiers aux uniformes plus ou moins resplen-dissants, plus ou moins irréprochables, baignant dans

« À chaque fois, tout est à recommencerdans le vide et l’incompétence »Christian Prigent

Saint-Nazaire.Ville sans âme, sans supplément d’âme, dit-on com-

munément. Laide, ajoute-t-on.Ville que le bon goût récuse, raille, parce que précisé-

ment elle manquerait de formes, ne ressemblerait à rien.Qu’accessoirement ce soit une ville ouvrière n’y est

pour rien. N’y serait pour rien.Ville de béton aux façades plates, sèches, balayée par

le vent marin, anéantie soixante-dix ans plus tôt, par des gamins de vingt ans qu’on a mis aux commandes des Wimpy, Halifax ou Lancaster de la R.A.F. et des B-17 ou B-24 de la huitième Air Force pour survoler la ville et larguer à l’aplomb quelques milliers de tonnes de bombes explosives ou incendiaires, modelant ainsi l’ha-bituelle topographie qui succède aux conflits : mètres-cube de décombres (pierres, gravats, moellons...), fa-çades debout semblables à des éléments de carton-pâte pour super-productions hollywoodiennes agrémentées,

L’informe d’une ville

JEAN-PIERRE SUAUDEAU > ÉCRIVAIN

RÉSUMÉ > Cette belle évocation de Saint-Nazaire, la ville où vit l’auteur, est aussi une déclaration d’amour à cette ville détruite, reconstruite, sans cesse en mouvement, sans cesse en devenir.

C O N T R I B U T I O N

Jean-Pierre SUAUDEAU, instituteur à Saint-Nazaire, a récemment publié Photo de classe/s et Femme à la nature morte, publie.net.

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Le Grand prix national à Gérard Pénot,

urbaiste du soin

« La ville se conçoit à partir du piéton »

Nicole Roux

Une autre façon de vivre ensemble : de la coopé-

rative d’habitants à l’habitat participatif

Marc Dumont Projets urbains

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INITIATIVES URBAINES

Gérard Pénot, de l’Atelier Ruelle, vient d’obtenir le Grand prix national de l’urbanisme. Il lui sera remis officiellement cet automne. Cette récompense est exemplaire dans la mesure où le jury a voulu saluer « la démonstration que la sobriété des inter-ventions pouvait être synonyme de qualité et durabilité. » C’est « un urbaniste du soin et de la ville à pied » qui est récompensé. Le maire de Nantes Johanna Rolland et notre ami Laurent Théry, lui-même lauréat du prix en 2010 et actuellement préfet en charge de la métropole marseillaise, faisaient partie du jury1. Ils ont pu apprécier le travail de Gérard Pénot à Saint-Nazaire et à Nantes.À Saint-Nazaire, il a accompagné le renaissance du cœur de la ville dans les années 1980 et 1990 avec le projet du « Paquebot », étendant ensuite sa mission à l’ensemble des espaces publics et aux quartiers d’habitat social de la Bouletterie et la Chesnaie. À Nantes, au début des années 2000, il a été lauréat de la consultation pour la refonte de Malakoff, élargie plus tard à l’aménagement du secteur du Pré-Gauchet situé à la lisière de la gare. Autre mission de longue haleine, égale-ment dans l’Ouest, l’aménagement de la dalle Kennedy dans

le quartier de Villejean à Rennes. Ou, plus modestement, entre ville et campagne, cette mission de maîtrise d’œuvre urbaine au nord de Nantes, à Treillières, Grandchamp et Nort-sur-Erdre. Mais aussi au Mans (les Glonnières), ou à Angers (la Roseraie).Cette importante activité dans l’Ouest s’explique en partie par la localisation de l’Atelier Ruelle qui, il y a une douzaine d’années, a quitté Paris pour Le Plessis-Macé, un peu au nord d’Angers. Il regroupe urbanistes, paysagistes, architectes et ingénieurs, et compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs dont cinq asso-ciés. Cela n’empêche évidemment pas Gérard Pénot d’intervenir ailleurs. Il est notamment consulté sur les quartiers de gare, à Lyon (Perrache), Saint-Étienne (Châteaucreux) ou Dunkerque (esplanade Guynemer).

Ce Grand prix est pour nous l’occasion de republier l’entretien conduit par Jean-Louis Violeau au sujet de l’aménagement de Malakoff dans notre n° 35 (septembre-octobre 2012).

Le Grand prix national à Gérard Pénot, urbaniste du soin

1. La composition du jury : - Président : François Bertrand, sous-directeur de l’aménagement durable, - Les élus : Johanna Rolland, maire de Nantes, présidente de Nantes Métropole et Jean Rottner, maire de Mulhouse, président de la Fédération nationale des agences d’urbanisme.Les personnalités internationales : Kristiaan Borrett, architecte en chef de la Région bruxelloise, Marteen Kloos, architecte-urbaniste expert des Pays-Bas. - Les professionnels et personnalités qualifiées : Éric Bazard, directeur général de la SPL Deux Rives ( Strasbourg) ; Boris Bouchet, Palmarès des jeunes urbanistes 2014 ; Frédéric Bonnet, Grand prix de l’urbanisme 2014 ; Christian Devillers, Grand prix de l’urbanisme 1998 ; Nicolas Ferrand, directeur général de l’établissement public d’aménagement de Marne-la-Vallée ; Antoine Loubière, rédacteur en chef de la revue Urbanisme ; Jean-Pierre Orfeuil, professeur émérite de l’École d’urbanisme de Paris ; Jacqueline Osty, paysagiste, Grand prix du paysage 2005 ; Laurent Théry, Grand prix de l’urbanisme 2010, préfet en charge de la métropole marseillaise ; Cyrille Veran, rédactrice en chef de AMC/ Le Moniteur ; Agnès Vince, directrice de l’architecture au ministère de la Culture et de la Communication.

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INITIATIVES URBAINES

PLACE PUBLIQUE > Comment avez-vous été choisi pour intervenir sur le destin de Malakoff ?

GÉRARD PÉNOT > Nous sommes entrés dans ce projet de transformation au milieu de l’an 2000 sans très bien savoir où cela nous mènerait. La procédure elle-même était très ouverte puisqu’il s’agissait d’un « marché de définition »1. Comme bon nombre de mes confrères, je regrette d’ailleurs que ce type de consultation ait été supprimé. C’était une formule idéale : on se présente, on prend connaissance, on réfléchit, chaque équipe propose en réunion plénière, on se flaire, on écoute le retour du commanditaire et des autres équipes, on modifie, et enfin une équipe – plutôt qu’un projet à mon sens – est choisie.

PLACE PUBLIQUE > Quelle était alors la situation du quartier ?GÉRARD PÉNOT > À l’époque, la mairie – Nantes Métropole devait naître quelques mois plus tard – avait eu l’intel-ligence de ne pas cantonner la consultation aux limites

« La ville se conçoit à partir du piéton »

CONTEXTE > L’urbaniste Gérard Pénot et son équipe de l’Atelier Ruelle a été choisi pour repenser Malakoff. Ce quartier se trouvait-il encore en ville ? demande-t-il aujourd’hui. D’où son insistance sur l’importance de l’emboîtement des échelles : un grand ensemble dans ses relations avec le Pré-Gauchet et l’Île de Nantes, avec la ville tout entière, avec la métropole. Ce qui ne l’empêche pas d’être attentif au détail, à ce qui « se

passe entre 0 et 6 mètres » : « la ville se conçoit à partir du piéton ».

PROPOS RECUEILLIS PAR > JEAN-LOUIS VIOLEAU

1. Auquel participaient également l’équipe TGT (Treuttel – Garcias – Treuttel), les deux frères Treuttel, Jérôme et Jean-Jacques, ayant longtemps enseigné à l’École d’architecture de Nantes, et les (alors) jeunes Nantais de l’agence In situ.

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INITIATIVES URBAINES

du grand ensemble. Elle ouvrait en effet notre horizon de réflexion jusqu’au Pré-Gauchet, à la Petite Amazonie et au-delà même du boulevard de Seattle, pratique-ment jusqu’à la jonction avec l’autoroute. Sur près de 160 hectares, nous retrouvions donc tous les genres urbains : un grand ensemble, les faubourgs de Saupin et du Vieux Malakoff, une autouroute urbaine, une gare et ses arrières avec Point P, Tri Postal et dépôt de bus… Chacune à leur manière, toutes ces implanta-tions renforçaient l’exclusion spatiale et urbaine du grand ensemble. Si vous souhaitiez éviter le goulet d’étranglement du petit pont de Malakoff et ses cinq mètres de large, il vous fallait emprunter la voie rapide du boulevard de Sarrebrück ! Et pourtant, Malakoff est géographiquement très proche de la cathédrale et c’est la première vision que l’on a de Nantes lorsque l’on y arrive par le train, depuis la Vendée comme depuis

Paris. À Dalby, on ne se demande jamais si l’on est ou non en ville, alors qu’à l’époque on pouvait encore se poser la question à Malakoff.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les éléments qui ont pu faire pencher la décision en faveur de votre proposition ?GÉRARD PÉNOT > Lorsque la maîtrise d’ouvrage du projet est passée à la Communauté urbaine, la question des espaces publics s’est trouvée renforcée. Mais je pense que les trois équipes n’étaient guère éloignées les unes des autres dans leurs choix d’implantations des grands tracés. Ceci dit, nous avions peut-être poussé plus loin notre réflexion sur la relation avec l’Île de Nantes, peut-être accordé plus d’importance à la contrainte ferroviaire, envisageant notamment la permanence des voies ferrées, et peut-être accordé d’une manière générale une attention plus grande aux contraintes

La réflexion sur Malakoff n’a pas été limitée au grand ensemble. Elle s’est étendue au Pré-Gauchet, à la Petite Amazonie et même au-delà.

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INITIATIVES URBAINES

PROJETS URBAINS > MARC DUMONT

MARC DUMONT est professeur en urbanisme et aménagement urbain à l’université Lille I - Sciences et technologies.Il est membre du comité de rédaction de Place Publique Rennes.À travers ces projets urbains d’ici et d’ailleurs, il partage sa veille des innovations insolites, surprenantes et toujours instructives.

La Bretagne, territoire mobile

Depuis quelques mois les nouveaux « RER » bretons sillonnent les voies ferrées de l’Ouest. Discrètement, mais solidement, la Bretagne prend pied dans l’ère des nouvelles mobilités avec parfois des directions contradic-toires. Rennes (mais aussi Lille) vient de prendre des mesures débat-tues sur l’installation de portiques aux abords de certaines stations de métro, censés ramener de la civilité et réduire la fraude. Nantes quant elle accueillait, début juin, le congrès international des villes cyclables et Ploufragan, près de Saint-Brieuc, a obtenu ces derniers jours la distinction du Guidon d’or pour ses pistes cyclables et la généralisation du « cédez le passage » au feu rouge. En périphérie, les pôles multimodaux accélèrent la mutation de leurs gares comme sites stratégiques d’une urbanisation articulée autour de la mobilité.À la suite du projet de Morlaix, au design de mouette dépliant ses ailes pour relier les deux quais et qui entre dans sa phase opérationnelle, la gare de Lorient vient de lancer symboliquement son nouveau programme de Pôle d’échange multimodal. Avec un million de passagers par an, la ville doit aussi faire face comme d’autres à l’afflux de passagers attendus pour 2017. Si l’on retrouve à peu de choses près les mêmes caractéris-tiques des autres Pôles multimodaux bretons, le projet est original par sa voie rapide de transport en commun réservée longeant sur plusieurs kilomètres les voies de chemin de fer et réduisant les temps d’accès aux quais, mais aussi sa liaison directe avec les gares maritimes permettant, par exemple, de rejoindre Groix. Même les îles bretonnes seront desser-vies ; elles ne seront pas oubliées dans la stratégie « Bretagne à Grande vitesse » !

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ABON

NEM

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LIBERTÉ sans limitation de durée3,50 E prélèvement mensuel

1 AN (6 numéros)50 E au lieu de 60 e soit une économie de 10 e — Tarifs réduits étudiants/chômeurs (sur justificatifs) 30 E

2 ANS (12 numéros)90 E au lieu de 120 e soit une économie de 30 e

PARRAINAGE (2 x 6 numéros)40 E par abonnement (parrain et filleul)

COUPLÉ Rennes + Nantes (12 numéros)80 E

Tour Bretagne Place BretagneBP 7242344047 Nantes Cedex 1

tel : 06 75 06 32 67 / Fax : 02 40 47 10 [email protected]

Règlement par chèque à l’ordre de Mémoire et débats

Je soutiens l’association Mémoire et débats, éditrice de Place Publique, et m’acquitte de la cotisation annuelle de 10 €.Cotisation indépendante de l’abonnement mais pouvant s’y ajouter.

JE M’ABONNE À PLACE PUBLIQUE à partir du n°

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une revue bimestrielle unique en son genre

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PLACE PUBLIQUE # 53 PARUTION LE 5 SEPTEMBRE 2015

D’ici là, suivez l’actualité de Place publique sur Twitter et sur Facebook

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Une raffinerie, un port largement dépendant de l’importa-tion de gaz et de pétrole, une centrale de production d’élec-tricité, le grand défi des énergies marines renouvelables…De Nantes à Saint-Nazaire, l’estuaire de la Loire est une zone particulièrement sensible dans le domaine énergétique. À l’approche du Sommet de Paris sur le climat, nous consacre-rons notre prochain dossier à la transition énergétique.Quels sont les effets prévisibles du changement climatique dans l’estuaire ?Des énergies fossiles aux énergies renouvelables : quel im-pact sur l’économie locale ?Quels effets de la transition énergétique sur nos modes de vie ?Comment les précédentes transitions énergétiques se sont-elles déroulées ?Comment les villes s’emparent-elles du problème ?

Transition énergétique :demain, nous changeons de monde

DOSSIER

@revPlacePubliqu

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DU 3 JUILLET AU 17 DÉCEMBRE 2015Du 3 juillet au 30 août, tous les jours de 14h à 19h

Du 1er septembre au 17 décembre, du vendredi au dimanche de 14h à 18h

HANGAR 32

LE PROJET DU QUARTIER DE LA SANTÉ SUR L’ÎLE DE NANTES

HORIZON 2023-2025

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NANTES / SAINT-NAZAIRE

DOSSIER | P 5 | LE PROJET GAGNANT, L’HISTOIRE D’UNE DÉCISION, CE QUE DEVIENDRA L’HÔTEL-DIEU…

Sur l’Île de Nantes,l’hôpital du 21e siècleINITIATIVES URBAINES | P 149 | IL A REDESSINÉ MALAKOFF ET SAINT-NAZAIRE

Gérard Pénot, Grand prix national de l’urbanisme

p. 68PHOTOGRAPHIE : LES « INVISIBLES »DU CHU

p. 86NAISSANCEET RENAISSANCEDU COURSDES 50-OTAGES

p. 90LA POPULATION AUGMENTE MOINS VITEDANS LE DÉPARTEMENT

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#52NANTES / SAINT-NAZAIRE LA REVUE URBAINE | Juillet-Août 2015

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