430
7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III) http://slidepdf.com/reader/full/platon-6-la-republique-i-iii 1/430 COLLECTION DES UNIVERSITÉS DE FRANCE publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ PLATON OEUVRES COMPLÈTES TOME VI LA RÉPUBLIQUE LIVRES I-III TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT PAR Emile CHAMBRY Professeur honoraire au Lycée Voltaire. AVEC INTRODUCTION d'AuGusTE DIÈS Professeur aux Facultés catholiques de l'Ouest. Correspondant de l'Institut. PARIS SOCIÉTÉ D'ÉDITION « LES BELLES LETTRES » 95, BOULEVARD RASPÂIL 1982 Tons droits réservés.

Platon, 6 La Republique (I-III)

Embed Size (px)

Citation preview

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    1/430

    COLLECTION DES UNIVERSITS DE FRANCEpublie sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUD

    PLATONOEUVRES COMPLTESTOME VI

    LA RPUBLIQUELIVRES I-III

    TEXTE TABLI ET TRADUITPAREmile CHAMBRY

    Professeur honoraire au Lyce Voltaire.AVEC INTRODUCTIONd'AuGusTE DIS

    Professeur aux Facults catholiques de l'Ouest.Correspondant de l'Institut.

    PARISSOCIT D'DITION LES BELLES LETTRES

    95, BOULEVARD RASPIL1982Tons droits rservs.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    2/430

    Conjormment aux statuts de l'Association GuillaumeBud, ce volume a t soumis l'approbation de lacommission technique, qui a charg M. Auguste Disd'en faire la rvision et d'en surveiller la correction encollaboration avec M. Emile Chambry,

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    3/430

    PS-V. 4i

    INTRODUCTION

    IPOLITIQUE ET PHILOSOPHIE CHEZ PLATON

    Les exposs les plus classiques du Platonisme ont coutumede nous prsenter en ordre didactique les parties successivesd'un systme complet : thorie de l'tre et du connatre ;thorie de la nature; morale, politique, penses sur la reli-gion et l'art. Les titres peuvent changer, les mthodes et lesconclusions peuvent s'opposer absolument, la place faite lapolitique ne change pas : dans une dogmatique cherche etconstruite pour elle-mme, la politique vient s'insrer tardi-vement comme une consquence dj lointaine, sinon commeun surcrot. Si utiles que puissent tre de tels exposs, ilsnous ont habitus, ft-ce mme contre le gr de leursauteurs, sinon ngliger totalement la politique de Platon,du moins la regarder comme originellement distincte de saphilosophie et nous demander par quelles voies dtournescelle-ci l'engendre ou se l'annexe. Or, Platon n'est venu en fait la philosophie que par la politique et pour la politique, etsi, chez lui, philosophie et politique viennent se distingueret se sparer, nous aurions nous demander en quellemesure, quels moments, pour combien de temps. La philo-sophie ne fut originellement, chez Platon, que de l'actionentrave, et qui ne se renonce que pour se raliser plus sre-ment. C'est ce que nous atteste la Lettre. VII, cette sourcebiographique si prcieuse, qu'ont toujours exploite, bongr mal gr, ceux-l mmes qui la jugeaient apocryphe. Maisun simple fait matriel nous montre la persistance de cetteorientation premire. Les deux plus grandes uvres de Pla-ton, celle o s'panouit sa maturit, et celle que put peine

    809851

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    4/430

    VI INTRODUCTIONachever sa fconde vieillesse, sont la Rpublique et les Lois.Or, elles seules, mme sans y ajouter le Politique ni laLettre VII, elles comptent exactement autant de pages qu'encomptent ensemble onze grands dialogues classiques : Apo-logie, Protagoras, Charmide, Gorgias, Mnon, Cratyle, Ban-quet, Phdon, Phdre, Thtte, Time.Fils d'une famille riche et illustre, lve des Sophistescomme peu prs tous les jeunes gens de son monde,lve de Socrate comme le furent avant lui son cousin Gri-tias, son oncle Charmide et leur ami Alcibiade, Platon taitnaturellement destin la politique et s'y portait de tout sondsir. L'poque t^it pleine de troubles : de son adolescence sa trentime anne, de quels spectacles il fut tmoin ! Ledpart triomphal de l'expdition de Sicile et son issue dsas-treuse ; l'ennemi aux portes d'Athnes ; la dmocratie ren-verse et l'oligarchie des Quatre-Cents prte traiter avecLacdmone ; l'nergie d'Athnes se rveillant pour chasserles Quatre-Cents et laisser le pouvoir une sage combinai-son d'oligarchie et de dmocratie ; Alcibiade, Thramne etThrasybule reconqurant l'Hellespont, puis le Bosphore, etl'empire athnien se reconstituant en mme temps que laconcorde intrieure; puis la dfaite navale de Notium, lenouvel exil d'Alcibiade, la victoire des Arginuses dshonorepar le honteux procs des gnraux, la flotte athnienne anan-tie par surprise Aegospotamoi, etLysandre entrant pleinesvoiles dans le Pire la tte de la flotte Spartiate; enfin, sousles auspices de Lysandre, l'tablissement du gouvernementdes Trente dans Athnes dmantele. Platon avait vingt-troisans. Son cousin Gritiaset son oncle Charmide faisaient partiedu gouvernement, probablement avec d'autres amis ou rela-tions, et ils l'invitrent aussitt comme des travauxqui lui convenaient . Jeune et plein d'illusions, il s'ima-ginait qu'ils, gouverneraient la ville en la ramenant desvoies de l'injustice dans celles de la justice . Il s'abstintcependant, et demeura spectateur. Il vit les Trente faireregretter en peu de temps l'ancien ordre de choses commeun ge d'or . Sous prtexte d'purer la cit, ils procdrentsans retard aux confiscations, aux bannissements et aux mas-sacres. Ils s'purrent eux-mmes, et Gritias, ayant fait ex-cuter son collgue plus modr, Thramne, svit commeun fou furieux. Les bannis se grouprent, et ce fut la guerre

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    5/430

    INTRODUCTION vucivile jusqu'au retour de la dmocratie triomphante. Ghar-mide et Gritias avaient t tus les armes la main. Malgrquelques vengeances invitables, les vainqueurs surent engnral pratiquer l'amnistie jure, et Platon, bien qu'branldans sa foi par de si douloureuses expriences, se reprenaitau dsir de contribuer la restauration de la justice etde l'ordre, lorsqu'arriva la suprme catastrophe : Socrate,accus d'impit par un ancien ami de Thramne, Anytos,fut condamn mort, en 899 .Ge fut le grand coup port aux esprances de Platon, auxillusions qu'il gardait sur la possibilit de sauver son payspar l'action politique immdiate. Plus il avanait en ge,plus il se rendait compte que tout tait corrompu : leshommes, les lois, les murs. Il essaya d'esprer encore, ilattendit en vain quelque signe d'amlioration. Finalement,nous dit-il, je compris que tous les tats actuels sont malgouverns, car leur lgislation est peu prs incurable sansd'nergiques prparatifs joints d'heureuses circonstances.Je fus alors irrsistiblement amen louer la vraie philoso-phie et proclamer que, sa lumire seule, on peutreconnatre o est la justice dans la vie publique et dans lavie prive. Donc les maux ne cesseront pas pour les humainsavant que la race des purs et authentiques philosophes n'ar-rive au pouvoir ou que les chefs des cits, par une grce divine,ne se mettent philosopher vritablement . G'est ainsi que laLettre VII, exposant rtrospectivement les expriences poli-tiques de Platon jusqu' l'poque de son premier voyageen Sicile (324b-326b, trad. Souilh), esquisse en fait lagense intrieure de la Rpublique.Ainsi trois expriences principales ont ouvert les yeux dePlaton sur la politique telle qu'elle se fait pour la corruptionet la ruine de la cit, et sur la politique telle qu'il la faudraitfaire pour que la cit soit juste et heureuse. Le spectacle dela tyrannie des Trente, puis la condamnation de Socrate luiont prouv l'gale impuissance et l'gale injustice de l'oligar-chie et de la dmocratie. Mais aurait-il compris cette impuis-sance et cette injustice irrmdiables, s'il n'y avait t prparpar la critique mordante qui faisait des entretiens de Socratele scandale des uns et le ravissement des autres ? Aurait-ilhsit devant les invitations de ses parents et de ses amis,serait-il rest, malgr les esprances qu'il avoue et qui taient

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    6/430

    VIII INTRODUCTIONsi naturelles, spectateur attentif et secrtement inquiet, sila rfutation socratique n'avait veill en lui, comme chez tantd'autres, comme chez Alcibiade et Gritias, par exemple, quela joie maligne de la jeunesse et l'mulation de l'orateur poli-tique de demain? N'est-ce pas dans les leons du Matrequ'il avait puis cette exigence d'une totale volont de justice,qui le faisait, devant le pouvoir offert, inconsciemment scru-puleux et craintif? N'y avait-il pas puis aussi cette exigenced'une totale clart de l'ide, qui, seule, fonde la rectitude del'action, et cette conception d'une science du Bien, guideinfaillible des cits comme des individus ? C'est par Socrateque le primat de la politique est devenu, pour Platon, leprimat de la vrit, le primat de la science. Si l'action de lacit comme celle de l'individu doit tre rgie, non par laroutine, non par une opinion que manie son gr l'illu-sionnisme intress des orateurs ou par le caprice d'un pouvoirjouisseur, mais par une loi valable pour tous et toujours, celaveut dire qu'il y a une vrit comme il y a un ordre natureldes choses. Si l'action a sa norme, c'est que les choses ontleur structure : la thorie des Formes ou Ides n'est quel'expression intellectuelle de cette exigence de l'action droite.Ainsi les dialogues o s'affirme et se raisonne cette thoriedes Ides, Cratyle, Phdon, Banquet, sont, aussi bien que leGorgias, des tapes vers la Rpublique et sa cit parfaite.Qu'est-ce d'ailleurs que l'Acadmie, sinon la forme socrati-que et platonicienne de l'htairie politique ? Elle est spora-dique avec Socrate et se cherche encore, elle se trouve ets'tablit avec Platon. On y prpare l'action future, non parles intrigues et les complots, mais par l'tude des lois de l'ac-tion, qui sont les lois mmesdu rel. On a commenc par ddai-gner ou plutt par rejeter avec horreur l'action inundiate,pour ne pas perdre inutilement sa vie en cherchant le Bienou la sauver honteusement en se prtant l'injustice dumonde; mais cette abstention , pour Platon comme pour leSocrate du Gorgias (d21 d), est, d'ici longtemps, d'ici unavenir presque idal peut-tre, la vraie politique.Ainsi le primat de la politique a, ds le dbut, un toutautre sens pour Platon qu'il n'avait pour les politiciens et lescondottires de son temps. 11 est le primat d'une politique.Parce que cette politique est fonde sur la science et la vrit,parce qu'elle se rfugie, pour un temps indtermin, dans

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    7/430

    LNTRODUGTION une abstention laborieuse, dans l'effort associ d'un certainnombre d'intelligences sous la conduite d'un matre, elleoscillera forcment entre deux attitudes, celle du renonce-ment durable, parce que le monde est trop mauvais, celle del'expectative ardente vers le moment o l'on conquerra ouconvertira le pouvoir. En attendant, on forme les esprits etles curs, et ceux-ci s'prennent de plus en plus aussi bien dela posie de cette recherche commune que de l'pre sductiondes vrits qui en sont le but. La joie de la conversationvivante et du mutuel amour qu'elle nourrit, la complaisance,si naturelle aux esprits grecs, dans les jeux savants de ladialectique, la poursuite passionne des sciences qu'on n'ad'abord cultives qu' titre d'auxiliaires dans l'ascension versla vision du Bien, tout cela fit la vie et la fcondit de l'Aca-dmie, tout cela fait aussi la vie prodigieuse, le charme inpui-sable, la valeur d'ternit des dialogues. Nous n'avons doncpas besoin de dflorer Platon ni d'en faire un sec et froid doc-trinaire pour soutenir la thse du primat de la politique danssa philosophie. Car Platon a joui et de ce foisonnement invi-table autour de la pense matresse, et de la richesse qu'ildonnait son enseignement comme son uvre crite ; maisil a toujours conserv, dominante, l'ide de la Cit Sainte, et,quand il l'a fallu, a tout risqu pour la raliser. Le charmepuissant de la Rpublique vient de ce qu'elle nous montre,mieux que tous les autres dialogues, et, leur dfaut, suffi-rait seule nous montrer cette complexit harmonieuse deson gnie et de sa vie ' .

    I. J'aurai dj trop de notes pour les proportions de cette intro-duction; j'aurais d cependant les multiplier pour appuyer mesassertions, indiquer les livres ou articles qui me les ont inspires ousont propres les illustrer. Une bibhographie de la seule Rpubliqueferait un volume. Je signale seulement ce qui me parat le plus mar-quant, et rendrai ainsi un peu de ce que je dois parfois aux auteursque je n'ai pu citer. Commentaires : Procli in Rempublicam, d. Kroll,a vol., Leipzig, 1899-1901 ; B. Jowett a. L. Campbell, 3 vol.,Oxford, 1894 (I Texte, II Essais, III Commentaire); J. Adam,texte et comm., 2 vol., Londres, 1902 ; Peroutky et Novotny, trad.aA'ec introd. et notes, Prague, 1921 (en tchque); 0. Maass, PlatonsStaat, Leipzig, 192 1 (texte et comm. scolaire) ; W. Andreae, PlatonsStaatschriften, II. 2. introd. et notes, lena, 1925; St. Lisiecki, trad.avec introd. et notes, Cracovie, 1929 (en polonais); P. Shorey, Plato

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    8/430

    X INTRODUCTION

    IILES GRANDES DIVISIONS DU DIALOGUE

    Les grandes divisions de la Rpublique sont nettementmarques par Platon lui-mme. Au dbut du Livre II, SocrateRepublie I (Loeb Classical Library), 1980. tudes: A. Krohn, Derplatonische Staat, Halle, 1876 ; F. Dmmler, Prolegomena zu Pl's Staat.Basel, 189 1 (= Kleine Schriften I, p. 1 50-228); Zur Komposition desplat. Staales, Basel, 1896 (=K1. Sch. I, p. 239-270); J. Hirmer,Entstehung und Komposition der plat. Politeia, Munich, 1897 ; J. vonArnim, De reipublicae Plat, compositione ex Timaeo illustranda, 1898;A. Lombard, La posie dans la Rp. et dans les Lois de PL, Nancy,1908 ; G. Ritter, Plat. Staat (analyse), Stuttgart, 1909 ; H. v. Arnim,Platos Jugenddialoge u. die Enistehungszeit des Phaidros, Leipzig, I9i4-Voir naturellement les volumes ou chapitres relatifs Platon dans leshistoires gnrales de la philosophie grecque: E. Zeller, II, i* ;Gomperz, Les penseurs de la Grce (trad. Reymond) ; L. Robin, LaPense Grecque, Paris, 1938 ; E. Brhier, Histoire de la Philosoprel,Paris, 1926 : A. Rivaud, Les Grands Courants de la Pense antique.Paris, 1980 ; D. Ritchie, Plato, Edimbourg, 1902 ; P. Shorey, Unityoj Platos Thought, Chicago, 1908 ; E. Faguet, Pour qu'on lise Platon,Paris, igo5 ; H. Raeder, Platons Philosophische Entwickelung , Leipzig,igoD*, 1920^; C. Ritter, P/aton 1(19 10), U (iQi^)ei Die Kerngedankender platonischen Philosophie, Munich, 1981 ; M. Pohlenz, Aus PlatosWerdezeit, Berlin, 1918 ; J. Burnet, Gr. Philos. I, Thaes to Plato,Londres, 1914 ei Platonism, Berkeley, 1928 ; E. Barker, Greek Poli-tical Theory, Plato and his Predecessors, 1918*, 1926^ ; Wilamowitz,Platon, 2 vol. 1919 et suiv, ; P. Friedlnder, Platon 1(1928) et II(1980); Z. Stenzel, Platon der Erzieher, Leipsig, 1928; J. Wood-bridge, The Son of Apollo, Boston, 1929; A. E. Taylor, Plato, theman and his work, 8 d., Londres, 1929 ; G. Field, Plato and hiscontemporaries, Londres, 1980; P. Frutiger, Les Mythes de Platon,Paris, 1980. Shorey, The Idea of Justice in P's Republic (EthicalRecord, 1890, p. 185-199), The Idea oj Good in P's Rep. (Studies inClass. Philol. I, 1895, p. 188-289) ; R. Stube, Platon als politisch-padagogucher Denker (Archiv f. Gesch. d. Philos. XXIII, i (1909),p. 185-197) ; L. Robin, Platon et la science sociale (Rev. Met. et Mor.,1918, p. 211-255); A. Schwessinger, Die Eigenart plat. Kunst imAufbau der Politeia (Bay. Bl. f. d. Gymn. Schulw. 60 (192^), p. 99-III et 247-268); G. Colin, Platon et la posie (Rev. Et. Gr., 1928,p. 1-72); R. Klee, La thorie et la pratique dans la cit platonicienne

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    9/430

    INTRODUCTION xis'aperoit que ce qui prcde n'tait qu'un prlude. A la findu Livre IV, ayant dfini la justice dans la cit et dans l'in-dividu, Socrate s'apprtait traiter de l'injustice et desformes dfectueuses de gouvernement, quand ses interlo-cuteurs le pressent de s'expliquer tout au long sur la commu-naut des femmes, laquelle il a fait une allusion passagre.Au dbut du Livre VIII, il rsume les traits de la cit par-faite et revient expressment au point o la discussion avaitt rompue, en reprenant l'examen des constitutions impar-faites. Au dbut du Livre X, il jette un regard de complai-sance sur la cit idale dont il vient de tracer le plan, ets'arrte justifier la rigueur avec laquelle il en a banni lespotes. Le texte de notre dialogue se partage donc en cinqmasses distinctes : Livre I ; Livres II IV ; Livres V VII ;Livres VIII et IX ; Livre X. Ces cinq masses ont entre elles,en gros, les proportions suivantes : i, 3, 3, 2, i.

    Livre I : i 1 85 lignes *,ivres II-IV :

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    10/430

    xii LNTRODUGTlOiNet dans l'autre ; mais elle ne se forme bien dans l'individuque sur le modle et par l'action d'une cit droitement admi-nistre : le Juste lui-mme, s'il est capable de se conserverpur dans sa solitude et son exil intrieur, ne se ralise pour-tant pleinement que a dans une rpublique convenable (497 a). Aussi justice sociale et justice individuelle, ordre dela cit et ordre de l'me, s'entremleront-ils sans cesse travers tout ce dialogue. Nous n'avons donc pas nousdemander quel est le sujet primaire et quel est le sujetsecondaire ; le sujet est un : c'est la Rpublique (^parfaite) oula Justice. Un prlude, le Livre I, expose les opinions deshonntes gens, des potes et des sophistes sur la justice et sesavantages ou dsavantages. Adimante et Glaucon montrentque la question est ainsi mal pose, et demandent qu'ontudie la justice et l'injustice en elles-mmes, abstractionfaite de leurs suites. D'o trois parties :

    i) En quoi consiste la justice ? (Livres II IV). Socrateaccepte la question telle que la posent Adimante et Glaucon,et, pour dfinir la justice, la montre d'abord ralisable dansla cit par la subordination mutuelle des classes dont la citse compose, puis, dans l'individu, par une mme subordi-nation entre les puissances de son me.

    2) A quelles conditions se ralisera la justice ainsi dfinie ?(Livres Y VII). Socrate s'etfraie de rpondre, car il luifaut, pour cela, affronter successivement trois vagues plusredoutables les unes que les autres : l coducation del'homme et de la femme, la communaut des femmes et desenfants, enfin l'exercice du pouvoir par les seuls philosophes,qu'on y prparera par une ducation spciale.

    3) Comment 's'tablit l'injustice dans la cit et dans l'in-dividu ? (Livres VIII et IX). Par une dchance progressivede cet ordre parfait dans la cit ou dans l'me. Socrateexpose, en eflet, comment se forment et ce que deviennent latimocratie et l'homme timocratique, l'oligarchie et l'hommeoligarchique, la dmocratie et l'homme dmocratique, latyrannie et l'homme tyrannique, et compare cette suprmeforme de l'injustice l'idal de justice que ralise, dans lacit comme dans l'individu, la rpublique parfaite.

    Enfin, une fois tablie ainsi la valeur propre de la justice,il revient la question de ses avantages ou dsavantages,montre qu'on a eu raison de rcuser le jugement des potes

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    11/430

    INTRODUCTION xii* et de leur enlever leur fonction usurpe d'ducateurs natio-naux, expose les vritables rcompenses promises au juste ence monde et dans l'autre.

    LE PRLUDEComme dans le Prolagoras, le Charmide, le Lysis, c'est un auditoire anonyme que Socrate s'adresse pour narrer laconversation qui se tint hier, au Pire, chez Polmarque, filsde Cphale. Il y avait l Cphale lui-mme, ses deux autres

    fils Lysias et Euthydme, Thrasymaque de Ghalcdoine,Gharmantide de Pane, Clitophon, fils d'Aristonyme, enfinAdimante et Glaucon, fils d'Ariston. Cphale, occup ce soir un sacrifice domestique, ne resta que quelques instantsdans la socit. Mais Socrate, auquel il reprochait aimable-ment ses trop rares visites, ayant amen la conversation surla vieillesse, Cphale dit qu'elle lui tait douce porter, car,suivant le mot de Sophocle, en apaisant la fureur des senselle nous libre, et, d'ailleurs, elle n'est insupportable qu'auxcaractres qui jeunesse et vieillesse le seraient galement.Le vulgaire ne pensera-t-il pas, riposte Socrate, que larichesse de Cphale est pour beaucoup dans cette galitd'humeur ? La richesse n'aide en cela que les sages, dit levieillard ; mais son plus grand bienfait est d'apaiser lescraintes de l'au-del par l'assurance qu'elle donne qu'on s'enira sans avoir t jamais expos mentir et sans laisser dedette impaye, soit envers les hommes, soit envers les dieux.Est-ce donc l dfinir exactement la justice ? Consiste- t-elleprcisment dire la vrit et rendre chacun ce qui luiappartient ? N'oblige-t-elle pas, en certains cas, faire lecontraire ? N'importe, dit Polmarque intervenant, c'est bienen cela qu'elle consiste, s'il faut en croire Simonide. EtCphale retourne son sacrifice, laissant son fils Polmarque hritier du discours . Ainsi s'est amorce la discussion surla justice (827 a-33i d).

    Elle se fait en deux tapes, dont la pre-Socrate ^^j^re est assez brve (33ie-336a) etet Polmarque. xi>r-xj j j- tout a lait du genre des discussions'Hippias Mineur sur la vracit et le mensonge, de Lchs

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    12/430

    XIV INTRODUCTIONsur le courage, 'Ealhyphron sur le pie et l'impie. Le ton dece dbat entre Polmarque et Socrate demeure toujours trscourtois. Simonide s'est prononc en pote, en homme savantet divin, mais qui parle par nigmes. Que veut dire en faitsa dfinition ? Qu'il faut rendre chacun ce qui lui convient,puisqu'on ne doit, d'aprs Simonide, ses amis que du bienet, d'aprs Polmarque, ses ennemis que du mal ? Or, cela,le mdecin le fait en cas de maladie, le pilote en cas dedanger sur mer ; en quel cas le fera l'homme juste ? En casde guerre. Sera-t-il donc inutile en temps de paix ? Non, ilrendra service en toute tractation d'argent. Mais non paspour employer l'argent, car on demandera plutt conseil etaide au maquignon, au pilote, l'architecte. Si ce n'est quepour le conserver en dpt et le laisser oisif, la justice nesera donc utile que pour ce dont on n'use pas et n'aura ainsipas grande valeur. D'autre part, l'homme le plus habile se garer des coups n'est-il pas celui qui sait le mieux lesdonner, et le plus habile nous protger contre la maladiecelui qui saura nous l'inoculer l'insu de tous, et le plushabile garder un camp celui qui saura le mieux droberles desseins de l'ennemi ? Le juste, habile garder l'argent,sera donc tout aussi adroit le voler : alors la justice seral'art de voler pour servir ses amis et nuire ses ennemis.Ainsi Socrate, dans Hippias Mineur, acculait Hippias cetteconclusion paradoxale que l'homme bon est celui qui commetvolontairement l'injustice (334 b).Mais qu'est-ce qu'un ami ? Nous nous trompons l-dessussi souvent, prenant pour amis des mchants et traitant lesbons comme des ennemis ! Si nous ne voulons pas qu'il soitjuste de faire du mal ceux qui n'en font pas, appelons amisceux qui paraissent et sont bons, et disons : la justice, c'estde faire du bien son ami bon, du mal son ennemimchant. L'homme juste fera donc du mal quelqu'un ")Mais les chiens ou les chevaux que l'on bat en valent-ilsmieux ? Et l'homme qui Ton fait du mal s'en amliore-t-ilen sa vertu d'homme, qui est la justice? Comment la justiceaurait-elle pour effet de rendre injuste et mchant le sujetauquel elle s'applique.^ Disons que le juste, qui est bon, nepeut faire de mal personne, et n'acceptons pas que Simonideni aucun autre sage soit l'auteur de cette maxime : a Faire dubien aux amis et du mal aux ennemis . Elle ne peut tre

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    13/430

    lSTRODUGTION xv que de Priandre, de Perdiccas ou de Xerxs, d'Ismniasle Thbain, ou de quelque autre personnage qui se croit tout-puissant parce qu'il a beaucoup d'or . Ainsi nous rejoignonsla polmique du Gorgias, o Socrate conteste Polos que cesoit tre tout-puissant que de pouvoir tuer, spolier, exilerqui l'on veut (336 a).

    Mais nous voici en plein drame. Pendant^^^y^^9^^- toute la discussion qui prcde, Thrasy-maque, furieux, bouillonnant, n'a t contenu qu'avec peinepar ses voisins. A la fin, il n'y tient plus et bondit commeune bte fauve. Est-ce l discuter ? N'est-ce pas plutt faireun ridicule assaut de politesses mutuelles ? Que Socrate cessele jeu o il se complat, qu'il ne se borne plus poser desquestions et dmolir les rponses, qu'il rponde son tour.Mais pas n'importe quoi, pas une dfinition par le convenable,l'utile, l'avantageux, etc. Au lieu de ces sornettes, unerponse prcise. Socrate s'effraie, essaie de le calmar, protestede sa bonne volont ; peu peu, ses prires, celles de l'assis-tance et la vanit aidant, Thrasymaque consent dire lui-mme ce qu'il entend par la justice. Et la discussion recom-mence.

    Relativement trs longue, puisqu'elle occupe exactementles deux tiers du Livre I, elle est habilement coupe et dra-matise par une petite discussion entre Clitophon et Pol-marque sur un dtail d'interprtation, par une grossireviolence de Thrasymaque suivie d'un bain d'loquence et d'une fausse sortie, par un court dialogue entre Socrate etGlaucon sur la contrainte qu'est, pour les gens de bien, l'obli-gation d'accepter le pouvoir, par la peinture de l'embarrascroissant de Thrasymaque : il ne lche que par force sesaveux successifs, il sue grosses gouttes, et, chose qui nes'tait jamais vue, il rougit. Amen sur la scne uniquementpour y introduire, sous sa forme la plus franche et la plusviolente, la doctrine du droit de la force, il s'y dmne avecla fougue tapageuse et les effets voyants d'un avocat d'assises ;comme un taureau dchan, il s'emporte contre les bande-rilles, mugit et fonce, et s'tonne de n'avoir tu personne,de retrouver calme, prcis, impitoyable, son ironique adver-saire"; la fin, harass, il tombe et gt dans un coin. Il yrestera silencieux, apais, comme, dans le Thtte (i55e),

    VI. b

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    14/430

    XVI INTRODUCTIONles matrialistes ou noa-initis , uniquement amens pourintroduire par contraste le relativisme absolu des dlicats ;comme, dans le Sophiste (245 e/8 a), les grossiers Fils de laTerre, dont le seul rle est d'apporter la dfinition provisoirede l'Etre, o s'amorcera la dmonstration fondamentale. Uninstant, au milieu de la grande apologie du philosophe Rp.498 c/d), son nom sera prononc : Ah ! ne me brouillezpas avec Thrasymaque, dit Socrate, puisque nous sommesdsormais amis et ne fmes jamais ennemis ; je n'aurai decesse, en effet, que je n'aie fini de le convaincre, lui et tousles autres. Amis, puisqu'il s'est joint aux autres auditeurspour demander que Socrate expose ses ides sur la commu-naut des femmes (45o a). Voil les seuls rappels de sa pr-sence au cours du grand dialogue aprs les clats dont il arempli le Livre 1 et sa mise l'cart, trop prompte et tropfacile au gr de Glaucon. Mais ce n'est pas que sa thse aitimpressionn Glaucon par une originalit quelconque : elleest banale, et des milliers d'autres que lui nous en rebattentles oreilles (358 c). Platon, dans le Gorgias, a donn, au pan-gyriste du droit des forts, Callicls, sinon plus de relief, aumoins plus de prestige, et l'orgueil du surhomme en rvoltecontre l'oppression de la masse hypocrite couvre d'un manteaude noblesse romantique la thse odieuse de l'exploitation dufaible. Ici, la thse est dpouille de toute posie ; c'tait in-vitable, puisque la question qu'on traite est uniquementd'avantage et d'intrt. Socrate le dira lui-mme : il s'agit desavoir de quelle faon on doit vivre pour vivre avec le plusde profit (344 e) et si l'injustice est plus avantageuse que lajustice (348 b).

    Thrasvmaque l'a voulu, d'ailleurs, puis-Nature et valeur qu'aprs avoir solennellement interdit de la Justice. o * * * j'c w 1socrate toute dennition par le conve-nable, l'utile, l'avantageux, il dclare que la justice, c'estl'avantage du plus fort. Marquons rapidement les artes dela discussion.

    Le plus fort peut se tromper sur son intrt et, gouvernant,porter ses lois de travers. Le gouvern, pour qui la justiceest d'obir, sera donc juste en agissant contre l'intrt du plusfort? Non, rpond Thrasymaque : un technicien n'est techni-cien que dans la mesure o il est et demeure comptent,c'est--dire infaillible ; comme le mdecin ou le calculateur,

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    15/430

    INTRODUCTION xvnle lgislateur est infaillible en tant que tel et ne pche qu'encessant d'tre lgislateur ; la justice est donc l'intrt vrai duplus fort (34 1 a).Mais aucune technique ne cherche son bien propre : ellel'a en elle-mme, tant qu'elle est saine et parfaite. Le seulbien qui manque et qu'elle cherche par destination, c'est lebien du sujet auquel elle s'applique. Mdecin, pilote, gou-vernant, ne cherchent donc pas leur avantage personnel, maisseulement celui de leur sujet. Sottise, dit Thrasymaque :est-ce pour leur bonheur elles que le berger engraisse sesbrebis ? Aussi la justice est-elle rellement avantage du fortqui commande, dommage du faible qui obit. D'o l'inf-riorit constante du juste: le tyran, qui ralise l'injusticeintgrale, est envi par ceux-l mmes qui le blment, car onne blme l'injustice que par crainte de la subir (344 c).

    11 est trange alors que le vrai gouvernant ne gouverne paspar plaisir et que toutes les techniques exigent un salaire.C'est cela, d'ailleurs, qu'elles ont de commun. Distinctesqu'elles sont les unes des autres par leur efficacit respective,la mdecine ayant pour uvre la sant, l'architecture labtisse, elles se ressemblent en cela que, pour faire vivrecelui qui les exerce, une technique nouvelle s'adjoint cha-cune d'elles, la mme pour toutes : la technique du gain.Leur efficacit propre et directe demeure consacre au biende leur sujet. On ne gouverne donc que dans l'intrt desgouverns, et c'est pour cela qu'il faut un salaire mme, ouplutt surtout, aux honntes gens, pour les dcider briguerle pouvoir. Non pas de l'argent, ni des honneurs, mais laconviction qu'ils vitent ainsi d'tre gouverns par desmchants. Dans une cit d'honntes gens, le sort de simplegouvern susciterait autant de brigue qu'aujourd'hui celui degouvernant (347 ^)-Thrasymaque maintient que la justice est niaiserie, etl'injustice sagesse et vertu, surtout lorsqu'elle est parfaite etsubjugue cits et nations, car le mtier de coupeur debourses a du bon aussi, mais jamais pour longtemps. Or,cette ardeur, chez l'injuste, l'emporter sur tous, justes etinjustes, est marque d'ignorance et de perversion, car aucuntechnicien n'agit ainsi : le musicien travaillera-t-il tendre lescordes de sa lyre au del du point o les tend le parfaittechnicien dans son art, ou le mdecin prescrire une dite

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    16/430

    XVIII INTRODUCTIONqui dpasse ce que prescrirait le mdecin le plus clair ?D'ailleurs, l'emporter ainsi sur tous, est-ce bien une marquede force? Oui, mais cela n'arrive, dit Thrasymaque, tradui-sant comme toujours la sagesse raliste du sicle, qu' la citparfaitement gouverne et parfaitement injuste. Or, c'est lune erreur, car une cit, une arme, une bande mme devoleurs, ne russit dans ses entreprises injustes que si ellegarde encore assez de justice pour tenir ses membres enaccord, et capables de s'unir dans une uvre d'ensemble.C'est que la justice est, dans le groupe et dans chacun deses membres, condition indispensable d'harmonie et de puis-sance (352 d).

    Enfin, chaque chose a son uvre propre, mais ne sauraitla faire si elle ne possde la vertu requise pour cette uvre.On peut, la rigueur, tailler la vigne avec un couteau, maistailler la vigne est proprement l'uvre d'une serpette. Ainsivoir est l'uvre des yeux, entendre celle des oreilles, etpenser, dlibrer, vivre, est l'uvre propre de l'me. Sil'me est prive de sa vertu, vivra-t-elle bien ? Assurmentnon. Or, la vertu propre de Tme, c'est la justice. Doncl'me injuste vivra mal, et malheureuse ; l'me juste vivrabien, et bienheureuse (35^ a).

    Mais, si logique soit-elle, cette conclusion est prmature.Avant de dcider si l'injustice est ou non plus avantageuseque la justice, il et fallu rsoudre la premire question quenous nous sommes pose: en quoi consiste la justice? Et,cette question, nous l'avons laisse en route (354 c).

    Ainsi finit ce premier Livre. A le lireLe Livre I i -x r-. , ... sans connatre ce qui suit, on a 1 im-et la critique. . ,, i. , ^ i , tpression d un dialogue achev. La criti-

    que a not cela, au moins depuis Hermann, et en a tir desinfrences qui vont parfois jusqu' l'extrme. Cependant,Ferdinand Dmmler, qui fut le premier donner au dialo-gue suppos le titre Thrasymaque, se refusait le croirecomplet dans sa teneur prsente, jugeant bon droit qu'uneapologie platonicienne de la justice est inimaginable, quel-que date qu'on la rapporte, si elle se termine sans ouvrir aumoins quelque chappe sur les rmunrations de l'au-del.Il estimait aussi que la comparaison invitable avec Gorgiaslui fait tort, et, pour ce motif, voulait que ce Thrasymaque

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    17/430

    INTRODUCTION xixet prcd notre Gorgias, qu'il cite pourtant, mais aprscoup, et une seule fois, au dire de Dmmler. Von Arnim,aprs celui-ci, a repris en grand cette comparaison des deux dialogues en accentuant encore l'infriorit de Thrasy-maue ^ N'largissons pas en ce moment le dbat, dont nousne verrons que plus tard la vritable porte. Mais notons icid'abord, propos de cette impression d'achev que donnenotre Livre I, qu'elle saisirait tout aussi bien le lecteur deGorgias y si ce dialogue tait divis en deux livres et que lelecteur et seulement sous les yeux le premier, qui s'arrte-rait aprs la joute entre Socrate et Polos. Il manqueraitalors assurment Gorgias sa plus grosse moiti, la plus tra-gique et la plus belle, mais le thme du dialogue, nature etutilit de la rhtorique, serait, pour le lecteur ignorant cetteseconde moiti, trait de faon apparemment suffisante.D'autant que l'argument mme du dialogue se partage exac-tement en ces trois scnes successives, et se distribue entretrois acteurs, qui se donnent le tour un peu mcaniquement,au dire de bons auteurs, comme sur le thtre franais ougrec ^.Quant l'infriorit du Livre I del Rpublique l'gard deGorgias, elle est certes indniable, mais la condition qu'onait le droit de les comparer l'un l'autre. Or, a-t-on cedroit ? Sont-ce l des units de mme ordre? Oui, s'il taitd'avance avr que ce Livre 1 fut jadis le dialogue Thrasy-maqae, un dialogue sur la nature et les effets de la justice,crit pour tre publi comme tel et subsister comme tel.Alors il se prsenterait mal, survenant aprs Gorgias, et ne secomprendrait qu'crit avant lui, premier jet d'une pense

    1. Cf. Hermann, Gesch.u. System der plat. Philosophie, Heidelberg,1889 : le Livre I a d'abord exist pour lui-mme, l'poque de Lysiset Charmide, et n'gi t donn que tardivement comme prface auxautres livres. Dmmler, Zur Komposilion, surtout p. 24i/3.Friedlnder, Platon, II, p. 5o, n. i ; v. Arnim, Jugenddialoge, p. 76-87.

    2. Le mot est d'A-E. Taylor (Plato, the man and his worU, 3 d.,1939, p. 106, n. 3) qui voit l une des marques de la jeunesse duGorgias, antrieur, selon lui, au Protagoras, et de peu d'annespostrieur la mort de Socrate. Sur les dpendances mutuelles et lasavante progression des trois scnes du Gorgias, voir, dans l'ditionCroiset-Bodin (Paris, I9a3), le sommaire (p. 104-107) et surtout lesnotes, pleines ^'indications suggestives.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    18/430

    XX INTRODUCTIONqui, une fois parvenue concevoir et traiter d'une faon pluspleine et plus brillante ce thme qui la tourmente, laissed'abord subsister cte cte l'bauche et la faon plus par-faite, puis, reprise bientt par ce thme vital, le poursui-vant, l'agrandissant jusqu'aux proportions qu'il exige,revient la premire bauche et l'utilise comme prlude dugrand uvre. C'est bien ce qu'on prtend et ce qu'on estforc de prtendre * , mais on a tort, en ce cas, de vouloirprouver l'existence indpendante d'un dialogue Thrasymaquepar l'impression d'achev que donne le Livre I de la Rpu-blique, et l'antriorit de ce Thrasymaque l'gard de Gorgiaspar sa moins grande perfection, car les raisons par lesquelleson prouve cette imperfection militent contre l'indpendance.L'infriorit ou supriorit ne peut exister qu'entre unitscommensurables, et la commensurabilit n'existe naturelle-ment entre Thrasymaque et Gorgias que si l'existence ind-pendante de ce Thrasymaque est dj prouve.L'est-elle ou peut-elle l'tre? La comparaison des doctrinestant non seulement sujette subjectivit, mais forclose parraison de mthode, les seuls arguments possibles seraient desarguments de tradition ou des arguments stylistiques. L'in-dpendance du Livre I n'a pour elle aucun tmoignage anti-que. Reste le style. Depuis les Uniersuchungen de Ritter, lajeunesse stylistique

    du Livre I de la Rpublique relativementaux autres Livres est un fait tabli : Lutoslawski a ramassdans une page pleine et claire les particularits de dernierstyle qui sont absentes de ce premier Livre et communes tous les Livres suivants^. Mais cette jeunesse relative prouve-t-elle ncessairement l'existence indpendante ? Mme critun certain temps avant les autres Livres et spar d'eux pard'autres travaux, ce dialogue entre Socrate et Thrasymaquen'a-t-il pu tre conu du premier coup comme prlude au

    1. H. V. Arnim (lugenddialoge), mais Pohlenz (Aus Platos Wer-dezeit, p. 209, n, i), la suite duquel Arnim marche souvent, estd'avis que le livre I n'a jamais t indpendant.

    2. C. Ritter, Untersuchangen liber Plalo, 1888, p. 35-47- ^elivre I contient pourtant un ys ar)v, une question par tuw av ; un apiarasl'pr)xa;, un datif ionien, o Ritter voit les traces probables d'unremaniement postrieur. Lutoslawski, The Origin and Growth ofPlato^s Logic, 1897, P* '^^' P* 319-823 ; E. des Places, tudes surquelques particules de liaison chez Platon, Paris, 1929, p. 186.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    19/430

    INTRODUCTION xxigrand uvre de la Rpublique ? Platon n'a-t-il pu avoir en tte,ds ce moment, son plan gnral, ses ides matresses, sesgrandes divisions, sans pour cela tre prt remplir compl-tement le cadre qu'il se traait ? Quelle que soit, en gros,l'uniformit stylistique des Livres II-X, il ne les a cependantpas crits d'un trait, sans respirer ; il les a composs lente-ment, loisir, comme l'exigeait leur ampleur et comme lemontre leur perfection ; et, parmi les critiques, plusieursmme de ceux qui acceptent qu'il les ait publis par fractionssuccessives, avec au moins un intervalle de quelques annes,ne cessent pas pour cela d'affirmer leur unit et leur conti-nuit de plan ^ Qui empche d'englober dans cette continuitle Livre I? Le nombre d'annes qui le spare des autres Livres?Si largement que l'on calcule, ce temps ne dpassera gure, iln'galera peut-tre pas celui qui fut ncessaire pour les crire.Nous n'avons d'ailleurs qu' prendre ce Livre I tel qu'ilest pour voir qu'il s'adapte admirablement aux autres etqu'il leur est la plus merveilleuse prface qu'on puisse rver,posant la question fondamentale, amenant sur la scne, ct des personnages d'introduction, et mettant en relief dessein les futurs grands rles du dialogue, semant de-cide-l, discrtement mais visiblement, les ides qui formerontles membrures de l'uvre, prparant celle-ci autant par sessilences et ses lacunes que par ses suggestions^. Expliquer tout

    1. G. Ritter, Untersuchungen, p. 46/7. Zeller, p. 555/8. Lutos-lawski, p. Sig et suiv.

    2. Sur ces correspondances, cf. Adam un peu partout au cours deson commentaire, Hirmer, Reip. Comp., p. 606/8 et tout rcemmentVerdam (De Platonis dialogo Thrasymacho qui vocatar, MnemosyneLV, 3 (1927), p. 3i3 et suiv.). Celui-ci a surtout bien montrcomment la triparti tion est essentielle la composition de la Rpu-blique : or, elle se rpte dans la distribution des rles, Socratereprsentant l'amour de la sagesse, Glaucon l'amour des honneurs,Thrasymaque l'amour de l'argent. On ne comprendra bien ces cor-respondances qu'au cours de notre analyse. Disons pourtant ds main-tenant que Cphale aura son rpondant au Livre X dans Er (leschtiments infernaux), que les rles de Glaucon et d'Adimante sontdj prpars dans I, que la faon grossirement utilitaire dontThrasymaque conoit les fins du pouvoir (I, 345 e) aura commerponse la thorie du pouvoir-service (III, 4i6a/b), que la ncessitd'une contrainte pour obliger les meilleurs gouverner (I, 347 d)seraexplique par VII, 520 d, que la justice cratrice d'harmonie et de

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    20/430

    XXII INTRODUCTIONcela par une adaptation postrieure, ne serait-ce pas exigerque Platon et rcrit entirement neuf le Thrasymaqae pri-mitif ?Quant son antriorit l'gard du Gorgias, peut-onl'tablir en s'appuyant prcisment sur sa jeunesse stylistique ?Les efforts de von Arnim en ce sens ont laiss incrdules lesgens du mtier: la mthode stylistique, fonde sur la parentlinguistique plus ou moins grande des dialogues avec le dia-logue de la vieillesse, les Lois, perd naturellement de sasret mesure qu'on s'loigne de ce terme de rfrence et,dans les premiers dialogues, ne peut tout au plus constituerque des groupes. Aussi est-ce l'infriorit, signe pour luid'antriorit, que von Arnim s'vertue prouver*, et noussavons qu'isol du tout qu'il prpare, le Livre I ne peut secomparer au Gorgias sans lui paratre infrieur l o il estsimplement diffrent. Mais plus nous le rapprocherons du Gor-gias par sa date, plus nous le justifierons de ne pas lui ressem-bler et de ne pas vouloir lui ressembler, mme s'il veut treun dialogue complet et qui se suffit lui-mme. A plus forteraison le justifierons-nous d'tre autre, si sa manire proprelui est impose par ce qui doit le suivre et ce qu'il prpare.

    PREMIRE PARTIE : DFINITION DE LA JUSTICECe n'est pas Thrasymaque seulement

    ffes^rdifis^ qui s'efface dsormais et, sauf un courtmoment, reste muet jusqu' la fin,Euthydme, Lysias, Gharmide ne quitteront pas leur rle deforce dans le groupe et dans ses membres (I, 35i b) se retrouveracomme substance du livre IV, de mme que la thorie de la fonctionpropre dans la dfinition de la justice au mme livre.I. Wilamowitz (^Platon II*, p. i8i) accorde assez de confiance auxpreuves stylistiques d'Arnim, mais voir, sur les Sprachliche Forschungend'Arnim, G. Ritter dans G. Bursian's Jahresbericht, Bd. 188(1921),p. 99, 166, Bd. 191, p. 7 et son compte rendu de Platos Jugend-dialoge dans Deutsche Literaturzeitung , 1916, p. 3o4-3o6. Sur l'inf-rit de Rp. 1, voir Jugenddialoge, p. 76-89. Arnim a voulu prouveraussi l'antriorit relativement au Gorgias en montrant (p. 80-87) quecelui-ci dpend de Rp. I, et trahit sa dpendance en ceci, qu'il enprend des penses trangres son orientation gnrale (v. g. lavertu propre). D.-H. Verdam l'a bien rfut sur ce point (p. 3o8).

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    21/430

    INTRODUCTION xxiiisimples assistants, de pures ombres. Glitophon a pris la paroleune fois et ne la reprendra plus. Le vieux Gphale est partisitt la discussion noue. Son fils Polmarque n'interviendradsormais qu'une fois, dans la mme occasion que Thrasy-maque : il donnera prcisment le signal des protestations etdes supplications qui ramneront Socrate au problme de lacommunaut des femmes (4^9 a, b). Dans tout son expossur la cit de justice, sur ses conditions de ralisation, surses dviations, Socrate n'aura plus que deux interlocuteursalternants: Adimante etGlaucon. N'tait-il pas naturel, pourune discussion qui deviendra progressivement un expospresque continu, de ne conserver que le moins possible d'in-terlocuteurs, et surtout des disciples intimes, capables desuivre, de relancer et d'animer cet expos sans le troubler ?N'tait-il pas naturel aussi que ce discours sur la cit parfaite,sur la Gallipolis, n'et comme rpondants que des citoyens,de purs Athniens ? Pour ce rle d'honneur, Platon tient enrserve ses frres depuis le dbut du dialogue.Adimante est venu avec Polmarque dans la jeune bandejoyeuse qui somma Socrate de rester en leur compagnie jus-qu'au soir. Glaucon est venu directement avec Socrate. Il atenu, dans la grande discussion avec Thrasymaque, son bout de rle , en demandant Socrate quel est ce chti-ment dont sont menacs les justes lorsqu'ils fuient le pou-voir et en donnant sa prompte et ferme adhsion la thseque dfend Socrate lui-mme : le sort du juste est plus avan-tageux que celui de l'injuste. G'est son intervention quirouvre le dbat au moment o il paraissait clos ; c'est luique Socrate s'adressera, non seulement au cours de l'exposqui occupe la dernire partie du neuvime Livre et tout ledixime, mais encore dans l'exhortation qui dgage la leondu mythe et termine tout le dialogue. A ct du nom deSocrate, son nom ouvre et terme, pour ainsi dire, la Rpu-blique, et, dans l'immense tendue de texte que comportentles Livres Il-X, seul interlocuteur avec Adimante, il est, desdeux, le principal, car il sert de rpondant Socrate pen-dant les deux tiers de son expos. Mais cet empitement durle de Glaucon sur celui d'xVdimante ne se fait pas tout d'uncoup, et leur alternance suit une progression curieuse.

    Ils dveloppent d'abord, l'un aprs l'autre, au dbut dusecond Livre, leur a interpellation , et somment Socrate

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    22/430

    XXIV INTRODUCTIONd'tudier la justice en elle-mme, abstraction faite de sesavantages ou dsavantages. Or, ces deux interpellations(Glaucon 357 a-362 c, Adimante 862 d-367 ) ^^^^ ^^ ^o^~gueur gale. Aprs un tout petit entr'acte sur la difficult dela tche et la mthode qu'il prtend suivre, Socrate, conser-vant pour interlocuteur Adimante, dcrit la cit de nature(368 e-372 c) ; puis, sur une observation de Glaucon, il setourne vers celui-ci pour dcrire la cit civilise et guer-rire, et poser la question : Gomment lever les gardiens ?(372 c-376 d). Adimante soulignant l'importance de cetteducation, c'est avec lui que Socrate commence d'tudierl'enseignement de la musique et traite de tout ce quiconcerne les discours et les fables (376 d-398 c). Il finit avecGlaucon cet expos sur la musique, puis traite de la gym-nastique et du choix des chefs (398 c-4i7 b). Dans toutes cesalternances encore, les longueurs se balancent, et, si nousfaisons une coupure ici, c'est--dire exactement la fin duLivre 111, nous pourrons observer, tout en nous excusant denotre apparent pdantisme, que leurs proportions varientparalllement: 221 lignes et 21 3, 190 (y compris les 35 dupetit entr'acte) et 182, 771 et 769. En somme, sur les 2 346lignes que comportent les Livres II et III, le rle de Glauconen couvre i 172 ; celui d'Adimante i 174 ( 1^9 seulementsi nous soustrayons le petit entr'acte). Cet entr'acte sert d'ail-leurs rompre la monotonie de ces alternances gales, etPlaton a pris soin d'y obvier encore d'une autre manire :les divisions logiques, partir au moins du moment oAdimante et Glaucon deviennent de simples rpondants,empitent rgulirement sur les divisions de rles.L'tude de la condition des gardiens, entame avec Glauconpar les rgles pour la slection des chefs, se continue avecAdimante (419 e-427 d= 332 lignes), et Socrate, procla-miant acheve la construction de la cit, invite les fils d'Aris-ton et tous les assistants examiner o rside en elle lajustice ou l'injustice. Avec Glaucon (427 e-445 e), Socratedfinit alors la justice comme harmonie des classes dans lacit et des parties de l'me dans l'individu. Aprs ce longrle de Glaucon (764 lignes), vient le court entr'acte oPolmarque, Adimante, Glaucon, Thrasymaque dcidentSocrate traiter de la communaut des femmes. C'est encore Glaucon que Socrate adresse directement cet expos et

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    23/430

    INTRODUGTIOr^ xxvc'est avec lui qu'il entame la question du gouvernement desphilosophes (45o b-A87 a = i 332 lignes). Adimante luioppose alors l'opinion courante sur les philosophes, etSocrate, faisant leur apologie, montre par quelles tudes onles formera ; la plus haute sera celle du Bien, qu'Adimantelui demande de dfinir (487 b-5o6 d = 776 lignes). Glauconintervenant, c'est lui que Socrate adresse cet expos sur lanature du Bien et sur la dialectique. Nous sommes la findu Livre VII.

    Socrate ne change d'interlocuteur qu'une fois explique ladcadence de la cit parfaite et dcrites les origines et lesmurs de la timocratie (548 d). A ce long rle de Glaucon(i 470 lignes) succde un assez long rle d'Adimante (i o55lignes) : il couvre l'tude de l'homme timocratique, de l'oli-garchie, de la dmocratie, et les origines de la tyrannie etde l'homme tyrannique (548 e-576 b). C'est la dernire foisqu'Adimante prend la parole. Ni son nom ni aucun autrenom ne sera dsormais prononc que celui de Glaucon. Dece dernier tiers du Livre IX jusqu' la fin du Livre X, c'est Glaucon que Socrate s'adressera pour comparer le sort duphilosophe et du tyran, pour justifier la condamnation por-te contre la posie, pour exposer le bonheur du juste dansce monde et dans l'autre (576C-621 d= i 733 lignes). Aumoment o il rend la justice ces avantages dont on avaitfait abstraction au dbut du Livre II, et lorsqu'il commencede raconter la vision d'Er, fils d'x\rmenios, il dit vous ,s'adressant ainsi tous les auditeurs, mais devant eux, aupremier plan, c'est Glaucon qu'il interpelle par son nom, etc'est lui qu'il exhorte directement la foi dans le bonheurinamissible du juste.

    C'tait une difficile gageure de conserver la forme du dia-logue un trait aussi long que la Rpublique, mais Platonmaintiendra une telle gageure jusque dans les Lois, quisont plus longues encore. Aprs le dramatique prlude queconstitue le Livre I, la Rpublique a pris naturellement uncours plus calme : les deux discours de Glaucon et d'Adi-mante, se succdant sans interruption, servent de transitionentre ce dialogue de combat et le dialogue nouveau, dialoguede critique sociale, puis de construction, o le drame ne na-tra que du tragique mme de la pense. Dans cet expos dia-logu, Platon a jet, outre l'ardeur de son me et la force de

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    24/430

    XXVI INTRODUCTIONsa dialectique, les beauts foison. Mais tout en rduisant leplus possible le nombre des interlocuteurs pour ne pas contrarierle dveloppement de l'expos, il a voulu d'abord garder laforme mme du dialogue un peu de varit et d'animation.Aussi a-t-il conserv deux rpondants , dont l'alternanceserait une premire varit ; leurs caractres, transparents ouexpressment indiqus, en seraient une autre. Mais, en cece qui regarde les caractres, il s'est content d'indicationsrapides, espaces et peu nombreuses \ et, quant au rythmedes alternances, il l'a laiss peu peu s'allonger, se dtendreet mourir. Aprs la fin du Livre III, nous voyons se succderune srie de dialogues un seul rpondant, dont la longueurdpasse parfois celle de Mnon ou mme celle de Parmnide.Tout entier sa pense, sr du mouvement qui la portait etde la flamme qui l'illuminait, sr peut-tre mme d'unpublic dsormais conquis par elle, il l'a laisse matresse deson allure, libre de tout ce qui et inutilement compliqula forme lmentaire d'interrogation et de rponse quidemeure jusqu'au bout son exigence vitale.

    Au moment donc o Socrate croyait laPosition conversation finie, Glaucon protestet* ^T^u^J^^ contre la soumission trop prompte deet mthode. t? * i * . r-

    Ihrasymaque. Lntre la justice et 1 injus-tice, la question de valeur est loin d'tre tranche, car, dansla discussion qui prcde, elle a t mal pose. Une chose, eneffet, peut valoir par elle-mme, ou par elle-mme et par lesavantages qu'elle procure, ou enfin par ses seuls avantageset non par elle-mme. Or, entre Socrate et Thrasymaque, ledbat n'a port vraiment que sur les avantages ou dsavan-tages compars de la justice ou de l'injustice. Voil ce qu'af-firme Glaucon, et Glaucon a raison, quoi qu'en pensentcertains critiques modernes qui croient trouver, dans une

    I. Le caractre d'Adimante n'apparat qu'au ton et la faonde ses interventions : il est plus pntrant que Glaucon, voit mieuxles lacunes du raisonnement et fait des objections plus graves. Lecaractre de Glaucon est indiqu : 807 a (hardi et imptueux),898 e (musicien), 459 a (amateur des chiens de chasse et des oiseauxde race), 47/i d (port l'amour), 548 e (ambitieux, mais de faonnoble, ami du bien dire). Wilamowitz a bien marqu (I^ p. 44o/i)refiacement progressif des caractres au cours de ce long expos.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    25/430

    INTRODUCTION xxviicontradiction entre cette affirmation et la vraie teneur de ladiscussion prcdente, la fente o s'enfoncera le coin de leursthses

    sparatistes*.Mme entre Polmarque et Socrate, lesdfinitions successives ont t prouves cette pierre detouche : quoi servirait la justice ainsi dfinie ? Quand Thra-

    symaque l'eut dfinie par l'intrt du plus fort, on a bienvu que, pour lui, ce que la morale ordinaire appelle injusticeest vraiment notre avantage, et ce qu'elle appelle justice,l'avantage d'autrui (3A3 c). Socrate a donc eu raison de dire :la question est de savoir quelle est la vie la plus avantageuse(344 e), et si l'injustice est plus profitable que la justice (348 b,354 a). Si cette formule fait place un instant une autre : Le juste vit-il mieux, donc avec plus de bonheur que l'in-juste? (352 d), celle-ci est tout de suite ramene la premirepar la conclusion : a Donc il est avr que l'injustice n'estjamais plus avantageuse que Injustice (354 a). Cette dis-tinction entre avantage et bonheur n'est qu'une pierred'attente qui se dissimule. Pierre d'attente aussi la dfinitionde la justice comme vertu propre de l'me, puisque cette vertune rvle pas ici son essence ou son origine, mais seulementson effet : que le juste vive bien, donc soit heureux, doncprofite.Que rclame donc Glaucon ? A Socrate, pour qui la justicevaut par elle-mme et par ses avantages, il oppose l'opiniondu grand nombre : la justice n'est qu'un compromis entre leplus grand bien, qui est decommettre l'injustice, etleplusgrandmal, qui est de la subir. On ne l'aime que par impuissance,et si juste et injuste recevaient en mme temps l'anneau deGygs qui rend invisible, ils en useraient l'un comme l'autrepour assouvir leur caprice de puissance et de jouissance. Iln'y a qu'une faon de voir si la justice vaut par elle-mme :

    I. Pohlenz (Platos Werdezeit, p. 209, n. i) avait dj compt,parmi les changements visibles de plan, la transition dfectueuseentre le premier et le second Livre. Arnim en fait grand tat etmontre (p. 76/4) que la critique de Glaucon l'gard de la discus-sion prcdente est injustifie, mais ncessite par le plan nouveaude Platon. Celui-ci veut amalgamer le thme politique (la citparfaite) de sa nouvelle oeuvre avec le thme moral (valeur de lajustice) de son premier trait, o, d'aprs l'analyse d'Arnim, Socrateavait considr, non les avantages extrieurs de la justice, mais savaleur immanente.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    26/430

    XXVIII INTRODUCTIONopposer l'un l'autre le juste et l'injuste en leur vrit nue,celui-ci pratiquant l'injustice intgrale en homme qui saitson mtier , sous le voile impntrable ou tout de suitehabilement retiss de la justice parfaite, et l'autre se dpouil-lant, par la pratique mme de l'absolue justice, de tout cequi en est le rayonnement et le renom. Eh bien ! le dernier seracondamn, tortur, supplici, parce qu'il a voulu tre juste etnon le paratre ; et celui qui aura choisi de paratre justepour masquer son injustice aura tous les succs et toutes lesestimes. Ainsi juge le monde (Sy a-362 c). Oui, dit Xi-mante, et c'est ainsi que ses ducateurs, pres de famille,prcepteurs et potes, prchent aux jeunes gens la justice.Tantt ils la montrent gorge des biens de la terre, puis eni-vre aux banquets des dieux, tantt ils la font voir aussi pni-ble que belle, alors que l'injustice, heureuse et facile en cemonde, trouve toujours, pour l'autre, des rites et des charmesqui

    lui gagnent l'indulgence divine. La jeunesse conclut :ou pas de dieux, ou des dieux insouciants, ou des dieuxcorruptibles ; donc l'injustice est le parti le plus sr. Aussi, moins d'en tre dtourn par quelque grce divine ou parune vraie science, on ne la hait que par impuissance, on lapratique sitt libre. Que Socrate rompe donc avec cetteerrance traditionnelle, et nous montre que la justice, dus-sent hommes et dieux l'ignorer ou la mconnatre, a valeuren elle-mme ; que, par elle-mme, elle est le plus grand biende l'me, comme l'injustice est son plus grand mal (367 )-Soit ! dit Socrate, dfendre ainsi la justice est une tchedifficile, mais que je ne saurais refuser. Cherchons donc unbiais qui la rendra plus aise : avant d'tudier la justice dansl'me individuelle, considrons le tableau plus large qu'estl'me collective. Dans cette me de la cit, la nature de lajustice est crite en caractres plus grands et plus lisibles. Del nous reviendrons l'me individuelle, et la comparaisondes deux lectures dgagera la notion cherche. Quant lacit, la meilleure faon de l'tudier est de la regarder natreet se former (869 b). Ainsi Platon a not en passant les troisracines de la justice, don de nature ou de grce divine, opi-nion transmise par l'ducation, science ; il a fltri la malfai-sance de l'ducation traditionnelle, dont les potes sont lesgrands inspirateurs ; et, pour trouver l'essence de la justice,il s'est toiirn vers la cit, me commune dont l'me indivi-

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    27/430

    INTRODUCTION wixduelle est la fois une composante et une rsultante; enfin,cette me commune, il veut, pour la comprendre, la saisir ensa gense mme. Il n'est pas le premier exposer cetteLa cit et ses gense, et il le sait. Dans son dialotuegardiens. n , -i r * * jFrotagoraSy il a iait conter au grandsophiste comment les humains, d'abord disperss, se ras-semblrent pour se dfendre contre les btes et fondrentdes cits, mais restrent impuissants les maintenir jus-qu'

    ce queZeus leur envoyt, par le ministre d'Herms,

    la pudeur et la justice. C'tait d'ailleurs une description fr-quente, chez les potes du v sicle, que celle de la vie ani-male, troglodyte, des premiers hommes. Au mythe de l'ged'or, Xnophane n'avait-il pas, depuis longtemps, oppos lanaissance laborieuse et lente de la civilisation ^ ? Platon utiliseet transpose aussi bien l'une des ides que l'autre, lorsqu'ilraconte son tour comment nat une cit.

    L'impuissance de l'homme isol cre l'association, danslaquelle se dveloppe trs vite la division du travail jt la sp-cialisation des fonctions : le germe de cit constitu par quatreou cinq personnes qui s'unissent pour se procurer la nourri-ture, le logement, le vtement, produit bientt une citcomplexe qui ne peut plus se suffire par elle-mme et recourtau commerce, la navigation, tous les intermdiairesd'change. A ce stade, limite aux besoins les plus essentielset les satisfaisant sans peino, cette cit de nature est unmodle d'innocence heureuse et de justice lmentaire :nourris d'orge, de froment, de lgumes et de fruits, arrosantle tout d'un vin lger, ayant peu d'enfants, ses habitants igno-rent les soucis, la pauvret, la guerre. Ils vivent sainementet longtemps: n'est-ce pas l'ge d'or, tel que Platon le dcriradans le Politique et les Lois ? Mais cette batitude sans les efforts

    I. Protagoras, 320c-322d. Voir Eschyle, Promthe, 447-468,Sophocle, Antigone, 332 et suiv. Euripide, Suppliantes, igetsuiv.Critias, Sisyphe, fr. 25, Phrcrate, lesSauvages, fr. &S7. Kock, et, auiv s., Moschion, fr. 6 Nauck, mais aussi Isocrate, Nicocls, -g,Antidosis, 253-2 57 et Pangyrique, 28-5o. Cf. W. Nestl, Spurender Sophistik bei Isokrates, Philologus, LXX, i (191 1), p. 24/ 9, etsa rcente (7^) dition du Protagoras, Leipzig, 1931, p. 22/6, p. 58-62, o les textes sont donns au complet. Pour Xnophane, cf. fr.18 Diels.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    28/430

    XXX INTRODUCTIONet les joies de l'esprit ne fut jamais son rve ; aussi Glauconl'estime-t-il ici grossire et niaise : C'est une cit de pour-ceaux l'engrais ! (872 d). Il faudra donc le luxe, la pein-ture, tous les arts, et la terre deviendra trop petite : c'est laguerre, c'est l'arme. Une arme de mtier, car, si le cordon-nier ne peut se mler de tisser la toile ou de btir des mai-sons sans gcher tous ces mtiers et le sien tout d'abord,comment songer faire de bons soldats sans les spcialisertroitement? La cit civilise veut des gardiens de profes-sion (874 d).Ce sont des chiens de garde : il vif, jambes rapides, mus-cles robustes, colre prompte. Alors ils seront froces? Non :un bon chien de garde est philosophe sa faon, car il estdoux envers ceux qu'il connat, et connatre, pour lui, c'estaimer. Comment dresserons-nous ces gardiens-ns, que carac-trise l'heureuse alliance du courage et de la douceur? Parles moyens traditionnels : nous formerons leur corps parla gymnastique et leur me par la musique (876 e).

    La musique, le don des muses, c'estj ?ij ^^"'^^ toute la culture de l'esprit, ce sont nosde rducatioD. , , i r.- 1belles-lettres et nos beaux-arts, nien de

    plus pntrant que ce lent ptrissage de la pense et du cur,rien de plus puissant et de plus redoutable. Il commence dsle bas-ge, par des fables, et les Grecs taient comme lesautres hommes : ils restaient longtemps enfants. Homre,Hsiode, ont faonn l'me de l'Hellade ; Heraclite et Xno-phane l'ont dit longtemps avant Platon, et, longtemps avantlui, ils se sont emports contre la domination incontrle etmalfaisante de ces matres de fictions. Mais la critique de Pla-ton va bien plus loin que les sarcasmes de ses devanciers. Ilfonde une cit, il sait que la base la plus indispensable enest l'ducation de la jeunesse, il sait aussi, lui qui voit lesalut suprme dans la science, chez combien d'hommes lascience ne rgnera que du dehors, par l'autorit d'une opi-nion bien tablie, et combien, chez ceux mmes qu'elle doitclairer et rgir du dedans, elle n'aura d'entre et d'action facileque dans une me dj imbue, par des croyances et des habi-tudes persuasives, de l'amour et de l'instinct du vrai. Il faut,dira-t-il (4o2 a), que nos gardiens soient levs dans uneatmosphre saine, o, les yeux et le cur toujours pleins

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    29/430

    INTRODUCTION xxxide belles uvres et de belles penses, ils soient d'avanceinconsciemment si pntrs de raison, si enclins jugercomme elle juge et aimer comme elle aime, que, lorsqu'elleviendra, ils la reconnaissent et l'embrassent ds leur premierlan.

    Or, les grands potes nationaux sont-ils capables de crercette atmosphre? L'ont-ils cre ? N'ont-ils 'pas au contrairefait et dit tout ce qui tait en leur pouvoir pour tarir aucur de la Grce toutes les sources des vertus ? Platon l'affirmeet le prouve en dtail, point par point, citant textes sur textes,les commentant l'un aprs l'autre, prparant et formulantses conclusions, et, au bout de ce long et ardent rquisitoire,prononant finalement la condamnation. Toutes les vertusauxquelles nous devons former nos gardiens, pit, courage,modestie, vracit, temprance, les potes les dtruisent parce qu'ils nous racontent des dieux et des hros. Quels modlesils nous peignent l ! Des dieux qui se rvoltent contre leurpre et le mutilent, qui, entre eux, se querellent et se battent,qui commettent le stupre et l'adultre, qui sont jaloux deshommes et les trompent par toutes sortes de mensonges et dedguisements, alors que la fable mme se doit de reprsenterDieu tel qu'il est : essentiellement bon, mme quand il punit,parfait et simple en sa nature, immuable et vrai. Des hrosqu'effraient les perspectives de l'au-del et qui repoussentl'ide mme de la mort, qui pleurent ou qui rient sansmesure, qui mentent, s'enivrent de tous les plaisirs et s'aban-donnent toutes les fureurs, toutes les cruauts. Pour cou-ronner tout cela, l'ide incessamment rpte qu'tre juste,c'est travailler pour le bien d'autrui et pour son malheurpropre (877 b-392 c).Ce n'est d'ailleurs pas seulement la matire de ces fictions,c'est la forme mme qu'il en faut condamner. Elle est essen-tiellement imitative. Or, comme on ne fait bien qu'une chose,on n'imite parfaitement qu'une chose. Nos gardiens ontrenonc tout autre mtier que celui d'tre les artisans dela libert de la cit. Comme ils ne doivent rien faire d'autre,ils ne doivent non plus rien imiter que les vertus dont ilsont besoin pour cette uvre, car l'imitation prolonge devienthabitude et nature ; ce serait leur faire perdre leur tre pro-pre que de les laisser amollir et dformer par cette posiequi, dans ses paroles, ses harmonies et ses rythmes, s'tudie

    VI. c

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    30/430

    XXXII INTRODUCTION tout imiter et tout reproduire : lments, animaux, hommes,vertus et vices, passions nobles et viles, bien et mal. Nouslouerons, s'il le faut, la souplesse infinie de cette matressed'illusion, mais nous la bannirons de notre cit et ne conser-verons que la posie austre et simple, incapable d'imiterautre chose que le bien (898 b). Autant que les paroles, noussurveillerons donc les harmonies et les rythmes, cartant lesmodes plaintifs ou voluptueux et ne conservantque ceux qui res-pirent la bravoure et la sagesse. Nous imposerons les mmes-rgles la peinture, l'architecture, tous les arts. Ainsipourrons-nous crer cette atmosphre de grce mesure et desaine beaut, o les mes de nos jeunes gens doivent s'impr-gner des justes enthousiasmes et des chastes amours. Chastes,car Platon rformateur insiste solennellement sur cette loide la cit parfaite : plus encore que la beaut des corps, on yestimera et chrira la beaut des mes, et du mutuel amourentre les gardiens sera expressment bannie toute voluptsensuelle (4o3 c).A des hommes ainsi forms, avons-nous besoin de donnerdes rgles dtailles pour la culture du corps ? Non : c'estl'me qui, bien dresse, doit son tour dresser et faonnerle corps. Elle trouvera d'elle-mme le rgime qu'il faut nosgardiens : sobre et souple, aussi loign de la dite compli-que des athltes professionnels, si engourdissante pourl'esprit, que des raffinements de la gourmandise ou de lavolupt. Eveills, alertes, supportant joyeusement les priva-tions et les fatigues, ils auront des corps sains au serviced'mes saines et n'importuneront pas plus les mdecins qu'ilsn'importuneront les juges. Car ils sont des ouvriers, euxaussi, ouvriers de la libert de la cit. Pas plus que desbcherons, ils n'ont de temps ni de got pour les mdicationsou les procdures, et la cit, attentive ramener la norme,s'il le faut, par une opration rapide, les corps ou les mesqui s'en carteraient en passant, ne gagnerait rien pro-longer, par de laborieux ou indulgents sursis, la vie de corpsou d'mes gangrens. L o le mal est trop profond, lamort est le seul remde (4 10 a).Voil donc au moins esquisse cette culture harmonieusedu corps et de l'me qui doit produire, non des reitres nides esthtes, mais de sages et valeureux gardiens : la cit nesera sre de son salut que si elle trouve, pour former sa jeu-

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    31/430

    INTRODUCTION xxxiiinesse, l'homme capable de raliser cet indispensable mlangede la douceur et de la force (4 12 b). Une philosophieexempte de mollesse , un esprit cultiv servant une volontrobuste, d'autres, avant Platon, ont exprim cet idal. Iciencore Platon est de son pays et de son temps. Mais il ne faitpas seulement, de cet idal, la rgle de sa psychologie et de sapolitique, ici et dans le Thite, dans le Politique, dans lesLois ; il en fait la loi mme du Crateur, qui ordonne etgouverne l'univers en pntrant d'intelligence l'aveuglematire et en mariant, au service du Bien, la persuasion et laforce, l'Esprit et la Ncessite

    Quelle hirarchie mettrons-nous entreLa condition ^.gg orardiens ? Comment distinguerons-des gardiens. ^ j . jnous ceux qui doivent commander auxautres? Nous choisirons naturellement pour chefs les plusgs et les meilleurs, ceux qui auront subi le plus longtempsnotre dressage et se seront montrs le plus constammentprudents, nergiques, dvous de cur et d'action la cit.Les opinions droites et les bons sentiments que cette ducationpremire leur confre n'ont pas encore de racines scienti-fiques, ce sont des vertus de caractre et d'habitude quel'oubli, la crainte, la sduction peuvent encore branler.Soumettons-les ces dangers contraires, tudions-les auxprises, non seulement avec le temps et l'oubli, avec lesfatigues, les souffrances, les combats, mais aussi avec lesplaisirs. Ceux qui sortiront vainqueurs de cette diversitd'preuves, nous leur donnerons l'autorit, et nous les appel-lerons gardiens parfaits : quant aux plus jeunes, que nousnommions jusqu'ici des gardiens, ils seront les assistants etles auxiliaires des chefs (4i4 b).Mais l'autorit a besoin d'un peu de mystre et de lointain.Nous arrangerons une fable que nous essaierons de persuaderaux chefs eux-mmes, en tout cas au reste des citoyens.Gouvernants, guerriers, artisans ou laboureurs, ils sont tous

    I . Cf. note ad loc. On retrouvera cette proccupation de l'heureuxmlange dans le portrait du philosophe (Rp., 5o3 c/d) auquel cor-respoHd celui du jeune Thtte (Tht., i44a/b). La loi ducrateur (Time, 48 a) est aussi celle du lgislateur (^Rp. 619 e,Lois 722 b, Polit. 3o8 ad fin.).

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    32/430

    XXXIV INTRODUCTIONns de la mme terre, mais la terre-mre le dieu qui lesforma mla pour les uns de l'or, pour d'autres de l'argent,pour les derniers du fer et de l'airain. S'il arrive cependant, rencontre des lois normales de l'hrdit, qu'un enfantnaisse ml d'un autre mtal que son pre, on le fera sanspiti ni scrupule descendre ou monter au rang que sa naturemrite, car la corruption de la race gouvernante serait la ruinede la cit (4i5 d).Et maintenant armons ces fils de la terre, groupons-lesderrire leurs chefs, campons-les l'endroit d'o ils protge-ront plus srement la cit contre les ennemis du dehors etdu dedans. Car ils sont faits pour la protger : ce sont deschiens de garde que nous donnons notre troupeau, non pasdes loups ; des dfenseurs, non pas des matres ou des tyrans.Il faut donc leur enlever toute tentation de transformer leurservice en puissance et en jouissance. Ils sont une garnison,que les citoyens logent et nourrissent : maison commune,table commune, subsistance assure d'avance pour l'anne,donc aucun besoin d'or ni d'argent et dfense absolue d'enpossder, d'en manier, presque d'en voir (4f7 a). C'est leurfaire, dit Adimante, un sort peu enviable et bien trange :comment ? matres de la cit comme ils le sont en fait, ilsn'en tireront et accepteront de n'en tirer aucun profit ? Noussomnies, en effet, l'extrme oppos de la thse soutenue aupremier Livre par Thrasymaque, aussi bien que de l'opinionet de la pratique gnrale : comme Socrate le voulait contreThrasymaque, le gouvernement que nous instituons ne pro-fite qu'aux gouverns. Il est non pas une exploitation, maisun service *. N'est-ce pas juste ? La cit est-elle faite pour lesgardiens, ou les gardiens, comme tous autres, pour la cit?Notre but est qu'elle soit heureuse et non ses gardiens ou sesartisans, ou plutt, n'est-ce pas en contribuant chacun danssa mesure et par sa fonction propre au bien de la cit qu'ilstrouveront leur part naturelle de bonheur ? D'ailleurs,l'absolue pauvret que nous exigeons des gardiens n'est quela fleur suprme de l'esprit de mesure qui doit rgner dans

    1. On serait tent de pardonner beaucoup Krohn quand on litPL Staat, p. 33 : Platon a tabli, au centre de sa cit, une auto-rit de droit divin. Mais, ceux qui la dtiennent, il donne, nondes droits, mais des devoirs transcendants.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    33/430

    INTRODUCTION xxxvtoute la cit. Aux artisans, il faut un peu d'argent si nousvoulons qu'ils puissent apprendre et pratiquer leur mtier,pas trop si nous ne voulons pas qu'ils le gchent ou lelchent. Notre cit sera pauvre, donc gne pour faire laguerre ? Non, elle trouvera toujours des allis au dehorscontre les riches proies que seront les autres cits, et trouveratoujours en elle-mme, dans l'union absolue de ses membres,assez de force contre ces cits, invitablement divises en partides pauvres et parti des riches. N'et-elle que mille combat-tants, ils seront tout elle (423 b). Chiffre minimum pourPlaton, qui, dans les Lois, exigera davantage. Mais beaucoupde petites cits avaient moins, Sparte n'avait gure plus dudouble cette poque, et nous verrons que son oliganthropieprogressive et sa ruine ne vinrent pas de sa pauvret.Une cit aussi grande qu'elle peut l'tre sans cesser d'treune, voil notre idal. Cette unit de l'ensemble sera main-tenue si chaque membre demeure sa place et remplit exac-tement sa fonction. Mais l'esprit qui l'inspire, et qui doits'tendre jusqu'aux lois du mariage et de la procration,esprit d'union et de communaut vritable, c'est l'ducationde le faire natre et subsister. Que cette ducation soit lagrande loi, la seule loi intangible de la cit : elle formera lesmurs, elle dictera les quelques rglements invitables, elledispensera de la poussire de rglements o tant de grandspolitiques mettent leur ambition et leur gloire * . Quant la religion, le dieu de Delphes en est l'interprte naturel(427 c). Voil donc notre cit construite. Reste La Justice. . . 1 x- rvoir ou nous y trouverons la justice etl'injustice, en quoi l'une et l'autre diffrent et laquelle desdeux est, par elle-mme, suffisante faire la fois notreexcellence et notre bonheur intimes. Ce problme, Platon vale rsoudre en utilisant paralllement la tripartition de lacit et la tripartition de l'me individuelle.

    I. Dmmler (Chronologische Beitrge, p. 9/1 1) croit que ce pas-sage vise socrate, et lui applique aussi, p. 12 (comme Teichmller,Literarische Fehden, I, p. io4), le passage VI, ^qS a et suiv. sur lesSophistes. Adam (ad loc.) a raison de dire que la porte de l'un etl'autre passage est plus gnrale. Sur l'Ecclesia d'A.thnes lgifrant tort et travers et le pullulement des politiciens au iv^ s., voirGlotz, Cit Grecque, p. 384 et suiv.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    34/430

    XXXVI INTRODUCTIONHippodamos de Milet, le Haussraann du sicle de Pricls,

    grand aligneur de rues et logicien de l'urbanisme, avait portson amour de la symtrie jusque dans l'organisation sociale.Trois classes de citoyens : artisans, laboureurs et guerriers ;trois parts du territoire, dont l'une consacre aux dieux,l'autre l'entretien des guerriers, et la troisime laisse enpropre aux laboureurs ; trois sortes de lois, rprimant l'ou-trage, le dommage ou le meurtre ; une suprme cour d'appel,qui tient au besoin un compte exact des circonstances att-nuantes ; des encouragements aux inventeurs, et l'ide,qui fut bientt ralise, d'instituer a des pupilles de la nation ;enfin tous les magistrats lus par les trois classes de la cit,ce schma est tout ce qu'Aristote nous transmet des plansd'Hippodamos et, en juger par les questions qu'il pose, toutce qu'il en connaissait lui-mme. Faut-il attribuer uneinfluence des Pythagoriciens cette prdilection pour le nombretrois ? En tout cas, puisque nous n'avons, sur les Pythagori-ciens avant Platon, que des tmoignages postrieurs Platon,affirmer l'origine pythagoricienne des trois parties del'me ou des trois parties de la cit est plus facile que de laprouver *. Mais que nous importe cela pour notre apprciation

    I. Sur Hippodamos, cf. Aristote, Politique, II, 8 et VII, 1 1 , i33o b24, les textes rassembls dans Diels, Vorsokratiker, P, p. 298/4, etl'article de Fabricius dans RE, VIII 2, col. 1781/4. Sur le Ilept7:oX'.Teta; en dialecte dorien attribu Hippodamos (4 fragments dansStobe, Flor., XLIII, 92/4 -== An

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    35/430

    INTRODUCTION xxxviide la Rpublique ? Comme tous les vrais gnies, Platon nes'arrte gure srieusement prendre des brevets d'invention :quand il souligne une nouveaut, c'est

    souvent par formulede style, imitation des potes ou des rhteurs, et combienplus souvent il aime s'abriter sous une autorit plus oumoins suppose ! Il ramasse en passant tout ce qui peut luiservir, ou plutt l'attire par le magntisme de sa pense, etpoursuit son chemin victorieux vers l'ide. Qu'est cette divisionbrute des classes sociales par Hippodamos, ou quelque autremme plus affine, au regard du principe o Platon fonde lesalut de la cit : sparer le politique de l'conomique, pourque gouverner ne soit plus une exploitation, mais un service ?Et qu'importe qui Platon pourrait devoir la tripartitionparallle de la cit et de l'individu, si lui seul y trouve dequoi fonder en raison le plus ambitieux idal de valeurhumaine et de justice sociale ?

    Puisque, par hypothse, notre cit est parfaite, elle possdeassurment les quatre excellences fondamentales, que Platonassemble ici trs intentionnellement : sagesse, courage, tem-prance, justice. O rside et en quoi consiste la justice, nousle verrons en appliquant la mthode des rsidus. La sagesse,ou bon conseil en vue de conserver la cit, rside naturelle-ment dans les magistrats ; le courage, opinion droite et disci-pline sur ce qu'on doit craindre ou ne pas craindre, appar-tient aux guerriers ; la temprance, harmonie et symphonievolontaire entre les parties suprieure et infrieure de l'me,ne peut tre, dans l'me collective ou cit, qu'un mutuel etcomplet accord entre gouvernants et gouverns. Il est clairque ce qui reste doit tre la justice. Et nous la connaissonsdepuis longtemps, puisque nous avons pos, comme fonde-ment de notre rpublique, le principe : que chacun reste sa place et remplisse la fonction pour laquelle il est n. Or,c'est bien ce principe qui fonde les autres vertus, qui main-tient le gouvernant son poste de prvoyance, le soldat salaction, le cordonnier son choppe, et nous pouvonsdclarer : du seul fait que mercenaire, auxiliaire et gardiendemeurent chacun son poste et font chacun son uvrepropre, la justice est ralise dans la cit (434 c;.mentale est Leissner, Die platonische Lehre von den Seelenteilen,Munich, T909.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    36/430

    xxxviii INTRODUCTIONMais notre dfinition ne vaudra que si elle se vrifie dansl'individu : d'o la cit, en effet, aurait-elle ses caractres,

    sinon des lments qui la composent ? L'individu aurait doncen lui des principes d'action diffrents et spcialiss? Oui,nous le prouverons en appliquant le principe suivant, quiest vident : une mme chose ne peut ni produire ni subir deseffets opposs dans le mme temps et le mme rapport (436 b).Nous pouvons donc assurer que le mouvement qui nousporte vers une jouissance et l'interdiction intrieure qui tend rprimer ce mouvement ne viennent pas du mme pouvoir :l'un, aveugle et irrflchi, est le dsir ; 1 autre, calme et cal-culateur, est la raison. Or, celle-ci trouve souvent un allidans un mouvement de raction et de rvolte, qui sourdobscurment du fond de l'tre, comme le dsir, mais rsisteparfois au dsir lui-mme : c'est la colre. Sa violence esttoute spontane, irraisonne, mais elle se dchane naturelle ment contre ce qui parat injuste. Elle n'est pas la raison, nisur de la raison, sur du dsir plutt ; mais elle est suscep-tible d'couter la raison et de se mettre son service. Elledonne la sagesse le nerf et la force. Ainsi le guerrier appuiede son courage le gouvernant contre l'aveugle et basse pas-sion du mercenaire. Eh bien I que la raison en nouscommande et que la colre la seconde, gouvernant et compri-mant de concert le turbulent dsir, alors se ralisera la subor-dination mutuelle de nos puissances intrieures et l'applicationde chacune son uvre propre : notre vie, entretenue par ledsir, contenue au besoin par les ractions de la colre, tou-jours guide et unifie par la raison, sera une vie juste etheureuse. La justice est donc bien en nous, comme dans lacit, l'ordre qui maintient chacune des forces intrieures saplace et dans sa fonction (443 b). Est-il besoin de dire qu'ellen'est possible en la cit que si elle existe en nous, que lajustice des actes n'est rien sans cette justice du cur, et quele grand, l'essentiel bienfait de l'ducation est d'tablir cetquilibre et cette harmonie de nos puissances ? Que l'uned'elles se rvolte, ce sera en nous la sdition intrieure, letrouble, le dtraquement de tout notre tre, la maladie et lemalheur. Cette sdition intrieure, qui est l'injustice, aurales mmes effets dans la cit. Nous n'avons donc plus exa-miner laquelle est la plus avantageuse de la justice ou del'injustice, car nous avons prouv que la justice est par elle-

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    37/430

    INTRODUCTION xxxixmme le plus grand bien de l'me et l'injustice son plusgrand mal (445 b).

    Ainsi finit cette premire partie, car lesLes

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    38/430

    L INTRODUCTIONne manqua pas de rendre la pareille Xnophon, puisque,parlant quelque part de Cyrus, il dit que ce prince, si bravequ'il pt tre, avait manqu totalement d'ducation (cf. Lois694 c). Il ne peut tre question de mettre en doute ni labonne foi ni l'intelligente lecture d'Aulu-Gelle : les bonsauteurs dont il parle utilisaient certainement une traditionplus ou moins vieille sur cette opposition de la Cyropdie la Rpublique, tradition qui pouvait tre faite elle-mme deconjectures et de combinaisons sans manquer pour cela decertains points d'attache dans les textes ou les faits. Nous laretrouvons abrge, encore que plus complte et plus correctesur un point, dans Diogne Larce^ mais Diogne rappellesimplement l'opposition de la Cyropdie la Rpublique,sans parler pour celle-ci d'une publication chelonne.Athne, propos de Cyrus, parle seulement de la contradic-tion visiblement voulue entre les Lois et la Cyropdie, et nedit rien de la

    Rpublique ; mais, de mme qu'Aulu-Gelle,il prsente bien toute cette rivalit entre Platon et Xnophoncomme conjecture et construite, encore que d'aprs desindices pour lui trs valables 2. En ce qui concerne l'oppo-sition de Platon la Cyropdie, l'indice est un texte ind-niable des Lois. Quant l'opposition de la Cyropdie laRpublique, pouvons-nous penser qu'elle fut conclue, nonseulement des diffrences de doctrine constates, mais aussidu fait par ailleurs avr d'une publication au moins par-tielle de la Rpublique prcdant notablement celle de laCyropdie fCe que nous savons de la chronologie des uvres de Xno-phon ne nous aide gure, carnous savons peu, et, sur la dateuoluntatis indicium crediderunt, quod Xnophon inclyto illi operiPlatonis, quod de optimo statu reipubhcae ciuitatisque adminis-trandae scriptum est, lectis ex eo duobus fere libris qui primi inuulgus exierant, opposuit contra conscripsitque diuersum regiaeadministrationis genus, quod Ilaieta Kupou inscriptum est .

    I. Diog., III, 34 : ...ils ne font aucune mention l'un de l'autre,sauf toutefois que Xnophon parle de Platon dans le troisime Livrede ses Mmorables .a . Comparer Aulu-Gelle : et eius rei argumenta quaedam coniec-

    tatorie ex eorum scriptis protulerunt ; et Athne (XI, 5o4/5) oj {jLo'vov ; ov c'cr^xas'. TxuLaico|j.vo'. 7]|av, XX xocx. twv ajTwviTocscov et wg-so vav~'.ouu.tV'); iv to-w Nducoy .

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    39/430

    INTRODUCTION xlide \si Cyropdie en particulier, les distances entre les critiquessont trs grandes: un peu aprs 082 ou un peu aprs 36osont les hypothses extrmes, un peu aprs 869 l'hypothsemoyenne ^ Une telle incertitude devrait rendre plus facileune attitude impartiale, sur cette question des duo fere libride la Rpublique : elle ne rend pas plus facile une rponsedcisive. En tout cas, par lui seul, le texte d'Aulu-Gellene milite qu'en faveur d'une publication chelonne de laRpublique actuelle. Prtendre que les duo fere libri sontnotre Livre I serait vain. Mais Hirmer a montr, par sontableau des citations de TAntiatticiste^, que, dans la divisionantique en six livres, la coupure entre le deuxime et le troi-sime Livre se faisait aprs la page /iii, avant la page 422Estienne. Les deux premiers Livres de cette division en sixcorrespondaient donc nos trois premiers actuels. Pouvaient-ils, tant publis d'abord, inciter Xnophon composer unplan de gouvernement roy^l qui ft oppos au gouverne-ment idal de Platon et, pour cela, dcrivt l'ducation de

    i. Cf. St. Witkowski, Historiografja Grecka (II, Krakow, 1926,p. 169), qui se dcide pour environ 862 d'aprs Meyer (III, 8),Schwartz {Fnf Vortrge ber den griechischen Roman, p. 67 et suiv.),Mahafiy, etc. La date moyenne (avant 867) est soutenue parW. Schmid, Gr. LH., P, p. 5 18. rwin Scharr (^Xnophon Staalsund Gesellschaftsideal u. seine Zeit, 1919, p. Ao, n. 78) dit : Lafinale srement pas avant 862, le corps de l'uvre srement aprs869 . Si, avec W. Gemoll (Phil. Woch., 1929, p. 277), on dateVAnabase du sjour Scyllonte (avant 880, puisquTsocrate la citedans son Pangyrique, cf. A. Kappelmacher ap. P. Masqueray,tome I, Paris, 1980, p. 8) et la Cyropdie des premires annes quisuivent (la vraie langue crite de Xnophon est celle de VAnabase etde la Cyropdie, L. Gautier, La langue de Xnophon, p. 286), onrejoindra ainsi la date que donnait dj Ralinka dans Zeitschr. f.ster. Gymn., igob, p. 4o2 : aprs 879.

    2. J. Hirmer, Entsiehung u. Komposition der plat. PoUteia, Appen-dice I, d'aprs Bekker, Anecd., p. 75-116. Le mot xpoc/oo.; (III,4i I c) est cit comme tant du second Livre, et txet^dvto (IV, 422 e)comme tant du troisime. Ces deux mot8([jLti^dvw au sens deLLcov) sont des za etpr^iasva. C'est C. Ritter qui a suppos(^Platon, I, 1910, p. 278) que la tradition mal comprise par A. Gellese rapportait au Livre I. Il regarde d'ailleurs (ib., n. 2) la vieilledivision en six li-vTes retrouve par Hirmer comme inutile pourl'explication du tmoignage d'Aulu-Gelle.

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    40/430

    xLii INTRODUCTIONCyrus ? A supposer mme que la tradition o puise Aulu-Gelle ft pure construction, ses auteurs ont-ils pu la btir surquelque apparence raisonnable ? Si rapide qu'ait t notreanalyse, elle nous permet de rpondre affirmativement :gense de la cit, sa division en classes, fonctions de cesclasses, ducation des gardiens, enfin condition des gar-diens et choix des gardiens chefs, tout cela est largementexpos avant la fin de notre Livre III. Aulu-Gelle, d'ailleurs,et sa source lointaine disent : dao Jere libri, la valeur envi-ron de deux livres , et, par suite, rien ne nous interdit deporter jusqu' la fin mme de cette construction de la cit,c'est-ndire jusqu' 427 d dans notre Livre IV, Ttendue decette premire publication. Nous n'ajouterions ainsi que332 lignes nos trois Livres actuels, et l'tendue de cesduo fere libri qui primi in uulgus exierani (3 863) ne dpas-serait que de 1 9 1 lignes environ l'tendue thorique de deuxLivres normaux d'une dition de la Rpublique en six Livres(36-2 lignes).

    Or, nous avons observ, en tudiant la distribution desrles, que ceux de Glaucon et d'Adimante couvraient, dansnos Livres II et III, une tendue gale de texte, et qu' partirde l commenait de s'accuser une disproportion croissante.Nous avons dit aussi que Platon s'ingniait rompre detemps autre, au cours des Livres II et III, ces alternancesgales, ne ft-ce qu'en faisant rgulirement empiter lesdivisions logiques sur les divisions de rles. Nous ne trouve-rions donc nullement tonnant, si Platon a vraiment publisa Rpublique par fragments successifs, qu'il et, la fois,rompu cette balance des rles et achev un tout logique, en neterminant sa publication qu'aprs ces quelque trois centslignes o Socrate discute avec i\dimante sur la porte de larichesse ou de la pauvret pour le bonheur des guerriers etde la cit. Ainsi la construction idale de la cit se trouvaitacheve, et le lecteur attendait, pour le dbut de la publica-tion suivante, la dfinition promise de la justice. Quant cefait de publier par parties successives un dialogue de cetteimportance, il n'aurait non plus rien qui dt nous tonner,et cette premire coupure au moment o Platon va commen-cer de se moins soucier de la proportion des rles serait assez

    ^ marquante au point de vue de la forme extrieure du dialo-gue. Faire, en ce moment, des hypothses sur la date de cette

  • 7/29/2019 Platon, 6 La Republique (I-III)

    41/430

    INTRODUCTION xliiipublication serait prmatur, sinon tout fait vain. Maisdiscuter ici sur l'tendue et la teneur de VUr-Politeia, dont ona voulu prouver l'existence et la date par ce texte d'Aulu-Gelle,serait certainement plus vain encore: Is duofere libriet leurinfluence possible sur la Cyropdie s'expliquent parfaitementsans cette hypothse, que nous ne tarderons d'ailleurs pas retrouver sur notre route.

    SECONDE PARTIE : LES CONDITIONS DE RALISATION/. Les femmes-gardiens.

    Nous avons donc construit la cit et^ Dian montr qu'en elle, aussi bien que danschacun de ses membres, la justice natradu fait que leurs parties composantes resteront chacune leur place et joueront leur rle propre. Mais, dans cetteappropriation des parties, garantie du travail harmonieux del'ensemble, qui revient le rle principal? videmment lapartie dirigeante, celle qui, voyant l'ensemble et son but,tient oriente vers ce but sa propre action et celle des autresparties. Quelle sera donc la condition fondamentale pour quese ralise cette justice parfaite, sinon que la partie dirigeantene cesse de voir et de vouloir la fin gnrale, de la voir dansune clart totale et inamissible, de la vouloir et de s'y consa-crer sans partage et sans retour ? Cette clart inamissible,c'est celle de la science : il faut donc que nos gardiens cher-chent et conquirent la science, il faut, en un mot, qu'ilssoient philosophes. A ce degr, voir, c'est vouloir, et l'intui-tion claire fait l'action infaillible. Mais se consacrer sanspartage la fin et, pour cela, monter sans arrt vers la visiontotale, rclame une volont dgage de toutes les entraves,purifie de toutes les attaches trangres : aussi, comme nousavons prcdemment enlev nos gardiens les pa