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Platon, Le Politique, 271a-272c Le jeune Socrate dialogue avec L’Etranger au sujet de la marche du monde. Ils viennent de parler de l’alternance des révolutions (et en particulier d’un âge où l’on rajeunissait). L’Etranger répond à Socrate sur la façon dont les choses se passaient avant que les hommes ne s’engendrent les uns les autres, du temps où régnait Cronos. [271a] (…) Ξένος ∆ῆλον, Σώκρατες, ὅτι τὸ μὲν ἐξ ἀλλήλων οὐκ ἦν ἐν τῇ τότε φύσει γεννώμενον, τὸ δὲ γηγενὲς εἶναί ποτε γένος λεχθὲν τοῦτ' ἦν τὸ κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον ἐκ γῆς πάλιν ἀναστρεφόμενον, ἀπεμνημονεύετο δὲ ὑπὸ τῶν μετέρων προγόνων τῶν πρώτων, οἳ τελευτώσῃ μὲν τῇ προτέρᾳ [271b] περιφορᾷ τὸν ἑξῆς χρόνον ἐγειτόνουν, τῆσδε δὲ κατ' ἀρχὰς ἐφύοντο· τούτων γὰρ οὗτοι κήρυκες ἐγένονθ' μῖν τῶν λόγων, οἳ νῦν ὑπὸ πολλῶν οὐκ ὀρθῶς ἀπιστοῦνται. Τὸ γὰρ ἐντεῦθεν οἶμαι χρὴ συννοεῖν. ῾Επόμενον γάρ ἐστι τῷ τοὺς πρεσβύτας ἐπὶ τὴν τοῦ παιδὸς ἰέναι φύσιν, ἐκ τῶν τετελευτηκότων αὖ, κειμένων δὲ ἐν γῇ, πάλιν ἐκεῖ συνισταμένους καὶ ἀναβιωσκομένους, ἕπεσθαι τῇ τροπῇ συνανακυκλουμένης εἰς τἀναντία τῆς γενέσεως, καὶ γηγενεῖς δὴ κατὰ τοῦτον τὸν [271c] λόγον ἐξ ἀνάγκης φυομένους, οὕτως ἔχειν τοὔνομα καὶ τὸν λόγον, ὅσους μθεὸς αὐτῶν εἰς ἄλλην μοῖραν ἐκόμισεν. Νεώτερος Σωκράτης Κομιδῇ μὲν οὖν τοῦτό γε ἕπεται τοῖς μπροσθεν. ᾿Αλλὰ δὴ τὸν βίον ὃν ἐπὶ τῆς Κρόνου φῂς εἶναι δυνάμεως, πότερον ἐν ἐκείναις ἦν ταῖς τροπαῖς ἐν ταῖσδε ; τὴν μὲν γὰρ τῶν ἄστρων τε καὶ ἡλίου μεταβολὴν δῆλον ὡς ἐν ἑκατέραις συμπίπτει ταῖς τροπαῖς γίγνεσθαι. Ξένος Καλῶς τῷ λόγῳ συμπαρηκολούθηκας. ῞Ο δ' ἤρου [271d] περὶ τοῦ πάντα αὐτόματα γίγνεσθαι τοῖς ἀνθρώποις, ἥκιστα τῆς νῦν ἐστι καθεστηκυίας φορᾶς, ἀλλ' ἦν καὶ τοῦτο τῆς μπροσθεν. Τότε γὰρ αὐτῆς πρῶτον τῆς κυκλήσεως ἦρχεν ἐπιμελούμενος ὅλης θεός, ὣς δ' αὖ κατὰ τόπους ταὐτὸν τοῦτο, ὑπὸ θεῶν ἀρχόντων πάντ' ἦν τὰ τοῦ κόσμου μέρη διειλημμένα· καὶ δὴ καὶ τὰ ζῷα κατὰ γένη καὶ ἀγέλας οἷον νομῆς θεῖοι διειλήφεσαν δαίμονες, αὐτάρκης εἰς πάντα ἕκαστος ἑκάστοις [271e] ὢν οἷς αὐτὸς ἔνεμεν, ὥστε οὔτ' ἄγριον ἦν οὐδὲν οὔτε ἀλλήλων ἐδωδαί, πόλεμός τε οὐκ ἐνῆν οὐδὲ στάσις τὸ παράπαν· ἄλλα θ' ὅσα τῆς τοιαύτης ἐστὶ κατακοσμήσεως ἑπόμενα, μυρία ν εη λγειν δ' ον ν νθρων λεχθν « - L’ETRANGER : La chose est claire, Socrate : la Nature de ce temps-là ne comportait pas d’espèce humaine résultant de la génération mutuelle. Mais cette race de « Fils de la Terre » dont la légende raconte qu’un jour elle a existé, c’est en harmonie avec les circonstances de ce temps-là qu’elle a de nouveau surgi du sein de la terre : race dont le souvenir a subsisté chez les plus anciens de nos ancêtres, ceux qui avoisinaient l’époque consécutive à la terminaison de la précédente révolution et qui venaient au jour au commencement de celle-ci ; car ce sont eux qui ont été à notre endroit les hérauts de ces histoires, aujourd’hui objets, bien à tort, de l’incrédulité du vulgaire. Il faut en effet, je crois, réfléchir ensemble sur ce qu’elles ont pour conséquence : de fait, ce qui suit d’une évolution qui va de la vieillesse à l’enfance, c’est que, au rebours, les défunts, gisant en terre, sont le point de départ d’une reconstitution qui s’opère à la même place, et que, revenant à la vie, ils suivent le changement de direction constitué par une genèse dont le cours circulaire est renversé ; en outre, comme de la sorte ils sont forcément, à la lettre, des productions filles de la terre, ils en portent de même le nom et en expriment la notion, à l’exception de tous ceux d’entre ces hommes que la Divinité aura conduits vers une autre destinée. - LE JEUNE SOCRATE : Hé ! oui, ma parole ! voilà bien ce qui suit de de qu’on a dit auparavant ! Cette existence cependant qui, à t’entendre, fut celle du temps où Cronos avait le pouvoir, appartenait-elle, dis-moi, aux susdites directions de la marche du monde, ou bien à celles qui sont les nôtres ? Car le changement dans le cours des astres, aussi bien que du soleil, il doit manifestement arriver qu’il ait lieu dans chacun des deux cycles où se produit le changement de direction. - L’ETRANGER : Tu as parfaitement suivi le cours de mon exposition. Mais pour répondre à ta question, relativement au temps où toutes choses naissaient spontanément pour l’ utilité des hommes, c’est un temps qui n’appartient pas à l’actuelle constitution de la marche du monde : lui aussi, il appartenait à la constitution antérieure. Alors en effet, c’était de l’ensemble de la révolution circulaire elle-même que, primordialement, la Divinité avait le gouvernement et la surveillance, et c’était identiquement ce qui, selon les régions cette fois, se passait aussi pour toutes les parties distinctes du monde, gouvernées comme à présent par des Divinités particulières. Et les animaux, comme de juste, des Génies les avaient distingués selon l’espèce et par troupeau : sortes de pasteurs divins, dont chacun suffisait par lui-même à tous les besoins de chacune des espèces, de chacun des troupeaux dont il était personnellement le pasteur. Aussi n’y avait-il point d’animaux sauvages, ni d’animaux se servant les uns des autres de nourriture ; point de guerre entre eux, absolument point non plus de dissension. Au contraire, ce seraient des milliers et des milliers de biens qu’on devrait énumérer, pour

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  • Platon, Le Politique, 271a-272c Le jeune Socrate dialogue avec LEtranger au sujet de la marche du monde. Ils viennent de parler de lalternance des rvolutions (et en particulier dun ge o lon rajeunissait). LEtranger rpond Socrate sur la faon dont les choses se passaient avant que les hommes ne sengendrent les uns les autres, du temps o rgnait Cronos. [271a] () , , , ' ' , , [271b] , ' ' , . . , , , , , [271c] , , .

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    - LETRANGER : La chose est claire, Socrate : la Nature de ce temps-l ne comportait pas despce humaine rsultant de la gnration mutuelle. Mais cette race de Fils de la Terre dont la lgende raconte quun jour elle a exist, cest en harmonie avec les circonstances de ce temps-l quelle a de nouveau surgi du sein de la terre : race dont le souvenir a subsist chez les plus anciens de nos anctres, ceux qui avoisinaient lpoque conscutive la terminaison de la prcdente rvolution et qui venaient au jour au commencement de celle-ci ; car ce sont eux qui ont t notre endroit les hrauts de ces histoires, aujourdhui objets, bien tort, de lincrdulit du vulgaire. Il faut en effet, je crois, rflchir ensemble sur ce quelles ont pour consquence : de fait, ce qui suit dune volution qui va de la vieillesse lenfance, cest que, au rebours, les dfunts, gisant en terre, sont le point de dpart dune reconstitution qui sopre la mme place, et que, revenant la vie, ils suivent le changement de direction constitu par une gense dont le cours circulaire est renvers ; en outre, comme de la sorte ils sont forcment, la lettre, des productions filles de la terre, ils en portent de mme le nom et en expriment la notion, lexception de tous ceux dentre ces hommes que la Divinit aura conduits vers une autre destine. - LE JEUNE SOCRATE : H ! oui, ma parole ! voil bien ce qui suit de de quon a dit auparavant ! Cette existence cependant qui, tentendre, fut celle du temps o Cronos avait le pouvoir, appartenait-elle, dis-moi, aux susdites directions de la marche du monde, ou bien celles qui sont les ntres ? Car le changement dans le cours des astres, aussi bien que du soleil, il doit manifestement arriver quil ait lieu dans chacun des deux cycles o se produit le changement de direction. - LETRANGER : Tu as parfaitement suivi le cours de mon exposition. Mais pour rpondre ta question, relativement au temps o toutes choses naissaient spontanment pour l utilit des hommes, cest un temps qui nappartient pas lactuelle constitution de la marche du monde : lui aussi, il appartenait la constitution antrieure. Alors en effet, ctait de lensemble de la rvolution circulaire elle-mme que, primordialement, la Divinit avait le gouvernement et la surveillance, et ctait identiquement ce qui, selon les rgions cette fois, se passait aussi pour toutes les parties distinctes du monde, gouvernes comme prsent par des Divinits particulires. Et les animaux, comme de juste, des Gnies les avaient distingus selon lespce et par troupeau : sortes de pasteurs divins, dont chacun suffisait par lui-mme tous les besoins de chacune des espces, de chacun des troupeaux dont il tait personnellement le pasteur. Aussi ny avait-il point danimaux sauvages, ni danimaux se servant les uns des autres de nourriture ; point de guerre entre eux, absolument point non plus de dissension. Au contraire, ce seraient des milliers et des milliers de biens quon devrait numrer, pour

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    dire tous ceux qui rsultent dune pareille organisation des choses. Mais maintenant, pour ce qui, dans la lgende, concerne les hommes, voici peu prs ce quon rapporte au sujet des conditions spontanes de leur existence. Ctait la Divinit en personne qui tait leur pasteur et qui prsidait leur vie, ainsi que les hommes prsent, en tant quils se distinguent par le caractre plus divin de leur espce, sont les pasteurs des autres espces animales, qui sont infrieures la leur ; or puisque celui-ci tait leur pasteur, il ny avait point besoin de constitution politique ; ils ne possdaient point une femme et des enfants : au sortir de la terre, ils revenaient tous la vie, sans avoir gard aucun souvenir des conditions antrieures de leur existence. Mais tandis qutait absent de leur tat tout ce quil y a de cette sorte, en revanche les arbres, sans parler dinnombrables taillis, leur fournissaient des fruits profusion, lesquels ne rclamaient point dtre produits par la culture, tant au contraire une contribution spontane de la terre. Dautre part, ils vivaient nus, dormant au pturage, le plus souvent sans lit, la belle toile : cest que, par la faon dont les saisons taient tempres, ils taient prservs davoir en souffrir ; cest aussi que molles taient leurs couches, tant faites du gazon qui profusion poussait de la terre ! Tu viens dapprendre, Socrate, quelle vie menaient les hommes au temps de Cronos. Quant celle que la tradition attribue au temps de Zeus, cest la vie d prsent, et ton exprience personnelle te renseigne son sujet. Or de ces deux vies, serais-tu capable et accepterais-tu de me dcider laquelle est la plus heureuse ?- LE JEUNE SOCRATE : Pas le moins du monde ! - LETRANGER : Veux-tu donc alors que ce soit moi qui en dcide pour toi, de quelque manire ? - LE JEUNE SOCRATE : H ! oui, absolument. - LETRANGER : Eh bien donc, suppose les nourrissons de Cronos, ainsi pourvus dun copieux loisir et de la facult de pouvoir nouer un commerce de conversation, non point seulement avec les hommes, mais encore avec les btes : suppose-les utilisant lensemble de ces avantages en vue de la pratique de la philosophie ; sy adonnant aussi bien avec le concours des btes quavec le concours les uns des autres ; sinformant auprs de tout ce qui existe, en cas dapercevoir un tre qui possderait un pouvoir particulier, suprieur en quelque point celui de tous les autres, pour raliser un enrichissement de la pense : cette supposition faite, il te sera facile de dcider que, par rapport au bonheur, les gens de ce temps-l taient mille et mille fois suprieurs aux hommes d prsent. Suppose-les, en revanche, une fois gorgs satit de nourritures et de boissons, se racontant les uns aux autres, ainsi quaux btes, des histoires du genre de celles qu leur sujet on raconte prsent, voil encore de quoi, au moins le dclarer selon mon opinion personnelle, il ne serait pas moins facile de dcider !

    trad. Lon Robin, CUF