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28 La Nativité 2006-2007 T. Goffinet II. La thèse de l’école de Chicago Auteurs importants de cette école: BROZEN, POSNER, BAUMOL, BORK, STIGLER, ARMENTANO. Thèse générale : pouvoir de marché ne va pas forcément à l’encontre du bien être des consommateurs d’où critique des thèses structuralistes. Principal argument de cette école : la théorie des marchés contestables de BAUMOL, PANZAR et WILLIG (1982). Un marché est dit « contestable » si : (i) Les firmes entrantes ont accès aux mêmes techniques de production que les firmes installées. (ii) Les coûts d’entrée peuvent être récupérés : il n’y a pas de sunk costs. Ex : on peut acheter un avion pour monter une compagnie aérienne mais cet avion peut être revendu sur un marché des avions d’occasion. (iii) Les délais d’entrée sont plus courts que ceux de la firme installée pour modifier ses prix. Ainsi, dans ces conditions, la firme installée en monopole sera obligée de pratiquer un prix égal au coût unitaire de production sur un marché contestable, une firme en situation de monopole perd son pouvoir de monopole ! Démonstration sur le graphique ci-dessous : Graphique 5. L’équilibre d’un marché contestable.

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28 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

II. La thèse de l’école de Chicago

Auteurs importants de cette école: BROZEN, POSNER, BAUMOL, BORK, STIGLER,

ARMENTANO.

Thèse générale : pouvoir de marché ne va pas forcément à l’encontre du bien être des

consommateurs →→→→ d’où critique des thèses structuralistes.

Principal argument de cette école : la théorie des marchés contestables de BAUMOL, PANZAR

et WILLIG (1982). Un marché est dit « contestable » si :

(i) Les firmes entrantes ont accès aux mêmes techniques de production que les firmes

installées.

(ii) Les coûts d’entrée peuvent être récupérés : il n’y a pas de sunk costs. Ex : on peut

acheter un avion pour monter une compagnie aérienne mais cet avion peut être

revendu sur un marché des avions d’occasion.

(iii) Les délais d’entrée sont plus courts que ceux de la firme installée pour modifier ses

prix.

Ainsi, dans ces conditions, la firme installée en monopole sera obligée de pratiquer un prix égal

au coût unitaire de production ⇒⇒⇒⇒ sur un marché contestable, une firme en situation de monopole

perd son pouvoir de monopole ! Démonstration sur le graphique ci-dessous :

Graphique 5. L’équilibre d’un marché contestable.

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29 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

Critiques des thèses structuralistes :

� Structuralistes critiqués sur analyse des comportements collusifs (BAIN montra le lien entre

degré de concentration et collusion entre firmes). STIGLER (1964) remet en cause cela : les

comportements de cartel (ententes entre firmes) sont instables car chaque firme à

intérêt à dévier de l’équilibre collusif. Démonstration à partir du « dilemme du

prisonnier » : l’équilibre est sous-optimal, chaque firme a intérêt à tricher. Rôle joué par

la théorie des jeux (jeux non coopératifs ici) à partir des années 1990.

Qu’est-ce que le dilemme du prisonnier ? L’histoire de présente de la façon suivante : deux complices sont arrêtés sur les lieux d’un délit et sont interrogés séparément par la police. Chacun est prévenu que :

- Si l’un des deux dénonce l’autre alors que l’autre se tait → le premier est libéré (au bénéfice du doute) alors que le second (coupable désigné) sera condamné à 5 ans de prison.

- Si les deux se dénoncent → 3 ans de prison pour les deux (le juge tient compte de leur « coopération » avec la justice).

- Si les deux se taisent → condamné à 1 an de prison (insuffisance de preuves donc clémence du jury).

Jeu représenté de la façon suivante :

Tableau 3. Matrice des gains dans le « dilemme du prisonnier ».

Prisonnier 2

P

Rm

RM

Volume de production

CM

Cm

Q*

P*

Prix vers lequel tend le prix de marché sur un marché contestable

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30 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre

Dénonce (D)

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre (1 an, 1 an) (5 ans, 0 an)

Prisonnier 1

Dénonce (D) (0 an, 5 an) (3 ans, 3 ans)

Premier chiffre = résultat pour le prisonnier 1. Deuxième chiffre = résultat pour le prisonnier 2. Objectif de chaque prisonnier : minimiser sa peine de prison. Hypothèses : information parfaite (chaque joueur connaît la matrice des gains) + jeu simultané (chaque

prisonnier prend sa décision en même temps → prise de décision en tenant compte de la décision de l’autre puisque le jeu est en information parfaite). Quel résultat obtenu ?

� Prise de décision du prisonnier 1 : son alternative est dénoncer ou se taire. Il prend sa décision compte tenu de la décision de l’autre :

- Si il suppose que l’autre se tait (stratégie T du prisonnier 2) : si il se tait lui aussi il prend 1

an alors que si il dénonce l’autre il prend 0 an et sort tout de suite ⇒ il a tout intérêt à dénoncer (D) si l’autre se tait.

- Si il suppose que l’autre dénonce (stratégie D du prisonnier 2) : s’il se tait il prend 5 ans

alors que s’il dénonce aussi il prend 3 ans ⇒ il choisit alors de dénoncer (D). - On dit que le prisonnier 1 à une stratégie dominante qui consiste à dénoncer l’autre :

quelle que soit la décision de l’autre, lui aura intérêt à dénoncer. Dénoncer (D) est une stratégie dominante au sens où c’est celle qui minimise sa peine de prison, compte tenu de la décision de l’autre joueur.

Les résultats pour le prisonnier 1 sont alors :

Tableau 4. Stratégies adoptées par le prisonnier 1, compte tenu de la décision de l’autre joueur. Les choix du prisonnier 1 sont chaque fois représentés par le chiffre en gras souligné (compte tenu de la stratégie du

joueur 2 qui est une fois de se taire et une fois de dénoncer l’autre). Rappel : les premiers chiffres dans chaque case représentent les peines du joueur (prisonnier) 1.

Prisonnier 2

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre

Dénonce (D)

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre (1 an, 1 an) (5 ans, 0 an)

Prisonnier 1

Dénonce (D) (0 an, 5 an) (3 ans, 3 ans)

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31 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

� Prise de décision du prisonnier 2 : son alternative est dénoncer ou se taire. Il prend sa décision

compte tenu de la décision de l’autre. En fait on se retrouve dans la même situation qu’avant : le

jeu est symétrique ⇒ « dénoncer » (D) est une stratégie dominante pour le prisonnier 2. Cela se voit dans sa matrice des gains (rappel : les peines du joueur 2 sont représentées par le deuxième chiffre) :

Tableau 5. Matrice des gains du prisonnier 2 et choix opérés par le prisonnier 2 (chiffres en gras et soulignés).

Prisonnier 2

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre

Dénonce (D)

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre (1 an, 1 an) (5 ans, 0 an)

Prisonnier 1

Dénonce (D) (0 an, 5 an) (3 ans, 3 ans)

Résultat : les deux prisonniers dénoncent l’autre, les deux prennent 3 ans alors qu’une décision rationnelle aurait été de se taire : ils n’auraient pris que 1 an.

Tableau 6. Choix opérés par les deux joueurs : le résultat du jeu est représenté par la case où les deux chiffres sont soulignés. « Dénoncer » est une stratégie dominante pour les deux joueurs.

Prisonnier 2

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre Dénonce (D)

Se taire (T) : ne pas dénoncer l’autre (1 an, 1 an) (5 ans, 0 an)

Prisonnier 1

Dénonce (D) (0 an, 5 an) (3 ans, 3 ans)

Interprétation du dilemme du prisonnier : ce dilemme illustre le conflit entre les incitations

sociales à coopérer et les incitations privées à ne pas le faire →→→→ chaque prisonnier fait face à un dilemme entre sa rationalité individuelle qui lui dicte de dénoncer son complice et sa rationalité collective qui lui dicte de se taire. L’intérêt individuel pousse donc des individus à choisir une

solution moins bonne que s’ils avaient suivis l’intérêt collectif ⇒⇒⇒⇒ la solution obtenue est « sous-optimale » au sens où les deux individus pourraient voir leur situation s’améliorer. Application dans le domaine de la politique de la concurrence (application exposée par STIGLER) :

Deux firmes A et B sont en concurrence sur un marché et ont la possibilité de former un cartel (entente

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entre les firmes) afin d’obtenir un profit de monopole. Quand elles sont en concurrence, chaque firme

réalise un profit de 3 ⇒ profit total (profit A + profit B) = 6. En situation de cartel, le profit total est de

10 : il se répartit équitablement entre les deux firmes (profit A = profit B = 5). Si l’une des deux firmes

triche en accordant secrètement un rabais à ses clients alors que son concurrent maintient le prix de cartel

(forcément plus élevé alors), alors elle réalise un profit encore plus élevé que le profit individuel de cartel :

les clients se tournent massivement vers les produits de la firme qui a triché et délaissent la firme « loyale ».

dans ce cas, la firme qui triche réalise un profit de 9 tandis que sa concurrente voit son profit tomber à 0.

On résout ce jeu de la même façon que le jeu précédent : de façon simultanée sachant que chaque

firme connaît la matrice des gains.

Tableau 7. Cartel et dilemme du prisonnier : la matrice des gains.

Firme B

Ne pas tricher Tricher

Ne pas tricher (5, 5) (0, 9) Firme A

Tricher (9, 0) (3, 3)

Résultat : la rationalité de chaque firme la pousse à tricher alors que la solution « optimale »

(solution qui procure collectivement le gain le plus élevé) est la solution de ne pas tricher. Faut-il

alors une politique de la concurrence très stricte ? Pas nécessairement puisque la collusion est

instable, chaque firme ayant intérêt à tricher.

� Auteurs de Chicago remettent aussi en cause comportements de prédation (baisse des prix de la

firme en place) : la prédation est coûteuse, la firme en place peut avoir mésestimé les

capacités de résistance des firmes entrantes.

� Concurrence n’est plus vue comme quelque chose de statique mais comme un

processus19 : concurrence = processus continu de sélection des combinaisons productives les

plus efficaces. Le monopole ou la concentration industrielle ne font que refléter le jeu de la

concurrence. Le paradigme SCP cher aux structuralistes est donc remis en cause. La logique

est la suivante pour les auteurs de Chicago : comportements (efficacité productive,

19 On est dans la lignée d’un Adam SMITH ou de l’école autrichienne (VON MISES, HAYEK, ROTHBARD, SCHUMPETER).

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33 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

qualité des produits) -> performances (marge prix-coûts, profitabilité) -> structure de

marché (concentration du marché, barrières à l’entrée).

� Toujours dans la lignée de la CPP, la critique porte sur l’effet à long terme de la concurrence :

les profits nuls des firmes n’incitent pas à l’innovation, ce qui n’arrange pas les consommateurs,

même si ceux-ci sont gagnants à court terme du fait de leur surplus en CPP. Le pouvoir de

marché apparaît alors comme un mal nécessaire, déjà souligné par SCHUMPETER dans

Capitalisme, socialisme et démocratie (1942). Solution : mettre en œuvre des brevets… ce qui nuit à

court terme aux consommateurs (prix de monopole) mais innovation à long terme (donc

élargissement gamme biens). Si on prend l’exemple des réglementations de l’UE, on voit bien

cet arbitrage : les ententes sont condamnées mais celles-ci sont autorisées si elles favorisent le

progrès technique et qu’elles bénéficient aux consommateurs20. D’ailleurs les Lignes directrices sur

les accords de coopération horizontale (2001) signalent que : « Une coopération horizontale peut

aussi produire des avantages économiques substantiels. La coopération peut être un

moyen de partager les risques, de réaliser des économies de coûts, de mettre en

commun un savoir-faire et de lancer des innovations sur le marché plus rapidement ».

Conclusion :

En matière de politique de la concurrence ? Les auteurs ne sont pas unanimes :

- Pour STIGLER et BAUMOL : les politiques de concurrence sont utiles, mais ils veulent

un assouplissement des critères d’évaluation (barrières à l’entrée ne doivent pas être

surestimées).

- Auteurs dans la lignée autrichienne (ARMENTANO, ROTHBARD) : remise en cause

des politique antitrust. Considèrent qu’elles sont contre-productives (protection des

moins efficaces) et qu’elles sont même « immorales » car elles vont à l’encontre de la

liberté des échanges.

20 Article 81 condamne ententes mais paragraphe 3 signale que la prohibition peut être levée dès lors que les accords « contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte et sans a) imposer aux entreprises intéressées de restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs b) donner à des entreprises la possibilité, pour une part substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ».

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CChhaappiittrree 22 :: eenntteenntteess eett ppoolliittiiqquuee ddee llaa ccoonnccuurrrreennccee

Quand parle-t-on de cartel21 ou de collusion →→→→ quand plusieurs firmes concurrentes décident

selon des modalités diverses et plus ou moins formelles de coordonner leur comportement dans

le seul but de réduire l’intensité concurrentielle sur un marché et ce au détriment des

consommateurs. L’OCDE parle d’ « entente injustifiable » pour ce type de pratique.

I. Le portrait-robot des cartels

1. La démonstration de l’incitation à se cartelliser par la théorie microéconomique

C’est l’analyse microéconomique standard qui montre l’incitation à s’entendre :

- PCPP < Prix d’oligopole < prix de monopole

- Somme des profits de CPP < somme des profits d’oligopole < profit de monopole

Le but des cartels est donc de se comporter comme une seule firme càd de maximiser les profits joints ⇒

cela permet au cartel d’avoir ou tout au moins de se rapprocher du prix et du profit de monopole.

Certains secteurs ne sont cependant jamais concerné par la cartellisation : très nombreux dans chimie,

construction, matériaux de construction (béton, asphalte) ou transports maritimes, mais très rare voire

inexistant dans construction automobile.

2. Les conditions propices à la formations d’un cartel Ces conditions sont :

� Les marchés doivent avoir petit nombre d’offreurs (oligopole) : cas par exemple du cartel de

la méthyglucamine (substance utilisée en radiologie) condamné en octobre 2002. Cartel constitué

par les firmes Aventis et Merck, les deux seules firmes à produire cette substance (→ cas extrême

de l’oligopole = duopole). Il est plus facile de négocier quand on n’est pas nombreux ou quand le

marché est dominé par grandes firmes (les petites suivent les leaders). Confirmation par les études

empiriques :

Tableau 8 : Cartel et concentration industrielle.22

21 Le cartel peut être légal (cartel à l’exportation ou cartel de crise). La question ne se posera pas ici. 22LEVENSTEIN et SUSLOW, What determines cartel success ?, Document de travail University of Massachusetts, 2001, tableau 16, p 60.

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35 La Nativité • 2006-2007 • T. Goffinet

Secteurs étudiés Ratio de concentration (RCm = somme des parts de marché des m plus grandes

firmes)

Ciment RC3 = 95%

Diamant RC1 passe de 100% en 1880 à 8% aujourd’hui

Mercure RC2 = 80%

Colis postaux RC5 = 100%

Ferroviaire RC3 = 75%

Acier RC4 = 60% (aux Etats-Unis)

Sucre RC1 passe de 92% à 25% ; RC3 = 60% en 1927

Remarque : on peut cependant observer comportements de collusion même si grand nombre de

firmes. C’est par exemple un syndicat qui joue le rôle de chef d’orchestre. Exemple international :

dans le cartel du ciment en Europe, la Fédération européenne du ciment (Cembureau) était en

charge de l’organisation et de la gestion du cartel (33 producteurs).

� Les firmes doivent être semblables en terme de coût ou de différenciation des produits : la

même structure de coût facilite la répartition de la production. Très souvent le cas dans des

industries dont la technologie est à maturité (ciment ou acier). L’homogénéité des produits facilite

la concertation sur les prix et les quantités (⇒ beaucoup plus difficile par contre de faire cela dans

le secteur de l’automobile). Exemple de cartels avec produits homogènes : baguettes de pain dans

le Val-de-Marne (2004), la distribution d’essence sur autoroute (2003), les calculatrices scolaires

(2003) ou la fraise du Lot-et-Garonne (2003).

� Cartels souvent présents sur marchés des produits intermédiaires (ciment, vitamines) : ces

produits sont achetés par des industriels qui ont une faible sensibilité au prix (un producteur

immobilier n’aura pas le choix à court terme si le prix du ciment augmente → faible élasticité de la

demande de produits intermédiaires au prix). Les produits intermédiaires demandent aussi

d’énormes coûts fixes alors que la demande qui s’adressent à ces entreprises est très fluctuante (ex

des matériaux de construction) ⇒ but du cartel = limiter les baisses de prix en cas de récession

(quand il existe des capacités de surproduction). Le comportement des cartels est donc contra-

cyclique.

� Existence d’obstacles à l’entrée et à la sortie (obstacles juridiques ou économiques) : si il

n’y a pas de barrières → dès que prix > prix de CPP : entrée de nouvelles firmes. Cartels peuvent

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alors s’organiser pour mettre en place des barrières. Exemple du cartel de la bière ou du ciment :

en décembre 2001 la Commission européenne a infligé une amende de 448 000 euros à 4

brasseries qui avaient formé un cartel sur le marché du Luxembourg entre 1985-2000. Afin

d’empêcher l’entrée de concurrents, les membres du cartel avaient convenu de se consulter si une

brasserie étrangère tentait de négocier un contrat de fourniture avec un débit de boissons qui était

déjà lié avec le cartel. La priorité était alors accordée à l’un des membres du cartel pour tâcher de

conserver le débit concerné comme client.

3. Les modalités de la cartellisation On peut distinguer 4 modalités de cartellisation. Dans la réalité, on a une combinaison de ces modalités.

On peut les résumer dans le tableau suivant :

Tableau 9. Les modalités de cartellisation.

Modalité de cartellisation Principe de fonctionnement

Fixation concertée du prix Les firmes s’entendent directement sur un prix supérieur au prix concurrentiel

Répartition des marchés Les firmes limitent la concurrence entre elles en se répartissant les marchés (géographiquement ou par clients)

Boycott d’un concurrent Les firmes organisent le boycott d’un concurrent agressif pour faire monter les prix

Fixation de quotas Les firmes restreignent de concert la production dans le but d’accroître le prix

Distinguons ces modalités :

(a) Fixation concertée des prix : les firmes se réunissent pour fixer un prix supérieur au prix de

concurrence. Modalité spécifique : barème de prix imposé à tous les membres d’une profession.

Ex : barème des honoraires d’avocat sanctionné par Conseil de la Concurrence en France,

architectes belges également condamnés en 2003 par la Commission européenne (Commission

avait invoquée notamment le fait qu’un barème instaurant des seuils de prix empêche les

opérateurs performants d’exercer une concurrence par les prix). Cas fréquent aussi dans les appels

d’offre pour l’obtention de marchés publics, surtout dans domaine BTP ou génie civil23 : firmes se

réunissent avant remise des plis pour déterminer en commun qui obtiendra le marché au prix P ;

les autres firmes s’engagent à ne pas sous-enchérir et à réaliser de « faux » appels d’offre (« offre

fantôme » ou « offre de couverture ») en proposant un prix plus élevé que P. Afin d’éviter les

comportements de tricherie au sein du cartel → rotation des enchères (chaque firme est assurée à

23 Voir par exemple B. CAILLAUD, « Ententes et capture dans la commande publique : un point de vue d’économiste », Revue de la concurrence et de la consommation, n°129, 2002.

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tour de rôle de prendre un marché).

(b) Répartition des marchés : la répartition peut porter sur des segments géographiques (fréquent

dans les cartels internationaux par suite par exemple de l’ouverture commerciale. Cela permet

d’introduire un « pacte de non agression ». Ex : cartel du ciment conclu entre 33 producteurs

européens dans les années 1980) ou des segments de clientèle (ex : cartel des brasseries au

Luxembourg en 1985 : les 4 firmes qui font le cartel s’engagent à ne pas démarcher les hôtels,

restaurants ou bars démarchés par les concurrents. Ils nommèrent cela « clause de la bière »).

(c) Boycott collectif d’un concurrent : vise à l’élimination d’un concurrent agressif. Ex : en 2002,

dans la région lyonnaise, certains distributeurs de produits optiques boycottent leurs fournisseurs

pour qu’ils n’approvisionnent plus un concurrent (Optical center) qui venait de s’installer et qui

pratiquait des prix plus bas (de 20 à 40% de réduction sur produits de grande marque). Plusieurs

méthodes de rétorsion commerciale à l’encontre des fournisseurs avaient été engagées :

annulation de commandes, non présentation des produits dans le magasin.

(d) Fixation de quotas : quotas de production inférieure à celle de la CPP. Chaque firme se voir

attribuer un quota à ne pas dépasser, et le quota de production total = comme si les firmes étaient

en monopole. Chaque firme se voit donc attribuer une production qui résulte de l’égalisation

Rm=Cm. Cas très rares dans la réalité

II. La stabilité des cartels

1. La pérennité des cartels : mesures empiriques Les cartels sont en général instables. On peut mesurer leur durée de vie. Les résultats empiriques de

LEVENSTEIN et SUSLOW (2001) montrent que :

� Durée de vie moyenne = entre 3 et 7 ans. 50% des cartels durent plus de 5 ans et 12 à 37% ont

une durée de vie > 10 ans.

� Variance très forte : certains « morts nés » d’autre entre 0 et 30 ans24. Cartel le plus long jamais

condamné : condamnation de l’entente dans le domaine des peroxydes organiques dans l’UE en

2003 (durée = 29 ans). Les autorités de l’UE considère qu’un cartel constitue une « infraction de

longue période » lorsqu’il dure plus de 5 ans.

Les études menées sont résumées dans le tableau suivant :

Tableau 10. La durée de vie des cartels.

24 Au niveau de l’UE en 2003 : condamnation de l’entente dans le domaine des peroxydes organiques (durée = 29 ans).

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ECKBO (échantillon 1)

ECKBO (échantillon 2)

GRIFFITH et MARQUEZ

SUSLOW

Durée de vie moyenne 3.8 4.6 7.3 3.7

Variance de la durée 5.8 22.4 40 9.2

Intervalle de la durée 1-18 0-18 1-29 1-13

% de cartels durant moins de 5 ans

60% 57% 43% 40%

% de cartels durant 10 ans ou plus

12% 18% 32% 37%

2. Conditions d’implosion d’un cartel

Plusieurs éléments provoquent la fin :

- Choc qui modifie données structurelles du marché (fonction de demande) ou

changements technologiques qui modifient la fonction de coût de l’entreprise.

- Entrée de nouvelles firmes dans le marché.

- Ouverture d’une procédure antitrust.

- Le plus important : tricherie des participants ou dénonciation.

Tableau 11. Les causes de rupture d’un cartel.

ECKBO (échantillon 1)

ECKBO (échantillon 2)

GRIFFITH et MARQUEZ

SUSLOW

Tricherie et désaccord 43.5% 58.6% 33% 23.9%

Choc externe et changement technologique

30.4% - 50% 42.3%

Entrée et substitution d’offre 26.1% 41.4% 33.3% 15.5%

Plainte antitrust - - - 18.3%

Taille de l’échantillon 23 cas 29 cas 54 cas 71 cas

Dans le cas de la tricherie : STIGLER (1964) montre que meilleure stratégie pour chaque firme une fois la

cartellisation réalisée = tricherie càd baisse secrète du prix. Implication en terme de politique de la

concurrence : pas besoin de lutter contre cartels si théorie de STIGLER vérifiée. Argument repris

par détracteur des politiques antitrust (comme ARMENTANO par ex dans le cadre de l’école de

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Chicago).

3. La tricherie comme stratégie optimale pour chaque participant au cartel : démonstration avec le « dilemme du prisonnier »

Voir partie précédente du cours.

Dans le cadre d’un jeu simultané : collectivement avantageux de ne pas tricher (gains totaux =

10) mais rationalité de chacun le pousse à tricher.

4. Facteurs favorisant la stabilité des cartels

Tableau 12. Facteurs qui favorisent la stabilité des cartels.

Facteurs Explication

Faible nombre de firmes dans le cartel

Si membres nombreux dans la cartel → incitation à tricher forte car le gain individuel en cartel avec beaucoup de participants est faible.

Transparence du marché (prix/quantité)

Permet de vite repérer le tricheur (celui qui baisse ses prix).

Marché en forte croissance Limite l’incitation à tricher car les gains futur de la collusion sont élevés.

Echanges d’informations entre concurrents

Pratiques qui permettent de repérer rapidement un éventuel tricheur dans le cartel.

III. Le coût des cartels nécessite l’intervention de la « main visible » des pouvoirs publics

1. Le coût des cartels : approche microéconomique et empirique La Commission européenne note en 2002 dans un rapport que « les ententes caractérisées constituent

l’une des formes les plus graves d’infractions aux règles de concurrence. Elles ont des effets

nuisibles pour l’industrie et les consommateurs. Elles portent atteinte au bien-être social,

entraînent une répartition inefficace des ressources et transfèrent des richesses des

consommateurs vers les membres de l’entente, en modifiant la production et/ou les prix par

rapport à ce qu’ils seraient si le marché évoluait librement. Les ententes sont également nuisibles

à long terme. Les gains de productivité peuvent baisser, ainsi que le niveau des améliorations

technologiques. Les prix peuvent être élevés à long terme. En outre l’affaiblissement de la

concurrence entraîne une perte de compétitivité et menace les possibilités d’emplois durables ».

En résumé :

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- Cartels ⇒⇒⇒⇒ hausse des prix qui diminue le bien-être des consommateurs (baisse du

surplus des consommateurs).

- Un prix > prix concurrentiel peut être maintenu de façon durable (voir la pérennité des

cartels).

D’où nécessité de l’intervention des pouvoirs publics (la « main visible » des autorités) →→→→ pour la

justification théorique, voir partie précédente sur école structuraliste (comparer situation

CPP/monopole et comparer le surplus des consommateurs et le surplus collectif dans les deux

cas).

Tableau 13 : estimations de hausse des prix induites par un cartel (OCDE, 2003)

Cartel international Estimations de la hausse moyenne de prix

Phosphure d’aluminium 48%

Electrodes au graphite 50-60% aux Etats-Unis et 90% au Canada

Lysine 41% sauf Canada et 50% Canada

Vitamines 20% aux Etats-Unis

Œuvres d’art 0-20%

Acide citrique 50%

Transport maritime (France, Afrique centrale et ouest) 40%

Carton 20-26%

Tableau 14 : affaires récentes de cartels traitées par la Commission européenne

Affaire Estimations de la hausse moyenne de prix

Cartel des vitamines (2001) 8 ententes sur les produits vitaminiques entre 13 firmes sous la forme de fixation de prix et de quotas entre 1989 et 1999

Cartel de l’acide citrique (2001) Entente entre les leaders sur le marché de l’acide citrique, sous la forme de quotas et de fixation de prix, entre 1991 et 1995

Cartel des brasseries luxembourgeoises (2001) Entente entre 4 brasseries du Luxembourg, visant à se partager le marché des hôtels, restaurants et cafés, entre 1985 et 2000.

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Cartel des banques allemandes (2001) Entente entre 5 banques allemandes permettant de fixer en commun le montant de la commission de change des monnaies de la zone euro.

2. La lutte contre les cartels : les moyens

Les cartels font l’objet d’une prohibition per se (en soi) → prohibition pure et simple car le cartel n’apporte

aucun gain aux consommateurs (on ne va pas mesurer coûts et avantages d’un cartel car on sait qu’il n’y a

que des coûts).

Sanctions surtout d’ordre pécuniaire qui ont deux buts : punir l’infraction en elle-même mais aussi jouer

rôle de signal pour autres firmes (menace amende = dissuasion).

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CChhaappiittrree 33 :: aabbuuss ddee ppoossiittiioonn ddoommiinnaannttee eett ppoolliittiiqquuee ddee llaa ccoonnccuurrrreennccee

Toutes les législations antitrust contiennent des dispositions relatives à l’ « abus de position

dominante ». On peut trouver parfois un autre synonyme : « abus de position dominante » =

« monopolisation du marché ».

Que disent les principales législations ? Comment définissent-elles l’abus de position dominante ?

Retenons le Sherman Act américain (section 2) et l’article 82 du traité de l’Union européenne. On verra

alors que ces deux législations restent très vagues quant à la définition précise du terme et ne dressent pas

une liste exhaustive des pratiques relevant des abus de position dominante :

� « Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine or conspire with any other

person or persons, to monopolize any part of the trade or commerce among the several states, or with foreign nations, shall be deemed guilty of a felony” : ici aucune pratique n’est citée.

� « Est incompatible avec le Marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre les Etats

membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le Marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : imposer de façon directe et indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transactions non équitables ; limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ; appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence ; subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats » : cette liste n’est pas exhaustive.

Puisque la définition même de l’abus de position dominante (ou de monopolisation du marché) reste très

floue, il faut étudier les pratiques considérées comme des abus de position dominante. On retiendra ici les

pratiques suivantes :

- La dissuasion à l’entrée.

- La forclusion.

I. La dissuasion à l’entrée Dissuasion = stratégie consistant pour une firme en place à empêcher ou retarder l’entrée sur le

marché de concurrents, afin de pérenniser sa position dominante. La firme installée développe,

dans le cadre d’une stratégie de dissuasion à l’entrée, une stratégie qu’elle n’aurait pas utilisée si

la menace d’entrée (effective ou perçue comme telle) n’avait pas existé.

Conditions pour qu’une stratégie de dissuasion soit rentable (pour la firme installée) et possible :

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� Firmes installées doivent être peu nombreuses. En effet, la dissuasion = bien public, càd un

bien pour lequel le principe de rivalité ne s’applique pas (le principe de rivalité stipule

que deux agents ne peuvent bénéficier simultanément de l’usage d’un même bien).

Conséquence de cette propriété de bien public : chaque firme installée a tendance à laisser aux

autres firmes le soin de dissuader l’entrée. Si les firmes sont peu nombreuses, la coordination pour

dissuader l’entrée est plus facile à organiser (pas de phénomène de passager clandestin,

autrement dit de free riding). D’ailleurs, la plupart du temps, les stratégies de dissuasion à l’entrée

sont le fait d’une seule firme, en position de leader sur le marché.

� La dissuasion doit être peu coûteuse. Si coût de dissuasion prohibitif alors il vaut laisser entrer

les firmes.

� Il doit exister une asymétrie temporelle entre les firmes. La firme installée peut agir avant la

firme entrante et est donc en mesure d’influer sur les conditions d’entrée.

� La dissuasion doit être crédible aux yeux des firmes entrantes. La menace doit être perçue

comme réelle si les firmes entrent sur le marché.

Exemples de formes concrètes de stratégies de dissuasion à l’entrée :

� La prolifération des produits : lancer fréquemment de nouveaux produits sur le marché ⇒ firme

dominante en place occupe la totalité du marché. Impossible pour une firme potentielle d’entrer

(que proposer de nouveaux aux consommateurs ?). Exemple : Federal Trade Commission soupçonne

entreprises produisant céréales pour petit déjeuner de multiplier la variété des produits afin

d’occuper tout le marché. En 1950 les 6 principaux producteurs proposaient 26 variétés et plus

d’une centaine dans les années 1980. Affaire n’aboutit pas par manque de preuves suffisantes.

� La préemption technologique : firme dominante accélère le rythme de l’innovation pour déposer

brevets avant firmes entrantes. Cas extrême = « brevet dormant » (ne pas utiliser brevets déposés

ou achetés).

� Ventes liées : firme en position dominante sur un produit A oblige ses clients à acheter produits

A et B ensemble ⇒ position dominante sur le marché B (on parle de stratégie du levier ou leveraging

theory).

II. La forclusion Forclusion = stratégie consistant, pour une firme présente à plusieurs étapes d’un processus de

production (firme dite intégrée verticalement) et possédant à l’une de ces étapes une ressource

rare, de refuser l’accès aux concurrents à cette ressource rare ou en leur tarifant l’accès à des

conditions désavantageuses.

Exemple : le titane. Titane très utilisé dans le fuselage des avions de chasse. Or si une firme qui produit

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des avions de chasse et qui exploite en même temps du titane → peut refuser l’accès du titane aux concurrents. On retrouve ici la doctrine dite de l’ « infrastructure essentielle » développée aux Etats-Unis à l’occasion

de l’affaire Terminal Railroad25. Une entreprise se soit d’assurer l’accès des concurrents à une

ressource rare qu’elle possède dès lors que trois conditions sont réunies :

� La ressource rare est difficilement reproductible pour des raisons techniques (ressources

naturelles par ex) ou de coût prohibitif (voie de chemin de fer par ex).

� L’accès des concurrents à cette ressource rare est nécessaire pour que la concurrence

puisse s’exercer.

� L’entreprise qui la possède est présente à plusieurs stades du processus de production :

elle est donc en concurrence avec les firmes qui souhaitent accéder à sa ressource.

Question de l’accès aux « infrastructures essentielles » et les risques de forclusion se posent dans le cadre

de la dérégulation des monopoles naturels (électricité, téléphonie, gaz), notamment en Europe. Les

« opérateurs historiques » (EDF, GDF, France Telecom, SNCF, La Poste) possèdent des infrastructures

essentielles et sont en mesure de désavantager les nouveaux entrants ⇒ rôle important de la Commission

européenne.

Problème connexe : faut-il déréguler ??? (voir par ex coupure générale d’électricité en Europe privant

plusieurs millions de foyers d’électricité en novembre 2006, état des infrastructures ferroviaires en Grande-

Bretagne).

25 Voir GLAIS, « Infrastructures essentielles et autres ressources essentielles au regard du droit de la concurrence », Revue d’économie industrielle, n°85, pp 85-116.

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CChhaappiittrree 44 :: llee ccoonnttrrôôllee ddeess ccoonncceennttrraattiioonnss

I. Les formes de la concentration

1. Typologie des F&A

Parler de fusions et d’acquisitions (F&A) c’est parler de croissance des entreprises → croissance externe,

contrairement à la croissance interne.

Trois formes de F&A :

- F&A horizontales : rapprochements entre concurrents actifs sur un même marché.

Comment définir marché dans cette acceptation ? Autorités de la concurrence françaises et

européennes (quasi identique pour Etats-Unis) utilisent notion de marché pertinent. D’un point

de vue général : marché pertinent = ensemble de produits présentant entre une forte

substituabilité au niveau de la demande et de l’offre à l’intérieur d’un espace

géographique donné. Signification de « substituabilité de la demande et de l’offre » :

� Substituabilité demande → des produits différents (en terme de marque par ex) sont

néanmoins considérés comme relativement interchangeables par les consommateurs à

l’intérieur d’une aire géo donnée.

� En France, Conseil de la concurrence considère comme « substituables les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande » (Rapport d’activité, 1990). Pour l’UE, les Lignes directrices sur la définition du marché pertinent (1997) énoncent que « le marché pertinent en termes de produits comprend tous les produits et/ou services considérés comme interchangeables ou substituables par le consommateurs, en raison des caractéristiques des produits, de leurs prix et de leur usage habituel ».

� Substituabilité au niveau de l’offre → veut dire que nouveaux producteurs (déjà

présents sur marché ou pouvant entrer rapidement) peuvent proposer produits similaires à

ceux qui sont déjà sur le marché, dans délai très court. Un produit B est substitut du

produit A du point de vue de l’offre si, en réponse à la hausse du prix de A, les

producteurs du produit B sont incités à vendre également le produit A.

- F&A verticales : rapprochement entre entreprises intervenant à des stades différents du

processus de production sur un marché.

- F&A conglomérales : rapprochement entre entreprises sans relation de rivalité directe et

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dont objectif = constitution de groupes diversifiés (en terme de portefeuille de produits

par ex).

On peut aussi dresser typologie des F&A selon d’autres logiques (réalisée par cabinet Solving International,

novembre 2000)26 → grandes fusions peuvent alors être classées en 4 catégories :

� Fusions « - » : cas des secteurs en surcapacités mondiales. But : réduire l’offre pour

soutenir les prix. Cas de la fusion Boeing/McDonnell Douglas ou EADS (armement en

France).

� Fusions « ×××× » : atout d’une entreprise sera exploité par une autre entreprise (technologie,

gamme de produits, etc.). Ex de l’agroalimentaire par acquisition des gammes de produits

soft drinks de Cadbury Schweppes par Coca Cola et ex de l’automobile avec le

rapprochement Renault/Nissan. Mécanisme le plus créateur de valeur. On peut aussi

parler du « 1+1=3 ».

� Fusions « + » : on conjugue deux dynamiques de développement complémentaires sans

trop en faire en matière d’imbrication des deux entreprises. Cohérence au niveau des

métiers. Pilotage commun au début mais sans trop d’échanges entre les deux structures,

puis échanges progressivement au sein du nouvel ensemble. Ex : Adia et Ecco dans le

travail temporaire ou Sodexho et Gardner Merchant dans celui de l’assurance. Peut se

révéler un échec : Sony et Columbia, Kodak et Sterling Drug, Péchiney avec PCUK

(chimie) et American National Can (emballage).

� Fusions « / » : logique = amortir investissement (R&D par ex) sur volume d’activité

très large. On veut diviser la dépense pour étoffer les marges et se concentrer en amont

sur innovation et en aval sur commercialisation. Ex : Rhône-Poulenc avec Hoechst

Marion Roussel. On parle aussi de « diviseur d’investissement ». Mais inconvénient :

programmes de R&D doivent être réanalysés, harmonisés, arrêtés ou concentrés sur une

des équipes.

2. L’évolution dans le temps des F&A

Jusqu’à période récente, on comptait 5 grandes vagues de F&A :

- 1895-1904 : période de changement d’infrastructures économiques (chemins de fer

transcontinentaux) et d’innovations technologiques (électricité) → fusions surtout horizontales

visant à acquérir des positions monopolistiques.

- 1922-1929 : période de mobilité et de communication accrues (automobile, radio) → fusions

verticales tendant à l’oligopole, surtout dans banque, services d’utilité publique, agro-alimentaire.

26 Voir aussi article paru dans Les Echos, « Se rapprocher pour soustraire ou additionner », 27 novembre 2000.

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- Années 1960 : législation très protectrice de la concurrence aux Etats-Unis, amélioration niveau

de vie et accélération des innovations ⇒ fusions surtout conglomérales. Diversification ⇒

création marché interne des capitaux et donc compense développement encore insuffisant des

marchés de capitaux. Permet aux multinationales d’investir leurs surcapacités financières sans

tomber sous le coup des législations antitrust.

- Années 1980 : très grandes F&A (mega deals) ⇒ démantèlements des conglomérats (recentrage des

firmes sur activités de base). Secteur pétrolier très touché.

Causes :

� Législation antitrust américaine plus souple vis-à-vis des grandes firmes.

� Innovations sur les marchés financiers à partir 1985-1986.

� Recours massif aux LBO (leveraged buyout → transactions financées surtout par de la dette).

� Progrès technique (télécoms + TIC) ⇒ mobilisation plus rapide et mobilité accrue des

capitaux internationaux.

� Baisse obstacles aux IDE : simplification autorisations préalables, interdictions sectorielles

levées, plafonds autorisés de participation étrangère levés.

� Renforcement intégration économique régionale : intensification opérations intrazones.

Voir tableau ci-dessous :

Tableau 15. Opérations de F&A intra et intercontinentales de 1997 à 1999 (milliards de dollars).

1997 1998 1999

Valeur % Valeur % Valeur %

Intra Amérique du Nord

Intra Europe

Am du Nord vers Europe

Europe vers Am du Nord

Autres

242

147

25

12

12

55

34

6

3

3

746

222

46

121

19

65

19

4

10

2

561

510

62

254

31

40

36

4

18

2

Total 438 100 1 154 100 1 418 100

- Années 1990 : innovations technologiques importantes (informatique, internet, téléphonie

mobile) + privatisations et libéralisation de certains secteurs économiques (énergie, télécoms,

transports aériens) ⇒ fusions stratégiques (firmes changent de métier → ex de TUI AG, appelée

au début Preussag AG et spécialisée dans sidérurgie, qui se recentre sur tourisme).

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Et aujourd’hui ???...

Depuis 2005 → hausse des F&A (en valeur et en nombre), surtout dans télécoms, finance, énergie,

pétrole, gaz et soins de santé. Raisons: raréfaction sources énergie, poursuite développement TIC,

vieillissement populations pays développés.

II. Concentrations et autorités antitrust Règle per se pas appliquée : on évalue le coût et les avantages des concentrations.

Lier ce thème au « patriotisme économique » récent (voir affaires Arcelor, GDF, etc.).

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CCoonncclluussiioonn –– OOuuvveerrttuurree ssuurr dd’’aauuttrreess tthhèèmmeess

Dans le cadre de l’UE →→→→ conflit ou complémentarité entre politique de la concurrence et

politique industrielle27 ?

Politique industrielle = ensemble des actions à l’initiative des pouvoirs publics visant, dans un

état donné des marchés et de leur organisation, à opérer des transferts de ressources dans le but

d’atteindre des objectifs déterminés en terme de compétitivité des entreprises.

Constituer des champions nationaux (voir Europe) va-t-il donc à l’encontre de la politique de la

concurrence ? Oui pour certains car politique industrielle nécessite politique de la R&D, subventions,

aides diverses, etc.

Peut-on parler d’une hiérarchie entre politique industrielle et politique de la concurrence ? Certains

juristes (BOURGEOIS et DEMARET, 1995) défendent la thèse d’une « contrainte institutionnelle »

assurant primat de principe de la politique de la concurrence sur la politique industrielle. Justification des

auteurs : « Pris ensemble, les articles 3g, 3a, 102a et 130 impliquent que la politique de la concurrence a un statut

supérieur à la politique industrielle ». Que voit-on en pratique ?

- Pour la politique de la concurrence : tout le pouvoir effectif est concentré entre les mains de la

Commission et de la Cour européenne de justice.

- Pour la politique industrielle : pouvoir au Conseil des ministres mais unanimité requise !

⇒⇒⇒⇒ forte asymétrie entre ces deux politiques.

27 Voir par exemple rapport du CAE « Les politiques de la concurrence », p 183.