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INTERVIEW «On aime trop être des Calimeros» PAYSAGE Bernard Attinger, ex-architecte cantonal et bouillonnant président d’Altitude 1400, quitte la scène. Un retrait formel puisque, sur le fond, l’homme garde encore un œil acéré sur la gestion du territoire du canton. Un teigneux. Un vieux singe imperti- nent. Bernard Attinger et ses répliques qui fusent lui ont valu bien des sobri- quets. Architecte cantonal durant vingt- huit ans puis président de l’association Altitude 1400, il quitte les feux de la rampe mais ne range pas les armes. A 74 ans, il promet de continuer à veiller jus- qu’à la fin de ses jours aux questions de l’urbanisme qui bousculent notre canton. Dans sa maison sédunoise, entre une pile de dossiers et de coupures de presse, cet observateur critique évoque son regard sans concession sur ce Valais secoué qui doit se prendre en main. Deux fois en deux ans, le Valais a subi la loi du peuple suisse sur la gestion de son territoire. Selon vous, le canton a-t-il compris ce message? Heureusement qu’on n’a que deux joues sinon on prendrait une troisième gifle. On aime trop être des Calimeros, il faut qu’un agresseur nous attaque pour qu’on se lève. On doit admettre que le tourisme d’hiver a atteint son apogée. On ne pour- ra plus croître sans cesse. Il est temps de l’accepter. Vous vous étiez opposé à l’initiative Weber. Aujourd’hui, on vous sent plus partagé. Un jour, on fera une statue à Weber. Les générations futures en seront conscien- tes. J’ai toujours dit qu’il avait mis le doigt sur un réel problème mais que ce n’était pas la solution. On a arrêté le cancer mais on a libéré les métastases. Que voulez-vous dire? Cette loi, comme celles qui interdi- saient la vente aux étrangers, n’est qu’une barrière qui engendre des dérives catas- trophiques. Au lieu de continuer à densi- fier des stations déjà largement pourvues en résidences secondaires, on va cons- truire partout ailleurs. Est-ce que les gens se rendent comptent qu’ils vont massa- crer le paysage? La situation est tellement exacerbée que si l’on évoque un avis con- traire, on est un salaud et un traître. La loi d’application permettrait de rénover le bâti existant. C’est la solution ou c’est déjà trop tard? Il faut préserver ce qui existe et pouvoir le rénover avec des règles qui ne soient pas trop ri- gides. En revanche, on ne doit pas détruire des vieux hôtels pour en faire des résidences secondai- res. Des dérives plus graves attendent la plaine du Rhône, il faut densifier et construire des habitats groupés. Tant mieux s’il y a moins de pelouse à tondre le dimanche. La pire catas- trophe serait que les vignes perdent drastiquement de leur valeur. Pourquoi? Parce qu’on se mettrait à bétonner le coteau de la plaine du Rhône à tout va. On a oublié d’où on vient. Il manque une réflexion globale. On a laissé trop d’autonomie. On troue le territoire aux abords des pistes et le long des bisses, sans réflexion. C’est pas croyable! La semaine dernière, le Parle- ment s’est montré très réfractaire à l’idée de laisser des compéten- ces d’aména- gement du territoire à l’Etat. Il faudra des consen- sus mais c’est avant tout un problème de fric! Regardez avec la 3e correction du Rhône et le prix que vous pouvez tirer d’une zone agricole ou d’une zone à bâtir. On hurle contre la zone agricole qu’il faudra sacri- fier mais par contre, on oublie de parler de la surface qui disparaît chaque année sous le béton. Surprenant, non? JULIEN WICKY BIO EXPRESS Naissance Bernard Attinger est né à Sion le 2 novembre 1942. Architecte Après sa scolarité obligatoire, il réalise un apprentissage de dessinateur- architecte à Sion puis obtient le diplôme d’architecture à l’Ecole technique supérieure de Bienne en 1968. Durant les trois années qui suivent, il fréquente parallèlement des cours à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts et à l’Université de Paris où il obtient un diplôme et un titre en urbanisme. De retour en Valais, il est nommé architecte cantonal en 1979. Fonction qu’il occupera jusqu’à sa retraite, en 2007. Sa plus grande réussite? «Aussi la plus difficile, l’ouverture de la rose de Valère.» Polémiste et politique Connu pour des prises de position franches et un franc-parler explosif, Bernard Attinger se lance, dès sa retraite, comme candidat au Conseil national dans les rangs du Parti chrétien-social en 2007. Il deviendra le porte-parole du PCS puis membre, encore aujourd’hui, du comité directeur. Altitude 1400 En 2009, il devient président de l’association Altitude 1400, fondée en 2007. Il y défend une urbanisation maîtrisée des Alpes valorisant des espaces naturels au service d’un tourisme durable. Depuis maintenant moins d’un mois, il a quitté ses fonctions mais reste encore actif dans bien des associations. JW SON REGARD SUR... IL AIME... FRANZ WEBER «Il a fait du très bon travail à certains endroits. Il lui manque cependant la manière pour être apprécié.» OSKAR FREYSINGER «J’ai écrit la préface d’un de ses livres. Il ferait parfois mieux de tourner la langue dans sa bouche avant de parler.» VLADIMIR POUTINE «C’est une très grande crapule mais c’est en même temps un grand homme qui a réussi à relever la Russie.» Retaper son chalet Il aimerait avoir le temps de finir de retaper son chalet familial aux Mayens-de- Sion. Faire du snowboard Bernard Attinger est un féru de snowboard. Il tente d’en pratiquer deux semaines complètes par hiver. Une page blanche sur son agenda La retraite, ce n’est pas de tout repos chez lui. Mais veut-il vraiment une pause? 5 JEUDI 20 MARS 2014 LE NOUVELLISTE Bernard Attinger assure avoir encore bien assez à faire avant de profiter de la retraite. MAMIN/A «LA CATASTROPHE POUR LE CANTON SERAIT QUE LA VIGNE PERDE DE LA VALEUR. ON BETONNERAIT LE COTEAU.» ar

Portrait de Bernard Attinger

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"Pour saluer le retrait de Bernard Attinger, le journaliste du Nouvelliste a osé le sobriquet de "vieux singe impertinent". Quelques années plus tôt, le président d'Altitude 1400 avait été qualifié de "vieux sage impertinent" dans les colonnes du Temps. Faute de frappe ou interprétation subjective?"

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Page 1: Portrait de Bernard Attinger

INTERVIEW

«On aime tropêtre des Calimeros»PAYSAGE Bernard Attinger, ex-architecte cantonal et bouillonnant président

d’Altitude 1400, quitte la scène. Un retrait formel puisque, surle fond, l’homme garde encore un œil acéré sur la gestion du territoire du canton.

Un teigneux. Un vieux singe imperti-nent. Bernard Attinger et ses répliquesqui fusent lui ont valu bien des sobri-quets. Architecte cantonal durant vingt-huit ans puis président de l’associationAltitude 1400, il quitte les feux de larampe mais ne range pas les armes. A 74ans, il promet de continuer à veiller jus-qu’à la fin de ses jours aux questions del’urbanisme qui bousculent notre canton.Dans sa maison sédunoise, entre une pilede dossiers et de coupures de presse, cetobservateur critique évoque son regardsans concession sur ce Valais secoué quidoit se prendre en main.

Deux fois en deux ans, le Valais a subila loi du peuple suisse sur la gestionde son territoire. Selon vous, le cantona-t-il compris ce message?

Heureusement qu’on n’a que deux jouessinon on prendrait une troisième gifle.On aime trop être des Calimeros, il fautqu’un agresseur nous attaque pour qu’onse lève. On doit admettre que le tourismed’hiver a atteint son apogée. On ne pour-ra plus croître sans cesse. Il est temps del’accepter.

Vous vous étiez opposé à l’initiativeWeber. Aujourd’hui, on vous sent pluspartagé.

Un jour, on fera une statue à Weber. Lesgénérations futures en seront conscien-tes. J’ai toujours dit qu’il avait mis le doigtsur un réel problème mais que ce n’étaitpas la solution. On a arrêté le cancer maison a libéré les métastases.

Que voulez-vous dire?Cette loi, comme celles qui interdi-

saient la vente aux étrangers, n’est qu’unebarrière qui engendre des dérives catas-trophiques. Au lieu de continuer à densi-fier des stations déjà largement pourvuesen résidences secondaires, on va cons-truire partout ailleurs. Est-ce que les gensse rendent comptent qu’ils vont massa-

crer le paysage? La situation est tellementexacerbée que si l’on évoque un avis con-traire, on est un salaud et un traître.

La loi d’application permettraitde rénover le bâti existant.C’est la solution ou c’est déjàtrop tard?

Il faut préserver ce qui existeet pouvoir le rénover avec desrègles qui ne soient pas trop ri-gides. En revanche, on ne doitpasdétruiredesvieuxhôtelspouren faire des résidences secondai-res.

Des dérives plus graves attendentla plaine du Rhône, il faut densifieret construire des habitats groupés.Tant mieux s’il y a moins de pelouseà tondre le dimanche. La pire catas-trophe serait que les vignes perdentdrastiquement de leur valeur.

Pourquoi?Parcequ’onsemettraitàbétonner

le coteau de la plaine du Rhône àtout va. On a oublié d’où on vient. Ilmanque une réflexion globale. On alaissé trop d’autonomie. On troue leterritoire aux abords des pistes et lelong des bisses, sans réflexion. C’estpas croyable!

La semaine dernière, le Parle-ment s’est montrétrès réfractaire àl’idée de laisserdes compéten-ces d’aména-gement duterritoire àl’Etat.

Il faudradesconsen-sus mais c’est

avant tout unproblème

de fric!

Regardez avec la 3e correction du Rhôneet leprixquevouspouveztirerd’unezoneagricole ou d’une zone à bâtir. On hurlecontre la zone agricole qu’il faudra sacri-fier mais par contre, on oublie de parlerde la surface qui disparaît chaque annéesous le béton. Surprenant, non?� JULIEN WICKY

BIO EXPRESS

Naissance Bernard Attinger est né àSion le 2 novembre 1942.Architecte Après sa scolaritéobligatoire, il réalise unapprentissage de dessinateur-architecte à Sion puis obtient lediplôme d’architecture à l’Ecoletechnique supérieure de Bienne en1968. Durant les trois années quisuivent, il fréquente parallèlementdes cours à l’Ecole nationalesupérieure des beaux-arts et àl’Université de Paris où il obtient undiplôme et un titre en urbanisme.De retour en Valais, il est nomméarchitecte cantonal en 1979.Fonction qu’il occupera jusqu’à saretraite, en 2007. Sa plus granderéussite? «Aussi la plus difficile,l’ouverture de la rose de Valère.»Polémiste et politique Connu pourdes prises de position franches etun franc-parler explosif, BernardAttinger se lance, dès sa retraite,comme candidat au Conseilnational dans les rangs du Partichrétien-social en 2007. Il deviendrale porte-parole du PCS puismembre, encore aujourd’hui, ducomité directeur.Altitude 1400 En 2009, il devientprésident de l’association Altitude1400, fondée en 2007. Il y défendune urbanisation maîtrisée desAlpes valorisant des espacesnaturels au service d’un tourismedurable. Depuis maintenant moinsd’un mois, il a quitté ses fonctionsmais reste encore actif dans biendes associations.� JW

SON REGARD SUR... IL AIME...

FRANZ WEBER«Il a fait du très bon travailà certains endroits. Il luimanque cependant la manièrepour être apprécié.»

OSKAR FREYSINGER«J’ai écrit la préface d’un de seslivres. Il ferait parfois mieuxde tourner la langue danssa bouche avant de parler.»

VLADIMIR POUTINE«C’est une très grande crapulemais c’est en même tempsun grand homme qui a réussià relever la Russie.»

Retaper son chaletIl aimerait avoir le temps definir de retaper son chaletfamilial aux Mayens-de-Sion.

Faire du snowboardBernard Attinger est un férude snowboard. Il tente d’enpratiquer deux semainescomplètes par hiver.

Une page blanchesur son agendaLa retraite, ce n’est pas detout repos chez lui. Maisveut-il vraiment une pause?

5JEUDI 20 MARS 2014 LE NOUVELLISTE

Bernard Attinger assureavoir encore bien assezà faire avant de profiterde la retraite. MAMIN/A

«LA CATASTROPHE POUR LE CANTONSERAIT QUE LA VIGNE PERDE DE LA VALEUR.ON BETONNERAIT LE COTEAU.»

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