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©Pierrot Péladeau, 2010 Portrait des Processus d'Information InterPersonnels (PIP) pour analyse et communication sociales, légales et éthiques Communication à la conférence Legal IT 4.0 Droit + Technologies de l'information Montréal, 26 et 27 avril 2010 Association du Jeune Barreau de Montréal Pierrot Péladeau Chercheur invité à Communautique Membre du Laboratoire Éthique et vieillissement du Centre recherche de l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal Chercheur associé au CEFRIO Spécialiste en évaluation sociale de systèmes d'information interpersonnels 1. Introduction Quoiqu'inscrite dans la section « Vitrine technologique » du programme de la conférence, cette présentation ne porte pas sur une application logicielle. Encore moins sur un produit commercial. Elle traite plutôt de l'élaboration d'une méthode dont le mode d'emploi et certains outils seront disponibles en accès libre et gratuit. Cette présentation vise donc deux objectifs. Le premier objectif est d'exposer brièvement les expériences et la démarche qui ont conduit à l'élaboration d'une méthode de modélisation des processus d'information qui a été éprouvée avec succès à deux fins complémentaires, à savoir : a) analyser, évaluer et gérer les questions légales, sociales et éthiques que soulèvent des systèmes d'information ou de transaction interpersonnels; et b) faciliter la communication entre les acteurs d'un tel système ou d'une telle transaction : d'abord entre ceux impliqués dans sa conception et son opération; et avec ses usagers, y compris ceux avec faible littératie ou faible connaissance de l'informatique. Le second objectif de cette présentation est d'inviter les intéressés, non seulement à s'approprier cette méthode, mais également à participer à une communauté de

Portrait des Processus d'Information InterPersonnels (PIP

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©Pierrot Péladeau, 2010

Portrait des Processus d'Information InterPersonnels (PIP)

pour analyse et communication sociales, légales et éthiques

Communication à la conférence Legal IT 4.0 — Droit + Technologies de l'information

Montréal, 26 et 27 avril 2010

Association du Jeune Barreau de Montréal

Pierrot Péladeau Chercheur invité à Communautique

Membre du Laboratoire Éthique et vieillissement du Centre recherche de l'Institut universitaire de

gériatrie de Montréal

Chercheur associé au CEFRIO

Spécialiste en évaluation sociale de systèmes d'information interpersonnels

1. Introduction

Quoiqu'inscrite dans la section « Vitrine technologique » du programme de la

conférence, cette présentation ne porte pas sur une application logicielle. Encore moins

sur un produit commercial. Elle traite plutôt de l'élaboration d'une méthode dont le

mode d'emploi et certains outils seront disponibles en accès libre et gratuit.

Cette présentation vise donc deux objectifs.

Le premier objectif est d'exposer brièvement les expériences et la démarche qui ont

conduit à l'élaboration d'une méthode de modélisation des processus d'information qui

a été éprouvée avec succès à deux fins complémentaires, à savoir :

a) analyser, évaluer et gérer les questions légales, sociales et éthiques que

soulèvent des systèmes d'information ou de transaction interpersonnels; et

b) faciliter la communication entre les acteurs d'un tel système ou d'une telle

transaction :

d'abord entre ceux impliqués dans sa conception et son opération; et

avec ses usagers, y compris ceux avec faible littératie ou faible

connaissance de l'informatique.

Le second objectif de cette présentation est d'inviter les intéressés, non seulement à

s'approprier cette méthode, mais également à participer à une communauté de

2

praticiens intéressés par l'analyse, l'évaluation et la communication sur les systèmes

d'information ou de transaction interpersonnels.

2. Grandes lignes de la méthode PIP

Commençons d'abord par une remarque d'éclaircissement. Manifestement, Portrait des

Processus d'Information InterPersonnels (ou méthode PIP) est une méthode qui se

montre utile pour la mise en œuvre de normes de protection des renseignements

personnels. Elle est également pratique pour la réalisation d'une « évaluation des

facteurs relatifs à la vie privée » (privacy impact assessment).

Cependant, les visées de PIP sont nettement plus étendues, à savoir, ultimement :

favoriser une maitrise sociale de nos informations et de nos outils numériques;

et

faciliter la démocratisation des sociétés de l'information

à travers une compréhension plus exacte et aisément partageable de comment nos

relations interpersonnelles sont supportées par le maniement d'informations.

En termes pratiques, PIP est une méthode d'analyse et de communication sociales qui

peut, entre autres, servir à l'analyse et à la communication légales (tout comme elle

peut servir les mêmes fins dans d'autres domaines comme l'éthique ou la gestion de

l'information). Lorsqu'employée par les juristes, cette méthode permet de prendre en

compte, non pas seulement les normes spécifiques de protection des renseignements

personnels, mais bien l'ensemble des normes impliquées dans les interactions entre

personnes supportées par un maniement d'informations.

Concrètement, PIP facilite l'identification de :

tout maniement d'informations supportant une interaction interpersonnelle

(peu importe si ces informations :

o sont à caractère personnel ou non, et si oui,

o portent sur des personnes physiques identifiables [« renseignements

nominatifs »] ou non);

toutes les interactions entre toutes les personnes impliquées dans ce maniement

d'informations

(peu importe si ces personnes :

o sont physiques ou morales, et

o quelques soient leurs statuts et rôles eu égard à ce maniement); et

enfin;

3

toutes les normes impliquées dans une interaction supportée par le maniement

d'informations

(peu importe la fin poursuivie par cette norme ou la source de celle-ci).1

Figure 1 : Les normes applicables aux processus d'information interpersonnels dépassent

largement celles généralement associées à la protection des informations personnelles

Ce caractère global de la méthode explique pourquoi nous l'avons dénommée Portrait

des Processus d'Information InterPersonnels en recourant à des termes génériques

comme « processus » et « interpersonnels » pour décrire ses objets. Par une telle

dénomination, nous visons, entre autres objectifs, à éviter la confusion avec les

concepts spécifiques à la protection des renseignements personnels qui s'appliquent

surtout à des « dossiers » ou « fichiers » (plutôt qu'à la totalité des processus comme le

fait PIP) ainsi d'informations ou renseignements à caractère essentiellement

« personnels » et « nominatifs » (plutôt qu'à toutes formes d'informations impliquées

dans une relation interpersonnelle).

1 J'aborde plus avant la question de l'ensemble des normes impliquées dans les processus d'information

interpersonnels dans « Par delà la vie privée : ce que tout juriste devrait savoir sur les applications des

technologies de l’information et des communications concernant les personnes physiques », in Actes de la

XIVe Conférence des Juristes de l’État. Cowansville, Québec : Les Éditions Yvon Blais, 2000, 133-148.

Version en ligne : http://pierrot-peladeau.net/fr/relations/ecr/ecr2

4

3. Intérêt pour les juristes

PIP se présente donc aux juristes comme un instrument d'analyse sociale préalable à

l'analyse légale elle-même. Quant à son utilisation légale comme telle, cette méthode

permet de prendre en compte l'ensemble des normes impliquées dans les interactions

entre personnes supportées par un maniement d'informations. Pour arriver à ce

résultat, PIP aide notamment à structurer une identification systématique de :

quelles personnes (physiques et morales) interagissent avec quelles autres

personnes (physiques et morales);

quels maniements de quelles informations portant sur quoi ou sur qui

produisent quels résultats à l'égard de qui;

quels rôles, légaux ou de facto, ces personnes jouent entre elles; et

quelles relations interpersonnelles effectives s'établissent entre ces personnes à

travers le maniement d'informations.

Une fois ce contexte établi, PIP permet alors de systématiser l'identification des normes

légales et paralégales (tels des standards techniques, des règles logicielles, etc.) qui

s'appliquent ou non aux :

rôles légaux ou de facto joués par ces personnes;

informations produites et maniées;

maniements

effectués sur ces

informations;

relations

interpersonnelles

légales ou de facto

s'établissant entre

les personnes à

travers ces

maniements; et

décisions ou actes

posés à travers ces

maniements ou

résultants de ceux-ci.

Par l'établissement de ces éléments, PIP offre aux juristes une base solide à leurs

analyses et communications légales ainsi qu'à une éventuelle réflexion plus large sur les

questions sociales et éthiques soulevées.

Figure 2 : Normes applicables aux rôles effectivement

joués par les acteurs

5

4. Pourquoi un modèle visuel

Dans les années 1990, plusieurs discours répandus ont proclamé que nous vivions dans

une époque de dématérialisation des activités et productions humaines. D'un strict

point de vue informatique, cette affirmation est carrément erronée. En réalité, nous

assistons, au contraire, à une matérialisation sans précédent des rapports

interpersonnels. En effet, les technologies numériques occasionnent une médiatisation

sans cesse plus grande de ces rapports à travers des objets physiques, à savoir :

des informations et des programmes (dont les supports matériels, loin d'avoir

disparu, ont simplement passé à des échelles microscopiques); et

des machines (toujours aussi tangibles et de plus en plus omniprésentes).

En principe, une telle matérialisation devrait grandement faciliter l'identification de ces

rapports interpersonnels, leur reconstitution et leur examen. En principe, il suffirait de

suivre pas à pas les manifestations physiques des flux d'informations et du déroulement

des processus en cause.

En pratique cependant, on assiste à l'exact inverse : ces rapports interpersonnels

apparaissent plus difficiles à reconnaitre et comprendre. Étonnamment, beaucoup

d'organisations méconnaissent encore leurs propres processus et parfois même quelles

sont exactement les informations qu'elles manient. Et généralement, cette

méconnaissance est encore plus grande parmi les individus qui sont les sujets mêmes de

ces informations et processus.

Ce paradoxe apparent tient au fait que :

la majeure partie des processus se déroulant au sein des machines et entre elles

échappent à la perception directe des sens humains; et

les connaissances relatives à ces processus sont souvent éparpillées, ésotériques

(pour autant qu'elles aient été produites pour commencer).

Les conséquences d'une telle méconnaissance peuvent être sérieuses, entre autres sur

le plan juridique.

6

4.1 Premier exemple : méconnaissance de l'existence même d'informations dans la

cause Directron Média

L'exemple le plus flagrant de méconnaissance dont je fus témoin fut l'audition de la

cause Directron Média inc. c. Inspecteur général des institutions financières.2 Le

différend impliquait une entreprise commerciale privée qui désirait obtenir une copie

du Fichier central des entreprises (FCE) maintenu par l'Inspecteur général des

institutions financières. L'audition a duré deux longs jours. Pourtant à son terme, il

apparaissait que les témoins et les avocats des deux parties avaient tout ce temps décrit

et discuté d'un système d'information qui n'était pas celui qui existait en réalité.

En effet, contrairement à ce qu'ils avaient présenté, le FCE ne contenait pas seulement

que des copies des informations recueillies sur formulaire d'inscription règlementaire

(typiquement : les individus A, B, C, D et E sont les administrateurs de l'entreprise X -

ensemble que nous désignerons ici comme « fiche d'entreprise ») de nature publique

selon la Loi concernant les renseignements sur les compagnies.3 En fait, le cœur du FCE

était une base de données relationnelle qui détenait aussi physiquement (ce fait est

légalement important ici) d'autres informations non mentionnées sur le formulaire

prévu en vertu de la Loi concernant les renseignements sur les compagnies. Cette base

de données incluait, notamment, des ensembles que nous désignerons ici comme des

« fiches d'individu » explicitant que l'individu C est administrateur des entreprises X, Y et

Z. La même base incluait également ce que nous désignerons comme des « fiches

d'adresse » explicitant que telle adresse est celle de telles entreprises et tels

administrateurs.

Évidemment, le fait que des informations ne soient pas mentionnées dans une loi ou un

formulaire règlementaire ne signifie pas qu'elles n'existent pas.

Dans ce cas du FCE, la réalité d'une large proportion des informations qu'il contenait

n'avait apparemment pas été perçue, ni par les représentants de l'organisme public qui

les détenait, ni par ceux de l'entreprise qui comptait pourtant les vendre avec profits. Or

l'existence matérielle de ces informations entrainait des effets légaux importants. Par

exemple, le caractère public ou confidentiel des informations des « fiches d'individus »

n'était pas décidé par les normes particulières de la Loi concernant les renseignements

sur les compagnies puisque ces informations n'y sont pas mentionnées. En

2 [1990] C.A.I. 171 (89 0 36). Version en ligne :

http://www.cai.gouv.qc.ca/07_decisions_de_la_cai/01_pdf/jurisprudence/890236ju.pdf

3 L.R.Q., c. R-22

7

conséquence, cette question relevait donc d'autres normes d'application générale, à

savoir ici, celles de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la

protection des renseignements personnels.

Pourtant une simple description détaillée du contenu de la base de données aurait pu

éviter ce quiproquo et de longues heures d'auditions stériles puisque ne portant pas sur

le bon objet.

4.2 Second exemple : les processus alimentés par les fichiers de renseignements sur

les locataires.

Par delà de l'existence ou non d'informations, il y a aussi la question de la nature des

processus auxquels celles-ci participent. Ici, le cas qui m'a le plus marqué a été mon tout

premier travail d'évaluation de systèmes d'information interpersonnels : une étude sur

les fichiers de renseignements sur les locataires effectuée en 1982.

À l'époque, quatre associations québécoises de propriétaires de logements locatifs et

quelques entreprises commerciales canadiennes offraient des services de

renseignement sur les locataires ou d'agence de logement. Étudiant en droit à l'époque,

j'avais décidé d'en faire le sujet d'un travail de recherche juridique appliquée.

Spontanément, des juristes estimaient que ces fichiers soulevaient surtout la question

de l'application des principes de respect de la vie privée et de la réputation des

personnes prévus sous l'application du Code civil du Bas-Canada et dans la Charte des

droits et libertés de la personne du Québec.4 Fort de ce consensus et des faits

publiquement connus, j'aurai donc pu réaliser alors une évaluation légale à partir d'une

recherche en bibliothèque de droit. Cependant, j'ai plutôt décidé d'enquêter d'abord sur

ces fichiers se trouvant à Montréal, Saint-Jérôme, Québec et Halifax.

J'ai alors découvert que ces services d'information étaient très différents les uns des

autres sur les plans de leurs objectifs, des types d'informations produites, des types de

traitements effectués ainsi que des décisions qu'ils permettaient de prendre à l'égard

des locataires. En conséquence, la discussion de leur légalité touchait donc à des normes

et institutions très diverses, souvent éloignées de celles relatives au respect de la vie

privée et de la réputation (ou même des normes de protection des renseignements

personnels qui s'appliquent aujourd'hui à de tels maniements d'informations

personnelles).

4 Code civil du Bas-Canada (C.c.B.C) et Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., c. C-

12, a. 4 et 5.

8

Une illustration parmi plusieurs : moins de quatre mois après la publication de mon

rapport de recherche, l'Assemblée nationale du Québec adoptait une première vague

d'amendements législatifs qui, notamment, interdisaient de discriminer dans le

logement sur la base du fait qu'une personne a exercé des recours prévus par loi.5 En

effet, l'objectif de certaines listes noires avait été d'entraver la mise en œuvre de la

nouvelle Loi sur la Régie du logement en dissuadant les locataires d'y recourir.6 Les

mêmes amendements ont aussi interdit la discrimination du fait qu'une personne a un

enfant ou est enceinte (comme certaines agences de logement le faisaient pour

différents types de candidats locataires filtrés en fonction de critères préétablis par le

propriétaire client). Jamais une discussion légale abstraite ne serait arrivée à de tels

constats, ni n'aurait entrainé de tels effets.

Cette expérience a ancré chez moi l'idée de la nécessité d'une compréhension détaillée

d'un maniement d'informations et de ses dimensions sociales comme préalable à toute

tentative d'évaluation légale, sociale ou autre. Car si on comprend mal qui sont les

acteurs interagissant comment à travers quelles informations, il devient hasardeux

d'identifier correctement les normes et principes applicables, et donc les implications

sociales, légales et éthiques.

4.3 Avantages d'une schématisation visuelle des processus

Les systèmes d'informations sont des dispositifs de plus en plus compliqués devant

s'embrayer avec des réalités sociales multiples et complexes. Or, le fait qu'une part

grandissante des processus d'informations s'avère inobservable à l'œil nu permet aux

perceptions de prendre aisément le pas sur les faits. Car souvent, la compréhension des

intéressés ne peut reposer que sur ce que fournissent les formulaires et modes d'emploi

pratiques, les textes contractuels et règlementaires, les métaphores et les raccourcis

explicatifs, les arguments promotionnels ou les discours officiels.

Dans un tel contexte, le recours à des modèles visuels facilite la compréhension. Un

schéma, tel un de flux d'information ou de déroulement de processus d'affaires,

constitue déjà une proposition vérifiable. Ce schéma peut être confronté à la

documentation disponible, au comportement des dispositifs ou aux connaissances des

informateurs clés. Les règles strictes de composition des schémas forcent à ne retenir

5 Cette disposition est devenue l'article 1899 du présent Code civil du Québec, L.R.Q. c. C-1991.

6 L.R.Q. c. R-8.1.

9

que certains éléments essentiels seulement, mais tous ceux-là de manière

systématique, rigoureuse et exhaustive.

J'ai donc très tôt utilisé diverses formes de schémas dans le cadre d'activités

d'évaluation. Cependant, ma pratique sur le terrain ainsi que certains travaux

théoriques m'ont progressivement amené à considérer la nécessité d'un modèle visuel

spécifique pour le travail d'analyse sociale, légale et éthique de processus d'information

interpersonnels. 7

5. La genèse de PIP

5.1 Un système de prévention de l'accès illégal aux médicaments d'ordonnance

Ma première tentative d'élaboration d'un modèle visuel spécifique à l'analyse sociale,

légale et éthique eut lieu en 2000-2001. Elle a été réalisée dans le cadre d'un mandat

d'évaluation d'un système de prévention de l'accès illégal aux médicaments

d'ordonnance. Le contexte était celui d'un projet de rehaussement technique du

système ainsi que son élargissement à une nouvelle classe de médicaments. Or depuis

sa création quinze ans auparavant, ce système avait été un constant objet de

controverse entre les membres du conseil d'administration de l'ordre professionnel qui

le gérait ainsi que les milliers de professionnels de la santé impliqués par son utilisation.

L'organisme m'avait donc demandé d'évaluer le système existant et de trouver

éventuellement des solutions aux conflits.

Pendant ses quinze ans d'existence, le système d'information avait fait l'objet de

nombreux débats internes et de plusieurs avis juridiques. Il avait en outre été l'objet

d'une enquête de la section de surveillance de la Commission d'accès à l'information

ainsi qu'une décision de sa section de juridiction. Enfin, le système avait été l'objet de

deux enquêtes du coroner du fait qu'il n'avait pu prévenir certains décès par suicide à

l'aide de médicaments.

Or, au moment d'entreprendre la réalisation de mon mandat, il m'a fallu constater qu'il

n'existait aucun document décrivant exactement le fonctionnement le système. Aucun.

7 J'aborde plus en détail les avantages et inconvénients des modèles visuels existants dans « La

modélisation visuelle des systèmes d’information en santé pour leur gestion administrative, légale, sociale

et éthique », in L’informatique de la santé dans les soins intégrés : connaissances, applications, évaluation.

Actes des 9e Journées Francophones d’Informatique Médicale. Sherbrooke, Société Québécoise

d’informatique Biomédicale et de la Santé (SoQibs), 2003, 297-308. Version en ligne : http://pierrot-

peladeau.net/fr/relations/ecr/ecr1.

10

Depuis quinze ans, l'ordre professionnel, ses administrateurs, des milliers de

professionnels de la santé de divers champs de pratique, des avocats, une commission

et des coroners avaient débattu et décidé à propos de ce système d'information que sur

la base d'indications fragmentaires et de perceptions.

Or, une démarche crédible d'évaluation exigeait la production d’une description du

système suffisamment détaillée, précise et objective pour être considérée comme

avérée par toutes les parties en cause. J'ai donc requis d'enquêter sur les différents

processus d'informations supportés par ce système afin d'en produire une toute

première description détaillée. Le document final comprenait 22 séries de schémas

(dont quatre s’étendant sur plus de deux pages) accompagnant des textes descriptifs.

Cet exercice fut pour moi l'occasion de jeter les bases un nouveau modèle visuel.

Pourquoi nouveau? Parce que les différents modèles déjà utilisés en informatique, aussi

pertinents soient-ils,

s'avèrent souvent erronés

d'un point de vue social et

légal.

Par exemple, dans le cas

du système de prévention

de l'accès illégal aux

médicaments, un modèle

de données aurait identifié

que les principales entités

personnelles étaient des

« professionnels de la

santé » et des « patients ».

Une telle catégorisation

était conforme au modèle canadien de données de santé de l'époque.8

Dans un modèle de cas d'utilisation, les « patients » disparaissent puisqu'ils ne sont pas

des utilisateurs directs du système. On se retrouve donc uniquement avec des

professionnels de la santé informant d'autres professionnels à travers le système

d'information.

8 Working Group 1 (Health Information Model) of the Partnership for Health Informatics/Telematics.

Conceptual Health Data Model v2.3. Ottawa, Canadian Institute for Health Information, mars 2001.

Figure 3 : Comparaison entre les réalités mise en

évidence par différents modèles visuels

11

Par contre, une analyse proprement sociale révèle que le système mettait bien en

présence des « professionnels de la santé » et des « patients ». Cependant, à certains

moments la relation interpersonnelle effective s'établissait plutôt entre des individus

agissant comme informateurs ou agents de détection et de prévention d’infractions à la

loi, d'une part, et des individus suspects ou présumés avoir commis des actes illégaux

pour obtenir des médicaments, d'autre part.

Or, c'était précisément là où se trouvait la source principale de conflit. Là aussi où se

trouvait la solution, non seulement de la controverse, mais également de l'inefficience

du dispositif à prévenir les suicides à l'aide de médicaments légalement obtenus. En

effet, les processus qui déclenchaient des demandes d'interventions auprès des

professionnels de la santé étaient fondés, non pas sur une logique clinique, mais plutôt

sur une logique légale d'application de dispositions du Code criminel relatives,

notamment à l'obtention frauduleuse de médicaments d'ordonnance.

Le bénéfice immédiat de ce portrait des processus d'information interpersonnels fut

bien sûr d'offrir pour la première fois aux intéressés un document donnant une vue

d’ensemble du système et une description détaillée des processus qu’ils supportent.

Même une employée dont la fonction exclusive depuis plus de dix ans avait été

l’opération du système a affirmé en avoir appris sur son fonctionnement. Par exemple,

elle a découvert, comme son organisme, que l’application des règles d’épuration des

dossiers patients inactifs des professionnels participants entrainait l’élimination

systématique d’avertissements pourtant officiellement toujours en vigueur.

5.2 Un entrepôt de données de recherche

J'ai effectué une expérimentation subséquente dans le cadre des travaux d'un comité

sur les questions d'éthique, de confidentialité et de protection des renseignements

personnels d'un projet d'entrepôt de données médicales aux fins de recherches. Je

siégeais à ce comité. Des concepteurs de l'entrepôt de données participaient à ce même

comité. Ils avaient amplement l'occasion de nous parler en détail des différentes

composantes du dispositif.

Après plusieurs mois de travail de notre comité, j'ai testé la représentation que nous en

avions collectivement en produisant un modèle PIP. Il s'agissait d'un schéma sommaire,

au niveau de survol le plus élevé et simplifié des processus, sans traiter des relations

interpersonnelles. Nous nous sommes alors rendu compte que pas moins du tiers des

processus prévus par le projet d'entrepôt n'avait pas été explicité. Ces processus avaient

donc échappé jusque-là à notre analyse et notre discussion.

12

De telles expériences

démontrent la nécessité

d'un travail minutieux de

documentation des

relations

interpersonnelles

médiatisées par

l'informatique ainsi que

la grande utilité de la

modélisation visuelle des

processus pour ce travail.

6. Description sommaire de PIP

La syntaxe générale du modèle cumule deux types de portraits (ou schémas).

Le premier type décrit le déroulement des processus d'information étudiés. En d'autres

mots, ces portraits décrivent les maniements matériels d'informations : quelles

informations sont produites, stockées, communiquées et traitées pour produire quels

résultats.

Le second type de portraits décrit plutôt les relations interpersonnelles supportées par

un processus ou une portion de ce dernier. En d'autres mots, ces portraits s'attardent

plutôt à identifier qui sont les personnes impliquées dans ces maniements ainsi que

quels rôles jouent-elles chacune en regard des informations et des autres personnes.

L'expérience a montré qu'afin de bien distinguer ces deux types de portraits et de

réalités, il est préférable que la production des schémas recourt à des pictogrammes

distincts.

Précisions ici que la méthode PIP n'est pas normative quant à quels pictogrammes

doivent être employés. Tout particulièrement lorsqu'il s'agit de communications et de

vulgarisation, chaque utilisateur pourrait utiliser des pictogrammes adaptés au secteur

d'activités, aux références culturelles des destinataires ainsi qu'à la signature graphique

propre à l'organisation émettrice.

Figure 4 : Portions de processus (en haut en rouge)

révélé par la modélisation visuelle

13

Ceci dit, pour des fins de

recherche et

développement de PIP,

nous recourons

aujourd'hui à deux

banques distinctes de

pictogrammes génériques

libres d'accès.

Pour les descriptions de

relations entre les acteurs,

nous employons PIP-L

(Portrait des Processus d'Information InterPersonnels - Langage; acronyme qu'on peut

prononcer comme le mot « people »). Ce système pictographique ad hoc a été

développé en collaboration avec Communautique et la designeure industrielle Caroline

Cyr.9

Ensuite, pour les

descriptions des processus

eux-mêmes, nous

employons PICOL (PIctorial

COmmunication

Language). Ce système

pictographique développé

à l'Université des Sciences

appliquées de Mayence,

en Allemagne, pour la

description de systèmes

de communications

électroniques.10

9 PIP-L : http://pierrot-peladeau.net/fr/pip-pip-l

10 PICOL : http://picol.org/about.php

Figure 5 : Pictogrammes de bases de PIP-L

Figure 6 : Échantillon de pictogrammes PICOL

14

7. Utilisation de PIP pour la communication et la vulgarisation

7.1 Besoins croissants de communications sur les processus

Par delà des besoins en matière d'analyse, et d'analyse juridique en particulier,

s'accroissent les besoins pour la réussite de communications relatives aux processus qui

s'avèrent aisément compréhensibles par les intéressés. En effet, les processus découlant

de l'application d'une loi ou d'un contrat sont de plus en plus informatisés. Ces

processus sont même de plus en plus autoadministrés par diverses parties impliquées;

donc de moins en moins pris en charge par des commis ou des professionnels chargés

de la tenue de dossiers ou de comptes. Ainsi, au lieu de former quelques dizaines ou

centaines d'employés sur des processus souvent compliqués, nous nous retrouvons avec

des milliers, voire des millions d'utilisateurs qui apprennent généralement à s'en servir

sur le tas. La qualité de la communication auprès de ces utilisateurs est donc cruciale à

la bonne performance des processus.

Les juristes qui conseillent ces organisations ou ces utilisateurs ont eux-mêmes besoin

de bien comprendre ces processus pour en faire l'évaluation légale et les expliquer. Or

comme nous l'avons déjà vu, la documentation disponible en offre souvent une pauvre

explication et plusieurs conflits surgissent du seul fait de perceptions divergentes.

En outre, comment expliquer correctement ces processus et leurs implications légales

auprès des citoyens qui se l'autoadministrent alors qu'au Canada, 48 % des adultes

peuvent difficilement lire un simple texte suivi, et donc encore moins un écrit technique

ou légal. Cela sans compter que plusieurs demeurent encore peu familiers avec

l'informatique ou, malgré une certaine familiarité, ont de la difficulté à décoder le

fonctionnement d'un dispositif électronique?

L'emploi de représentations visuelles constitue un moyen, parmi d'autres, afin de

faciliter cette communication.

7.2 Exemple de l'explication du vote dans le système électoral

En 2009, nous avons expérimenté avec Communautique et des organismes en

alphabétisation l'utilisation de schémas PIP auprès de groupes de personnes à faible

littératie ou à faible familiarité avec l'informatique.11 Nous avons réussi grâce à ces

11

Projet « Découvrir la société de l’information à travers nos informations personnelles » financé par le

Conseil canadien de l'Apprentissage : http://www.communautique.qc.ca/projets/projets-actifs/ateliers-

appropriation.html

15

schémas, non seulement à expliquer certains processus, mais aussi un certain nombre

de concepts de base pour comprendre notre société de l'information. L'exemple

présenté ici est celui de l'explication du vote dans le système électoral canadien et

québécois à partir de ses fondements informationnels. Parmi les participants, il y eut

quelques immigrants

étrangers en apprentissage

du français. Nous nous

sommes alors rendu

compte de combien ce

mode d'explication pouvait

être compréhensible pour

des personnes totalement

non familières avec notre

système électoral.

Notons que les schémas

qui suivent ne sont qu'une

suite de portraits de

relations interpersonnelles. Nous n'avions pas besoin de recourir à des portraits de

processus comme tels pour décrire le système électoral.

Nous avons amorcé

l'explication en prenant

l'objet informationnel

destiné à être manié

directement par les

citoyens : le bulletin de

vote. Tout d'abord, nous

avons fait porter l'attention

sur le fait que chaque ligne

du bulletin parle d'un

individu, dument identifié,

qui se porte candidat à la

fonction de député et que

cet individu est membre ou

non d'un parti, lui aussi dument identifié le cas échéant.

Figure 7 : Relations interpersonnelles de la candidature

Figure 8 : Relations interpersonnelles entre candidatures

16

Ensuite que le bulletin de

vote présente une liste de

candidats, dument identifiés,

membre ou non de partis,

dument identifiés, qui sont

donc en compétition les uns

avec les autres pour le vote

de chaque personne apte à

voter.

Au moment du vote, la

personne qui vote indique

son choix parmi les candidats

inscrits au bulletin. Ce vote

est anonyme et l'électeur

demeure généralement non

identifiable (information

personnelle anonyme et

généralement non

nominative)12.

Si les votes individuels sont

anonymes et non

identifiables, la compilation

de ceux-ci permet de

déterminer combien de

votes de l'électorat d'un

comté dument identifié ont

été accordés à chaque

candidature. La personne candidate ayant reçu le plus de votes remporte l'élection et

devient alors député de la population de ce comté.

L'ensemble des députés élus compose l'Assemblée législative responsable de l'adoption

des lois. Ces lois ainsi que d'autres décisions devant être prises par vote, une relation de

12

Il existe des cas de figures comme celui où, par exemple, tous les électeurs d'une même boite de scrutin

ayant voté identiquement, les bulletins toujours anonymes révèlent quand même au grand jour le vote de

chacune des personnes inscrites comme ayant ont voté, donc identifiables.

Figure 10 : Relations interpersonnelles dans le vote

Figure 9 : Relations interpersonnelles dans l'élection

17

compétition demeure

entre les députés et partis.

Enfin, selon la tradition

parlementaire britannique,

le parti ou le groupe de

parlementaires disposant

du plus grand nombre de

députés à l'Assemblée

législative est

généralement le premier à

se faire offrir de former un

gouvernement chargé de la

direction politique des affaires

de l'État ainsi que de son

administration publique.

7.3 Exemple de l'explication de la place du consentement dans des dossiers patients

Le second exemple est un exercice sur l'importante question du consentement ou non à

un maniement d'informations personnelles. Les tableaux qui suivent furent créés pour

un séminaire de spécialistes de la protection des renseignements personnels. Il s'agissait

d'une seconde version de tableaux développés initialement pour une formation donnée

à des intervenants en santé et services sociaux.

Ces deux tableaux comparent le consentement (ou l'absence de celui-ci) dans deux

contextes :

la communication ordinaire d'informations médicales entre deux professionnels

de la santé; et

la communication électronique, telle que proposée par le système Dossier Santé

Québec.

Notons cette fois que les schémas illustrent à la fois les relations interpersonnelles (avec

PIP-L) et les processus (avec PICOL). Ils ne visent pas à décrire l'ensemble des systèmes

impliqués, mais se concentrent essentiellement à rendre visuellement explicite :

la présence du consentement;

l'absence de consentement;

le caractère obligatoire (législatif) d'un ensemble d'opérations; et

Figure 11 : Relations interpersonnelles dans

l'Assemblée législative

18

la possibilité pour le patient de refuser certaines opérations parmi ces dernières

(option de retrait,

dit opting out en

anglais).

Dès le premier coup d'œil,

il n'y a besoin d'aucun mot

pour percevoir

immédiatement que nous

sommes en présence de

deux modes très différents

d'organisation des

communications ainsi que

du consentement.

Dans l'explication du

Dossier santé Québec, le

point le plus critique était la compréhension de l'option de retrait. En effet, l'expérience

avait montré que toute tentative d'explication verbale ou écrite de cette option était

laborieuse. Malgré les détails fournis et les reformulations, l'explication provoque

souvent la confusion chez les destinataires.

Figure 13 : Portrait du consentement à la communication dans Dossier Santé Québec

Par contre, l'image clarifie l'explication en délimitant précisément quel est l'objet de

l'option de retrait et ses effets. Dans ce schéma, nous avons réussi à bien :

Figure 12 : Portrait du consentement ordinaire à la

communication d'informations médicales

19

délimiter l'ensemble des opérations obligatoires à l'intérieur d'un encadré

marqué par la flèche cerclée de vert reprenant le familier pictogramme routier

« direction obligatoire » accompagnée de la mention « Loi » qui précise que

cette obligation est légale;

identifier chacune des opérations obligatoires en les marquant du même

pictogramme « direction obligatoire », plus le pictogramme d'engrenages

(signifiant automatisme), plus le pictogramme « non-consentement »;

signaler la présence d'une option de retrait par un losange de décision entre

« oui » (et pictogramme PICOL « exécution/poursuivre opérations » vert) et

« non » (et pictogramme dérivé de PICOL « annuler » rouge) qui comprend le

mot « option »;

délimiter le sous-ensemble des opérations susceptibles de faire l'objet d'une

option de retrait par un encadré (et donc, à contrario, celles qui ne sont pas

affectées par l'exercice de l'option de retrait).

8. PIP : un chantier prometteur

Manifestement, le recours à la méthode Portrait des Processus d'Information

InterPersonnels facilite la production d'analyses rigoureuses ainsi que l'établissement de

communications intelligibles et non ambigües, notamment sur les dimensions légales.

Cependant, le développement de la méthode et de son utilisation est encore en cours.

Dans un premier temps il faut organiser le transfert et l'appropriation de la méthode.

Nous remercions les organisateurs de cette conférence pour leur invitation qui nous

offre une première occasion de rencontre avec les juristes.

Dans les semaines qui viennent, on retrouvera sur la page PIP-PIP-L13, non seulement

cette présentation, mais ensuite l'accès aux pictogrammes, puis à divers modes

d'emploi et cas types d'utilisations.

Nous allons aussi offrir des formations et de l'accompagnement dans l'utilisation de la

méthode PIP, tout particulièrement dans l'optique d'appropriation qui est au cœur de la

mission de Communautique, notamment par la formation à des formateurs ou des

agents multiplicateurs.

Nous comptons d'ailleurs constituer peu à peu et animer une communauté de pratiques

ainsi que de recherche et développement, notamment sur l'emploi de la méthode PIP à

13

Page sur PIP et PIP-L : http://pierrot-peladeau.net/fr/pip-pip-l

20

des fins de communication entre les acteurs des projets informatique et avec leurs

usagers et personnes concernées. Nous projetons d'ailleurs développer des projets

démonstration critique de concept en situation réelle de l'utilisation de PIP à des fins de

communication.

Nous lançons donc une invitation chaleureuse à tous les intéressés, non seulement

parmi les juristes, mais également toutes les autres catégories de professionnels et

intervenants impliqués dans la conception, le développement et l'opération de systèmes

d'informations ou de transactions interpersonnelles.

Finalement, à plus long terme, nous songeons aussi à développer des ponts

méthodologiques et logiciels avec les pratiques et outils déjà utilisés pour la conception

de systèmes informatiques afin de faciliter l'intégration et l'utilisation de PIP dès les

premiers stades de développement de systèmes visant à supporter une forme ou autre

de relations interpersonnelles.