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Pour en finir avec la mort MAI 2018 copie · de vivre ici-bas, nous n’en aurions pas la même perception. Tout s’éterniserait sans limite, sans horloge. « L’éternité, c’est

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Manuelpourenfiniraveclamort

JosephAgostiniAgnèsRoudy

IllustrationsdeJean-LucdeAntoni

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SOMMAIRE

I/MILLEETUNEMORTS

1/DIEUQUELAMORTNOUSVEXE!

2/PERDREQUELQU’UNQU’ONAIME,C’ESTJUSTELAFINDUMONDE

3/SURLEFILDURASOIR

4/DOUCEESTLANUIT

II/DESADIEUXBIENORCHESTRES

1/VOILA,C’ESTFINI

2/DUFONDDEMATOMBECHERIE

3/SPLENDEURETMISEREDESDEFUNTS

III/LAMORTVUEDEL’INTERIEUR

1/ETSIONSAVAIT?

2/LAMORTVUEDEL’INTERIEUR

3/LESAMISDESMORTS

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INTRODUCTION

Ilestfacilededirequenousallonsmourir.Le«Nous»créecequ’ilfautde distance avec ce verbe hautement inflammable.Nous allonsmourir, c’estcomme ça. C’est la nature humaine. That’s life! Les livres de biologie n’enfinissentpasdenous lepromettre.Quantaux livresd’Histoire, ilssontgorgésdeguerres,decatastrophesetdefamines,nousrappelanttoujoursunpeuplusnotre petitesse dans l’univers. Dire «Je vaismourir», en revanche, est uneautrepairedemanche.PourleMoi, lamortestunefable.Ilnel’imaginequechez les autres. La sienne est littéralement impensable. Pour autant, il restefascinéparsamortalité.Ellelescotche.Iln’apasdemandéànaître,pourquoidevrait-il mourir?! Il doit y avoir erreur. Des spiritualistes partent d’unprésupposé différent, selon lequel nous aurions demandé à naître. Le Moiagirait comme une victime qui refuserait de s’attribuer cette part deresponsabilité. Nous serions avant tout, des êtres énergétiques, en contactavec des vibrations terrestres. Nous naîtrions pour nous élever, pour fairegrandirnotreâmeaufildenosexpérienceshumaines.

Alors,quicroire?

Le philosophe Vladimir Jankelevitch disait que la mort était «la plusgrande gaffe de l’existence». Gaffe, erreur, hénaurmité aux yeux d’un Moigonfléd’orgueil,quinesupportepasunetelleinfamie.Quiconqueestnédoitpourtantmourir.Ilenvad’unefatalitéquel’hommen’apassudompteraufildesâges.Nouspouvonsralentirlevieillissementcellulaire,guérirdesmaladiesles plus tonitruantes, améliorer notre hygiène alimentaire et corporelle,personnen’aencoreétéimmunisécontrelamort.Etquandcelle-cifrappe,ellesèmesouventstupeur,abattement,affliction.Lesvivantspleurentlesabsents,inconsolablesqu’ilssontfaceàcequi,pourtant,n’estpasévitable.Contraintsàexplorerlemondeavecleurcinqsens,ilsnesefientqu’àcequ’ilsvoient.Etilsdéplorent le vide. Le poète soufi dit que nous devonsmourir à nos appétits,dansunedisciplineascétiquemenantàl’annihilationdenous-mêmesavantlamortbiologique.Laméditationsur lamortest laplushautequisoitselon lesmystiques.Ilssesententprisonniersdeleurcorpsetmeurentàleurexistencedansunravissement.

Le passage de vie à trépas revêt tant demystères, condense à lui seulunemultituded’images,desymboles…Chaquereligiondonneàpensercequi

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adviendra après notre dernier souffle. Toutes parlent d’un chemin qui sepoursuivraitautrement,au-delàdenosconnaissanceshumaines,limitées,etdenotre environnement perceptible. Les iconographies, représentant ces étatsinconnus, apparaissent entourées de lumière. Les visages dessinés semblentreprésenterlapaix.Autantdefiguresd’unRéelindéchiffrable,quel’onpeineàdécouvrir,neserait-cequepartiellement.Caraufond,s’interrogersurlamortrevient d’abord à s’interroger sur la naissance. Pourquoi avons-nous à vivrecetteexistence?Ya t-ilunsenssecret,caché,quinenousapparaîtraqu’unefois notre périple terrestreachevé? La conscience humaine est-ellesimplement condamnée à retourner à la nuit profonde et acéphale, dans unhors-sensabsolu?

En tant que psychanalystes, nous recevons chaque jour des patientsconfrontés à la mort, qu’il s’agisse de la leur ou de celles de leurs proches.D’ailleurs,quandonaimeéperdumentunêtrequis’enva, l’onnesaitparfoisplus très bien qui est parti. A chaque vie, sa singularité, son style d’être-au-monde, sa façon, toujours mouvante, toujours changeante, d’affronter desobstacles sur la route, d’épouser les contours d’un Soi qui échappe. Quelleplace lamortprend-elledans cette singularité?Après cetteépreuve, ce sautdansl’inconnu,aurons-nousencoreunepersonnalitéparticulière,porteusedestracesd’unehistoirequinousauraforgés,ounosexpériencesémotionnellessenoieront-elles dans un Tout indifférencié, atemporel? Autant d’hypothèses,autant de croyances … Les êtres humains s’y raccrochent-ils pour ne passombrerdanslamélancolieetlapeurpaniquedeseperdre.Maisquandilsnes’yraccrochentpas,quandilss’acharnentànecroirequ’àcequ’ilsvoient,font-ils aveu de leur terreur? Résistent-ils à leur part d’ombre, un champ deconscienceuniverselle,unesortedeSoitranspersonnel?

L’humournoirestlàpourdésamorcerleslarmesetnouslibérerd’unechapedetristesse. Mais cet humour est toujours teinté d’amertume, celle éprouvéequandnousévoquonssurun ton léger, sardonique, l’éphéméritéde lavie, lamanièredont lamortpeutnous fairedisparaître,d’une secondeà l’autre. Etsansautreformedeprocès.Lamortnequittepaslesartistes.Ilsypuisentleurspleen et leur idéal. Les plus beaux vers auraient-il pu voir le jour si lafaucheuseavaitlaissélepoètetranquille?Lamortinspiratricedevientlumièrecréatrice. La dualité vie/mort perd son sens pour se fondre en une mêmeunité.

Vanité, étrangeté, serpents qui sifflent sur nos têtes… La mort, cetteingrate. Elle fait s’élever des statues et des mausolées à la gloire d’illustres

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disparus alors que d’autres s’enfoncent dans les fosses communes,définitivementoubliéesdelasociétédeshommes.Pensons-nousmonnayerunmeilleur passage dans l’au-delà si nous offrons une sépulture cossue à nosdéfunts?Noussommesparfois siperdusdansnoscroyancesquenousallonsjusqu’àsoupeserleurvaleur,commelesEgyptiensquilaissaientdesvictuaillesauxcôtésducadavreembaumédesPharaons,pourquelecorpsnemanquederienpendantlatraversée.Lamortdanslegrandâgeest laplusacceptée.Ellepermetlerepositionnementdechacunàl’aunedelahiérarchiefamiliale,quiserejoue inconsciemment à chaque naissance. Or, lamort fait s’éteindre, dansson lit, un meurtrier centenaire, et elle ravit, dans le même battement deseconde,unenfantsurlechemindel’école…Pourquoi?

Celivreestunvoyageaucœurdelamort,del’alexandrinauvermisseau.Ellesedévoile,serévèle,maisaussi sedéfile,se jouedenous.Lamort,nousl’avons en nous, dans ce corps pressentant son apoptose, au creux de cettepsychétoujoursauxaguets,toujoursdivisée.Sinousbaissonslagarde,sinousoublionsderegarderentraversant,ellesetientprête.Pourtant,elles’éloignequand nous voulons la saisir. Elle se fait intranquille, furieuse parmoments,alorsqu’elle redevientparfois si sage, siapaisante,doucecommeunagneau,commesielleauguraitdeshorizonsplussereins.«Apprendreàmourir»,ditlephilosophe.«J’aieudeuxmortscettenuit»,luirépondlemédecinurgentiste.Etpuis,ilyacesêtrestémoignantd’unevieau-delàdelavie,relatant,parfoisdansledétail,desexpériencestroublantes,quiconvoquentlesurnaturel.Noussommesallésà leurrencontre,pourêtreauplusprochedescessubjectivitésfrappéesparlemystère.

Bonvoyage!

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I/MILLEETUNEMORTS

Lamortestlagrandeinconnuedenosexistences.Nousypensonstoutle

longduchemin, furtivementparfois,avec insistanceàd’autresmomentspluscharnières.Ellenenousquittejamaisvraimenttantnouslasavonsconstitutivedenotreêtre.S’iln’yavaitpasdefinàl’expériencequenoussommesentraindevivreici-bas,nousn’enaurionspaslamêmeperception.Touts’éterniseraitsanslimite,sanshorloge.«L’éternité,c’estlong,surtoutverslafin»,aunjourditWoodyAllen.Commentlasupporterions-nous?SiunDieuapprentisorciernousoffraitdemain l’immortalité,ne serait-cepasunpiègedans lequelnoustomberions tous ? Mais quelques temps après avoir accepté ce cadeau, nesupplierions-nous pas le même Dieu de nous rendre notre terminaisondestinale?

La mort ponctue, scelle, balise. Elle est la pierre angulaire de nospensées, denos comportements carnousnous situons tous surunéchiquiertemporaire, qui se dissoudra aussitôt le sablier épuisé. Tous les êtres vivantspartagent ce sort. Les vanités sont des allégories de la mort, du temps quipasse, de la vacuité des passions humaines. Elles apparaissent à l’essor ducalvinismepourdirel’énigmeetlaterreursuscitésparlafinitude.Lamort,onen a peur, car si elle est chose certaine, nous ne connaissons pas le visagequ’elle prendra quand elle s’adressera à nous1. Elle ne se résume passimplement à l’anéantissement du corps physique. Elle concerne aussil’anéantissement psychique et le bouleversement émotionnel. Il existeplusieurs façons de la rencontrer et de l’expérimenter. Nous ne savons pasquelle mort nous attend, si elle sera lente ou rapide, douloureuse ouinstantanée,sielleadviendraalorsquenousseronsdansnotre litentourédenos proches ou si elle nous arrachera sauvagement à l'existencemalgré nossupplicationsfaceàunagresseurdéterminéànenous laisseraucunechance.Nousnesavonspasnonpluscommentnousl'accueilleronsàl'instantultime,sinous serons terrorisés en sentant sa venue imminente ou si nous seronspacifiés,heureuxdefinalementconnaîtrecetteexpériencesifantasméedepuisnotreenfance.

Autantd'inconnusindécelablesavantl'heuredernière.

1 Etpasauvoisin.

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1/DIEUCOMMELAMORTNOUSVEXE!

«Personnenecroitensamort»,aécritFreud.Quandnoussommesnés,pourpeuquenousayonsétéattendusparnosparents,lavieressemblaitdavantageàuneterred’accueilqu’àunchampdeminesantipersonnelles.Uncercledebienveillance a auréolé notre berceau. Nous n’avons, en effet, pasimmédiatement été livrés aux loups dans la forêt vierge2. Au contraire,beaucoup ont connu la chaleur d’un foyer familial, la tendresse d’unemèrenourricière,leregardsécurisantd’unpèrepleindegentillesse.Cethome,sweethome,coconoriginel,fonctionnecommeunesortedeleurreindispensableàlaconstructiondesoi.Ilpermetunlienconfiant,continu,pérenne,entrelebébéetlemonde.

«Monenfancem’aparuuneéternitécarj’étaisàl’abridesdangers,deséchecs.Mesparentsm’ontcouvécommecen’estpaspermis.Ilsm’ontmisdesœillèrespourquejenepuissepasvoirlesmalheursdesautres.Jemesouviensquemamèrem’alongtempscachélamortdenotrevoisindepalierafinquejenefassepasdecauchemars.Onneregardaitpaslejournaltélévisépournepasquej’assisteàdesscènesdeguerreoud’accident.J’aigrandidansunebulle!»,raconte Patricia, une architecte de trente ans à sa première séance depsychothérapie.Enfantunique,elleaétéaucentredelaviedesesparents,deses grands-parents, et a grandi en province dans un véritable nid d’amour,enfermantàbiendesmoments.«Papa,Maman,Papy,Mamievenaienttouràtour me chercher à l’école, le midi, le soir, sans me laisser une secondetranquille.J’ailesentimentd’avoirétéleurseulepréoccupationtoutaulongdecesannées.Ilsn’avaientd’yeuxquepourleurpetitefillechérie.J’aiapprisbienplustardquemesparentsn’avaientjamaispufairededeuxièmeenfantcommeils le souhaitaient. Je crois que cet amour excessif s’explique par cetteimpossibilité»,poursuitPatricia.

«Hismajestythebaby»,commel’appelaitlepédiatreanglaisWinnicott,est protégé des vicissitudes de la nature, de la cruauté des hommes, del’absurdité de l’existence, parfois à l’excès, comme pour cette patiente. Lafamille passe le plus clair de son temps à contempler bébé, à le flatter, àl’envelopper, à le consoler… Tous les regards, admiratifs et rassurants, sont2 Saufcasexceptionnel.

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dirigéssursapetitepersonne3.C’estdanscecapitald’amourquel’adultepuiseparlasuitepourtrouverlesforcesnécessairesfaceàladifficultédelavie.Sanscet environnement psychoaffectif, le bébé goûterait prématurément à lasolituderadicale.Ilresteraitdansunedétresseprimitived’unenfantsansbraspourl’accueillir,enproieàdesangoissesd’anéantissementinsurmontables.

Projectionidéalisante

Du temps où la mortalité infantile galopait, où les méthodescontraceptivesn'existaientpas,lavien'étaitpasaussinarcissiquementinvestiequ'aujourd'hui.LeMoi,ausensoùnous l'entendons,était inconnu.L'individusenoyaitdansunegroupalité,delaquellelesconsciencespeinaientàémerger.L'enfantétaitsouventvécucommeunparasite,unebouchesupplémentaireànourrir.Etpuis,estarrivée… lapénicilline!Noussommeseneffet, tous,sansexception,d’abordlesenfantsdesantibiotiquesetdesvaccinations.Sanseux,point de remède à bien des maux du monde. Or, «antibiotique» signifie«contrelavie»…

3 Veinard.