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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 475 Juin 2008 Exerçant dans le Pas-de-Calais, Patrice Devillers a été réélu, pour un troisième mandat de trois ans, à la présidence de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (Uspo). Reçu, en mars, à l’Élysée par les conseillers santé du président de la République, il a proposé à la France de s’illustrer en Europe en faisant adopter, sous sa présidence de l’Union européene, une directive santé. Actualités pharmaceutiques : Que visez- vous en mettant le dossier européen en tête des priorités ? Patrice Devillers : L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a participé, avec l’Ordre et les autres syndicats, à la réponse de la France de juillet 2007 à l’injonction euro- péenne contre notre législation. La Commis- sion européenne, sans reculer, a quelque peu réduit ses griefs sur la répartition géographi- que. Elle nous attaquait sur deux fronts : la pro- priété de l’officine détenue par un seul phar- macien et l’obstacle mis à l’entrée de capitaux extérieurs dans les sociétés de pharmacie. Sans aller jusqu’à accepter les grossistes répar- titeurs, nous sommes favorables à l’entrée de capitaux de pharmaciens extérieurs à l’officine. Afin de préserver l’indépendance financière de l’officinal, il n’est toutefois pas question d’ad- mettre l’arrivée de chaînes de pharmacies. Cette position n’est pas partagée par l’ensem- ble de la profession. Des groupements souhai- teraient passer à l’étape supérieure. Ce serait une erreur, même si aujourd’hui, certains, tel Jacques Attali, trouvent que le système anglo- saxon n’est pas mal non plus. Or, j’aimerais que les Anglo-Saxons respectent le système latin comme moi je respecte le leur. AP : Pourtant, Charlie McCreevy, commis- saire européen chargé du marché intérieur, attaque l’Allemagne sur les capitaux. PD : En autorisant le spécialiste de la vente par internet DocMorris à opérer sur son sol, en supprimant le maillage territorial et la répartition démo-géographique des officines, c’est-à-dire leur régulation, l’Allemagne avait répondu aux premières injonctions européennes. Or, main- tenant, on lui demande d’autoriser la création de chaînes de pharmacies. À ce rythme, rien, demain, n’interdit de s’en prendre à l’Espagne, l’Italie, l’Autriche… Il n’est pas possible d’en rester là, même si le Traité de Lisbonne renforce le principe de subsidiarité et si Frits Bolkes- tein 1 a été contraint par le Parlement européen de sortir la santé de sa directive sur les ser- vices. Si nous ne réagissons pas maintenant, McCreevy peut attaquer, demain, la France sur le maillage territorial. D’où notre demande de directive européenne sur la santé. La France, qui va présider la Communauté européenne à partir du 1 er juillet, pourrait en être l’initiatrice. AP : Que dirait ce texte ? PD : D’abord, il réaffirmerait les principes de sub- sidiarité, puis préciserait, peut-être, le maillage territorial avant de se prononcer sur les capitaux extérieurs à la société d’exercice… Actuelle- ment, les biologistes peuvent faire entrer 25 % de capitaux étrangers à la structure. En Espa- gne, la situation est assez similaire. À l’échelle de l’Europe, trouver un dénominateur commun est donc aussi envisageable pour l’officine, mais à condition de mettre les points sur les “i”. Exem- ple : parce qu’elle estime les 25 % insuffisants, la Commission a attaqué les biologistes en France. Pourtant, selon le droit de subsidiarité dont relève la santé, il ne lui appartient pas de déterminer ce taux. Ce point dépend-t-il du Traité de Rome ou des législations de chaque État membre ? Les pouvoirs publics doivent s’engager. L’impératif est de trouver une règle de base commune sur le degré d’ouverture de nos infrastructures aux capitaux extérieurs à la condition qu’ils provien- nent des seuls pharmaciens inscrits à l’Ordre et, cela, dans des proportions telles que l’indépen- dance du titulaire de la structure soit préservée. Je suis hostile à la création de chaînes, mais dès lors qu’elles sont organisées par la profes- sion, elles ne me font pas peur. Bien entendu, j’exclus qu’elles soient le fait de pharmaciens travaillant chez Leclerc ou dans toute autre grande surface. Je ne cède pas sur le mono- pole. Ce qui n’est pas le cas de pays européens tels le Portugal, l’Italie… Je ne voudrais pas que cela fasse contagion, ce qui sera difficile, mais puisque l’on met tout sur la table, autant y aller. Tout se négocie et il y a une vraie opportunité à saisir avec la présidence française. AP : Si le décret sur les sociétés d’exercice libéral (SEL) était paru dans les délais, ne vous aurait-il pas évité l’injonction européenne ? PD : Sans doute. Mais maintenant la réponse réside dans la directive santé européenne. À par- tir du moment où elle sera adoptée, elle coupera court à toutes les attaques : la Commission euro- péenne n’aura plus son mot à dire et la Cour Entretien Pour Patrice Devillers, c’est à la France d’initier la directive santé européenne L e 25 juillet 2006 était publiée au JO la convention natio- nale organisant les rapports entre les pharmaciens d’of- ficine et l’Assurance maladie. Le texte créait notamment une astreinte rémunérée 75 € par journée ou nuit de garde, et prévoyait certaines obligations pour les officinaux dont celle de participer activement à la « maîtrise médicalisée des dépen- ses de santé » à travers la promotion du générique. Pour les principaux syndicats, la publication de ce texte était le gage de relations apaisées et constructives avec l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam). L’Action pharmaceutique Profession La convention des pharmaciens est-elle morte ? © DR

Pour Patrice Devillers, c’est à la France d’initier la directive santé européenne

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Page 1: Pour Patrice Devillers, c’est à la France d’initier la directive santé européenne

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Actualités pharmaceutiques • n° 475 • Juin 2008

Exerçant dans le Pas-de-Calais,

Patrice Devillers a été réélu,

pour un troisième mandat

de trois ans, à la présidence

de l’Union des syndicats de

pharmaciens d’officine (Uspo).

Reçu, en mars, à l’Élysée par les

conseillers santé du président

de la République, il a proposé

à la France de s’illustrer

en Europe en faisant adopter,

sous sa présidence de l’Union

européene, une directive santé.

Actualités pharmaceutiques : Que visez-vous en mettant le dossier européen en tête des priorités ?Patrice Devillers : L’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a participé, avec l’Ordre et les autres syndicats, à la réponse de la France de juillet 2007 à l’injonction euro-péenne contre notre législation. La Commis-sion européenne, sans reculer, a quelque peu réduit ses griefs sur la répartition géographi-que. Elle nous attaquait sur deux fronts : la pro-priété de l’officine détenue par un seul phar-macien et l’obstacle mis à l’entrée de capitaux extérieurs dans les sociétés de pharmacie. Sans aller jusqu’à accepter les grossistes répar-titeurs, nous sommes favorables à l’entrée de capitaux de pharmaciens extérieurs à l’officine. Afin de préserver l’indépendance financière de l’officinal, il n’est toutefois pas question d’ad-mettre l’arrivée de chaînes de pharmacies.

Cette position n’est pas partagée par l’ensem-ble de la profession. Des groupements souhai-teraient passer à l’étape supérieure. Ce serait une erreur, même si aujourd’hui, certains, tel Jacques Attali, trouvent que le système anglo-saxon n’est pas mal non plus. Or, j’aimerais que les Anglo-Saxons respectent le système latin comme moi je respecte le leur.

AP : Pourtant, Charlie McCreevy, commis-saire européen chargé du marché intérieur, attaque l’Allemagne sur les capitaux.PD : En autorisant le spécialiste de la vente par internet DocMorris à opérer sur son sol, en supprimant le maillage territorial et la répartition démo-géographique des officines, c’est-à-dire leur régulation, l’Allemagne avait répondu aux premières injonctions européennes. Or, main-tenant, on lui demande d’autoriser la création de chaînes de pharmacies. À ce rythme, rien, demain, n’interdit de s’en prendre à l’Espagne, l’Italie, l’Autriche… Il n’est pas possible d’en rester là, même si le Traité de Lisbonne renforce le principe de subsidiarité et si Frits Bolkes-tein1 a été contraint par le Parlement européen de sortir la santé de sa directive sur les ser-vices. Si nous ne réagissons pas maintenant, McCreevy peut attaquer, demain, la France sur le maillage territorial. D’où notre demande de directive européenne sur la santé. La France, qui va présider la Communauté européenne à partir du 1er juillet, pourrait en être l’initiatrice.

AP : Que dirait ce texte ?PD : D’abord, il réaffirmerait les principes de sub-sidiarité, puis préciserait, peut-être, le maillage territorial avant de se prononcer sur les capitaux extérieurs à la société d’exercice… Actuelle-ment, les biologistes peuvent faire entrer 25 %

de capitaux étrangers à la structure. En Espa-gne, la situation est assez similaire. À l’échelle de l’Europe, trouver un dénominateur commun est donc aussi envisageable pour l’officine, mais à condition de mettre les points sur les “i”. Exem-ple : parce qu’elle estime les 25 % insuffisants, la Commission a attaqué les biologistes en France. Pourtant, selon le droit de subsidiarité dont relève la santé, il ne lui appartient pas de déterminer ce taux. Ce point dépend-t-il du Traité de Rome ou des législations de chaque État membre ? Les pouvoirs publics doivent s’engager. L’impératif est de trouver une règle de base commune sur le degré d’ouverture de nos infrastructures aux capitaux extérieurs à la condition qu’ils provien-nent des seuls pharmaciens inscrits à l’Ordre et, cela, dans des proportions telles que l’indépen-dance du titulaire de la structure soit préservée. Je suis hostile à la création de chaînes, mais dès lors qu’elles sont organisées par la profes-sion, elles ne me font pas peur. Bien entendu, j’exclus qu’elles soient le fait de pharmaciens travaillant chez Leclerc ou dans toute autre grande surface. Je ne cède pas sur le mono-pole. Ce qui n’est pas le cas de pays européens tels le Portugal, l’Italie… Je ne voudrais pas que cela fasse contagion, ce qui sera difficile, mais puisque l’on met tout sur la table, autant y aller. Tout se négocie et il y a une vraie opportunité à saisir avec la présidence française.

AP : Si le décret sur les sociétés d’exercice libéral (SEL) était paru dans les délais, ne vous aurait-il pas évité l’injonction européenne ?PD : Sans doute. Mais maintenant la réponse réside dans la directive santé européenne. À par-tir du moment où elle sera adoptée, elle coupera court à toutes les attaques : la Commission euro-péenne n’aura plus son mot à dire et la Cour

Entretien

Pour Patrice Devillers, c’est à la France d’initier la directive santé européenne

L e 25 juillet 2006 était publiée au JO la convention natio-nale organisant les rapports entre les pharmaciens d’of-ficine et l’Assurance maladie. Le texte créait notamment

une astreinte rémunérée 75 € par journée ou nuit de garde, et prévoyait certaines obligations pour les officinaux dont celle

de participer activement à la « maîtrise médicalisée des dépen-ses de santé » à travers la promotion du générique. Pour les principaux syndicats, la publication de ce texte était le gage de relations apaisées et constructives avec l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam). L’Action pharmaceutique

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La convention des pharmaciens est-elle morte ?

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Actualités pharmaceutiques • n° 475 • Juin 2008

de justice n’aura plus de raison de se prononcer sur les procédures en cours. Aujourd’hui, à quoi assistons-nous ? À un effet boule de neige. Je dis : « Fonçons ! » Si le président Sarkozy veut laisser la marque de son passage à la présidence de l’Europe, la directive santé lui en donne l’oc-casion. Il est attendu dans le monde de l’officine qui ne transigera pas sur la santé publique.

AP : Les rapports viennent de s’accumuler contre l’officine à la française : Attali, Beig-beider, Rochefort. Qu’en déduisez-vous ?PD : Ils sont déconnectés de la réalité. Leur destin est d’être classés, tout comme l’a été, en son temps, le rapport Camdessus2.

AP : En quoi le livre blanc du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens est-il une bonne réponse à ces attaques ?PD : L’opuscule récapitule toutes les activités du pharmacien. Elles ne sont, hélas, pas tou-tes connues de tous. L’Ordre a, comme nous, constaté de vraies dérives à la faveur de la parution du rapport Attali. Son président Jean Parrot a voulu réaffirmer le rôle du pharmacien dans sa fonction d’acteur de santé publique.

AP : Qu’est-ce qui vous a décidé à accep-ter l’accès devant le comptoir des médica-ments à prescription médicale facultative ?PD : Comme nous ne sommes pas parve-nus à obtenir dans les délais un décret sur les SEL, nous en avons payé en quelque sorte les conséquences avec l’injonction européenne. Cette fois-ci, si nous n’avions pas envisagé une évolution du métier concernant la médication officinale, nous n’aurions pas plus échappé, à l’instar des Italiens, à la sortie du médicament du monopole. Accepter un espace dédié n’est pas la première étape vers la sortie des OTC de la pharmacie. Je l’ai craint initialement, mais au vu des textes d’application auxquels nous avons été associés, tel n’est plus le cas. De surcroît, nous allons engager, dans la foulée, une négo-

ciation sur les bonnes pratiques commerciales avec les laboratoires, en particulier avec l’Asso-ciation française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa).

AP : Qu’avez-vous proposé aux États géné-raux de l’organisation de la santé (Égos) ?PD : La coordination des soins entre profession-nels de santé, notamment avec les médecins. Nous pourrions participer activement au suivi thérapeutique. Dans le cas de l’hypertension, le pharmacien pourrait surveiller la tension lorsque le patient vient à l’officine retirer son médicament. Il pourrait assumer le rôle d’alerte et de surveillance que le médecin ne peut plus véritablement assurer. Nous venons d’obtenir le renouvellement de la boîte supplémentaire. Cela relève du dépannage. Mais c’est un premier pas. Nous pourrions prolonger l’expérience. Pourquoi se limiter à ne renouveler qu’une fois ?

AP : Avec Sophia, la Caisse nationale d’as-surance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) expérimente, sans vous, un pro-gramme d’accompagnement de patients atteints de pathologie chronique.PD : La Cnamts a pris les devants avec son expérimentation dans laquelle elle nous a pro-posé des strapontins que nous avons refusés. Notre souhait ? Être en première ligne dans la surveillance des patients atteints de diabète que nous voyons chaque mois. Y a-t-il meilleur relais que le pharmacien, qui est au fait de l’évolution de cette pathologie ? La profession a demandé à la Cnamts de revenir à de meilleurs senti-ments. Nous n’avons pas fermé la porte.

AP : Le chantier du PLFSS 2009 s’engage. Quels sont vos projets d’amendements ?PD : Étendre aux pharmaciens la possibilité de contractualiser avec l’Assurance maladie des accords de bon usage du médicament (Acbum) et de bonnes pratiques. Les médecins peuvent déjà signer avec l’Union régionale des caisses

d’assurance maladie (Urcam) et, demain, sans doute, avec les futures agences régionales de santé, des accords de bon usage des soins (Acbus) rémunérés. Nous avons, concernant le diabète, l’hypertension, les antivitamines K…, le projet de mettre en place des procédures qui renforcent l’observance et la surveillance théra-peutique, bref, le rôle de professionnel de santé du pharmacien. Sans changer la prescription du médecin, le pharmacien pourrait ainsi expé-rimenter l’adaptation de la posologie.

AP : Pourquoi soutenez-vous, avec tous les autres syndicats, le dossier pharma-ceutique (DP) ?PD : J’exerce dans l’un des six sites pilotes. Le DP renforce la position du pharmacien dans son rôle d’acteur de santé publique. Outil de la profession, il est regardé comme une arme corporatiste par nos décideurs technocrates. J’espère que l’Ordre aura suffisamment de res-sorts et de ressources pour pouvoir aboutir à sa généralisation. Lorsqu’il veut s’engager, le pharmacien s’engage. Avec le DP, il devance le dossier médical personnel (DMP). Quand il nous a été demandé de substituer du généri-que, nous avons réussi. Quand nous avons dû télétransmettre en Sesam Vitale, nous l’avons fait. Maintenant, nous espérons aboutir, cette année, en matière de simplification des tâches administratives instaurant la scannérisation des ordonnances. L’avenant en cours de négocia-tion avec l’Union nationale des caisses d’as-surance maladie (Uncam) fixera les conditions de dématérialisation. Objectif ? Le zéro papier. Là aussi, le pharmacien est moderne. �

Propos recueillis par

Serge Benaderette

Journaliste, Courbevoie (92)

1. Auteur, en 2005, de la directive relative aux services dans le marché intérieur.

2. Le sursaut. Vers une nouvelle croissance pour la France, 2004.

libérale d’union syndicale (Aplus) avait cependant déposé un recours en annulation devant le Conseil d’État, notamment en raison de l’obligation de conventionnement des pharmaciens qui, seul, leur permet de voir les médicaments qu’ils délivrent pris en charge par l’Assurance maladie.Un an et demi après, Aplus a obtenu gain de cause sur trois points. L’Assurance maladie ne pourra plus refuser de rembour-ser les produits délivrés par un pharmacien en arguant qu’il n’a

pas ratifié la convention. Le Conseil d’État a également considéré que la convention ne pouvait pas obliger le « recrutement d’un nouveau pharmacien titulaire remplaçant » en cas de sanction par déconventionnement imposée par l’Assurance maladie. Enfin, la disposition qui prévoyait que l’Uncam puisse, à titre de sanction, retirer à une officine la possibilité de pratiquer des dispenses d’avance de frais a été annulée. �

Aurélie Haroche, © jim.fr